Décision

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Gabarit de jugement pour la cour d'appel

Fraternité des policiers et policières de Saint-Jean-sur-Richelieu inc. c. St-Jean-sur-Richelieu (Ville de)

2016 QCCA 1086

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-024635-146

(755-17-001765-133)

 

DATE :

 23 juin 2016

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

ALLAN R. HILTON, J.C.A.

ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A.

ÉTIENNE PARENT, J.C.A.

 

 

FRATERNITÉ DES POLICIERS ET POLICIÈRES DE SAINT-JEAN-SUR-RICHELIEU INC.

APPELANTE - Mise en cause

c.

 

VILLE DE SAINT-JEAN-SUR-RICHELIEU

INTIMÉE - Demanderesse

Et

PIERRE LAPLANTE, ès qualités d'arbitre de grief

MIS EN CAUSE - Défendeur

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           L'appelante Fraternité des policiers et policières de Saint-Jean-sur-Richelieu inc. se pourvoit contre un jugement de la Cour supérieure, district d'Iberville (l'honorable Nicole-M. Gibeau) rendu le 2 juillet 2014, qui a accueilli la requête en révision judiciaire de l'intimée Ville de St-Jean-sur-Richelieu, infirmé la décision arbitrale du mis en cause Pierre Laplante et confirmé la sanction disciplinaire de suspension sans solde et congédiement de Robert St-Martin que l'intimée lui a imposée le 3 mars 2008.

[2]           Pour les motifs du juge Hilton, auxquels souscrivent les juges Mainville et Parent :

LA COUR :

[3]           REJETTE l'appel avec les frais de justice.

 

 

 

 

ALLAN R. HILTON, J.C.A.

 

 

 

 

 

ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A.

 

 

 

 

 

ÉTIENNE PARENT, J.C.A.

 

Me Serge Gagné

Roy, Bélanger, Dupras, avocats

Pour l'appelante

 

Me Richard Coutu

Me Pierre-Alexandre Boucher

Bélanger, Sauvé

Pour l'intimée

 

Date d’audience :

 24 février 2016



 

 

MOTIFS DU JUGE HILTON

 

 

I

L'INTRODUCTION

[4]           Avec l'autorisation d'une juge de cette Cour[1], l'appelante la Fraternité des policiers et policières de Saint-Jean-sur-Richelieu se pourvoit contre un jugement de la Cour supérieure rendu le 2 juillet 2014 par l'honorable Nicole-M. Gibeau, accueillant la requête en révision judiciaire de l'intimée Ville de St-Jean-sur-Richelieu. Le jugement dont appel a cassé la décision arbitrale du 17 mai 2013 du mis en cause Pierre Laplante annulant le congédiement survenu le 3 mars 2008 de Robert St-Martin, un membre du corps policier de la Ville avec le grade de capitaine, et a rétabli son congédiement[2].

[5]           Les motifs de congédiement que la Ville a invoqués sont reliés à des allégations de harcèlement, dont une à caractère sexuel, envers deux employées civiles, l'utilisation inappropriée d'un véhicule de police à des fins personnelles, la perte de temps au travail, l'insubordination et, le plus important, l'utilisation à des fins personnelles du Centre de renseignements policiers du Québec (communément connu sous l'acronyme CRPQ) à au moins 54 reprises entre 2002 et 2006.

[6]           Après avoir énuméré en détail les reproches faits à M. St-Martin, la lettre du directeur intérimaire du Service de police avisant celui-ci de son congédiement résume les motifs de la façon suivante :

Par l'ensemble de vos gestes, vous avez donc abusé de la confiance de votre employeur et profité de l'autonomie dont vous jouissiez dans le poste que vous occupiez.

Ces comportements de harcèlement, d'insubordination, de perte de temps au travail et d'utilisation du C.R.P.Q. à des fins personnelles se sont reproduits de façon continue, répétitive et systématique.

En effet, tous vos gestes ne relèvent pas d'un incident isolé, mais se sont étalés sur une période de plusieurs mois et de plusieurs années, ce qui en accroît leur gravité.

De plus, les actes de harcèlement que vous avez commis à l'égard de deux employées sont extrêmement graves, de même que les 54 utilisations du C.R.P.Q. pour obtenir des données confidentielles sur des femmes avec qui vous avez entretenu des relations ou avec lesquelles vous vouliez entretenir des relations, alors que vous aviez reçu votre formation.

Qui plus est, vous avez commis deux actes d'insubordination alors que vous étiez déjà affecté à des tâches administratives.

Vous avez manqué de façon délibérée et répétitive aux obligations fondamentales de votre contrat du travail, soit la loyauté, l'honnêteté et l'intégrité.

Compte tenu de la constance, de la répétitivité de vos gestes et de la très grande probabilité de récidive de votre part et compte tenu des hautes responsabilités que vous occupiez lors de la commission de ces manquements, les fautes que vous avez commises sont très graves et ont brisé le lien de confiance essentiel au maintien de la relation contractuelle que vous liait au Service de police.

En effet, vous avez compromis le lien de confiance que des subalternes doivent avoir envers leur supérieur, vous avez compromis le lien de confiance que les citoyens doivent avoir envers les policiers et en tant que membre de l'état-major, vous avez rompu le lien que le Service de police avait envers vous.

De plus, vous avez fortement entaché l'image et l'efficacité du Service de police de Saint-Jean-sur-Richelieu.

Vous n'avez donné aucune explication ni aucun élément me permettant de reconsidérer cette décision.

Pour toutes ces raisons et compte tenu que le Service de police doit assurer la mission que lui confie la Loi sur la police, le 28 février dernier, le Conseil municipal a adopté la résolution numéro CE-2008-02-0090 vous congédiant et dont vous trouverez copie ci-jointe. Toutes les sommes qui pourraient vous être dues ce jour, vous seront remises dans les meilleurs délais.

[7]           La décision attaquée a substitué au congédiement une suspension de 23 mois, accompagnée d'une rétrogradation rétroactive du grade de capitaine au grade de policier, et une ordonnance à la Ville de compenser M. St-Martin pour toutes les sommes et avantages perdus à partir de la date de la fin des 23 mois de suspension jusqu'à la date de sa réintégration en tant que policier. L'arbitre était d'avis que la Ville avait tort de considérer que toutes les fautes énumérées dans la lettre de congédiement du 3 mars 2008 « […] étaient prouvées et qu'elles constituaient, dans leur ensemble, une seule et même faute lourde, une faute lourde irréparable, une faute lourde ayant rompu à jamais l'essentiel lien de confiance. » C'est pourquoi l'arbitre a analysé chaque faute individuellement et a imposé une sanction uniquement à l'égard de celles pour lesquelles il y avait une preuve prépondérante[3].

[8]           Tel que formulé dans sa requête en autorisation devant cette Cour, la Fraternité recherchait la cassation du jugement entrepris et le rétablissement de la décision arbitrale. Indépendamment du sort possible du litige, un tel résultat n'est plus possible à la lumière d'autres procédures impliquant M. St-Martin depuis la décision de la Ville de le congédier en mars 2008.

[9]           Le 2 février 2012, dans un jugement fort élaboré, le juge Provost de la Cour du Québec a déclaré M. St-Martin coupable de 11 chefs d'accusation d'avoir obtenu frauduleusement et sans apparence de droit, directement ou indirectement, des services d’ordinateur contrevenant à l’article 342.1(1)a) C.cr., relativement à son utilisation illégale du CRPQ[4]. Le 4 avril, dans un jugement rendu oralement qui n'a pas été transcrit, le juge a imposé une amende de 200 $ et une suramende pour chacun des chefs. M. St-Martin a déposé une requête pour permission d'appeler du verdict de culpabilité devant cette Cour, mais il s'en est désisté avant l'adjudication de sa requête[5]. À la suite de ce désistement, la Ville a destitué M. St-Martin le 13 juin 2013, en vertu du second alinéa de l’article 119 de la Loi sur la police[6], qui prévoit ce qui suit :

119. Est automatiquement destitué tout policier ou constable spécial qui a été reconnu coupable, en quelque lieu que ce soit et par suite d’un jugement passé en force de chose jugée, d’un acte ou d’une omission visé au paragraphe 3° de l’article 115, poursuivable uniquement par voie de mise en accusation.


Doit faire l'objet d’une sanction disciplinaire de destitution tout policier ou constable spécial qui a été reconnu coupable, en quelque lieu que ce soit et par suite d'un jugement passé en force de chose jugée, d'un tel acte ou d'une telle omission, poursuivable soit sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, soit par voie de mise en accusation, à moins qu'il ne démontre que des circonstances particulières justifient une autre sanction. 

119. Any police officer or special constable who is found guilty, in any place, of an act or omission referred to in subparagraph 3 of the first paragraph of section 115 that is triable only on indictment, shall, once the judgment has become res judicata, be automatically dismissed.

A disciplinary sanction of dismissal must, once the judgment concerned has become res judicata, be imposed on any police officer or special constable who is found guilty, in any place, of such an act or omission punishable on summary conviction or by indictment, unless the police officer or special constable shows that specific circumstances justify another sanction.

 

[10]        Le 21 janvier 2014, à la suite d’une citation déposée par le Commissaire à la déontologie policière, le Comité de déontologie policière a destitué M. St-Martin pour avoir dérogé à l’article 7 du Code de déontologie des policiers du Québec[7] en utilisant à de nombreuses reprises le CRPQ à des fins personnelles[8]. Cette disposition prévoit ce qui suit :

7. Le policier doit respecter l'autorité de la loi et des tribunaux et collaborer à l'administration de la justice.

 

Notamment, le policier ne doit pas:

 

 1° empêcher ou contribuer à empêcher la justice de suivre son cours;

 2°  cacher ou ne pas transmettre une preuve ou un renseignement dans le but de favoriser ou de nuire à une personne.

 

7. A police officer must respect the authority of the law and of the courts and must collaborate in the administration of justice.

 

A police officer must not:

 

 (1)  prevent or contribute to preventing justice from taking its course;

 (2)  conceal or fail to pass on evidence or information in order to benefit or harm any person.

 

[11]        La Cour du Québec a rejeté l'appel de M. St-Martin contre cette décision le 25 février 2015[9]. Cette décision est finale et sans appel[10] et M. St-Martin ne l'a pas remise en question par un recours en révision judiciaire.

[12]        Puisqu’il n’est plus possible de réintégrer M. St-Martin comme policier à l'emploi de la Ville en application de l'ordonnance de l'arbitre, la Fraternité demande maintenant à la Cour, advenant une décision d'accueillir son appel, d'adopter les conclusions suivantes dans le dispositif de son arrêt :

RÉTABLIR la sentence arbitrale du mis en cause défendeur du 17 mai 2013, sauf l'ordonnance de réintégration du plaignant dans ses fonctions de policier;

ORDONNER à l'intimée de compenser le plaignant Robert St-Martin pour tous les avantages et sommes perdus, de la date de la fin de la suspension imposée par la décision arbitrale jusqu'à la date de sa destitution, le 13 juin 2013.

[13]        Les parties s'entendent que l'analyse de la Cour doit se limiter aux faits qui ont donné lieu à la décision de la Ville de congédier M. St-Martin le 28 février 2008, et au bien-fondé du jugement de la Cour supérieure eu égard au caractère raisonnable ou non de la décision arbitrale attaquée, tout en faisant abstraction des décisions en matières criminelle et déontologique, sauf à l'égard des conclusions à intervenir si la Cour estime qu'il y a lieu d'accueillir l'appel de la Fraternité.

II

LES FAITS ET LA DÉCISION ARBITRALE

[14]        M. St-Martin a débuté sa carrière comme policier à la Ville en 1985. Jusqu'à son congédiement en 2008, il a occupé successivement les fonctions de patrouilleur, sergent, lieutenant et, depuis 2006, celle de capitaine. Entre 2003 et 2006, les évaluations globales de son employeur indiquent un degré de rendement « très satisfaisant ». Durant cette même période, on lui a décerné une médaille de la Gouverneure générale du Canada en reconnaissance de ses 20 années de service exemplaire.

[15]        En juillet 2007, la Ville décide de procéder à une enquête disciplinaire au sujet de M. St-Martin après avoir été avisée de plaintes de harcèlement de la part de deux employées civiles du Service de police. À son retour de vacances le mois suivant, M. St-Martin est informé qu’il fait l’objet d’une enquête. Il est par conséquent relevé de ses fonctions de capitaine et est affecté à des tâches administratives pour une période indéterminée.

[16]        Le 16 octobre 2007, M. St-Martin reçoit une lettre l'informant que l’enquête a démontré plusieurs manquements de sa part au Règlement sur la discipline des policiers du Service de police de Saint-Jean-sur-Richelieu. Une liste desdits manquements accompagne cette lettre. Une rencontre est prévue le 31 octobre 2007 pour lui permettre de donner sa version des faits. Celle-ci est finalement reportée.

[17]        Compte tenu des résultats du rapport final de l’enquête disciplinaire et d’un rapport d’enquête sur son utilisation de données du CRPQ, M. St-Martin est suspendu avec solde le 15 février 2008. Par la suite, il est de nouveau invité à donner sa version des faits devant le directeur intérimaire du Service de police, M. Mario Rainville. Essentiellement, il plaide son droit à la vie privée, la fausseté ou l’imprécision des allégations ainsi que la prescription des accusations disciplinaires portées contre lui.

[18]        Le 28 février 2008, le Comité exécutif de la Ville adopte une résolution congédiant M. St-Martin, et il en est informé par la lettre du 3 mars 2008. Dans les jours suivants, la Fraternité dépose deux griefs. Elle conteste la suspension initiale de M. St-Martin avec solde[11] et son congédiement. La conclusion recherchée par la Fraternité était la réintégration rétroactive de M. St-Martin dans ses fonctions de capitaine[12].

[19]        L'arbitre a consacré 37 jours à l'audition du grief entre les mois de mai 2008 et septembre 2012. Dans sa décision de 138 pages rendue le 17 mai 2013[13], il a analysé, une par une, les six plaintes mentionnées dans la lettre du 3 mars 2008.

1.         La plainte de harcèlement de l'employée civile Caroline Goyette

(i)         Les faits

[20]        L’arbitre a conclu que M. St-Martin a effectivement « léché » l’oreille de Mme Goyette à l'extérieur d'un bar où elle s'est rendue en fin de soirée en juin 2007 avec une copine dont le conjoint se produisait comme chansonnier. Elle s'est jointe à un groupe de personnes dont M. St-Martin faisait partie, et durant leurs conversations, il a fait allusion à ses oreilles à plusieurs reprises. L'événement ayant donné lieu à la plainte de harcèlement est survenu lorsque Mme Goyette essayait de rentrer à l’intérieur du bar après en être sortie brièvement avec sa copine. M. St-Martin, également à l'extérieur, l'a empêchée de retourner à l’intérieur du bar en bloquant la porte avec son bras. Lorsque Mme Goyette s'est retournée, elle a constaté la présence de M. St-Martin. C'est à ce moment qu'il s'est penché vers elle et a léché son oreille.

[21]        Dans son témoignage, Mme Goyette reconnaît que M. St-Martin semblait avoir bu, qu’il avait les yeux « petits » et qu’il « louchait ». Il a tenté de lui reparler durant la soirée, mais elle n'a pas répondu. Elle a attribué son geste à sa consommation d’alcool et pour cette raison pensait l'excuser, mais devant l'arbitre, elle a néanmoins remarqué que M. St-Martin était son supérieur.

[22]        L'arbitre affirme qu'il est manifeste que la conduite de M. St-Martin est vexatoire et non désirée. Néanmoins, il estime qu'elle est le fruit d'un geste isolé qui ne s'est pas reproduit et qui, par conséquent, ne se qualifie pas de harcèlement. Ce geste ne se qualifie pas non plus comme une seule conduite grave qui constituerait du harcèlement. Il conclut donc que M. St-Martin n’a pas harcelé Mme Goyette.

[23]        Il qualifie cependant le comportement de M. St-Martin d'agression à l’endroit de Mme Goyette, et ajoute que son geste était « vulgaire, irrespectueux, insultant et totalement inacceptable. » L'arbitre est également d'avis que le fait que M. St-Martin n’a jamais admis le caractère fautif de son geste n’est pas un facteur aggravant compte tenu de son état d'ébriété. Il reconnaît aussi qu'en tant que capitaine, M. St-Martin exerçait un certain lien d’autorité sur Mme Goyette, ce qui constitue un facteur aggravant.

[24]        En somme, l'arbitre conclut que la conduite de M. St-Martin à l'égard de Mme Goyette, quoique regrettable, n’était pas de nature à discréditer le Service de police aux yeux du public, « aussi répugnante soit-elle », essentiellement parce que l'impact de cet « acte pervers » était limité au milieu policier.

(ii)        La sanction

[25]        L'arbitre impose une suspension de quatre mois, en tenant compte qu'il ne s'agit pas de harcèlement, tel que la Ville l'a prétendu, mais néanmoins d’une faute que l'état d'ébriété de M. St-Martin n'excuse pas. Un facteur aggravant est son haut grade en tant que capitaine et la nécessité que la sanction soit exemplaire à la lumière de son comportement.

2.         La plainte de harcèlement de l'employée civile Karine Boutin

(i)         Les faits  

[26]        L'arbitre procède à une longue analyse des allégations de harcèlement psychologique de M. St-Martin à l’égard de Mme Boutin concernant certains contacts entre eux relatifs à la vie privée de cette dernière à la suite d'une rupture de relation amoureuse récente qu'elle entretenait. Il prend acte du fait que les deux personnes se croisaient socialement de temps à autre, et estime que le fait que Mme Boutin qualifie le comportement de M. St-Martin comme du harcèlement est « démesuré ». Il reconnaît cependant que ce dernier n'aurait pas dû prendre du temps au travail au détriment de son devoir de capitaine pour certains de ses échanges à caractère personnel avec Mme Boutin, ce que l'arbitre qualifie comme étant une « faute moindre et incluse » du harcèlement.

(ii)        La sanction

[27]        Ayant décidé que la Ville n'avait pas raison de qualifier les faits impliquant Mme Boutin comme étant du harcèlement, l'arbitre impose néanmoins à M. St-Martin une suspension d'un mois pour avoir « entravé » le travail de Mme Boutin et avoir « vaqué à des occupations personnelles sur son temps de travail ».

3.         Les manquements reliés à l'utilisation d'un véhicule de police

(i)         Les faits

[28]        Les gestes reprochés à M. St-Martin étaient de trois ordres. Ils sont survenus à compter de la soirée du 24 juin jusqu'au matin du 25 juin 2007.

[29]        D'abord, l'arbitre conclut que la Ville avait tort de prétendre que M. St-Martin n'avait pas dévoilé au directeur du Service de police les raisons pour lesquelles il a voulu emprunter un véhicule banalisé pour une fin de semaine et qu'il l'a utilisé à l'encontre des restrictions verbales que le directeur lui aurait données.

[30]        Ensuite, l'arbitre rejette les reproches de la Ville selon lesquels M. St-Martin s'est servi du véhicule banalisé pour intercepter de façon non sécuritaire le véhicule d'une ex-conjointe, Mme Geneviève Caron.

[31]        Enfin, bien que la preuve n'établisse pas que M. St-Martin ait conduit en état d’ébriété, il a néanmoins conduit le véhicule du service de police à deux reprises très peu de temps après avoir consommé des boissons alcoolisées, ce qui constitue « un comportement de nature à faire perdre la confiance et la considération que requièrent les fonctions de capitaine de police ainsi qu'un comportement propre à compromettre l'efficacité et le prestige du service de police de la Ville […]. »

(ii)        La sanction

[32]        L'arbitre considère que le seul reproche établi - le fait que M. St-Martin a consommé des boissons alcoolisées alors qu'il avait la responsabilité d'un véhicule de police et a conduit ledit véhicule - est aggravé par le fait que celui-ci était un haut gradé du Service de police. Il impose une suspension d'un mois.

4.         La perte de temps et le vol de temps au travail

(i)         Les faits

[33]        La Ville formulait cinq reproches à l’encontre de M. St-Martin relativement à de la perte de temps au travail. L’arbitre en a retenu quatre en tout ou en partie. Ce sont les suivants :

· l'utilisation abusive des téléphones à des fins personnelles, pour laquelle il a été averti verbalement en 2006 et par écrit en 2007;

· l'utilisation abusive des courriels à des fins personnelles, dont le volume est incertain, avant et après une directive de l'employeur le 2 mai 2007 que « […] tous les outils informatiques du service de police ne devraient servir que pour des fins du travail uniquement. »[14];

· les déplacements fréquents, inutiles et injustifiés tôt le matin lors des heures de travail dans un véhicule policier, à une bonne distance du lieu de travail, pour saluer son amie de cœur, entre le mois de mars et juin 2007;

· la réclamation injustifiée de temps supplémentaire alors que M. St-Martin utilisait de nombreuses heures de travail à des fins personnelles.

[34]        Quant au prétendu vol de temps, l'arbitre est d'avis que M. St-Martin n'a jamais eu l'intention de voler du temps. Il n’est cependant pas tendre dans sa façon de décrire l'attitude de M. St-Martin face à ses devoirs de capitaine de police :

[336] La preuve révèle plutôt une insouciance et une délinquance du plaignant dans l'utilisation de son temps de travail. Le plaignant agissait selon son humeur du moment, indépendamment qu'il soit au travail ou non. Les faits relatifs à cette insouciance et à cette délinquance nous amènent à constater que le plaignant a « gaspillé » beaucoup de temps de travail à de nombreuses reprises et ce, pour des fins personnelles. Dit autrement, la preuve révèle une certaine dimension chez le plaignant que je pourrais qualifier de « je m'en fous un peu ».

[337] De la preuve, il se dégage une image d'ensemble qui démontre qu'il importait peu que le plaignant soit au travail ou non. Il était capitaine de police et il jouissait d'une très grande autonomie. Il faisait ce qui lui plaisait de faire et ce, peu importe le moment de la journée, peu importe ses responsabilités quotidiennes.

(ii)        La sanction  

[35]        L'arbitre a imposé une suspension d'un mois pour chacun des quatre reproches énumérés au paragraphe [33]. Malgré ses commentaires sévères dont il est fait état au paragraphe précédent, l'arbitre n'a imposé aucune sanction pour le vol du temps.

5.         L'utilisation du CRPQ à des fins personnelles

(i)         Les faits

[36]        Avant d'analyser en détail le comportement de M. St-Martin à cet égard, l'arbitre a très bien expliqué la raison d’être du CRPQ, la nature des informations y étant contenues, les circonstances en permettant l'accès, et la formation fournie aux policières et policiers quant à son utilisation[15] que M. St-Martin a reconnu avoir reçue :

[341] Le Centre de renseignements policiers du Québec, plus connu sous l'appellation « CRPQ », est essentiellement un immense réseau de banques de données informatisées et inter-reliées où tous les policiers autorisés du Québec peuvent obtenir de nombreuses informations personnelles sur des citoyens.

[342] En plus de ses propres banques de données, le CRPQ donne également accès à d'autres banques de données comme celles du Centre d'information de la police canadienne (CIPC), du « National crime information centre (NCIC) » et de la Société d'assurance automobile du Québec (SAAQ).

[343] Sur l'écran de l'ordinateur de son auto-patrouille, un policier peut, à l'aide du numéro d'une plaque d'immatriculation d'une automobile, obtenir plusieurs informations sur la vie privée des citoyens. À titre d'exemples, tout patrouilleur peut connaître l'adresse d'une personne, son âge, si cette personne a commis des infractions, si cette personne possède des armes à feu, si elle a un dossier criminel, etc.

[344] Les informations contenues au CRPQ, ou que l'on peut obtenir via le CRPQ, ne doivent servir qu'à soutenir des enquêtes policières. Les données collectées et informatisées au CRPQ doivent exclusivement servir à des missions policières.

[345] En d'autres mots, les renseignements contenus au CRPQ sont confidentiels et doivent être utilisés que pour des fins de prévention ou de répression du crime.

[346] De façon plus directe, il est strictement interdit d'obtenir et d'utiliser les renseignements contenus au CRPQ pour des fins personnelles.

[347] Ces règles sont clairement énoncées dans le manuel des politiques et des procédures du CRPQ, manuel dont le contenu est connu de tous les policiers du Québec autorisés à accéder au CRPQ.

[348] Les policiers reçoivent une formation particulière sur non seulement l'utilisation du CRPQ, mais aussi sur la légalité de l'accès à l'information du réseau du CRPQ (FLAIR).

[349] Incidemment, lors des formations, les instructeurs insistent sur l'interdiction formelle d'utiliser les données du CRPQ à des fins personnelles.

[350] De fait, le 25 mai 2004, le plaignant a suivi la formation « FLAIR ».

[351] De plus, lors de son témoignage, le plaignant a admis savoir qu'il était interdit d'utiliser le CRPQ à des fins personnelles.

[352] Enfin, il est important de savoir que lorsqu'une demande est faite au CRPQ, une mise en garde apparaît à l'écran de l'ordinateur du demandeur. Cette mise en garde avise le policier-utilisateur que les informations obtenues du CRPQ sont confidentielles et qu'elles ne doivent être utilisées qu'à des fins policières dans le cadre du travail du policier.

[353] Il est également clairement indiqué dans cette même mise en garde que tout policier qui déroge à la règle susmentionnée s'expose à des mesures disciplinaires.

[354] Bref, tout est mis en œuvre pour garantir aux citoyens le respect à leur droit à la vie privée dans le cadre d'une société démocratique.

[355] Dans le but de sécuriser l'accès au CRPQ, toute une panoplie de mécanismes a été créée. Tout policier-utilisateur possède son code l'identifiant ainsi qu'un mot de passe. Tout policier-utilisateur doit s'identifier à l'aide de son code et de son mot de passe s'il veut avoir accès aux données du CRPQ.

[356] Le plaignant avait son code d'accès ainsi que son mot de passe.

[37]         Dans le cas de M. St-Martin, l'arbitre constate que, selon la preuve administrée, celui-ci a fait quelque 70 consultations illégales du CRPQ, qu'il a qualifiées de nature « strictement personnelle », pour 10 personnes distinctes. Il procède ensuite à décrire la nature de ces consultations illégales.

A) Mme Mireille Beaubien

[38]        M. St-Martin admet avoir fait 10 consultations entre 2002 et 2006 sur la personne de Mme Beaubien, qu'il a fréquentée de 1980 à 1984, pour satisfaire sa « curiosité personnelle ». L'arbitre a qualifié comme « fort peu probable » et « peu crédible » le motif invoqué d’une « incontrôlable envie de curiosité ».

B) Mme Stéphanie Dumais Rousseau

[39]        M. St-Martin admet avoir fait deux consultations en février 2003 sur la personne de Mme Dumais Rousseau, une répartitrice du poste de police et une voisine résidentielle de celui-ci. L'arbitre trouve « non plausible » le motif invoqué par M. St-Martin pour ces consultations, soit qu'il l'a vue se stationner illégalement près d'une boîte aux lettres pour recueillir son courrier. Cette consultation a eu lieu en même temps que l'entrevue d’embauche de Mme Dumais Rousseau pour le poste de répartitrice au Service de police. L'arbitre est d'avis qu'il aurait été plus simple et efficace d'intervenir immédiatement si en fait Mme Dumais Rousseau s’était stationnée illégalement. Une consultation au CRPQ n'était d'aucune utilité dans les circonstances.

C) Mme Julie Boutin

[40]        La situation de Mme Boutin, une policière à la Ville entre 1995 et 1997 qui a fréquenté M. St-Martin en 1996, est semblable à celle de Mme Beaubien. Celui-ci a fait trois recherches à son sujet par « simple curiosité personnelle » en janvier et mai 2004, alors que Mme Boutin habitait Montréal et n'avait pas vu M. St-Martin depuis l'été 1998. L'arbitre avait « de la difficulté à suivre » le raisonnement mis de l'avant par M. St-Martin.

D) Mme Geneviève Caron

[41]        Mme Caron était une employée civile du poste de police et a fréquenté M. St-Martin environ deux ans à compter de 2004. Celui-ci a fait huit recherches illégales à son sujet entre mars et septembre 2004, un fait qu'il lui a dévoilé. Dans son témoignage, tout en admettant ces vérifications illégales, la justification exprimée par M. St-Martin était « la fébrilité du début de sa relation amoureuse » avec Mme Caron. L'arbitre a qualifié ce motif de « déroutant » pour un haut gradé d'un corps de police.

E) Me Évelyne Bilodeau

[42]        Entre 1999 et 2004, Me Bilodeau était la conjointe de M. St-Martin et, durant cette période, la preuve a révélé que celui-ci a fait trois vérifications à son sujet. Il admet seulement en avoir fait une, à des fins policières, dans le but de déterminer si elle avait un permis de conduire, parce qu'il savait que peu de temps avant cette vérification, elle n'en avait pas. L'arbitre est d'avis qu'il n'avait « aucune raison » de faire des vérifications au sujet de Me Bilodeau.

F) Mme Annick Sénécal

[43]        Mme Sénécal était une employée du poste de police et une amie de Mme Caron. Alors que Mme Caron et M. St-Martin se fréquentaient, les trois personnes se voyaient régulièrement dans un bar. Durant l'été 2004, M. St-Martin a fait huit vérifications au sujet de Mme Sénécal. Il se souvient avoir effectué seulement une telle vérification : lorsqu'il l'a vue, pour reprendre son expression, « glisser un stop », et qu’il a voulu s'assurer que son dossier à la SAAQ était « conforme ».

[44]        L'arbitre ne l'a pas du tout cru. Il explique pourquoi dans des termes qui n'accordent aucune crédibilité à M. St-Martin :

6.6-      La justification du plaignant ne tient pas la route. Outre les contradictions entre l'existence ou l'inexistence d'un arrêt obligatoire sur le chemin du Grand-Bernier, lequel arrêt aurait été à l'origine des vérifications du plaignant au CRPQ concernant Mme Sénécal, ainsi qu'outre les contradictions entre la tenue ou non d'une conversation téléphonique post-infraction sur le chemin du Grand-Bernier, comment se fait-il qu'il y ait eu 2 dates différentes, espacées de plus d'une semaine, entre les 2 séries de vérifications? Comment se fait-il que Mme Sénécal ayant commis une infraction au code de sécurité routière, le plaignant n'ait pas donné une contravention à cette dernière ou, à tout le moins, un avertissement? Pourquoi faire ces vérifications dans le secret le plus total? Il n'y a pas d'explication en réponse à ces questions.

G) Mme Stéphanie Massé

[45]        Mme Massé était conseillère en orientation et elle a rencontré M. St-Martin dans un contexte autre que le travail en 1996. La semaine suivante, celui-ci est venu la rencontrer dans un véhicule de police et lui a montré une photo d’elle prise lors de son arrestation pour facultés affaiblies quelques années auparavant. Il avait obtenu la photo des archives policières du Service de police. Ils ne se sont pas vus souvent par la suite, et jamais depuis 1999.

[46]        Cependant, M. St-Martin a fait pas moins de neuf vérifications sur Mme Massé le 6 novembre 2006 « par simple curiosité », selon sa propre explication. Tout en reconnaissant le caractère inapproprié de ce comportement, l'arbitre ajoute ceci :

Cela étant dit et au surplus, il est totalement inconcevable qu'un gradé de corps de police s'approprie une partie du contenu des archives de son poste de police pour en tirer des bénéfices à des fins personnelles.

H) Mme Sylvie Pinard

[47]         Mme Pinard ne connaissait pas M. St-Martin, mais lui avait souri lors d’une partie de balle-molle à laquelle son mari participait et à laquelle elle avait assisté en août 1995. Mme Pinard voulait ainsi être sociable, comme elle le fait avec les autres personnes croisées lors de ces parties. Quelques jours plus tard, sachant que son mari était absent, M. St-Martin a téléphoné à sa résidence pour s'informer de la signification de son sourire. Il avait obtenu son numéro de téléphone en consultant le CRPQ. M. St-Martin n'avait aucune autre raison de consulter le CRPQ et n'a offert aucune justification pour cette vérification illégale.

I) La famille St-Martin

[48]        Dans le but, dit-il, de vérifier les adresses des membres de sa famille pour les inviter à une fête en utilisant la poste, M. St-Martin a fait huit vérifications au CRPQ en octobre 2003. Il a également fait plusieurs autres vérifications des membres de sa famille en octobre 2003, février 2004 et janvier 2006, pour lesquelles il n'existe aucune explication.

J) Les auto-vérifications

[49]        Selon la preuve, M. St-Martin s'est auto-vérifié 15 fois de janvier 2003 à janvier 2007, mais il reconnaît seulement 4 de ces vérifications et met en doute les 11 autres. Il explique qu'il voulait seulement s'assurer que son dossier était « valide », notamment à l'égard du paiement de son permis de conduire et de son immatriculation.

*************

[50]        En guise de conclusion sur cet aspect du dossier, l'arbitre s'est exprimé de la façon suivante :

[365] Somme toute, le portrait est accablant.

[366] Quelque 70 vérifications illégales réparties au cours de quatre des seules cinq années accessibles à l'enquêteur Côté de la SQ. Cela représente beaucoup de vérifications illégales pour une personne qui non seulement représente « la loi » aux yeux des citoyens, dont notamment les personnes qui ont été vérifiées illégalement mais aussi auprès de tous les policiers sous la responsabilité et le leadership de leur capitaine.

[367] La longue plage de temps à l'intérieur de laquelle le plaignant a commis les infractions relatives au CRPQ empêche évidemment le tribunal d'arbitrage d'y voir une faute isolée, un moment de faiblesse.

(ii)        La sanction

[51]        L'arbitre a d'abord recensé la jurisprudence arbitrale sanctionnant le même type d'infraction en litige devant lui. Cette jurisprudence révèle des sanctions minimales pour des consultations illégales à caractère mineur, ainsi que la sanction ultime de congédiement dans les circonstances où l'information ainsi obtenue a permis à un employé d'un Service de police ayant fait 288 consultations illégales de harceler sexuellement une femme.

[52]        En tant que facteurs aggravants, l'arbitre tient compte du fait que M. St-Martin est un officier supérieur avec le grade de capitaine, qu'il a tenté de diminuer la portée de ses gestes et que ses explications étaient insensées. La longue période de temps durant laquelle il a agi ainsi démontre également qu'il ne s'agit pas d'incidents isolés.

[53]        L'arbitre est particulièrement sévère lorsqu'il commente l'impact de la communication de M. St-Martin avec Mme Pinard[16] après avoir obtenu son numéro de téléphone par l'entremise d'une consultation illégale au CRPQ :

[462] […] Cette victime, confrontée à une soudaine grossière et insensée intrusion dans sa vie privée, fur plongée dans une situation extrêmement perturbante pour sa vie du couple qu'il n'est pas utile de relater en détails. Par ailleurs, en bout de piste et en résumé, Mme Pinard, lors de son témoignage, devait nous exprimer sa totale impuissance de l'époque devant une situation aussi injuste : « Comment se plaindre… à qui se plaindre ? C'était le capitaine de la police! »[17]

[54]        L'arbitre a retenu un facteur atténuant reconnu par la jurisprudence arbitrale, soit que l’information obtenue illégalement ne l’a pas été pour des fins criminelles, pour être transmise à des tiers ou dans le but de nuire à une personne. Il s'agissait d’infractions commises dans le cadre « d’un puéril butinage ».

[55]        La sanction retenue était donc une suspension de 12 mois et une rétrogradation du poste de capitaine à celui de policier.

6.         De l'insubordination

(i)         Les faits

[56]        La Ville a allégué l’existence de deux incidents et l'arbitre n'en a retenu qu'un en partie.

[57]        Lorsque M. St-Martin a été relevé de ses fonctions comme capitaine le 7 août 2007, il a été avisé de ne plus se rendre à la répartition et de s'abstenir d'entrer en contact avec deux des répartitrices, Caroline Goyette et Karine Boutin. Le 14 novembre suivant, voulant discuter avec un collègue de travail, il a entrouvert la porte de la réception où il voyait le collègue en question au téléphone. En même temps, il voyait Mme Boutin, mais ne lui a pas parlé. Il a attendu un peu, mais comme le collègue continuait sa conversation téléphonique, il a fermé la porte et quitté la réception.

[58]        L'arbitre constate que M. St-Martin n'avait pas d'intention malicieuse. Il n’a pas voulu parler à Mme Goyette ou à Mme Boutin. Son intention de parler à son collègue de travail était également légitime. Cependant, il a enfreint l'interdiction de se rendre à la répartition.

(ii)        La sanction

[59]        Considérant le court délai écoulé entre la communication de l'interdiction et sa violation, le fait qu'il ne s'agissait pas d'un geste malicieux et que cela constituait un événement isolé, l'arbitre impose une sanction d'un mois de suspension.

*************

[60]        Après avoir statué sur les reproches et la sanction applicable à chacun de ceux-ci, l'arbitre procède à une revue du portrait disciplinaire global de M. St-Martin tel que la preuve l'a révélé.

[61]        D'abord, il met l’accent sur le statut de M. St-Martin comme capitaine dans le Service de police, une institution qu'il décrit comme un milieu de travail névralgique en société, avec un niveau de responsabilité et une autonomie très élevés. Voici pourquoi l'arbitre estime qu'il n'est plus possible que M. St-Martin conserve son poste de capitaine ou même celui de lieutenant ou de sergent :

[475] Un capitaine de police est un haut gradé qui occupe une fonction très importante dans notre société. Il est un citoyen investi d'importants pouvoirs en vue d'assurer la sécurité des citoyens et le respect des lois et de l'ordre. Il est, de fait, en première ligne dans le maintien de l'ordre et la loi.

[476] Un capitaine de police, par la nature de sa fonction, se doit d'être un exemple d'intégrité, de dignité, de civilité, de bonnes mœurs pour l'ensemble des citoyens. Un capitaine de police doit nécessairement, de par la nature de sa fonction, être un modèle de vertu, sinon se rapprocher sensiblement de ce modèle.

[477] S'ajoute de plus, le fait qu'il doit diriger les policiers et civils sous sa responsabilité notamment en s'assurant du respect des directives et règlements qui régissent le corps policier.

[478] Je suis d'avis qu'à compter de la fin du mois de février 2008, au terme de l'enquête, le plaignant ne pouvait plus occuper le poste de capitaine de police au service de la Ville de Saint-Jean-sur-Richelieu, ni même ceux de lieutenant ou sergent.

[479] Le bilan des dernières années du plaignant à titre de capitaine de police est peu reluisant, voire indigne d'un capitaine de police. Je résume :

A)         De novembre 2002 à juin 2007, quelque 70 vérifications illégales à l'aide du CRPQ;

B)        En 2006 et 2007, nombreuses pertes de temps au travail    en raison d'activités strictement personnelles;

C)        En 2006 et 2007, utilisation abusive pour des fins personnelles des appareils de communication du service de police;

D)        Le 22 juin 2007, agression physique à l'endroit d'une répartitrice du service de police;

E)        Les 24 et 25 juin 2007, conduite d'un véhicule de police après avoir consommé des boissons alcoolisées dans les heures précédentes;

F)         En novembre 2007, acte d'insubordination flagrant en se rendant au local de la répartition.

[62]        Cela dit, l'arbitre reconnaît aussi que M. St-Martin a été « un très bon policier » pendant de nombreuses années, et notamment :

A)         Que pendant 20 ans, soit de 1986 à 2006, le plaignant a connu une carrière exemplaire de policier. De fait, le plaignant s'est vu remettre en 2006 la médaille du gouverneur général remise aux policiers qui cumulent 20 ans de services exemplaires;

B)        Que, de fait, les évaluations du service de police au cours des quelques 3 dernières années précédant l'effondrement moral du plaignant en 2007 font état d'un rendement non pas satisfaisant mais très satisfaisant, et où les éloges de ses supérieures se font nombreux;

C)        Que le plaignant n'avait aucun dossier disciplinaire;

D)        Que le plaignant n'avait aucun dossier déontologique;

E)        Qu'au surplus, même à l'été 2007, le plaignant a été celui qui fut appelé à remplacer l'inspecteur Rainville pendant les vacances de ce dernier, ce qui s'inscrit dans une continuité de la reconnaissance du travail du plaignant.

[63]        Le ratio de la décision de l'arbitre d'annuler le congédiement de M. St-Martin et d’y substituer une suspension de 23 mois avec rétrogradation au poste de policier se trouve aux paragraphes suivants :

[482] Si l'ensemble des fautes du plaignant m'ont amené à décider que le plaignant méritait une suspension prolongée et qu'il ne pouvait plus occuper un poste de gradé au sein du service de police de Saint-Jean-sur-Richelieu, d'autre part, ses longs et excellents états de service comme policier m'ont également amené à croire que les éléments constitutifs d'une rupture totale et définitive du lien d'emploi n'étaient pas présents dans la présente affaire. Incidemment, à l'analyse de l'ensemble des fautes reprochées au plaignant, il me faut constater que la majorité des fautes commises par le plaignant n'étaient connues que par des membres du service de police et par peu des citoyens.

[483] Je suis d'avis que le plaignant peut toujours agir comme policier et, qu'à ce titre, le lien de confiance n'est pas irrémédiablement rompu avec l'employeur. Il y a une très nette distinction à établir entre les niveaux et degrés de responsabilités d'un capitaine de police et ceux d'un policier. Robert Saint-Martin était un bon policier et il demeure apte à exécuter ce travail. Aux arguments que j'invoque à la section 13.5 de ce chapitre XIII, j'ajoute qu'étant rétrogradé du poste de capitaine au poste de policier le plaignant perd ses responsabilités administratives et son rôle de leader exemplaire au sein du corps policier. Le plaignant perd aussi son autonomie et sa très grande liberté d'action et de gestion de son temps au travail. Enfin, il convient de préciser que l'employeur pourra beaucoup plus facilement encadrer et contrôler le travail du plaignant à titre de policier.

[484] Je souligne également que, prises individuellement ou globalement, les fautes du plaignant ne justifient pas un congédiement.

[485] Enfin, je souligne que le plaignant n'a pas pu bénéficier de temps pour amender sa conduite par le biais, par exemple, d'une gradation des sanctions étalée dans le temps.

[486] L'analyse globale des fautes disciplinaires du plaignant ne permet pas de conclure à une inconduite généralisée et irrécupérable à titre de policier mais autorise cette conclusion à titre de capitaine. Incidemment, si je n'étais pas arrivé à cette conclusion dans la section 5 du chapitre XIII, l'analyse globale m'aurait conduit à la même décision quant au fait que le plaignant ne puisse plus occuper de poste de policier gradé au sein du service de police de Saint-Jean-sur-Richelieu.

III

LE JUGEMENT DE LA COUR SUPÉRIEURE

[64]        En accueillant la requête en révision judiciaire de la Ville et en infirmant la décision arbitrale, la juge de la Cour supérieure trouve déraisonnable le constat de l'arbitre selon lequel M. St-Martin ne pouvait plus agir comme capitaine du Service de police, mais qu'il pouvait néanmoins continuer d'exercer en tant que policier puisqu’à cet égard, le lien de confiance n’était pas irrémédiablement rompu avec son employeur. Son raisonnement est bien exprimé aux paragraphes suivants du jugement :

[32]      Il n'y a aucun syllogisme juridique permettant de conclure que St-Martin sera moins malhonnête s'il agit comme simple policier. En outre, pourquoi la Ville se verrait-elle imposer le fardeau de l'encadrer, de le contrôler et de le surveiller dans le cadre de ses fonctions de constable. Comment peut-on dire qu'un lien de confiance subsiste alors qu'il a trahi à maintes reprises la confiance de son employeur ?

[33]      L'arbitre reconnaît que la sanction unique eu égard à l'ensemble des actes fautifs commis par St-Martin relève de la prérogative de la Ville.

[34]      Toutefois, sans en expliquer véritablement la raison, il choisit d'utiliser la méthode d'une sanction par chef d'accusation et de ce fait, conclut à la rétrogradation de St-Martin assortie d'une suspension de 23 mois.

[35]      Par ailleurs, une telle condamnation soulève certains questionnements. Quelle aurait été la peine pour un simple constable ayant commis des infractions similaires puisque toute rétrogradation serait impossible ? Un officier supérieur doit-il bénéficier d'un régime moins sévère à cause de ses années de service? Y a-t-il deux poids deux mesures selon qu'il s'agit d'un officier ou d'un simple constable ?

[36]      Quel message sera donné aux citoyens de la Ville si elle doit garder dans son service de police, un individu qui a commis, en toute connaissance de cause, de multiples infractions dont certaines en vertu du Code criminel.

[37]      De l'avis de Tribunal, Me Laplante a rendu une décision déraisonnable en minimisant les liens entre les fautes prouvées et le rôle très particulier d'un policier.

[38]      En effet, St-Martin s'est servi quelque 70 fois du CRPQ pour des fins personnelles. Une telle conduite est tellement grave qu'en cas de déclaration de culpabilité, la sanction est capitale, c'est-à-dire la destitution.

[39]      Il est difficile de réconcilier le raisonnement de Me Laplante avec la gravité des gestes posés par St-Martin et le maintien, selon lui, du lien de confiance nécessaire à l'exercice des fonctions de policier.

IV

L'ANALYSE DES MOYENS D'APPEL

[65]        L'appelante propose deux questions : la première portant sur le caractère raisonnable ou non de la décision arbitrale et la deuxième relative à l'effet des jugements de culpabilité en matières criminelle et déontologique rendus après la décision de la Ville de congédier M. St-Martin.

(1)       Le caractère raisonnable ou non de la décision arbitrale

[66]        En matière disciplinaire, un arbitre peut confirmer, modifier ou annuler la décision de l’employeur et, le cas échéant, y substituer la décision qui lui paraît juste et raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire[18]. Comme nous l'avons vu, compte tenu de toutes circonstances de l’affaire, l’arbitre était d'avis de substituer une rétrogradation au poste de policier ainsi qu’une suspension de 23 mois au congédiement imposé.

[67]        La Cour doit déterminer si la juge de première instance a choisi la bonne norme de contrôle et s'elle l'a appliquée correctement[19]. La juge a conclu que la norme de contrôle applicable était celle de la décision raisonnable. Les parties conviennent qu’il s’agit de la norme de contrôle applicable en l’espèce, et je suis d’accord. Il reste donc à déterminer si le juge de première instance a appliqué correctement cette norme de contrôle.

[68]         Le caractère raisonnable d’une décision tient principalement à sa justification, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel. Cette norme implique qu’une cour de révision doit déterminer si la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. »[20]. Autrement dit, pour intervenir, une cour de révision doit être convaincue que la décision ne fait pas partie de celles que pouvait raisonnablement rendre le décideur dans l’exercice du pouvoir qui lui est conféré. La déférence est donc de mise, la cour de révision ne pouvant substituer sa propre opinion à celle du décideur, même si elle aurait possiblement tranché la question en litige différemment[21] :

[59] La raisonnabilité constitue une norme unique qui s’adapte au contexte. […] Lorsque la norme de la raisonnabilité s’applique, elle commande la déférence. Les cours de révision ne peuvent substituer la solution qu’elles jugent elles-mêmes appropriée à celle qui a été retenue, mais doivent plutôt déterminer si celle-ci fait partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 47). Il peut exister plus d’une issue raisonnable. Néanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable.

[59] Reasonableness is a single standard that takes its colour from the context. […] Where the reasonableness standard applies, it requires deference. Reviewing courts cannot substitute their own appreciation of the appropriate solution, but must rather determine if the outcome falls within “a range of possible, acceptable outcomes which are defensible in respect of the facts and law” (Dunsmuir, at para. 47). There might be more than one reasonable outcome. However, as long as the process and the outcome fit comfortably with the principles of justification, transparency and intelligibility, it is not open to a reviewing court to substitute its own view of a preferable outcome.

[69]        Qu'en est-il de l'intervention de la Cour supérieure?

[70]        D'abord, je suis d'avis que l'arbitre pouvait raisonnablement considérer individuellement les reproches de la Ville répertoriés aux paragraphes [20] à [24], [26], [28] à [31], [33] & [34] et [56] à [58] ci-dessus, au lieu de les analyser dans un ensemble avec les consultations illégales du CRPQ de M. St-Martin. Ceci est encore plus vrai lorsqu'on tient compte du fait que l'arbitre a rejeté certains des reproches de la Ville en tout ou en partie. À cet égard, il n'y a aucune raison valable de remettre en question les déterminations purement factuelles de l'arbitre et les conclusions qu'il en a tirées sur le comportement de M. St-Martin.

[71]        Cela dit, et indépendamment des motifs de la juge de la Cour supérieure, j'estime que l'arbitre a commis une erreur révisable dans son analyse de la preuve relative aux consultations illégales et une erreur de droit qui entachent sa conclusion.

[72]        Les erreurs révisables tiennent de la conclusion de l'arbitre selon laquelle M. St-Martin n'a pas illégalement obtenu l'information, entre autres, dans le but de nuire à la personne dont l'information était recherchée. Au contraire, la preuve est claire que cette affirmation est inexacte dans le cas de deux personnes, et que M. St-Martin a posé des gestes concrets à leur égard après avoir obtenu des informations à leur sujet, informations auxquelles il n'avait aucun droit.

[73]        En effectuant ces consultations illégales sur Mesdames Stéphanie Massé et Sylvie Pinard, on peine à croire que M. St-Martin n'ait pas eu à l'esprit une surveillance illégitime de ces dernières. Comme nous l'avons vu lors de la description de leurs témoignages par l'arbitre, M. St-Martin s'est immiscé de façon grossière et insensée dans leur vie privée.

[74]        On ne peut qu'imaginer la stupéfaction totale de Mme Massé lorsque M. St-Martin vient la rencontrer, sans préavis, dans un véhicule policier, et lui montre sa photo prise lors de son arrestation pour facultés affaiblies quelques années auparavant, photo qu'il a obtenue illégalement des archives du Service de police. Chose certaine, il n'a fourni à l'arbitre aucune explication le moindrement compatible avec l'exercice de ses fonctions policières et le respect de la vie privée de Mme Massé pour ces recherches. Il me semble évident, à la lumière de l'ensemble de la preuve, que son but était d'amorcer une relation amoureuse avec elle.

[75]         Quant à Mme Pinard, il avait le même objectif. De toute évidence, sa vie conjugale fut bouleversée lorsque M. St-Martin lui a téléphoné (sachant que son mari n'était pas présent) dans un but qui n'avait rien à voir avec son rôle de policier. C'est sans doute dans le but de minimiser l'impact de cette intrusion pour Mme Pinard que l'arbitre a choisi de ne pas donner plus de détails que ceux que j'ai reproduits au paragraphe ‎[53] ci-dessus.

[76]         Le simple fait d'avoir agi ainsi envers ces deux femmes dans le contexte que je viens de mentionner implique que M. St-Martin a agi en pleine connaissance de cause, de façon intentionnelle, et qu’il a utilisé des informations obtenues illégalement afin de nuire à ces personnes, en entrant en contact avec elles et en s’immisçant de manière aberrante dans leur vie privée. Loin d'être un facteur atténuant, cela constitue un facteur aggravant.

[77]        Cela m'amène à discuter la question de savoir si l'arbitre avait raison en droit de qualifier comme facteur atténuant le fait que M. St-Martin n'a pas obtenu l'information pour des fins criminelles ou pour la transmettre à des tiers. À cet égard, je reconnais, comme l'arbitre l’a mentionné, que la jurisprudence arbitrale est à cet effet. Il en est de même pour la jurisprudence déontologique lorsqu'une policière ou un policier est accusé d'avoir enfreint l'article 7 du Code de déontologie des policiers du Québec[22], que j'ai reproduit au paragraphe ‎[10] ci-dessus.

[78]        Cela dit avec égards, la conclusion de l'arbitre selon laquelle le fait que M. St-Martin n'a pas transmis à des tiers les informations obtenues illégalement sur la vie privée de huit personnes et de plusieurs membres de sa famille est un facteur atténuant est une erreur en droit. Dans la mesure où l'arbitre s'est fondé sur de la jurisprudence arbitrale, cette jurisprudence est également mal fondée en droit.

[79]        Le simple fait qu'une circonstance donnée n'est pas un facteur aggravant ne signifie pas que la circonstance devient par ce fait même un facteur atténuant. Au plus, il s'agit d'un facteur neutre, ce qui ne devrait pas influencer négativement ou positivement la nature et l'étendue de la sanction à être imposée[23]. Il en est de même lorsque l'arbitre constate que la majorité des fautes commises par M. St-Martin étaient connues par peu de citoyens. À supposer que ce constat soit vrai, il n'a rien à voir avec le caractère répréhensible de son comportement, et au mieux, est un facteur neutre.

[80]        M. St-Martin a violé en toute connaissance de cause la vie privée de toutes ces personnes, contrairement à l'article 5 de la Charte des droits et libertés et de la personne[24]:

5. Toute personne a droit au respect de sa vie privée.

 

5. Every person has a right to respect for his private life.

 

[81]        C'est une infraction grave, commise à de multiples occasions, sur une longue période, par un policier haut gradé qui savait, chaque fois qu'il accédait au CRPQ, ou, dans le cas de Mme Massé, lorsqu’il a obtenu des informations compromettantes sur elle aux archives du Service de police, que son geste était illégal. Il a tenté de diminuer la portée de ses gestes et n’a fourni aucune explication sensée pour ses agissements.

[82]        Les autres facteurs atténuants retenus par l’arbitre, soit les longs et excellents états de service de M. St-Martin comme policier, ses évaluations faisant état d’un rendement « très satisfaisant » et ses dossiers disciplinaire et déontologique vierges ne pouvaient, à eux seuls, mener raisonnablement à la conclusion à laquelle il est parvenu.

[83]        De surcroît, il est évident que le témoignage de M. St-Martin n'a pas du tout impressionné l'arbitre. À plusieurs reprises, comme nous l'avons vu, l'arbitre a qualifié son comportement, ses explications, ou ses tentatives de justifier ses gestes illégaux, dans des termes dérisoires :

· comportement « vulgaire, irrespectueux, insultant et totalement inacceptable »[25];

· « une insouciance et une délinquance du plaignant dans l'utilisation de son temps de travail »[26];

·      « le plaignant a gaspillé beaucoup de temps de travail à de nombreuses reprises, et ce, pour des fins personnelles »[27];

· motif de consultation du CRPQ en rapport avec une répartitrice au service de police « non plausible »[28];

· « de la difficulté à suivre » son raisonnement[29];

· un motif pour une consultation du CRPQ « déroutant »[30];

· la justification pour une consultation « ne tient pas la route »[31].

[84]        Je reconnais qu'à la perfection, nul n'est tenu, y compris M. St-Martin. Cela dit, comment l'arbitre peut-il imaginer, avec une analyse aussi dévastatrice de sa crédibilité dans les présentes circonstances, que M. St-Martin serait un témoin crédible devant les tribunaux de droit criminel s'il était appelé à témoigner en tant que simple policier et que dès lors, aucune embûche ne se pose à sa réintégration au sein du Service de police de la Ville? Poser la question c'est y répondre.

[85]        De fait, l’arbitre avait tort de conclure que M. St-Martin pouvait être rétrogradé et réintégré au poste de simple policier. La gravité des manquements constatés par l’arbitre est en discordance avec telle conclusion. Rappelons simplement le fait que M. St-Martin a consulté illégalement des renseignements du CRPQ à plus de 70 reprises, ayant ainsi accès à des informations confidentielles concernant des dizaines d’individus, informations auxquelles il aurait d’ailleurs toujours accès comme simple policier. Face aux circonstances de l'espèce, il convient de se questionner sur le nombre de consultations illégales du CRPQ qui auraient été requises pour que le congédiement de M. St-Martin soit considéré comme étant justifié par l'arbitre.

[86]        Il agissait alors en toute connaissance de cause, avec une insouciance sidérante, alors que les personnes concernées étaient en droit de s’attendre à la plus stricte confidentialité. Pensons de même au geste de M. St-Martin à l’endroit de Mme Goyette qui fut, il va sans dire, hautement irrespectueux et inacceptable, d’autant plus que M. St-Martin exerçait un certain lien d’autorité hiérarchique sur Mme Goyette. Certes, il ne s’agit ici que de deux exemples parmi l’ensemble des reproches considérés comme prouvés par l’arbitre, mais ils illustrent bien la gravité des manquements reprochés à M. St-Martin. Il va sans dire, ce type de conduite va à l’encontre de l’image exemplaire et de la probité nécessaire à l’exercice de la fonction de policière ou de policier[32]. M. St-Martin a abusé du pouvoir et du statut privilégié conférés par ses fonctions de policier. Ses agissements ternissent sérieusement l’image des forces policières et contribuent à la perte de confiance et de respect des citoyens en celles-ci. Il a méprisé la justice qu’il se devait pourtant d’incarner.

[87]        À mon avis, la Ville avait amplement de motifs pour congédier M. St-Martin, même si l'arbitre n'a pas retenu quelques reproches formulés dans la lettre du 3 mars 2008. La décision de l'arbitre accueillant en partie le grief de la Fraternité n'a pas tous les attributs d'une décision raisonnable pour les raisons que je viens d'étayer et la juge de la Cour supérieure avait donc raison d'intervenir comme elle l'a fait.

(2)   L'effet des jugements de culpabilité rendus après le congédiement de M. St-Martin par la Ville

[88]        La Fraternité prétend qu’il est clair que la juge s’est fondée sur la déclaration de culpabilité de M. St-Martin par la Cour du Québec sur 11 chefs d'accusation, survenue près de quatre ans après son congédiement, lorsqu’elle a affirmé qu’il n’y avait pas lieu de retourner le dossier devant l’arbitre, puisque M. St-Martin a été destitué lorsque ce jugement est devenu final quand il s'est désisté de sa requête pour permission d'appeler[33]. Selon cet argument, la juge a erré puisqu’elle a justifié son intervention par un fait postérieur au congédiement.

[89]        Ce n'est pas du tout le cas.

[90]        D'abord, les 11 chefs d'accusation pour lesquels le juge Provost de la Cour du Québec a déclaré M. St-Martin coupable étaient fondés sur l'article 342.1(1)a) C.cr., qui dispose que :

342.1 (1) Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans ou d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, quiconque, frauduleusement et sans apparence de droit:

 

a) directement ou indirectement, obtient des services d’ordinateur;

 

[Soulignage ajouté]

342.1 (1) Everyone is guilty of an indictable offence and liable to imprisonment for a term of not more than 10 years, or is guilty of an offence punishable on summary conviction who, fraudulently and without colour of right,

 

(a)   obtains, directly or indirectly, any computer service;

 

[Emphasis added]

[91]        Une grande partie du débat devant le juge Provost portait sur l'applicabilité du concept de l'utilisation frauduleuse ou non d'un ordinateur[34], un élément de l'infraction qui n'était pas en litige devant l'arbitre. Les motifs au soutien de la déclaration de culpabilité n'avaient aucune pertinence en révision judiciaire, malgré le fait que celle-ci soit devenue finale le 13 janvier 2013, avant la décision arbitrale du 17 mai 2013.

[92]        Sa seule pertinence résidait dans la difficulté pour la juge de retourner le dossier devant l'arbitre. Elle a très bien expliqué son point du vue à ce sujet de la façon suivante :

[40] La décision arbitrale doit être infirmée parce que déraisonnable.

[41] La Ville demande de confirmer la sanction disciplinaire de congédiement de St-Martin.

[42] La révision judiciaire n'est pas un appel. Le principe veut que le tribunal réviseur ne substitue pas sa propre décision à celle du décideur. Il existe toutefois, des exceptions à ce principe, notamment en cas d'inutilité du renvoi.

[43] St-Martin a fait l'objet d'une destitution à la suite du jugement de la Cour du Québec le déclarant coupable des 11 chefs d'accusation portés contre lui. Il n'y a donc pas lieu de retourner le dossier devant l'arbitre.

[93]        Il est vrai que la juge a mentionné, à la fin du paragraphe [36] de son jugement que j'ai reproduit au paragraphe ‎[64] ci-dessus, que M. St-Martin a commis plusieurs infractions, dont certaines en vertu du Code criminel. Il s'agit dans les circonstances de l'espèce d'un obiter dictum, qui n'était pas le ratio de son jugement.

[94]        Ce moyen est donc rejeté.

V

LA CONCLUSION

[95]        Il est évident que les circonstances de la présente affaire mettent en lumière le fait que le message de dissuasion et d’exemplarité adressé aux policières et policiers fautifs dans la jurisprudence disciplinaire et déontologique relative aux consultations illégales du CRPQ ne semble point atteindre les objectifs visés puisque, encore aujourd’hui, notamment avec le cas de M. St-Martin, nous sommes en présence d’une fréquence inexplicable de consultations illégales du CRPQ.

[96]        Cette fréquence s’explique possiblement par la sanction très clémente de telles consultations, malgré le caractère objectivement grave de ce type de manquement[35]. En effet, qualifiées dans la jurisprudence récente du Comité de déontologie policière d’« actes dérogatoires graves »[36], de « toujours répréhensible[s] »[37], d’« irrespect de l’autorité de la loi et des tribunaux et un manque de collaboration à l’administration de la justice »[38] et d’« inconduite[s] qui déconsidère[nt] la fonction policière »[39], les consultations illégales du CRPQ, qui constituent pourtant une infraction criminelle, semblent être punies de manière dérisoire, allant de réprimandes à des suspensions de quelques jours par consultation illégale.

[97]        En bref, le moment est venu de mettre l'accent sur la dissuasion lors de l'imposition des sanctions pour ce genre de comportement plutôt que d'imposer des sanctions qui ne constituent que de simples inconvénients d'une courte durée.

[98]        Je propose le rejet du pourvoi, avec les frais de justice contre l'appelante.

 

 

 

ALLAN R. HILTON, J.C.A.


ANNEXE : CHRONOLOGIE DES FAITS ET PROCÉDURES

 

·        Le 3 mars 2008, M. St-Martin est informé par lettre de son congédiement par la Ville.

·        Les 6 et 10 mars 2008, deux griefs sont déposés par la Fraternité. Les griefs sont déférés à l’arbitrage. Les auditions devant l’arbitre débutent en mai 2008 et se poursuivent jusqu’en septembre 2012.

·        Le 2 février 2012, l’honorable Claude Provost de la Cour du Québec déclare M. St-Martin coupable de onze chefs d’accusation en vertu de l’article 342.1(1)a) C.cr. pour avoir obtenu, directement ou indirectement, des services d’ordinateur frauduleusement et sans apparence de droit relativement à son utilisation illégale du CRPQ.

·        Le 2 mars 2012, M. St-Martin dépose une requête pour permission d’appeler du jugement de la Cour du Québec du 2 février 2012.

·        Le 4 avril 2012, M. St-Martin se voit imposer une amende de 200 dollars et une suramende pour chacun des chefs d’accusation.

·        Le 14 janvier 2013, cette Cour prend acte du désistement de M. St-Martin de sa requête pour permission d’appeler de la décision de la Cour du Québec du 2 février 2012. Ce jugement passe alors en force de chose jugée.

·        Le 17 mai 2013, la décision arbitrale finale est rendue. L’arbitre accueille en partie le grief sur le congédiement de M. St-Martin, substitue une suspension de 23 mois au congédiement imposé par la Ville, et rétrograde rétroactivement au 23 mars 2008 M. St-Martin du poste de capitaine au poste de policier.

·        Le 13 juin 2013, la Ville destitue M. St-Martin en vertu du second alinéa de l’article 119 de la Loi sur la police.

·        Le 21 janvier 2014, le Comité de déontologie policière rend une décision destituant M. St-Martin pour avoir dérogé à l’article 7 du Code de déontologie des policiers du Québec en utilisant à de nombreuses reprises le CRPQ à des fins personnelles.

·        Le 18 février 2014, M. St-Martin dépose un avis d’appel de la décision du Comité de déontologie policière.

·        Le 25 février 2015, la Cour du Québec rejette l’appel de la décision du Comité de déontologie policière. Cette décision est finale et sans appel. M. St-Martin n’a pas remis en question cette décision par un recours en révision judiciaire.

 



[1]     2014 QCCA 1914.

[2]     2014 QCCS 3182.

[3]     Décision arbitrale, paragr. 422-426.

[4]     R. c. St-Martin, 2012 QCCQ 575.

[5]     St-Martin c. R., 2013 QCCA 40.

[6]     RLRQ, c. P-13.1. Selon les informations au dossier d'appel, cette décision de la Ville fait l'objet d'un grief.

[7]     RLRQ, c. P-13.1, r. 1.

[8]     Commissaire à la déontologie policière c. St-Martin, 2014 QCCDP 7.

[9]     St-Martin c. Larochelle, 2015 QCCQ 1145.

[10]    Loi sur la police, supra, note 6, art. 253.

[11]    L'arbitre a rejeté ce grief, qui n'est plus en litige.

[12]    C'est uniquement le dernier grief qui a fait l'objet de la requête en révision judiciaire ayant donné lieu au présent pourvoi.

[13]    Le dossier devant cette Cour ne contient aucune transcription de la preuve administrée devant l'arbitre.

[14]    Décision arbitrale, paragr. 312-314.

[15]    Voir aussi, à ce sujet, mes motifs pour la majorité dans Association des policiers provinciaux du Québec c. Sûreté du Québec, 2010 QCCA 2053, [2010] R.J.Q. 2322, paragr. 26-29, demande d’autorisation d’appel devant la Cour suprême rejetée, no 34021.

[16]    Il s'agit de la femme lui ayant souri à une partie de balle-molle à laquelle participait son mari. Voir le paragr. [47] ci-dessus.

[17]    Caractère italique dans l'original.

[18]    Code du travail, RLRQ, c. C-27, art. 100.12.

[19]    Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), [2013] 2 R.C.S. 559, 2013 CSC 36, paragr. 45-47; Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Santé), [2012] 1 R.C.S. 23, 2012 CSC 3, paragr. 247. Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] 2 R.C.S. 100, 2005 CSC 40, paragr. 35; Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, 2003 CSC 19, paragr. 43.

[20]    Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, 2008 CSC 9, paragr. 47 (motifs majoritaires par les juges Bastarache et LeBel).

[21]    Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, [2009] 1 R.C.S. 339, 2009 CSC 12, paragr. 59 (motifs majoritaires par le juge Binnie).

[22]    RLRQ, c.P-13.1, r. 1. Voir, à titre d'illustration récente, Commissaire à la déontologie policière c. Tassé-Lafrance, 2014 QCCDP 3, paragr. 29.

[23]    Voir, à cet effet, R. c. Barrett, 2013 QCCA 1351, au paragr. [25], et R. c. D.B., 2013 QCCA 2199, au paragr. [13].

[24]    RLRQ, c. C-12.

[25]    Paragr. 23 ci-dessus.

[26]    Paragr. 34 ci-dessus.

[27]    Ibid.

[28]    Paragr. 39 ci-dessus.

[29]    Paragr. 40 ci-dessus.

[30]    Paragr. 41 ci-dessus.

[31]    Paragr. 44 ci-dessus.

[32]    Voir par exemple : Montréal (Ville) c. Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse), [2008] 2 R.C.S. 698, 2008 CSC 48, paragr. 33 (motifs majoritaires par la juge Deschamps); Fraternité des policières et policiers de Montréal c. Sûreté du Québec, 2007 QCCA 1086, paragr. 51 (motifs majoritaires du juge Nuss) : « The functions of the police officer are such that the public has a right to expect that his or her behaviour will be of a high standard, conform to the requirements of the law and will warrant the respect and confidence due to those entrusted with enforcing the law and more specifically that he or she will not commit a criminal act. »

[33]    Supra, notes 4 et 5.

[34]    Supra, note 4, paragr. 42-74.

[35]    Voir, à ce sujet : Commissaire à la déontologie policière c. Panneton (2005), AZ-50288683, paragr. 12.

[36]    Commissaire à la déontologie policière c. Tassé-Lafrance, supra, note 22, paragr. 20.

[37]    Commissaire à la déontologie policière c. Bleu Voua (2011), AZ-50782815, paragr. 39.

[38]    Commissaire à la déontologie policière c. Fillion (2011), AZ-50750396, paragr. 39.

[39]    Commissaire à la déontologie policière c. Bureau (2007), AZ-50441121, paragr. 18.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.