Décision

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9085-4886 Québec inc. c. Bank of Montreal

2019 QCCA 1301

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-027461-185

(500-06-000549-101)

 

DATE :

25 juillet 2019

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

JEAN BOUCHARD, J.C.A.

GENEVIÈVE MARCOTTE, J.C.A.

GENEVIÈVE COTNAM, J.C.A.

 

 

9085-4886 QUÉBEC INC.

APPELANTE - demanderesse

c.

 

BANK OF MONTREAL

BANK OF NOVA SCOTIA

CANADIAN IMPERIAL BANK OF COMMERCE

ROYAL BANK OF CANADA

TORONTO-DOMINION BANK

INTIMÉES - défenderesses

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           L’appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 22 février 2018 par la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Chantal Corriveau)[1], lequel l’autorise à intenter une action collective contre les intimées tout en lui refusant de soumettre les questions y alléguées et touchant à l’application des articles 45 et 49 de la Loi sur la concurrence[2] et de l’article 234 de la Loi sur la protection du consommateur[3].

[2]           Pour les motifs du juge Bouchard, auxquels souscrivent les juges Marcotte et Cotnam, LA COUR :

[3]           ACCUEILLE en partie l’appel;

[4]           INFIRME en partie, le jugement de la Cour supérieure;

[5]           AUTORISE l’appelante à soumettre à la Cour supérieure les questions relatives à l’application des articles 45 et 49 de la Loi sur la concurrence;

[6]           MODIFIE le paragraphe 138(3) dudit jugement pour qu’il soit rédigé ainsi :

3)         Les défenderesses ont-elles eu une conduite contraire à l’article 45 de la Loi sur la concurrence, tel qu’il était libellé jusqu’au 12 mars 2010 et après cette date, ou à l’article 49 de ladite loi, pendant la période visée par l’action collective?

[7]           Le tout avec les frais de justice.

 

 

 

 

JEAN BOUCHARD, J.C.A.

 

 

 

 

 

GENEVIÈVE MARCOTTE, J.C.A.

 

 

 

 

 

GENEVIÈVE COTNAM, J.C.A.

 

Me Jeffrey Orenstein

Me Andrea Grass

Groupe de droit des consommateurs inc. / Consumer Law Group Inc.

Me Reidar Mogerman

Camp Fiorante Matthews Mogerman

Me Avichay Sharon

Branch MacMaster

Pour l’appelante

 

Me Yves Martineau

Me Guillaume Boudreau-Simard

Stikeman Elliott

Pour les intimées

 

Date d’audience :

8 mai 2019



 

 

 

MOTIFS DU JUGE BOUCHARD

 

 

INTRODUCTION

[8]           L’appelante exploite un restaurant. Elle accepte que ses clients paient avec une carte de crédit Visa ou MasterCard. Ceci implique qu’elle doit payer des frais qui sont déduits du montant payé par le client.

[9]           Jugeant que ceux-ci sont trop élevés, l’appelante a été autorisée à intenter une action collective contre les intimées à qui elle reproche d’avoir comploté pour maintenir ces frais à des niveaux anticoncurrentiels[4].

[10]        Elle a également été autorisée à soumettre un certain nombre de questions de fait et de droit[5], à l’exception de celles soulevant l’application des articles 45 et 49 de la Loi sur la concurrence[6] et de l’article 234 de la Loi sur la protection du consommateur[7] à l’égard desquelles la juge de première instance n’a vu aucune cause d’action valable, faute d’assise factuelle dans le recours entrepris[8]. C’est cette dernière conclusion que l’appelante conteste en appel. Elle soutient que les moyens qui ont été rayés de son action collective satisfont au critère énoncé au paragraphe 575(2) C.p.c. selon lequel « les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées ».

[11]        Cela dit, et pour bien comprendre les propos qui vont suivre, il importe d’exposer dans un premier temps le fonctionnement du système de paiement par carte de crédit opéré par les banques[9].

LE PAIEMENT PAR CARTE DE CRÉDIT

[12]        Ce système exige la participation de cinq acteurs :

·        les réseaux Visa et MasterCard qui offrent le service de compensation et de règlement;

·        l’émetteur, soit la banque autorisée à émettre une carte de crédit Visa ou MasterCard à son titulaire à titre d’instrument de paiement;

·        l’acquéreur : il s’agit de l’entité qui agit comme pivot dans l’opération de paiement et qui fournit au commerçant la technologie et le matériel nécessaires à l’acceptation de la carte de crédit;

·        le titulaire, soit le client ou le consommateur qui possède et utilise une carte de crédit;

·        le commerçant qui accepte la carte de crédit comme mode de paiement pour un bien ou un service rendu[10].

[13]        Ainsi que l’écrivent les auteurs Nicole L’Heureux et Marc Lacoursière, si la carte de crédit sert d’instrument de paiement à son titulaire, elle constitue également un engagement de l’émetteur vis-à-vis le commerçant. Il en va ainsi parce que le processus de paiement fait en sorte que ce n’est pas l’acheteur qui paie directement le commerçant, mais l’émetteur envers qui l’acheteur s’est engagé à effectuer le remboursement[11] :

1004. Instrument de paiement - La carte de crédit permet à son titulaire d’effectuer un achat de biens ou une location de services dont le paiement n’est pas effectué immédiatement par l’acheteur, mais est reporté à plus tard. Ce n’est pas l’acheteur qui paye directement le commerçant, mais c’est l’émetteur envers qui l’acheteur s’est engagé à effectuer le remboursement. La carte de crédit sert donc comme instrument de paiement envers les commerçants. […]

La carte de crédit permet au commerçant de toucher le prix de sa vente non entre les mains de l’acheteur, porteur de la carte, mais entre les mains de l’émetteur. Comment expliquer cet engagement de l’émetteur? Le paiement de l’émetteur apparaît comme un paiement anticipé, une avance de fonds, qu’il doit récupérer auprès de son client pour le compte du vendeur ou du fournisseur de biens et de services. L’émetteur joue donc le rôle d’intermédiaire entre le commerçant et le titulaire de la carte. Ce dernier, grâce au contrat passé entre l’émetteur et le commerçant, ne paye pas immédiatement son achat. Il dispose d’un crédit de l’émetteur, mais également du commerçant qui participe à l’opération.

[Soulignements ajoutés]

[14]        De plus, chaque fois qu’un consommateur utilise sa carte de crédit pour acheter un bien ou un service, le commerçant doit verser un certain pourcentage à l’acquéreur à titre de « frais d’acceptation ». Ce dernier dépose alors dans le compte du commerçant le montant facturé au titulaire de la carte, moins les frais d’acceptation (« Merchant Discount Fee ») qui se répartissent en trois catégories : les frais de réseau payés soit à Visa ou à MasterCard, les frais de service retenus par l’acquéreur et les frais d’interchange payés à la banque émettrice[12].

[15]        Ce sont ces derniers frais, représentant 80 % des frais d’acceptation, qui sont au cœur de l’action collective et qui, selon l’appelante, seraient artificiellement maintenus à un pourcentage élevé par les intimées.

[16]        Cela étant, il faut noter que ces frais résultent d’une entente entre l’acquéreur et le commerçant quoiqu’ils servent à financer les divers services offerts par l’émetteur. Il importe à nouveau de citer les auteurs L’Heureux et Lacoursière[13] :

1014. Frais d’interchange - […] Concrètement, les frais (ou commission) d’interchange représentent un montant déterminé par le réseau et exprimé en pourcentage que l’acquéreur (ou la banque du marchand) doit remettre à l’émetteur, ce montant étant par la suite payé par le marchand. Ces frais contribuent au financement de divers services offerts par l’émetteur, comme la période de grâce (paiement sans intérêt), les pertes sur mauvaises créances, la prévention de la fraude et la fraude, les diverses étapes du traitement de la transaction (location des terminaux, autorisation, vérification), le service d’assurance, la marge de profit de l’acquéreur, de même que les programmes de fidélisation.

[Soulignement ajouté]

[17]        À n’en pas douter, il s’agit d’un système complexe où tous les participants sont interreliés[14].

[18]        Revenons maintenant au cas à l’étude.

LES PROCÉDURES

[19]        Le 17 décembre 2010, l’appelante introduit une demande afin d’être autorisée à exercer une action collective contre les réseaux Visa et MasterCard. Elle est par la suite autorisée à modifier sa demande afin d’ajouter plusieurs banques, dont les intimées, à titre de défenderesses[15]. Puis, le 13 juin 2012, la juge de première instance, avec l’accord de toutes les parties, suspend le recours entrepris au Québec en raison d’un recours similaire intenté en Colombie-Britannique. Selon la juge : « Il est indéniable que le jugement à être rendu en Colombie-Britannique sera d’un intérêt certain pour la poursuite éventuelle du présent recours devant les tribunaux québécois »[16].

[20]        Parlant du recours mû en Colombie-Britannique, il faut savoir que l’argument de l’appelante fondé sur les articles 45 et 49 de la Loi sur la concurrence a été rejeté à deux reprises par la Cour d’appel de cette province parce que les faits allégués ne révélaient aucune cause d’action[17]. De plus, il appert que la demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême a aussi été rejetée[18]. Faut-il s’étonner dès lors que les intimées s’opposent à ce qu’on reprenne au Québec un débat qui semble avoir été définitivement réglé, les réseaux de cartes de crédit et les contrats pertinents étant les mêmes partout au pays?

LE JUGEMENT DE PREMIÈRE INSTANCE

[21]        La juge prend acte tout d’abord que les intimées ne contestent pas que l’autorisation soit accordée en ce qui concerne les allégations d’ententes illégales en violation de l’ancien article 45 de la Loi sur la concurrence[19] et de l’article 1457 C.c.Q.[20]. Elle se penche ensuite sur le poids à donner aux jugements de la Colombie-Britannique pour conclure que la demande d’autorisation doit être évaluée à la lumière des règles applicables en droit québécois[21] même si, à son avis, le débat et les arguments sont les mêmes[22].

[22]        Il y a lieu, avant de poursuivre la revue des motifs de la juge, de citer les extraits suivants des articles 45[23] et 49 de la Loi sur la concurrence, de même que l’article 234 de la Loi sur la protection du consommateur :

Loi sur la concurrence

Complot, accord ou arrangement entre concurrents

 

45 (1) Commet une infraction quiconque, avec une personne qui est son concurrent à l’égard d’un produit, complote ou conclut un accord ou un arrangement :

 

a) soit pour fixer, maintenir, augmenter ou contrôler le prix de la fourniture du produit;

 

b) soit pour attribuer des ventes, des territoires, des clients ou des marchés pour la production ou la fourniture du produit;

 

c) soit pour fixer, maintenir, contrôler, empêcher, réduire ou éliminer la production ou la fourniture du produit.

 

Peine

 

(2) Quiconque commet l’infraction prévue au paragraphe (1) est coupable d’un acte criminel et encourt un emprisonnement maximal de quatorze ans et une amende maximale de 25 000 000 $, ou l’une de ces peines.

 

[…]

 

Accords bancaires fixant les intérêts, etc.

 

 

49 (1) Sous réserve du paragraphe (2), toute institution financière fédérale qui conclut avec une autre institution financière fédérale un accord ou arrangement relatif, selon le cas :

 

a) au taux d’intérêts sur un dépôt,

 

b) au taux d’intérêts ou aux frais sur un prêt,

 

c) au montant ou type de tous frais réclamés pour un service fourni à un client,

 

d) au montant ou type du prêt consenti à un client,

 

e) au type de service qui doit être fourni à un client,

 

f) à la personne ou aux catégories de personnes auxquelles un prêt sera consenti ou un autre service fourni, ou auxquelles il sera refusé un prêt ou autre service,

 

et tout administrateur, dirigeant ou employé de l’institution financière fédérale qui sciemment conclut un tel accord ou arrangement au nom de l’institution financière fédérale commet un acte criminel et encourt une amende maximale de dix millions de dollars et un emprisonnement maximal de cinq ans, ou l’une de ces peines.

 

[…]

Conspiracies, agreements or arrangements between competitors

 

45 (1) Every person commits an offence who, with a competitor of that person with respect to a product, conspires, agrees or arranges

 

(a) to fix, maintain, increase or control the price for the supply of the product;

 

(b) to allocate sales, territories, customers or markets for the production or supply of the product; or

 

(c) to fix, maintain, control, prevent, lessen or eliminate the production or supply of the product.

 

 

Penalty

 

(2) Every person who commits an offence under subsection (1) is guilty of an indictable offence and liable on conviction to imprisonment for a term not exceeding 14 years or to a fine not exceeding $25 million, or to both.

 

[…]

 

Agreements or arrangements of federal financial institutions

 

49 (1) Subject to subsection (2), every federal financial institution that makes an agreement or arrangement with another federal financial institution with respect to

 

(a) the rate of interest on a deposit,

 

(b) the rate of interest or the charges on a loan,

 

(c) the amount or kind of any charge for a service provided to a customer,

 

(d) the amount or kind of a loan to a customer,

 

(e) the kind of service to be provided to a customer, or

 

(f) the person or classes of persons to whom a loan or other service will be made or provided or from whom a loan or other service will be withheld,

 

 

and every director, officer or employee of the federal financial institution who knowingly makes such an agreement or arrangement on behalf of the federal financial institution is guilty of an indictable offence and liable to a fine not exceeding ten million dollars or to imprisonment for a term not exceeding five years or to both.

 

[…]

 

Loi sur la protection du consommateur

234. Nul ne peut refuser de conclure une entente avec un commerçant ou mettre fin à une entente qui le lie à un commerçant en raison du fait que ce commerçant accorde un rabais à un consommateur qui le paie en argent comptant ou par effet de commerce.

234. No person may refuse to enter into an agreement with a merchant, or terminate an agreement binding between him and a merchant, by reason of the fact that such merchant grants a rebate to the consumer who pays him cash or by negotiable instrument.

[23]        Il y a également lieu de reproduire les paragraphes 6.0.1, 16.0.2 et 16.1.1 du recours entrepris par l’appelante relativement à l’article 45 de la Loi sur la concurrence:

6.0.1. Contrary to s. 45 of the Competition Act, the Respondents conspired, agreed, and/or arranged to fix, maintain, increase or control Interchange Fees. The Interchange Fee is a charge of a service provided to the Class by the Issuing Banks, being the provision of credit card network services and in particular the credit card and access to the cardholder, and the provision of a payment guarantee from the Issuing Banks to the merchants;

16.0.2 Within each credit card network, the Issuing Banks compete with each other with respect to issuing credit cards to cardholders, and but for the alleged conspiracy, the Issuing Banks would compete with each other with respect to merchants by reducing Interchange Fees in order to increase and maintain their merchant market share. The Default Interchange Rule and the Merchant Restraints, as described below, eliminate competition among the Issuing Banks in relation to Interchange Fees and allow the Issuing Banks to profit from supracompetitive Interchange Fees;

16.1.1. Credit card network services are supplied to merchants by the networks, the Issuing Banks, and the Acquirers. The networks provide the network infrastructure, the Issuing Banks issue credit cards to cardholders and provide a payment guarantee to merchants (…), and the Acquirers provide point-of-sale services (Exhibit R-6);

[Soulignements ajoutés]

[24]        La juge conclut en premier lieu que ces allégations ne permettent pas d’appuyer la prétention de l’appelante selon laquelle les frais d’interchange sont une charge pour les services rendus au commerçant par les banques émettrices de cartes de crédit[24].

[25]        De l’avis de la juge, l’émetteur prête au consommateur les fonds nécessaires pour effectuer des paiements au moyen de sa carte jusqu’à concurrence de la limite de crédit autorisée. La carte est donc un instrument de paiement. Le commerçant bénéficie du paiement qu’il reçoit. Or, ce paiement n’est pas un service rendu au commerçant, mais l’exécution d’une obligation par l’acheteur. Ce sont les acquéreurs qui mettent en place le système de paiement aux commerçants, en échange des frais d’acceptation (« Merchant Discount Fee »). Les frais d’interchange, eux, sont payés par l’acquéreur à l’émetteur de la carte. Ainsi, contrairement à ce qu’allègue l’appelante, les émetteurs de cartes ne sont pas en concurrence pour vendre des « garanties de paiement » aux commerçants en échange d’honoraires. Partant, conclut la juge, cette affirmation ne peut être soutenue[25].

[26]        Il en va de même, toujours selon la juge, de l’article 49 de la Loi sur la concurrence qui, comme l’article 45, implique un complot relatif à un service ou un produit rendu à un client, ce qui n’est pas le cas[26].

[27]        Enfin, comme la cause d’action relative à l’article 234 de la Loi sur la protection du consommateur n’est alléguée nulle part dans les procédures entreprises par l’appelante, la juge n’a aucune difficulté à refuser celle-ci, et ce, d’autant plus qu’il n’y a pas de lien, selon elle, entre cette disposition et les faits constitutifs du présent dossier[27].

LA NORME D’INTERVENTION EN APPEL

[28]        L’article 575 C.p.c., anciennement 1003 C.p.c., expose quatre conditions cumulatives[28] afin qu’une action collective puisse être autorisée :

575. Le tribunal autorise l’exercice de l’action collective et attribue le statut de représentant au membre qu’il désigne s’il est d’avis que:

 

1° les demandes des membres soulèvent des questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes;

 

2° les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées;

 

3° la composition du groupe rend difficile ou peu pratique l’application des règles sur le mandat d’ester en justice pour le compte d’autrui ou sur la jonction d’instance;

 

 

4° le membre auquel il entend attribuer le statut de représentant est en mesure d’assurer une représentation adéquate des membres.

575. The court authorizes the class action and appoints the class member it designates as representative plaintiff if it is of the opinion that

 

(1) the claims of the members of the class raise identical, similar or related issues of law or fact;

 

 

(2) the facts alleged appear to justify the conclusions sought;

 

(3) the composition of the class makes it difficult or impracticable to apply the rules for mandates to take part in judicial proceedings on behalf of others or for consolidation of proceedings; and

 

(4) the class member appointed as representative plaintiff is in a position to properly represent the class members.

[29]        Les principes généraux qui sous-tendent l’appréciation de ces différents critères sont bien connus. La procédure d’autorisation est un exercice de filtrage visant à écarter simplement les demandes frivoles[29]. Le seuil de preuve exigé est peu élevé[30]. On parle davantage d’un fardeau de démonstration[31]. Bref, le recours sera autorisé si le requérant présente une cause défendable eu égard aux faits et au droit applicable[32].

[30]        Le juge saisi d’une requête en autorisation étant par ailleurs investi d’un pouvoir discrétionnaire important[33], notre Cour a rappelé à de nombreuses reprises qu’elle devait faire preuve de déférence envers la décision du juge d’autorisation[34]. Seule une erreur de droit ou une appréciation manifestement non fondée des critères d’autorisation justifiera une intervention de notre part[35].

ANALYSE

[31]        Même si la juge de première instance affirme que la demande d’autorisation doit être évaluée à la lumière des règles applicables en droit québécois[36], elle s’est aussi appuyée sur le second arrêt rendu par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique pour conclure qu’il n’y a pas de cause valable d’action en vertu du nouvel article 45 de la Loi sur la concurrence[37]. C’est ce qui fait dire à l’appelante que la juge a commis une première erreur car, soutient-elle, le fardeau de la preuve à l’étape de l’autorisation serait moins exigeant au Québec qu’en Colombie-Britannique.

[32]        Cet argument ne saurait être retenu. Voici pourquoi.

[33]        Si certains des critères d’autorisation prévus à l’article 4 de la Class Proceedings Act (C.P.A.)[38] se distinguent de ceux énoncés à l’article 575 C.p.c., celui selon lequel « les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées » est similaire à l’alinéa 4 (1)a) C.P.A. :

4. (1) Subject to subsections (3) and (4), the court must certify a proceeding as a class proceeding on an application under section 2 or 3 if all of the following requirements are met:

 

(a)  the pleadings disclose a cause of action;

(b)  […]

[34]        Dans l’arrêt Pro-Sys Consultants Ltd. c. Microsoft Corporation, le juge Rothstein explique en quoi consiste ce critère[39] :

[63]      La première condition de certification veut que les actes de procédure révèlent une cause d’action. Dans Alberta c. Elder Advocates of Alberta Society, 2011 CSC 24, [2011] 2 R.C.S. 261 (« Alberta Elders »), notre Cour explique que le respect de cette condition est apprécié au regard de la norme de preuve applicable à la requête en radiation selon l’arrêt Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959, p. 980. Le demandeur ne satisfait donc pas à la condition lorsque, à supposer que les faits invoqués soient vrais, la demande ne pourrait manifestement pas être accueillie (Alberta Elders, par. 20; Hollick c. Toronto (Ville), 2001 CSC 68, [2001] 3 R.C.S. 158, par. 25).

[Soulignements ajoutés]

[35]        La Cour d’appel de la Colombie-Britannique, dans une affaire récente, a, pour sa part, apporté la précision suivante[40] :

[20]      The evidentiary burden is not an onerous one. The plaintiff need show only a “minimum evidentiary basis”: Hollick at paras. 24-25; N&C Transportation Ltd. v. Navistar International Corporation, 2018 BCCA 312 at para. 91, (leave to appeal to SCC refused). The court is not to make a determination of the merits of the action, recognizing that it is ill-equipped to resolve conflicting facts and evidence at the certification stage. The focus is on the form of the action to determine whether the action can appropriately go forward as a class proceeding: Hollick at para. 16; Pro-Sys Consultants Ltd. v. Microsoft Corporation, 2013 SCC 57 at para. 102 [Pro-Sys Consultants v. Microsoft]; Pro-Sys Consultants Ltd. v. Infineon Technologies AG, 2009 BCCA 503 at para. 65, leave to appeal ref’d [2010] S.C.C.A. No. 32 [Pro-Sys Consultants v. Infineon].

[Soulignements ajoutés]

[36]        Ce critère s’apparente grandement à celui du paragraphe 575(2) C.p.c. qui est satisfait si les faits allégués dans la demande présentent une cause défendable eu égard aux faits et au droit applicable[41].

[37]        Puisque la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a refusé d’autoriser l’action collective au regard d’un critère comparable, il m’apparaît donc erroné de conclure que la juge a appliqué un critère plus exigeant que celui de l’article 575(2) C.p.c. et commis une erreur.

* * * * *

[38]        L’appelante, pour l’essentiel, soutient que les faits qu’elle allègue lui permettent de soutenir une cause défendable, notamment en vertu des articles 45 et 49 de la Loi sur la concurrence. Selon elle, la juge a erré en écartant d’entrée de jeu que les banques émettrices puissent fournir aux commerçants un service prenant la forme d’une garantie de paiement et fixer les frais d’interchange.

[39]        Je traiterai tout d’abord de l’article 45.

[40]        Ainsi que nous l’avons vu, pour la juge, la carte de crédit est un instrument de paiement au profit de son titulaire. Elle rejette catégoriquement qu’elle puisse aussi constituer une garantie de paiement pour le commerçant[42]. Ce faisant, elle s’appuie entre autres sur le second arrêt rendu par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique[43]. Elle oublie toutefois de noter que, contrairement à notre cas, les procédures en Colombie-Britannique n’alléguaient pas que les banques offraient aux commerçants un service de garantie de paiement[44] :

[27]      First, the proposed amended pleading does not, at any point, state that the product provided to merchants is a “payment guarantee”. Those words appear in the plaintiff’s factum:

28 (a) … the Issuing Banks guarantee payment to the merchant, Acquirers and Network, net only of their Interchange Fees. The Issuing Banks are therefore responsible for the receivables…The Issuing Banks deliver a payment guarantee to merchants (part of the “credit card network services” provided by the Issuing Banks to the merchants) ...

[41]        À mon avis, au stade de l’autorisation, dans la mesure où l’appelante allègue que les banques émettrices offrent une garantie de paiement, il m’apparaît prématuré d’exclure que la carte de crédit puisse constituer une telle garantie pour le commerçant parce qu’elle sert d’instrument de crédit à son titulaire. L’un ne devrait pas nécessairement exclure l’autre.

[42]        Les auteurs L’Heureux et Lacoursière cités précédemment[45], lorsqu’ils expliquent le fonctionnement du système de paiement par carte de crédit, font bien voir que la carte de crédit constitue également un engagement de l’émetteur vis-à-vis le commerçant[46] :

Le commerçant s’engage à fournir les biens et les services à tout titulaire d’une carte agréée par le système et valide, c’est-à-dire non révoquée et non échue. Il accepte de procurer les biens et les services sans exiger de l’acheteur le paiement comptant en raison de l’entente antérieure qui le lie à l’émetteur. Celle-ci stipule le remboursement de toutes les factures valides émises en rapport avec la carte de crédit pour les biens et services fournis que le commerçant dépose à son établissement bancaire moins un taux d’escompte déterminé. L’émetteur est en mesure de faire cette promesse au commerçant en raison de l’entente qu’il a conclue avec le titulaire. Le commerçant se voit ainsi assuré de toucher rapidement les fonds, quelle que soit la période de temps que pourra prendre le client pour payer sa dette envers l’émetteur.

[Soulignements ajoutés; renvoi omis]

[43]        Tenant les faits allégués pour avérés comme il se doit, et sans pouvoir exclure à ce stade que les banques émettrices puissent offrir une garantie de paiement aux commerçants, se pose donc la question de savoir si les banques intimées ont comploté entre elles pour fixer les frais d’interchange facturés aux commerçants en échange de ce service. C’est ce qu’allègue l’appelante, mais que contestent les intimées en faisant valoir qu’elles ne peuvent avoir ainsi comploté parce que ce sont les acquéreurs, en vertu d’un contrat de service avec les commerçants, qui fixent et leur facturent les frais d’interchange.

[44]        À mon avis, les choses ne sont pas aussi simples, du moins à ce stade-ci des procédures. Tout d’abord, l’appelante allègue que certaines banques intimées agissent elles-mêmes comme acquéreurs ou encore, contrôlent ceux-ci :

16.4     Certain Issuing Banks, such as (…) CIBC, Settled Respondent Desjardins, RBC, and TD, and all Acquirers participate in both credit card networks. Certain Issuing Banks, including (…) BMO, Settled Respondent Desjardins, RBC, and TD are also Acquires or own large stakes in Acquirers, and in some cases, control the operations of those Acquirers. TD and Settled Respondent Desjardins are both Issuing Banks and Acquirers. BMO and RBC own and control Moneris as partners in a joint investment. CIBC and National have marketing alliances with Global, the whole as appears more fully from a copy of an extract from Respondent Visa’s website at www.visa.ca and from a copy of an extract from Respondent MasterCard’s website at www.mastercard.ca, produces herein en liasse as Exhibit R-8.

[45]        En second lieu, et comme le mentionnent les auteurs L’Heureux et Lacoursière, les frais d’interchange contribuent au financement des divers services offerts par les banques émettrices[47]. Qu’est-ce que la preuve au fond révélera à cet égard? Je l’ignore. Reste qu’à ce stade-ci, je ne pense pas qu’il soit frivole de soutenir que les banques elles-mêmes ou par personnes morales interposées aient pu conclure un ou des accords entre elles ou entre elles et avec d’autres pour fixer des frais d’interchange aux commerçants.

[46]        Les intimées contestent cette façon de voir les choses. Selon elles, pour invoquer l’article 45 de la Loi sur la concurrence, il faudrait que l’appelante allègue que les banques intimées fixent seules entre elles les frais d’interchange.

[47]        Je rappelle la théorie de base de l’appelante. Cette dernière allègue qu’il existe deux complots distincts, mais reliés, entre trois des cinq acteurs impliqués. Le premier implique Visa, les banques émettrices et les acquéreurs. Le second, MasterCard, les banques émettrices et les acquéreurs.

[48]        Pour chacun des complots allégués, les banques émettrices auraient conclu des ententes anticoncurrentielles entre elles et avec les réseaux en ce qui concerne les frais d’interchange qui leur sont versés. Les acquéreurs auraient quant à eux conclu des ententes anticoncurrentielles entre eux, les banques émettrices et les réseaux concernant les règles d’exploitation des réseaux. En vertu de ces ententes, les acquéreurs ont par la suite conclu des ententes de service avec les commerçants, lesquelles incorporent des conditions anticoncurrentielles, incluant le respect des règles des réseaux et le paiement de frais d’acceptation déraisonnables.

[49]        La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a rejeté un argument semblable dans les termes suivants[48] :

[32] In summary, even if the pleading included a “payment guarantee” as a product, the competitor banks are not alleged to fix the Interchange Fee for that product on their own. Rather, the pleading alleges that it is the combined effect of agreements between and among issuers, networks and acquirers, and in particular the Network Rules and Merchant Restraints, that constrains competition and compels merchants to pay the supra-competitive Interchange Fee. In short, the pleading is deficient as far as establishing a conspiracy between issuing banks to fix the price of a service and, accordingly, does not disclose a cause of action for breach of current s. 45.

[Soulignement ajouté]

[50]        On comprend ici que puisque la fixation des frais d’interchange implique d’autres acteurs et pas seulement les banques émettrices, il ne peut exister de complot au sens de l’article 45 de la Loi sur la concurrence.

[51]        Soit dit avec égards, je ne crois pas qu’on puisse être aussi affirmatif. Les Lignes directrices sur la collaboration entre concurrents[49] relativement à l’article 45 de la Loi sur la concurrence énoncent que :

Lorsqu’une entente intervient entre des parties qui sont des concurrents et des parties qui ne le sont pas, le fait que certaines parties ne soient pas des concurrents ne met pas les parties qui sont des concurrents à l’abri d’une poursuite en vertu de l’article 45.

[52]        A priori, je ne vois donc aucune raison d’écarter l’application de l’article 45 parce que d’autres parties que les banques auraient participé, elles aussi, à un accord ou arrangement. Tous les acteurs impliqués sont interreliés d’une manière ou d’une autre. À la lumière des allégations de la procédure, on ne peut exclure à ce stade que les banques émettrices aient participé à un accord ou arrangement anticoncurrentiel entre elles. Bref, compte tenu de l’état d’avancement du dossier, je crois que la juge a commis une erreur en ne déférant pas au fond l’examen de cette question.

* * * * *

[53]        La raison donnée par la juge pour écarter également l’article 49 de la Loi sur la concurrence est la même que celle lui ayant permis d’écarter l’article 45 : les banques émettrices ne rendent pas un service aux commerçants[50]. Compte tenu de la conclusion contraire à laquelle j’en arrive, et aussi parce que le libellé de l’article 49 est différent de celui de l’article 45, il y a lieu de reprendre l’analyse.

[54]        Il importe tout d’abord de citer l’alinéa 45(6)b) de la Loi sur la concurrence qui exclut du champ d’application de l’article 45 les complots, accords ou arrangements entre des banques :

Complot

 

45 (1) […]

 

Exception

 

(6) Le paragraphe (1) ne s’applique pas au complot, à l’accord ou à l’arrangement :

 

a) intervenu exclusivement entre des parties qui sont chacune des affiliées de toutes les autres;

 

b) conclu entre des institutions financières fédérales et visé au paragraphe 49(1).

 

[…]

Conspiracy

 

45 (1) […]

 

Exception

 

(6) Subsection (1) does not apply if the conspiracy, agreement or arrangement

 

(a) is entered into only by parties each of which is, in respect of every one of the others, an affiliate; or

 

(b) is between federal financial institutions and is described in subsection 49(1).

 

[…]

 

[55]        L’article 49 de la Loi sur la concurrence vise ainsi spécifiquement les ententes entre les institutions financières :

Accords bancaires fixant les intérêts, etc.

 

49. (1) Sous réserve du paragraphe (2), toute institution financière fédérale qui conclut avec une autre institution financière fédérale un accord ou arrangement relatif, selon le cas :

 

a) au taux d’intérêts sur un dépôt,

 

b) au taux d’intérêts ou aux frais sur un prêt,

 

c) au montant ou type de tous frais réclamés pour un service fourni à un client,

 

d) au montant ou type du prêt consenti à un client,

 

e) au type de service qui doit être fourni à un client,

 

f) à la personne ou aux catégories de personnes auxquelles un prêt sera consenti ou un autre service fourni, ou auxquelles il sera refusé un prêt ou autre service,

 

et tout administrateur, dirigeant ou employé de l’institution financière fédérale qui sciemment conclut un tel accord ou arrangement au nom de l’institution financière fédérale commet un acte criminel et encourt une amende maximale de dix millions de dollars et un emprisonnement maximal de cinq ans, ou l’une de ces peines.

 

[…]

 

Définition de institution financière fédérale

 

(3) Au présent article et à l’article 45, institution financière fédérale s’entend d’une banque, d’une banque étrangère autorisée, au sens de l’article 2 de la Loi sur les banques, d’une société régie par la Loi sur les sociétés de fiducie et de prêt ou d’une société ou société de secours régie par la Loi sur les sociétés d’assurances.

 

[…]

Agreements or arrangements of federal financial institutions

 

49. (1) Subject to subsection (2), every federal financial institution that makes an agreement or arrangement with another federal financial institution with respect to

 

 

(a) the rate of interest on a deposit,

 

(b) the rate of interest or the charges on a loan,

 

(c) the amount or kind of any charge for a service provided to a customer,

 

(d) the amount or kind of a loan to a customer,

 

 

(e) the kind of service to be provided to a customer, or

 

(f) the person or classes of persons to whom a loan or other service will be made or provided or from whom a loan or other service will be withheld,

 

and every director, officer or employee of the federal financial institution who knowingly makes such an agreement or arrangement on behalf of the federal financial institution is guilty of an indictable offence and liable to a fine not exceeding ten million dollars or to imprisonment for a term not exceeding five years or to both.

 

[…]

 

Definition of federal financial institution

 

(3) In this section and section 45, federal financial institution means a bank or an authorized foreign bank within the meaning of section 2 of the Bank Act, a company to which the Trust and Loan Companies Act applies or a company or society to which the Insurance Companies Act applies.

 

 

[…]

 

[56]        Or, les lignes directrices du Bureau de la concurrence exposent que lorsque l’entente est conclue entre des institutions fédérales, elle sera examinée en vertu de l’article 49 et non de l’article 45 :

1.2       Choix entre les dispositions sur les alliances stratégiques ou les complots, ou d'autres dispositions de la Loi

À titre de première étape, le Bureau détermine si la collaboration entre concurrents doit être examinée en vertu de la disposition sur les complots et de la disposition civile se trouvant respectivement aux articles 45 et 90.1 de la Loi, ou si elle doit être évaluée en vertu d'autres dispositions de la Loi comme la disposition sur les fusions se trouvant à l'article 92. Le Bureau applique les principes suivants pour en décider.

[…]

b. Ententes entre institutions financières fédérales : Lorsque l'entente a été conclue entre des institutions financières fédérales et est décrite au paragraphe 49(1) de la Loi, elle sera examinée en vertu de l'article 49 et non de l'article 45. Sous réserve de l'exception évoquée ci-dessous, les ententes entre institutions financières fédérales qui auront vraisemblablement pour effet de diminuer sensiblement la concurrence peuvent aussi être susceptibles d'examen en vertu de la disposition civile de l'article 90.1 de la Loi. Les paragraphes 49(2) et 90.1(9) prévoient certaines exceptions, y compris une exception pour les ententes à l'égard desquelles le ministre des Finances a délivré un certificat pour des motifs liés à la politique financière. [51]

[Caractères gras dans l’original; soulignement ajouté]

[57]        Les auteurs consultés en matière de droit de la concurrence partagent également cet avis. Par exemple, l’auteur Antoni Di Domenico écrit[52] :

Section 45(6)(b) provides an exception for federal financial institutions. Section 45(1) does not apply if the agreement is between federal financial institutions. […]

[Renvoi omis]

[58]        Les auteurs Randal Hughes et Emrys Davis abondent dans le même sens[53] :

§4.22 Subsection 45(6) outlines that a conspiracy, agreement or arrangement does not contravene section 45(1) where it is between affiliate entities or federal financial institutions, the latter of which is prohibited under section 49(1).

[59]        On doit donc comprendre de tout ceci que les articles 45 et 49 ne peuvent pas s’appliquer en même temps. C’est un ou l’autre.

[60]        Puisque les banques émettrices sont des « institutions financières fédérales », on pourrait penser que c’est l’article 49 qui trouve application. Je note toutefois que l’accord ou l’arrangement dont il est question à l’alinéa 49(1)c) doit viser « un service fourni à un client ».

[61]        Nous avons vu précédemment que le fonctionnement du système de paiement par carte de crédit implique un engagement de l’émetteur vis-à-vis le commerçant. Peut-on dès lors soutenir que le commerçant est un client de la banque au sens de l’article 49?

[62]        À mon avis, c’est là une prétention soutenable, quoique contestable, en raison du fait que l’article 49 crée une infraction criminelle et qu’en cas de doute quant à l’interprétation à donner à un texte de loi créant une infraction, il faut privilégier celle qui est la plus favorable à l’accusé[54]. Bref, en donnant au mot « client » son sens ordinaire, il se peut que l’engagement de la banque émettrice à l’égard du commerçant ne soit pas, ultimement, jugé suffisant pour qualifier ce dernier en tant que client. Cela étant, je crois que c’est là une question qui est étroitement liée à l’examen du fond du litige. Il vaut mieux attendre de voir ce que la preuve révélera plutôt que de chercher à répondre de manière définitive à cette délicate question au stade de l’autorisation[55].

* * * * *

[63]        Reste la cause d’action fondée sur l’article 234 de la Loi sur la protection du consommateur qui interdit à quiconque de refuser de conclure une entente avec un commerçant ou de mettre fin à une entente le liant à ce dernier en raison du fait qu’il accorde un rabais à un consommateur qui le paie en argent comptant ou par effet de commerce.

[64]        La juge de première instance a rejeté cette cause d’action parce qu’elle n’apparaît nulle part dans la demande d’autorisation et qu’elle n’est soutenue par aucune allégation[56]. Sur ce point, elle a raison et il n’y a pas lieu d’intervenir.

CONCLUSION

[65]        Je crois utile de rappeler, avant de conclure, que nous sommes ici en présence d’une action collective qui a été autorisée. Ceci signifie en pratique que les intimées doivent déjà se défendre à l’encontre des allégations que la juge de première instance a jugées soutenables. Partant, l’argument de devoir écarter les recours frivoles, fondé sur l’économie des ressources judiciaires et une saine administration de la justice, me paraît avoir peu de poids dans les circonstances. La preuve confirmera ou pas les allégations de l’action collective fondées sur les articles 45 ou 49 de la Loi sur la concurrence et ne devrait pas, dans un cas comme dans l’autre, être plus onéreuse à administrer.

[66]        Je suggère en conséquence d’accueillir l’appel en partie et de modifier le paragraphe 138(3) du jugement de la Cour supérieure pour qu’il soit rédigé ainsi :

3)         Les défenderesses ont-elles eu une conduite contraire à l’article 45 de la Loi sur la concurrence, tel qu’il était libellé jusqu’au 12 mars 2010 et après cette date, ou à l’article 49 de ladite loi, pendant la période visée par l’action collective?

[67]        Le tout avec les frais de justice.

 

 

 

JEAN BOUCHARD, J.C.A.

 



[1]     9085-4886 inc. c. Bank of Montreal, 2018 QCCS 3730.

[2]     L.R.C. 1985, ch. C-34.

[3]     RLRQ, c. P-40.1.

[4]     9085-4886 Québec inc. c. Bank of Montreal, supra, note 1, paragr. 136.

[5]     Id., paragr. 138.

[6]     L.R.C. 1985, ch. C-34.

[7]     RLRQ, c. P-40.1.

[8]     9085-4886 Québec inc. c. Bank of Montreal, supra, note 1, paragr. 96 à 103.

[9]     Nicole L’Heureux et Marc Lacoursière, Droit bancaire, 5e éd., Montréal, Yvon Blais, 2017, p. 741, no 1002.

[10]    Id., p. 747-748, no 1009; Voir également : La commissaire de la concurrence c. Visa Canada Corporation et MasterCard International Incorporated, 2013 Trib. conc. 10, paragr. 9 à 20.

[11]    N. L’Heureux et M. Lacoursière, supra, note 9, p. 744, no 1004 et p. 758, no 1022. À noter qu’il y a cependant des cas où l’émetteur peut refuser de payer : signature manquante, insatisfaction du titulaire pour les biens ou services, défaut d’avoir requis l’autorisation pour une facture qui excède la limite du commerçant, double réclamation, fraude, carte périmée, etc. Voir : N. L’Heureux et M. Lacoursière, supra, note 9, p. 757, no 1022 et p. 765, no 1034.

[12]    Id., p. 749, no 1011.

[13]    Id., p. 749-750, no 1014.

[14]    Id., p. 749, no 1010.

[15]    9085-4886 Québec inc. c. Bank of Montreal, supra, note 1, paragr. 6.

[16]    9085-4886 Québec inc. c. Bank of Montreal, 2012 QCCS 2572, paragr. 23.

[17]    Watson c. Bank of America Corporation, 2015 BCCA 362, paragr. 108-116; Coburn and Watson’s Metropolitan Home v. Bank of America Corporation, 2017 BCCA 202, paragr. 32, 40 et 41.

[18]    Coburn and Watson’s Metropolitan Home v. BMO Financial Group et al., demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 8 février 2018, no 37709.

[19]    Tel qu’il était libellé jusqu’au 12 mars 2010 :

 

Complot

 

45 (1) Commet un acte criminel et encourt un emprisonnement maximal de cinq ans et une amende maximale de dix millions de dollars, ou l’une de ces peines, quiconque complote, se coalise ou conclut un accord ou arrangement avec une autre personne :

 

a) soit pour limiter, indûment, les facilités de transport, de production, de fabrication, de fourniture, d’emmagasinage ou de négoce d’un produit quelconque;

 

b) soit pour empêcher, limiter ou réduire, indûment, la fabrication ou production d’un produit ou pour en élever déraisonnablement le prix;

 

c) soit pour empêcher ou réduire, indûment, la concurrence dans la production, la fabrication, l’achat, le troc, la vente, l’entreposage, la location, le transport ou la fourniture d’un produit, ou dans le prix d’assurances sur les personnes ou les biens;

 

d) soit, de toute autre façon, pour restreindre, indûment, la concurrence ou lui causer un préjudice indu.

 

[…]

 

 

 

Conspiracy

 

45 (1) Every one who conspires, combines, agrees or arranges with another person

 

 

 

 

 

(a) to limit unduly the facilities for transporting, producing, manufacturing, supplying, storing or dealing in any product,

 

 

(b) to prevent, limit or lessen, unduly, the manufacture or production of a product or to enhance unreasonably the price thereof,

 

 

(c) to prevent or lessen, unduly, competition in the production, manufacture, purchase, barter, sale, storage, rental, transportation or supply of a product, or in the price of insurance on persons or property, or

 

 

(d) to otherwise restrain or injure competition unduly,

 

is guilty of an indictable offence and liable to imprisonment for a term not exceeding five years or to a fine not exceeding ten million dollars or to both.

 

[…]

      À noter que la juge a retenu le 10 mars 2012. C’est une erreur. La Loi d’exécution du budget de 2009, L.C. 2009, ch. 2, a reçu la sanction royale le 12 mars 2009. Quant au nouvel article 45 que remplace cette loi, il est entré en vigueur un an après sa sanction (le 12 mars 2010) en vertu de l’art. 444 de la Loi d’exécution du budget de 2009.

[20]    9085-4886 Québec inc. c. Bank of Montreal, supra, note 1, paragr. 37.

[21]    Id., paragr. 59.

[22]    Id., paragr. 57.

[23]    En vigueur depuis le 12 mars 2010 : Loi d’exécution du budget de 2009, L.C. 2009, ch. 2, art. 444.

[24]    9085-4886 Québec inc. c. Bank of Montreal, supra, note 1, paragr. 83.

[25]    Id., paragr. 84-97.

[26]    Id., paragr. 101-103.

[27]    Id., paragr. 111-115.

[28]    Vivendi Canada Inc. c. Dell’Aniello, [2014] 1 R.C.S. 3, 2014 CSC 1, paragr. 2 et 35; Baratto c. Merck Canada inc., 2018 QCCA 1240, paragr. 45, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 28 mars 2019, no 38338.

[29]    Infineon Technologies AG c. Option Consommateurs, [2013] 3 R.C.S. 600, 2013 CSC 59, paragr. 61.

[30]    Id., paragr. 59.

[31]    Id., paragr. 61.

[32]    Id., paragr. 65. Pour un rappel récent de ces principes, voir : L’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal c. J.J., 2019 CSC 35, paragr. 56-62.

[33]    Vivendi Canada Inc. c. Dell’Aniello, supra, note 28, paragr. 33.

[34]    Id., paragr. 34

[35]    Ibid. Voir également : L’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal c. J.J., supra, note 32, paragr. 10-12.

[36]    9085-4886 Québec inc. c. Bank of Montréal, supra, note 1, paragr. 59.

[37]    Id., paragr. 91-97.

[38]    Class Proceedings Act, RSBC, 1996, c. 50.

[39]    ProSys Consultants Ltd. c. Microsoft Corporation, [2013] 3 R.C.S. 477, 2013 CSC 57, paragr. 63.

[40]    Kirk v. Executive Flight Centre Fuel Services Ltd., 2019 BCCA 111, paragr. 20.

[41]    Infineon Technologies AG c. Option Consommateurs, supra, note 29, paragr. 65.

[42]    9085-4886 Québec inc. c. Bank of Montreal, supra, note 1, paragr. 82-96.

[43]    Coburn and Watson’s Metropolitan Home v. Bank of America Corporation, supra, note 17.

[44]    Id., paragr. 27.

[45]    Supra, paragr. 6 des présents motifs.

[46]    N. L’Heureux et M. Lacoursière, supra, note 9, p. 764, no 1034.

[47]    Id., p. 750, no 1014.

[48]    Coburn and Watson’s Metropolitan Home v. Bank of America Corporation, supra, note 17, paragr. 32.

[49]    Bureau de la concurrence Canada, Lignes directrices sur la collaboration entre concurrents, 9 mai 2009, en ligne : https://www.bureaudelaconcurrence.gc.ca/eic/site/cb-bc.nsf/fra/02987.html, section 2.3(a).

[50]    9085-4886 Québec inc. c. Bank of Montreal, supra, note 1, paragr. 99-103.

[51]    Bureau de la concurrence Canada, Lignes directrices sur la collaboration entre concurrents, supra, note 49, section 1.2(b).

[52]    Antonio Di Domenico, Competition Enforcement and Litigation in Canada, Toronto, Emond, 2018, p. 113.

[53]    Randal Hughes et Emrys Davis, « Criminal offences and prosecutions under the Competition Act », dans Nikiforos Iatrou (ed.), Litigating Competition Law in Canada, Toronto, LexisNexis, 2018, 83, p. 89. Voir aussi : Brian A. Facey et Cassandra Brown, Competition Act : Commentary and Annotation, Toronto, LexisNexis, 2019, article 49, p. 116.

[54]    Gisèle Côté Harper, Pierre Rainville, Jean Turgeon, Traité de droit pénal canadien, 4e éd., Yvon Blais, 1998, p. 142-146.

[55]    Aimia Canada inc. c. Taillon, 2018 QCCA 1133, paragr. 45-47.

[56]    9085-4886 Québec inc. c. Bank of Montréal, supra, note 1, paragr. 110-115.

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