[1] L’appelante se pourvoit contre un jugement de la Cour supérieure du district de Québec (l’honorable Jacques G. Bouchard), rendu le 4 décembre 2013, qui rejette la demande d’injonction et de dommages-intérêts de l’appelante ainsi que la demande reconventionnelle en dommages-intérêts de l’intimé.
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[2] De 2001 à 2012, l’intimé a permis à de nombreux copropriétaires (environ 60 %) de remplacer le revêtement de plancher d’origine (tapis et sous tapis) de leur unité d’habitation par un plancher de bois lamellé appliqué sur un matériau résilient lui-même collé à la dalle de béton conformément à l’amendement au règlement de l’immeuble adopté à l’unanimité des copropriétaires présents à l’assemblée du 12 juin 2000.
[3] L’appelante acquiert en 1989 les parties privatives nos 408 et 409 qu’elle fusionne en une seule unité d’habitation. Elle remplace, en mars 2004, les tapis d’origine des deux parties par un plancher de bois franc en se servant du devis de mise en œuvre préparé par la firme Acoustec inc. à la demande du conseil d’administration de l’intimé et en se conformant à la procédure prévue à l’amendement au règlement de l’immeuble.
[4] Au mois de décembre 2004, Georges Marcotte, le propriétaire de la partie privative no 308, se plaint à l’intimé qu’il entend des bruits de pas provenant de la partie privative 408 située immédiatement au-dessus de la sienne.
[5] L’intimé mandate alors Acoustec inc. pour mesurer l’indice d’isolement au bruit d’impact (« FIIC ») de l’ensemble plancher/plafond séparant les unités nos 308 et 408. Les tests effectués à divers endroits révèlent des indices FIIC (58 et 59) nettement inférieurs aux résultats attendus puisque la dalle de béton à nue procure à elle seule un indice d’isolement FIIC de 57. La firme d’experts et l’intimé soupçonnent alors que cette sous-performance acoustique est causée par un procédé d’installation inadéquat. L’hypothèse n’a cependant jamais été confirmée en raison des refus de l’appelante de permettre à l’intimé d’expertiser l’état du revêtement.
[6] Estimant, par ailleurs, qu’aucune suite n’est accordée à sa plainte, Georges Marcotte entreprend lui-même des procédures judiciaires à l’encontre de l’intimé et de l’appelante en mars 2008.
[7] La Cour supérieure (l’honorable Georges Taschereau) lui donne partiellement raison, le 15 juin 2011, et ordonne à l’appelante d’enlever le plancher de bois franc installé dans la partie privative no 408 et de le remplacer par un plancher conforme au règlement et à la destination de l’immeuble dans un délai de huit mois. Le juge conclut que le plancher de bois installé par l’appelante dans l’unité no 408 contrevient à la fois aux droits de Georges Marcotte et à la destination de l’immeuble.
[8] Prétextant que l’intimé n’a jamais répondu à ses demandes de connaître les normes d’insonorisation requises par le règlement et la destination de l’immeuble, l’appelante ne s’est jamais conformée à l’ordonnance d’enlèvement et de remplacement du revêtement du plancher de la partie privative no 408.
[9] L’intimé a, pour sa part, depuis le jugement Taschereau, instauré un moratoire sur le remplacement des revêtements de sol et entrepris des pourparlers avec Georges Marcotte pour trouver un compromis acceptable pour tous, mais s’est buté à l’intransigeance de ce dernier qui prétend pouvoir exiger que l’appelante procède à l’installation d’un plancher garantissant un indice d’insonorisation équivalent à celui des revêtements d’origine.
[10] De guerre lasse, l’intimé informe l’appelante, en janvier 2012, qu’il peut uniquement accepter qu’elle enlève le plancher de bois et qu’elle le remplace par un ensemble tapis/sous-tapis de bonne qualité.
[11] Toutefois, malgré le moratoire décrété en raison des procédures judiciaires, l’intimé a, depuis le jugement Taschereau, autorisé trois autres copropriétaires à remplacer les tapis de leur unité d’habitation par un plancher de bois franc en exigeant de ceux-ci qu’ils aient recours pour ce faire à la technologie Sonomax 25 qui permet d’atteindre un niveau d’isolement FIIC conforme au confort acoustique de l’immeuble.
[12] Le 12 février 2012, l’appelante transmet à l’intimé une soumission préparée par Couvre-Planchers Pelletier inc. pour l’enlèvement du revêtement de bois et son remplacement par un ensemble tapis/sous-tapis. Elle réitère, par la même occasion, la demande pour connaître les normes requises par le règlement et la destination de l’immeuble en dépit des lettres que lui avait transmises le président du conseil d’administration les 3 novembre 2005 et 6 avril 2007 dans lesquelles ce dernier lui indique que la recommandation de confort à laquelle se réfère l’intimé est l’indice FIIC 65.
[13] Croyant à tort que le document de soumission met un terme au litige, l’intimé s’empresse d’approuver l’exécution des travaux, mais ignore la demande de renseignements de l’appelante.
[14] Dans les semaines qui suivent, l’appelante ne s’exécute pas et l’intimé la met en demeure de procéder aux travaux autorisés. Cette dernière réplique en introduisant une demande d’injonction et de dommages-intérêts.
[15] Consciente que les tests effectués par Acoustec inc. dans les autres unités où l’installation de planchers de bois a été autorisée depuis 2001 démontrent des indices FIIC variant entre 60 et 69 et croyant ne pouvoir permettre l’installation d’un revêtement autre qu’un tapis dans l’unité 408 sans l’assentiment de Georges Marcotte, l’intimé présente alors des offres généreuses à ce dernier pour tenter de déjudiciariser le litige. Celui-ci les refuse et insiste pour que l’appelante installe sur le sol de la partie privative no 408 un revêtement procurant une insonorisation FIIC d’au moins 76.
[16] Pour le juge, la demande de l’appelante, qui souhaite être traitée de la même façon que les autres copropriétaires qui ont remplacé les tapis par des planchers de bois, est beaucoup trop vague pour y faire droit. Il estime par ailleurs que l’appelante peut elle-même distribuer aux autres copropriétaires le jugement Taschereau et qu’il n’est pas approprié d’ordonner à l’intimé de le faire pas plus qu’il n’est opportun d’ordonner la convocation d’une assemblée des copropriétaires puisque la déclaration de copropriété prévoit un mécanisme spécifique à cet égard[1].
[17] Finalement, le juge conclut qu’il n’est pas démontré que l’une ou l’autre des parties a agi de façon abusive ou fautive de façon à pouvoir donner ouverture à l’octroi de dommages.
[18] Les parties, tout comme Georges Marcotte, retiennent erronément du jugement Taschereau que la destination de l’immeuble « Maison Amyot » requiert, en cas de remplacement du revêtement, que le nouveau parquet maintienne un niveau d’isolement au bruit d’impact équivalent à celui d’origine, soit un FIIC se situant entre 76 et 82 et que pour abaisser ce standard, il faut nécessairement modifier la destination de l’immeuble, ce qui ne peut être accompli qu’avec le vote favorable de 100 % des copropriétaires[2] puisque la copropriété a été constituée en 1987[3].
[19] Le juge souligne à bon droit que la demande de l’appelante ne doit cependant pas devenir un moyen de contourner la décision rendue par le juge Taschereau qui a depuis acquis la force de la chose jugée. Mais encore faut-il donner à celle-ci la portée qu’il convient.
[20] Il est vrai toutefois que l’insonorisation de l’immeuble peut constituer un élément clé de son individualité et, par voie de conséquence, de sa destination[4].
[21] Les principaux auteurs en matière de copropriété divise abordent toutefois la question du niveau d’insonorisation requis dans une copropriété comme étant celui du « confort acoustique »[5].
[22] Me Christine Gagnon rappelle à cet égard :
Soulignons que le « confort acoustique » n’est pas synonyme d’indice d’insonorisation. Il est possible que l’indice d’insonorisation d’un plancher de bois franc soit inférieur à celui d’un tapis, sans toutefois que le « confort acoustique » de l’immeuble en soit diminué. Évidemment le travail d’un expert en acoustique est nécessaire dans la détermination de ce qui est acceptable afin de maintenir le même « confort acoustique » dans l’immeuble.
Pour déterminer si une modification à la déclaration de copropriété relative aux revêtements de sol touche la destination de l’immeuble, le point de référence ne doit pas être une norme nationale acceptable, mais bien la qualité initiale de la construction du bâtiment concerné.
Il est possible de rédiger une clause qui permette l’introduction de nouveaux revêtements de sol à la condition que le « confort acoustique » qui existe dans l’immeuble ne soit pas diminué. On ne porte pas alors atteinte à la qualité d’insonorisation ni, en conséquence, à la destination de l’immeuble.[6]
[Référence omise]
[23] Le paragraphe 16(a) de la Déclaration de copropriété de « Maison Amyot » souligne certes l’importance de certains accessoires installés pour le « confort acoustique » des occupants, mais n’impose pas pour autant la nécessité de remplacer les tapis désuets par d’autres tapis ni ne prohibe la pose de plancher de bois franc, pas plus qu’il ne prévoit un indice d’insonorisation minimal.
[24] Il appert, par ailleurs, que les administrateurs de l’intimé considèrent qu’un revêtement de plancher procurant un indice FIIC oscillant entre 63 et 65 assure un « confort acoustique » qui correspond à la qualité initiale de la construction et ne porte pas atteinte à la destination de l’immeuble.
[25] C’est d’ailleurs pour ce motif que ces derniers ont permis à plus de 60 % des copropriétaires d’installer des planchers de bois dans leur unité privative et qu’ils ont imposé l’usage de la technologie Sonomax 25.
[26] De tous ceux qui ont requis une telle autorisation, l’appelante est la seule qui a essuyé un refus de la part du conseil d’administration qui l’a, de plus, contrainte à remettre des tapis.
[27] Cette différence de traitement découle de la portée trop large accordée au jugement Taschereau.
[28] En effet, le degré d’insonorisation requis par la destination de l’immeuble, de même que le choix de la technologie assurant le confort acoustique de ses occupants, peuvent être déterminés par le règlement de l’immeuble ou la déclaration de copropriété sans apporter de changement à sa destination et sans être astreint à obtenir l’assentiment de 100 % des copropriétaires[7].
[29] En accordant un délai de huit mois à l’appelante pour procéder à l’enlèvement et au remplacement du revêtement du plancher de l’unité no 408, le juge Taschereau a dit espérer que ce report permettrait aussi à l‘intimé d’ajuster le tir, de tenter de dégager un consensus parmi les copropriétaires relativement à l’insonorisation de l’immeuble et aux concessions qu’ils sont prêts à faire à cette fin pour ensuite procéder aux modifications appropriées aux documents régissant la Copropriété « Maison Amyot ».
[30] Or, il appert que le conseil d’administration est déjà d’avis que le niveau de « confort acoustique » de l’immeuble est convenablement atteint avec des planchers de bois Sonomax 25.
[31] Les administrateurs n’ont donc plus qu’à présenter cette proposition aux copropriétaires réunis en assemblée qui décideront des mesures qui s’imposent, comme le sollicitait l’appelante dans la demande d’injonction que le juge a rejetée.
[32] Dans ces circonstances, il y a lieu d’intervenir pour permettre aux copropriétaires de se prononcer sur ces questions.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
[33] ACCUEILLE l’appel en partie;
[34] ACCUEILLE en partie la demande d’injonction;
[35] INFIRME le jugement de première instance à la seule fin d’ordonner aux administrateurs de l’intimé de convoquer une assemblée spéciale des copropriétaires pour que ces derniers décident s’il y a lieu de modifier la déclaration de copropriété[8] afin de déterminer les normes relatives à l’installation des planchers de bois franc dans la Copropriété « Maison Amyot »;
[36] Avec les frais de justice.
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FRANCE THIBAULT, J.C.A. |
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JEAN BOUCHARD, J.C.A. |
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CLAUDE C. GAGNON, J.C.A. |
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Me Éric Orlup |
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BCF |
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Pour l’appelante |
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Me Michel Paradis |
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Joli-Cœur Lacasse |
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Pour l’intimé |
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Date d’audience : |
9 juin 2016 |
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[1] Article 85 de la Déclaration de copropriété.
[2] Paragraphe 100(c) de la Déclaration de copropriété.
[3] Loi sur l’application de la réforme du Code civil, LQ 1992, c. 57, art. 53 : « La copropriété divise d'un immeuble établie avant le 1er janvier 1994 est régie par la loi nouvelle. La stipulation de la déclaration de copropriété qui pose la règle de l'unanimité pour les décisions visant à changer la destination de l'immeuble est toutefois maintenue, malgré l'article 1101 du nouveau code. […] ».
[4] Marcotte c. Syndicat des copropriétaires La Maison Amyot, 2011 QCCS, paragr. 68.
[5] Christine Gagnon, La copropriété divise, 3e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2015, p. 131; Yves Joli-Cœur et Pierre G. Champagne, « Les problèmes reliés à l’acoustique en copropriété divise », dans Service de la formation permanente, Barreau du Québec, Développements récents en droit de la copropriété divise, vol. 198, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2003.
[6] Christine Gagnon, La copropriété divise, 3e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2015, p. 132.
[7] Article 1096 et 1097(4) C.c.Q.
[8] Article 1052 C.c.Q.
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