Décision

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COUR DU QUÉBEC

JM 1820

 

 
R. c. Fortin

2014 QCCQ 13381

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

BEDFORD

LOCALITÉ DE

GRANBY

« Chambre Criminelle »

N° :

460-01-026355-135

 

 

 

DATE :

16 décembre 2014

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

FRANÇOIS MARCHAND

______________________________________________________________________

 

 

LA REINE

Poursuivante - Intimée

c.

MARIO FORTIN

Accusé - Requérant

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR UNE REQUÊTE EN EXCLUSION DE LA PREUVE

EN VERTU DES ARTICLES 9, 24(1) ET 24(2) DE LA

CHARTE CANADIENNE DES DROITS ET LIBERTÉS

______________________________________________________________________

 

[1]        Le Tribunal est saisi d'une requête en exclusion de la preuve, en vertu des articles 9, 24(1) et 24(2) de la Charte Canadienne des droits et libertés.

[2].       L'accusé fait face aux deux chefs d'accusation suivants :

1.    Le ou vers le 23 mai 2013, à Waterloo, district de Bedford, a conduit un véhicule à moteur, alors que sa capacité de conduire ce véhicule était affaiblie par l'effet de l'alcool ou d'une drogue, commettant ainsi l'infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité prévue aux articles 253(1)a) et 255(1) du Code criminel

2.    Le ou vers le 23 mai 2013, à Waterloo, district de Bedford, a conduit un, véhicule à moteur, alors qu'il avait consommé une quantité d'alcool telle que son alcoolémie dépassait 80 milligrammes d'alcool par 100 millilitres de sang, commettant ainsi l'infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité prévue aux articles 253(1)b) et 255(1) du Code criminel.

[3]        Le 23 mai 2013, Maude Sansoucy, gendarme, en compagnie de son collègue Olivier Paquette, circule sur la route 112 à Waterloo, en direction est, lorsque, vers 2h35, elle voit un véhicule venant en sens inverse tourner brusquement sur la rue Beauregard. Cette manœuvre l'interpelle tellement qu'elle se met à la poursuite du véhicule.           .

[4]        Le secteur dans lequel s'engage le véhicule est résidentiel et il s'agit d'un cul-de-sac.

[5]        Lorsqu'elle entreprend son virage sur la rue Beauregard, elle constate que le véhicule effectue une autre manœuvre brusque pour tourner sur la prochaine rue à droite. Elle continue sa poursuite et voit le véhicule effectuer un troisième virage brusque à gauche. iL s'agit de mouvements rapides et brusques. Elle pense que le véhicule veut fuir l'auto-patrouille.

[6]        Elle actionne alors les gyrophares, mais le véhicule tourne brusquement sur la rue Papineau et entre dans une entrée privée, après avoir circulé quelques mètres sur cette rue.

[7]        Elle stationne son auto dans la rue près de l'entrée et l'agent Paquette sort de l'auto-patrouille et se dirige vers le conducteur, lequel s'apprête à quitter son véhicule. Il se rend près du conducteur. Elle rejoint l'agent Paquette. Ce dernier demande à l'individu de lui fournir les documents pertinents, soit permis de conduire, certificat d'immatriculation et preuve d'assurance. Un, à un, et de façon lente, l'individu s'exécute. Il arrête son choix sur un certificat d'immatriculation et constate que celui-ci est expiré. L'individu le déchire. li a les yeux rouges. Il mentionne qu'il arrive de travailler et qu'il demeure dans la maison se trouvant sur le terrain où son véhicule est stationné. Ce fait est d'ailleurs constaté par les policiers, à la lecture des documents remis par l'individu.

[8]        Après vérification, il s'avère que les documents confiés par l'accusé sont valides. L'agente Sansoucy sent une odeur d'alcool provenant de l'haleine de l'individu.

[9]        On lui ordonne de souffler dans l'appareil de détection approuvé. L'accusé s'exécute et le résultat est "fail". Il est alors mis en état d'arrestation et transporté au poste de police où les prélèvements d'échantillons d'haleine donneront un résultat de 127 mg par 100 millilitres de sang.

[10]      Le procureur de la défense interpelle la policière sur les éléments suivants :

Ø  Dans le rapport, il n'est pas inscrit que l'individu cherchait à fuir ;

Ø  Il n'est pas non plus indiqué le motif de l'interception du véhicule. D'ailleurs, la policière confirme qu'il ne s'agissait pas d'une interception pour un motif relié au Code de la sécurité routière.

Témoignage d'Olivier Paquette

[11]      Olivier Paquette corrobore le témoignage de l'agent Sansoucy. Il a vu le véhicule entreprendre la rue Beauregard par une manœuvre brusque, ce qui a attiré son attention. Sans qu'ils se concertent, l'agente Sansoucy entreprend de suivre le véhicule.

[12]      Il confirme tous les autres gestes.

[13]      Son intention est de vérifier l'état de capacité de conduire de l'individu. D'ailleurs, dès qu'il se rend près de lui, il lui mentionne qu'il a l'intention de vérifier son état de conduire.

[14]      Suite aux questions du policier, l'accusé répond qu'il n'a pas consommé de boissons alcooliques. Pourtant, une odeur d'alcool provient de son haleine, ses yeux sont vitreux et ses gestes sont lents.

[15]      Il reconnaît que dans son rapport n'est pas inscrit le motif d'interception du véhicule.

Prétention du requérant

[16] Le requérant soutient qu'il s'agit d'une interception et d'une arrestation illégales, puisque les policiers n'avaient aucun motif émanant du Code de la sécurité routière ou du Code criminel, leur permettant de procéder à l'interception du véhicule. L'accusé n'a effectué aucune manœuvre constituant une infraction ou pouvant indiquer aux policiers qu'une infraction était en cours. De plus, le secteur ne faisait pas l'objet d'une vérification particulière reliée à une série de crimes.

[17]      Il allègue que l'interception du véhicule n'était pas fondée sur un pouvoir statutaire ou encore, un pouvoir émanant de la Common Law.

[18]      Il plaide que les policiers ne pouvaient intervenir pour vérifier une intuition ou un vague soupçon. Il argue qu'il a été mis en état d'arrestation, suite à une détention arbitraire et contraire aux droits fondamentaux protégés par la Charte Canadienne des droits et libertés.

Prétention de l'intimée

[19]      L'intimée soutient que l'arrestation de l'accusé a été faite en conformité à la loi.

[20]      Advenant que le Tribunal statue qu'il s'agit d'une arrestation en violation des dispositions de la Charte Canadienne des droits et libertés, elle soutient qu'en vertu des arrêts Harrison[1], Grant[2] et Suberu[3], la requête devrait être rejetée, puisque l'intérêt de la société commande à ce que l'affaire soit jugée au fond.

Analyse et décision

[21]      Selon l'arrêt Cotnoir[4], il est reconnu que les agents de la paix tirent leur pouvoir d'intervention du Code Criminel et des lois spéciales comme le Code de la sécurité routière ou encore, celle créant les corps policiers.

[22]      De plus, la Common Law octroie certains pouvoirs, même si ceux-ci ne sont pas définis avec précision.

[23]      L'interception dûment faite pour des motifs liés à la sécurité routière ou autres motifs sera légale, dans la mesure où aucune de ces raisons n'est illégitime. [5]

[24]      Dans l'arrêt R. c. Mann[6], le juge lacobucci, parlant pour la majorité, écrit :

Comme il a été expliqué plus tôt, pour trancher les questions qui sont en litige dans le présent pourvoi, la Cour doit mettre en balance les droits à la liberté individuelle et au respect à la vie privée d'une part, et l'intérêt de la société à disposer de services efficaces de maintien de l'ordre. Sauf règle de droit à l'effet contraire, les gens sont libres d'agir comme ils l'entendent. En revanche, les policiers (et, d'une manière plus générale, l'État) ne peuvent agir que dans la mesure où le droit les autorise à le faire. La vitalité d'une démocratie ressort de la sagesse manifestée par celle-ci lors des moments critiques où l'action de l'État intersecte et menace d'entraver des libertés individuelles.

[25]      Dans l'arrêt R. c. Ladouceur[7], la Cour suprême mentionne à la page 1287 :

Les policiers ne peuvent interpeller des personnes que pour des motifs fondés sur la loi, en l'espèce, les motifs relatifs à la conduite d'une automobile comme la vérification du permis de conduire, des assurances et de la sobriété du conducteur ainsi que l'état mécanique du véhicule. Lorsque l'interpellation est effectuée, les seules questions qui peuvent être justifiées sont celles qui se rapportent aux infractions en matière de circulation. Toute autre procédure plus inquisitoire ne pourrait être engagée que sur le fondement de motifs raisonnables et probables. Lorsqu'une interpellation est jugée illégale, les éléments de preuve ainsi obtenus pourraient bien être écartés en vertu de l'article 24(2) de la Charte canadienne des droits et libertés.

[26]      Les principes de base ont aussi été rappelés par le juge Pierre Lortie dans La Reine c. Martin Gaudreault[8]. Nous le citons :

« Selon l'arrêt Cotnoir, il est reconnu que les agents de la paix tirent leurs pouvoirs d'intervention du Code criminel, les lois créant les corps policiers et des lois spéciales comme le Code de la sécurité routière. En outre, la common law octroie certains pouvoirs, même s'ils ne sont pas définis avec précision.

Les policiers ne doivent cependant pas agir pour des motifs « obliques », pour entreprendre une enquête générale dénuée de tout fondement ou pour satisfaire une curiosité ou un caprice.

A l'inverse, les auteurs Béliveau et Vauclair mentionnent, en résumant l'état du droit, que « si l'interception est dûment faite pour des motifs liés à la sécurité routière ainsi que pour d'autres motifs, elle sera légale dans la mesure où aucune de ces raisons n'est illégitime ».

[27]      Dans R. c. Savard[9], l'honorable Micheline Paradis écrit ce qui suit :

[22]      Même si les policiers jouissent d'un large pouvoir d'intervention, notamment en vertu de l'article 636 du Code de la sécurité routière, il est bien établi qu'ils ne peuvent interpeller des personnes que pour des motifs fondés sur la loi (R. c. Ladouceur [1990], R.C.S., 257).

[23]      Les faits sont à analyser dans ce genre de dossier, il n'y avait aucun motif relatif à la conduite de l'automobile, les policiers n'agissaient donc pas en vertu du Code de la sécurité routière.

[24]      Le Tribunal constate également l'absence de motifs raisonnables et concrets de croire qu'une infraction d'autre nature avait été ou était sur le point d'être commise. Le seul motif était l'heure tardive et le stationnement dans la cour d'un commerce, mais loin de l'entrée, le véhicule était stationné au su et au vu de tout le monde dans un endroit éclairé. Cela n'est pas suffisant pour justifier une interception.

[25]      Les policiers ne pouvaient intervenir simplement pour confirmer une intuition, un vague soupçon (La Reine c. Legault, [1998]., RJQ 2814(C.S.)) ou pour vérifier le pourquoi de la présence du véhicule à cet endroit dans les circonstances rapportées ou tout simplement pour identifier la conductrice. Le Tribunal ne peut que constater qu'il n'y avait aucun « motifs précis » ni soupçon raisonnable justifiant l'interpellation de la défenderesse, comme le soulignait le juge Abud dans un dossier similaire (La Reine c. Maurice Lapointe, C.Q., 15001-009320-036, juge Marucie Abud, 12 janvier 2004).

« Accepter cette façon de faire de la part des policiers leur permettrait d'arrêter n'importe qui circulant au volant de son véhicule durant la nuit. Un agent de la paix ne peut utiliser les pouvoirs qui lui sont conférés par l'article 636 du Code de la sécurité routière pour effecteur une enquête générale ou une fouille dans un véhicule. Il doit limiter son enquête à celle que le Code de la sécurité routière l'autorise à mener »,

[28]      L'interception d'un véhicule et la détention de ses occupants ne sont autorisés en vertu de la Common Law, que si elles ont pour objet de prévenir un préjudice spécifique identifiable et imminent ou qu'elles sont nécessaires à la préservation de la paix publique. [10]

[29]      L'interception d'un véhicule automobile au hasard, sans motif raisonnable et sans aucune justification légale constitue une détention arbitraire, à moins qu'elle soit autorisée par la loi. [11]

[30]      Dans une décision très fouillée, le juge Cournoyer conclut que l'intérêt légitime d'un policier de prévenir la commission d'un crime n'est source d'aucun pouvoir légal d'intervention. [12]

[31]      L'article 9 de la Charte Canadienne des droits et libertés stipule :

9. Chacun a droit à la protection contre la détention ou l'emprisonnement arbitraires.

[32]      Le paragraphe a) de l'article 10 de la Charte énonce :

10. Chacun a le droit, en cas d'arrestation ou de détention :

a)    d'être informé dans les plus brefs délais des motifs de son arrestation ou de sa détention ;

[…]

[33]      L'agent Sansoucy ne donne pas d'explication précise, quant au motif d'interpellation de l'accusé.

[34]      L'agent Olivier Paquette affirme qu'il voulait vérifier l'état de capacité de conduire de l'individu.

[35]      Rien dans la preuve ne pouvait démontrer quelque motif que ce soit sur l'état de l'accusé pour conduire le véhicule. Il n'a commis aucune infraction, en vertu du Code de la sécurité routière et encore moins en vertu du Code criminel.

[36]      À la lumière de ces principes, la Cour conclut qu'il y a eu violation des droits de l'accusé reconnus par l'article 9 de la Charte. Le requérant a été détenu de façon arbitraire et illégale.

Le remède approprié

[37]      La Cour suprême a rendu, en 2009, trois décisions importantes concernant les critères applicables, afin de déterminer s'il y a lieu d'exclure la preuve, lorsqu'il y a atteinte aux droits garantis par la Charte.[13]

[38]      Le Tribunal doit appliquer un test en quatre étapes, afin d'établir si l'utilisation des éléments de preuve est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. Il s'agit :

a)         D'évaluer la gravité de fa conduite attentatoire de l'État ;

b)         D'apprécier l'incidence de la violation sur les droits de l'accusé garantis par la Charte ;

c)         D'analyser l'intérêt de la société à ce que l'affaire soit jugée au fond ;

d)         De soupeser la mise en balance de tous les facteurs applicables.

[39]      Notons que la Cour suprême rappelle qu'aucune règle prépondérante ne régit cet exercice qui ne peut manifestement pas être effectué avec une précision mathématique. Ainsi, l'exercice vise avant tout le maintien à long terme de l'intégrité du système de justice et de la confiance à son égard. L'exclusion d'éléments de preuve qui aboutit à un acquittement peut provoquer des critiques sur le coup, mais il n'en demeure pas moins que les réactions immédiates, dans des cas particuliers, ne sont pas visées par l'objet du paragraphe 2 de l'article 24 de la Charte.[14]

[40]      De plus, le paragraphe 24(2) C.C.D.L. a un objet sociétal. Il n'a pas pour but de sanctionner la conduite des policiers ou de dédommager l'accusé. Il a plutôt une portée systémique. il se rapporte aux importantes répercussions de l'utilisation d'éléments de preuve sur la considération à long terme portée au système de justice.[15]

1.         La gravité de la conduite attentatoire de l'État

[41]      À cette première étape, «le tribunal doit évaluer si l'utilisation d'éléments de preuve déconsidérerait l'administration de la justice en donnant à penser que les tribunaux, en tant qu'institution devant répondre de l'administration de la justice, tolèrent en fait les entorses de l’État au principe de la primauté du droit en ne se dissociant pis du fruit de ses conduites illégales. »[16]

[42] À cet égard, « le tribunal aura moins à se dissocier de la conduite de la police lorsque celle-ci a agi de « bonne foi », quoiqu'il soit impératif de ne pas récompenser ou encourager l'ignorance des règles établies par la Charte et de ne pas assimiler la négligence ou l'aveuglement volontaire à la bonne foi : R. c. Genest, [1989] 1 R.C.S.59, p. 87, le juge en chef Dickson ; R. c. Kokesch, [1990] 3 R.C.S. 3, p. 32-33, le juge Sopinka ; R. c. Buhay, 2003 CSC 30, [2003] 1 R.C.S. 631, par. 59. Le non-respect délibéré ou manifeste de la Charte de la part de ceux-là mêmes qui sont chargés du maintien des droits qui y sont garantis peut dicter au tribunal de se dissocier d'une telle conduite. Il s'ensuit que des gestes policiers contrevenant délibérément aux règles établie par la Charte tendront à fonder l'exclusion des éléments de preuve. [...] Compte tenu de la nécessité que les tribunaux se distancient de tels comportements, la preuve que des actes portant atteintes à la Charte s'inscrivent dans un contexte d'abus tend à fonder l'exclusion. »[17]

[43]      Tel que l'écrit la juge en chef McLachlin :

« [...] Bien que l'"intuition" d'un policier soit un outil d'investigation valable - d'ailleurs, en espèce, elle s'est avérée hautement fiable - elle ne peut remplacer les normes prescrites par la Charte lorsqu'elle entrave la liberté d'un suspect.

[...] Qui plus est, la dérogation aux normes prescrites par la Charte était flagrante, puisqu’absolument aucun motif raisonnable ne permettait au policier d'intercepter initialement le véhicule de l'appelant. »[18]

[44]      L'intervention policière dans la présente cause n'est basée sur aucun motif valable. On ne peut prétendre que les policiers ont agi de bonne foi, puisque la preuve découlant de leur témoignage indique qu'ils n'ont aucun motif justifiant l'interception du véhicule et, conséquemment, l'arrestation de l'accusé. Les soupçons, intuitions et impressions ne sont pas des outils d'investigation suffisants. C'est ce que tout policier doit savoir.

[45]      La violation est donc grave et mérite que le Tribunal s'en dissocie.

2.         L'incidence de la violation sur les droits de l'accusé garantis par la Charte

[46]      Au sujet de cette deuxième tape de l'analyse, la Cour suprême écrit :

L'examen de cette question met l'accent sur l'importance de l'effet qu'a la violation de la Charte sur les droits qui y sont garantis à l'accusé, et il impose d'évaluer la portée réelle de l'atteinte aux intérêts protégés par le droit en cause. Cet effet peut être passager ou d'ordre simplement formel comme if peut être profondément attentatoire. Plus il est marqué, plus l'utilisation des éléments de preuve risque de donner à penser que les droits garantis par la Charte, pour encensés qu'ils soient, ne revêtent pas d'utilité réelle pour les citoyens, ce qui engendrerait le cynisme et déconsidérerait l'administration de la justice.

Pour juger de la gravité de la violation dans cette perspective, nous examinons les intérêts protégés par le droit transgressé, puis évaluons l'ampleur des conséquences de la violation sur ces intérêts. [...] Le risque que l'utilisation des éléments de preuve déconsidère l'administration de la justice augmente en fonction de la gravité de l'empiétement sur ces intérêts. »[19]

[47]      Certes, la preuve obtenue, à savoir la prise d'échantillons d'haleine, constitue un procédé moins intrusif que celui de la fouille à nu.

[48]      Toutefois, elle a été faite suite à une arrestation que le Tribunal a déclarée illégale. L'incidence de la violation est une atteinte grave sur les droits de l'accusé.

3.         L'intérêt du public à ce que l'affaire soit jugée au fond

[49] Le Tribunal doit maintenant « déterminer si la fonction de recherche de la vérité que remplit le procès criminel est mieux servie par l'utilisation ou par-l'exclusion d'éléments de preuve. »[20]

[50]      La Cour suprême énonce les commentaires suivants :

« [...] L'opinion voulant que des éléments de preuve fiables soient admissibles peu importe la façon dont ils ont été obtenus (voir R. c. Wray, [1971] P.C.S. 272) est incompatible avec la déclaration de droits énoncée dans la Charte et, plus particulièrement, avec le libellé du par. 24 (2) qui requiert un large examen de l'ensemble des circonstances, et non la seule appréciation de la fiabilité des éléments de preuve en cause. »

« L'importance des éléments de preuve pour la poursuite est un autre facteur à prendre en considération. [...]

D'aucuns font valoir. que la gravité de l'infraction reprochée doit également être prise en considération. [...] La clameur publique immédiate exigeant une condamnation ne doit pas faire perdre de vue au juge appelé à appliquer le par. 24 (2) la réputation à plus long terme du système de justice. En outre, si la gravité d'une infraction accroît l'intérêt du public à ce qu'il y ait un jugement au fond, l'intérêt du public en l'irréprochabilité du système de justice n'est pas moins vital, particulièrement lorsque l'accusé encourt de lourdes conséquences pénales. »[21]

[51]      L'intérêt du public commande à ce que l'affaire soit jugée au fond. En effet, la conduite automobile sous l'effet de l'alcool est un fléau et doit être réprimée. Le Tribunal est conscient que les éléments de preuve saisis sont essentiels à la poursuite pour prouver, hors de tout doute raisonnable, la culpabilité de l'accusé.

4.         La mise en balance des facteurs

[52]      À cette dernière étape, la Cour suprême nous enseigne :

« L'exercice de mise en balance que commande le par. 24 (2) est de nature qualitative et il ne peut être effectué avec une précision mathématique. H ne s'agit pas simplement de savoir si, dans un cas en particulier, la majorité des facteurs pertinents milite en faveur de l'exclusion. La preuve à l'égard de chacune de ces questions doit être soupesée afin de déterminer si, eu égard aux circonstances, l'utilisation des éléments de preuve serait susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. La nécessité pour le système de justice de se dissocier de l'inconduite de la police ne l'emporte pas toujours sur les intérêts de recherche de la vérité du système de justice pénale. L'inverse est tout aussi vrai. Dans tous les cas, c'est la considération à long terme pour l'administration de la justice qui doit être examinée. »[22]

[53]      L'interpellation des policiers n'était pas fondée. Ils n'avaient aucun soupçon lié à la commission d'un acte criminel, aucun reproche valable quant à la conduite du véhicule ni aucun motif justifiant une telle intervention et en conséquence, la détention était arbitraire.

[54]      Le Tribunal est d'avis que la considération dont jouit l'administration de la justice est grandement affectée, si l'on permet que des procès puissent être instruits sur la base d'une preuve recueillie suite à une arrestation illégale. La considération dont la justice jouit est immanquablement ternie, lorsqu'elle ferme les yeux sur des arrestations arbitraires et illégales.

[55]      Dans la présente affaire, la primauté du droit doit l'emporter sur l'intérêt à ce que les éléments de preuve recueillis soient produits dans le cadre du procès.

            POUR CES MOTIFS, LA COUR :

            ACCUEILLE la requête du requérant ;

DÉCLARE que les policiers n'avaient pas de motif pour procéder à l'interpellation de l'accusé ;

DÉCLARE l'arrestation de l'accusé illégale et contraire à l'article 9 de la Charte Canadienne des droits et libertés ainsi qu'a l'article 495 du Code criminel ;

ORDONNE l'exclusion de tous les éléments de preuve recueillis suite à l'interception illégale.

 

 

François Marchand, J.C.Q.

 

Me Geneviève Cardin

Procureure aux poursuites criminelles et pénales

 

Me Carline Boisvert

Procureure de l'accusé

 

Date d’audience :

24 septembre 2014

 



[1]    2009 C.S.C. 34

[2]    2009 C.S.C. 32

[3]    2009 C.S.C. 33

[4]    2000 J.Q. no 3610, C.A.

[5]    Pierre Béliveau et Martin Vauclair, Traité général. de preuve et de procédure pénales, 101ième édition, Montréal, Éditions Thémis, 2003, no 1234, page 542

[6]    2004 3 R.C.S. 59

[7]    1990 1 R.C.S. 1257

[8]    R. c. Gaudreault, C.Q. Chicoutimi, no 150-01-008935-034, 20 avril 2004.

[9]    2006 QCCQ 4823

[10]   R. c. R., [2000], 73 CRR, 2ieme édition, 360, C.S. Ontario ; Brown c. Durham Regional Police Force, C.A. Ontario, 59 CRR, 2ième édition, 5.

[11]   R. c. Hawkins, 2012 O.N.C.J., page 419

[12]   R c. Lessard, AZ-50455952

[13]   R. c. Harrisson, 2009, C.S.C. 34 ; R. c. Grant, 2009, C.S.C. 32 ; R. c. Suberu, 2009, C.S.C. 33.

[14]   Précité note 2.

[15]   Précité note 2.

[16]   Précité note 2.

[17]   Précité note 2.

[18]   Précité note 2.

[19]   Précité note 2.

[20]   Précité note 2.

[21]   Précité note 2.

[22]   Précité note 2.

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