Décision

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Barreau du Québec (syndic adjoint) c. Blanchette

2018 QCCDBQ 020

CONSEIL DE DISCIPLINE

BARREAU DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

06-17-03067

 

DATE :

27 février 2018

______________________________________________________________________

 

LE CONSEIL :

Me JULIE CHARBONNEAU

Présidente

Me LOUISE BOUTIN

Membre

Me ROBERT COX

Membre

______________________________________________________________________

 

Me NICOLAS BELLEMARE, en sa qualité de syndic adjoint du Barreau du Québec

Partie plaignante

c.

Me ALEX BLANCHETTE

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ

______________________________________________________________________

I.              INTRODUCTION

[1]          Le Conseil de discipline s’est réuni pour procéder à l’audition de la plainte disciplinaire déposée par le plaignant, Me Nicolas Bellemare, en sa qualité de syndic adjoint du Barreau du Québec contre l’intimé, Me Alex Blanchette.

[2]          La plainte portée contre l’intimé est ainsi libellée :

1.   À Montréal, le 26 janvier 2017, dans le dossier de la Cour du Québec portant le numéro 500-01-126034-153, par jugement de Madame la juge Sylvie Durant, j.c.q. a été déclaré coupable de l’infraction criminelle suivante ayant un lien avec l’exercice de la profession d’avocat :

« CHEF 1 » : Le ou vers le 1er août 2015, à Montréal, district de Montréal, ont fait le transport, la livraison et la distribution et ont eu en leur possession en vue de vendre des produits du tabac commettant ainsi l’infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité prévue à l’article 121.1(1) et 4) b) du Code criminel.

Se rendant ainsi passible des sanctions prévues à l’article 156 du Code des professions, tel que prévu à l’article 149.1 de cette même loi;

2.   A Montréal, le 1er août 2015 a remis à son client, M. G.O. alors incarcéré à l’Établissement de détention de Montréal, un téléphone cellulaire alors qu’il s’agit d’un objet non autorisé à une personne incarcérée, contrevenant ainsi aux dispositions de l’article 14 du Code de déontologie des avocats et de l’article 59.2 du Code des professions;

Se rendant ainsi passible des sanctions prévues à l’article 156 du Code des professions;

[Reproduction intégrale]

II.            CONTEXTE

[3]          L’intimé est membre du Barreau du Québec depuis le 25 avril 2005[1].

[4]          En début d’audience, l’intimé reconnaît, suivant le libellé du premier chef, que l’infraction criminelle pour laquelle l’honorable juge Sylvie Durand, J.C.Q. l’a déclaré coupable le 26 janvier 2017, a un lien avec l’exercice de la profession d’avocat[2] tel qu’il sera plus amplement décrit au dispositif de la présente décision.

[5]          Relativement au second chef, il enregistre un plaidoyer de culpabilité à une infraction aux dispositions de l’article 59.2 du Code des professions, tel qu’il sera également plus amplement décrit au dispositif de la présente décision.

[6]          Toujours à l’égard du second chef, il enregistre un plaidoyer de non-culpabilité quant à une infraction aux dispositions de l’article 14 du Code de déontologie des avocats[3].

[7]          La preuve documentaire, produite de consentement, constitue la preuve du plaignant[4].

[8]          Le plaignant est d’avis qu’il s’est déchargé de son fardeau de preuve qui lui incombe à l’égard de l’article 14 du Code de déontologie des avocats, dont la preuve d’une intention blâmable. Il a prouvé cette intention par les faits entourant la commission de l’infraction. Il produit des autorités au soutien de sa position[5].

[9]          L’intimé témoigne des faits et circonstances de l’ensemble du dossier.

[10]       En résumé, l’intimé plaide qu’il a été négligent et naïf et qu’il ne devrait pas être déclaré coupable d’une infraction à l’article 14 du Code de déontologie des avocats.

III.           QUESTION EN LITIGE

[11]       Le plaignant s’est-il déchargé de son fardeau de preuve concernant les éléments essentiels du chef d’infraction porté contre l’intimé qui inclut la preuve d’une intention blâmable de la part de l’intimé tel que requis par l’article 14 du Code de déontologie des avocats?

IV.          ANALYSE

[12]       Le Conseil souligne le rappel fait par la Cour d’appel au sujet du fardeau de preuve qu’une partie plaignante doit rencontrer en matière disciplinaire[6] :

[66] Il est bien établi que le fardeau de preuve en matière criminelle ne s’applique pas en matière civile. Il est tout aussi clair qu’il n’existe pas de fardeau intermédiaire entre la preuve prépondérante et la preuve hors de tout doute raisonnable, peu importe le « sérieux » de l’affaire. La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt F.H. c. McDougall, a explicitement rejeté les approches préconisant une norme de preuve variable selon la gravité des allégations ou de leurs conséquences.

[67] Cependant, la preuve doit toujours être claire et convaincante pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités. Comme démontré plus haut, le Conseil avait bien à l’esprit cette norme et la proposition des juges majoritaires qui soutient le contraire est, avec égards, injustifiée.

[68] Comme le rappelle la Cour suprême, « [a]ussi difficile que puisse être sa tâche, le juge doit trancher. Lorsqu’un juge consciencieux ajoute foi à la thèse du demandeur, il faut tenir pour acquis que la preuve était, à ses yeux, suffisamment claire et convaincante pour conclure au respect du critère de la prépondérance des probabilités.

[Références omises]

[13]       Le plaignant invoque l’article 14 du Code de déontologie des avocats à titre de lien de rattachement au soutien du second chef d’infraction. Le Conseil devra, par conséquent, décider de la culpabilité ou de l’acquittement de l’intimé en fonction de la disposition invoquée. Un arrêt de la Cour d’appel énonce ce principe en ces termes[7] :

[84]  D'une part, les éléments essentiels d'un chef de plainte disciplinaire ne sont pas constitués par son libellé, mais par les dispositions du code de déontologie ou du règlement qu'on lui reproche d'avoir violées (Fortin c. Tribunal des professions, 2003 CanLII 33167 (QC CS), [2003] R.J.Q. 1277, paragr. [136] (C.S.); Béliveau c. Comité de discipline du Barreau du Québec, précité; Béchard c. Roy, précité; Sylvie POIRIER, précitée, à la p. 25).

[14]       Le Conseil reproduit cet article :

14. L’avocat ne doit pas aider ou, par un encouragement ou un conseil, faciliter une conduite qu’il sait ou devrait savoir illégale ou frauduleuse de la part du client.

[15]       Cette disposition est en vigueur depuis le 26 mars 2015.

[16]       Elle remplace cette ancienne disposition du Code de déontologie des avocats :

4.02.01 En outre des actes dérogatoires mentionnés aux articles 57, 58, 59.1 et ceux qui peuvent être déterminés en application du deuxième alinéa de l'article 152 du Code des professions (chapitre C-26), est dérogatoire à la dignité de la profession le fait pour un avocat :

[…] 

g) d'aider ou, par un encouragement ou un conseil, d'amener le client à poser un acte qu'il sait illégal ou frauduleux;

[17]       Au sujet de cette dernière disposition, le conseil de discipline du Barreau exprime dans l’affaire Jolicoeur[8] le fardeau de preuve qui incombe au plaignant.

[221] L’article 4.02.01 précité du Code de déontologie des avocats est contenu dans la sous-section 2 de la section IV dudit Code traitant des actes dérogatoires et des devoirs et obligations des avocats envers la profession.

[222] La lecture de ces dispositions, et plus particulièrement celles issues du Code de déontologie des avocats, emporte, comme le souligne avec pertinence le procureur de l’intimé, la nécessité de faire valoir une intention malhonnête ou blâmable de la part de l’intimé pour conclure à sa culpabilité.

[223] Les autorités soumises sont particulièrement explicites à ce chapitre.

[18]       Le Conseil doit analyser les faits qui suivent à la lumière de ce postulat.

 

i.      Les faits

[19]       Le 17 juillet 2015, la conjointe de G. O. contacte l’intimé puisque G.O. est à la recherche d'un nouvel avocat.

[20]       G.O. est détenu pour des accusations en lien avec une possession de stupéfiants ainsi qu'une possession en vue de faire du trafic de stupéfiants.

[21]       L’intimé obtient le mandat de représenter G.O., notamment afin de présenter une requête en modification de conditions de remise en liberté devant la Cour supérieure du Québec, district de Beauharnois.

[22]       Dans le contexte de ce mandat, entre le 17 juillet et le 31 juillet 2015, l’intimé se rend au Centre de détention de Montréal à plusieurs reprises afin de rencontrer G.O.

[23]       Le 31 juillet 2015, G.O. le contacte pour lui demander d’apporter des enveloppes contenant certains documents se rapportant à sa conjointe. L’intimé accepte de donner suite à cette demande.

[24]       Cette remise de documents à G.O. est prévue le 1er août 2015.

[25]       Le 1er août 2015, peu de temps avant d’entrer au Centre de détention, un dénommé Patrick lui remet deux enveloppes. Ces enveloppes contiennent des documents, du tabac ainsi qu’une d’elles, un téléphone cellulaire.

[26]       L’intimé vérifie sommairement le contenu des enveloppes afin de s'assurer qu’elles ne contiennent pas de drogue ou autres substances illicites dans l’une d’entre elles.

[27]        Il ouvre les deux enveloppes. Il constate qu’elles contiennent des documents et du tabac. Il n’égrène pas le tabac ni ne vide les enveloppes. Il ne touche pas quelque chose de solide.

[28]       Immédiatement après, il entre dans l'enceinte du Centre de détention de Montréal pour y rencontrer son client G.O.

[29]       Il rencontre G.O. dans les parloirs réservés aux rencontres entre les avocats et leurs clients. Lors de cette rencontre, il lui remet les enveloppes qui contiennent outre les documents, du tabac ainsi qu'un téléphone cellulaire.

[30]       Au meilleur de sa connaissance, le tabac ainsi que le téléphone cellulaire sont saisis sur G.O. immédiatement après la fin de sa rencontre avec lui.

[31]        Il reconnaît qu’il a été négligent. Il reconnaît qu’il a fouillé les enveloppes rapidement. Il savait que les cellulaires sont interdits au Centre de détention.

[32]        Les enveloppes contenaient beaucoup de documents, des feuilles longues. Il mentionne qu’il ne nie pas avoir vu le tabac.

[33]        L’intimé avoue sans hésitation qu’il n’a pas égrené le tabac ou vidé les enveloppes, ce qu’il aurait dû faire selon lui.

[34]        Pour s’être rendu à plusieurs reprises au Centre de détention, il sait très bien que lorsqu’il entre dans un établissement carcéral il est fouillé, à deux reprises et qu’il traverse un détecteur de métal.

[35]        Il n’a pas voulu mettre en jeu son intégrité ni sa carrière.

[36]        Il a été naïf et n’a pas été prudent. Il n’a pas vu ou palpé le cellulaire dans l’enveloppe.

[37]        Le 1er août 2015, jour de l’évènement, il participe à des activités familiales exigeantes sur le plan émotif.

ii.   Les motifs

[38]       Une déclaration d’une représentante du Centre de détention de Montréal expose de façon explicite l’interdiction de cellulaires à l’aide des avis suivants[9] :

Vous trouverez, en pièces jointes, un communiqué de 2011 concernant l’interdiction des téléphones cellulaires en établissement de détention et une affiche qui se retrouve dans tous nos bureaux d’avocats à l’EDM. Il y est clairement inscrit que les cellulaires sont interdits.

Nous souhaitons également vous informer que cette interdiction est à la vue des avocats qui entrent à l’établissement puisque 4 pancartes sont visibles sur le chemin emprunté par les avocats. De plus, une bande déroulante se trouve au bureau des visites (lieu d’inscription des avocats) et indique notamment que les cellulaires sont interdits. Finalement, avant que l’avocat passe la porte qui conduit à la cour intérieure de l’établissement, l’ASC en poste lui demande s’il est en possession d’un téléphone cellulaire.

[39]       Des reproductions de ces quatre affiches et du communiqué affiché sont également produites en preuve[10].

[40]       L’intimé ouvre les enveloppes. Il constate des documents et du tabac.

[41]       L’intimé admet savoir que les cellulaires et autres objets sont interdits de possession pour les personnes incarcérées.

[42]       Une reproduction photographique des enveloppes est produite en preuve[11]. Le format de ces enveloppes se rapproche d’un format régulier ou au surplus, légal. Une reproduction photographique du téléphone cellulaire est également produite en preuve. Le format de ce téléphone n’est pas particulièrement petit.

[43]       L’intimé reconnaît qu’il n'a pas vidé les enveloppes afin d'en vérifier le contenu, ce qui lui aurait permis de constater la présence d'un téléphone cellulaire.

[44]       Pour le Conseil, l’intimé a volontairement omis de vérifier les enveloppes au-delà des documents et du tabac, ce qui l’aurait amené à toucher le cellulaire.

[45]       L’intimé a transmis au plaignant trois déclarations écrites au sujet des évènements décrits aux chefs 1 et 2[12]. Dans le cadre de sa deuxième déclaration, alors que l’intimé est sous enquête depuis un peu plus de deux ans, l’intimé y affirme ce qui suit au sujet de la livraison du tabac décrite au chef 1[13] :

Je savais que mon client allait faire du temps, au moins 15 mois de prisons ou plus. Je me disais que si les règlements internes de la prison avait changer et bien qu’il briserait une règle interne de la prison sans trop de conséquence puisque que c’était pour sa consommation personnelle. La fumée secondaire est la raison pour laquelle le tabac est interdit dans les prisons c’est pour les employés de pénitenciers. En lui remettant le tabac je me disais que si c’est cette règle qu’il brise et que c’est pas si grave. Je ne pensais pas à la contre-bande du tout. Mon client m’a utilisé pour ses fins sinistres en quelques sortes.

                                                          [Reproduction intégrale]

[46]       Le Conseil souligne que cette déclaration de l’intimé ne vise que le tabac. Toutefois, il est clair pour le Conseil que l’intimé envisage, par sa livraison de tabac, la possibilité pour son client d’enfreindre une règle.

[47]       Or, le Conseil ne peut dissocier que le tabac et le cellulaire se retrouve dans la même enveloppe.

[48]       L’intimé savait que les téléphones cellulaires sont interdits. Les affiches sont éloquentes à ce sujet.

[49]       L’intimé a fait le choix de ne pas vérifier adéquatement et d’ignorer le contenu complet des enveloppes.

[50]       Face à la trame factuelle du présent dossier, le Conseil déclare que l’omission de l’intimé d’identifier dans une enveloppe ouverte un téléphone cellulaire alors qu’il constate du tabac et des documents démontre une intention blâmable de sa part.

[51]       L’intimé a manqué à son devoir de s’abstenir d’aider ou de faciliter une conduite qu’il sait ou devrait savoir illégale de la part du client.

[52]       Ce faisant, il a transgressé ses obligations déontologiques.

[53]       Le Conseil juge que le plaignant s’est déchargé de son fardeau de prouver les éléments essentiels du deuxième chef d’infraction porté contre l’intimé qui inclut la preuve d’une intention blâmable de sa part.

[54]       C’est pourquoi l’intimé est déclaré coupable, sous le chef 2, d’avoir contrevenu à l’article 14 du Code de déontologie des avocats.

[55]       L’intimé a déjà été déclaré coupable d’avoir contrevenu à l’article 59.2 du Code des professions sous ce même chef.

[56]       En application des règles découlant de l’arrêt Kienapple[14] de la Cour suprême du Canada qui interdit les condamnations multiples, une suspension conditionnelle des procédures sera prononcée quant au renvoi à l’article 59.2 du Code des professions.

V.           DÉCISION

EN CONSÉQUENCE, LE CONSEIL :

Le 12 décembre 2017

Sous le chef 1

[57]       A CONSTATÉ la condamnation de l’intimé à l’égard de l’infraction criminelle décrite au chef 1 de la plainte disciplinaire portée contre lui;

[58]       A DÉCLARÉ que l’infraction criminelle pour laquelle l’intimé a été déclaré coupable a un lien avec la profession d’avocat;

[59]       A DÉCIDÉ qu’il est à propos d’imposer une des sanctions prévues à l’article 156 du Code des professions pour le chef de la plainte.

ET CE JOUR :

Sous le chef 2

[60]       DÉCLARE l’intimé coupable de l’infraction fondée sur l’article 14 du Code de déontologie des avocats;

[61]       PRONONCE la suspension conditionnelle des procédures à l’égard de l’infraction fondée sur l’article 59.2 du Code des professions;

[62]       DEMANDE à la secrétaire du Conseil de discipline du Barreau du Québec de convoquer les parties à une audition sur sanction.

 

 

______________________________

Me JULIE CHARBONNEAU

Présidente

 

 

_______________________________

Me LOUISE BOUTIN

Membre

 

 

______________________________

Me ROBERT COX

Membre

 

Me Nicolas Bellemarre

Partie plaignante

Assisté de Me Corinne Denis Masse

 

Me Alex Blanchette

Partie intimée

 

Date d’audience :

12 décembre 2017

 


Barreau du Québec (syndic) c. Blanchette

2018 QCCDBQ 070

CONSEIL DE DISCIPLINE

BARREAU DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

06-17-03067

 

DATE :

3 août 2018

______________________________________________________________________

 

LE CONSEIL :

Me JULIE CHARBONNEAU

Présidente

Me LOUISE BOUTIN

Membre

Me ROBERT COX

Membre

______________________________________________________________________

 

Me NICOLAS BELLEMARE, en sa qualité de syndic adjoint du Barreau du Québec

Partie plaignante

c.

« Me » ALEX BLANCHETTE

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR SANCTION

______________________________________________________________________

VI.          INTRODUCTION

[1]          Le Conseil de discipline s’est réuni pour procéder à l’audition sur sanction dans le dossier impliquant Me Nicolas Bellemare, en sa qualité de syndic adjoint du Barreau du Québec contre l’intimé, « Me » Alex Blanchette, à titre d’intimé.

[2]           La plainte ayant été portée contre l’intimé est ainsi libellée :

3.  À Montréal, le 26 janvier 2017, dans le dossier de la Cour du Québec portant le numéro 500-01-126034-153, par jugement de Madame la juge Sylvie Durant, j.c.q. a été déclaré coupable de l’infraction criminelle suivant ayant un lien avec l’exercice de la profession d’avocat :

« CHEF 1 » : Le ou vers le 1er août 2015, à Montréal, district de Montréal, ont fait le transport, la livraison et la distribution et ont eu en leur possession en vue de vendre des produits du tabac commettant ainsi l’infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité prévue à l’article 121.1(1) et 4) b) du Code criminel.

Se rendant ainsi passible des sanctions prévues à l’article 156 du Code des professions, tel que prévu à l’article 149.1 de cette même loi;

4.  A Montréal, le 1er août 2015 a remis à son client, M. G.O. alors incarcéré à l’Établissement de détention de Montréal, un téléphone cellulaire alors qu’il s’agit d’un objet non autorisé à une personne incarcérée, contrevenant ainsi aux dispositions de l’article 14 du Code de déontologie des avocats et de l’article 59.2 du Code des professions;

Se rendant ainsi passible des sanctions prévues à l’article 156 du Code des professions;

[Reproduction intégrale]

[3]           Le 27 février 2018, par une décision sur culpabilité, le Conseil déclare qu’il est à propos qu’une sanction soit imposée à l’intimé au chef 1 et le déclare coupable sous les deux dispositions invoquées à titre de lien de rattachement lui étant reprochées au chef 2 soit les articles 14 du Code de déontologie des avocats[15] et 59.2 du Code des professions[16]. Toutefois, le Conseil ordonne la suspension conditionnelle des procédures à l’égard de l’article 59.2 du Code des professions.

[4]           Lors de l’audition sur sanction, les parties présentent des recommandations différentes quant aux sanctions à être imposées à l’intimé.

[5]           Le plaignant recommande l’imposition d’une période de radiation d’une durée de 6 à 12 mois sous le chef 1 et une période de radiation de 6 mois sur chef 2, à être purgée concurremment. Il demande que l’intimé soit condamné au paiement des déboursés et des frais de publication d’un avis de la présente décision.

[6]           L’intimé suggère qu’une réprimande lui soit imposée sur chacun des chefs. Au sujet des déboursés et des frais de publication d’un avis de la présente décision, il demande d’en être exonéré considérant qu’il a contribué à l’enquête du plaignant.

VII.         QUESTIONS EN LITIGE

A)   Quelles sont les sanctions justes et raisonnables à imposer à l’intimé eu égard aux circonstances du présent dossier?

B)   L’intimé doit-il être dispensé du paiement des déboursés et des frais de publication d’un avis de la présente décision, le cas échéant?

VIII.       CONTEXTE

i)             La preuve

[7]          L’intimé est membre du Barreau du Québec entre le 25 avril 2005 et le 27 avril 2018[17].

[8]          Le 17 juillet 2015, la conjointe de G. O. communique avec l’intimé puisque G.O. est à la recherche d'un nouvel avocat. G.O. est détenu pour des accusations en lien avec une possession de stupéfiants ainsi qu'une possession en vue de faire du trafic de stupéfiants.

[9]          L’intimé obtient le mandat de représenter G.O., notamment afin de présenter une requête en modification de conditions de remise en liberté devant la Cour supérieure du Québec, district de Beauharnois.  

[10]       Dans le contexte de ce mandat, entre le 17 et le 31 juillet 2015, l’intimé se rend au Centre de détention de Montréal à plusieurs reprises afin de rencontrer G.O.

[11]       Le 31 juillet 2015, G.O. le contacte pour lui demander d’apporter des enveloppes contenant certains documents se rapportant à sa conjointe. L’intimé accepte de donner suite à cette demande.

[12]       Cette remise de documents à G.O. est prévue le 1er août 2015.

[13]       Le 1er août 2015, peu de temps avant d’entrer au Centre de détention, un dénommé Patrick lui remet deux enveloppes. Ces enveloppes contiennent des documents, du tabac ainsi qu’une d’elles, un téléphone cellulaire.

[14]       L’intimé vérifie sommairement le contenu des enveloppes afin de s'assurer qu’elles ne contiennent pas de drogue ou autres substances illicites dans l’une d’entre elles.

[15]       Il ouvre les deux enveloppes. Il constate qu’elles contiennent des documents et du tabac. Il n’égrène pas le tabac ni ne vide les enveloppes. Il ne touche pas quelque chose de solide.

[16]       Il rencontre G.O. dans les parloirs réservés aux rencontres entre les avocats et leurs clients. Lors de cette rencontre, il lui remet les enveloppes qui contiennent outre les documents, du tabac ainsi qu'un téléphone cellulaire.

[17]       Au meilleur de la connaissance de l’intimé, le tabac ainsi que le téléphone cellulaire sont saisis sur G.O. immédiatement après la fin de sa rencontre avec lui.

[18]       Le 26 janvier 2017, par jugement de Madame la juge Sylvie Durand, J.C.Q., à la suite de son plaidoyer de culpabilité, l’intimé est déclaré coupable de l’infraction criminelle suivante ayant un lien avec l’exercice de la profession d’avocat : à savoir que le ou vers le 1er août 2015, l’intimé a fait le transport, la livraison et la distribution et a eu en sa possession, en vue de vendre, des produits du tabac commettant ainsi l’infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité prévue à l’article 121.1(1) et 4) b) du Code criminel[18]. Aucune accusation n’a été portée relativement au téléphone cellulaire.

[19]       Par son jugement sur la peine rendu le 10 mai 2017, l’honorable juge Durand mentionne que l’une des enveloppes remises par l’intimé à son client contient 581 grammes de tabac et un téléphone cellulaire[19].

[20]       Madame la juge Durand accorde à l’intimé une absolution inconditionnelle en retenant plusieurs facteurs atténuants dont que l’intimé subira fort probablement les conséquences de son geste devant les autorités du Barreau[20].

[21]       Lors de l’audition sur sanction, le plaignant fait entendre monsieur Jean-François Bougie, directeur de service d’un secteur à l’Établissement de détention de Montréal. M. Bougie fait état de son parcours professionnel.

[22]       M. Bougie explique les différents passages sécurisés que doit franchir un membre du Barreau avant de se rendre au parloir de l’établissement afin d’y rencontrer son client.

[23]       Lors de la première étape, il est demandé à l’avocat de déposer son cellulaire dans un casier à clé. Lors des différentes étapes, l’avocat peut être soumis à une fouille aléatoire. Toutefois, les porte-documents des avocats ne sont pas ouverts considérant leur caractère confidentiel. Lors de la dernière étape, l’avocat est avisé qu’aucun matériel informatique n’est permis dans la salle de rencontre.

[24]       L’usage du tabac dans l’établissement est interdit depuis 2014. Des affiches le rappelant sont placées en évidence pour tous. Les personnes incarcérées ont accès à des timbres de nicotine via le service de soins de santé.

[25]       M. Bougie témoigne des nombreuses façons dont s’effectue le trafic du tabac à l’intérieur des murs de l’établissement. Il estime qu’une personne incarcérée accepte de payer entre 1 000 $ et 1 500 $ pour une blague de tabac.

[26]       Les conséquences du trafic sont sérieuses. À titre d’exemple, une personne incarcérée peut accumuler rapidement une dette importante liée au tabac, ce qui la rend à risque pour une agression liée à son défaut de payer sa dette.

[27]       Afin d’éviter une agression, une personne endettée demande un statut de protection qui la met à l’écart de la population en général. Ce statut la prive de différents services, dont l’accès à l’école et aux possibilités d’effectuer un travail au sein de l’établissement. 

[28]       Le prix d’achat d’un téléphone cellulaire de type Samsung ou iPhone à l’intérieur des murs de l’établissement se situe entre 800 $ et 1200 $. Le prix d’un mini-cellulaire est plutôt entre 300 $ à 500 $.

[29]       Les cellulaires sont interdits à l’intérieur des murs de l’établissement. Il existe différents motifs pour lesquels un détenu pourrait souhaiter en posséder un. Il peut vouloir discuter avec des membres de sa famille sans les restrictions liées à l’utilisation des téléphones publics de l’établissement. L’utilisation d’un cellulaire peut également lui permettre de poursuivre, de l’intérieur des murs, ses activités de nature criminelle. Elle permet également l’utilisation de drones qui livrent des colis aux détenus directement sur les rebords d’une fenêtre.

[30]       L’intimé témoigne. Il déclare que le 1er août 2015, jour de l’infraction mentionnée au chef 1, il ignorait que le tabac est interdit dans l’établissement. Il n’est pas au courant de l’ensemble des règles de sécurité afférentes à l’établissement.

[31]       Il reconnaît qu’il a été négligent, qu’il aurait dû faire une recherche.

[32]       Il précise qu’à aucun moment, il n’a voulu mettre en danger la vie de détenus ou de gardiens. Il n’a pas pensé aux représailles possibles. Il le regrette amèrement.

[33]       Il souligne qu’il accepte des dossiers pro bono.

[34]       Il mentionne ne pas agir fréquemment dans des dossiers de stupéfiants. Selon lui, il faut redoubler de prudence avec ces clients.

[35]       Il est d’avis que les autorités carcérales ont fouillé son porte-document.

[36]       Il plaide qu’il a reconnu ses torts et qu’il n’a pas pensé aux conséquences du trafic du tabac.

[37]       À titre de gravité objective de l’infraction au premier chef, il propose le parallèle avec une personne qui fume dans un restaurant alors qu’elle n’a pas le droit.

[38]       Son dossier a fait l’objet d’une médiatisation notamment par l’internet. Les articles publiés ont un caractère permanent, nuisent à sa carrière et affectent sa réputation. Il souligne que la réputation d’un avocat compte pour beaucoup.

[39]       Il déclare qu’il a fait une erreur de jugement, qu’il ne réalisait pas l’impact de son geste. À aucun moment, il n’a voulu mettre la vie d’une personne en danger. « Il a été stupide. »

[40]       Depuis un certain temps, il a orienté sa carrière dans un domaine qui n’exige pas qu’il soit membre du Barreau. Il est notamment en attente de la présente décision avant de procéder à sa réinscription au tableau de l’Ordre.

ii)            Argumentation du plaignant

[41]       Il souhaite qu’un message clair soit transmis aux membres du Barreau indiquant que ce type de comportement n’est pas toléré.

[42]       Le plaignant admet que le Conseil est en présence d’un acte isolé, non longuement mûri, ni prémédité puisque l’enveloppe contenant le tabac et le cellulaire a été remise à l’intimé dans le stationnement de l’établissement.

[43]       Il rappelle les conséquences de l’introduction illégale de tabac et de cellulaires mises en preuve par le témoignage de M. Bougie.

[44]       Il concède que les deux chefs découlent « de la même aventure ».

[45]       Il réitère qu’il souhaite qu’un message clair et dissuasif résulte de la présente décision indiquant que les avocats ne peuvent tirer profit du privilège de ne pas être soumis à une fouille lors de leur accession à un établissement de détention.

[46]       Il remet des autorités au soutien de sa position tout en soulignant leur nombre restreint[21].

iii)           Argumentation de l’intimé

[47]       Il mentionne qu’il ne pouvait pas prévoir les conséquences possibles de son geste.

[48]       Il est d’avis que cela n’était pas très connu que le tabac est interdit dans les prisons.

[49]       Le présent dossier crée des conséquences pour sa carrière, dont la presque impossibilité d’accéder à la magistrature.

[50]       Il a contribué à l’enquête du plaignant et en conséquence, il demande d’être exonéré du paiement des déboursés et de frais.

IX.          ANALYSE

A)        Quelles sont les sanctions à imposer à l’intimé en tenant compte des circonstances propres à ce dossier?

i)             Les principes généraux en matière de sanction

[51]       La sanction vise non pas à punir le professionnel fautif, mais à assurer la protection du public. En outre, la sanction doit dissuader la récidive du professionnel et être un exemple pour les autres membres de la profession[22].

[52]       Le Conseil souligne les enseignements du juge Chamberland de la Cour d’appel dans Pigeon c. Daigneault[23] : « […]  il faut voir si le public est affecté par les gestes posés par le professionnel, si l'infraction retenue contre le professionnel a un lien avec l'exercice de la profession, […] ».

[53]       La protection du public est le premier critère à évaluer lors de l’imposition d’une sanction. Toutefois, « chaque cas est un cas d’espèce »[24].

[54]       Au sujet de la protection du public, le Tribunal des professions enseigne ce qui suit dans l’affaire Chevalier[25] :

[18] Le Tribunal note que le juge Chamberland a parlé « au premier chef » de la protection du public, puis la dissuasion du professionnel de récidiver, puis l'exemplarité à l'égard des autres membres de la profession et enfin le droit par le professionnel visé d'exercer sa profession. Ainsi, ce droit du professionnel ne vient qu'en quatrième lieu, après trois priorités.

[55]       La jurisprudence est constante concernant le fait que le rôle du Conseil de discipline, lorsqu’il impose une sanction, est d’assurer la protection du public. Ce critère englobe également celui de la perception du public[26].

[56]       La sanction est déterminée en proportion raisonnable de la gravité de la faute commise et elle doit atteindre les objectifs de protection du public, de dissuasion et d’exemplarité enseignés en jurisprudence.

[57]       Le Conseil doit aussi respecter le principe de l’individualisation de la sanction et soupeser l’ensemble des facteurs aggravants et atténuants, pertinents à la détermination de la sanction de chaque affaire.

ii)            Les facteurs objectifs

[58]       Sous le premier chef, l’intimé a reconnu que d’avoir fait le transport, la livraison, la distribution et être en possession en vue de vendre, des produits du tabac est une infraction criminelle qui a un lien avec l’exercice de la profession d’avocat.

[59]       Sous le second chef, il est déclaré coupable d’avoir remis à son client, alors incarcéré à l’Établissement de détention de Montréal, un téléphone cellulaire alors qu’il s’agit d’un objet non autorisé à une personne incarcérée. Il a plaidé coupable à l’une des dispositions invoquées à titre de lien de rattachement, soit d’avoir contrevenu à l’article 59.2 du Code des professions. Le Conseil l’a déclaré coupable d’avoir contrevenu à l’article 14 du Code de déontologie des avocats[27], rédigé ainsi :

14. L’avocat ne doit pas aider ou, par un encouragement ou un conseil, faciliter une conduite qu’il sait ou devrait savoir illégale ou frauduleuse de la part du client.

[60]       L’intimé a été reconnu coupable d’actes contraires à des dispositions régissant la profession d’avocat. Ces manquements minent la confiance du public à l’égard de cette profession.

[61]       L’intimé a déclaré lors de l’audition sur culpabilité qu’il savait qu’il serait fouillé à deux reprises et qu’il serait soumis à un arc de détection avant de rencontrer son client à l’établissement de détention. Lors de l’audition sur sanction, l’intimé maintient que les autorités ont fouillé son porte-document.

[62]       Le Conseil croit plutôt que l’intimé savait que son porte-documents ne serait pas fouillé grâce à son statut d’officier de justice.

[63]       L’intimé a plutôt utilisé ce statut à des fins illicites et a fait fi des règles applicables visant à assurer la sécurité de l’établissement, du personnel et des détenus.

[64]       De plus, ce statut d’officier oblige les avocats à collaborer avec l’administration de la justice et soutenir l’autorité des tribunaux. Or, non seulement l’intimé n’a pas collaboré à l’administration de la justice en omettant de respecter les règles en vigueur dans un établissement carcéral, mais il a jeté un discrédit sur le système de justice.

[65]       La gravité objective des manquements est élevée.

[66]       Le témoignage de M. Jean-François Bougie est éclairant quant à l’ensemble des risques potentiels qui pèsent à la fois sur la population carcérale, mais également sur les membres de la société civile présents dans les établissements de détention. Parmi celles-ci, le Conseil retient que les dettes de tabac peuvent engendrer une grande violence et exigent des mesures de sécurité supplémentaires pour des détenus.

[67]       À l’égard du cellulaire, les agissements de l’intimé permettent que des communications extérieures par les détenus aient lieu alors que celles-ci sont interdites en dehors de l’encadrement prévu à cet effet.

[68]       La sécurité de ces personnes a été mise à risque par le comportement de l’intimé. De plus, il a miné la confiance dont doivent jouir les avocats face aux autorités carcérales.

[69]       Il s’agit de conséquences qui reçoivent un poids important dans le cadre de la détermination de la sanction à imposer à l’intimé.

[70]       Dans le présent dossier, l’intimé a porté atteinte à la protection du public et il a ébranlé la confiance du public dans les instances judiciaires.

[71]       Ces facteurs qui précèdent appellent des sanctions qui reflètent la gravité objective des infractions et les autres facteurs analysés sous la présente rubrique.

iii)           Les facteurs subjectifs

[72]       Sous le premier chef, l’intimé a reconnu que l’infraction criminelle pour laquelle il a été déclaré coupable a un lien avec l’exercice de la profession d’avocat. Sous le deuxième chef, il a plaidé coupable à l’une des dispositions invoquées à titre de lien de rattachement au second chef, soit d’avoir contrevenu à l’article 59.2 du Code des professions. Le Conseil l’a déclaré coupable d’avoir contrevenu à l’article 14 du Code de déontologie des avocats.

[73]       Le Conseil tient compte de cette reconnaissance pour le chef 1 et du plaidoyer de l’intimé à une disposition sous le chef 2.

[74]       L’intimé n'a pas d’antécédent disciplinaire.

[75]       Le Conseil retient que lors de la journée qui a donné lieu aux infractions décrites à la plainte, l’intimé est affecté émotivement par son contexte familial.

[76]       Au moment des évènements, il est membre du Barreau depuis 10 ans. Cette expérience ne peut être qualifiée de circonstance atténuante. Elle appelait plus de vigilance de sa part.

[77]       L’insouciance de l’intimé face à la demande de son client est prouvée. Sur ce point, le Conseil reprend un passage de sa décision sur culpabilité : 

[45] L’intimé a transmis au plaignant trois déclarations écrites au sujet des évènements décrits aux chefs 1 et 2. Dans le cadre de sa deuxième déclaration, alors que l’intimé est sous enquête depuis un peu plus de deux ans, l’intimé y affirme ce qui suit au sujet de la livraison du tabac décrite au chef 1:

 

Je savais que mon client allait faire du temps, au moins 15 mois de prisons ou plus. Je me disais que si les règlements internes de la prison avait changer et bien qu’il briserait une règle interne de la prison sans trop de conséquence puisque que c’était pour sa consommation personnelle. La fumée secondaire est la raison pour laquelle le tabac est interdit dans les prisons c’est pour les employés de pénitenciers. En lui remettant le tabac je me disais que si c’est cette règle qu’il brise et que c’est pas si grave. Je ne pensais pas à la contre-bande du tout. Mon client m’a utilisé pour ses fins sinistres en quelques sortes.

[Reproduction intégrale]

[Références omises]

[78]       De plus, un risque de récidive est présent. L’intimé ne mesure toujours pas la portée réelle des gestes reprochés.

[79]       L’intimé, lors de l’audition sur sanction, à la suite du témoignage de M. Bougie, offre un parallèle entre l’interdiction de fumer dans un centre de détention et celle qui a cours dans les restaurants. L’intimé doit réaliser que l’infraction qui le concerne n’est pas de pouvoir permettre à son client de fumer à l’intérieur du centre, mais d’entrer illégalement du tabac dans le centre avec les conséquences qui en découlent. 

[80]       Considérant ce qui précède, il est difficile pour le Conseil de déclarer que l’intimé a manifesté un repentir sincère.

iv)          Les précédents

[81]       Dans le dossier Lepire[28], une avocate spécialisée en droit carcéral est reconnue coupable d’avoir introduit des stupéfiants à 17 reprises à l’intérieur de pénitenciers sur une période de six mois. Elle est condamnée à une peine de 32 mois d’emprisonnement. Le conseil de discipline du Barreau retient que l’intimée bénéficie de privilèges en sa qualité d’avocate dont elle s’est servie pour commettre les infractions reprochées. Son statut d’avocate lui permettait de ne pas être soumise à des fouilles lorsqu’elle rencontrait des détenus. Le conseil de discipline lui impose une radiation permanente.

[82]       Dans Fillion[29], cet avocat a eu en sa possession des sommes d’argent, sachant que tout ou partie d’entre elles ont été obtenues ou proviennent directement ou indirectement de la perpétration au Canada d’une infraction punissable sur acte d’accusation, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 355 a) du Code criminel. Il plaide coupable à cette infraction criminelle et se voit imposer une peine d’emprisonnement de deux ans moins un jour à purger dans la collectivité. Il se voit notamment imposer l’obligation de s’abstenir formellement d’exercer la profession d’avocat, notamment par une « interdiction de poser tout acte juridique quel qu’il soit, directement ou indirectement, et de s’identifier comme avocat ou accepter d’être identifié de cette façon », et ce, pendant la durée de sa peine d’emprisonnement.

[83]       Cette interdiction doit également se poursuivre pendant une période de probation de deux ans suivant la fin de la période d’emprisonnement. Le conseil de discipline n’entérine pas la recommandation conjointe des parties et impose une période de radiation de six ans.

[84]       Les précédents remis au Conseil présentent une fourchette assez grande.

[85]       Ainsi, dans Harbour, le conseil de discipline impose une période de radiation de trois mois à cette avocate pour avoir posé un acte dérogatoire à l’honneur et à la dignité de la profession d’avocat en convenant avec un tiers de transporter du Canada vers les États-Unis et de ne pas déclarer aux douanes américaines une somme de 995 400 $[30] en devises américaines qu’elle a effectivement transporté, alors que cette somme avait été dissimulée dans un compartiment secret de son véhicule automobile alors qu’elle savait ou avait des motifs de croire que ce qu’elle faisait était illégal, le tout contrairement à l’article 59.2 du Code des professions. Plusieurs circonstances atténuantes sont prises en considération par le conseil de discipline.

[86]       Finalement dans Naïm[31], le conseil de discipline impose une période de radiation de trois mois à cet avocat qui, à l’occasion de l’exécution d’une ordonnance d’injonction de type Anton Pilar, émise par l’honorable Israël S. Mass, J.C.S. a soustrait ou tenté de soustraire une preuve que lui-même avait l’obligation légale de conserver, de révéler ou de produire. Il avait été reconnu coupable d’avoir ainsi contrevenu à des articles du Code de déontologie des avocats et à l’article 59.2 du Code des professions.

v)            Décision sous les chefs 1 et 2

[87]       Quant à l’exemplarité à l’égard des autres membres de la profession, le Conseil partage la préoccupation du plaignant qu’un message clair et dissuasif doit être donné à l’effet que les avocats ne peuvent profiter du privilège de ne pas être soumis à une fouille lors de leur accession à certains édifices.

[88]       Ce volet d’exemplarité doit être reflété par les sanctions que le Conseil doit imposer. Il s’agit de l’un des objectifs reconnus dans le cadre de l’imposition d’une sanction en droit disciplinaire.

[89]       Pour les chefs à l’étude, cette notion d’exemplarité trouve son fondement dans la gravité de l’infraction et dans la nécessité d’assurer la protection du public.

[90]        Les sanctions à être imposées doivent être significatives afin d’avoir un caractère dissuasif. En effet, une sanction qui se veut généralement dissuasive est celle qui vise à décourager ou à empêcher les autres membres de la profession de se livrer aux mêmes gestes que ceux posés par l’intimé[32].

[91]       Le Conseil reprend les propos de la Cour d’appel : « Chaque cas est un cas d’espèce ».

[92]       Le Conseil, ayant soupesé l’ensemble des éléments discutés et les précédents remis, juge que chacun des chefs justifie l’imposition de la période de radiation de six mois, à purger concurremment.

[93]       Le Conseil est d’avis qu’il s’agit de sanctions qui reflètent les circonstances du dossier sous étude.

B)       L’intimé doit-il être dispensé du paiement des déboursés et des frais de publication d’un avis de la présente décision, le cas échéant?

[94]       L’intimé plaide sa collaboration à l’enquête du plaignant afin d’être soustrait au paiement des déboursés et du paiement d’un avis des frais de publication d’un avis de la présente décision.

[95]       Il ne s’agit pas d’un motif reconnu par la jurisprudence disciplinaire.

[96]       Le Conseil entend plutôt respecter la règle générale qui veut que la partie qui succombe doive les supporter[33].

[97]       En conséquence, l’intimé est condamné au paiement des déboursés conformément à l’article 151 du Code des professions, y compris les frais de publication d’un avis de la présente décision dans un journal circulant dans le lieu où l’intimé avait son domicile professionnel en vertu de l’article 156 du Code des professions.

X.           DÉCISION

POUR CES MOTIFS, LE CONSEIL :

[98]       IMPOSE sur le chef 1 une période de radiation de 6 mois;

[99]       IMPOSE sur le chef 2 une période de radiation de 6 mois;

[100]    ORDONNE que les périodes de radiation temporaire imposées à l’intimé soient purgées de façon concurrente;

[101]    ORDONNE à la secrétaire du Conseil de discipline du Barreau du Québec de publier un avis de la présente décision dans un journal circulant dans le lieu où l’intimé avait son domicile professionnel qu’au moment où la période de radiation deviendra exécutoire;

[102]    CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés conformément à l’article 151 du Code des professions et au paiement des frais de publication de l’avis mentionné ci-haut.

 

 

 

 

 

 

___________________________________

Me JULIE CHARBONNEAU

Présidente

 

 

 

 

____________________________________

Me LOUISE BOUTIN

Membre

 

 

 

 

___________________________________

Me ROBERT COX

Membre


 

Me Nicolas Bellemare

Partie plaignante

Assisté de Me Corinne Denis Masse

 

« Me » Alex Blanchette

Partie intimée

 

Date d’audience :

22 mai 2018

Date du délibéré :

5 juin 2018

 

 



[1]    Pièce P-1.

[2]    Pièces P-8 et P-9, dossier numéro 500-01-126034-153.

[3]    RLRQ c. B-1, r. 3.1.

[4]    Pièce P-2 à P-14.

[5]    Barreau du Québec (syndic adjoint) c. Ledoux, 2008 QCCDBQ 4; Bernard c. Lacombe, 2004 CanLII 72539 (QC CDBQ); Chantal Perreault, L’aveuglement volontaire et l’alter ego comme modes de commission d’une infraction déontologique, Développement récent en droit professionnel et disciplinaire (1999), vol. 122, Éditions Yvon Blais, service de la formation continue du Barreau du Québec.

[6]    Médecins (Ordre professionnel des) c. Bisson, 2009 CanLII 64188 (QC CDCM); 2016 QCCA 1078, Requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada rejetée 37197.

[7]    Tremblay c. Dionne, 2006 QCCA 1441 citée dans Cuggia c. Champagne, 2016 QCCA 1479.

[8]   Barreau du Québec (syndic adjoint) c. Jolicoeur, 2015 QCCDBQ 60 et Jolicoeur c. Avocats (Ordre professionnel des), 2017 QCTP 24.

[9]    Pièce SP-3

[10]   Pièce SP-6 en liasse.

[11]   Ibid.

[12]   Pièces P-7 en date du 11 novembre 2015, P-11 en date du 11 avril 2017 et P-13 en date du 25 mai 2017.

[13]   Pièce P-11.

[14]   Kienapple c. R., [1975] 1 RCS 729, 1974 CanLII 14 (CSC).

[15]    RLRQ c. B-1, r 3.1.

[16]    RLRQ c. C-26.

[17]    Pièce SP-1, transmise au Conseil le 5 juin 2018.

[18]    Pièce P-9.

[19]    Pièce P-12.

[20]    Ibid.

[21]    Bernard c. Harbour, 2005 CanLII 78818 (QC CDBQ); Barreau du Québec (syndic adjoint) c. Fillion, 2017 QCCDBQ 62; décision portée en appel devant le Tribunal des professions, 500-07-000974-174; Barreau du Québec (syndique adjointe) c. Naïm, 2013 QCCDBQ 53; Dumais c. Lepire, 2002 CanLII 61755 (QC CDBQ).

[22]    Pigeon c. Daigneault, 2003 CanLII, 32934 (QC CA).

[23]    Ibid.

[24]   Ibid.

[25]   Chevalier c. Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des), 2005 QCTP 137.

[26]   Salomon c. Comeau, 2001 CanLII 20328 (QC CA) et Choquette c. Avocats (Ordre professionnel des), 2012 QCTP 165.

[27]   RLRQ c. B-1, r 3.1.

[28]    Dumais c. Lepire, supra, note 7.

[29]    Barreau du Québec (syndic adjoint) c. Fillion, supra, note 7.

[30]    Bernard c. Harbour, supra, note 7.

[31]    Barreau du Québec (syndique adjointe) c. Naïm, supra, note 7.

[32]   Cartaway Resources Corp. (Re), [2004] 1 R.C.S., 672.

[33] Murphy c. Chambre de la sécurité financière, 2010 QCCA 1079; Dallaire c. Agronomes (Ordre professionnel des), 2016 QCTP 137; Infirmières et infirmiers auxiliaires c. Gavrilovic, 2016 CanLII 78381 (QC OIIA); Ergothérapeutes (Ordre professionnel des) c. Gagné, 2016 CanLII 22785 (QC EOQ); Infirmières et infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel des) c Harrazi, 2016 CanLII 79311 (QC OIIA); Infirmières et infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel des) c. Routhier, 2018 CanLII 8964 (QC OIIA).

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