Énergie éolienne des Moulins, s.e.c. c. Labranche |
2016 QCCA 1879 |
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COUR D’APPEL |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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GREFFE DE
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Nos : |
200-09-009270-163; 200-09-009273-167 |
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(235-06-000001-148) |
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DATE : |
22 NOVEMBRE 2016 |
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No: 200-09-009270-163 |
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ÉNERGIE ÉOLIENNE DES MOULINS S.E.C. |
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INVENERGY DES MOULINS GP ULC |
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REQUÉRANTES - Intimées |
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c. |
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PIERRE LABRANCHE |
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EDNA STEWART |
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INTIMÉS - Requérants |
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et |
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HYDRO-QUÉBEC |
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INVENERGY DES MOULINS LP ULC |
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INVENERGY WIND CANADA LP HOLDINGS ULC |
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INVENERGY WIND CANADA GP HOLDINGS ULC |
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MISES EN CAUSE - Intimées |
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No: 200-09-009273-167 |
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HYDRO-QUÉBEC |
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REQUÉRANTE - Intimée |
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c. |
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PIERRE LABRANCHE |
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EDNA STEWART |
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INTIMÉS - Requérants |
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et |
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ÉNERIE ÉOLIENNE DES MOULINS S.E.C. INVENERGY DES MOULINS LP ULC |
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INVENERGY WIND CANADA LP HOLDINGS ULC |
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INVENERGY WIND CANADA GP HOLDINGS ULC INVENERGY DES MOULINS GP ULC |
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MISES EN CAUSE - Intimées |
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[1] Les requérantes demandent, dans deux dossiers distincts, la permission de faire appel d’un jugement de la Cour supérieure du Québec, district de Frontenac (l’honorable Lise Bergeron), rendu le 31 mars 2016, autorisant l’exercice d’une action collective contre elles en lien avec la présence et l’exploitation d’éoliennes dans le parc éolien des Moulins, Phase I;
[2] Pour les motifs du juge Chamberland, auxquels souscrivent les juges Morin et Bélanger, LA COUR :
[3] REJETTE les deux requêtes, avec les frais de justice contre les requérantes dans chaque cas.
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MOTIFS DU JUGE CHAMBERLAND |
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[4] Le 31 mars 2016, la Cour supérieure du Québec (l’honorable Lise Bergeron), autorise l’exercice d’une action collective contre les requérantes Énergie éolienne des Moulins s.e.c., Invenergy des Moulins GP ULC et Hydro-Québec en lien avec la présence et l’exploitation d’éoliennes dans le parc éolien des Moulins, Phase I.
[5] La Cour est aujourd’hui saisie de deux requêtes pour permission de faire appel de ce jugement présentées respectivement par Énergie éolienne des Moulins s.e.c. et Invenergy des Moulins GP ULC (200-09-009270-163) et par Hydro-Québec (200-09-009273-167).
[6] Ces deux requêtes sont entendues en même temps que quatre autres requêtes, trois formulées à la suite d’un jugement prononcé le 24 février 2016 autorisant l’exercice d’une action collective relativement à une éclosion de légionellose dans la région de Québec entre les mois de juillet et octobre 2012 (le dossier Allen) (200-09-009238-160, 200-09-009241-164 et 200-09-009247-161) et une à la suite d’un jugement prononcé le 12 avril 2016 autorisant l’exercice d’une action collective en lien avec des publicités et commentaires faits par DuProprio à propos des services offerts par les courtiers immobiliers et des frais qui sont associés à ces services (500-09-026070-169).
[7] Toutes ces requêtes soulèvent les deux mêmes questions :
a) la formulation du test applicable à l’exercice du droit d’appel d’un jugement autorisant l’exercice d’une action collective prévue à l’article 578 n.C.p.c.;
b) le sort des requêtes pour permission de faire appel.
[8] Suivant l’arrêt de la Cour dans le dossier Allen, le test est le suivant : le juge d’appel accordera la permission de faire appel du jugement autorisant l’exercice d’une action collective lorsque ce jugement lui paraîtra comporter à sa face même une erreur déterminante concernant l’interprétation des conditions d’exercice de l’action collective ou l’appréciation des faits relatifs à ces conditions, ou encore, lorsqu’il s’agira d’un cas flagrant d’incompétence de la Cour supérieure.
[9] Il reste maintenant à examiner chacune des requêtes pour permission de faire appel et décider de leur sort à la lumière du test retenu et des circonstances propres à chacune des requérantes.
[10] L’action collective entreprise par les intimés est un recours en responsabilité civile et pour troubles de voisinage découlant de la construction et de l’exploitation du Parc éolien des Moulins, comprenant 59 éoliennes sur une superficie approximative de 2 442 hectares sur les territoires des municipalités de Thetford Mines, Kinnear’s Mills et St-Jean-de-Brébeuf.
[11] Énergie éolienne des Moulins est une société en commandite, que la juge de première instance qualifie d’intimée « principale » (paragr. 67).
[12] Invenergy des Moulins GP ULC est son commandité.
[13] La juge de première instance écarte d’emblée la possibilité d’une action collective contre Invenergy des Moulins LP ULC (le commanditaire), Invenergy Wind Canada GP Holdings ULC (l’actionnaire du commandité) et Invenergy Wind Canada LP Holdings ULC (l’actionnaire du commanditaire). Cet aspect du jugement n’est pas remis en cause dans les deux requêtes dont la Cour est saisie.
[14] La juge conclut que le critère de l’article 575(1) n.C.p.c. (« les demandes des membres soulèvent des questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes ») est satisfait. Elle estime que le fait que les troubles de voisinage allégués sont attribuables à 59 éoliennes plutôt qu’une seule ne constitue pas un obstacle dirimant à l’exercice d’une action collective même si, de toute évidence, il rendra l’exercice plus complexe. La question commune demeure celle de déterminer si les intimés causent des troubles de voisinage aux membres du groupe.
[15] La juge conclut également que le critère de l’article 575(2) n.C.p.c. (« les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées ») est satisfait en ce qui a trait à Énergie éolienne des Moulins s.e.c. et son commandité, Invenergy des Moulins GP ULC. Les allégations de la demande, les diverses références aux relevés ou mesures de bruit, les références aux études existantes sur le même sujet ailleurs et au rapport du BAPE sur le projet (R-6, le rapport d’enquête de janvier 2010) l’amènent à conclure que les demandeurs ont « une cause défendable » à faire valoir quant aux troubles de voisinage qu’ils allèguent (effets stroboscopiques, vibrations, bruit, poussière, …).
[16] Les requérantes plaident que le juge a fait des erreurs déterminantes concernant l’application du critère de l’article 575(1) n.C.p.c. Elle aurait erré dans la qualification juridique et le fardeau relatif à ce critère. Elle aurait erronément conclu à l’existence de questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes sans égard aux causes d’action invoquées (responsabilité civile et troubles de voisinage) et aux circonstances sous-jacentes à l’action collective proposée. Enfin, elle aurait préjugé le sort des questions communes proposées, outrepassant sa compétence au stade de l’autorisation d’une action collective et portant atteinte au droit des requérantes à une défense pleine et entière.
[17] Avec égards pour l’avis contraire, la décision de la juge de première instance concernant le critère prévu au paragr. 1o de l’article 575 n.C.p.c. ne me paraît pas comporter à sa face même une erreur déterminante concernant l’interprétation de cette condition d’exercice ou l’appréciation des faits relatifs à cette condition.
[18] La juge explique en quoi le fait qu’il y a une multitude de sources de troubles de voisinage (59 éoliennes réparties sur un vaste territoire), plutôt qu’une seule ne constitue pas un obstacle fatal à l’exercice d’une action collective. Cette réalité n’est pas incompatible, selon elle, avec l’existence de questions communes pour les membres du groupe relativement à l’existence, ou non, de troubles de voisinage découlant de la faute des requérantes (article 1457 C.c.Q.) ou excédant les limites normales de la tolérance entre voisins (article 976 C.c.Q.). Les requérantes ne font pas voir en quoi cette conclusion, au stade de l’autorisation d’exercer une action collective, comporterait une erreur déterminante.
[19] Les requérantes ne font pas voir non plus en quoi la juge de première instance pourrait avoir préjugé le sort des questions communes proposées, outrepassé sa compétence au stade de l’autorisation d’une action collective ou porté atteinte à leur droit à une défense pleine et entière.
[20] Les demandeurs reprochent essentiellement à Hydro-Québec d’avoir agi de façon abusive en retenant le projet d’Énergie éolienne des Moulins, en modifiant le tracé des éoliennes et en implantant le projet à proximité d’un poste hydro-électrique d’importance, la rendant ainsi solidairement responsable des dommages qu’ils disent subir en raison des troubles de voisinage dont ils se plaignent.
[21] La juge de première instance estime que les allégations de la requête et la preuve au dossier satisfont au niveau peu élevé de démonstration exigé à ce stade des procédures pour conclure à la possibilité que Hydro-Québec soit en partie responsable du préjudice allégué ou qu’elle ait abusé de certains de ses droits. La juge ajoute que bien évidement, au stade de l’autorisation, elle ne dispose pas du fond de l’affaire.
[22] Hydro-Québec plaide que la juge a erré dans son appréciation de chacune des trois conditions prévues aux paragraphes 1o, 2 o et 3 o de l’article 575 n.C.p.c.
[23] Je ne reviendrai pas sur ce que j’ai écrit plus haut concernant la condition prévue au paragr. 1o de l’article 575. Hydro-Québec soutient que sa situation est différente puisque sa responsabilité est recherchée pour abus de droit alors que celle des autres défenderesses est recherchée pour troubles de voisinage. L’argument ne me convainc pas. Il est vrai que les causes d’action sont différentes, mais il est tout aussi vrai que les deux sont interreliées puisqu’elles tirent toutes les deux leur origine dans les troubles de voisinage dont se plaignent les demandeurs.
[24] Quant à la condition prévue aux paragr. 2o de l’article 575 n.C.p.c., je dirai simplement que Hydro-Québec ne fait pas voir en quoi l’analyse de la juge de première instance paraîtrait comporter une erreur de droit déterminante ou en quoi sa conclusion paraîtrait résulter d’une appréciation manifestement erronée des faits relatifs à cette condition. La juge explique pourquoi les allégations de la demande semblent suffisantes pour justifier l’existence d’« une cause défendable » pour les demandeurs contre Hydro-Québec. Je n’y vois pas l’apparence d’une erreur qui justifierait d’accorder la permission de faire appel sollicitée.
[25] Quant à la condition prévue au paragr. 3o de l’article 575 n.C.p.c (« la composition du groupe rend difficile ou peu pratique l’application des règles sur le mandat d’ester en justice pour le compte d’autrui ou sur la jonction d’instance »), il y a peu à dire. La juge souligne que l’étendue du parc éolien et la dispersion des éoliennes sur le territoire font voir à aux seules « un potentiel de membres important » (paragr. 118 et 131).
[26] Les demandeurs évoquent la possibilité de 2000 membres en considérant une distance de 4.8280 kms, soit la distance de l’éolienne la plus éloignée de la résidence du requérant Pierre Labranche. La juge s’est interrogée sur cette distance de 4.8280 kms, de même que sur l’importance des réclamations individuelles (10 000 $ - 50 000 $, plus un certain montant pour compenser la perte de valeurs des propriétés) dans le contexte d’une action individuelle.
[27] Elle souligne que la distance retenue s’inspire d’une étude du ministère ontarien de l’Environnement avant de conclure qu’il serait illusoire ici d’envisager la possibilité de recours individuels (plus de 2000 propriétaires ou occupants, sur un vaste territoire) ou la jonction de recours. L’importante valeur des réclamations individuelles ne suffit pas non plus, selon elle, pour écarter la possibilité d’une action collective et justifier des recours individuels dans les circonstances.
[28] Hydro-Québec revient sur cette question à tort, selon moi. Elle ne fait pas voir en quoi la juge pourrait s’être trompée concernant l’interprétation de la condition prévue au paragr. 3o de l’article 575 n.C.p.c. Hydro-Québec ne fait pas voir non plus en quoi la conclusion de la juge de première instance concernant cette condition pourrait résulter d’une appréciation manifestement erronée de la preuve pertinente.
[29] Pour ces motifs, je propose le rejet des deux requêtes pour permission de faire appel, avec les frais de justice contre les requérantes.
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JACQUES CHAMBERLAND, J.C.A. |
AVIS :
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