JN 0334 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
TERREBONNE |
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N° : |
700-53-000017-149 |
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DATE : |
2 février 2017 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
YVAN NOLET |
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AVEC L'ASSISTANCE DES ASSESSEURS : |
Me Pierre Angers, avocat à la retraite Me Sabine Michaud |
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Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, agissant en faveur de A.A. |
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Partie demanderesse |
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c. |
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CENTRE intégré de santé et de services sociaux des laurentides, anciennement le centre de santé et de services sociaux de thérèse-de-blainville |
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Parties défenderesse |
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et |
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A.A. |
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Partie victime
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JUGEMENT RECTIFICATIF |
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[1] CONSIDÉRANT l’article 338 du Code de procédure civile;
[2] CONSIDÉRANT qu’il y a lieu de corriger d’office le paragraphe 187 afin de retirer les mots « en fidéicommis » apparaissant à la cinquième ligne de ce paragraphe au jugement rendu le 16 janvier 2017 par le juge soussigné;
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[3] CORRIGE le paragraphe 187 du jugement rendu le 16 janvier 2017 afin qu’il se lise comme suit :
« [187] CONDAMNE le Centre intégré de santé et de services sociaux des Laurentides à payer la somme de 4 000 $ à A.A. à titre de dommages moraux, avec les intérêts et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter du 12 septembre 2014, date de la signification de la proposition des mesures de redressement. Cette somme sera versée au compte de la Commission qui devra remettre celle-ci à la personne identifiée comme étant A.A. dès que le présent jugement sera exécutoire; »
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__________________________________ YVAN NOLET, Juge au Tribunal des droits de la personne |
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Me Stéphanie Fournier |
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BOIES DRAPEAU BOURDEAU |
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Pour la partie demanderesse |
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Me Alexandra Doyon |
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Me Anne-Marie Bertrand |
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Monette Barakett, s.e.n.c. |
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Pour les parties défenderesses
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Date d’audience : |
Les 27 et 28 avril 2016 |
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Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (A.A.) c. Centre intégré de santé et de services sociaux des Laurentides (Centre de santé et de services sociaux de Thérèse-de-Blainville) |
2017 QCTDP 2 |
JN 0334 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
TERREBONNE |
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N° : |
700-53-000017-149 |
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DATE : |
16 janvier 2017 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
yvAn nolet |
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AVEC L'ASSISTANCE DES ASSESSEURS : |
Me Pierre Angers, avocat à la retraite Me Sabine Michaud |
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COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITS DE LA JEUNESSE, agissant en faveur de A.A.[1] |
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Partie demanderesse |
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c. |
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centre intégré de santé et de services sociaux des laurentides, anciennement le centre de santé et de services sociaux de thérèse-de-blainville |
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Partie défenderesse et A.A. Partie victime et plaignante |
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JUGEMENT |
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[1] En début d’audience, la Commission a demandé à ce que la partie plaignante[2] soit identifiée au présent jugement sous le vocable A.A. Considérant l’article 121 de la Charte des droits et libertés de la personne[3] (Charte) et les informations confidentielles dévoilées par A.A. dans le questionnaire médical pré-affectation[4] (Questionnaire médical) dont il sera question ci-après, il y a lieu de faire droit à cette demande afin d’assurer à A.A. le respect de sa vie privée.
[2] De plus, les parties ont admis qu'avant le 1er avril 2015, le Centre de santé et de services sociaux de Saint-Jérôme (CSSS Saint-Jérôme) et celui de Thérèse-de-Blainville (CSSS Thérèse-de-Blainville) constituaient deux entités administratives distinctes. Depuis cette date, ces Centres ont été, avec d'autres établissements de santé publics de la région, fusionnés et forment le Centre intégré de santé et de services sociaux des Laurentides (CISSS)[5].
[3] Pour faciliter la compréhension de la chronologie des faits relatés par les témoins, le CSSS St-Jérôme et celui de Thérèse-de-Blainville seront décrits sous leur ancienne dénomination sociale. Toutefois, l’analyse réfèrera seulement au CISSS.
[4] La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Commission) allègue que le Questionnaire médical complété par A.A. pour un poste de psychologue est discriminatoire au sens des articles 10 et 18.1 de la Charte, car il n’est pas fondé sur les aptitudes ou qualités requises pour cet emploi. Elle soutient que le CISSS a, par la même occasion, porté atteinte de façon discriminatoire aux droits au respect de la vie privée et à la sauvegarde de la dignité de A.A. de façon contraire aux articles 4, 5 et 10 de la Charte.
[5] La Commission requiert que le Tribunal ordonne au CISSS de réviser son Questionnaire médical afin de le rendre conforme à l’article 18.1 de la Charte et à ce qu’il ne soit exigé d’un postulant qu’après qu’une offre d’emploi conditionnelle lui soit présentée par le CISSS.
[6] Les montants des dommages réclamés au CISSS par la Commission en faveur de A.A. sont de 8 000 $ à titre de dommages moraux et de 10 000 $ à titre de dommages punitifs.
[7] Pour sa part, le CISSS a informé le Tribunal, dans une lettre de ses procureurs datée du 18 avril 2016, qu’il admet que le Questionnaire médical auquel a répondu A.A. le 15 octobre 2012 est, dans le cas précis du présent dossier, discriminatoire et contrevient aux dispositions de la Charte, incluant les articles 18.1, 4, 5 et 10 de celle-ci, en regard du poste de psychologue.
[8] Cette admission a été réitérée le premier jour de l’audience par sa procureure et consignée au procès-verbal. Le CISSS a précisé que l'admission concerne l'ensemble du document et non chacune des questions prises individuellement, considérant que le Questionnaire médical constitue un tout.
[9] Le CISSS conteste toutefois le montant des dommages moraux réclamés par la Commission en faveur de A.A. Il nie de plus formellement que l’atteinte aux droits fondamentaux précités ait constitué une atteinte intentionnelle donnant ouverture aux dommages punitifs réclamés.
[10] Enfin, par une demande de modification de ses conclusions formulée avant que ne débutent les représentations de sa procureure, la Commission requiert que le Tribunal ordonne au CISSS de ne plus conserver, ni utiliser les questionnaires médicaux pré-affectation qu’il reconnaît avoir obtenus en violation des droits des employés énoncés aux articles 4, 5, 10 et 18.1 de la Charte et de s’en départir dans les 60 jours du jugement à être rendu, de manière sécuritaire.
[11] Cette demande ayant pris par surprise le CISSS, celui-ci a obtenu jusqu’au 13 mai 2016 afin de transmettre au Tribunal sa contestation écrite concernant cette demande. La Commission a eu, pour sa part, jusqu'au 27 mai 2016 afin de transmettre ses commentaires, suivis de la réplique du CISSS le 3 juin 2016. La cause a ainsi été prise en délibéré le 3 juin 2016.
[12] Le CISSS considère que la demande de modification est tardive et qu’elle constitue une demande entièrement nouvelle. Il ajoute qu'elle est contraire aux intérêts de la justice surtout que la preuve effectuée en l’instance ne permet pas au Tribunal de statuer sur la modification demandée. Il en demande donc le rejet.
I. Les faits
[13] Le CSSS Thérèse-de-Blainville[6] est un établissement public offrant divers services de santé ainsi que des services sociaux et psychosociaux aux populations desservies.
[14] Au moment des faits en litige, toutes les personnes qui présentaient leur candidature pour un poste et qui étaient convoquées en entrevue devaient compléter un formulaire général d’information de même que le Questionnaire médical.
[15] Depuis 2014, seules les personnes embauchées remplissent désormais un tel questionnaire. Toutefois, si un candidat vient de l’extérieur de la région, il peut lui être demandé de compléter le nouveau questionnaire avant d’être embauché le tout, afin de lui éviter un second déplacement.
[16] A.A. est psychologue depuis 2007. Elle travaille sur une base permanente en tant que psychologue au CSSS St-Jérôme, poste qu'elle occupe depuis 2009[7]. Elle travaille aussi en pratique privée depuis 2013.
[17] Le 15 octobre 2012, A.A. se présente au CSSS Thérèse-de-Blainville pour une entrevue d'embauche pour occuper un poste de psychologue en santé mentale auprès d’adultes[8]. Il s'agit d'un poste temporaire.
[18] Le processus de sélection se déroule en trois étapes. Tout d’abord, elle complète un formulaire général d’information ainsi que le Questionnaire médical, les membres du comité de sélection la rencontrent ensuite et, en dernier lieu, elle rencontre un infirmier qui révise le Questionnaire médical et émet ses recommandations sur son aptitude à l’emploi.
[19] A.A. est accueillie par madame Marie-Josée Denis qui est l’une des membres du comité de sélection. Celle-ci la dirige vers une petite salle afin de compléter, dans un certain délai, un formulaire comportant des questions d'ordre général sur son travail et le Questionnaire médical[9].
[20] Le Questionnaire médical a huit pages et contient des questions d'identification, et d’autres sur ses habitudes de vie, ses antécédents occupationnels ainsi que ses antécédents médicaux et son état de santé.
[21] Au tout début du Questionnaire médical, on retrouve une mise en garde qui se lit comme suit :
IMPORTANT - À LIRE AVANT DE REMPLIR CE QUESTIONNAIRE
Ce questionnaire médical pré-affectation a pour but de s'assurer que votre état de santé est compatible d'une part, avec les exigences de l'emploi postulé et d'autre part, avec une prestation normale de travail. Les procédures d'embauche ne pourront être satisfaites que si vous avez répondu adéquatement à toutes les questions du formulaire.
Rappelez-vous que toute fausse déclaration ou omission de votre part pourrait entraîner des mesures pouvant aller jusqu'à l'annulation de votre contrat individuel de travail (congédiement) de la part de l'employeur.
[22] A.A. éprouve un choc lorsqu’elle prend connaissance du Questionnaire médical. Elle est particulièrement stupéfaite par le caractère intrusif de certaines questions qui, en plus de faire une revue complète de l'ensemble des systèmes physiologiques du corps humain et de ses antécédents de santé, ne sont aucunement circonscrites dans le temps.
[23] Elle ne comprend pas pourquoi elle doit répondre à toutes ces questions qui sont très peu en relation avec l’emploi postulé. Elle cherche un lien entre plusieurs de ces questions et le poste de psychologue et n’en voit pas. Elle éprouve le sentiment qu'il n'y a pas de limite aux informations qu'on peut lui demander de transmettre concernant sa vie privée, sa santé mentale et médicale. Bref, elle ne se sent pas respectée.
[24] A.A. est partagée quant à l’attitude à adopter : d’une part, elle souhaite obtenir l'emploi et sait bien qu’il lui serait préjudiciable de ne pas compléter le Questionnaire médical[10] compte tenu de la mise en garde relative à son caractère obligatoire qui figure dans son entête; d’autre part, elle considère abusives plusieurs des questions qui lui sont posées. Elle choisit, malgré ses sentiments d'indignation et de révolte, de le compléter et y dévoile notamment un problème de « tachycardie jonctionnelle de l'enfant » pour lequel elle a dû subir une opération en 1993. Elle révèle aussi une hospitalisation suite à un événement personnel en 2011.
[25] Une fois le temps alloué écoulé, elle participe à un entretien d'environ une heure avec le comité responsable du recrutement qui est composé de madame Denis et de deux psychologues. Durant cet entretien, A.A. ne fait pas allusion au Questionnaire médical qu'elle vient de compléter.
[26] Une fois l'entrevue terminée, elle apprend avec étonnement qu'elle doit en plus, rencontrer un infirmier, monsieur Martin Beaudry[11].
[27] Monsieur Beaudry est membre de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec et détient un baccalauréat par cumul de certificats de l'Université de Montréal[12]. À l'époque, il est agent de gestion du personnel au service de santé et sécurité au travail du CSSS Thérèse-de-Blainville où il a travaillé de 2011 à 2015.
[28] À titre d’agent de gestion, monsieur Beaudry est responsable d'évaluer les réponses au Questionnaire médical, de clarifier certains points avec les postulants puis d'émettre, à l'attention du service de recrutement, des recommandations sur l'aptitude à l'emploi. Celles-ci sont transmises dans un formulaire intitulé « Rapport d'évaluation médicale »[13]. Il confirme rencontrer en moyenne 300 postulants par année dans le cadre du recrutement pour combler différents postes et témoigne que chaque entrevue dure environ de 5 à 10 minutes.
[29] Le Questionnaire médical lui donne un portrait de l'état de santé général du postulant. Avec l'entrevue complémentaire, les réponses au Questionnaire médical lui permettent de savoir si le postulant a les qualités requises et est bien apte et disponible à occuper l'emploi.
[30] Pour le poste de psychologue, il doit notamment s'assurer que la personne ne présente aucune « fragilité sur le plan psychologique » susceptible d'affecter sa capacité à venir en aide de manière « sûre et sécuritaire » à la clientèle qu'elle devra accompagner.
[31] Monsieur Beaudry mentionne qu’exception faite de sa formation d’infirmier et de celle en santé et sécurité au travail, il n'a jamais bénéficié de formation particulière ou de lignes directrices de la part de son employeur sur la manière d'effectuer l'évaluation des questionnaires médicaux pré-emploi. Il mentionne jouir d'une large discrétion à ce sujet.
[32] Lors de sa rencontre avec monsieur Beaudry, A.A. lui demande s'il est au courant du caractère illégal du Questionnaire médical. L'infirmier lui répond qu'il s'agit de la procédure habituelle pour évaluer l'aptitude des personnes candidates à occuper le poste. Il l'informe également qu'elle a le droit de refuser de répondre à ses questions. À l’audience, il ajoute qu'un tel refus n'aurait eu aucun impact sur la candidature de A.A. Ce refus aurait néanmoins été communiqué aux membres du comité de recrutement.
[33] A.A. trouve l'attitude de l'infirmier « correcte », mais elle n'est pas vraiment satisfaite de la réponse fournie. Elle lui réitère son inconfort face au Questionnaire médical.
[34] À la suite d’une petite discussion sur ce malaise, monsieur Beaudry va de l'avant avec l'entrevue et révise, avec A.A., ses réponses au Questionnaire médical. Plus spécifiquement, il veut savoir si elle est toujours sous traitement ou encore en arrêt de travail. Il lui demande également si elle a connu, par le passé, des périodes d'arrêt de travail.
[35] A.A. fournit alors les précisions requises sur ses antécédents de tachycardie en 1993, son hospitalisation en 2011 pour un événement personnel et le fait qu'elle ait déjà consulté un psychologue pour des problèmes d'anxiété.
[36] L'infirmier ne la questionne pas sur les sources de l'épisode d'anxiété. Il confirme utiliser, comme à son habitude, un ton courtois et poli avec A.A. Par ailleurs, il mentionne que c'est la seule fois en carrière où il a été confronté à ce type de plainte en regard du Questionnaire médical.
[37] A.A. ajoute avoir conservé un souvenir peu précis de cette rencontre avec monsieur Beaudry qui n'a duré qu'une quinzaine de minutes. Le comité l'informe qu'elle recevra des nouvelles de sa demande d’embauche d'ici la fin de la semaine.
[38] A.A. quitte le CSSS Thérèse-de-Blainville avec un sentiment de malaise empreint de déception, de gêne, de confusion et d’humiliation. Elle se sent également abattue et a le sentiment de ne pas avoir bien « performé ». Elle dira au procès qu'elle était déjà en train de renoncer au poste à ce moment-là, malgré les avantages que ce dernier représentait pour elle[14]. Une fois chez elle, elle partage ses sentiments avec son conjoint.
[39] L’infirmier, de son côté, conclut que A.A. est apte à occuper le poste de psychologue[15]. Il indique notamment dans son rapport : «Problème de tachycardie résolu» et «Consultation avec un psychologue pour un problème d'anxiété; aucun arrêt de travail»[16]. Le rapport réfère également aux remarques de A.A. qui considère illégal le Questionnaire médical.
[40] A.A. demeure sans nouvelles du comité de recrutement une semaine après la première entrevue. Elle est alors sous l’impression que sa candidature n'a pas été retenue pour le poste. Environ deux semaines plus tard, elle est convoquée à une seconde entrevue.
[41] Comme le poste convoité ressemble, à beaucoup d’égards, au poste qu'elle occupe à Saint-Jérôme, A.A. s'étonne de la nécessité d'une seconde entrevue. Elle se demande si son commentaire fait à l'infirmier sur l'illégalité du Questionnaire médical n'est pas la raison de la tenue d'une deuxième entrevue.
[42] Finalement, pour des raisons liées à l'adaptation à une nouvelle équipe et au malaise ressenti lors de la première entrevue, elle se désiste du processus et choisit de ne pas donner suite à la deuxième convocation. A.A. décide plutôt de discuter avec le CSSS Saint-Jérôme concernant la possibilité d'y travailler à temps partiel.
[43] Malgré son désistement volontaire du processus d'embauche, A.A. a le sentiment d'avoir « perdu » le poste au CSSS Thérèse-de-Blainville, poste qui l'intéressait et présentait pour elle de nombreux avantages.
[44] A.A. affirme que c’est la peur qui l’a forcée à ne pas donner suite à cette convocation à une deuxième entrevue. Elle a craint que si le poste lui était offert, son nouvel employeur puisse lui formuler des demandes contraires à ses valeurs ou encore qu'elle soit continuellement forcée de se positionner face à des exigences ou décisions illégales de celui-ci. Elle se demande aussi si ses futurs collègues seront informés, d'une manière ou d'une autre, des informations contenues dans le Questionnaire médical.
[45] A.A. reconnaît par ailleurs, avoir déjà rempli le même questionnaire en 2009[17] pour le poste de psychologue qu’elle occupe au CSSS de Saint-Jérôme. Elle ajoute avoir aussi rempli ce type de formulaire pour d'autres postes à l'intérieur du réseau de la santé en 2009[18]. Elle explique qu'à l’époque, elle n'avait pas porté plainte croyant que « c'était la norme » et qu'elle devait s'y résigner.
[46] Comme il s'agit d'organismes publics, elle a toujours présumé de la légalité du processus. Elle déclare qu'elle ne savait pas, à ce moment, qu'il était illégal de soumettre des candidats et des candidates à ce type de questionnaire pré-embauche[19].
[47] Pour sa part, monsieur Beaudry admet en contre-interrogatoire, qu'en dehors des questions portant sur le système psychique, la majorité des questions contenues dans le Questionnaire médical utilisé en 2012 ne sont pas vraiment pertinentes pour le poste de psychologue. Selon lui, le Questionnaire médical ne ciblait pas, à l'époque, de manière spécifique, les qualités et exigences requises pour ce poste[20].
[48] Deux mois après l'entrevue, soit en décembre 2012, A.A. contacte la Commission par courriel, pour déposer une plainte[21]. Elle indique qu’elle ne voulait pas agir sous le coup de l'émotion, mais que malgré le temps qui passe, elle a toujours cet événement à l'esprit. C’est pourquoi elle décide de porter plainte à la Commission.
[49] Questionnée sur la raison pour laquelle elle ne requiert pas de compensation financière dans le formulaire de plainte de la Commission signé en février 2013[22], A.A. répond qu'elle ne pensait pas pouvoir obtenir quelque chose à ce moment-là. De plus, elle ne voulait pas qu'on lui prête une intention pécuniaire. Elle dira cependant s'être sentie humiliée à chaque fois qu'elle revoit le Questionnaire médical au cours de l'enquête. Sans être de l'ordre du stress post-traumatique, « c'était quelque chose de présent », déclare-t-elle.
[50] Concernant la question de la protection de la confidentialité des renseignements contenus dans les questionnaires médicaux complétés par les postulants, monsieur Beaudry affirme qu'à la suite de l'entretien avec ces personnes, les questionnaires sont transmis au service des ressources humaines avec le rapport d'évaluation médicale contenant ses recommandations. Le Questionnaire médical est alors placé dans une enveloppe cachetée. Si la personne est embauchée, le tout lui est retourné pour l'ouverture du dossier par le service de santé et sécurité. Le Questionnaire médical est ensuite conservé, non cacheté, mais de manière confidentielle, par ce service[23].
[51] Toutes les informations médicales relatives à l'employé sont conservées dans ce dossier. Monsieur Beaudry reconnaît en contre-interrogatoire que l'employeur pourrait s'y référer en cas de demande pour lésion professionnelle.
[52] Les questionnaires médicaux complétés par les candidats non retenus sont détruits. Selon monsieur Beaudry, le document est conservé au dossier pendant une période de deux ans avant sa destruction. Madame Boucher[24] affirme, pour sa part, qu'il est déchiqueté de manière contemporaine au processus de recrutement.
[53] Selon monsieur Beaudry, malgré la fusion des CSSS de la région des Laurentides en 2015, A.A. devrait avoir deux dossiers : un dossier au bureau de Saint-Jérôme où elle est employée et l’autre au bureau de Thérèse-de-Blainville.
[54] Madame Boucher confirme que malgré la fusion, les questionnaires médicaux ne voyagent pas d'un centre à l'autre. Selon elle, ce n'est qu'à la suite d'une demande faite par un procureur que le questionnaire médical complété par A.A. en 2009 pour le CSSS Saint-Jérôme, a été transmis au CSSS Thérèse-de-Blainville.
II. LA POSITION DES PARTIES
[55] La Commission fait valoir que le CISSS a compromis le droit de A.A. à un processus d'embauche exempt de discrimination en lui administrant un Questionnaire médical requérant de sa part des informations relatives à son âge et à son état de santé qui n'étaient pas utiles pour évaluer ses aptitudes ou qualités requises pour le poste de psychologue qu'elle convoitait.
[56] Elle soutient également que le Questionnaire médical utilisé par le CSSS Thérèse-de-Blainville au moment des événements a porté atteinte, de manière discriminatoire, au droit au respect de la vie privée et au droit à la sauvegarde de la dignité de A.A. par son caractère intrusif injustifié.
[57] Selon la Commission, l’utilisation du Questionnaire médical par le CSSS Thérèse-de-Blainville constitue de la discrimination systémique à l’embauche à l’égard des personnes handicapées ou perçues comme telles puisqu’il est conçu, orienté et utilisé pour cibler les candidats que l’on présume à risque d’absentéisme ou d’invalidité afin de les écarter du processus de sélection.
[58] Ainsi, indépendamment de l'admission du CISSS concernant la contravention du Questionnaire médical à des dispositions de la Charte, la Commission fait valoir que le Questionnaire médical rempli par A.A. était discriminatoire. Ceci étant, il y a, selon elle, une preuve prima facie de discrimination en l'espèce.
[59] En pareil cas, la Commission soutient qu’il revient alors à l’employeur de justifier sa conduite et de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que les renseignements demandés sont fondés sur les aptitudes ou qualités requises par l'emploi.
[60] Selon la Commission, les deux objectifs du Questionnaire médical utilisé par la défenderesse étaient les suivants :
60.1. s’assurer que l’état de santé du candidat est compatible avec les exigences de l’emploi de psychologue;
60.2. s’assurer que l’état de santé du candidat est compatible avec une prestation normale de travail.
[61] Elle demande par conséquent au Tribunal de faire un parallèle entre ces objectifs et les questions du Questionnaire médical et d’en conclure que celles-ci ne sont pas reliées aux motifs précités et entraînent par conséquent une violation discriminatoire aux droits de A.A.
[62] La Commission est également d’avis que nonobstant l’admission faite par le CISSS en regard de la non-conformité du contenu général du Questionnaire médical avec les articles 4, 5, 10 et 18.1 de la Charte, le Tribunal doit, dans l’intérêt public, faire l’analyse dudit Questionnaire médical et établir pour le bénéfice des employeurs qui ont à utiliser de tels outils, en quoi il n’est pas conforme et les balises à respecter pour le rendre conforme.
[63] En ce qui a trait à l’octroi des dommages moraux réclamés de 8 000 $, la Commission estime que ce montant est plus que raisonnable dans les circonstances et qu’ordonner le versement d'un montant moindre serait de nature à banaliser la protection offerte par la Charte. La Commission soutient que les candidats ne devraient pas avoir à choisir entre obtenir un emploi et la reconnaissance de leurs droits.
[64] Quant aux dommages punitifs réclamés, la Commission fait valoir qu’on ne peut douter du caractère intentionnel de l’atteinte puisque A.A. a indiqué son malaise et souligné le caractère illégal de ce questionnaire. Dans les circonstances, le CISSS ne pouvait ignorer les conséquences de ses actions ni l’impact de ce Questionnaire médical sur A.A.
[65] Enfin, la Commission ajoute que même si un nouveau questionnaire a été adopté par le CISSS en octobre 2014, soit après les événements, cela n’a aucune incidence sur l’importance d’accorder des dommages punitifs afin de dissuader la répétition d’atteintes à des droits fondamentaux.
[66] Pour sa part, le CISSS admet que le Questionnaire médical administré à A.A. en octobre 2012, dans le cadre de la sélection d’un candidat pour un poste de psychologue, n’était pas conforme aux dispositions de la Charte. Il confirme qu’il contrevenait effectivement à l’article 18.1 de la Charte, de même qu’aux articles 4, 5 et 10.
[67] Il fait valoir que son admission a pour effet qu’il n’est plus nécessaire d’effectuer le débat sur le caractère discriminatoire du Questionnaire médical de sorte que l’audition ne devrait porter que sur les dommages moraux et punitifs réclamés.
[68] Il ajoute que faire une preuve de discrimination dans le contexte de l’admission de non-conformité du Questionnaire médical rempli par A.A. n’est pas utile et qu’administrer une preuve sur des éléments admis va à l’encontre de l’esprit du Code de procédure civile[25] et de la saine administration de la justice.
[69] Quant à la demande d’ordonnance de la Commission afin que le CISSS révise son Questionnaire médical dans les 60 jours du jugement à être rendu, ce dernier soumet que cette demande est caduque. En effet, le CISSS s’étant doté d’une nouvelle procédure en 2014, il considère qu’il n’y a donc pas lieu de refaire un exercice déjà complété à la suite d’un processus rigoureux lors duquel il y a eu l’étude des postes et des aptitudes requises pour chacun d’eux.
[70] Le CISSS souligne également qu’il n’est pas pertinent de débattre, dans le cadre du présent litige, de la conformité de ce nouveau questionnaire puisque A.A. n’y a jamais été soumise et que les conclusions recherchées visent le Questionnaire médical de 2012.
[71] Enfin, le CISSS soumet que la procédure instaurée depuis 2014 respecte la conclusion recherchée par la Commission à l’effet que le Questionnaire médical ne doit être administré qu’après une offre d’embauche conditionnelle. Conséquemment, le CISSS considère que cette nouvelle procédure rend caduque cette ordonnance requise par la Commission.
[72] Quant aux dommages moraux de 8 000 $ réclamés par A.A., le CISSS soutient que la preuve ne révèle pas qu’elle a subi de tels dommages et encore moins de cette ampleur. Au contraire, elle considère que la description faite par A.A. de ses dommages passe d’un sentiment de gêne en février 2013 à de la révolte en 2016.
[73] Reprenant une affirmation de A.A. à l’effet que « c’est quand même un poste que j’ai perdu… », le CISSS soumet qu’elle a été convoquée à passer une seconde entrevue et qu’elle a décliné l’invitation, préférant conserver le poste qu’elle occupait.
[74] Dans un tel contexte, le CISSS considère que l’allégation de perte de chance d’emploi n’est pas fondée. Selon lui, c’est pour des motifs personnels tels que son hésitation à s’investir dans une nouvelle équipe de travail, sans être certaine que son futur employeur ne prendrait pas le virage de l’intervention de groupe, qu’elle a décliné la proposition d’entrevue. Ainsi, ses motifs sont totalement étrangers au processus d’évaluation pré-embauche.
[75] Le CISSS plaide également qu’aucune preuve n’a été faite établissant en quoi A.A. avait concrètement souffert, dans son quotidien, d’un impact psychologique ou médical ni même en quoi ce processus l’aurait découragée d'entreprendre d’autres démarches d’emploi.
[76] Concernant les dommages punitifs réclamés par la Commission, le CISSS soutient que la preuve démontre qu’il n’a jamais eu l’intention ni la volonté de causer des dommages à A.A. Il indique que le but du Questionnaire médical était uniquement de s’assurer que A.A. répondait aux exigences du poste de psychologue et précise que les questions posées par l’infirmier Beaudry étaient très limitées.
[77] Il ajoute que l'objectif de dissuasion pour lequel de tels dommages peuvent être accordés n’est pas satisfait en l'espèce compte tenu qu’il a adopté, après la plainte de A.A., un nouveau questionnaire pré-embauche dès octobre 2014 et que ce nouveau questionnaire n’est administré qu’après une offre conditionnelle d’emploi.
[78] Quant à la demande de modification aux conclusions formulée par la Commission afin d’ajouter que le CISSS ne puisse plus conserver, ni utiliser les questionnaires médicaux pré-affectation qu’il reconnaît avoir obtenus en violation des droits des employés, le CISSS en conteste le bien-fondé. Il mentionne qu’il est vrai qu’une demande de modification constitue la règle, mais précise que ce n’est pas pour autant un droit absolu. En l’instance, il soutient que si cette nouvelle conclusion avait été connue, une preuve différente aurait été administrée, notamment quant à la nécessité et la conformité de certaines questions contenues au questionnaire.
[79] De plus, il prétend qu'il en subirait un préjudice puisque la preuve qu'il a présentée ne visait que le questionnaire auquel A.A. a été soumise pour le poste pour lequel elle postulait, alors que l'amendement tel que rédigé, vise non seulement les questionnaires D-3 et D-7, mais tous « les questionnaires médicaux pré-affectation qu'elle reconnaît avoir obtenus en violation des droits des employés énoncés aux articles 4, 5, 10 et 18.1 de la Charte ».
[80] Ainsi, pour le CISSS, la demande de modification de la Commission est tardive et doit être rejetée.
[81] Pour sa part, la Commission répond que ce n’est vraiment que lors de l’audition qu’elle a été en mesure de savoir que le Questionnaire médical discriminatoire, obtenu en violation de droits fondamentaux, était conservé au dossier des employés. Elle ajoute qu’en conservant et en utilisant un formulaire qu’il admet avoir obtenu en violation des droits de la victime, le CISSS continue de porter atteinte aux droits fondamentaux de ses employés.
[82] Elle conclut que dans les circonstances, la cessation de l’atteinte prend la forme d’une ordonnance de ne plus conserver ni utiliser le Questionnaire médical et de s’en départir.
III. LES QUESTIONS EN LITIGE
[83] Pour trancher le litige, le Tribunal doit répondre aux questions suivantes :
1) Le CISSS a-t-il porté atteinte aux droits de A.A. en requérant, au moyen du Questionnaire médical, des renseignements sur son âge et son état de santé qui n’étaient pas requis pour évaluer les aptitudes et qualités requises pour occuper un poste de psychologue, le tout en contravention avec les articles 10 et 18.1 de la Charte? Le cas échéant, a-t-il compromis les droits de A.A. à la sauvegarde de sa dignité et au respect de sa vie privée sans discrimination contrairement aux articles 4, 5 et 10 de la Charte?
2) Les ordonnances demandées par la Commission sont-elles justifiées?
3) A.A. a-t-elle droit aux dommages moraux et punitifs réclamés en sa faveur?
IV. LE DROIT APPLICABLE
[84] Les principes devant guider l'analyse du Tribunal quant à la protection conférée par l'article 18.1 de la Charte ont été énoncés par la Cour d'appel dans l'arrêt Centre hospitalier de Trois-Rivières[26] ainsi que dans plusieurs décisions du Tribunal[27].
[85] L'article 18.1 de la Charte « vise à protéger et à promouvoir, à la source, le droit à l'égalité sans discrimination dans l'embauche et dans l'emploi »[28]. Cette disposition se lit comme suit :
18.1. Nul ne peut, dans un formulaire de demande d’emploi ou lors d’une entrevue relative à un emploi, requérir d’une personne des renseignements sur les motifs visés dans l’article 10 sauf si ces renseignements sont utiles à l’application de l’article 20 ou à l’application d’un programme d’accès à l’égalité existant au moment de la demande.
[86] Il a déjà été établi que les tests écrits[29] ainsi que les examens médicaux pré-embauche, incluant les questionnaires portant sur l'état de santé d'un candidat[30], font partie de la collecte d'informations visée par l'article 18.1 de la Charte.
[87] Dans Transport en commun La Québécoise, le Tribunal écrit que « le simple fait de poser des questions discriminatoires entraîne une violation de l'article 18.1 puisque l'objet visé par cette disposition est d'enrayer à la source le phénomène discriminatoire »[31]. Par conséquent, la partie demanderesse n'a pas à démontrer que les renseignements recueillis ont été utilisés à des fins discriminatoires lors de l'embauche.
[88] Dans Magasins Wal-Mart Canada inc., le Tribunal réitère le caractère autonome du droit prévu à l'article 18.1 de la Charte : « Rappelons par ailleurs que dans l'affaire Transport la Québécoise, le Tribunal a conclu que le droit prévu à l'article 18.1 est un droit autonome et, qu'à ce titre, sa violation justifie, à elle seule, le droit à une réparation pour la victime »[32].
[89] Dans Centre hospitalier régional de Trois-Rivières, la Cour d'appel confirme ce principe et, reprenant la jurisprudence du Tribunal relative à cette disposition, elle affirme que :
[64] […] L’article 18.1 de la Charte interdit explicitement la recherche, dans un formulaire de demande d'emploi, de renseignements sur les motifs de discrimination énumérés à l'article 10, sauf lorsqu'un lien peut être établi avec les « aptitudes ou qualités requises par un emploi ». Or, la recherche de renseignements sur les affections liées à l'état de santé des personnes en recherche d'emploi rejoint un motif de discrimination énuméré à l'article 10 de la Charte, soit le handicap, conformément à l'interprétation large que doit recevoir ce terme. […]
[65] Il n'en faut pas davantage pour conclure qu'en l'espèce, le salarié a fait une preuve prima facie de discrimination, qu'il a démontré un élément de préjudice et un lien avec un motif de discrimination prohibé.[33]
[90] Ainsi, dans le contexte de l'article 18.1 de la Charte, il revient à la partie demanderesse d'établir, par prépondérance de preuve, que la victime a dû répondre à une ou des questions portant sur l'un des motifs visés par l'article 10 de la Charte, soit la race, la couleur, le sexe, l’identité ou l’expression de genre, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.
[91] Ce faisant, une fois cette preuve à première vue établie, l'employeur peut justifier sa conduite en alléguant que ces renseignements sont utiles à l'application de l'article 20 de la Charte, qui lui permet de recueillir des informations concernant les motifs prévus à l'article 10 lorsque celles-ci sont liées à une « aptitude ou qualité requise par l'emploi » :
20. Une distinction, exclusion ou préférence fondée sur les aptitudes ou qualités requises par un emploi, ou justifiée par le caractère charitable, philanthropique, religieux, politique ou éducatif d’une institution sans but lucratif ou qui est vouée exclusivement au bien-être d’un groupe ethnique est réputée non discriminatoire.
[92] La Cour d'appel explique ainsi le fardeau de preuve qui incombe alors à l'employeur dans Centre hospitalier régional de Trois-Rivières :
[67] En vertu de l'article 20 de la Charte, il revient à l'employeur de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que les renseignements demandés établissent une distinction ou préférence par ailleurs fondée sur les aptitudes ou qualités requises par l'emploi. Une telle démonstration forcerait de conclure, le cas échéant, au caractère non discriminatoire de la distinction ou préférence.[34]
(Référence omise)
[93] En d'autres mots, l'employeur doit prouver que « les renseignements sont requis dans un but rationnellement lié à l'exécution du travail en cause et qu'ils sont raisonnablement nécessaires pour réaliser ce but légitime lié au travail »[35]. La Cour d’appel a d'ailleurs précisé à cet égard que « la cueillette d'information médicale ne doit pas être utilisée pour embaucher seulement le candidat en parfaite santé qui représente le moins de risque d’absentéisme »[36].
[94] Ainsi, dans Bathium Canada inc., bien que les renseignements recueillis n'aient pas été la cause du refus d'embauche[37], le Tribunal a retenu la responsabilité de la défenderesse, puisque le seul fait d'avoir tenu compte de l'obésité morbide de la victime suffit, selon les principes se dégageant de l'article 18.1, pour conclure à l'existence d'une discrimination. De plus, le fait que l'état de santé de la victime ne limitait aucunement sa capacité à occuper l'emploi constituait la preuve qu'il n'existait aucune défense fondée sur l'article 20 de la Charte[38].
[95] Il est à noter, dans cette affaire, que le Tribunal a rejeté la prétention de la Commission selon laquelle l'administration d'un examen médical pré-embauche, sans offre formelle d'embauche conditionnelle à la réussite de l'examen médical, avait compromis le droit de la victime à un processus d'embauche exempt de discrimination.
[96] Quant au motif de l'âge, le Tribunal a déjà reconnu que l'introduction de ce motif à la Charte vise « à combattre les stéréotypes rattachés à l'âge d'une personne ou d'un groupe de personnes, qu'elles soient jeunes ou âgées »[39]. Précisons que la discrimination fondée sur le motif de l'âge est « assortie d'une limitation expresse, l'expression "sauf dans la mesure prévue par la loi" ayant en quelque sorte pour effet de neutraliser, ou du moins de relativiser cette interdiction […] »[40].
[97] Les questionnaires pré-embauche peuvent également porter atteinte au droit au respect de la vie privée des candidats. Le Tribunal a ainsi écrit dans Institut Demers, que « […] ces tests ne devraient pas donner lieu à des intrusions indues dans la vie privée des candidats, ni servir de prétexte à une collecte inutile de renseignements personnels pouvant donner lieu à des pratiques discriminatoires non justifiées par l'emploi »[41].
[98] À cet égard, l'article 5 de la Charte énonce que « toute personne a droit au respect de sa vie privée ». Le Code civil du Québec prévoit également que :
3. Toute personne est titulaire de droits de la personnalité, tels le droit à la vie, à l’inviolabilité et à l’intégrité de sa personne, au respect de son nom, de sa réputation et de sa vie privée.
Ces droits sont incessibles.
35. Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée.
Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d’une personne sans que celle-ci y consente ou sans que la loi l’autorise.
[99] De plus, les articles 37 à 40 du Code civil du Québec encadrent la collecte, l'utilisation et la communication des renseignements personnels. L'article 37 se lit comme suit :
37. Toute personne qui constitue un dossier sur une autre personne doit avoir un intérêt sérieux et légitime à le faire. Elle ne peut recueillir que les renseignements pertinents à l’objet déclaré du dossier et elle ne peut, sans le consentement de l’intéressé ou l’autorisation de la loi, les communiquer à des tiers ou les utiliser à des fins incompatibles avec celles de sa constitution; elle ne peut non plus, dans la constitution ou l’utilisation du dossier, porter autrement atteinte à la vie privée de l’intéressé ni à sa réputation.
[100] Enfin, l'article 64 de la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels[42] qui s'applique en l'espèce, édicte que :
64. Nul ne peut, au nom d’un organisme public, recueillir un renseignement personnel si cela n’est pas nécessaire à l’exercice des attributions de cet organisme ou à la mise en œuvre d’un programme dont il a la gestion.
Un organisme public peut toutefois recueillir un renseignement personnel si cela est nécessaire à l’exercice des attributions ou à la mise en œuvre d’un programme de l’organisme public avec lequel il collabore pour la prestation de services ou pour la réalisation d’une mission commune.
La collecte visée au deuxième alinéa s’effectue dans le cadre d’une entente écrite transmise à la Commission. L’entente entre en vigueur 30 jours après sa réception par la Commission.
[101] Notons qu'en vertu de l'article 54 de cette Loi, « sont personnels les renseignements qui concernent une personne physique et permettent de l’identifier ».
[102] Le droit au respect de la vie privée vise donc à protéger « ce qui fait partie du cercle personnel et intime de chaque personne »[43]. Si un questionnaire pré-embauche contient des questions reliées à l'un des motifs énoncés à l'article 10 de la Charte qui « ouvrent une brèche dans ce domaine, alors qu'elles ne sont pas nécessaires eu égard à la nature ou aux exigences de l'emploi »[44], il y aura alors une atteinte discriminatoire au droit au respect de la vie privée du candidat.
[103] Quant au droit à la dignité prévu à l'article 4 de la Charte, il s'agit d'« […] une valeur transcendante à tous les droits et libertés et inscrite dans le préambule de la Charte […] »[45]. La Cour suprême du Canada, sous la plume du juge Iacoucci, écrivait dans l'arrêt Law[46] :
« La dignité humaine signifie qu'une personne ou un groupe ressent du respect et de l'estime de soi. Elle relève de l'intégrité physique et psychologique et de la prise en main personnelle. La dignité humaine est bafouée par le traitement injuste fondé sur des caractéristiques ou la situation personnelle qui n'ont rien à voir avec les besoins, les capacités ou les mérites de la personne.[47]»
[104] Dans Systématix Technologies de l'information inc., alors que la victime avait dû répondre à des questions portant sur sa religion, sa pratique religieuse et son mode de vie lors d'une entrevue, le Tribunal a jugé qu'il y avait une preuve suffisante pour établir que cette dernière avait subi une atteinte discriminatoire à son droit à la sauvegarde de sa dignité et à son droit au respect de sa vie privée[48].
[105] Concernant l'octroi de dommages, rappelons que « […] le seul fait de se faire demander des informations interdites par l'article 18.1 peut générer des dommages moraux, aussi difficile soit-il de les évaluer »[49]. De plus, le Tribunal a déjà énoncé que l'absence d'intention de discriminer ne constitue pas une défense[50], « tout au plus, le Tribunal pourrait en tenir compte quant à l'octroi de dommages punitifs »[51].
V. L’Analyse
1ère Question : Le CISSS a-t-il porté atteinte aux droits de A.A. en requérant, au moyen du Questionnaire médical, des renseignements sur son âge et son état de santé qui n’étaient pas requis pour évaluer les aptitudes et qualités requises pour occuper un poste de psychologue, le tout en contravention avec les articles 10 et 18.1 de la Charte? Le cas échéant, a-t-il compromis les droits de A.A. à la sauvegarde de sa dignité et au respect de sa vie privée sans discrimination contrairement aux articles 4, 5 et 10 de la Charte?
A. L’admission du CISSS et la nécessité d’analyser le Questionnaire médical
[106] Le CISSS a admis spécifiquement que le Questionnaire médical complété par A.A. le 15 octobre 2012, dans le cadre d'un processus d'embauche pour un poste de psychologue, contrevenait aux articles 4, 5, 10 et 18.1 de la Charte. Il a de plus précisé que cette admission concerne l'ensemble du Questionnaire médical et non pas l’une ou l’autre des questions qui y sont contenues.
[107] Sur le plan pratique, cette admission a eu comme conséquence que la Commission n’avait plus à faire la preuve prima facie du caractère discriminatoire du Questionnaire médical et que le CISSS n’a fait aucune preuve concernant le fait que les renseignements requis de A.A. sur certains des motifs spécifiés à l’article 10 de la Charte étaient fondés sur les aptitudes ou les qualités requises par l’emploi de psychologue.
[108] Le Tribunal doit ainsi conclure que le Questionnaire médical, pris dans son ensemble, est discriminatoire et que les questions qu’il contient ne sont pas fondées sur les aptitudes ou qualités requises de A.A. pour occuper un poste de psychologue. Il contrevient donc aux articles 4, 5, 10 et 18.1 de la Charte.
[109] Ceci étant, est-il quand même requis que le Tribunal effectue une analyse plus poussée du Questionnaire médical? Le CISSS soutient que cet exercice est inutile alors que la Commission allègue le contraire. Selon le Tribunal, la réponse à cette question doit tenir compte de la nature des conclusions que recherche la Commission.
[110] Lorsqu’une demande introductive porte sur une atteinte alléguée au droit à l'égalité dans l'exercice d'un autre droit prévu à la Charte et sur la détermination du montant des dommages réclamés en faveur de la victime, une admission à l’effet qu’il y a eu discrimination fait en sorte que la seule autre question à trancher est celle relative au montant des dommages. En pareil cas, il n’aurait pas été opportun d’analyser plus longuement le Questionnaire médical.
[111] Toutefois, lorsque la demande dépasse ces deux seules questions, une admission de contravention aux dispositions de la Charte ne peut emporter automatiquement que le Tribunal n’analyse que le volet des dommages réclamés par la Commission en faveur de la victime.
[112] L’article 80 de la Charte « prévoit que les ordonnances que le Tribunal peut prononcer ne sont pas limitées à la réparation du préjudice subi par le demandeur, mais peuvent également inclure des mesures nécessaires dans l’intérêt public »[52]. La Commission s'appuie sur cet article, en l'espèce, pour demander au Tribunal de prononcer certaines ordonnances.
[113] La Commission demande ainsi au Tribunal d’ordonner au CISSS de réviser le Questionnaire médical afin de le rendre conforme à l’article 18.1 de la Charte et requiert que celui-ci ne soit administré au candidat qu’après une offre d’emploi conditionnelle.
[114] De par sa nature, cette ordonnance a une dimension plus large que la simple réparation des préjudices subis par A.A. Elle est formulée par la Commission en raison de l’intérêt public que suscite la problématique des questionnaires médicaux pré-embauche. Cette ordonnance relève de son pouvoir d’agir dans l’intérêt public et se rapporte directement à la nature du litige. Le Tribunal se doit, en pareil cas, d’analyser le bien-fondé de celle-ci lorsque la preuve révèle une violation aux droits fondamentaux d’un plaignant. Dans le présent dossier, l’admission formulée par le CISSS confirme cette violation.
[115] Afin d’évaluer si l’ordonnance recherchée est fondée ou non, il est nécessaire de comprendre ce qui, dans le Questionnaire médical, contrevient aux dispositions de la Charte. Or, l’admission faite par le CISSS concernant le caractère discriminatoire du Questionnaire médical est trop large et ne permet pas d’identifier les aspects spécifiques de celui-ci qui sont problématiques.
[116] Pour autant que le Tribunal puisse accueillir la demande de la Commission d’ordonner au CISSS de réviser le Questionnaire médical, il doit, au préalable, avoir identifié les aspects de celui-ci qui contreviennent à la Charte. C’est pourquoi, bien que la preuve présentée à l’audience ait été limitée en raison de l’admission du CISSS, il n’en demeure pas moins que le dépôt en preuve de ce questionnaire et l’admission de l’infirmier responsable de l’administration de celui-ci[53] permettent au Tribunal de le commenter.
B. Le processus d'embauche
[117] Toutefois, avant d’analyser le Questionnaire médical comme tel, il y a lieu, dans un premier temps, d’aborder les diverses étapes du processus global d’embauche d’un employé et de situer le Questionnaire médical complété par A.A. dans ce processus.
[118] Il est normal et même nécessaire qu’à l’occasion de ce processus, chaque partie cherche à obtenir de l’autre diverses informations afin de prendre une décision éclairée. De nombreux facteurs entrent alors en ligne de compte et tant l’employeur que le candidat souhaitent prendre la meilleure décision possible.
[119] Pour sa part, l’employeur met en place un processus d’embauche adapté à ses besoins et à ses moyens de manière à lui permettre de sélectionner le meilleur candidat disponible pour le poste à combler. Afin d’identifier ce candidat, il analyse les diverses candidatures sous l’angle des qualifications et des aptitudes des postulants, et ce, tant sur le plan personnel que professionnel. Il bénéficie pour ce faire de divers moyens tels que le formulaire de demande d’emploi, une ou plusieurs entrevues et des questionnaires dont certains peuvent contenir des questions portant sur l'état de santé du candidat.
[120] Quant au postulant, il désire avant tout que l’emploi corresponde à ses attentes et que les conditions de travail offertes par l’employeur lui permettent d’atteindre ses objectifs tant professionnels que personnels.
[121] Les auteurs Jean-Yves Brière, Fernand Morin, Dominic Rioux et Jean-Pierre Villaggi schématisent en huit étapes le processus de sélection du personnel[54] :
· Étape 1: l’offre d’emploi;
· Étape 2 : l’analyse des demandes d'emploi;
· Étape 3 : les entrevues de sélection;
· Étape 4 : les Tests;
· Étape 5 : les compléments d'information;
· Étape 6 : la deuxième entrevue;
· Étape 7 : l’examen médical;
· Étape 8 : l’entente sur les conditions de travail.
[122] Ils ajoutent que ce processus de sélection du personnel doit nécessairement s'exercer dans le respect des droits conférés par la Charte : « la règle fondamentale et applicable du début à la fin du processus consiste à respecter intégralement et manifestement le principe d'égalité de traitement de tous les postulants »[55].
[123] Le Tribunal partage entièrement ce point de vue et ajoute qu’en plus du principe d’égalité de traitement précité, il est certain que d’autres droits fondamentaux sont également susceptibles d'être affectés à l’une ou l’autre des étapes du processus de recrutement. Il n’y a qu’à penser au droit au respect de la vie privée, à la sauvegarde de la dignité ou encore au droit à l'intégrité de la personne protégé par l'article 1 de la Charte et par les articles 3, 10 et 11 C.c.Q.
[124] Dans le présent dossier, le Questionnaire médical administré à A.A. se situe à l’étape de l’entrevue de sélection. À cette étape, il est possible qu’un tel questionnaire contienne une distinction ou préférence interdite par l’article 18.1 de la Charte. En pareil cas, si cette distinction ou préférence est en relation avec les aptitudes ou qualités requises par l’emploi, celle-ci sera réputée non discriminatoire. De plus, les réponses du candidat au questionnaire devront demeurer confidentielles, et ce, afin d’assurer son droit au respect de sa vie privée protégé par l’article 5 de la Charte.
[125] Mais qu’en est-il des autres droits fondamentaux que sont le droit à la sauvegarde de la dignité ou encore le droit à l'intégrité de la personne dans le contexte du processus d’embauche? Il est certain que lorsque le formulaire de demande d’emploi, l’entrevue et le questionnaire médical respectent les articles 18.1 et 20 de la Charte, une contravention à ces droits apparait peu probable. Cette conclusion ne vaut possiblement pas pour l’une des dernières étapes du processus d’embauche, soit l’examen médical.
[126] En effet, tenant compte du droit à l’intégrité d’une personne, de son droit à la sauvegarde de sa dignité et de son droit au respect de sa vie privée, il est difficile de concevoir que l’examen médical puisse être considéré comme étant le prolongement du processus d’entrevue et être administré à de simples postulants, qui n’ont d’ailleurs à ce titre le bénéfice d’aucune contrepartie, sans que cela ne porte atteinte à ces droits.
[127] D’ailleurs, compte tenu de l'importance de l'empiètement sur les droits fondamentaux des candidats que constitue l’examen médical, certains auteurs suggèrent que celui-ci ne puisse être administré à un candidat qu'à la suite d'une offre conditionnelle d'embauche[56] :
« Le droit d'un employeur d'exiger du candidat qu'il se soumette à un examen médical préalablement à l'embauche doit s'articuler autour de ce corpus juridique. Compte tenu qu'une telle exigence constitue une atteinte aux droits fondamentaux du candidat, elle doit être justifiée en vertu des articles 9.1 et 20 de la Charte. Elle ne devrait donc intervenir qu'à un stade avancé du processus de recrutement et de sélection, plus précisément au terme d'une offre conditionnelle d'emploi.[57] »
[128] Le Tribunal a d'ailleurs fait une observation en ce sens dans Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Institut Demers[58].
[129] Il est certain que chaque affaire doit être analysée au mérite et en fonction de la preuve administrée et qu’en l’espèce, aucun examen médical n’a été administré à A.A. Il n’en demeure pas moins que l’examen médical, comme étape du processus d’embauche, soulève de sérieuses interrogations en regard au respect des droits fondamentaux d’un simple postulant vu sous l’angle de son droit à l’intégrité de sa personne, de son droit à la sauvegarde de sa dignité et de son droit au respect de sa vie privée.
[130] Surtout qu’un examen médical ne peut constituer en aucune manière, un outil de sélection du personnel[59], au même titre que l'est une entrevue ou un test écrit. Il ne doit, en aucun cas, servir à « embaucher seulement le candidat en parfaite santé qui représente le moins de risque d'absentéisme »[60]. Il doit plutôt, dans le respect des dispositions des articles 18.1 et 20 de la Charte, permettre à l’employeur de s'assurer que les informations communiquées par le candidat lors des premières étapes du processus lui permettent effectivement d'occuper le poste convoité.
[131] De plus, puisque l’employeur a l’obligation de veiller à la santé et à la sécurité de ses employés[61], il pourra vouloir soumettre les candidats qui satisfont aux critères de l’emploi à un tel examen. En pareil cas, l’offre conditionnelle d’emploi constitue peut-être une solution efficace et respectueuse des obligations de l’un et des droits fondamentaux des autres.
C. Le Questionnaire médical
[132] Quant au Questionnaire médical complété par A.A., il est d'une longueur de huit pages et contient différentes questions portant sur l'identification du postulant, son âge, ses habitudes de vie, ses antécédents occupationnels et médicaux ainsi que son état de santé. Il s'agit généralement de questions ouvertes qui ne sont pas ciblées dans le temps.
[133] À titre d'exemple, voici quelques extraits de ce questionnaire :
· Avez-vous déjà été absent de votre travail ou de l’école pour cause de maladie durant plus de 5 jours? Si oui, précisez :
· Avez-vous déjà été victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle qui a entraîné une perte de temps? Si oui, précisez :
· Avez-vous déjà subi un accident d’auto ou été victime d’acte criminel ayant occasionné des blessures? Si oui, précisez :
· Recevez-vous ou avez-vous déjà reçu un montant forfaitaire suite à une maladie ou une blessure ayant entraîné une incapacité partielle temporaire ou permanente? Si oui, précisez :
· Vous a-t-on déjà refusé un emploi ou une police d’assurance pour raison de santé?
· À la section REVUE DES SYSTÈMES : Êtes-vous actuellement, avez-vous déjà été traité ou avez-vous déjà souffert de l’une ou l’autre des maladies suivantes? Cochez la réponse et encerclez la maladie, la blessure ou le symptôme. Détaillez.
[134] Monsieur Beaudry a expliqué au Tribunal qu'il doit s'assurer, dans le cadre du processus d'embauche pour le poste de psychologue, que le postulant ne présente aucune « fragilité sur le plan psychologique » susceptible d'affecter sa capacité à venir en aide de manière « sûre et sécuritaire » à la clientèle qu'il devra accompagner.
[135] Il a par ailleurs admis qu'en dehors des questions portant sur le système psychique, la majorité des questions contenues dans le Questionnaire médical utilisé en 2012 n'étaient pas vraiment pertinentes pour le poste de psychologue. Selon lui, le Questionnaire médical ne ciblait pas, à l'époque, de manière spécifique, les qualités et exigences requises pour ce poste. C’est effectivement ce qu’il faut en conclure à la lecture de ce Questionnaire et ce que confirme d’ailleurs l’admission du CISSS.
[136] La lecture du Questionnaire médical révèle en effet que plusieurs des questions qu’il contient ne sont pas directement et rationnellement en lien avec les aptitudes ou qualités requises pour un poste de psychologue.
[137] Il en est ainsi concernant les questions sur l'âge du candidat, le nom de ses médecins traitants ou spécialistes ou même le nom des autres professionnels de la santé consultés. Il faut en arriver à la même conclusion concernant les questions ouvertes sur les blessures, accidents, maladies, médicaments ainsi que concernant la revue systématique de l’entièreté des systèmes du corps humain, sans perdre de vue que ces questions constituent également une intrusion injustifiée dans la vie privée du postulant.
[138] Par question ouverte, il faut entendre des questions à formulation très large qui requièrent des informations qui ne sont pas ciblées dans le temps. Ainsi, une question telle que « Avez-vous déjà été hospitalisé? » est non seulement sans lien avec le poste de psychologue, mais de plus, par sa formulation beaucoup trop large, constitue une atteinte au droit à la vie privée du postulant.
[139] Ces questions permettent également au CISSS d’avoir accès à des renseignements liés à deux motifs visés par l'article 10 de la Charte, soit l'âge et le handicap. L’obtention de telles informations, sans relation avec les aptitudes ou les qualités requises d’un emploi, contrevient à l'article 18.1 de la Charte ainsi qu'aux droits protégés par les articles 4, 5 et 10.
[140] En l’espèce, obliger A.A. à dévoiler une tachycardie de l’enfant et une hospitalisation ponctuelle était inutile et injustifié. Cela constituait effectivement une violation de son droit à l'égalité en emploi, fondée sur le handicap, ainsi qu'une atteinte discriminatoire à son droit à la sauvegarde de sa dignité et à son droit au respect de sa vie privée.
2ème Question : Les ordonnances demandées par la Commission sont-elles justifiées?
[141] Le CISSS a fait valoir qu’il avait entrepris une révision sérieuse du Questionnaire médical et qu’en conséquence, il devenait inutile de requérir qu’il révise celui-ci. Bien qu’il n’y ait pas lieu de douter que la démarche entreprise par le CISSS ait été sérieuse, la demande formulée par la Commission ne se limite pas à demander une telle révision. Elle requiert que celle-ci soit conforme à l’article 18.1 de la Charte.
[142] Considérant la mission particulière de la Commission en regard de l’intérêt public et l’admission du CISSS concernant le fait que le Questionnaire médical contrevenait aux articles 18.1, 4, 5 et 10 de la Charte, il y a lieu d’accueillir cette demande de la Commission.
[143] Il est vrai qu’un nouveau questionnaire médical est maintenant administré par le CISSS après une offre conditionnelle d’emploi. Cette solution a l’avantage de limiter les risques d'atteinte possible aux droits fondamentaux des candidats. Toutefois, cela ne change rien au fait que ce nouveau questionnaire, même administré après une offre d’emploi, doit respecter les dispositions des articles 18.1 et 20 de la Charte. Ainsi, l’ordonnance demandée est toujours pertinente et bien fondée.
[144] Toutefois, l’ordonnance ne sera pas formulée tel que le requiert la Commission. En effet, la Commission demande à ce que le CISSS rende conforme le Questionnaire médical à l’article 18.1 ajoutant toutefois « notamment afin que ledit « questionnaire médical pré-affectation » se limite à vérifier les qualités et les aptitudes requises pour l’exécution des tâches essentielles de l’emploi de psychologue ». (notre soulignement)
[145] La preuve présentée en l’espèce ne permet pas de comprendre la justification à ajouter les termes « l’exécution des tâches essentielles de » à l’ordonnance, et conséquemment, il n’y a pas lieu d’y faire droit. L’ordonnance sera plutôt formulée en conformité avec le libellé des articles 18.1 et 20 de la Charte en référant seulement à l’emploi de psychologue.
[146] Quant au volet de l’ordonnance visant à ce que le Questionnaire médical ne soit exigé qu’après une offre d’emploi conditionnelle, il n’y a pas lieu d’y faire droit.
[147] D’une part, le CISSS respecte déjà cette exigence. D’autre part, tel qu’abordé précédemment, le problème n’est pas vraiment relié au moment de l'administration d’un questionnaire médical, mais bien plutôt à son contenu.
[148] La Charte prohibe toute demande de renseignements sur les motifs visés par l’article 10 de la Charte, mais prévoit que si le renseignement demandé est fondé sur les aptitudes ou les qualités requises par un emploi, il est réputé non discriminatoire. Une question portant sur un tel renseignement peut donc être posée à un postulant dans un questionnaire médical à la condition qu'elle soit reliée aux aptitudes ou qualités requises par le poste convoité.
[149] La Commission requiert également, par une demande de modification de ses conclusions, que le Tribunal ordonne au CISSS « de ne plus conserver, ni utiliser les questionnaires médicaux pré-affectation qu’elle reconnaît avoir obtenus en violation des droits des employés énoncés aux articles 4, 5, 10 et 18.1 de la Charte et de s’en départir dans les 60 jours du jugement à être rendu, de manière sécuritaire ».
[150] L'article 117 de la Charte, qui reprend l'essence des articles 206 et suivants du Code de procédure civile concernant la modification des actes de procédure, permet à une partie de modifier la demande aux conditions suivantes :
117. Une demande peut être modifiée en tout temps avant la décision, aux conditions que le Tribunal estime nécessaires pour la sauvegarde des droits de toutes les parties. Toutefois, sauf de leur consentement, aucune modification d’où résulterait une demande entièrement nouvelle, n’ayant aucun rapport avec la demande originale, ne peut être admise.
[151] Devant les tribunaux de droit commun, il est établi que le droit à la modification est la règle et non l'exception[62] et que la tardiveté d'un amendement n'est pas un obstacle en soi, à moins qu'il ne compromette le droit de l'une ou l'autre des parties[63]. Bien que tardive, une demande de modification peut donc être acceptée si l'amendement est utile et a un lien avec la demande d'origine[64].
[152] Ainsi, lorsque la modification d’une demande introductive est formulée après la preuve présentée par les parties et juste avant que ne débutent leurs représentations, il faut qu’elle soit en relation avec cette preuve. Si l’on requiert que le Tribunal se prononce sur un nouveau volet d’un litige qui n’a fait l’objet d’aucune preuve, il n’est pas dans l’intérêt de la justice d’accueillir une telle demande.
[153] En l'espèce, la modification demandée par la Commission vise non seulement le Questionnaire médical complété par A.A. en 2012 et celui complété en 2009, mais également tous ceux complétés par les employés du CISSS. Pourtant, l’admission du CISSS ne vise que le Questionnaire médical complété par A.A. le 15 octobre 2012 pour le poste de psychologue. C’est pour ce Questionnaire médical précis que le CISSS a admis la contravention aux articles 4, 5, 10 et 18.1 de la Charte.
[154] Concernant tous les autres questionnaires pré-affectation qu’a pu faire compléter le CISSS au fil des années, à l’exception du questionnaire médical de 2009[65]complété par A.A. pour le CSSS St-Jérôme, il n’y a aucune preuve au dossier permettant au Tribunal de se prononcer sur ce volet de la modification demandée.
[155] Si une telle demande avait été formulée par la Commission dans sa demande introductive, les parties auraient pu faire une preuve complète concernant le nombre des questionnaires pré-affectation touchés par la demande de la Commission, pour quels postes ils ont été requis, depuis quand sont-ils utilisés, jusqu’à quand l’ont-ils été, le nombre d’employés concernés, les conséquences entourant cette demande pour le CISSS. Il ne s’agit là d’ailleurs que de certains aspects que la preuve aurait pu révéler et il est probable que d’autres éléments auraient été abordés.
[156] En soi, si cela avait été intégré à la demande introductive, malgré le caractère distinct de ce volet en regard de la demande principale concernant A.A., cela aurait pu constituer, en fonction de la preuve administrée, un volet complémentaire à cette demande.
[157] Tel n'est cependant pas le cas. Ainsi, à l’exception de la partie de l'ordonnance visant le Questionnaire médical complété par A.A. et le questionnaire médical de 2009, il est tout simplement impossible pour le Tribunal de statuer sur l’objet de la modification demandée. Ainsi, faute de preuve, il faut constater que la demande relative aux autres questionnaires pré-affectation que ceux administrés à A.A. constitue une toute nouvelle demande qui est également tardive.
[158] En fait, faire droit à cette demande serait préjudiciable aux droits du CISSS et le priverait de son droit de présenter sur cette question une défense pleine et entière.
[159] En conséquence, le Tribunal accueille la demande de modification de la Commission, mais seulement à l'égard du Questionnaire médical complété par A.A. en 2012 et qui a fait l’objet de l’admission du CISSS ainsi qu’à l’égard de celui de 2009 également déposé en preuve et qui est similaire à celui de 2012. De plus, afin d’assurer la cessation définitive de l’atteinte aux droit fondamentaux de A.A., il y a lieu non pas que le CISSS s’en départisse, mais bien qu’il détruise ces questionnaires médicaux de 2009 et de 2012.
[160] Ainsi le Tribunal émettra l’ordonnance demandée modifiée afin que le CISSS détruise toutes les copies du Questionnaire médical en sa possession concernant A.A. et confirme le tout à la Commission. Cette ordonnance sera également émise pour le questionnaire médical complété par A.A. en 2009.
[161] Quant à la demande de modification relative aux autres questionnaires médicaux pré-affectation complétés par les employés du CISSS, elle est rejetée.
3ème Question : A.A. a-t-elle droit aux dommages moraux et punitifs réclamés en sa faveur?
[162] Les montants des dommages réclamés par la Commission en faveur de A.A. sont de 8 000 $ à titre de dommages moraux et de 10 000 $ à titre de dommages punitifs.
[163] En ce qui a trait aux dommages moraux, A.A. a témoigné concernant le fait qu’elle a été choquée par le caractère intrusif de plusieurs questions. Elle ajoute que la revue complète de l'ensemble des systèmes physiologiques du corps humain et de ses antécédents de santé contrevenait à son droit à la vie privée. Non seulement ces demandes d’informations n’étaient pas en relation avec l’emploi de psychologue, mais en plus, elles n’étaient pas circonscrites dans le temps.
[164] Elle mentionne à l’audience : « C'était un choc de voir ça (…) Je n'en revenais pas. (…) Je n'étais même pas encore employée et on me demandait déjà toutes ces informations là. (…) C'était scandalisant, c'était indignant, c'était fâchant … ».
[165] Il faut toutefois replacer dans leur contexte les circonstances lors desquelles ces informations intrusives et contraires au principe de l’égalité dans l’emploi et au respect du droit au respect de la vie privée et du droit à la sauvegarde de la dignité sans discrimination ont été requises de A.A.
[166] Seul l’infirmier a pris connaissance de ses réponses et les informations qu’il a transmises aux membres du comité de sélection, outre son commentaire sur le questionnaire, ont été à l’effet que A.A. était apte à occuper le poste de psychologue. D’ailleurs, A.A. admet ne pas avoir parlé de son malaise aux membres du comité qui, concrètement, ignoraient ses réponses au Questionnaire médical.
[167] Il est aussi en preuve que A.A. a été convoquée à une deuxième entrevue.
[168] À cet égard, c’est A.A. qui a pris la décision de ne pas se présenter à cette deuxième entrevue. Lorsqu’elle dit avoir craint que si le poste lui était offert, elle doive accepter des demandes de son nouvel employeur qui seraient possiblement contraires à ses valeurs, elle ne s’appuie sur aucun fait objectif susceptible d’alimenter concrètement ses craintes.
[169] De l’ensemble de la preuve entendue, ce sont plutôt des motifs personnels qui ont fait en sorte que A.A. n’a pas donné suite à sa demande d’emploi au CISSS. Ces motifs ont pesé plus lourd dans la balance que la nature des questions qui lui ont été posées en 2012. Il n’est donc pas question, en l’instance, de la perte d’un poste pour A.A.
[170] D’autre part, malgré le caractère confidentiel de la rencontre avec l’infirmier, le Questionnaire médical, tel que l’a admis le CISSS, contrevenait aux articles 4, 5, 10 et 18.1 de la Charte. À ce titre, A.A. a droit à la réparation du préjudice qu’elle a subi.
[171] La preuve n’a toutefois pas été très élaborée relativement au préjudice subi par A.A. Toutefois, lors de son témoignage, il a été question de malaise, d’une gêne, d’une confusion et d’une certaine colère parce que ses droits fondamentaux n'ont pas été respectés.
[172] Le préjudice moral est souvent difficile à quantifier, comme l'écrivait la juge Rayle de la Cour d’appel dans l'arrêt Bou Malhab :
[62] S'il est moins palpable, il n'en est pas moins réel.
Le dommage moral ou extrapatrimonial est souvent difficile à chiffrer d'une manière exacte ou même approximative.
Dans tous ces cas cependant, le préjudice est direct certain et réel et doit donc être compensé, même s'il n'existe pas de base scientifique permettant de l'évaluer précisément.
[63] Que le préjudice moral soit plus difficile à cerner ne diminue en rien la blessure qu'il constitue. J'irais même jusqu'à dire que, parce qu'il est non apparent, le préjudice moral est d'autant plus pernicieux. Il affecte l'être humain dans son for intérieur, dans les ramifications de sa nature intime et détruit la sérénité à laquelle il aspire. Il s'attaque à sa dignité et laisse l'individu ébranlé, seul à combattre les effets d'un mal qu'il porte en lui plutôt que sur sa personne ou sur ses biens.[66]
(Référence omise)
[173] Dans les circonstances de l’affaire, le Tribunal estime qu’il y a lieu d’accorder une somme de 4 000 $ à A.A. afin de la compenser pour le préjudice moral subi et découlant directement de la contravention par le CISSS aux dispositions des articles 4, 5, 10 et 18.1 de la Charte.
[174] En ce qui a trait aux dommages punitifs réclamés par la Commission, la Cour suprême du Canada définit, dans l'arrêt Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l'hôpital St-Ferdinand, ce qui constitue une atteinte d'illicite et intentionnelle au sens de l'article 49 de la Charte :
« En conséquence, il y aura atteinte illicite et intentionnelle au sens du second alinéa de l'art. 49 de la Charte lorsque l'auteur de l’atteinte illicite a un état d’esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore s’il agit en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera. Ce critère est moins strict que l'intention particulière, mais dépasse, toutefois, la simple négligence. Ainsi, l’insouciance dont fait preuve un individu quant aux conséquences de ses actes fautifs, si déréglée et téméraire soit-elle, ne satisfera pas, à elle seule, à ce critère.[67] »
[175] Les dommages punitifs répondent d’ailleurs à des objectifs de punition, de dissuasion et de dénonciation. L’article 1621 du Code civil du Québec énonce les critères devant guider les tribunaux dans l'attribution d'un montant à ce titre. Cet article mentionne :
« Lorsque la loi prévoit l'attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive.
Ils s'apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l'étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier, ainsi que, le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, tout ou en partie, assumée par un tiers. »
[176] Par ailleurs, la Cour suprême précise dans l'arrêt Richard c. Time inc. que :
« [210] Lorsqu’un tribunal décide s’il accordera des dommages-intérêts punitifs, il doit mettre en corrélation les faits de l’affaire et les buts visés par ces dommages-intérêts et se demander en quoi, dans ce cas précis, leur attribution favoriserait la réalisation de ces objectifs. Il doit tenter de déterminer la somme la plus appropriée, c’est-à-dire la somme la moins élevée, mais qui permettrait d’atteindre ce but (Whiten, par. 71).[68] »
[177] En l’espèce, la preuve n’a pas démontré une volonté ou un désir du CISSS d’infliger à A.A. les préjudices qu’elle a subis ni de contrevenir volontairement et en toute connaissance de cause à ses droits fondamentaux.
[178] En effet, lorsque que A.A. complète le Questionnaire médical, le CISSS ignore que son Questionnaire contrevient aux dispositions de la Charte. Lors de l'entrevue, A.A. n’a pas mentionné aux membres du comité de sélection son malaise après avoir complété le Questionnaire médical. Là encore, le CISSS ignore toujours qu’il y a un problème avec le questionnaire.
[179] De plus, bien que le CISSS ignore alors que son questionnaire contrevient à la Charte, il agit de façon à minimiser pour A.A. les inconvénients à dévoiler des informations confidentielles, tel que le démontrent les mesures mises en place à cette fin.
[180] A.A. ne fait part de son malaise qu'après avoir complété l'entrevue avec le comité, lorsqu'elle rencontre l'infirmier. Ce commentaire permettait probablement à celui-ci de constater, lors de cette rencontre, que certains aspects du Questionnaire médical pouvaient poser problème. Il mentionne cependant qu’il s’agissait de la première fois qu’une telle situation survenait et qu’un postulant se plaignait de la portée trop large des questions. Ainsi, même à cette étape, le CISSS n’était pas informé d’une contravention de son Questionnaire médical aux articles 4, 5, 10 et 18.1 de la Charte.
[181] Chose certaine, le commentaire de A.A. n’est pas étranger au fait que le CISSS effectue, dans les mois qui suivent, une analyse du Questionnaire médical et constate que celui-ci contrevient aux dispositions de la Charte. Ainsi, il n’a pas été démontré que lors de l’entrevue, le CISSS avait cette connaissance ce qui, pour l’attribution de dommages punitifs, était nécessaire.
[182] C’est pourquoi il n’y a donc pas lieu d’accueillir la demande de la Commission relative aux dommages punitifs.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[183] ACCUEILLE en partie la demande introductive de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse;
[184] PREND ACTE de l’admission du Centre intégré de santé et de services sociaux des Laurentides à l’effet que le questionnaire médical pré-affectation auquel a répondu A.A. le 15 octobre 2012 est, en regard du poste de psychologue, discriminatoire et contrevient aux dispositions de la Charte, incluant les articles 18.1, 4, 5 et 10 de la Charte;
[185] DÉCLARE que le questionnaire médical pré-affectation du Centre intégré de santé et de services sociaux des Laurentides auquel a répondu A.A. le 15 octobre 2012 est, en regard du poste de psychologue, discriminatoire et contrevient aux dispositions de la Charte, incluant les articles 18.1, 4, 5 et 10 de la Charte;
[186] ORDONNE au Centre intégré de santé et de services sociaux des Laurentides de réviser, dans les 60 jours du jugement à être rendu, le questionnaire médical pré-affectation afin que celui-ci ne requière aucun renseignement sur les motifs visés par l’article 10 de la Charte, sauf si ces renseignements sont fondés sur les aptitudes ou les qualités requises pour le poste de psychologue;
[187] CONDAMNE le Centre intégré de santé et de services sociaux des Laurentides à payer la somme de 4 000 $ à A.A. à titre de dommages moraux, avec les intérêts et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter du 12 septembre 2014, date de la signification de la proposition des mesures de redressement. Cette somme sera versée au compte en fidéicommis de la Commission qui devra remettre celle-ci à la personne identifiée comme étant A.A. dès que le présent jugement sera exécutoire;
[188] AUTORISE en partie la demande de modification formulée par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse en limitant la modification au questionnaire médical pré-affectation complété par A.A. le 15 octobre 2012 ainsi qu’à celui complété le 15 septembre 2009;
[189] ORDONNE au Centre intégré de santé et de services sociaux des Laurentides de ne plus conserver, ni utiliser les questionnaires médicaux pré-affectation complétés par A.A. les 15 octobre 2012 et 15 septembre 2009 et de les détruire de manière sécuritaire, incluant toutes les copies en sa possession, et de confirmer le tout à la Commission dans les 60 jours du présent jugement.
LE TOUT, AVEC LES FRAIS DE JUSTICE.
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__________________________________ YVAN NOLET Juge au Tribunal des droits de la personne |
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Me Stéphanie Fournier BOIES DRAPEAU BOURDEAU |
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Pour la partie demanderesse |
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Me Alexandra Doyon Me Anne-Marie Bertrand MONETTE BARAKETT, s.e.n.c. |
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Pour la partie défenderesse
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Date d’audience : |
Les 27 et 28 avril 2016 |
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[1] La Commission a demandé que la partie plaignante soit identifiée au présent jugement sous le vocable A.A. La décision du Tribunal est au paragraphe 1 du jugement.
[2] L’utilisation du pronom « elle » au présent jugement sera effectuée en référence à la personne qui a porté plainte.
[3] RLRQ, c. C-12.
[4] Pièce D-3, Copie du « Questionnaire médical pré-affectation du 15 octobre 2012 » complété par A.A.
[5] Le CISSS résulte de la fusion de plusieurs établissements de santé survenue le 1er avril 2015 en vertu de la Loi modifiant l’organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux, notamment par l’abolition des agences régionales. Il compte aujourd'hui environ 14 000 travailleurs et travailleuses. Lors des événements relatifs au présent dossier, c’est le CSSS Thérèse-de-Blainville qui a administré à A.A le questionnaire pré-affectation.
[6] Aujourd'hui appelé CISSS des Laurentides, bureau de Thérèse-de-Blainville.
[7] En 2009, le bureau est appelé le CSSS St-Jérôme. A.A. précise qu'elle occupe aujourd'hui un poste permanent à temps partiel.
[8] Pièce P-2, « Description de fonction ».
[9] Pièce D-3, Copie du « Questionnaire médical pré-affectation du 15 octobre 2012 ».
[10] Elle dira être alors dans une position de dissonance cognitive, qu'elle décrit comme le fait d'avoir des pensées ou des sentiments contraires mais à valeurs égales.
[11] Il travaille aujourd'hui comme agent de gestion en santé et sécurité du travail au sein du CISSS.
[12] Il détient un certificat en sciences infirmières, un autre en santé et sécurité du travail et un troisième en relations industrielles. Il est membre de l'Ordre des infirmières et infirmiers et du Québec depuis 1998. Monsieur Beaudry détient également un diplôme d'études collégiales en sciences infirmières.
[13] Pièce D-3, Copie du « Questionnaire médical pré-affectation - Rapport d'évaluation médicale » du 15 octobre 2012.
[14] Parmi les principaux avantages du poste au CSSS Thérèse-de-Blainville, A.A. mentionne le fait qu'il soit à temps partiel, la thérapie individuelle qui y est privilégiée et la proximité de son domicile.
[15] Pièce D-3, Copie du « Questionnaire médical pré-affectation - Rapport d'évaluation médicale » du 15 octobre 2012.
[16] Pièce D-4, « Notes d'évolution de A.A. du 15 octobre 2012 ». Document rédigé et signé par monsieur Beaudry.
[17] Pièce D-7, « Questionnaire médical pré-affectation du 15 septembre 2009 ».
[18] A.A. fera notamment référence au CSSS Hochelaga-Maisonneuve. Elle se souvient également avoir été convoquée à une entrevue à Terrebonne, mais ne peut pas dire si elle avait ou non dû répondre à un questionnaire médical.
[19] A.A. déclare au procès avoir été informée du caractère possiblement illégal du questionnaire par un membre de sa famille après 2009, mais avant son entrevue au CSSS Thérèse-de-Blainville en 2012.
[20] Le témoin rapporte que, depuis, le questionnaire médical a été révisé à la suite des travaux réalisés par l'Association québécoise d'établissements de santé et de services sociaux (AQESSS) pour l'ensemble des titres d'emploi au CSSS Thérèse-de-Blainville. Monsieur Beaudry a activement participé aux travaux. Un nouveau questionnaire a été adopté en 2014. Voir la pièce D-6, « Questionnaire révisé du CSSS Thérèse-de-Blainville ».
[21] Le témoin affirme avoir envoyé un premier courriel à la Commission le 22 décembre 2012. Demeurée sans nouvelles, elle les contacte par téléphone le 12 février 2013.
[22] Pièce D-5, « Formulaire de plainte Charte » signé le 28 février 2013.
[23] Seul le personnel du service de santé et sécurité a accès aux dossiers médicaux des employés.
[24] Madame Boucher est coordonatrice en santé, sécurité, mieux-être au CISSS Laurentides depuis août 2015.
[25] RLRQ, c. C-25.01.
[26] Syndicat des infirmières, inhalothérapeutes, infirmières auxiliaires du Cœur du Québec (SIIIACQ) c. Centre hospitalier régional de Trois-Rivières, 2012 QCCA 1867 (demande pour autorisation d’appeler refusée, C.S.C., 21-03-2013, 35130) (« Centre hospitalier de Trois-Rivières »).
[27] Giroux c. Québec (Procureur général), 1995 CanLII 1563 (QC T.D.P.); Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Institut Demers inc., 1999 CanLII 51 (QC T.D.P.) (« Institut Demers »); Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Transport en commun La Québécoise Inc., 2002 CanLII 9226 (QC T.D.P.) (« Transport en commun La Québécoise Inc. »); Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Magasins Wal-Mart Canada inc., 2003 CanLII 24566 (QC T.D.P.) (« Magasins Wal-Mart Canada inc. »), inf. en partie par 2005 QCCA 93; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Systématix Technologies de l'information inc., 2010 QCTDP 18 (« Systématix Technologies de l'information inc. »); Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Bathium Canada inc., 2015 QCTDP 13 (« Bathium Canada inc. »).
[28] Transport en commun La Québécoise Inc., id., par. 29. Voir également Centre hospitalier de Trois-Rivières, préc., note 26, par. 63; Magasins Wal-Mart Canada inc., id., par. 172 et 174; Systématix Technologies de l'information inc., id., par. 74.
[29] Institut Demers, préc., note 27, par. 65.
[30] Centre hospitalier de Trois-Rivières, préc., note 26; Bathium Canada inc., préc., note 27, par. 34 à 38.
[31] Transport en commun La Québécoise Inc., préc., note 27, par. 29. Voir aussi Systématix Technologies de l'information inc., préc., note 27, par. 111.
[32] Magasins Wal-Mart Canada inc., préc., note 27, par. 171.
[33] Centre hospitalier régional de Trois-Rivières, préc., note 26, par. 64 et 65.
[34] Id., par. 67.
[35] Id., par. 68.
[36] Id., par. 69.
[37] Bathium Canada inc., préc., note 27, par. 68.
[38] Id., par. 66.
[39] Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Québec (Procureur général), 2004 CanLII 49209, par. 42, (QC T.D.P.).
[40] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Syndicat des constables spéciaux, 2010 QCTDP 3, par. 204, inf. par 2013 QCCA 141. Voir aussi Association des pompiers de Laval c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, 2011 QCCA 2041, par. 46.
[41] Institut Demers, note 27, par. 68.
[42] Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, RLRQ, c. A-2.1.
[43] Transport en commun La Québécoise Inc., préc., note 27, par. 34.
[44] Id.
[45] Id., par. 31.
[46] Law c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration du Canada, [1999] 1 R.C.S. 497.
[47] Id., 530, par. 53. Cité dans Transport en commun La Québécoise, préc., note 27, par. 31 et 32.
[48] Systématix Technologies de l'information inc., préc., note 27, par. 119.
[49] Bathium Canada inc., préc., note 27, par. 69.
[50] Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, 174-175; Systématix Technologies de l'information inc., préc., note 27, par. 114; Institut Demers, préc., note 27, par. 97.
[51] Bathium Canada inc., préc., note 27, par. 64.
[52] Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39, par. 103.
[53] Voir l’admission de l’infirmier, paragraphe 47 ci-dessus.
[54] Jean-Yves BRIÈRE, Fernand MORIN, Dominic ROUX et Jean-Pierre VILLAGGI, Le droit de l'emploi au Québec, 4e éd., Montréal, Éditions Wilson & Lafleur, 2010, no. II-12, p. 198.
[55] Id.
[56] COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITS DE LA JEUNESSE, Les examens médicaux en emploi, 1998, p. 19; J-Y BRIÈRE, F. MORIN, D. ROUX et J-P VILLAGGI, préc., note 54, no. II-21, p. 218; Émilie GAGNÉ, Anne-Marie LAFLAMME et Gilles TRUDEAU, Recrutement et sélection du personnel, Montréal, Lexis Nexis, Collection Thema, 2014, p. 2/47, par. 102.
[57] É. GAGNÉ, A. LAFLAMME et G. TRUDEAU, id.
[58] Institut Demers, préc., note 27, par. 72.
[59] J-Y BRIÈRE, F. MORIN, D. ROUX et J-P VILLAGGI, préc., note 54, no. II-21, p. 218.
[60] Syndicat des infirmières, inhalothérapeutes, infirmières auxiliaires du Cœur du Québec (SIIACQ) c. Centre hospitalier de Trois-Rivières, préc., note 26, par. 69.
[61] Voir l'article 46 de la Charte, l'article 2087 du Code civil du Québec (RLRQ) et l'article 51 de la Loi sur la santé et la sécurité au travail (RLRQ, c. S-2.1).
[62] 9146-7308 Québec inc. c. Granby (Ville de,) 2013 QCCS 5963, par. 22, confirmé par 2014 QCCA 1027.
[63] Société en commandite de Copenhague c. Corporation Corbec, 2014 QCCA 439; P.R. St-Germain inc. c. Provigo Distribution inc., 2014 QCCS 6139; Sofia c. Banque Nationale du Canada, 2012 QCCS 4181.
[64] St-Eustache (Ville de) c. Carrière St-Eutache ltée, 2013 QCCQ 12996 (requête pour permission d'appeler rejetée, 2013 QCCA 2169).
[65] Pièce D-7.
[66] Bou Malhab c. Métromedia CMR Montréal inc., 2003 CanLII 47948, (QC C.A.) par. 62 et 63.
[67] Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand, 1996 CanLII 172 (CSC), [1996] 3 R.C.S. 211, par. 121.
[68] [2012] 1 R.C.S. 265, par. 210.
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