Bitondo Nanga c. R. | 2023 QCCA 825 | ||||
COUR D’APPEL | |||||
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CANADA | |||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||
GREFFE DE
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N° : | |||||
(540-01-098031-209) (540-01-098032-207) | |||||
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DATE : | 22 juin 2023 | ||||
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XAVIER BITONDO NANGA | |||||
REQUÉRANT – accusé | |||||
c. | |||||
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SA MAJESTÉ LE ROI | |||||
INTIMÉ – poursuivant | |||||
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[1] La Cour est saisie d’une requête pour permission d’appeler et d’un pourvoi en appel d’un jugement rendu le 2 décembre 2022 par la Cour du Québec, district de Laval (l’honorable Gilles Garneau), imposant une peine de trois ans sur un chef de possession d’une arme à feu sans permission (art. 95(2)(a) C.cr. et de six mois sur un chef de possession d’une arme restreinte pendant une ordonnance d’interdiction (art. 117.01(1)(3)(a) C.cr., consécutifs, sans frais ou suramende, et une interdiction de posséder des armes à feu, munitions, matières explosives, à perpétuité dans le dossier 540-01-098031-209 ainsi qu’une peine de 10 jours concurrents sur les accusations dans le dossier 540-01-098032-207.
[2] Pour les motifs du juge Schrager, auxquels souscrivent les juges Hamilton et Beaupré, LA COUR :
[3] ACCUEILLE la requête pour permission d’appeler de la peine;
[4] ACCUEILLE en partie l’appel;
[5] ANNULE en partie la peine rendue par la Cour du Québec, district de Laval (l’honorable Gilles Garneau), le 2 décembre 2022 dans le dossier 540-01-098031-209 pour substituer à la partie carcérale de la peine, la suivante :
Sur le chef de possession d’une arme à feu sans permis, vingt (20) mois moins un jour;
Sur le chef de possession pendant une ordonnance d’interdiction, quatre (4) mois consécutifs;
Une ordonnance de probation de trois ans à commencer dès la mise en liberté du requérant sujet au respect des conditions suivantes :
(i) Garder la paix avec une bonne conduite et être présent à la Cour ou devant l’agent de probation lorsque requis;
(ii) Se présenter à l’agent de probation dans les deux jours de sa libération et, par la suite, selon les modalités fixées par l’agent de probation;
(iii) Demeurer au [...], Laval, Québec, [...], avec ses parents;
(iv) Ne pas changer d’adresse résidentielle sans l’autorisation de l’agent de probation;
(v) Ne pas quitter la province de Québec;
(vi) Déposer le passeport auprès de l’agent de probation ou de la Cour de première instance et ne pas faire de demande de passeport;
(vii) Pendant la première année de probation, respecter un couvre-feu de 22 h à 6 h (sauf pour le travail, l’école ou urgence médicale);
(viii) S’abstenir de recevoir des visiteurs dont leur identité n’est pas connue de ses parents et seulement avec leur consentement;
(ix) Ne pas fréquenter ou communiquer de quelque façon avec Rolls Registre, Jean Baptiste Tayeed ou Anabelle Moreau;
(x) Ne pas fréquenter ou communiquer de quelque façon avec des individus qui ont, à sa connaissance, des antécédents criminels ou des causes criminelles pendantes;
(xi) Ne pas consommer ou vendre des stupéfiants ou de marijuana;
(xii) Ne pas fréquenter ou communiquer de quelque façon avec des individus faisant usage ou vendant des stupéfiants;
(xiii) Faire des démarches pour trouver un emploi rémunérateur ou s’inscrire à l’école.
[6] DÉCLARE que les autres éléments de la peine imposée par la Cour du Québec restent en vigueur notamment l’interdiction à perpétuité de posséder des armes à feu, munitions ou matières explosives.
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| MARK SCHRAGER, J.C.A. | |
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| STEPHEN W. HAMILTON, J.C.A. | |
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| MICHEL BEAUPRÉ, J.C.A. | |
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Me Benoit Demchuck | ||
CORBEIL DEMCHUCK ROY, AVOCATS | ||
Pour le requérant | ||
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Me Simon Blais | ||
DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES | ||
Pour l’intimé | ||
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Date d’audience : | 2 juin 2023 | |
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MOTIFS DU JUGE SCHRAGER |
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[7] Le requérant demande la permission de se pourvoir contre un jugement[1] rendu le 2 décembre 2022 par la Cour du Québec, district de Laval (l’honorable Gilles Garneau), lequel lui impose une peine de trois ans d’emprisonnement sur un chef de possession d’une arme à feu à autorisation restreinte chargée, sans être titulaire à la fois d’une autorisation ou d’un permis qui l’autorise à l’avoir et du certificat d’enregistrement (art. 95(2)a) C.cr.), et de six mois d’emprisonnement consécutifs pour possession d’une arme à autorisation restreinte pendant que cela lui était interdit par une ordonnance (art. 117.01(1) et (3)a) C.cr.), avec une interdiction de posséder des armes à feu, des munitions, ou matières explosives à perpétuité. Il lui inflige aussi une peine de dix jours concurrents pour avoir omis ou refusé de se conformer à une peine spécifique imposée en application de l’al. 42(2)k), commettant l’infraction prévue à l'article 137 de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (« LSJPA »)[2].
[8] Il avait plaidé coupable le 20 juin 2022.
[9] Il avait 18 ans lors de son arrestation le 4 octobre 2020. Il était sous le coup d’une ordonnance de probation lui prohibant notamment de posséder des armes, découlant d’une condamnation qu’il a eue en tant qu’adolescent.
[10] Cette condamnation antérieure résulte d’événements qui ont eu lieu le 22 décembre 2019, alors qu’il avait 17 ans. Ce jour-là, il se présente à un casino avec une pièce d’identité qui n’est pas la sienne. Par la suite, sur des caméras de surveillance, on l’observe déposer sous un arbre un objet qui se révèle être une arme à feu. Entre-temps, le requérant est intercepté et ultimement mis en état d’arrestation. Des stupéfiants sont retrouvés sur lui. Au Tribunal de la jeunesse, le requérant plaide coupable à la possession d’arme à feu prohibée ou à autorisation restreinte avec des munitions (art. 95(2)a) C.cr.), à la possession de substances mentionnées à l’annexe I de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (art. 4(1) et (3)a) de cette loi) et de fraude à l’identité (art. 403(1)a) et (3)a) C.cr.). En juin 2020, on lui impose 18 mois de probation avec suivi, 100 heures de travaux communautaires et une interdiction d’arme pour 5 ans.
[11] Dans le présent dossier, le rapport présentenciel (« RPS ») note que le requérant bénéficie d’un encadrement familial positif, prônant des valeurs prosociales, l’honnêteté et le respect des lois. Ses parents le soutiennent dans son éducation. Rendu au cégep, il cumule des échecs après trois sessions et change de programme. La session d’automne 2021 se déroule bien, mais, à l’hiver 2022, il échoue quatre cours sur cinq. Il reprend néanmoins ses études à temps plein en août 2022. Le requérant a eu quelques emplois, mais il finit par les lâcher afin de se concentrer sur ses études. Ses parents l’aident financièrement pour qu’il puisse y arriver.
[12] Selon l’auteure du RPS, le requérant a plusieurs amis, dont certains qui « pouvaient adopter une conduite délinquante ». Le requérant est « [p]lutôt vague sur le sujet » et « ne croit pas que ceux-ci étaient impliqués dans un gang de rue ». Il affirme n’avoir jamais lui-même fait partie d’un groupe criminalisé. D’ailleurs, lorsque l’auteure du RPS tente d’approfondir la discussion quant à l’impact des fréquentations du requérant, celui-ci indique avoir lui-même pris ses décisions et être le seul à blâmer. Il indique avoir présentement un réseau positif d’amis.
[13] Le RPS rapporte aussi certains éléments en lien avec la condamnation adolescente voulant que le requérant se soit armé parce qu’il se sentait obligé de se protéger contre un groupe de jeunes. Une bagarre aurait éclaté dans le cadre d’un jeu de soccer et le requérant aurait été informé qu’un des jeunes « était muni d’un couteau pour s’en prendre à lui ». Le requérant indiquait ne jamais avoir utilisé l’arme « et avoir eu seulement l’intention de faire peur advenant le fait qu’on s’en prenne à lui. Il mentionne qu’il aurait, tout au plus, tiré une balle en visant le sol ». Quant aux stupéfiants, le requérant explique qu’il s’était impliqué dans le trafic parce qu’il voulait respecter son engagement de payer son cellulaire.
[14] Par ailleurs, le RPS réfère au rapport de fermeture produit le 11 août 2021 concernant les heures de travaux bénévoles imposés, qui comporte une mention de réussite. Le requérant aurait continué de faire du bénévolat dans un des organismes par la suite et on le décrit comme « ponctuel, assidu à l’horaire, agréable et respectueux ». Il aurait fréquenté le cégep tout au long de sa probation, et les appels de vérification effectués dans les 12 premiers mois étaient positifs. Le rapport de fermeture indique aussi que l’arrestation d’octobre 2020 « a agi comme un levier d’intervention auprès » du requérant; le requérant « offr[ait] une meilleure collaboration, en participant aux échanges, en proposant des sujets de discussion et en démontrant de l’ouverture ». Il peinait à voir l’influence négative de ses pairs, mais semblait comprendre qu’ils ont pu motiver ou diriger certaines de ses mauvaises décisions. Il a travaillé à atteindre une meilleure balance décisionnelle au long de la mesure.
[15] Quant aux infractions du présent dossier, le requérant invoque encore le « conflit l’ayant initialement motivé à se procurer une arme ». En mai 2020, sa résidence a été ciblée par des coups de feu; un projectile est même entré par une fenêtre. Cela « ravive, voire confirme, les craintes du sujet et l’amène à se procurer, à nouveau via une connaissance, une arme à des fins de protection, le tout en dépit de son ordonnance d’interdiction de posséder des armes, arme qu’il portait lorsqu’il sortait de son domicile ». Il souligne encore qu’il ne voulait pas réellement utiliser l’arme; il voulait seulement « faire peur » et, au pire, tirer au sol. Le conflit s’est réglé à l’automne 2021; il ne craint plus pour sa sécurité.
[16] Dans la section qui porte sur l’évaluation et la recommandation, l’auteure du RPS souligne la collaboration du requérant dans le cadre de l’évaluation et l’encadrement familial positif. Elle souligne également les difficultés scolaires. Certaines des amitiés du requérant sont positives et d’autres non. Elle avait espéré que la réflexion quant à ces fréquentations aurait évolué depuis la probation juvénile, mais la remise en question demeure peu intégrée : le requérant insiste sur le fait qu’il n’a pas été influencé dans ses décisions et « qu’il est le seul maître de celles-ci ». En outre, le requérant banalise le port d’une arme; il semble n’avoir pas pensé aux conséquences qui auraient pu découler s’il avait tiré au sol.
[17] L’auteure du RPS conclut que le requérant « présente des traits immatures importants et une influençabilité certaine ». Les présentes infractions, d’une gravité objective importante, « s’inscrivent à titre de récidive de même nature » que les délits qu’il a commis en tant que juvénile. Le risque de récidive demeure présent et, pour l’amoindrir, le requérant « devra approfondir sa réflexion quant à ses facteurs criminogènes ». Sur ce point, les facteurs qui ont « principalement favorisé les passages à l’acte sont la fréquentation de pairs criminalisés, l’adhésion à certaines valeurs véhiculées par ceux-ci, une mauvaise capacité de résolution de problèmes, une influençabilité et un manque de maturité ».
[18] L’auteure du RPS note que le requérant « a démontré sa capacité à bien fonctionner lorsque le cadre établi est serré ». En revanche, il y a un certain relâchement lors de l’élargissement des conditions ou mesures. Elle encourage le requérant à persévérer dans ses études et à reconsidérer l’utilisation d’une médication pour son TDAH s’il rencontre des difficultés scolaires. Selon l’auteure, « [l]a poursuite d’une sphère occupationnelle active (études ou emploi) sera à privilégier de même que le maintien des distances envers toutes personnes possédant des antécédents judiciaires ou des causes pendantes ».
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[19] L’audience sur la peine a lieu de 28 septembre 2022. L’intimé propose une peine globale de 42 mois (36 mois pour l’art. 95 et six mois consécutifs pour l’art. 117.01). Le requérant, pour sa part, propose deux ans moins un jour de sursis avec trois ans de probation et 240 heures de travaux communautaires. Son avocat considère que les circonstances justifient l’écart de la fourchette.
[20] Comme preuve, avec la liste d’antécédents et le précis des faits du dossier juvénile, l’intimé dépose un rapport d’analyse du Service de police de Laval sur le profil et mode de vie du requérant (« rapport d’analyse »). Ce rapport indique que le requérant a « fréquenté des sujets reliés » au « Flamehead boyz », un gang de rue violent et criminalisé. Il apparaît dans des vidéoclips dans lesquels il porte des objets associés à ce gang. Le rapport indique aussi que le requérant « tend à ne pas respecter les conditions qui lui sont émises par la Cour », invoquant trois incidents impliquant ses fréquentations, le non-respect du couvre-feu et la possession de cannabis. À l’audience, l’avocat du requérant précise qu’aucun de ces événements n’a fait l’objet d’un procès ou d’un plaidoyer de culpabilité. Des accusations seront toutefois portées.
[21] Quant au requérant, il dépose son horaire et la preuve de sa fréquentation au cégep, où il est inscrit à temps plein. Le requérant fait aussi témoigner son père. L’intimé fait une admission voulant que celui-ci puisse « exercer une certaine forme de surveillance dans le cadre d’un sursis », étant présent au domicile, en mesure de faire beaucoup de télétravail et d’ajuster son horaire en conséquence de l’horaire scolaire du requérant. En contre-interrogatoire, le père s’est dit surpris de découvrir que la police considère que le requérant a des affiliations avec un gang. Il n’était pas non plus au courant du fait que son fils avait été arrêté pour des bris de conditions. Il a appris ces éléments en lisant le rapport d’analyse.
[22] Après avoir décrit les antécédents mentionnés ci-haut, le juge souligne que le rapport d’analyse devrait être lu avec prudence puisqu’il rapporte des accusations et non des condamnations. Néanmoins, il retient que le requérant connaît des individus reconnus pour être membres de gangs.
[23] Le père du requérant témoigne avoir été victime d’un coup d’arme à feu à son domicile et avoir collaboré avec les autorités. Toutefois, le juge note que le requérant n’a pas collaboré; plutôt que de dénoncer les personnes impliquées, le requérant s’est procuré une arme qu’il traînait alors qu’elle était chargée. Ce genre de défense se fait fréquemment; toute la communauté et la société vont devoir participer pour mettre fin à ce fléau.
[24] Le juge note que le RPS est très important. Il s’attarde à la situation familiale du requérant, notant que les parents ne comprennent pas pourquoi il a eu des démêlés avec la justice. Le juge conclut que c’est parce que ses fréquentations n’étaient pas adéquates; lui seul sait s’il a eu des menaces concernant un gang de rue et lui seul pourra régler son problème. Le juge reprend aussi les commentaires du RPS en lien avec les amitiés du requérant, notamment en ce qui concerne leur conduite délinquante et leur implication potentielle dans des gangs. Il décrit également le cheminement scolaire et celui de l’emploi. Par ailleurs, le juge mentionne les commentaires du RPS indiquant que la remise en question à l’égard des fréquentations du requérant est peu intégrée, ainsi que ceux concernant son immaturité, son influençabilité, le risque de récidive, et les motifs ayant favorisé les passages à l’acte selon l’auteure.
[25] En ce qui concerne les principes de détermination de la peine, le juge dit qu’il faut réprimer la possession d’armes, surtout quand elles sont chargées. Le juge n’adhère pas à l’explication que c’était pour se protéger et tirer au sol. Les accusations sont passibles de 10 ans d’emprisonnement. Toute la communauté doit s’impliquer pour que la prolifération cesse, de façon drastique. Les tribunaux seront les premiers. Dans ce cas-ci, le juge indique qu’il n’a pas d’autre choix que de condamner le requérant à trois ans pour le deuxième chef et à six mois consécutifs pour le troisième dans le premier dossier. Il y aura aussi une interdiction de posséder des armes à feu à perpétuité.
[26] L’appel cible la suffisance des motifs du juge et le caractère approprié de la peine.
[27] Le jugement entrepris est insuffisamment motivé, ce qui est une erreur de droit justifiant l’intervention de la Cour. Je m’explique.
[28] Le requérant prétend que les motifs du jugement ne permettent pas de comprendre si le juge a individualisé la peine en tenant compte notamment des facteurs atténuants. Ils ne permettent pas non plus de comprendre s’il a tenu compte de la réhabilitation, alors qu’il se devait de le faire dans les circonstances. Ainsi, le jugement est entaché d’erreurs de principe qui ont eu un impact sur la peine. La Cour serait donc justifiée d’intervenir et d’imposer la peine qu’elle considère comme appropriée.
[29] Je suis d’accord avec le requérant. L’obligation de motiver la peine est codifiée à l’article 726.2 C.cr. Je prends acte qu’il faut lire les motifs ensemble avec le dossier[3], qu’il ne faut pas contraindre les juges à un standard de perfection[4]. Néanmoins, les juges doivent « fournir des motifs intelligibles qui expliquent aux parties pourquoi la peine a été rendue »[5]. Ces motifs « doivent permettre un examen efficace du jugement sur la peine en appel »[6]; ils doivent montrer aux lecteurs et lectrices comment le tribunal a exercé son pouvoir discrétionnaire sur la détermination de la peine[7].
[30] L’analyse du juge ne traite que des sujets suivants : (1) il n’adhère pas à l’explication que l’arme était possédée pour se défendre et que le requérant allait au pire tirer au sol; (2) il faut réprimer la possession d’armes, surtout des armes chargées; (3) les accusations sont passibles de 10 ans d’emprisonnement; et (4) il y a une prolifération d’armes à feu, contre laquelle il faut agir. Ce sont toutes des considérations pertinentes à l’analyse, mais en se basant uniquement sur ces éléments à l’exclusion de tous les autres éléments pertinents, le juge commet une erreur de principe.
[31] Le tribunal qui impose une peine est obligé de tenir compte des facteurs atténuants et aggravants[8]. Une omission à cet égard constitue donc une erreur de droit. En l’espèce, il y a au moins deux facteurs atténuants, soit la jeunesse du requérant et son plaidoyer de culpabilité. Le requérant était à peine adulte lorsqu’il a commis les infractions en question. Sur ce dernier point, en effet, le RPS indique explicitement que l’immaturité du requérant était un facteur dans le passage à l’acte.
[32] Par ailleurs, en ce qui concerne les facteurs aggravants, le juge ne mentionne pas comment il considère les antécédents du requérant.
[33] Même si on peut tirer du récit du juge les facteurs atténuants et aggravants, la simple mention de ceux-ci n’est pas un substitut pour une analyse comme telle de ces facteurs, comme exigé par l’article 718.2 a).
[34] D’ailleurs, la lecture du jugement permet clairement de constater que ce ne sont, en réalité, que les objectifs de dénonciation et de dissuasion qui sont considérés par le juge. Or, les tribunaux doivent pondérer tous les objectifs de détermination de la peine[9], et ceux de dénonciation et de dissuasion « doivent être évalués selon les circonstances de chaque cas »[10].
[35] La prévalence d’un crime peut être un facteur pertinent à l’analyse[11], bien qu’il ne s’agisse pas en soi d’un facteur aggravant[12]. En effet, « une telle situation peut […], selon les circonstances, être appréciée par le juge dans la mise en balance des différents objectifs de la détermination de la peine, notamment le besoin de dénoncer le comportement illégal à cet endroit, de dissuader quiconque, par la même occasion d’en faire autant »[13]. Cependant, ce facteur ne justifie pas de s’écarter du principe de l’individualisation des peines : « même en présence d’un fléau […] la dissuasion ne devient pas l’unique considération »; « l’impact dans la communauté n’est qu’un facteur »[14].
[36] En l’espèce, il est erroné d’occulter la réhabilitation de l’analyse. Cet objectif évoqué à l’article 718 C.cr. devrait généralement jouer un rôle important dans le cas d’un jeune délinquant comme le requérant. La modération s’impose pour individualiser la peine[15]. D’ailleurs, « les objectifs de dénonciation et de dissuasion ne sont pas mieux servis par l’infliction de peines excessives »[16] qui occultent la réhabilitation. Ultimement, la société sera mieux protégée si le requérant prend sa vie en main.[17] N’ayant été impliqué avec le système judiciaire qu’une seule fois auparavant, et ce, en tant que délinquant juvénile, le passé du requérant n’est pas si lourd qu’il permettrait de conclure que la réhabilitation est non atteignable ou même improbable. Plus particulièrement, le potentiel de réhabilitation est démontré par les conclusions du RPS, lesquelles indiquent que le requérant fonctionne bien dans un cadre serré, qu'il devrait se tenir loin des personnes criminalisées et qu'il devrait poursuivre sa scolarité ou avoir un emploi. Le succès du requérant avec les travaux communautaires témoigne également de ce potentiel. Il est vrai que le requérant n’a pas respecté certaines des ordonnances par le passé et il n’est pas clair qu’il les a respectées à la suite de sa deuxième arrestation. Néanmoins, il semble que cette arrestation a, à tout le moins, provoqué une évolution dans son attitude. Il est aussi vrai qu’il n’a pas encore pu intégrer une réflexion entière quant à ses fréquentations inadéquates, mais ceci ne se présente pas comme un obstacle à la réhabilitation. En outre, même si le soutien familial n’a pas été aussi efficace qu’on aurait pu le souhaiter malgré sa qualité, il ne peut être qu’un atout pour les perspectives de réhabilitation.
[37] Le RPS indique que le requérant devrait se distancer des personnes criminalisées. Cet objectif n’est pas atteint par une peine carcérale, notamment dans un pénitencier, à mon avis.
[38] Bien sûr, les crimes du requérant comportent une gravité objective non négligeable. Dans R. c. Green, la Cour a indiqué que « la fourchette des peines imposées pour des infractions commises dans des circonstances similaires est de 18 mois à 3 ans »[18]. L’affaire impliquait un délinquant de 19 ans qui n’avait aucuns antécédents criminels et qui n’était pas relié à une organisation criminelle[19]. Il avait été arrêté sur la rue avec une arme à feu chargée dans sa poche et n’avait donné aucune explication pour cette possession[20]. La Cour a confirmé la peine de 24 mois d’emprisonnement que le juge de première instance avait imposée.
[39] Dans R. c. Colangelo, la Cour a imposé une peine globale de deux ans moins un jour à un délinquant qui était en possession de plusieurs armes à feu à son domicile, alors qu’il était sous le coup d’une promesse qui lui interdisait d’en posséder[21]. Le délinquant, âgé de 53 ans, avait des antécédents comportant l’usage d’une arme à feu qui dataient des années 1980 et il n’était pas lié au milieu criminel[22].
[40] L’incarcération imposée en vertu du jugement entrepris s’inscrit au maximum de la fourchette applicable[23]. Le juge déclare « qu’il n’a d’autre choix » à cet égard. L’intimé essaie de faire la démonstration que la fourchette constatée dans les arrêts Green et Colangelo a évolué depuis leur prononcé[24]. Même si l’intimé peut avoir raison, il demeure que les fourchettes servent comme « points de repère », mais elles ne sont pas obligatoires[25].
[41] Malgré le sérieux des infractions, on ne peut pas qualifier le requérant d’individu criminalisé, malgré certaines fréquentations. En l’espèce, la récidive ne devrait pas rendre inapplicable la fourchette de 18 à 36 mois. Dans Colangelo, l’accusé avait des antécédents. Même si j’avais été persuadé d’imposer une peine carcérale plus sévère, je considère que le requérant a déjà servi 6 mois dans un pénitencier et qu’un suivi et un encadrement pour une période de probation s’imposent en l’espèce. Ainsi, l’intérêt de la justice m’amène à proposer que la peine globale d’emprisonnement ne devrait pas excéder 2 ans moins un jour.
[42] À mon avis, la dénonciation de la gravité du crime et la dissuasion seraient amplement satisfaites ici avec une telle peine carcérale de 2 ans moins un jour. Une peine carcérale est justifiée par le sérieux d’avoir possédé une arme chargée en public ainsi que par la récidive dans un court délai suivant le délit juvénile.
[43] Surtout, comme mentionné, un emprisonnement maximal de deux ans permet à la Cour d’imposer une période de probation[26]. En l’espèce, les facteurs d’individualisation et réhabilitation favorisent grandement un suivi du requérant, une fois la partie carcérale de sa sentence purgée. Je crois qu’il s’agit d’un considérant crucial dont le jugement fait totalement abstraction. Une période de probation de 3 ans serait appropriée.
[44] Finalement, je crois que le principe de la gradation des peines étaie la conclusion qu’une peine d’environ deux ans serait adéquate. La peine imposée représente un grand saut comparativement à la peine de sursis et travaux communautaires imposée pour l’infraction de possession d’arme antérieure, mais le juge ne donne aucune explication eu égard au principe de la gradation des peines[27]. Ce principe peut être particulièrement intéressant lorsque la réhabilitation est un objectif important (par exemple : pour de jeunes délinquants ou ceux avec peu d’antécédents), afin de ne pas décourager leurs efforts en ce sens[28]. Le requérant n’ayant jamais était incarcéré, la peine imposée de 42 mois de pénitencier représente, en l’espèce, un écart qui ne respecte pas le principe de gradation des sanctions.
[45] Cette analyse m’amène à la conclusion que la peine imposée est manifestement non indiquée, ce qui justifie l’intervention de la Cour[29].
[46] Pour tous ces motifs, je propose que la Cour accorde la permission d’appeler et intervienne pour casser le jugement de première instance afin de substituer une peine globale de deux ans moins un jour suivie d’une période de probation de trois ans.
[47] Quant aux conditions de probation, en sus des conditions usuelles et pour le meilleur encadrement du requérant, je propose d’imposer certaines conditions additionnelles : 1) que le requérant demeure avec ses parents; 2) un couvre-feu entre 22 h et 6 h pendant la première année de probation (sauf pour le travail, fréquentation scolaire et urgence médicale); 3) de ne pas recevoir des visiteurs dont l’identité n’est pas connue de ses parents et seulement avec leur consentement; 4) de ne pas fréquenter des gangs ou des individus criminalisés (notamment des individus nommés dans un rapport d’arrestation du Service de police de Laval, déposé en preuve) y incluant des individus faisant l’usage ou la vente de stupéfiants; et 5) de ne pas consommer ou vendre des stupéfiants et de ne pas consommer de marijuana. Le requérant devra aussi 6) rapidement entreprendre les démarches afin de tenter de trouver un emploi rémunérateur ou s’inscrire à l’école. L’interdiction des armes à feu fait partie du jugement entrepris et devra demeurer en vigueur.
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MARK SCHRAGER, J.C.A. |
[1] Sentence rendue le 2 décembre 2022 par l’honorable Gilles Garneau, j.c.q., dans les dossiers portant les numéros 540-01-098031-209 et 540-01-098032-207 [Jugement entrepris].
[2] Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, ch. 1.
[3] Voir R. c. Parranto, 2021 CSC 46, paragr. 39.
[4] R. c. Cardinal, 2012 QCCA 1838, paragr. 34. Voir aussi Bégin c. R., 2020 QCCA 1712 (demande pour autorisation d’appeler à la Cour suprême refusée, 27 mai 2021, no 39561), paragr. 10 et Lamoureux c. R., 2022 QCCA 1531, paragr. 16.
[5] R. c. Cardinal, 2012 QCCA 1838, paragr. 35. Voir aussi Lambert c. R., 2018 QCCA 1284, paragr. 16.
[6] R. c. Cardinal, 2012 QCCA 1838, paragr. 35. Voir aussi Lambert c. R., 2018 QCCA 1284, paragr. 16; R. c. Gagnon, 2022 QCCA 552, paragr. 7.
[7] R. c. Cardinal, 2012 QCCA 1838, paragr. 35. Voir aussi Lambert c. R., 2018 QCCA 1284, paragr. 16; Bégin c. R., 2020 QCCA 1712 (demande pour autorisation d’appeler à la Cour suprême refusée, 27 mai 2021, no 39561), paragr. 10; Lamoureux c. R., 2022 QCCA 1531, paragr. 16.
[8] Article 718.2 C.cr.
[9] R. c. Bissonnette, 2022 CSC 23, paragr. 45-53.
[10] Parent c. R., 2021 QCCA 1898, paragr. 64.
[11] Voir Clayton Ruby, Sentencing, 10th ed., LexisNexis Canada, Toronto, 2020, p. 302, paragr. 5.165; Danielle Robitaille et Erin Winocur, Sentencing: Principles and Practice, Emond, Toronto, 2020, pp. 121-122.
[12] R. c. Lacasse, 2015 CSC 64, paragr. 90.
[13] R. c. Lacasse, 2015 CSC 64, paragr. 90.
[14] R. c. Ruel, 2014 QCCA 1830, paragr. 8. Voir également Baptiste c. R., 2021 QCCA 1064, paragr. 48.
[15] R. c. Morris, 2021 ONCA 680, paragr. 124.
[16] R. c. Bissonnette, 2022 CSC 23, paragr. 94.
[17] R. c. Bissonnette, 2022 CSC 23, paragr. 48.
[18] R. c. Green, 2016 QCCA 379 (demande pour autorisation d’appeler à la Cour suprême rejetée, 8 septembre 2016, no 36975), paragr. 22.
[19] R. c. Green, 2016 QCCA 379 (demande pour autorisation d’appeler à la Cour suprême rejetée, 8 septembre 2016, no 36975), paragr. 13.
[20] R. c. Green, 2016 QCCA 379 (demande pour autorisation d’appeler à la Cour suprême rejetée, 8 septembre 2016, no 36975), paragr. 3.
[21] R. c. Colangelo, 2017 QCCA 195 (demande pour autorisation d’appeler à la Cour suprême rejetée, 6 juillet 2017, no 37515), paragr. 7-8.
[22] R. c. Colangelo, 2017 QCCA 195 (demande pour autorisation d’appeler à la Cour suprême rejetée, 6 juillet 2017, no 37515), paragr. 41 et 47. Voir aussi Dallaire c. R., 2022 QCCA 1422, paragr. 34.
[23] R. c. Parranto, 2021 CSC 46, paragr. 40.
[24] Voir à cet égard R. v. Bagheri, 2022 ONCA 357; Dallaire c. R., 2022 QCCA 1422, paragr. 34; R. c. Paulotte Saintelus, 2021 QCCQ 4978, paragr. 41-48; R. c. Collins, 2021 QCCQ 233, paragr. 36-40; R. v. Graham, 2018 ONSC 6817, paragr. 37-39.
[25] R. c. Parranto, 2021 CSC 46, paragr. 16.
[26] L’article 731(1)b) C.cr.
[27] Clayton Ruby, Sentencing, 10e ed., LexisNexis Canada, Toronto, 2020, p. 472, paragr. 8.94; Danielle Robitaille et Erin Winocur, Sentencing : Principles and Practice, Emond, Toronto, 2020, p. 17 et 119.
[28] Voir Clayton Ruby, Sentencing, 10e ed., LexisNexis Canada, Toronto, 2020, p. 473-474, paragr. 8.97-8.98. Voir aussi Danielle Robitaille et Erin Winocur, Sentencing : Principles and Practice, Emond, Toronto, 2020, p. 17.
[29] R. c. Parranto, 2021 CSC 46, paragr. 30 et 67.
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