[1] L’appelant se pourvoit contre un jugement rendu le 7 octobre 2014 et rectifié le 9 octobre 2014, par la Cour supérieure, district de Gatineau (l’honorable Danielle Turcotte)[1], qui fixe la valeur de rachat de ses actions dans les sociétés mises en cause à zéro, oblige l’appelant à les vendre sans considération et le condamne à payer 50 000 $ à l’intimé en dommages moraux.
* * *
[2] L’appelant fonde les sociétés mises en cause le 24 mai 2007 avec Ming Li. La société 6735011 Canada inc. exploite un restaurant, un bar et un motel dans un immeuble qu’elle loue de la société 6734995 Canada inc. Cet immeuble constitue le principal actif de cette dernière. L’appelant possède 58 % du capital-actions alors que Ming Li en a 42 %.
[3] L’intimé fait la rencontre de Ming Li vers le mois de février 2010. Il apprend alors que ce dernier désire vendre ses actions dans les sociétés.
[4] Une entente intervient dès le 18 février 2010 entre l’appelant et l’intimé au sujet de l’administration des sociétés. Elle prévoit que l’appelant agira comme gérant ainsi que responsable des affaires et des opérations, alors que l’intimé sera président de même que responsable des finances et de la comptabilité.
[5] Le 28 mars 2010, l’appelant acquiert les actions de Ming Li, et ce, au prix de 399 000 $. Le même jour, il vend à l’intimé 55 % des actions des sociétés pour 660 000 $.
[6] Les relations entre les coactionnaires dégénèrent rapidement. Ils tentent d’en venir à une entente et signent même, le 19 septembre 2010, un document indiquant un prix de 560 000 $ comme valeur des actions de l’appelant. Ce dernier soutient qu’il s’agissait là d’un contrat de vente de ses actions à l’intimé, mais il n’y donnera aucune suite.
[7] Le 1er décembre 2010, l’appelant expédie une lettre à l’intimé, dans laquelle il affirme notamment que :
· l’intimé n’a aucune autorité sur les employés;
· il doit immédiatement cesser de harceler sexuellement les employées;
· il n’est plus autorisé à communiquer avec les employés, les clients et les fournisseurs;
· son statut d’administrateur est temporairement suspendu.
[8] Le 24 janvier 2011, lors d’une assemblée extraordinaire des actionnaires, l’intimé est élu seul administrateur des sociétés. L’appelant considère cependant que la résolution spéciale est illégale. Il ne reconnaît pas les droits de l’intimé et encourage les employés à contester son autorité.
[9] Le 4 février 2011, l’intimé envoie à l’appelant une lettre de cessation d’emploi pour cause d’insubordination. Ce dernier ne cessera toutefois d’intervenir dans la gestion des sociétés qu’à compter du mois de juin 2011.
[10] Le 18 février 2011, après plusieurs mois de relations très conflictuelles entre les coactionnaires, l’appelant entreprend un recours en oppression en vertu de l’article 241 de la Loi canadienne sur les sociétés par actions[2] afin de forcer l’intimé à racheter ses actions au prix de 560 000 $. Il demande environ 880 000 $ à titre de dommages et intérêts et perte de salaire. L’intimé se porte demandeur reconventionnel et réclame 250 000 $ en dommages moraux.
[11] La juge de première instance souligne dans son jugement que l’intimé consentant maintenant à se porter acquéreur des actions de l’appelant, seul le prix de celles-ci demeure en litige.
[12] Elle détermine d’abord qu’il n’y a pas eu accord quant à la valeur des actions dans le document signé par les parties le 19 septembre 2010. Elle ne retient donc pas le prix de 560 000 $ indiqué si les actions sont payées comptant, ni celui de 650 000 $, si elles sont payées selon des modalités de financement.
[13] La juge note que les parties s’entendent sur la date d’évaluation des actions qui correspond à celle de l’introduction du recours en oppression, soit le 18 février 2011. Elle rejette le témoignage de l’expert de l’appelant, car elle considère qu’il ne peut se qualifier comme expert. Elle retient toutefois celui de l’expert évaluateur de l’intimé qui estime la valeur marchande de l’immeuble, qui est selon elle le seul actif des sociétés, à 822 000 $. Selon la juge, aucune valeur ne peut être attribuée à l’achalandage du commerce. Puisque l’immeuble est le seul actif des sociétés, sa valeur correspond à celle des actions et leur prix de vente doit être fixé à 369 900 $, soit à 45 % du montant de l’évaluation.
[14] La juge rejette par ailleurs la réclamation en dommages-intérêts présentée par l’appelant, mais accueille en partie celle de l’intimé et condamne l’appelant à lui payer 50 000 $ à ce titre, malgré sa déclaration que seule la valeur des actions était en litige. Elle considère que le comportement de l’appelant à l’égard de l’intimé justifie cette condamnation.
[15] La juge opère compensation et ordonne à l’intimé de verser à l’appelant 319 900 $ pour ses actions. En outre, elle ordonne à l’appelant de rembourser 17 500 $ à 6735011 Canada inc., somme que cette dernière lui a avancée à titre de provision pour frais.
[16] Le 9 octobre 2014, la juge dépose un jugement en rectification (art. 475 C.p.c.). Elle explique avoir commis une erreur de calcul puisque, « par inadvertance, [elle] a omis de déduire la dette à long terme des compagnies » de la valeur de l’immeuble lorsqu’elle a calculé celle du capital-actions. Elle modifie plusieurs paragraphes, dont le paragraphe 46 de son jugement qui est maintenant rédigé ainsi :
Le Tribunal retient que la valeur marchande des actions en circulation des deux compagnies équivaut à la valeur marchande de l’immeuble en février 2011, soit 822 000 $, moins l’emprunt à long terme qui était de 1 143 578 $ au 31 octobre 2010.[3]
[17] En conséquence, la juge conclut que l’appelant doit vendre ses actions à l’intimé sans contrepartie et qu’il doit en outre payer à l’intimé 50 000 $ à titre de dommages moraux.
* * *
[18] L’appelant formule quatre moyens d’appel.
[19] Il plaide d’abord que la juge a commis une erreur manifeste et déterminante en droit en lui refusant le droit de faire la preuve des agissements fautifs de l’intimé à son égard et à l’égard des mises en cause. Il soutient que la juge a décidé, avant même le début de l’instruction, que la preuve ne visant pas à établir la validité du contrat du 19 septembre 2010 ou la valeur des actions n’était pas pertinente. L’appelant a donc été empêché de démontrer les agissements de l’intimé, lesquels auraient été pertinents tout au moins en défense à la demande reconventionnelle en dommages-intérêts.
[20] L’appelant reproche également à la juge d’avoir erré en droit en accueillant l’objection concernant le dépôt des déclarations des employées (P-6). Il allègue que celles-ci étaient pertinentes en défense contre la demande reconventionnelle en dommages. Elles pouvaient être déposées puisqu’il s’agit d’une exception à la règle prohibant le ouï-dire, car elles ne visaient qu’à expliquer pourquoi il a envoyé la lettre du 1er décembre 2010 à l’intimé.
[21] À l’audience devant la Cour, l’intimé se désiste de la conclusion du jugement de première instance lui accordant des dommages de 50 000 $. Il estime donc qu’il n’est pas utile que la Cour se prononce sur les deux premiers moyens d’appel.
[22] L’appelant voit toutefois les choses autrement. Il plaide que non seulement la juge a commis des erreurs en l’empêchant, alors qu’il n’était pas représenté par avocat, d’administrer une preuve pertinente, mais elle a fait preuve de partialité, ce qui a porté atteinte à l’équité du procès. Il désire que la Cour ordonne un nouveau procès.
[23] La Cour est d’avis que les deux premiers moyens d’appel sont devenus sans objet puisque l’intimé s’est désisté de la condamnation prononcée quant aux dommages moraux de 50 000 $. Par ailleurs, bien que certaines remarques de la juge paraissent sévères à l’égard de l’appelant, la Cour conclut que celles-ci n’affectent pas l’équité du procès au point de devoir le reprendre. En effet, puisque la condamnation à des dommages et intérêts pour un préjudice moral n’est plus en litige, il reste à déterminer si la juge pouvait rectifier son jugement comme elle l’a fait et si elle a erré en fixant le prix des actions à zéro, tout en ordonnant à l’appelant de les vendre. À la lumière de la preuve au dossier, la Cour est en mesure de trancher sur ces questions.
[24] La juge a rectifié le jugement, faisant passer la valeur des actions de 369 900 $ à zéro. L’appelant est d’avis qu’elle était functus officio et ne pouvait modifier ainsi son jugement. Selon lui, elle a changé sa méthode de calcul de la valeur des actions. Il ne s’agit pas là d’une simple rectification au sens de l’article 475 C.p.c. À défaut d’ordonner un nouveau procès, il demande à la Cour de fixer la valeur de ses actions.
[25] Selon l’intimé, c’est par inadvertance que la juge a omis de se prononcer sur une partie de la demande, ce qui donne ouverture à la rectification de jugement.
[26] La Cour est d’avis que ce moyen d’appel doit être accueilli. La rectification de jugement est une exception à la règle de l’irrévocabilité des jugements. Lorsqu’un décideur épuise sa compétence, il ne peut par la suite revenir sur sa décision. Comme le soulignent les auteurs Ferland et Émery :
Notion d'« erreur matérielle »
1-2527 - L'erreur matérielle n'est pas une faute de l'esprit dans la détermination de ce qu'on a voulu communiquer; mais une faute dans le choix des termes employés pour faire cette communication; c'est une faute qui a fait dire autre chose que ce que le juge a voulu exprimer; en un mot, c'est un lapsus qui comprend non seulement certaines omissions involontaires et les fautes de rédaction proprement dites, mais aussi les erreurs de calcul.[4]
[Soulignement ajouté]
[27] En l’espèce, la juge n’a pas seulement corrigé une erreur de calcul, elle a modifié ses motifs et sa méthode de calcul pour en arriver à établir la valeur des actions. Son jugement indique qu’elle a d’abord utilisé la valeur marchande de l’immeuble, telle qu’établie par l’expert de l’intimé, sans faire allusion à la dette à long terme des sociétés. Ce n’est que dans le jugement rectifié qu’elle mentionne devoir tenir compte du passif à long terme. Elle ajoute donc une opération mathématique[5] à son raisonnement.
[28] La Cour conclut donc que la juge ne pouvait rectifier le jugement du 7 octobre 2014 comme elle l’a fait.
[29] Dans l’éventualité où la Cour déterminerait que la juge ne pouvait rectifier son jugement du 7 octobre 2014, l’intimé s’était porté appelant incident de bene esse afin de contester l’évaluation qu’elle fait des actions à 369 900 $. Il estime qu’elle a commis une erreur manifeste et déterminante en ne considérant que la valeur des actifs des mises en cause et non leurs dettes. Selon l’appelant, les états financiers indiquent des dettes à long terme de 1 143 578 $ dont la juge n’a pas tenu compte lors de l’établissement de la valeur des actions de l’appelant. Les actions ont une valeur nulle.
[30] L’appelant soutient pour sa part qu’il est déraisonnable de donner une valeur nulle à ses actions. L’expert Charles Lepoutre, un évaluateur agréé, n’évalue que l’immeuble, laissant de côté l’achalandage, les liquidités et les équipements des mises en cause. Il utilise en outre les données financières des sociétés pour les années 2012, 2013 et 2014 plutôt que celles de février 2011, date à laquelle les actions devaient être évaluées. Il s’agit d’une expertise en évaluation immobilière et non d’entreprises opérées en symbiose par les mises en cause.
[31] Il ressort de la preuve qu’aucun rapport d’expert en évaluation d’entreprise n’a été déposé par les parties. En s’appuyant sur celui de l’expert Lepoutre, évaluant la valeur marchande de l’immeuble à 822 000 $ en février 2011 et en déduisant la dette à long terme, on arrive effectivement à une valeur nulle pour les actions de l’appelant, alors que moins d’un an auparavant, l’intimé a acheté 55 % des actions pour 660 000 $. Si la Cour donnait raison à l’intimé dans son appel incident de bene esse, cela aurait comme résultat d’obliger l’appelant à se départir de ses actions sans contrepartie. Cette solution est déraisonnable. Elle n’est pas équitable et ne reflète pas la valeur marchande des actions ni les attentes légitimes des parties.
[32] Pour évaluer les actions d’une société, il faut rechercher une valeur juste et équitable.
[33] L’auteur Paul Martel explique que le remède accordé, lors d’un recours en oppression, doit rectifier l’injustice ou l’oppression, sans aller au-delà en donnant au plaignant plus que ce à quoi il pouvait s’attendre :
31-361 Le remède apporté par le tribunal doit être proportionnel au préjudice subi par le plaignant. Il doit viser à redresser la situation, en apportant une rectification à l’injustice ou à l’oppression, et non à aller au-delà de cela, par exemple en donnant au plaignant quelque chose auquel il n’aurait jamais raisonnablement pu s’attendre. Tel que l’a bien exprimé un juge ontarien, « la chirurgie doit se faire au scalpel, et non à la hache de guerre. (…) La tâche du tribunal consiste à rétablir l’équilibre, pas à faire pencher la balance du côté de la partie lésée ». Le but n’est pas de punir, mais d’appliquer une mesure de justice corrective. […][6]
[Références omises - Soulignement ajouté]
[34] Ces principes d’équité doivent également trouver application lorsque, comme en l’espèce, l’actionnaire qui a intenté le recours en oppression accepte de vendre ses actions. Sauf circonstances exceptionnelles, un tribunal ne devrait pas permettre à l’actionnaire majoritaire d’acquérir celles-ci sans contrepartie pour l’actionnaire minoritaire.
[35] Dans l’arrêt Côté c. Côté, notre Cour applique ces principes :
85 Comme les affaires St-Onge et Desjardins l'indiquent, les circonstances propres à chaque dossier sont déterminantes dans le processus d'évaluation d'une société ou de ses actions. Il faut rechercher une valeur qui soit juste et équitable dans les faits, en tenant compte de la réalité de la société et des expectatives légitimes des protagonistes. Il faut entre autres s'assurer que l'actionnaire compensé ne se retrouve pas avec plus que ce qu'il pouvait raisonnablement espérer toucher pour ses actions.[7]
[Références omises - Soulignement ajouté]
[36] La Cour d’appel d’Ontario, dans l’arrêt Naneff c. Con-Crete Holdings Limited, partage ce point de vue :
[…] A remedy that rectifies cannot be a remedy which gives a shareholder something that even he never could have reasonably expected.[8]
[Soulignement ajouté]
[37] Il faut donc déterminer quelle est la valeur juste et équitable des actions de l’appelant.
[38] Bien que l’appelant soutienne, dans une conclusion subsidiaire de son appel, que la Cour devrait rétablir le jugement de première instance du 7 octobre 2014 et fixer la valeur de ses actions à 369 900 $, il plaide également, dans une deuxième conclusion subsidiaire, que la valeur des actions aurait dû être établie à 560 000 $, soit celle reconnue par les parties dans le document signé le 19 septembre 2010. Il explique que même si la juge a déterminé que ce document n’était pas un contrat, il s’agit là d’une preuve indiquant la valeur attribuée aux actions par les parties à une époque contemporaine à février 2011, date retenue pour l’évaluation de celles-ci. Il soutient en outre que l’intimé a fait un aveu judiciaire de la valeur des actions dans sa défense et demande reconventionnelle en offrant de les acheter pour 428 571,43 $.
[39] La preuve révèle que pour vendre 55 % des actions des mises en cause à l’intimé, l’appelant a d’abord dû acquérir celles de son ancien coactionnaire, Ming Li. L’achat a été conclu la même journée que la vente des actions à l’intimé, soit le 28 mars 2010. L’appelant a alors payé 399 000 $ pour 42 % des actions appartenant alors à Ming Li. Il les a ensuite revendues à l’intimé, en plus d’une partie de celles qu’il possédait déjà, afin que ce dernier devienne propriétaire de 55 % des actions des mises en cause, et ce, pour un prix total de 660 000 $. Il a donc touché un profit de 137 500 $ dans la transaction.
[40] Le prix de vente des actions de Ming Li à l’appelant le 28 mars 2010, soit 399 000 $ pour 42 % du capital-actions, est, de l’avis de la Cour, la preuve la plus probante de la valeur marchande de celles-ci à une époque très contemporaine à février 2011. Il n’y a d’ailleurs eu aucun changement significatif dans la situation financière des sociétés dans l’année qui a suivi. C’est en outre la valeur des actions reconnue par l’intimé dès le début du litige.
[41] En effet, dans sa défense et demande reconventionnelle du 29 novembre 2011, il conteste la valeur des actions établie par l’appelant à 560 000 $. Il explique que la juste valeur des actions est plutôt de 428 571,43 $, et ce, en se basant sur la transaction intervenue entre Ming Li et l’appelant. Il mentionne ceci :
167. Indeed, the plaintiff purchased from Mr. Ming Li 45% [sic][9] of the companies' shares at a price of $400,000;
168. Consequently, 45% of the companies' shares are worth $428,571.43;
169. In addition, an amount of $560,000 for the purchase of 45% of the companies' shares represents $20,000 more than the pro rata value of the said shares paid by the defendant;
170. The defendant paid a higher price to purchase his shares to ensure he would be the companies' majority shareholder so that he would control the business to protect his investment;
171. Indeed, the defendant paid $136,190.48 more than the pro rata value of the companies' shares compared to the price paid by the plaintiff to purchase Mr. Ming Li's shares;
172. Consequently, the defendant offers to purchase the plaintiff's shares held in the companies 6734995 Canada Inc. and 6735011 Canada Inc. at a price of $428,571.43;
173. In view of the above mentioned facts, this price is reasonable and justified;
174. Therefore, the defendant is justified to ask to this Honourable Court to order to the plaintiff to sell to the defendant all of his shares held in the companies 6734995 Canada Inc. and 6735011 Canada Inc., that is forty-five (45) "A" common shares held in each of the said companies, for a total price of $428,571.43;
[Soulignement ajouté]
[42] Et conclut ainsi :
FOR THESE REASONS, MAY IT PLEASE THE COURT:
ORDER to the plaintiff to sell to the defendant all of his shares held in the companies 6734995 Canada Inc. and 6735011 Canada Inc., that is forty-five (45) "A" common shares held in each of the said companies, for a total price of $428,571.43, within ten (10) days of the judgment to intervene, the whole subject to the compensation to be carried out according to the conclusions here below;
[43] La demande reconventionnelle a été modifiée le 25 août 2014, soit deux semaines environ avant le début du procès en première instance, pour en retirer les paragraphes 168 et 173 ainsi que le passage du paragraphe 172 contenant l’offre d’achat des actions au prix de 428 571,43 $. L’appelant, n’étant pas représenté par avocat, ne s’y est pas opposé.
[44] L’appelant soutient qu’il s’agit là d’un aveu qui ne pouvait être révoqué à moins de démontrer qu’il a été fait à la suite d’une erreur, tel que l’exige l’article 2852 C.c.Q. Pour sa part, l’intimé plaide qu’en l’absence d’opposition à la modification dans le délai prévu, celui-ci est accepté (art. 200 ancien C.p.c).
[45] L’article 2852 C.c.Q. édicte ceci :
2852. L'aveu fait par une partie au litige, ou par un mandataire autorisé à cette fin, fait preuve contre elle, s'il est fait au cours de l'instance où il est invoqué. Il ne peut être révoqué, à moins qu'on ne prouve qu'il a été la suite d'une erreur de fait. La force probante de tout autre aveu est laissée à l'appréciation du tribunal. |
2852. An admission made by a party to a dispute or by an authorized mandatary makes proof against the party if it is made in the proceeding in which it is invoked. It may not be revoked, unless it is proved to have been made through an error of fact. The probative force of any other admission is left to the appraisal of the court. |
[Soulignement ajouté]
[46] Quant à l’article 200 C.p.c., il mentionne qu’en l’absence d’opposition, l’acte amendé est accepté. Il est ainsi libellé :
200. La partie qui amende un acte de procédure doit notifier l'acte amendé aux autres parties et en produire copie au greffe. Les autres parties disposent d'un délai de 10 jours pour indiquer, dans un écrit, leur opposition, la notifier aux autres parties et en produire copie au greffe. En l'absence d'opposition, l'acte amendé est accepté; en cas d'opposition, la partie qui entend amender un acte présente sa demande au tribunal pour qu'il en décide. Le délai pour répondre à un acte amendé est fixé par les parties ou, à défaut, par le tribunal et il court, selon le cas, du jour de sa notification ou du jour du jugement qui autorise l'amendement. |
200. A party who amends a pleading must notify the amended pleading to the other parties and file a copy at the office of the court. The other parties have 10 days to express their opposition in writing, notify it to the other parties and file a copy at the office of the court. If no opposition is filed, the amended pleading is accepted; if an opposition is filed, the party who intends to amend the pleading applies to the court for a determination.
The time allowed for answering an amended pleading is agreed between the parties or, failing that, determined by the court, and runs either from the date of notification of the amended pleading or from the date of the judgment authorizing the amendment, as the case may be. |
[Soulignement ajouté]
[47] L’article 200 C.p.c. est entré en vigueur en 2003[10]. Avant cette date, la jurisprudence et la doctrine étaient unanimes : il fallait établir que l’aveu contenu dans une procédure judiciaire découlait d’une erreur de fait pour que la demande d’amendement afin de le révoquer soit acceptée[11].
[48] Depuis 2003, la jurisprudence fait des distinctions selon qu’il y a ou non une opposition à la modification de la procédure. Lorsqu’il y a une opposition, les tribunaux exigent la démonstration d’une erreur de fait[12]. Toutefois, en l’absence d’une opposition, il semble que certains jugements concluent qu’il n’est pas nécessaire d’alléguer l’erreur de fait pour révoquer un aveu[13].
[49] L’article 200 C.p.c., tout comme l’article 207 du nouveau Code de procédure civile[14] au même effet, ont pour but de faciliter la modification d’une procédure s’il n’y a pas d’opposition de la partie adverse. Toutefois, cette disposition ne modifie pas un article de droit substantif édictant qu’il ne peut y avoir révocation d’un aveu en l’absence d’une erreur de fait. Cette erreur doit être alléguée et l’allégation appuyée d’une déclaration sous serment pour que l’aveu puisse être rétracté en cas de non-contestation de la part de l’autre partie.
[50] Il ne faut pas confondre modification (amendement) d’un acte de procédure et révocation d’un aveu judiciaire. La procédure, pour la première, est maintenant simplifiée et le tribunal n’intervient qu’en cas de contestation, alors que les exigences établies par l’article 2852 C.c.Q. pour la révocation d’un aveu sont demeurées les mêmes depuis 1866[15] : il faut établir qu’il a été la suite d’une erreur de fait.
[51] En l’espèce, aucune allégation ne vient expliquer que la reconnaissance de la valeur des actions à 428 571,43 $ est fondée sur une erreur de fait. L’aveu judiciaire n’a donc pas été révoqué.
[52] Par ailleurs, la Cour est d’avis que la transaction intervenue en mars 2010, lorsque l’appelant a acheté les actions de Ming Li, est la preuve la plus probante de leur valeur marchande en février 2011. C’est d’ailleurs ce que l’intimé explique dans sa défense et demande reconventionnelle avant qu’elle ne soit modifiée deux semaines avant le procès.
[53] La Cour fixe donc la valeur des actions à 428 571,43 $.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
[54] ACCUEILLE l’appel avec les frais de justice;
[55] INFIRME le jugement rectifié de première instance du 9 octobre 2014;
[56] INFIRME en partie le jugement de première instance du 7 octobre 2014;
[57] ACCUEILLE en partie le recours en oppression de l’appelant, avec dépens;
[58] PREND ACTE du désistement par l’intimé des conclusions contenues aux paragraphes [83] et [84] du jugement de première instance du 7 octobre 2014;
[59] Procédant à rendre le jugement qui aurait dû être rendu en première instance, BIFFE le paragraphe [83] du jugement du 7 octobre 2014 et REMPLACE les paragraphes [82], [84] et [88] du jugement du 7 octobre 2014 par les suivants :
[82] DÉCLARE que la valeur des actions du demandeur est de 428 571,43 $;
[…]
[84] CONDAMNE le défendeur à payer au demandeur 428 571,43 $ en plus des intérêts au taux légal depuis le 18 février 2011, en contrepartie de l’acquisition de toutes les actions détenues par le demandeur dans le capital-actions des sociétés mises en cause;
[…]
[88] Avec dépens en faveur de l’appelant.
[60] REJETTE l’appel incident avec les frais de justice.
[1] Li c. Wang, 2014 QCCS 5209.
[2] L.R.C. (1985), c. C-44.
[3] Jugement en rectification du 9 octobre 2014, paragr. 8; jugement rectifié du 9 octobre 2014, paragr. 46.
[4] Denis Ferland et Benoît Emery, Précis de procédure civile du Québec, 5e éd., vol. 1, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2015, no1-2527, p. 957.
[5] Voir les paragraphes 45, 46, 47 et 73 du jugement de première instance.
[6] Paul Martel, La société par actions au Québec : Les aspects juridiques, Montréal, Wilson & Lafleur, 2016, no 31-361, p. 31-145 et 31-146.
[7] Côté c. Côté, J.E. 2014-412, 2014 QCCA 388, paragr. 85.
[8] Naneff v. Con-Crete Holdings Limited (1995), 23 O.R. (3d) 481 (Ont. C.A.), p. 491.
[9] Il faut lire 42 %.
[10] Loi portant réforme du Code de procédure civile, L.Q. 2002, c. 7, art. 181.
[11] Voir Municipal Motors Ltd. c. Chadwick, [1969] B.R. 186; Cité de Beauport c. Gravel, [1969] B.R. 700; Shepherd c. Lamarre, [1970] C.A. 242; Léo Ducharme, Précis de la preuve, 6e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2005, no 745-747; Philippe Ferland, « L’aveu dans une procédure », (1957) 17 R. du B. 14.
[12] Par exemple Lévesque c. Théberge, J.E. 2005-1663 (C.S), paragr. 82; Comité conjoint sur les services automobiles de la région de Québec c. Garage R. Garneau inc., 2010 QCCQ 20945.
[13] Voir par exemple : Biron c. Green, J.E. 2005-1750, 2005 CanLII 31554 (QC CS) [obiter dictum]; Droit de la famille - 09698, 2009 QCCS 1337; D.L. c. Québec (Curateur public), 2014 QCCS 1799.
[14] L.Q. 2014, chapitre 1.
[15] Art. 1245 C.c.B.-C.
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