Décision

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R. c. Chaussé

2014 QCCQ 5234

 

JC 2217

 
 COUR DU QUÉBEC         

 

 

CANADA

 

PROVINCE DE QUÉBEC

 

DISTRICT  DE
LOCALITÉ DE

SAINT-FRANÇOIS

SHERBROOKE

 

« Chambre criminelle et pénale »

 

N° :

450-01-086284-143

 

 

 

DATE :

18 juin 2014

 

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE CONRAD CHAPDELAINE, J.C.Q.

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LA REINE

 

Plaignante,

 

c.

 

 

ISABELLE CHAUSSÉ

 

Accusée.

 

 

 

 

 

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JUGEMENT

 

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Introduction

[1]           Le présent litige porte sur l'imposition et l'administration de la peine que constitue la suramende compensatoire depuis l'adoption de la Loi sur la responsabilisation des contrevenants à l'égard des victimes, le 24 octobre 2013.

Les faits

[2]           Isabelle Chaussé a reconnu sa culpabilité à une accusation de voies de fait sur un agent de la paix et à deux accusations de menaces de mort, des événements survenus le 1er avril 2014.

[3]           À cause de ses condamnations antérieures, la poursuite et la défense ont suggéré de façon commune une peine de 60 jours de détention suivie d'une probation d'une durée de deux ans. Le Tribunal a entériné cette suggestion le 29 mai 2014 et reporté l'audition des observations quant à l'imposition des suramendes au 10 juin.

[4]           Les trois chefs d'accusation ont été portés par voie de mise en accusation, entraînant pour Mme Chaussé, l'imposition automatique d'une suramende de 200 $ par chef d'accusation, ce qui totalise 600 $. Elle renonce au délai statutaire de 45 jours pour les payer et demande au Tribunal de la condamner, vu son défaut de payer, à une peine d'emprisonnement à être purgée de façon concurrente à la peine de 60 jours de détention déjà imposée.

[5]           Le ministère public s'y oppose, soutenant que même si Mme Chaussé renonce au délai de 45 jours pour le paiement de la suramende, il revient plutôt au percepteur des amendes d'examiner avec la contrevenante les mesures alternatives au paiement dans le délai prévu (extension de délai, travaux compensatoires).

Les questions en litige

[6]           Un contrevenant condamné à une peine d'emprisonnement peut-il renoncer au délai statutaire déterminé par décret[1] pour le paiement de la suramende?

[7]           Si oui, face à une telle renonciation, le Tribunal peut-il en prendre acte, constater le défaut et procéder selon les prescriptions de l'article 734.7 du Code criminel?

[8]           Si oui, au terme de cet exercice, si le Tribunal conclut qu'un mandat d'incarcération doit être émis, la peine de détention qui en découle doit-elle être purgée de façon consécutive à toute autre peine, vu les dispositions de l'article 737(1)?

La situation de l'accusée

[9]           Mme Chaussé est âgée de 40 ans. Elle est sans emploi et reçoit des prestations d'aide sociale.

 

[10]        Elle a des antécédents judiciaires qui remontent à 1992. Le 2 juin 2009, elle a été condamnée à 26 mois de détention pour voies de fait graves.

[11]        À sa sortie de détention en novembre 2010, elle a séjourné en maison de transition jusqu'au 1er août 2011.

[12]        Pendant cette période, elle a recommencé à travailler (de février à novembre 2011) avant de sombrer dans une dépression profonde en novembre 2011, suite à une rechute dans la consommation d'alcool et d'ecstasy. Depuis et encore aujourd'hui, elle est soumise à un suivi médical et à une importante médication (20 comprimés par jour).

[13]        Elle a séjourné du 3 avril au 26 mai 2014 dans un centre de thérapie. À cause de son attitude, on a dû mettre fin à sa thérapie.

[14]        Actuellement, elle est incapable de s'acquitter des suramendes de 600 $ dans un délai de 45 jours. Elle n'est pas non plus dans une condition physique et mentale pour exécuter des travaux compensatoires même si elle n'a pas été déclarée inapte au travail. En ce moment, elle n'est pas disposée à les faire.

[15]        Elle ne détient aucun permis, licence ou document au sens de l'article 734.5.

Les modifications à l'article 737 C.cr.

[16]        L'article 737 du Code criminel prévoit l'imposition d'une suramende compensatoire.

[17]        La Loi sur la responsabilisation des contrevenants à l'égard des victimes, L.C. 2013, c.11, adoptée par une forte majorité à la chambre des communes (253 pour, 31 contre) est entrée en vigueur le 24 octobre 2013 et a modifié de façon significative le droit existant.

[18]        En abrogeant les paragraphes 5 et 6 de l'article 737, le législateur a retiré au Tribunal le pouvoir discrétionnaire d'imposer ou non la suramende si le contrevenant fait la démonstration qu'une telle suramende lui causerait un préjudice injustifié.

[19]        Le seul pouvoir discrétionnaire que le législateur a choisi de laisser au Tribunal est celui de majorer le montant de la suramende (article 737(3)) et d'accorder un délai approprié lorsque la suramende est accompagnée d'une amende.

[20]        Ainsi, la suramende est appliquée de façon automatique et systématique, sans égard à la situation du contrevenant dès qu'une déclaration de culpabilité est prononcée par le tribunal.

 

[21]         Quant au montant de la suramende, il est prédéterminé et passe de 50 à 100 $ pour les infractions punissables sur déclaration sommaire de culpabilité et de 100 à 200 $ pour les crimes punissables par voie de mise en accusation (sans égard à la capacité de payer du contrevenant) sauf si le contrevenant reçoit une peine d'amende. Dans ce cas, le montant de la suramende passe de 15 % à 30 % du montant de l'amende imposée par le tribunal.

[22]        Les délais pour le paiement de la suramende varient. Lorsqu'une amende est imposée, la suramende sera payable à la date d'échéance du paiement de l'amende et ce délai est fixé par le tribunal qui impose l'amende. Si aucune amende n'est infligée, un délai statutaire de 45 jours est alloué.

[23]        Finalement, le nouveau paragraphe 9 de l'article 737 prévoit que si le contrevenant est dans l'incapacité de payer, il pourra se prévaloir du mode facultatif de paiement prévu à l'article 736 du Code criminel (travaux compensatoires, prolongation de délai ou étalement pour le paiement de l'amende). Un tel programme existe au Québec.

L'intention du législateur

[24]        Ni l'une ni l'autre des parties n'a soutenu que le texte des amendements à la loi était ambigu. Au contraire, les termes utilisés sont clairs.

[25]        Les intentions du législateur le sont tout autant : responsabiliser davantage tous les contrevenants en les forçant à une forme de restitution envers les victimes d'actes criminels, augmenter de façon significative les sommes recueillies et consacrées aux victimes d'actes criminels par les divers programmes provinciaux adoptés à cette fin et finalement, retirer aux tribunaux le pouvoir de dispenser les contrevenants de cette obligation de restitution même si leur situation, au moment de leur condamnation, ne leur permet pas de s'en acquitter.

L'imposition des peines

[26]        Le Tribunal estime important de distinguer deux choses : l'imposition d'une peine et l'administration d'une peine.

[27]        Comme la jurisprudence l'a reconnu, la suramende constitue une peine, même s'il s'agit d'une forme de restitution destinée à fournir des services aux victimes d'acte criminel[2].

 

[28]        Si, dans certains cas, l'imposition de suramendes compensatoires peut apparaître à sa face même disproportionnée, il n'appartient pas à un tribunal de tenter de contourner la volonté claire du législateur en imposant une peine inadéquate ou artificielle, comme par exemple par l'imposition d'infimes amendes.

[29]        Dans l'arrêt Pham, [2013] 1 R.C.S. 739, la Cour suprême précise que les peines ne peuvent être modifiées au point de devenir artificielles :

« 15.    La souplesse que permet notre processus de détermination de la peine ne doit pas donner lieu à l'infliction de peines inappropriées et artificielles dans le but d'éviter les conséquences indirectes susceptibles de découler d'un régime législatif ou autre texte de loi donné et, ainsi, d'éluder la volonté du législateur. »

[30]        Il est vrai que, suite aux amendements, la suramende étant désormais une peine minimale obligatoire imposée par la loi, elle pourrait devenir, par un effet cumulatif dans certains cas, complètement disproportionnée par rapport à la gravité des infractions commises. Elle pourrait dans ces cas porter atteinte aux droits fondamentaux d'un accusé.

[31]        Le Tribunal estime que, dans de tels cas, la seule voie possible est d'en contester la constitutionnalité[3], ce que Mme Chaussé n'a pas fait.

[32]        Comme la Cour suprême l'indique dans l'arrêt Anderson, « si un régime de peine minimale obligatoire oblige un juge à imposer une peine disproportionnée, il y aurait lieu de contester le régime » (2014 CSC 41, par. 25).

[33]        Toutefois, dans le cas de Mme Chaussé, l'imposition des suramendes n'affecte pas le principe de la proportionnalité.

[34]        Par l'application d'une suramende minimale obligatoire sans égard à la capacité du contrevenant, le législateur a voulu créer une exception aux principes usuels de détermination des peines.

Le rôle du percepteur des amendes et des suramendes

[35]        Les parties ont convenu de préciser le rôle tenu par le percepteur en déposant des admissions[4] que l'on peut résumer ainsi.

[36]        Le percepteur des amendes et des suramendes tire ses pouvoirs de recouvrement de la partie XIII du Code de procédure pénale (Chapitre C-25.1) (Loi sur le paiement de certaines amendes L.R.Q. P-2).

[37]        À l’échéance du délai prévu par le juge ou par décret pour le paiement de l’amende, des frais ou de la suramende, une évaluation de la situation financière du contrevenant est effectuée par le percepteur. Il peut attendre à l'expiration de la peine du contrevenant, quelle qu’elle soit, afin de prendre une entente visant le paiement des sommes dues pour un dossier criminel.

[38]        Si ce dernier n’est pas en mesure d’acquitter immédiatement le solde dû, le percepteur peut prendre entente pour des paiements étalés dans le temps, mais qui devront généralement être complétés dans un délai maximal de 12 mois, toute situation devant être évaluée au cas par cas.

[39]        Si le percepteur a des motifs de croire que ni la saisie ni les moyens financiers du contrevenant ne suffisent  pour lui permettre de s’acquitter de sa dette, le percepteur peut lui offrir de payer ces sommes par des travaux compensatoires qui sont généralement effectués dans un délai de 12 mois.

[40]        Le percepteur reconnaît qu'il est généralement très difficile de percevoir les sommes dues par des contrevenants qui reçoivent des prestations d’aide sociale autrement que par des travaux compensatoires. Si le contrevenant refuse de prendre une entente de paiement ou d'effectuer des travaux compensatoires, le percepteur demande alors au tribunal l'émission d'un mandat d'incarcération.

[41]        Vu ces admissions et en faisant les adaptations nécessaires pour les suramendes, on peut facilement conclure que, dans la situation de Mme Chaussé, même si elle indiquait aujourd'hui au percepteur qu'elle renonce à tout délai, ce dernier pourrait décider d'attendre qu'elle termine de purger sa peine pour : 

-         soit lui accorder un délai supplémentaire pour le paiement des suramendes et conclure avec elle une entente pour en étaler les versements ou;

-         soit, en cas d'impossibilité pour elle de payer, lui offrir d'effectuer des travaux compensatoires et, en cas de refus, en dernier recours, demander au tribunal l'émission d'un mandat d'incarcération conformément à l'article 734.7(1).

[42]        À cette étape, le tribunal devra être convaincu que le contrevenant a, sans excuse raisonnable, refusé de payer ou d'exécuter des travaux compensatoires.

[43]        Il se peut qu'il s'agisse d'un très très long détour pour en arriver à une conclusion similaire à celle à laquelle le Tribunal pourrait en arriver aujourd'hui dans le cas de Mme Chaussé, mais le Tribunal estime que c'est la voie clairement choisie par le législateur, et ce, afin de favoriser au maximum le paiement des suramendes.

L'administration de la peine

[44]        Une fois la suramende imposée par l'application de la loi, l'administration de cette peine ne relève pas du tribunal, mais du percepteur qui est chargé par la loi de sa perception.

[45]        Ainsi, dans les circonstances, le Tribunal estime que la renonciation aux délais pour le paiement de la suramende faite par Mme Chaussé doit plutôt être adressée au percepteur des amendes (R. c. Wu, [2003] 3 R.C.S. 530, par. 31).

[46]        Celui-ci verra, s'il y a lieu, à lui octroyer un délai supplémentaire ou à accueillir sa renonciation, auquel cas, il pourra demander au tribunal d'émettre un mandat d'incarcération conformément au paragraphe (1)b) de l'article 734.7 du Code criminel. Le tribunal devra alors examiner si la contrevenante avait une excuse raisonnable (indigence et inaptitude au travail) pour ne pas avoir payé la suramende ou encore exécuté en lieu et place des travaux compensatoires.

Peine concurrente ou consécutive

[47]        Suite au défaut de paiement d'une suramende, si un mandat d'incarcération est émis par le tribunal, la peine de détention doit-elle être purgée de façon concurrente ou consécutive à la peine imposée pour les infractions dont découlent les suramendes ou à toute autre peine?

[48]        Le paragraphe 1 de l'article 737 prévoit le versement d'une suramende compensatoire « en plus de toute autre peine qui lui est infligée ».

[49]        Le texte est clair et ne souffre d'aucune ambiguïté. De l'avis du Tribunal, la peine de détention pour suramende impayée doit être purgée de façon consécutive, non seulement à la peine imposée pour l'infraction qui a entraîné l'imposition de la suramende, mais également à l'égard de toute autre peine que le contrevenant aurait à purger.

[50]        Même si l'imposition d'une suramende découle de la même situation ou des mêmes faits que l'infraction qui l'a entraînée et qu'en principe des peines concurrentes devraient s'appliquer, procéder ainsi contournerait l'intention clairement exprimée par le législateur.

[51]        Seuls les principes de proportionnalité et de globalité des peines pourraient empêcher l'imposition de peines consécutives[5].

[52]        Ce n'est pas le cas en l'espèce.

Conclusion

[53]        Il y a donc lieu de répondre ainsi aux trois questions.

[54]        Le Tribunal ne peut prendre acte de la renonciation aux délais exprimée par l'accusée et y donner suite.

[55]        Ceci étant, le Tribunal est forclos à ce stade de constater le défaut de paiement et d'imposer une peine de détention.

[56]        Lorsqu'une peine de détention est imposée suite au défaut du paiement de la suramende, cette peine doit, en principe, être purgée de façon consécutive à toute autre peine.

 

 

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CONRAD CHAPDELAINE, J.C.Q.

 

Me Tian Meng

Me Andy Drouin

Procureurs de la poursuite

 

Me Benoit Gagnon

Me Marc-André Champagne

Procureurs de la défense

 

 



[1] Décret 1259-99, 17 novembre 1999 concernant la date d'échéance du paiement de la suramende compensatoire.

[2] R. c. Crowell, (1992) 76 C.C.C. (3d) 413, p. 417, 418, 421.

[3] R. c. Tinker, [2014] O.J. No. 2056; R. c. Flaro, [2014] O.J. No. 94.

[4] Pièce S-7.

[5] R. c. Aoun, 2008 QCCA 440.

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