Pomerleau c. Facebook inc. | 2022 QCCS 3090 |
COUR SUPÉRIEURE | |||
| |||
CANADA | |||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||
DISTRICT DE | QUÉBEC | ||
| |||
N° : | 200-17-033153-222 | ||
| |||
DATE : | |||
______________________________________________________________________ | |||
| |||
______________________________________________________________________ | |||
| |||
CARL POMERLEAU | |||
| |||
c. | |||
| |||
FACEBOOK INC. | |||
-et- | |||
| |||
INSTAGRAM INC. | |||
-et- | |||
| |||
| |||
Défenderesses | |||
| |||
| |||
JUGEMENT | |||
| |||
1. Contexte
[1] Le demandeur présente une demande introductive d’instance en injonction de type Norwich.
[2] Le 17 mai 2022, le demandeur s’est désisté de sa demande contre Meta Platforms, Inc. [anciennement connue sous le nom de « Facebook inc. ». Instagram est également propriété de Meta Platforms].
[3] La défenderesse Cloudflare inc. n’a pas répondu à la demande.
[4] Selon les allégations de la demande introductive, le ou vers le 23 septembre 2021, le demandeur constate que des propos diffamatoires sont publiés à son sujet sur le site web « dissonnom.ca »[1].
[5] Il allègue que selon l’outil Hexilion, « dissonnom.ca » serait hébergé par Cloudflare.
[6] Le demandeur a retenu les services d’enquête informatique de la firme S.I.R.C.O.
[7] Selon les allégations de la demande introductive d’instance, le demandeur n’est pas en mesure de déterminer l’identité des utilisateurs ayant publié les propos qu’il allègue diffamatoires.
[8] Le demandeur allègue plus spécifiquement :
« 12. Malgré les démarches, S.I.R.C.O. n’a également pas été en mesure de retracer les utilisateurs malveillants se cachant derrière « Dis son nom », tel qu’en fait état une copie du rapport préparé par l’enquêtrice Geneviève Chauvin, déposé au soutien des présentes sous la cote P-5.
[…]
18. […] S.I.R.C.O. nécessite les informations suivantes en vue d’obtenir une enquête.
En ce qui concerne Cloudflare :
- Adresse IP, date, heure et fuseau horaire des connections utilisées lors de la création du compte (Dis son nom);
- Adresse IP, date, heure et fuseau horaire des connections utilisées lors de la publication des propos diffamatoires à l’endroit de monsieur Pomerleau, en date du 19 mai 2021;
- Adresse IP, date, heure et fuseau horaire des connections utilisées lors d’activités récentes; »
[9] Les conclusions recherchées dans la demande d’injonction de type Norwich sont les suivantes :
« Ordonner aux défenderesses Facebook, Instagram et Cloudflare de communiquer au procureur soussigné du demandeur dans un délai de 10 jours à compter du jugement à intervenir, l’information requise permettant d’identifier les utilisateurs malveillants ayant publié les propos identifiés sur la page « Dis son nom », conformément au rapport de S.I.R.C.O., à savoir :
En ce qui concerne Cloudflare :
- Adresse IP, date, heure et fuseau horaire des connections utilisées lors de la création du compte (Dis son nom);
- Adresse IP, date, heure et fuseau horaire des connections utilisées lors de la publication des propos diffamatoires à l’endroit de monsieur Pomerleau, en date du 19 mai 2021;
- Adresse IP, date, heure et fuseau horaire des connections utilisées lors d’activités récentes; »
[10] Une des administratrices est déjà identifiée. Il s’agit de Delphine Bergeron[2].
[11] Dans une affaire semblable[3], la juge Katheryne A. Desfossés, j.c.s., a fait droit à la communication de la liste de tous les administrateurs des pages Facebook, Instagram et du site web Dis son nom ainsi que des dates respectives des retraits des administrateurs, le cas échéant.
[12] La juge écrit :
« [131] Les défenderesses n’ont proposé aucun motif de contestation sérieux quant à cette demande, autre que le fait que monsieur Marquis cherche à ajouter des parties défenderesses à son Action.
[132] Monsieur Marquis ne s’en cache pas, tel est effectivement l’un des objectifs visés par cette demande d’information. Son avocat ajoute que les difficultés à obtenir ces informations justifient d’autant plus la demande. Il rappelle que la présente instance a débuté par l’émission d’une ordonnance de type Norwich visant à forcer Facebook à lui communiquer l’identité des administrateurs de DSN.
[133] La demande de monsieur Marquis est pertinente et justifiée dans les circonstances. Il a droit aux informations demandées à cet égard. »
[13] Le 14 juin 2022, la Cour d’appel rejette l’appel du jugement de la juge Desfossés sur un point [la demande d’anonymat de l’appelante A.A] et refuse la permission d’appeler de l’ordonnance concernant un autre point [la transmission des dénonciations][4].
[14] Ceci dit, les critères d’émission d’une ordonnance d’injonction de type Norwich sont résumés dans l’arrêt Fers et Métaux américains, s.e.c. c. Picard[5] :
« (i) Whether the applicant has provided evidence sufficient to raise a valid, bona fide or reasonable claim;
(ii) Whether the applicant has established a relationship with the third party from whom the information is sought such that it establishes that the third party is somehow involved in the acts complained of;
(iii) Whether the third party is the only practicable source of the information available;
(iv) Whether the third party can be indemnified for costs to which the third party may be exposed because of the disclosure, some [authorities] refer to the associated expenses of complying with the orders, while others speak of damages; and
(v) Whether the interests of justice favour the obtaining of the disclosure. »
[15] Le premier critère est satisfait puisque « l’un des objectifs de l’ordonnance de type Norwich est de permettre au demandeur d’obtenir la preuve qui pourrait étayer un recours contre le tiers (connu ou inconnu)… »[6].
[16] Ici, à l’exception de Delphine Bergeron, monsieur Pomerleau a démontré qu’il ne connait pas l’identité des personnes contre qui il entend faire valoir ses droits[7]. Si les propos sont non fondés, Monsieur Pomerleau possède, à prime abord, un recours pour atteinte à la réputation.
[17] Le deuxième critère de l’ordonnance de type Norwich est également satisfait en regard de la défenderesse Cloudflare, qui héberge « Dis son nom »[8].
[18] Les éléments mentionnés au rapport de S.I.R.C.O. constituent les seuls éléments de preuve existants permettant d’identifier avec précision l’identité des utilisateurs.
[19] Le troisième critère est satisfait.
[20] En retenant la firme S.I.R.C.O., le demandeur a déployé les efforts raisonnables pour identifier les personnes qu’il prétend fautives.
[21] Devant le caractère incomplet de ses recherches, la firme S.I.R.C.O. a besoin de compléter son enquête en obtenant les informations que le demandeur recherche par le présent recours.
[22] Or, Cloudflare, qui héberge le site web « Dis son nom », est la seule source permettant d’identifier les « utilisateurs malveillants ».
[23] Les propos qualifiés de « diffamatoires » par le demandeur se retrouvent chez la défenderesse Cloudflare.
[24] Le quatrième critère est satisfait.
[25] Dans sa demande introductive d’instance, appuyée de sa déclaration sous serment, le demandeur allègue :
« 32. Le demandeur s’engage également à indemniser […] Cloudflare pour les frais de recherche auxquels [elle peut] faire face en raison de la divulgation de l’information recherchée; »
[26] Le cinquième critère est satisfait.
[27] Le demandeur allègue l’atteinte à sa réputation, à sa dignité et à son honneur[9].
[28] Il déclare son intention d’entreprendre « une action en justice en vue de faire valoir ses droits et défendre ses droits fondamentaux »[10] contre les personnes qui ne peuvent être identifiées que par les informations exigées par la firme d’enquête S.I.R.C.O.
[29] L’ordonnance recherchée permettra de connaître l’identité des personnes que le demandeur prétend fautives de manière simple et efficace.
[30] Ainsi :
« Le droit de la partie demanderesse d’obtenir l’identité du fautif inconnu, afin de prendre action contre ce dernier, doit outrepasser l’intérêt [par exemple, les politiques de protection des renseignements de données et d’informations personnelles détenues par Cloudflare] soulevé par la partie de qui l’on veut obtenir l’information inconnue. »[11]
[31] Le Tribunal estime que les critères de l’ordonnance d’injonction de type Norwich sont satisfaits en l’espèce.
[32] Le demandeur a démontré qu’il est nécessaire que l’ordonnance soit émise afin qu’il puisse connaître le ou les auteurs du préjudice qu’il prétend avoir subi.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[33] ORDONNE à la défenderesse Cloudflare inc. de communiquer aux avocats du demandeur, dans un délai de 30 jours de la signification de ce jugement, l’information requise permettant d’identifier les utilisateurs malveillants ayant publié les propos identifiés sur la page « Dis son nom », conformément au rapport de S.I.R.C.O., à savoir :
- Adresse IP, date, heure et fuseau horaire des connections utilisées lors de la création du compte (Dis son nom);
- Adresse IP, date, heure et fuseau horaire des connections utilisées lors de la publication des propos diffamatoires à l’endroit de monsieur Pomerleau, en date du 19 mai 2021;
- Adresse IP, date, heure et fuseau horaire des connections utilisées lors d’activités récentes;
[34] AUTORISE le demandeur à utiliser les informations transmises en vertu de ce jugement dans un recours judiciaire éventuel;
[35] PREND ACTE de l’engagement du demandeur d’indemniser la défenderesse Cloudflare inc. pour les frais de recherche et ORDONNE au demandeur de se conformer à cet engagement;
[36] Avec frais de justice.
| |
| __________________________________ SUZANNE OUELLET, j.c.s. |
|
|
Me Claude St-Hilaire Quessy Henry St-Hilaire Avocats du demandeur qhs_cs@globetrotter.net | |
| |
Me Lana Rackovic Langlois Avocats Avocats de la défenderesse Meta Platforms, Inc. lana.rackovic@langlois.ca | |
| |
Cloudflare Non représentée Défenderesse | |
| |
Date d’audience : 27 avril 2022, délibéré le 17 mai 2022 |
[1] Capture d’écran, pièce P-4.
[2] Pièce M-1.
[3] Marquis c. Doe, 2021 QCCS 657.
[4] 2022 QCCA 841.
[5] 2013 QCCA 2255, repris dans Groupe de sécurité Garda inc. c. Snyder, 2016 QCCA 1181, par. 12.
[6] Mathieu PICHÉ-MESSIER et Anaïs BUSSIÈRES MCNICOLL, « Développements récents en matière de propriété intellectuelle dans le cadre des ordonnances de type Anton Piller, Mareva et Norwich », dans Développements récents en droit de la propriété intellectuelle, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2019, p. 89, à la page 129.
[7] Demande introductive d’instance, par. 24, 25, appuyée de la déclaration sous serment du demandeur du 13 janvier 2022.
[8] Pièce P-5, p. 6-8.
[9] Demande introductive d’instance, par. 9, 24.
[10] Id., par. 20, 33.
[11] M. PICHÉ-MESSIER et A. BUSSIÈRES MCNICOLL, précité, note 6, p. 131.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.