Décision

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CFG Construction inc. c. R.

2023 QCCA 1032

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

QUÉBEC

 :

200-10-003632-192

(200-01-175428-139)

 

DATE :

11 août 2023

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

MARIE-JOSÉE HOGUE, J.C.A.

GENEVIÈVE COTNAM, J.C.A.

GUY COURNOYER, J.C.A.

 

 

CFG CONSTRUCTION INC.

APPELANTE – accusée

c.

 

SA MAJESTÉ LE ROI

INTIMÉ – poursuivant

 

 

ARRÊT

 

 

[1]                L’appelante se pourvoit à l’encontre d’un verdict de culpabilité prononcé contre elle le 14 février 2019 par la Cour du Québec (l’honorable Hélène Bouillon) d’avoir causé la mort d’Albert Paradis par négligence criminelle.

[2]                L’appelante présente des questions de droit. Elle demande aussi la permission de soulever des questions de fait et de droit de même que des questions de fait.

[3]                Pour les motifs du juge Cournoyer auxquels souscrivent les juges Hogue et Cotnam, LA COUR :

[4]                ACCUEILLE la requête en autorisation d’appel d’une déclaration de culpabilité comportant des questions mixtes de fait et de droit;

[5]                ACCUEILLE la requête en autorisation d’appel d’une déclaration de culpabilité à l’égard des questions de fait;

[6]                REJETTE l’appel.

 

 

 

 

MARIE-JOSÉE HOGUE, J.C.A.

 

 

 

 

 

GENEVIÈVE COTNAM, J.C.A.

 

 

 

 

 

GUY COURNOYER, J.C.A.

 

Me Charles Levasseur

LEVASSEUR & ASSOCIÉS AVOCATS

Pour l’appelante

 

Me Régis Boisvert

DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES

Pour l’intimé

 

Date d’audience :

15 novembre 2021


 

 

 

MOTIFS DU JUGE COURNOYER

 

 

[7]                Le 11 septembre 2012, Albert Paradis, un camionneur possédant 25 années d’expérience, conduit un camion lourd porte-conteneurs appartenant à l’appelante CFG, qui transporte des rebuts retirés de la base d’une éolienne et qui est chargé tout près de la pleine capacité autorisée. Dans le virage d’une pente descendante en gravier avec un dénivelé moyen (11,9% sur 700 mètres), le camion se renverse dans un fossé et M. Paradis trouve la mort.

[8]                L’entretien du camion, plus particulièrement son système de freinage, était au cœur du procès.

[9]                Lors du procès, la poursuite soutenait que l’appelante avait omis de procéder à l’entretien approprié de ce camion et de son système de freinage conformément à plusieurs devoirs légaux qui lui incombaient en tant que personne morale ou si on veut, à titre d’organisation au sens de l’article 2 du Code criminel. La poursuite invoquait principalement les obligations qui découlent des articles 22.1, 217.1 et 219(1)b) du Code criminel, l’article 51 de la Loi sur la santé et la sécurité au travail et l’article 519.15 du Code de la sécurité routière.

[10]           Essentiellement, dans son jugement, la juge considère que l’omission d’entretien du camion et de ses freins constituait un écart marqué et important de la conduite attendue d’une personne raisonnable selon la nature et les circonstances entourant l’activité en cause.

[11]           Le pourvoi de l’appelante porte sur un éventail diversifié de moyens d’appel qui néglige peu d’éléments; bref, elle fait flèche de tout bois.

[12]           Elle allègue que le verdict est déraisonnable, que des preuves par ouï-dire produites lors du procès étaient inadmissibles, qu’une preuve de propension inadmissible a été présentée, que certaines informations obtenues auprès de la SAAQ sans autorisation judicaire auraient dû être exclues selon le paragraphe 24(2) de la Charte canadienne, qu’un arrêt des procédures aurait dû être ordonné en raison de la destruction par un policier des brouillons de notes utilisés pour la préparation de la déclaration signée par certains témoins et finalement que la juge se serait livrée à une mauvaise analyse juridique de l’infraction de négligence criminelle.

[13]           Pour les motifs qui suivent, je propose à la Cour de rejeter l’appel.


FAITS

[14]           Comme les parties, je m’en remets au résumé des faits de la première juge[1]. Je résumerai certains d’entre eux lorsque la compréhension des moyens d’appel l’exigera.

PROCÉDURES

[15]           L’accusation portée le 6 juin 2013 contre l’appelante lui reproche la commission de l’infraction suivante :

Entre le 28 février 2012 et le 11 septembre 2012, à Québec, district de Québec, a, par négligence criminelle, causé la mort de Albert Paradis, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 220b) du Code criminel.

[16]           L’appelante plaide non coupable le 14 décembre 2015. Le procès a lieu devant une juge de la Cour du Québec entre le 4 décembre 2017 et le 7 février 2018 (25 jours d’audition), où 36 témoins sont entendus, dont trois experts.

[17]           Plusieurs décisions interlocutoires s’avèrent nécessaires durant l’instance, en l’occurrence six voir-dires dont deux concernant des violations constitutionnelles. Quatre de ces six voir-dires font l’objet de l’appel.

***

JUGEMENT ENTREPRIS

[18]           Même si la tâche de la juge était colossale, puisqu’elle devait résumer une preuve abondante entendue durant 25 journées d’audition[2], je souligne que « les motifs répondent bien aux questions en litige, compte tenu de l’ensemble de la preuve et des observations des avocats »[3].

[19]           Dans un premier temps, la juge passe en revue toute la preuve déposée en première instance. Elle dresse un portrait de l’appelante, de sa situation financière, de son fonctionnement interne et du rôle de ses deux cadres supérieurs, le dirigeant Franky Glode et le mécanicien responsable du garage Yannick Émond[4].

[20]           Elle revoit la preuve concernant l’état du camion avant l’accident[5], puis la preuve de la défense sur la même question[6]. Viennent ensuite les preuves d’expertises effectuées après l’accident[7]. D’autres éléments de preuve pertinents, essentiellement des témoignages, font l’objet d’observations de la juge[8].

[21]           Par la suite, elle écarte 7 témoignages de la poursuite et en retient 11[9]. Quant à la défense, la juge se penche sur le témoignage du responsable du garage Yannick Émond et explique en quoi sa version des faits est entachée de plusieurs contradictions, notamment à la lumière de documents déposés en preuve[10], et souligne le manque de transparence de son témoignage sur certains aspects[11]. La juge rejette deux autres témoignages de la défense, dont celui de l’expert en raison de son manque de rigueur, de ses omissions et d’une méprise quant à son rôle devant un tribunal[12]. Deux témoins sont considérés comme crédibles[13].

[22]           De toute cette preuve, la juge estime que la thèse de la défense selon laquelle l’appelante a entretenu de façon adéquate les freins du camion Volvo ne peut être retenue.

[23]           La juge conclut son analyse des faits de la manière suivante : « La présence de plusieurs défectuosités mécaniques trouvées sur un camion, la preuve d’une négligence dans les entretiens et les réparations ainsi que la conséquence mortelle résultant de l’accident, ne signifie pas que l’infraction criminelle est prouvée »[14].

[24]           Ainsi, dans un deuxième temps, la juge du procès pose les principes juridiques concernant la négligence criminelle commise par une personne morale[15].

[25]           Dans un troisième temps, le jugement s’attarde aux éléments essentiels de l’infraction. Premièrement, l’omission d’accomplir une action que l’appelante avait légalement le devoir de faire est prouvée, en ce que l’appelante avait le devoir de s’assurer que le camion était entretenu convenablement pour être utilisé sur la route, ce qui a été contredit par la preuve[16].

[26]           Deuxièmement, cette omission dénote une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la sécurité d’autrui. Les freins sont un système mécanique essentiel à la sécurité, particulièrement ceux d’un véhicule lourd dans des conditions routières semblables à celles du 11 septembre 2012. La norme de prudence doit être élevée. Or, le mauvais entretien de ceux-ci n’est ni bénin ni ponctuel. Les défectuosités du camion, dont le système de freinage, étaient importantes et les réparations effectuées sur celui-ci étaient inadéquates.

[27]           La juge déclare que : « l’économie extrême recherchée [par l’appelante] ne pouvait s’accorder avec la notion de sécurité »[17]. Ainsi, au vu de l’ensemble de la preuve, des risques importants, des nombreuses plaintes de la victime, l’omission d’entretenir les freins révèle une insouciance téméraire ou déréglée pour la vie ou la sécurité d’autrui[18].

[28]           Troisièmement, la juge du procès reconnaît le lien de causalité, hors de tout doute raisonnable, entre l’omission d’entretenir convenablement les freins et la mort de la victime. Elle écarte les théories avancées par la défense, selon lesquelles la mort de la victime découlerait de sa conduite inappropriée du camion, la victime ayant décidé de quitter volontairement le véhicule au moment de l’accident et l’omission de la victime d’exercer son droit de refuser de conduire le camion[19]. Ne voyant aucun élément ayant pu rompre le lien de causalité, celui-ci est prouvé et la juge conclut que le mauvais entretien du camion par l’appelante a causé de manière plus qu’appréciable la mort de la victime[20].

[29]           Finalement, la juge se penche sur l’écart marqué et important de l’omission d’envisager ou d’éviter un risque par rapport à la norme de prudence que respecterait une personne raisonnablement prudente placée dans les mêmes circonstances. Considérant la nature des activités exercées, la norme de prudence était élevée. La juge évalue certains éléments de preuve pour résoudre la question : les avertissements de la victime au sujet des freins, l’état des freins, le poids du chargement, les défectuosités préexistantes et l’absence de mesures prises par l’appelante pour remédier à ces graves problèmes, alors qu’elle était consciente de ce risque important[21].

[30]           En résumé, selon la juge, l’appelante avait l’obligation de s’assurer que le mécanicien avait les compétences nécessaires pour accomplir son travail, soit d’effectuer des réparations adéquates. Une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances aurait été consciente de l’imprudence de laisser circuler un véhicule lourd ayant plusieurs défectuosités mécaniques. Le comportement de l’appelante a contribué de façon appréciable à la mort de la victime. Le degré d’écart de conduite est important dans les circonstances. Les préoccupations financières, le laxisme au garage et l’indifférence face aux réparations à effectuer ont mené à annihiler les préoccupations pour la sécurité et la vie d’autrui. En conséquence, l’appelante est déclarée coupable de négligence criminelle ayant causé la mort[22].

 

QUESTIONS EN LITIGE

[31]           Dans ses procédures d’appel, l’appelante présente 14 moyens d’appel. Dans son mémoire, elle consolide le tout en cinq questions[23].

[32]           J’aborde les moyens d’appel soulevés par l’appelante tels qu’ils ont été synthétisés dans son mémoire, mais dans l’ordre suivant :

1)     l’application erronée de la négligence criminelle;

2)     l’appréciation erronée de la preuve et le verdict déraisonnable;

3)     la preuve par ouï-dire inadmissible;

4)     l’inadmissibilité d’une preuve de propension;

5)     les violations constitutionnelles qui auraient dû entraîner soit l’exclusion de certaines preuves ou l’arrêt complet des procédures.

***

[33]           La multiplicité et la densité des moyens d’appel déployés par l’appelante m’incitent à synthétiser dès maintenant mes conclusions afin de faciliter la lecture de mes motifs.

L’application erronée de la négligence criminelle

[34]           L’interprétation de la juge, fondée sur l’arrêt de notre Cour dans Javanmardi[24], était plus favorable à l’appelante que celle adoptée par la Cour suprême dans la même affaire[25]. De plus, la juge n’a pas accordé une attention indue à la conséquence dans l’application de la négligence criminelle et l’utilisation de l’expression « norme de prudence » n’établit pas une erreur justifiant une intervention.

Le verdict déraisonnable et l’appréciation erronée de la preuve

[35]           Le verdict n’est pas déraisonnable. L’appelante nous invite plutôt à refaire le procès et à revoir la conclusion, ce que nous ne devons pas faire.


L’admissibilité d’une preuve de ouï-dire

[36]           Lors du procès, l’appelante s’est opposée à l’admissibilité de plusieurs déclarations de la victime et s’est livrée à une « dissection ésotérique »[26] de celles-ci à l’aune de l’approche raisonnée de la preuve de ouï-dire.

[37]           Les déclarations de la victime ont été principalement considérées par la juge à des fins narratives et non adjudicatives.

[38]           Sur la question centrale concernant l’état mécanique du camion et la négligence de l’appelante dans son entretien, la juge n’utilise les déclarations que pour principalement confirmer le fait que la victime avait porté les problèmes associés aux freins du camion à l’attention de l’appelante, une question qui n’était pas contestée par l’appelante lors du procès.

L’inadmissibilité d’une preuve de propension

[39]           Les parties ont débattu l’admissibilité d’éléments de preuve concernant l’entretien du camion à l’aune des principes concernant l’admissibilité de la preuve de faits similaires et la juge a tranché l’admissibilité de cette preuve en appliquant ces principes à la preuve présentée par la poursuite.

[40]           Or, la grille d’analyse relative à la preuve de faits similaires se révèle singulièrement mal conçue dans le contexte de la présente affaire qui concerne une infraction de négligence criminelle se rapportant à l’entretien d’un camion lourd.

[41]           La preuve démontrant la négligence de l’appelante au sujet de l’entretien du camion que conduisait la victime durant la période visée par l’accusation et avant celle-ci était clairement admissible. Cette preuve concerne la négligence de l’appelante durant la période couverte par l’acte d’accusation et non sa propension à commettre l’infraction. Même si on tenait pour acquis que certains éléments de preuve allaient au-delà des fins reconnues pour évaluer la diligence de l’appelante, rien ne démontre que la juge a utilisé cette preuve à une fin illégitime.

Les violations constitutionnelles

[42]           L’appelante soulève deux catégories de violations constitutionnelles : 1) l’utilisation inconstitutionnelle de l’article 59 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels[27] Loi sur l’accès ») pour obtenir la documentation la concernant auprès de la SAAQ; 2) la non-conservation de notes précédant la rédaction de déclarations signées par des témoins et l’omission de prendre des notes sur les circonstances précédant et entourant la rencontre des témoins.

[43]           D’une part, la poursuite ne pouvait se fonder sur l’article 59 de la Loi sur l’accès pour justifier la transmission de l’information concernant l’appelante à la police. Toutefois, cette fouille abusive ne justifiait pas l’exclusion de la preuve selon le paragraphe 24(2) de la Charte.

[44]           D’autre part, même s’il est acquis depuis longtemps que les policiers doivent prendre des notes exactes, détaillées et exhaustives, l’appelante n’a pas établi en l’espèce une atteinte telle à l’équité du procès ou à l’intégrité du système de justice qui démontrerait qu’il s’agit de l’un des cas les plus manifestes où la réparation exceptionnelle que constitue l’arrêt des procédures est justifiée.

***

Application erronée de la négligence criminelle

Position des parties

L’appelante

[45]           Premièrement, l’appelante affirme que la juge a commis une erreur en mettant un accent indu sur la conséquence, soit la mort de M. Paradis, au détriment de l’évaluation de sa conduite pour assurer l’entretien adéquat du camion. Cette approche contredirait les enseignements de l’arrêt Anderson[28].

[46]           Deuxièmement, la juge aurait formulé l’écart marqué et important en fonction d’une norme de prudence abstraite et discrétionnaire, alors qu’il fallait plutôt utiliser une norme objective modifiée, soit celle de la personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances.

[47]           Troisièmement, l’appelante soutient que la preuve ne démontre pas le degré de faute requis pour être qualifiée de criminelle ni le lien causal entre l’accident et le mauvais entretien du camion Volvo.

[48]           Quatrièmement, l’appelante suggère qu’il existe plusieurs lacunes dans la preuve présentée qui soulèvent un doute raisonnable quant à sa culpabilité.

La poursuite

[49]           La poursuite rejette la panoplie d’erreurs invoquées par l’appelante. Elle s’appuie sur plusieurs passages du jugement entrepris où la juge souligne que la norme applicable est celle de la personne raisonnablement prudente placée dans les mêmes circonstances, une plus grande prudence étant requise considérant la nature et les circonstances de l’activité.

[50]           Pour le reste, la poursuite affirme que l’appelante propose à la Cour de réévaluer l’ensemble de la preuve, ce qui n’est pas son rôle.

Le droit applicable

[51]           Avant d’analyser les arguments soulevés par l’appelante à l’égard de la négligence criminelle, il est utile de discuter de trois éléments : 1) les incertitudes entourant l’application de la négligence criminelle; 2) le fondement de la responsabilité criminelle de l’appelante proposé par la poursuite lors du procès; 3) l’évolution du droit en matière de négligence criminelle depuis le jugement d’instance, dans l’arrêt Javanmardi de la Cour suprême.

[52]           Cet état des lieux s’avère essentiel pour contextualiser adéquatement les erreurs reprochées par l’appelante à la juge d’instance.

Les incertitudes entourant la négligence criminelle

[53]           Puisque l’appelante soulève l’application de l’arrêt Anderson, j’aborde les questions qu’elle porte à notre attention en ayant justement à l’esprit les observations du juge Sopinka dans cet arrêt rendu il y a plus de 30 ans :

En abordant la critique d'un jugement de première instance portant sur une accusation de négligence criminelle, on ne peut qu'avoir une profonde sympathie pour la situation difficile dans laquelle se trouve le juge du procès. Ce domaine du droit, tant ici que dans les autres pays de common law, s'est révélé l'un des plus difficiles et des plus incertains de tout le droit criminel[29].

[54]           Plusieurs années plus tard, dans l'arrêt Beatty, la juge Charron esquisse la trame évolutive de la jurisprudence canadienne à l'égard des exigences en matière de faute pour les infractions de négligence. Elle y reconnaît les difficultés que posent toujours aux tribunaux de première instance les infractions de négligence pénale ou criminelle et les décisions de la Cour suprême parfois difficiles à réconcilier. Elle constate une grande incertitude dans la jurisprudence à légard de certaines de ces questions[30].

[55]           Je ne suis donc pas surpris de lire le commentaire qui suit de la juge d’instance dans son jugement « [l]es crimes de négligence pénale ne se laissent pas cerner facilement »[31], bien que le paysage se soit certes clarifié depuis l’arrêt Javanmardi de la Cour suprême sur lequel je me penche un peu plus loin, mais qui est postérieur au jugement rendu dans la présente affaire.

Le fondement de la responsabilité criminelle de l’appelante

[56]           Je rappelle le fondement de la responsabilité criminelle de l’appelante mis de l’avant par la poursuite.

[57]           La position de la poursuite, adoptée dans son essence par la juge d’instance[32], était la suivante : l’appelante avait omis de procéder à un entretien approprié du camion conduit par la victime et de son système de freinage. Elle avait le devoir légal de le faire selon les obligations qui lui incombaient selon les articles 22.1, 217.1 et 219(1)b) du Code criminel, l’article 51 de la Loi sur la santé et la sécurité au travail et l’article 519.15 du Code de la sécurité routière.

[58]           De l’avis de la poursuite, l’omission de respecter ces obligations rendait l’appelante coupable de négligence criminelle causant la mort, car l’entretien du camion s’écartait de manière marquée et importante de la norme exigée d’une personne raisonnable œuvrant dans le même domaine que l’appelante.

[59]           Je reproduis certains articles qui définissaient les obligations de l’appelante selon la poursuite :

Code criminel

Obligation de la personne qui supervise un travail

 

217.1 Il incombe à quiconque dirige l’accomplissement d’un travail ou l’exécution d’une tâche ou est habilité à le faire de prendre les mesures voulues pour éviter qu’il n’en résulte de blessure corporelle pour autrui.

 

Duty of persons directing work

 

 

217.1 Every one who undertakes, or has the authority, to direct how another person does work or performs a task is under a legal duty to take reasonable steps to prevent bodily harm to that person, or any other person, arising from that work or task.

 

 


Loi sur la santé et la sécurité du travail

51. L’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité et l’intégrité physique et psychique du travailleur. Il doit notamment : […]

Code de la sécurité routière

519.15. Tout propriétaire doit maintenir ses véhicules lourds en bon état mécanique et respecter les normes d’entretien, la fréquence et les modalités des vérifications établies par règlement.

Tout propriétaire d’un autocar doit effectuer la vérification spécifique à ce véhicule sauf s’il s’agit d’un véhicule visé par un programme d’entretien préventif prévu au chapitre I.1 du titre IX. Le propriétaire doit remplir le rapport de vérification spécifique à ce véhicule selon les normes établies par règlement et le placer dans chaque véhicule sous sa responsabilité.

[60]           Comme on peut le constater, la position de la poursuite se fondait à la fois sur l’omission de respecter des obligations légales bien connues, mais aussi sur les dispositions législatives qui ont été adoptées à la suite de la tragédie survenue à la mine Westray en Nouvelle-Écosse en 1992, là où 26 mineurs meurent des suites de la désactivation des détecteurs de méthane, et ce, à la connaissance des superviseurs de la mine.

[61]           Cette tragédie entraînera la mise sur pied d’une commission d’enquête formulant plusieurs recommandations qui déboucheront plus tard sur une réforme législative importante des règles relatives à la culpabilité des personnes morales.

[62]           Le Parlement adopte en 2003 la Loi modifiant le Code criminel (responsabilité pénale des organisations[33]) (Projet de loi C-45) qui ajoute certaines dispositions dans le Code criminel pour encadrer la responsabilité des personnes morales pour les décès et les blessures en milieu de travail.

[63]           Le professeur Roach décrit les points saillants de cette réforme législative :

In late 2003, Parliament enacted Bill C-45, which amended the Criminal Code to provide a new regime to determine when corporations and other organizations were guilty of criminal offences, and its provisions took effect at the end of March 2004. The Bill also provided a new punishment regime to allow courts not simply to fine corporations, but also to place them on probation in an attempt to ensure that the offences were not repeated. This new regime is a fundamental change to corporate criminal liability in response to corporate misconduct that led to the death of twenty-six miners in the Westray Mine disaster, as well as events such as the Enron scandal.

The new regime replaces the common law concept of a directing mind with a new and broader statutory concept of a senior officer, which now includes those who are responsible for managing an important aspect of the corporations activities. At the same time, the new regime retains the idea that a senior officer of the corporation must be at fault before that persons fault can be attributed to the corporation for either a negligence or a subjective fault offence under the Criminal Code. The new provisions do, however, allow an organization to be found criminally liable for crimes of negligence because of the aggregate actions of more than one of its representatives and the aggregate or collective fault of more than one of its senior officers. It does not go as far as vicarious liability for the fault of all employees or for fault that inheres in the corporation as an organization including “corporate culture,” as opposed to only including the senior officers of the corporation.

The new regime also lends some structure to the Criminal Code by providing a separate provision for determining organizational liability for criminal offences of negligence and for criminal offences of subjective fault. It also builds on the parties provisions of the Criminal Code by tying organizational liability to individuals in the organization being a party to the specific offence. This underlines the reality that in many cases both individuals within the organization and the organization itself may face criminal charges[34].

[Les soulignements sont ajoutés]

[64]           La jurisprudence interprétant ces nouvelles dispositions et sur laquelle s’appuyait la poursuite n’était pas abondante au moment de la tenue du procès et ne l’est guère plus depuis celui-ci. Voici comment les auteurs d’un article de doctrine publié en 2013 et intitulé Critical Developments in Corporate Criminal Liability: Senior Officers, Wilful Blindness, and Agents in Foreign Jurisdictions décrivaient l’état de la jurisprudence :

In the decade since the passage of Bill C-45 in 2003, there has been little reported use of the new provisions despite widespread recognition that it constituted a fundamental change and expansion of the rules governing corporate criminal liability. Parliament replaced the traditional legal concept of corporate liability based on the fault of the corporation’s “directing mind(s)”, the board of directors, and those with the power to set corporate policy, with liability tied to the fault of all of the corporation’s “senior officers”. That definition included all employees, agents or contractors who play “an important role in the establishment of an organization’s policies” or who have responsibility “for managing an important aspect of the organization’s activities”. It is no longer necessary for prosecutors to prove fault in the boardrooms or at the highest levels of corporation: the fault of even middle managers may suffice.

[65]           Ce constat demeure toujours vrai.

[66]           Même si l’enjeu principal lors du procès portait davantage sur la question de savoir si la preuve démontrait hors de tout doute raisonnable l’omission de l’appelante d’entretenir convenablement le camion conduit par la victime et que cette omission s’écartait de manière marquée et importante par rapport à l’entreprise raisonnable exerçant cette activité, cela ajoutait néanmoins une fine couche de difficultés.

[67]           Il convient donc de dresser la portée des dispositions législatives entrées en vigueur en 2004[35] pour identifier clairement le fondement de la culpabilité mis de l’avant par la poursuite, ce qui permettra de considérer adéquatement le moyen d’appel de l’appelante concernant la négligence criminelle.

La responsabilité criminelle de l’appelante

[68]           Les nouvelles dispositions modifiant le Code criminel comprennent : 1) la définition des termes « agent » et « supérieur » à l’article 2 et 2) les articles 22.1 et 217.1 du Code criminel.

[69]           L’article 2 C.cr. définit l’agent de la manière suivante : « S’agissant d’une organisation, tout administrateur, associé, employé, membre, mandataire ou entrepreneur de celle-ci[36]. »

[70]           Le « cadre supérieur » est un « agent jouant un rôle important dans l’élaboration des orientations de l’organisation ou assurant la gestion d’un important domaine d’activités de celle-ci, y compris, dans le cas d’une personne morale, l’administrateur, le premier dirigeant ou le directeur financier ».

[71]           La négligence d’une organisation est prévue à l’article 22.1 C.cr. :

Organisations : infractions de négligence

22.1 S’agissant d’une infraction dont la poursuite exige la preuve de l’élément moral de négligence, toute organisation est considérée comme y ayant participé lorsque

 

a)        d’une part, l’un de ses agents a, dans le cadre de ses attributions, eu une conduite - par action ou omission - qui, prise individuellement ou collectivement avec celle d’autres de ses agents agissant également dans le cadre de leurs attributions, vaut participation à sa perpétration;

 

 

b)       d’autre part, le cadre supérieur dont relève le domaine d’activités de l’organisation qui a donné lieu à l’infraction, ou les cadres supérieurs, collectivement, se sont écartés de façon marquée de la norme de diligence qu’il aurait été raisonnable d’adopter, dans les circonstances, pour empêcher la participation à l’infraction.

Offences of negligence — organizations

22.1 In respect of an offence that requires the prosecution to prove negligence, an organization is a party to the offence if

 

 

(a) acting within the scope of their authority

 

(i) one of its representatives is a party to the offence, or

(ii) two or more of its representatives engage in conduct, whether by act or omission, such that, if it had been the conduct of only one representative, that representative would have been a party to the offence; and

 

(b) the senior officer who is responsible for the aspect of the organization’s activities that is relevant to the offence departs — or the senior officers, collectively, depart — markedly from the standard of care that, in the circumstances, could reasonably be expected to prevent a representative of the organization from being a party to the offence.

[72]           Lors du procès, l’appelante concède que le mécanicien Émond était un cadre supérieur au sens des articles 2 et 22.1 C.cr. D’ailleurs, selon la preuve présentée, la culpabilité de l’appelante pouvait se fonder en l’espèce sur la conduite combinée de plus d’un agent[37] ou d’un ou de cadres supérieurs[38]. Là n’était pas l’enjeu du dossier.

[73]           De plus, quiconque dirige l’accomplissement d’un travail ou l’exécution d’une tâche a l’obligation de prendre les mesures raisonnables pour éviter que les travailleurs subissent des blessures. Cette obligation est codifiée par l’article 217.1 du C.cr., mais elle ne crée aucune infraction[39].

[74]           Toutefois, l’omission de l’appelante de faire quelque chose qu’il était de son devoir d’accomplir selon l’article 217.1 C.cr. ou d’autres obligations imposées par une loi québécoise pouvait constituer l’actus reus de l’infraction de négligence criminelle causant la mort (art. 220 C.cr.), si cette omission cause la mort et que la conduite de l’accusé démontre un écart marqué et important avec la norme de la personne raisonnable qui exerçait les activités en cause[40].

[75]           Quant à la négligence criminelle, l’article 219 C.cr. la définit de la manière suivante :

Négligence criminelle

 

219 (1) Est coupable de négligence criminelle quiconque :

 

a)      soit en faisant quelque chose;

 

b)     soit en omettant de faire quelque chose qu’il est de son devoir d’accomplir,

 

montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui.

 

 

Définition de devoir

 

(2) Pour l’application du présent article, devoir désigne une obligation imposée par la loi.

Criminal negligence

 

219 (1) Every one is criminally negligent who

 

(a)   in doing anything, or

 

(b)   in omitting to do anything that it is his duty to do,

 

 

shows wanton or reckless disregard for the lives or safety of other persons.

 

 

 

Definition of duty

 

(2) For the purposes of this section, duty means a duty imposed by law.

 

[76]           Comme on peut le voir, selon le paragraphe (2) de l’art. 219 C.cr., un « devoir désigne une obligation imposée par la loi » ce qui comprend, au terme de la définition du mot « loi » à l’article 2 C.cr., les lois fédérales et provinciales[41].

[77]           Une précision. L’article 22.1 C.cr. énonce qu’il vise les infractions de négligence[42] sans faire de distinction entre celles-ci et la négligence criminelle prévue à l’art. 219 C.cr. Bien que l’alinéa 22.1b) stipule que le cadre ou les cadres supérieurs doivent « [s’être] écartés de façon marquée de la norme de diligence qu’il aurait été raisonnable d’adopter, dans les circonstances, pour empêcher la participation à l’infraction », lorsque l’inculpation d’une organisation vise l’infraction de négligence criminelle définie par l’article 219 C.cr., la norme doit nécessairement s’élever à celle de l’écart marqué et important[43], norme établie dans l’arrêt J.F.[44] et confirmée par la Cour suprême dans l’arrêt Javanmardi.

L’arrêt Javanmardi de la Cour suprême

[78]           La juge rend sa décision après la décision de notre Cour dans l’affaire Javanmardi[45], mais avant celle de la Cour suprême[46]. Or, le cadre établi par la Cour suprême s’écarte de celui décrit par notre Cour.

[79]           On ne peut formuler aucun reproche à la juge à cet égard. Toutefois, il est important d’en tenir compte dans l’évaluation des moyens présentés par l’appelante.

[80]           En effet, comme je vais le démontrer, l’analyse de la juge d’instance était plus favorable à l’appelante que le cadre établi par la Cour suprême dans l’arrêt Javanmardi.

[81]           Ainsi, au paragraphe 262 de son jugement, la juge du procès adopte les éléments essentiels décrits par notre Cour dans son arrêt Javanmardi :

[62]        L’infraction de causer la mort par négligence criminelle, prévue aux articles 219 et 220 C.cr., la voie retenue par l’appelante, en l’espèce, pour incriminer l’intimée, nécessite pour sa part la preuve des éléments essentiels suivants :

a)        un comportement (acte ou omission de faire une chose qu’il est de son devoir d’accomplir) qui dénote une insouciance téméraire ou déréglée pour la vie d’autrui ou la sécurité (actus reus)[23];

b)       révélant un écart marqué et important par rapport à la norme que respecterait une personne normalement prudente dans les circonstances où l’auteur a eu conscience du risque grave sans pour autant l’écarter ou ne lui a accordé aucune attention (prévisibilité objective de lésions corporelles) (mens rea); et

c)         qui cause la mort d’un être humain.

[82]           Selon notre Cour, la poursuite devait démontrer un actus reus qui dénote une insouciance téméraire ou déréglée et qui révèle un écart marqué et important à la norme de la personne raisonnable. La juge consacre d’ailleurs deux sections distinctes à l’analyse de chacun de ces éléments[47].

[83]           Or, le cadre d’analyse de la négligence criminelle qui résulte de la décision de la Cour suprême dans l’arrêt Javanmardi est légèrement différent. Voici les observations de la juge Abella sur les éléments essentiels de l’infraction de négligence criminelle :

[19] L’actus reus de la négligence criminelle causant la mort exige que l’accusé ait commis un acte — ou omis de faire quelque chose qu’il était de son devoir légal d’accomplir — et que l’acte ou l’omission ait causé la mort d’autrui.

[20] L’élément de faute consiste à ce que l’acte ou l’omission de l’accusé « montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui ». Les termes « déréglée » et « téméraire » ne sont pas définis dans le Code criminel, mais dans R. c. J.F., 2008 CSC 60 (CanLII), [2008] 3 R.C.S. 215, notre Cour a confirmé que l’infraction de négligence criminelle causant la mort impose une norme de faute objective modifiée — la norme objective de la « personne raisonnable » (par. 79; voir aussi R. c. Tutton, [1989] 1 R.C.S. 1392, p. 14291431; R. c. Morrisey, 2000 CSC 39, [2000] 2 R.C.S. 90, par. 19; R. c. Beatty, 2008 CSC 5, [2008] 1 R.C.S. 49, par. 7).

[21] Comme pour les autres infractions criminelles fondées sur la négligence, l’élément de faute de la négligence criminelle causant la mort est apprécié en déterminant la mesure dans laquelle la conduite de l’accusé s’écartait de celle d’une personne raisonnable dans la même situation[3]. Pour certaines infractions fondées sur la négligence, comme la conduite dangereuse, un écart « marqué » correspond à l’élément de faute (J.F., par. 10; voir aussi : Beatty, par. 33; R. c. Roy, 2012 CSC 26, [2012] 2 R.C.S. 60, par. 30; R. c. L. (J.) (2006), 204 C.C.C. (3d) 324 (C.A. Ont.), par. 15; R. c. AlKassem, 2015 ONCA 320, 78 M.V.R. (6th) 183, par. 6). Dans le contexte de la négligence criminelle causant la mort, toutefois, le degré d’écart requis a été décrit comme étant élevé, c’estàdire marqué et important (J.F., par. 9, appliquant Tutton, p. 14301431, et R. c. Sharp (1984), 12 C.C.C. (3d) 428 (C.A. Ont.)).

[22] Ces normes ont beaucoup de traits communs. Elles posent toutes deux la question de savoir si les actions de l’accusé ont créé un risque pour d’autres personnes, et si « une personne raisonnable aurait prévu le risque et pris les mesures pour l’éviter si possible » (voir Roy, par. 36; Stewart, p. 248). La distinction entre ces normes a été décrite comme étant une question de degré (voir R. c. Fontaine (2017), 2017 QCCA 1730, 41 C.R. (7th) 330, par. 27; R. c. Blostein (2014), 2014 MBCA 39, 306 Man. R. (2d) 15, par. 14). Comme l’a expliqué le juge Healy dans Fontaine :

       Ces différences de degré ne peuvent être mesurées au moyen d’une règle, d’un thermomètre ou de tout autre instrument étalonné. Les termes « marqué et important » sont de simples adjectifs utilisés pour paraphraser et interpréter l’expression « insouciance déréglée ou téméraire » de l’article 219 du Code criminel. Ils ne peuvent pas servir à fixer une échelle de gravité objective qui soit déterminante d’un cas à l’autre. Tant le comportement que la faute doivent s’apprécier de façon entièrement contextuelle par le juge des faits. [par. 27]

[23] Dans l’arrêt J.F., le juge Fish n’a pas expliqué en détail comment faire la distinction entre un écart « marqué » et un écart « marqué et important », étant donné que l’affaire ne « port[ait] ni sur la nature ni sur l’étendue des différences entre ces deux normes » (par. 1011). Dans le présent pourvoi, également, les différences terminologiques ne sont pas déterminantes et il n’est pas nécessaire qu’elles soient tranchées. Quoi qu’il en soit, en présentant leurs arguments, les parties ont tenu pour acquis que le critère qu’il convient d’appliquer en matière de négligence criminelle causant la mort est l’écart « marqué et important », et c’est sur ce fondement que j’aborde la question dans les présents motifs. Afin d’obtenir un verdict de culpabilité pour négligence criminelle causant la mort, le ministère public doit donc prouver que l’accusée a commis un acte, ou omis de faire quelque chose qu’il était de son devoir légal d’accomplir, et que l’acte ou l’omission a causé la mort d’autrui (l’actus reus). Selon l’arrêt J.F., le ministère public doit en outre établir que la conduite de l’accusée constituait un écart marqué et important par rapport à la conduite d’une personne raisonnable se trouvant dans la situation de l’accusée (l’élément de faute).

[Les soulignements sont ajoutés]

[84]           Comme on peut le remarquer, et contrairement à la conclusion de notre Cour, c’est dans l’élément de faute et non dans l’actus reus que réside l’évaluation de l’acte ou de l’omission qui « montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui ». En effet, comme l’explique la juge Abella : « Dans l’arrêt J.F., notre Cour a affirmé que la question de savoir si la conduite de l’accusé s’écartait de la norme requise est en fait une appréciation de la faute, et non de l’actus reus ». Pour la négligence criminelle, le degré d’écart requis doit être marqué et important[48].

[85]           Dans l’arrêt J.F., le juge Fish énonçait les essentiels de la négligence criminelle. Il précise qu’une conduite téméraire ou déréglée a été assimilée à un écart marqué et important par rapport à la norme de la personne raisonnable :

[68] Pour ce qui est de la négligence criminelle, l’actus reus sera établi s’il est prouvé (1) que l’accusé était légalement tenu d’accomplir quelque chose; (2) qu’il a omis, d’un point de vue objectif, de s’acquitter de son devoir légal et, (3) que, par cette omission, il a montré, encore une fois d’un point de vue objectif, une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui. La preuve de la mens rea découlera de la conclusion que la conduite de l’accusé était déréglée ou téméraire. La conduite déréglée ou téméraire a été assimilée à un écart marqué et important par rapport à la norme (H. Parent, Traité de droit criminel (2e éd. 2007), t. 2, p. 299), ce qui inclut nécessairement la conduite constituant un écart marqué[49].

[Le soulignement est ajouté]

[86]           L’élément de faute de la négligence criminelle sera donc établi lorsque l'acte ou l'omission exhibe une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui, c’est-à-dire un écart marqué et important avec la conduite de la personne raisonnable[50].

[87]           Il ne s’agit pas de deux normes distinctes, comme l’explique le juge Healy dans l'arrêt Fontaine cité avec approbation par la juge Abella dans l’arrêt Javanmardi : « [l]es termes ‘‘marqué et important’’ sont de simples adjectifs utilisés pour paraphraser et interpréter l’expression ‘‘insouciance déréglée ou téméraire’’ de l’article 219 du Code criminel ». Finalement, il demeure essentiel que l’actus reus et la mens rea soient distingués[51].

[88]           Comme on le voit, l’approche de notre Cour, telle qu’appliquée par la juge du procès, était bien plus favorable à l’appelante, norme qu’elle a appliquée à deux reprises.

[89]           Ces précisions ayant été apportées, j’aborde maintenant les reproches de l’appelante.

Application aux faits

[90]           L’appelante est d’avis que la juge a mis un accent indu sur la conséquence et qu’elle a évalué l’écart marqué et important selon une norme de prudence et non la norme qu’une personne raisonnable respecterait dans la même situation. Elle ajoute à sa démonstration que la juge aurait commis certaines erreurs manifestes et déterminantes.

[91]           Je ne peux souscrire à ces deux prétentions.

[92]           Premièrement, la juge d’instance considère les conséquences prévisibles du comportement de l’appelante non pas dans l’analyse de l’actus reus, mais bien sous l’angle de l’élément de faute, afin de déterminer si l’appelante a eu une conduite qui dénotait une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie de la victime[52]. Cette analyse du comportement selon une norme objective afin de déterminer s’il y a eu écart marqué et important au vu des risques que ce comportement pouvait entraîner est exempte d’erreur de principe, à mon avis. La juge ne met pas un accent indu sur la conséquence de la négligence alléguée contre l’appelante[53].

[93]           Deuxièmement, l’appelante reproche à la juge d’instance de se livrer à une analyse de l’écart marqué et important selon une « norme de prudence », plutôt que selon la norme objective de la personne raisonnable.

[94]           L’appelant pointe en direction du paragraphe 348 de la décision d’instance pour appuyer son propos :

[348] La preuve de l’actus reus de l’infraction ne permet pas à elle seule, de conclure raisonnablement à l’existence de l’élément de faute requis. La conduite constituant un écart marqué et important, par rapport à la norme de prudence, est le seul facteur qui peut étayer raisonnablement cette conclusion[54].

[Le soulignement est ajouté]

[95]           Il faut analyser la portée de ce paragraphe dans l’ensemble de la décision. La juge réfère ici à la notion de prudence au sens de l’arrêt R. c. Roy, qui s’appuie lui-même sur l’arrêt Beatty :

La mens rea réside dans le fait que le degré de diligence de l’accusé constitue un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans la même situation (Beatty, par. 43).  Le degré de diligence que manifeste l’accusé est apprécié par rapport à la norme de diligence que respecterait un conducteur raisonnablement prudent dans la même situation.  L’infraction ne sera établie que si le degré de diligence dont a fait preuve l’accusé constitue un écart marqué par rapport à cette norme[55].

[96]           Ainsi, la juge considère la prudence de la personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances exerçant la même activité que l’appelante. Même si l’expression « norme de prudence » qu’emploie la juge d’instance n’est pas l’expression retenue par la jurisprudence, je pense qu’il est évident qu’elle sous-tend la norme de la personne raisonnablement prudente placée dans les mêmes circonstances. Je ne vois pas comment l’utilisation de cette terminologie pourrait s’avérer fautive.

[97]           Qui plus est, l’exigence de prudence pouvait être analysée par la juge, puisque celle-ci fluctue selon l’activité exercée, comme le fait valoir l’arrêt Javanmardi :

[37] La juge McLachlin a toutefois expliqué qu’une plus grande prudence peut être attendue d’une « personne raisonnable » selon la nature et les circonstances dans lesquelles s’exerce l’activité (p. 72). Certaines activités, par exemple, nécessitent une attention et des compétences particulières. Il peut être conclu qu’un accusé qui se livre à une telle activité a contrevenu à la norme de la personne raisonnable s’il n’est pas qualifié pour exercer la prudence nécessaire qu’exige l’activité, ou s’il a négligé d’exercer une telle prudence lorsqu’il s’est livré à l’activité. De cette façon, le droit assure une « norme minimale constante » pour toute personne qui se livre à une activité exigeant une diligence et des compétences particulières : ces personnes doivent à la fois être qualifiées et exercer la prudence particulière qu’exige l’activité.

[Le soulignement est ajouté]

[98]           Ainsi, dans un domaine d’activité aussi fortement réglementé et dangereux, on pouvait s’attendre à ce que l’appelante veille à l’entretien de ses véhicules, tout comme l’aurait fait une personne raisonnable exerçant la même activité dans les mêmes circonstances.

[99]           Ensuite, en ce qui concerne les erreurs dans l’interprétation des faits, soit la conclusion relative à l’écart marqué et important, le respect des obligations légales de l’appelante et l’omission de prendre en compte les « zones mortes » de la preuve (les circonstances précises entourant l’accident), il faut se garder de réévaluer la preuve en entier.

[100]      Je considère que la juge d’instance appuie sa décision sur la preuve dans son ensemble sans qu’il soit possible d’identifier d’erreur manifeste et déterminante. L’erreur manifeste et déterminante se définit de la manière suivante : « [u]ne erreur est manifeste lorsqu’elle relève de l’évidence et qu’il n’est pas nécessaire de réexaminer toute la preuve pour s’en apercevoir; elle est déterminante lorsqu’elle a influencé la décision »[56]. Je n’en décèle aucune.

[101]      Par exemple, l’appelante indique que la juge a erré lorsqu’elle a conclu au défaut de diligence en affirmant qu’aucun document d’inspection préventive n’existait chez CFG, puisque la preuve démontre le contraire. En effet, un document daté du 6 août 2012 démontrerait qu’un programme d’entretien préventif existait[57].

[102]      Or, ma lecture de cette preuve est différente. Le document en question sert à inscrire les bris que constatent les camionneurs. Ce formulaire de bris a été rempli à la suite d’une inspection mécanique bisannuelle et non dans le cadre d’un programme de prévention.

[103]      De la même façon, l’appelante considère que la conclusion de la juge sur sa conduite négligente est basée sur la preuve que « l’ensemble des défectuosités constatées après l’accident étaient préexistantes ». Je ne comprends pas la nature de l’erreur alléguée. La preuve d’expertise démontrait 15 défectuosités préexistantes, dont 14 en lien avec les freins. L’existence de ces défectuosités et la preuve d’expert retenue, selon laquelle le camion ne devait pas circuler, permettaient certainement à la juge de conclure à la négligence criminelle de l’appelante dans l’entretien du camion; c’est d’ailleurs le cœur de son raisonnement.

[104]      En conclusion, la norme de faute utilisée par la juge dans son analyse était grandement favorable à l’appelante dans la mesure où la juge s’est livrée au même exercice à deux reprises : évaluation de la conduite de l’appelante tant sous l’angle de l’insouciance déréglée et téméraire de l’entretien que celui de l’écart marqué et important. Or, comme je l’ai démontré, une conduite téméraire ou déréglée constitue un écart marqué et important par rapport à la norme de la personne raisonnable.

[105]      La juge n’a pas accordé une importance indue à la conséquence de la négligence de l’appelante et l’utilisation de l’expression norme de prudence s’insère parfaitement dans le cadre d’analyse tracé par la Cour suprême dans l’arrêt Javanmardi qui emploie elle-même l’expression « la prudence nécessaire qu’exige l’activité ».

[106]      Je rejetterais ce moyen et tous les arguments qui l’appuient.

Deuxième moyen d’appel : erreurs dans l’appréciation de la preuve

[107]      Sous le couvert d’un moyen formulé comme une question de droit, certes habilement ficelé, l’appelante nous demande essentiellement de refaire le procès et de réviser les conclusions de la juge du procès au sujet des faits révélés par l’inspection mécanique du camion et des constatations qu’elle a tirées quant à son entretien avant l’accident fatidique.

[108]      Or, dans son jugement, la juge résume minutieusement la preuve d’expert présentée par la poursuite et l’appelante. Elle retient celle de la poursuite et elle écarte l’opinion de l’expert de l’appelante, comme elle le pouvait.

[109]      Au sujet de l’expertise présentée par l’appelante, la juge écrit :

[246] Quelques mots au sujet de la crédibilité de l’expert de la défense, Laurent Fortier.

[247]     Cet expert s’est basé sur des documents qui n’ont pas été déposés en preuve et sur une partie seulement de ce qui a été admis lors du procès. La valeur probante de son témoignage est grandement affectée par son manque de rigueur et ses omissions. Au surplus, il semble se méprendre, à certains égards, sur le rôle qu’il occupe devant le Tribunal.

[110]      La juge formule les conclusions qui suivent au sujet de l’état mécanique du camion :

[276] L’inspection mécanique après l’accident, expertise non contredite, établit que les freins sont à 53% de leur capacité maximale, soit à moitié inopérants. Les défectuosités majeures sur ce même système sont en nombre alarmant, soit de 14. Une seule aurait suffi à devoir retirer le véhicule de la circulation. Le chargement est pour sa part au maximum de sa capacité.

[277] Analysées de façon contextuelle, ces défectuosités préexistantes à l’accident résultent de manquements importants lors des entretiens et des réparations effectués sur le camion Volvo, qui l’ont rendu intrinsèquement dangereux : sorties de tiges non barrées, leviers d’ajustement dépassant l’ajustement maximal, garnitures et tambours encrassés par une accumulation de contaminants de longue date dans le système de freinage selon l’expert en vérification mécanique.

[111]      De l’ensemble de la preuve, la juge tire la conclusion que « [l]es défectuosités mécaniques constatées après l’accident, mais préexistantes à celui-ci, résultent clairement d’une omission d’assurer un entretien convenable »[58].

Prétentions de l’appelante

[112]      L’appelante soutient que la juge a commis des vices fondamentaux dans l’évaluation de la preuve qui lui était présentée et qu’elle a omis de considérer plusieurs éléments favorables à l’appelante, rendant ainsi un verdict déraisonnable.

[113]      En ce qui a trait aux « vices fondamentaux » quant à la conclusion sur la culpabilité, l’appelante en identifie cinq.

[114]      D’abord, la juge aurait requis de l’appelante que l’entretien de ses camions soit parfait, alors que celui-ci devait plutôt s’apprécier en fonction des normes requises par la SAAQ. Ensuite, la juge aurait insinué que les freins d’un camion devaient être ajustés chaque jour, ce qui est contraire à la preuve d’expert. De plus, la juge n’aurait pas considéré des faits déterminants dans la préexistence des défectuosités. Puis, la juge n’aurait pas pris en compte les facteurs contributifs au décès de la victime indépendants de l’appelante. Finalement, la juge aurait erré en se basant sur la conduite antérieure de l’appelante pour conclure à sa négligence.

[115]      Quant aux éléments de preuve omis par la juge, l’appelante est d’avis que la juge a mal analysé plusieurs témoignages présentés par la poursuite, faisant fi d’éléments susceptibles de soulever un doute raisonnable sur sa culpabilité.

[116]      À cet égard, la juge aurait omis de considérer que plusieurs témoins de la poursuite ne rapportaient pas de problèmes de freinage sur le camion Volvo et que d’autres décrivaient une bonne ambiance de travail et un bon état des camions. Elle aurait également mal analysé les fiches de vérification mécanique complétées par la victime qui n’attestaient d’aucune défectuosité et le bulletin technique sur la capacité totale de freinage.

[117]      De surcroît, l’appelante avance que la juge a rejeté en bloc la preuve de la défense. Le témoignage de Yannick Émond a été écarté sur la base de reproches non fondés et d’inférences illégales, alors que celui de l’expert Laurent Fortier a été rejeté sans fondement. La juge a également rejeté le témoignage de Franky Glode en donnant une importance démesurée à son attitude lors de son témoignage. Qui plus est, elle s’est livrée à une analyse parcellaire de certaines pièces documentaires relatives à la réparation du camion Volvo[59].


Analyse

[118]      L’appelante se méprend sur la nature de son moyen d’appel. Sous le couvert de l’erreur de droit du verdict déraisonnable, l’appelante soulève des erreurs de fait. Par ses arguments, elle invite la Cour à réévaluer l’ensemble de la preuve pour y substituer sa propre appréciation.

[119]      Le corridor d’intervention de la Cour à l’égard des questions de fait est extrêmement étroit. Elle ne peut réviser une conclusion factuelle que si une démonstration d’une ou plusieurs erreurs manifestes et déterminantes lui a été faite. L’erreur ou les erreurs doivent révéler « une lecture faussée de l’affaire dont les répercussions sur la décision se constatent aisément »[60].

[120]      Premièrement, les vices fondamentaux évoqués par l’appelante proviennent d’une mauvaise lecture du jugement entrepris. La juge ne soumet pas l’appelante à la norme d’un entretien parfait, mais bien aux obligations légales auxquelles l’entreprise est assujettie et qui vont au-delà des normes requises par la SAAQ[61]. Les conclusions sur la préexistence des défectuosités mécaniques du camion Volvo et sur les facteurs indépendants contributifs à l’accident sont bien expliquées dans le jugement entrepris[62] et l’appelante n’identifie aucune erreur manifeste et déterminante. Finalement, l’argument sur la conduite antérieure et la propension est sans fondement. J’y reviens plus loin.

[121]      Deuxièmement, les omissions d’éléments de preuve soulevées par l’appelante relèvent plutôt de l’appréciation de la preuve de la juge. La déférence que méritent les conclusions sur la crédibilité des témoins n’est plus à redire[63]. L’analyse des témoignages fait partie du domaine privilégié du juge des faits, car il a l’avantage d’avoir présidé le procès[64].

[122]      À cet égard, les témoignages de Yannick Émond (le mécanicien), Franky Glode (le dirigeant de l’appelante) et Laurent Fortier (l’expert produit par l’appelante) ont été évalués soigneusement par la juge de première instance. Elle explique clairement pourquoi elle les écarte[65].

[123]      L’analyse des témoins de la poursuite est également exempte d’erreurs manifestes et déterminantes.

[124]      Le fait que certains témoins de la poursuite soient muets quant aux problèmes de freinage du camion Volvo ou aux problèmes relatifs à l’entretien des véhicules n’annihile pas pour autant les défectuosités constatées par la preuve d’expertise qui a convaincu la juge. L’appelante tente de morceler et d’isoler la preuve, alors que la juge l’a évaluée dans son ensemble et en a tiré des conclusions factuelles que j’estime inattaquables.

[125]      En ce qui a trait à la preuve documentaire, je suis également d’avis que ces conclusions sont elles aussi à l’abri de toute intervention de la Cour. La juge évalue correctement le bulletin technique sur la capacité de freinage du camion Volvo[66] et tire des inférences raisonnables à partir du manque d’information relative à la réparation du camion Volvo[67] et de l’absence d’inscription d’entretien des freins du Volvo[68].

[126]      Les reproches formulés par l’appelante ne sont donc pas fondés.

[127]      Je le redis, le jugement est soigné et la juge cerne précautionneusement les enjeux. Elle tire des conclusions claires et précises sur la cause de l’accident : le camion était mal entretenu, ce qui dénote, en raison des devoirs qui incombaient à l’appelante, un écart marqué et important de la norme applicable dans les circonstances.

[128]      L’évaluation de la preuve ne révèle donc aucune erreur manifeste et déterminante dans l’appréciation de la preuve et n’est pas erronée. De plus, le verdict n’est pas déraisonnable.

Le ouï-dire inadmissible

[129]      Lors du procès, l’appelante s’est opposée à l’admissibilité de plusieurs déclarations de la victime rapportées par des témoins lors du procès.

[130]      La preuve par ouï-dire présentée par la poursuite concernait principalement l’état d’esprit de la victime[69], les problèmes de freins de son camion, les avis donnés à l’employeur à ce sujet et le fait que la victime a été arrêtée par des contrôleurs routiers au volant du camion.

[131]      Les parties ont convenu de présenter l’ensemble des témoignages et les déclarations de la victime rapportées par divers témoins. Le débat sur l’admissibilité de celles-ci a été tranché lors d’un voir-dire consacré à cette question après l’audition des témoins.

[132]      La défense considérait que la preuve concernant plusieurs déclarations de la victime n’était pas fiable en raison de contradictions ou d’imprécisions même si elle admettait que certaines pouvaient être rapportées.

[133]      La juge a admis la preuve de certaines déclarations selon l’exception traditionnelle de l’état d’esprit de la victime et d’autres selon la méthode d’analyse raisonnée du ouï-dire.

[134]      La juge a décidé de considérer les contradictions et les imprécisions alléguées dans les déclarations de la victime présentées par l’appelante à l’étape de l’évaluation de la preuve au fond.

[135]      À mon avis, il s’avère inutile de se livrer à une fine analyse du débat entre les parties lors du procès et de réviser l’ensemble des conclusions de la juge à l’égard de chacune des déclarations admises en preuve.

[136]      En effet, j’estime que les déclarations de la victime ont été principalement considérées par la juge à des fins narratives et non adjudicatives[70], car la preuve n’était pas présentée pour établir la véracité du contenu de la déclaration de la victime, soit le mauvais état mécanique de son camion et de ses freins.

[137]      De plus, à l’égard de la question centrale du procès, l’état mécanique du camion et la négligence de l’appelante dans son entretien, une preuve indépendante amplement suffisante existait.

[138]      La juge n’utilise les déclarations que pour confirmer le fait que la victime avait porté les problèmes associés aux freins du camion à l’attention de l’appelante, ce que l’appelante ne contestait pas. D’ailleurs, comme la juge le souligne elle-même dans son jugement, la question de l’admissibilité des déclarations de la victime avait perdu de son importance à la fin du procès[71].

[139]      Dans ces circonstances, j’ai de la difficulté à identifier le préjudice qui découlerait de l’admission de ces déclarations alors que celles-ci n’établissent nullement l’état mécanique du camion et l’entretien de celui-ci. Ainsi, même en tenant pour acquis que la juge a commis une erreur en admettant plusieurs de ces déclarations, celles-ci n’ont pas influencé le raisonnement conduisant à la déclaration de culpabilité à l’égard de la question centrale.

Admissibilité d’une preuve de propension

[140]      La poursuite a présenté une preuve concernant les éléments suivants : 1) l'état général de la machinerie, 2) l'entretien et la réparation, 3) l'attitude des dirigeants de l’appelante, 4) la sécurité au travail, 5) l'état des lieux et 6) le dossier de l'appelante auprès la SAAQ.

[141]      L’appelante s’est opposée à cette preuve qu’elle a qualifiée de preuve de propension.

La décision de la juge

[142]      Les parties ont débattu de l’admissibilité de ces éléments de preuve à l’aune des principes applicables à l’admissibilité de la preuve de faits similaires ou d’une conduite déshonorante et la juge a tranché l’admissibilité de chacun des témoignages proposés par la poursuite en appliquant ces principes.

[143]      La déférence s’impose généralement en cette matière[72].

[144]      Je suis toutefois d’avis que le cadre d’analyse relatif à la preuve de faits similaires se révèle singulièrement mal conçu dans le contexte de la présente affaire qui concerne une infraction de négligence criminelle relative à la santé et à la sécurité au travail.

[145]      Je m’explique.

[146]      L’acte d’accusation prévoyait la période visée par l’accusation de négligence criminelle, soit entre le 28 février 2012 et le 11 septembre 2012.

[147]      Toute preuve démontrant la négligence de l’appelante au sujet de l’entretien du camion que conduisait la victime durant cette période était clairement admissible. En effet, une telle preuve concerne la négligence de l’appelante durant la période couverte par l’acte d’accusation et non sa propension à commettre l’infraction.

[148]      De plus, une preuve circonstancielle de même nature durant la période précédant celle couverte par l’acte d’accusation était aussi admissible dans la mesure où elle pouvait démontrer la connaissance du problème affligeant l’entretien du camion de même que ses freins, y compris les moyens mis en œuvre pour le résoudre.

[149]      Conceptuellement, le cadre d’analyse entourant l’admissibilité de la preuve de faits similaires se révèle totalement inadéquat, car fondamentalement mal conçu pour l’évaluation de la négligence ou l’absence de diligence raisonnable[73]. En effet, un fondement crucial de l’admissibilité d’une preuve de faits similaires est l’établissement de l’improbabilité d’une coïncidence[74], une question totalement sans pertinence à l’évaluation de la négligence.

[150]      Pour cette raison, je partage l’opinion formulée par les auteurs de l’ouvrage Regulatory Offences in Canada: Liability and Defences au sujet du caractère incompatible du concept de preuve de propension en droit réglementaire :

[T]here is a fundamental disconnect between a consideration of character or disposition evidence in the criminal arena and similar fact evidence in regulatory prosecutions.

In the regulatory field, the conduct itself is not inherently evil, reprehensible, morally repugnant or felonious. The activities being regulated are legal, except when an accused fails to live up to the standards imposed in legislation. In that context, it makes no sense to talk about the “forbidden reasoning” that prevents the admissibility of similar fact evidence.

[…]

We argue that it is wrong to characterize evidence relating to due diligence as evidence of propensity at all. Evidence of past incidents may inform first and foremost the question of foreseeability. It may establish that the accused was on notice of a problem, whether through an earlier incident or a warning given by the regulatory agency, employees, consultants, contractors or others. The alternatives available to the accused might also be proven by what was done on earlier occasions. Evidence of prior incidents might also be relevant to proof of the actus reus as indicative of the control that an accused might exercise[75].

[151]      Bien que ces observations aient été formulées dans un ouvrage concernant le droit réglementaire, leur application ne pose aucun problème dans le présent dossier. En effet, la diligence raisonnable et la négligence constituent les deux revers d’une même médaille.

[152]      La distinction entre les infractions de responsabilité stricte et celles de négligence pénale ou criminelle se reflète dans la différence des fardeaux de preuve, de même que dans le degré d’écart requis pour établir la commission de la preuve.

[153]      Les infractions de négligence pénale ou criminelle formulent la norme de diligence devant être respectée et qui doit être prouvée hors de tout doute raisonnable par la poursuite alors que le défendeur inculpé d’une infraction de responsabilité stricte doit établir sa diligence raisonnable par prépondérance de preuve.

[154]      Voici comment le professeur Roach décrit la relation entre la diligence raisonnable et la notion de négligence pour les infractions de responsabilité stricte :

Although the fault element for a strict liability offence is negligence, the Crown need not prove negligence beyond a reasonable doubt. Rather, the accused must prove a defence of due diligence or lack of negligence on a balance of probabilities.

[…]

The burden on the accused is an important component of the halfway house approach of strict liability offences, because it means that the Crown is not required to prove negligence beyond a reasonable doubt and that the accused is not acquitted because there is a reasonable doubt as to negligence[76].

[155]      Manifestement, la preuve de la négligence d’une personne morale comporte un risque plus faible de préjudice moral ou par raisonnement, car l’évaluation requise par la nature même de l’infraction exige une évaluation qualitativement différente. De plus, ce risque s’avère moins considérable dans le cadre d’un procès devant une juge seule[77].

[156]      Ainsi, la juge d’instance ne fait pas erreur au sujet de l’admissibilité de la preuve lorsqu’elle affirme que : « la nature de l'infraction alléguée doit être considérée, soit de la négligence criminelle, une infraction qui peut permettre l'admissibilité en preuve, selon les circonstances, d'éléments touchant les comportements antérieurs »[78].

[157]      À mon avis, il ne s’avère pas nécessaire de réévaluer l’admissibilité de chacun des témoignages. La lecture du jugement démontre indubitablement que la juge a correctement utilisé la preuve présentée pour évaluer si l’appelante avait été négligente et non pour conclure que celle-ci avait une propension à l’être.

[158]      Certes, la preuve présentée par la poursuite ne concernait pas uniquement l’entretien du camion et de ses freins. L’éventail de la preuve administrée par la poursuite était vaste, mais celle-ci était logiquement pertinente à l’égard d’un fait en cause, soit la négligence de l’appelante.

[159]      Toutefois, les facteurs qui peuvent être considérés pour déterminer soit la diligence raisonnable, soit la négligence pénale ou criminelle, s’avèrent similaires. Le professeur Roach en présente une synthèse fort utile dans son ouvrage Criminal Law :

The courts look to a large range of factors in determining whether the accused has established a defence of due diligence to a regulatory offence. Relevant factors include: the likelihood and gravity of the risk, including whether it was foreseeable and the effect that it could have on vulnerable people and neighbourhoods. Other factors look to the ability of the accused to control or manage the risk of the prohibited act from occurring. Factors such as alternative solutions, regulatory compliance, industry standards and preventive systems, efforts made to address the problem, and the promptness of the accused’s response are significant. Other matters such as factors beyond the control of the accused, technological limitations, skill level expected of the accused, complexities involved, and economic considerations can be relevant in determining whether the accused has taken all reasonable steps to prevent the risk. Courts will consider the perspective of the reasonable person when applying the due diligence defence. They will examine the training and supervision that was or was not given to employees. The focus in due diligence is on whether the accused has taken reasonable steps to prevent the commission of the offence[79].

[160]      À la lumière de ces facteurs, même si je considérais qu’une partie de la preuve avait une pertinence qui s’éloignait des questions en litige – une détermination à laquelle je ne parviens pas en raison du seuil peu élevé applicable à la notion de pertinence[80]  je n’identifie aucun préjudice dans le présent dossier, car la condition mécanique du camion après l’accident établissait de toute façon, et de manière autonome, que son entretien avait été nécessairement négligé durant la période visée par l’acte d’accusation ce qui établissait un écart marqué et important avec la conduite d’une personne raisonnable dans ce domaine d’activité.

[161]      Ce moyen doit donc être rejeté.

La constitutionnalité de la demande de l’enquêteur à la SAAQ

Contexte

[162]      Le 20 septembre 2012, dans la foulée de son enquête criminelle concernant l’appelante, l’enquêteur principal Sylvain Charest présente une demande à la SAAQ en vertu du paragraphe 59, al. 2(3) de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels[81] Loi sur l’accès »), que je reproduis :

Dans le cadre d’une enquête menée par la Sûreté du Québec en vertu de l’article 219 du [C]ode criminel concernant un accident impliquant un camion de la compagnie C.F.G. Construction en date du 11 septembre 2012, nous désirons obtenir une copie de tous les documents impliquant les interventions et actions faites par les contrôleurs routiers de la S.A.A.Q. concernant la compagnie ci-haut mentionnée.

Cette demande est faite en vertu de l'article 59 de la Loi sur l'accès à l'information. Une réponse de votre part dans un court délai serait appréciée[82].

[163]      À la suite de cette demande, une vérification interne est effectuée à la SAAQ, notamment au contentieux, afin de déterminer la légalité de la transmission des informations et si celles-ci sont nécessaires aux fins d’une poursuite, conformément à l’article 60, al. 1 de la Loi sur l’accès.

[164]      La SAAQ transmet à l’enquêteur 10 documents impliquant l’appelante dont je dresse la nomenclature et une brève description :

  1. Le rapport d’enquête d’accident produit par Contrôle routier Québec[83]

-          Ce rapport fait suite à une demande de la SQ le matin du 12 septembre 2012.

  1. Rapport de pesée

-          Ce rapport vise à déterminer si le camion est surchargé.

  1. Fiche du conducteur Albert Paradis

-          Cette fiche est annexée au rapport d’enquête. On y retrouve le dossier du conducteur et toutes les interactions de celui-ci avec Contrôle routier Québec.

  1. Registre des propriétaires exploitants des véhicules lourds

-          Ce registre de la Commission des transports du Québec est public[84]. Il consiste en une recension des inspections et des évènements impliquant l’entreprise.

  1. Les certificats de vérification mécanique

-          Les vérifications mécaniques se font périodiquement sur la route[85] et annuellement par un mandataire de la SAAQ[86]. Le document mis en preuve recense toutes les vérifications mécaniques du camion Volvo.


  1. Codes de référence pour les certificats de vérification mécanique

-          Ce document établit la nature des défectuosités sur le camion.

  1. Registre des entreprises d’intérêt

-          Il s’agit d’une banque de données des mandataires de la SAAQ contenant l’identification des entreprises propriétaires de véhicules lourds pour lesquelles un nombre élevé de défectuosités ont été décelées lors d’une inspection mécanique. Les entreprises sont alors sous surveillance. L’appelante était considérée comme entreprise d’intérêt en septembre 2012.

  1. Rapport d’inspection en entreprise de 2010

-          Ce rapport vise à déterminer si le propriétaire de véhicules lourds respecte les lois qui lui sont applicables, dont la Loi concernant les propriétaires, les exploitants et les conducteurs de véhicules lourds et le Code de la sécurité routière[87]. Il contient notamment un rapport d’infraction général qui est effectué par un agent après une inspection en entreprise. Le contrôle en entreprise des propriétaires exploitants de véhicules lourds est régi par une politique administrative.

  1. Interceptions faites par Contrôle routier Québec en 2011

-          Les 16 interceptions sur route[88] exécutées par le Contrôle routier Québec auprès de l’entreprise en 2011 sont ici colligées. 14 constats d’infraction au Code de la sécurité routière, dont un concernant le mauvais état mécanique d’un camion ou du camion Volvo[89], sont délivrés.

  1.  Interceptions effectuées par Contrôle routier Québec en 2012

-          13 interceptions sur route[90] ont été effectuées entre février 2012 et août 2012. 7 infractions au Code de la sécurité routière ont été établies.

[165]      Lorsque l’enquêteur principal est interrogé sur les raisons expliquant l’utilisation d’une demande se fondant sur la Loi sur l’accès, il répond vaguement qu’il a choisi cette option parmi toutes celles disponibles.

[166]      Il évoque plusieurs moyens alternatifs pour obtenir ces informations.

[167]      Il explique qu’il aurait certainement obtenu les informations, et même plus rapidement, en demandant une ordonnance de communication à la Cour du Québec. Toutefois, il révèle qu’il n’a pas fait de telle demande, puisqu’il ne lui paraissait pas évident de perquisitionner la SAAQ, qui applique les mêmes règlements que les corps policiers.

[168]      Il ajoute qu’il aurait pu obtenir plusieurs informations en faisant une demande au Centre de renseignements policiers du Québec (« CRPQ ») qui donne accès aux banques de données nominatives de la SAAQ.

[169]      Il énonce également la possibilité de faire une « interrogation spéciale », c’est-à-dire faire une demande spécifique de renseignements qui ne se trouvent pas dans le CRPQ. Le policier doit alors formuler une demande à la SAAQ en expliquant la nature de l’enquête menée et l’infraction reprochée d’une manière similaire à une demande fondée sur la Loi sur l’accès.

[170]      Finalement, l’enquêteur discute aussi de la liaison policière à la SAAQ par le biais de laquelle il est possible d’avoir des informations en faisant un appel téléphonique avec un « numéro réservé aux corps de police » sans toutefois fournir de détails.

[171]      Cela étant dit, puisque l’enquêteur choisit de formuler une demande selon l’article 59 de la Loi sur l’accès, les parties se concentrent sur cet article lors de leurs observations.

Jugement sur l’exclusion de la preuve

[172]      Dans son jugement, la juge refuse d’exclure selon le paragraphe 24(2) de la Charte les documents transmis par la SAAQ à l’enquêteur en raison de l’absence de violation des droits constitutionnels de l’appelante.

[173]      Elle note la faible attente de vie privée de l’appelante à l’égard de ces documents en raison du secteur d’activité réglementé dans lequel l’entreprise œuvre, même si elle convient que la fouille est présumée abusive en raison de l’absence d’autorisation judiciaire préalable.

[174]      Cependant, elle considère que celle-ci est autorisée par la Loi sur l’accès, une loi elle-même raisonnable dont la constitutionnalité n’a pas été remise en cause et n’a pas été exécutée de manière abusive.

[175]      La juge conclut donc que la fouille n’était pas abusive et n’a pas violé l’article 8 de la Charte.

Prétentions des parties

[176]      L’appelante considère que la transmission des documents de la SAAQ à la SQ par l’entremise d’une demande formulée selon l’article 59 de la Loi sur l’accès constitue une fouille abusive contraire à l’article 8 de la Charte[91].

[177]      Elle estime que la perquisition sans mandat a été conduite de façon abusive et illégale, puisque la demande présentée par la SQ était large, imprécise et visait des documents étrangers à l’enquête[92]. De plus, la demande avait une portée excessive.

[178]      Pour sa part, l’intimé prétend que l’analyse constitutionnelle de la juge de première instance était adéquate et que la fouille, saisie ou perquisition n’était pas abusive. À son avis, le dossier de l’appelante est assimilable à l’affaire Nolet[93] où un policier avait formulé une demande écrite à la SAAQ selon l’article 59 de la Loi sur l’accès, dans le cadre d’une enquête policière afin d’obtenir des documents nécessaires aux fins d’une poursuite éventuelle pour une infraction prévue dans le Code criminel.

Analyse

[179]      Le cœur de ce moyen d’appel concerne le caractère abusif de la demande présentée à la SAAQ par l’enquêteur selon l’article 59 de la Loi sur l’accès pour obtenir la transmission de l’information sollicitée concernant l’appelante à la SQ. Ce moyen d’appel ne touche ni la constitutionnalité de la Loi sur l’accès ni celle de cet article.

[180]      D’emblée, je précise que je tranche le moyen soulevé par l’appelante à la lumière de la demande de l’enquêteur qui a été présentée à la SAAQ selon l’article 59 de la Loi sur l’accès. Je ne considère aucun autre fondement que celui tranché par la juge du procès, car j’estime qu’il serait imprudent de le faire. Je résous les questions formulées par les parties uniquement à la lumière de leurs observations devant la juge du procès et devant nous.

[181]      Depuis l’arrêt Hunter c. Southam, « une fouille ou perquisition sans mandat est abusive à première vue »[94] et il appartient à la poursuite de repousser la présomption de caractère abusif[95] et « de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’une fouille sans mandat n’était pas abusive »[96].

[182]      La protection conférée par l’article 8 de la Charte s’étend aux personnes morales[97].

[183]      De plus, dans l’arrêt Jarvis, la Cour suprême favorise l’autorisation judiciaire préalable lorsqu’il s’agit d’établir la responsabilité pénale dans le cadre d’une enquête criminelle :

[D]ès qu’un examen ou une question a pour objet prédominant d’établir la responsabilité pénale du contribuable, il faut utiliser les techniques d’enquête criminelle.  À titre corollaire, toutes les garanties prévues par la Charte, pertinentes dans le contexte criminel, s’appliquent obligatoirement[98].

[184]      Dans l’arrêt Kligman c. M.R.N.[99], le juge Létourneau de la Cour fédérale d’appel interprète la portée de l’arrêt Jarvis :

[6] J'aimerais ajouter que, dans les conclusions qu'elle a tirées au sujet de la possibilité d'utiliser les pouvoirs de contrainte conférés au paragraphe 231.2(1) de la Loi, la Cour suprême ne fait pas de distinction entre un particulier et une société: ces pouvoirs ne peuvent pas être utilisés pour faire progresser une enquête criminelle. Je suis d'accord avec ma collègue lorsqu'elle dit que le juge des requêtes, après avoir conclu que l'enquête était une enquête criminelle, ne pouvait pas se fonder sur des considérations liées à la Charte pour autoriser le recours aux pouvoirs de contrainte. Les protections accordées par la Charte sont le corollaire d'une conclusion selon laquelle l'enquête est une enquête criminelle. On ne saurait y avoir recours afin de miner ou de contourner les effets juridiques de cette conclusion.

[Les soulignements sont ajoutés]

[185]      J’ajoute que les parties n’ont pas débattu de l’admissibilité des documents en distinguant selon la nature des documents transmis par la SAAQ ou en considérant si l’information avait été obtenue par la SAAQ d’une manière indépendante ou si elle était en possession de la SAAQ, mais obtenue dans le cadre d’une relation de nature contradictoire[100]. L’objection à l’admissibilité a été tranchée en bloc par la juge à la lumière des observations globales des parties.

[186]      Cela dit, dans son jugement rendu oralement, la juge fait une distinction à l’égard des observations indépendantes des contrôleurs routiers qui sont intervenus dans le cadre de leur fonction sur les lieux de l’accident le lendemain de celui-ci et qui ont été transmises à l’enquêteur. Voici comment elle s’exprime :

Les informations transmises par les contrôleurs routiers sur les lieux de l'accident le lendemain […] ne révèlent rien d'anormal ou d'illégal, au contraire, lorsqu'un mandataire de l'État, dans l'exercice de ses tâches autorisées prend connaissance d'une preuve manifeste d'un crime ou d'un acte répréhensible, directement lié aux mêmes questions faisant l'objet de l'inspection qu'il devait effectuer à des fins de conformité, il peut communiquer cette information aux autorités compétentes à des fins d'enquête criminelle sans avoir besoin d'autre autorisation légale.

***

[187]      Dans un premier temps, la juge a considéré « l’ensemble des circonstances et particulièrement le fait que les documents ont été demandés dans le cadre d’une enquête criminelle » pour conclure que l’appelante avait une attente raisonnable de vie privée à l’égard de l’information détenue par la SAAQ. À son avis, la réponse quant à l’existence d’une telle attente « est inévitablement positive ».

[188]      Elle conclut que, même si celle-ci s’avère réduite[101], une autorisation judiciaire devait être obtenue et, en conséquence, l’obtention des informations était présumée abusive. À cet égard, comme le précise le juge Fish dans l’arrêt Cole, une attente de vie privée réduite subsiste malgré tout :

[9] Une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée, quoique réduite, n’en demeure pas moins une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée protégée par l’art. 8 de la Charte. Par conséquent, elle ne peut faire l’objet de l’ingérence de l’État qu’en vertu d’une loi raisonnable[102].

[189]      Dans un deuxième temps, elle évalue la position mise de l’avant par la poursuite, soit que la communication des informations était autorisée par l’article 59 de la Loi sur l’accès, ce qui aurait pour effet de repousser la présomption de caractère abusif entourant la communication des informations par la SAAQ en raison de l’absence d’une autorisation judiciaire préalable.

[190]      Je me limite donc à la validité de cette assise pour trancher le pourvoi.

[191]      La demande formulée par l’enquêteur le 20 septembre 2012 vise uniquement l’appelante, une personne morale, et non celle-ci et ses cadres supérieurs[103].

[192]      Or, l’article 59 de la Loi sur l’accès autorise un organisme public à communiquer un renseignement personnel sans le consentement de la personne concernée à un organisme qui, en vertu de la loi, est chargé de prévenir, détecter ou réprimer le crime ou les infractions aux lois, si le renseignement est nécessaire aux fins d’une poursuite pour infraction à une loi applicable au Québec. La restriction concernant la communication de certains documents prévue à l’article 59 ne vise que les renseignements personnels[104].

[193]      À mon avis, en l’espèce, la présomption de caractère abusif ne peut être repoussée en s’appuyant sur un article qui encadre la transmission de renseignements personnels, mais qui ne garantit pas le droit d’accès aux renseignements d’une personne morale. C’est l’article 9 de la Loi sur l’accès qui prévoit le droit d’accès aux documents d’un organisme public, mais les parties n’en ont pas débattu et la juge n’a pas tranché le débat sur ce fondement. Je n’examine pas cette question.

[194]      Avant de conclure sur le caractère abusif de la demande de documents présentée par l’enquêteur, j’exprime quelques mots sur l’arrêt Spencer rendu en 2014 qui a retenu l’attention des parties.

[195]      Dans cette affaire, le juge Cromwell avait conclu qu’à l’égard des renseignements relatifs à une abonnée d’un service Internet, « la demande faite par un policier visant la communication volontaire par [un fournisseur de service internet] de renseignements de cette nature constitue […] une fouille »[105]. De plus, il explique qu’il est raisonnable qu’un internaute s’attende à ce qu’une « simple demande faite par la police n’entraîne pas l’obligation de communiquer les renseignements personnels en question ou qu’elle n’écarte pas l’interdiction générale prévue par la LPRPDE quant à la communication de renseignements personnels sans le consentement de l’intéressé »[106].

[196]      Ces conclusions concernent la demande d’un corps policier au sujet de renseignements personnels d’un abonné à un service Internet et non, comme en l’espèce, une demande d’accès aux documents d’un organisme public concernant une personne morale.

[197]      La transmission par un organisme public de documents au sujet d’une personne morale à un corps policier durant une enquête criminelle soulève des questions qui concernent à la fois l’interprétation de la portée des dispositions législatives de la Loi sur l’accès et la portée normative de la protection qu’accorde l’article 8 de la Charte aux personnes morales durant une enquête criminelle[107].

[198]      Ainsi, l’étendue précise de la protection de l’article 8 dans un cas de figure comme la présente affaire pourrait exiger la réconciliation de plusieurs arrêts de la Cour suprême : Colarusso[108], Jarvis[109], Laroche[110], Cole[111], Spencer[112] et Goodwin[113], de même que l’établissement de fines nuances entre ceux-ci, tout en considérant la portée normative de l’article 8 de la Charte[114].

[199]      Cet exercice déborde le cadre du présent appel et il convient de laisser la résolution de ces questions dans un dossier où elles se posent. Je ne souhaite pas formuler une opinion sur celles-ci. Je préfère m’en tenir à l’analyse entreprise par la juge dans ce dossier à la lumière des observations des parties devant elle et devant nous.

[200]      Pour cette raison, je tiens pour acquis pour les fins du pourvoi[115], mais sans le décider, que la demande présentée à la SAAQ par l’enquêteur le 20 septembre 2012 est une fouille au sens de l’article 8.

[201]      De manière plus précise, je conclus donc que la poursuite ne pouvait se fonder sur l’article 59 pour repousser la présomption de caractère abusif de la demande de l’enquêteur découlant de l’absence d’autorisation judiciaire. Dans ces circonstances, la demande constituait une fouille abusive.

[202]      Je note finalement que la juge réfère à l’arrêt Laroche[116] de la Cour suprême et à l’arrêt D’Amour de la Cour d’appel de l’Ontario[117] pour justifier la transmission par les contrôleurs routiers aux policiers de leurs observations le lendemain de l’accident sur les lieux de celui-ci. Ces deux décisions concernent des situations où un organisme étatique a transmis volontairement des informations aux policiers et non une demande de la police auprès d’un organisme public comme en l’espèce. L’arrêt Spencer reconnaît la distinction entre ces deux cas de figure[118]. Je n’en dis pas plus.

[203]      En conclusion, la demande de l’enquêteur était une fouille abusive.

***

[204]      Qu’en est-il de l’exclusion de la preuve ?

[205]      La juge d’instance estime que, même si elle avait conclu que l’enquêteur aurait dû obtenir une ordonnance de communication, elle n’aurait pas exclu la preuve selon le paragraphe 24(2) de la Charte.

[206]      Même si je tenais pour acquis que la violation est grave, il ne fait aucun doute dans mon esprit que, tout comme dans l’affaire Spencer, l’enquêteur s’est servi de ce qu’il croyait « raisonnablement être des moyens légitimes pour poursuivre un objectif important visant l’application de la loi »[119]. Son témoignage est sans équivoque. Il exprime même un certain malaise à recourir à une ordonnance de communication à l’endroit de la SAAQ.

[207]      Cela dit, je note que l’enquêteur avait obtenu un mandat général le 13 septembre 2012 pour autoriser l’inspection mécanique du camion et deux mandats de perquisition visant le siège social de l’appelante et son garage le 27 septembre 2012.

[208]      Ceci ne manifeste pas de la part de l’enquêteur une méconnaissance des droits constitutionnels de l’appelante ou un mépris délibéré à l’égard de ceux-ci, mais plutôt une sollicitude exemplaire au sujet de ceux-ci, ce qui favorise à mon avis l’admission plutôt que l’exclusion de la preuve[120]. D’ailleurs, le policier exprime sa certitude qu’il aurait obtenu une autorisation judiciaire s’il l’avait sollicitée et je suis d’avis qu’il avait raison de le penser.

[209]      À ce titre, le fait que l’enquêteur aurait pu convaincre un juge de rendre une ordonnance de communication enjoignant à la SAAQ de communiquer les documents recherchés diminue l’incidence de la mesure illégale sur le droit à la vie privée que garantit la Charte à l’appelante[121].

[210]      Ainsi, même si je qualifiais la violation de grave, vu l’incidence modérée de celle-ci et l’intérêt de la société à ce qu’il y ait un jugement au fond, j’estime que c’est l’exclusion de la preuve qui déconsidérerait l’administration de la justice dans la présente affaire.

 

***

La destruction des notes de l’enquêteur

Contexte procédural

[211]      Durant la présentation de la preuve, l’appelante dépose une requête en arrêt des procédures en raison de la destruction par l’enquêteur des notes prises lors de ses rencontres avec les témoins. Le document préparé se présente comme un aide-mémoire consignant les éléments saillants de la version du témoin. Ces notes précèdent la préparation d’une déclaration formelle de témoin et de la signature de celle-ci par le témoin.

[212]      L’appelante soutient avoir pris connaissance de ces informations lors du témoignage de l’enquêteur dans le cadre d’un voir-dire qui vise la demande de la poursuite de contre-interroger un de ses propres témoins, Guillaume Grenier, en raison du fait que son témoignage est incompatible avec une déclaration qu’il avait faite en 2012 à l’enquêteur.

[213]      Or, lors de ce voir-dire, l’enquêteur au dossier, M. Charest, explique ses techniques d’enquête et la manière dont il prend des notes avant la préparation d’une déclaration de témoins.

[214]      La défense affirme qu’elle apprend à ce moment que celui-ci avait rencontré une quarantaine de témoins dans le cadre de l’enquête et qu’il prenait d’abord des notes de manière concomitante dans un calepin non officiel avant de retranscrire les informations recueillies dans une déclaration officielle signée par les témoins. Ces notes étaient jetées par la suite.

[215]      Dans sa requête en arrêt des procédures, l’appelante reproche à l’enquêteur tant la destruction des notes contemporaines lors de la préparation de la version des témoins, mais aussi l’absence de notes au sujet du contexte entourant les rencontres avec les témoins.

[216]      Au sujet de ce dernier élément, l’appelante soutient qu’il est impossible de connaître : 1) la teneur des conversations lors du contact initial; 2) l’attitude des témoins lors du contact initial; 3) les détails entourant le contexte de la prise des déclarations; 4) la teneur exacte des conversations qui ont précédé l’entrevue formelle; les questions qui ont été posées par l’enquêteur; 5) les verbalisations précises qu’ont faites les témoins; 6) l’attitude, la motivation et les attentes des témoins lors des rencontres.

[217]      Elle s’appuie sur l’obligation des policiers de prendre des notes détaillées, exhaustives et soignées et de les divulguer. Elle met également en exergue la politique de la Sûreté du Québec qui porte sur la prise de notes des policiers. Elle prétend que l’obligation de conserver les fruits de l’enquête incombe aux policiers. Finalement, elle reproche au policier de trier lui-même les informations pertinentes pour les retranscrire alors que ce tri devrait être fait, le cas échéant, par le procureur chargé du dossier. À son avis, tout cela constitue un abus de procédure justifiant un arrêt des procédures.

[218]      La juge du procès rejette cette requête.

[219]      Dans sa décision, la juge analyse la conduite de l’enquêteur selon le cadre établi dans R. c. La[122] pour décider si la conduite découlant du défaut de divulguer constitue un abus de procédure. Pour ce faire, elle examine les circonstances de la destruction de la preuve, la pertinence qu’on lui accordait à l’époque, le degré de pertinence et la conduite des autorités.

[220]      La juge résume la technique de l’enquêteur qui prend la version de la personne interrogée, puis prépare une déclaration en sa présence avec les éléments pertinents à l’enquête. Cette déclaration est ensuite lue et signée par le témoin qui en vérifie l’exactitude. La juge retient que la destruction des notes prises sur une feuille à part ne vise pas à dissimuler des éléments de preuve et qu’il s’agit seulement d’une pratique systématique de l’enquêteur.

[221]      Selon la juge, la pertinence qu’on accordait à ces notes à l’époque est manifestement nulle. En raison de la prise d’une déclaration contenant tous les éléments essentiels et pertinents mentionnés par le témoin, l’enquêteur n’a jamais compris l’importance de la conservation de ces notes et celles-ci étaient systématiquement détruites.

[222]      Bien qu’elle reconnaisse le degré de pertinence peu élevé de ces notes, la juge tient compte que ces témoins ont pu être contre-interrogés par la défense au procès. Quant au tri des informations, la juge affirme qu’il y a toujours une évaluation nécessaire par un enquêteur à cet égard.

[223]      Concernant la conduite des autorités, la juge explique que la pratique de l’enquêteur est la même depuis 17 ans. Les politiques de gestion à la SQ en vigueur à l’époque de l’enquête n’établissaient pas d’exigences de conservation des notes. En fait, les principes généraux de cette politique prévoient que la prise de notes dans un calepin n’est pas exigée si un rapport est rempli sur place de façon contemporaine. Aucune exigence administrative n’obligeait l’enquêteur à consigner ses notes dans le calepin ou à conserver le brouillon qui servait à rédiger, au cours de la même rencontre, la déclaration du témoin.

[224]      En somme, la juge conclut que la destruction des notes ne résulte pas d’une négligence inadmissible ou d’un abus de procédure. À son avis, aucun préjudice concret n’a été démontré.

[225]      Concernant l’absence de notes entourant les rencontres avec certains témoins, la juge du procès mentionne que la défense n’a pas fait de demande en ce sens depuis le moment de son inculpation en 2013. Elle souligne que la défense aurait également pu poser des questions portant sur les circonstances de ces rencontres à chacun des témoins en contre-interrogatoire, ce qu’elle n’a pas fait. La juge signale, à la fin de sa décision, que la défense pourra lui demander de contre-interroger certains témoins de la poursuite déjà entendus au sujet des circonstances entourant la prise de leurs déclarations.

[226]      Le 30 janvier 2018, lors d’un sixième voir-dire, le procureur de l’appelante demande que huit témoins soient réentendus afin de les contre-interroger sur les circonstances de leur prise de déclaration. La juge du procès refuse de faire entendre ces témoins considérant l’absence d’éléments de preuve nouveaux supportant la demande.

Analyse

[227]      Sans partager l’ensemble de l’évaluation de la juge, les circonstances de la présente affaire ne justifiaient pas l’arrêt des procédures. Il n’est pas nécessaire de me livrer à une analyse complète de chacun des éléments contenus dans l’analyse de la juge. Je m’en tiens à l’essentiel.

[228]      Il ne fait aucun doute que les habitudes de l’enquêteur à l’égard de la rédaction et de la conservation de ses notes s’écartent clairement des obligations depuis longtemps reconnues qui incombent aux policiers, comme le démontre l’analyse fouillée du juge Moldaver dans l’arrêt Wood c. Schaeffer[123].

[229]      Dans cette affaire, il énonce qu’un policier « est notamment tenu de prendre des notes au sujet des faits survenus au cours de sa période de service »[124]. Il souligne que « [d]es juristes chevronnés se sont […] prononcés en faveur de l’existence de cette obligation »[125] et que « [c]es conclusions reposent selon [lui] sur des assises solides »[126].

[230]      Il expose « [l]’importance que revêtent les notes prises par les policiers aux yeux du système de justice pénale est évidente » et conclut de la manière suivante :

[67] Compte tenu de ce qui précède, c’est sans grande difficulté que je conclus que les policiers ont l’obligation de rédiger des notes exactes, détaillées et exhaustives dès que possible après l’enquête.  M’inspirant des propos formulés par M. Martin, j’estime que l’obligation de rédiger des notes constitue, à tout le moins, un aspect implicite de l’obligation qu’a tout agent de police de faciliter le dépôt d’accusations et le déroulement des poursuites, une obligation qui est d’ailleurs expressément prévue à l’al. 42(1)e) de la Loi.

[68] Il n’y a évidemment rien de nouveau dans tout cela pour les agents. Dans le cas qui nous occupe, par exemple, la politique de l’OPP vient confirmer l’existence de l’obligation de prendre des notes, les agents étant tenus à consigner [traduction] « de façon concise et exhaustive les détails de chaque incident » survenu au cours de leur période de service et de « prendre toutes les notes d’enquête originales [. . .] au cours de l’enquête ou dès que possible après celleci » (Ordonnance 2.50 de lOPP, Member Note Taking, dossier de lUES, p. 4852).  De façon plus générale, les guides à lintention des policiers soulignent depuis longtemps limportance des notes exactes, détaillées et exhaustives; voir, p. ex., R. E. Salhany, The Police Manual of Arrest, Seizure & Interrogation (7e éd. 1997), p. 270278[127].

[Les soulignements sont ajoutés]

[231]      Le défaut de respecter l’obligation de tenir des notes d’enquête doit faire l’objet d’une évaluation propre aux circonstances et toute explication fournie pour justifier ce défaut doit faire l’objet d’un examen qui tient compte de l’ensemble de la preuve[128].

[232]      D’ailleurs, contrairement à la conclusion de la juge d’instance, j’estime que la politique de gestion relative aux notes personnelles des policiers en vigueur à la SQ au moment des rencontres de témoins lors de l’enquête visant l’appelante démontre éloquemment l’obligation qui incombait à l’enquêteur de prendre des notes et de les conserver[129].

[233]      Étonnamment, même si l’appelante appuyait sa demande en arrêt des procédures sur l’arrêt Wood c. Schaeffer, la juge n’analyse aucunement les principes qui y sont formulés.

[234]      Cette lacune explique en partie l’erreur de la juge à l’égard des obligations découlant de la politique de gestion en vigueur à la SQ, de même que sa conclusion erronée selon laquelle la destruction des notes par l’enquêteur et l’omission de prendre des notes des circonstances entourant les rencontres avec les témoins ne découlent pas d’une négligence inacceptable.

[235]      À mon avis, la conduite de l’enquêteur révèle un degré inacceptable de négligence. Même s’il est vrai que la destruction de ses notes est volontaire, celle-ci n’était toutefois pas délibérée dans le sens où elle ne visait pas à contourner sciemment ses obligations[130], comme dans l’affaire Zalat[131]. Le dossier supporte amplement la conclusion de la juge sur cet aspect.

[236]      Par ailleurs, comme l’affirme sans surprise la Cour dans l’arrêt Zalat, « la destruction volontaire [des] notes [d’un policier] est certainement à décourager »[132].

[237]      Qu’en est-il du préjudice résultant de la destruction des notes et de l’absence de notes au sujet des circonstances entourant les rencontres de témoins ? À mon avis, les notes entourant la rencontre de témoins devaient être conservées. Toutefois, il faut être en mesure d’identifier le préjudice qui découle de leur absence.

[238]      L’évaluation du préjudice s’avère toujours problématique lorsque les renseignements pertinents sont irrémédiablement perdus. L’incidence de la perte d’éléments de preuve sur l’équité du procès doit être examinée dans le contexte de l’ensemble de la preuve et de la position adoptée par la défense[133]. Dans la présente affaire, la question au cœur du litige concernait la négligence dans l’entretien du camion conduit par la victime.

[239]      Or, dans sa requête et lors de ses observations, l’appelante avance que le préjudice lié aux violations des droits de la requérante est important, sans toutefois expliquer comment celui-ci s’est manifesté. De même, dans son mémoire d’appel, aucun préjudice concret n’est allégué.

[240]      Dans sa décision, la juge note que :

Le fardeau revient à la requérante de démontrer l’existence d’un préjudice concret à son droit à une défense pleine et entière. À cet égard, la preuve est absente. Il n’y a aucun indice pouvait laisser croire que la destruction de la preuve amène la possibilité que la requérante puisse être empêchée de présenter une défense pleine et entière[134].

[241]      Je partage l’avis de la juge de première instance. L’appelante n’a pas satisfait son fardeau de démontrer que l’absence de ces renseignements pertinents lui avait causé un préjudice concret et irréparable[135]. Dans le contexte du présent dossier, où l’état mécanique du camion et la question de son entretien constituaient les enjeux principaux, l’appelante n’explique pas comment l’absence de notes aurait influencé sa capacité de présenter une défense pleine et entière à la lumière de toute la preuve disponible[136].

[242]      Par ailleurs, la juge du procès avait prévu la possibilité pour l’appelante de demander une réouverture des contre-interrogatoires des témoins, afin de clarifier certains aspects entourant leur prise de déclaration.

[243]      Certes, l’appelante se plaint du refus subséquent de la juge lorsqu’elle a formulé cette demande. Toutefois, les juges du procès ont une grande latitude quant au déroulement des contre-interrogatoires[137].

[244]      La juge a analysé adéquatement les raisons pour lesquelles la défense voulait contre-interroger à nouveau certains témoins et en est venue à la conclusion qu’il n’y avait ni élément nouveau ni élément concret ou précis. L’appelante ne démontre pas que la décision de la juge lui a porté un préjudice substantiel ou irréparable. La décision de la juge mérite déférence[138].

[245]      Ce moyen doit aussi être rejeté.


[246]      Je propose donc à la Cour de rejeter le pourvoi de l’appelante.

 

 

 

GUY COURNOYER, J.C.A.

 


[1]  R. c. CFG Construction inc., 2019 QCCQ 1244 [Jugement entrepris], paragr. 2-180.

[2]  Le dossier d’appel comporte 21 volumes et plus de 7000 pages.

[3]  R. c. Dinardo, 2008 CSC 24, [2008] 1 R.C.S. 788, paragr. 25.

[4]  Jugement entrepris, paragr. 15-58.

[5]  Ibid., paragr. 65-90.

[6]  Ibid., paragr. 91-124.

[7]  R. c. CFG Construction inc., 2019 QCCQ 1244, paragr. 125-181.

[8]  Ibid., paragr. 182-190.

[9]  Ibid., paragr. 192-207.

[10]  Ibid., paragr. 208-241.

[11]  Ibid., paragr. 239.

[12]  Ibid., paragr. 242-247.

[13]  Ibid., paragr. 248.

[14]  Ibid., paragr. 249-251.

[15]  Ibid., paragr. 252-263.

[16]  Ibid., paragr. 264-266.

[17]  R. c. CFG Construction inc., 2019 QCCQ 1244, paragr. 292.

[18]  Ibid., paragr. 267-312.

[19]  Ibid., paragr. 313-345.

[20]  Ibid., paragr. 346-347.

[21]  Ibid., paragr. 348-380.

[22]  Ibid., paragr. 381-391.

[23]  Sauf le jugement sur la culpabilité, toutes les décisions qui font l’objet du pourvoi ont été rendues oralement.

[24]  R. c. Javanmardi, 2018 QCCA 856.

[25]  R. c. Javanmardi, 2019 CSC 54, [2019] 4 R.C.S. 3.

[26]  J’emprunte l’expression au juge Binnie dans l’arrêt R. c. Sheppard, 2002 CSC 26, [2002] 1 R.C.S. 869, paragr. 60.

[27]  RLRQ, c. A-2.1.

[28]  R. c. Anderson, [1990] 1 R.C.S. 265.

[29]  Ibid., p. 269.

[30]  R. c. Beatty, 2008 CSC 5, [2008] 1 R.C.S. 49, paragr. 13 et 42. Dans son article intitulé « Beatty: Towards a Coherent Law of Penal Negligence » le professeur Hamish Stewart écrit : « The law of penal negligence in Canada has been in a state of confusion for at least two decades » (2008), 54 C.R. (6th) 45, p. 45.

[31]  Jugement entrepris, paragr. 257.

[32]  Ibid., paragr. 238, note 130, paragr. 252-256, paragr. 266, note 139, paragr. 271, note 143, paragr. 345, note 170.

[33]  L.C. 2003, ch. 21.

[34]  K. Roach, Criminal Law, 8e éd., Irwin Law, 2022, p. 274. Voir aussi D. Goetz, « Résumé législatif du projet de loi C-45 : Loi modifiant le Code criminel (responsabilité pénale des organisations) », Publication n° LS-457F, Ottawa, Bibliothèque du Parlement, Direction de la recherche parlementaire, 3 juillet 2003, p. 9-10.

[35]  On lira avec intérêt la savante et rigoureuse description du professeur Roach dans son ouvrage Criminal Law, 8e éd., Irwin Law, 2022, p. 273-283. Voir aussi D. Goetz, « Résumé législatif du projet de loi C-45 : Loi modifiant le Code criminel (responsabilité pénale des organisations) », Publication n° LS-457F, Ottawa, Bibliothèque du Parlement, Direction de la recherche parlementaire, 3 juillet 2003; T. Archibald, K. Jull and K. Roach « The Changed Face of Corporate Criminal Liability » (2004), 48 C.L.Q. 367; D. L. MacPherson, « Extending Corporate Criminal Liability: Some thoughts on Bill C-45 » (2004), 30 Manitoba Law Journal 253; S. Bourque et M. Beauregard, « Quand l’accident de travail devient un crime : C-21, la terreur des conseils d’administration » (2004), 211 Développements récents en droit criminel 125; N. Keith et J. Ferguson, « Bill C-45 and the Canadian Petroleum Industry » (2005), 43 Alberta Law Review 159; P. Dusome, « Criminal Liability under Bill C-45: Paradigms, Prosecutors, Predicaments » (2007), 53 C.L.Q. 98; A. M. Manirabona, « La négligence criminelle en milieu de travail : pour une application cohérente des nouvelles dispositions du Code criminel » (2010), 40 R.G.D. 467; S. Bittle, « Still Dying for a Living: Corporate Criminal Liability After the Westray Mine Disaster », UBC Press, 2012; T. Archibald, K. Jull et K. Roach « Critical Developments in Corporate Criminal Liability: Senior Officers, Wilful Blindness, and Agents in Foreign Jurisdictions » (2013), 60 C.L.Q. 93; T. Archibald, K. Jull and K. Roach « Corporate Criminal Liability: Myriad Complexity in the Scope of Senior Officer » (2014), 60 C.L.Q. 387; P.-C. Collins Hoffman et G. Pinsonnault, « La responsabilité criminelle des organisations en matière d’infractions économiques » (2014), 27 Revue canadienne du droit de la concurrence 132; P.-C. Collins Hoffman « La codification de la responsabilité criminelle des organisations au Canada : étude de la portée et de certaines lacunes de l'intervention législative » (2017), 47 R.D.U.S. 109.

[36]  La version anglaise est ainsi rédigée : « representative, in respect of an organization, means a director, partner, employee, member, agent or contractor of the organization ».

[37]  L’alinéa 22.1 a) prévoit : « prise individuellement ou collectivement avec celle d’autres de ses agents ».

[38]  L’alinéa 22.1 b) prévoit : « le cadre supérieur dont relève le domaine d’activités de l’organisation qui a donné lieu à l’infraction, ou les cadres supérieurs, collectivement ». Comme l’explique le professeur Roach : « The new provisions do, however, allow an organization to be found criminally liable for crimes of negligence because of the aggregate actions of more than one of its representatives and the aggregate or collective fault of more than one of its senior officers », Criminal Law, 8e éd., Irwin Law, p. 274.

[39]  R. c. A.D.H., 2013 CSC 28, [2013] 2 RCS 269, paragr. 64 et 71; R. c. Zora, 2020 CSC 14, [2020] 2 R.C.S. 3, paragr. 41.

[40]  R. c. Kazenelson, 2018 ONCA 77, paragr. 4-6.

[41]  St-Germain c. R., [1976] C.A. 185, p. 191; R. c. DeSousa, [1992] 2 R.C.S. 944, p. 968; R. c. Javanmardi, 2019 CSC 54, [2019] 4 R.C.S. 3, paragr. 25.

[42]  Voir par exemple les infractions aux articles 79, 80, 86, 216, 263 et 320.13 du Code criminel.

[43]  R. v. Metron Construction Corp., 2013 ONCA 541, paragr. 79.

[44]  R. c. J.F., 2008 CSC 60, [2008] 3 R.C.S. 215.

[45]  R. c. Javanmardi, 2018 QCCA 856.

[46]  R. c. Javanmardi, 2019 CSC 54, [2019] 4 R.C.S. 3.

[47]  Jugement entrepris, paragr. 267-312 et 348-388.

[48]  R. c. Javanmardi, 2019 CSC 54, [2019] 4 R.C.S. 3, par. 21; R. v. Metron Construction Corporation, 2013 ONCA 541, paragr. 79; R. v. Bouvette, 2023 BCCA 152, paragr. 123; R v. Wolfe, 2022 SKCA 132, paragr. 75.

[49]  R. c. J.F., 2008 CSC 60, [2008] 3 R.C.S. 215.

[50]  R. c. A.D.H., 2013 CSC 28, [2013] 2 R.C.S. 269, paragr. 61; R. v. H.C., 2022 ONCA 409, paragr. 36; R. v. Plein, 2018 ONCA 748, paragr. 29.

[51]  Voir sur cet aspect l’analyse éclairante de la professeure Boisvert dans son article « R. c. Javanmardi ou la simplicité trompeuse » (2020), 25 Can. Crim. L. Rev. 51, p. 54-57.

[52]  Jugement entrepris, paragr. 281, 285 et 311-312.

[53]  Au paragraphe 46 de l’arrêt R. c. Beatty, 2008 CSC 5, [2008] 1 R.C.S. 49, la juge Charron écrit: « Si l’accent est mis indûment sur la conséquence, il devient alors presque superflu de se demander si un acte ayant causé la mort était dangereux. Le tribunal ne doit pas tirer de conclusion hâtive au sujet de la façon de conduire en se fondant sur la conséquence. Il doit procéder à un examen sérieux de la façon de conduire. Il va de soi que la conséquence peut aider à apprécier le risque en cause, mais elle ne permet pas de déterminer si le véhicule a été conduit d’une façon dangereuse pour le public ».

[54]  R. c. Roy, 2012 CSC 26, [2012] 2 R.C.S. 60.

[55]  Ibid., paragr. 28.

[56]  Hydro-Québec c. Matta, 2020 CSC 37, paragr. 33.

[57]  Jugement entrepris, paragr. 223.

[58]  Jugement entrepris, paragr. 264.

[59]  Les pièces P-21 (Registre des camionneurs Formulaire F13100-4) et P-25 (Bons de commande).

[60]  Hydro-Québec c. Matta, 2020 CSC 37, paragr. 33; Chahinian c. R., 2022 QCCA 499, paragr. 43.

[61]  Jugement entrepris, paragr. 266 et note 139.

[62]  Ibid., paragr. 141 et 317-337.

[63]  R. c. G.F., 2021 CSC 20, paragr. 81.

[64]  Ibid.; Foomani c. R., 2023 QCCA 232, paragr. 58.

[65]  Jugement entrepris, paragr. 209-241 et 246-247.

[66]  Ibid., paragr. 204.

[67]  Ibid., paragr. 227-233.

[68]  Ibid., paragr. 223-224.

[69]   Voici le contenu de certaines déclarations : « Si je meurs, vous allez savoir pourquoi »; « J’espère qu’il ne m’arrivera pas de bad luck »; « Je vais finir par me tuer avec cet osti de truck là »; « Je ne suis pas à l'aise, je m'en vais sur le chantier des éoliennes, je ne suis pas à l'aise parce que mon camion est automatique »; « Si je rentre pas à la maison ce soir, c'est parce que je vais être mort ».

[70]  Voir D. Paciocco, P. Paciocco et L. Stuesser, The Law of Evidence, 8e éd., Irwin Law, 2020, p. 56-57.

[71]  Jugement entrepris, paragr. 192.

[72]  R. c. Shearing, 2002 CSC 58, [2002] 3 R.C.S 33, paragr. 73; Casseus c. R., 2021 QCCA 392, paragr. 18; M. Vauclair et T. Desjardins, Traité général de preuve et de procédure pénales, 29e éd., Yvon Blais, 2022, p. 687, paragr. 28.168.

[73]  CanadianOxy Chemicals Ltd. c. Canada (Procureur général), [1999] 1 R.C.S. 743, paragr. 23 et 28-30.

[74]  Dans l’arrêt R. c. Shearing, 2002 CSC 58, [2002] 3 R.C.S. 33, paragr. 40, le juge Binnie écrit : « La théorie de la preuve de faits similaires repose en grande partie sur l’improbabilité d’une coïncidence ». Voir aussi M. Vauclair et T. Desjardins, Traité général de preuve et de procédure pénales, 29e éd., Yvon Blais, 2022, p. 1024, paragr. 40.63; D. Paciocco, P. Paciocco et L. Stuesser, The Law of Evidence, 8e éd., Irwin Law, 2020, p. 88-89; S. Casey Hill, D. M. Tanovich et L. P. Strezos, McWilliams’ Canadian Criminal Evidence, 5e éd., vol. 1, Carswell, 2013, feuilles mobiles (mise à jour 2018-1), paragr. 10:44.

[75]  J. Swaigen et S. McRory, Regulatory Offences in Canada: Liability and Defences, 2e éd., Thomson Reuters, 2018, p. 329.

[76]  K. Roach, Criminal Law, 8e éd., Irwin Law, 2022, p. 263-264.

[77]  G.G. c. R., 2021 QCCA 1835, paragr. 49.

[78]  Décision sur voir-dire no 4.

[79]  K. Roach, Criminal Law, 8e éd., Irwin Law, 2022, p. 265-266.

[80]  Dans l’arrêt R. c. J.L.J., 2000 CSC 51, [2000] 2 R.C.S. 600, paragr. 47, la Cour suprême adopte la définition de la pertinence formulée par les auteurs Paciocco et Stuesser : « Une preuve est pertinente […] ‘‘lorsque, selon la logique et l’expérience humaine, elle tend jusqu’à un certain point à rendre la proposition qu’elle appuie plus vraisemblable qu’elle ne le paraîtrait sans elle’’ ». Voir aussi Sorella c. R., 2022 QCCA 383, paragr. 93; Pelletier c. R., 2021 QCCA 1596, paragr. 44.

[81]  RLRQ, c. A-2.1 [Loi sur l’accès].

[82]  P-35.

[83]  Une agence de service rattachée à la SAAQ.

[84]  Loi concernant les propriétaires, les exploitants et les conducteurs de véhicules lourds, L.Q. 2005, c. 39, art. 14.

[85]  Code de la sécurité routière, RLRQ, c. C-24.2, art. 520, 520.1, paragr. 521(5) [Code de la sécurité routière].

[86]  Règlement sur les normes de sécurité des véhicules routiers, RLRQ, c. C-24.2, r. 32, paragr. 6(3).

[87]  Code de la sécurité routière, alinéa 519.67(1)a).

[88]  Ibid., paragr. 519.67(1)a).

[89]  Ibid., art. 519.15.

[90]  Ibid., paragr. 519.67(1)a).

[91]  L’appelante se fonde sur le jugement Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Cormier, 2019 QCCS 5443.

[92]  A.A., paragr. 82.

[93]  R. c. Nolet, 2018 QCCS 5296.

[94]  R. c. Caslake, [1998] 1 R.C.S. 51, paragr. 11; R. c. Spencer, 2014 CSC 43, [2014] 2 R.C.S. 212, paragr. 68; R. c. Reeves, 2018 CSC 56, [2018] 3 R.C.S. 531, paragr. 14; R. c. Tim, 2022 CSC 12, paragr. 45.

[95]  Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, p. 161; R. c. Evans, [1996] 1 R.C.S. 8, paragr. 23.

[96]  R. c. Reeves, 2018 CSC 56, [2018] 3 R.C.S. 531, paragr. 14; R. c. Tim, 2022 CSC 12, paragr. 45.

[97]  Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; R. c. CIP Inc., [1992] 1 R.C.S. 843, p. 854-855; CanadianOxy Chemicals Ltd. c. Canada (Procureur général), [1999] 1 R.C.S. 74, paragr. 28; Québec (Procureure générale) c. 9147-0732 Québec inc., 2020 CSC 32, paragr. 128-130 (la juge Abella).

[98]  R. c. Jarvis, 2002 CSC 73, [2002] 3 R.C.S. 757, paragr. 98.

[99]  Kligman c. M.R.N., 2004 CAF 152, [2004] 4 R.C.F. 477, paragr. 6. Un auteur critique fermement l’approche du juge Létourneau : J. S. Clarke, « R. v. Jarvis and Corporations » (2008), 54 C.L.Q. 167, p. 180-186.

[100]  R. c. Fitzpatrick, [1995] 4 R.C.S. 154.

[101]  Voir notamment R. c. Jarvis, 2002 CSC 73, [2002] 3 R.C.S. 757, paragr. 72.

[102]  R. c. Cole, 2012 CSC 53, [2012] 3 R.C.S. 34; R. c. Reeves, 2018 CSC 56, [2018] 3 R.C.S. 531, paragr. 47; R. c. Le, 2019 CSC 34, [2019] 2 R.C.S. 692, paragr. 136; R. v. Orlandis-Habsburgo, 2017 ONCA 649, paragr. 111; R. v. S.S., 2023 ONCA 130, paragr. 46.

[103]  Je note que l’enquêteur ne semble pas avoir considéré la possibilité que la responsabilité criminelle des cadres supérieurs de l’appelante ait pu être mise en cause.

[104]  Les renseignements personnels sont définis à l’article 54 de la Loi sur l’accès : « Dans un document, sont personnels les renseignements qui concernent une personne physique et permettent de l’identifier ». Les parties n’ont pas débattu de l’existence de restrictions sous l’égide de la Loi sur l’accès encadrant la communication de renseignements concernant les personnes morales aux corps policiers. Je n’exprime aucune opinion sur cette question.

[105]  R. c. Spencer, 2014 CSC 43, [2014] 2 R.C.S. 212, paragr. 66.

[106]  Ibid., paragr. 62.

[107]  Sur l’aspect normatif de l’article 8 de la Charte : on lira R. c. Spencer, 2014 CSC 43, [2014] 2 R.C.S. 212, paragr. 18. Dans l’arrêt R. c. Mills, 2019 CSC 22, [2019] 2 R.C.S. 320, paragr. 59, le juge Brown, soutenu par les juges Abella et Gascon, s’appuie sur l’auteur H. Stewart, « Normative Foundations for Reasonable Expectations of Privacy » (2011), 54 S.C.L.R. (2d) 335, p. 342. Voir aussi R. v. Orlandis-Habsburgo, 2017 ONCA 649, paragr. 41, où le juge Doherty écrit : « However, the court, in determining whether the claimant has demonstrated a reasonable expectation of privacy, is not engaged in a factual inquiry in the usual sense. The court must, in examining the relevant facts, make a determination that is not purely fact-driven, but is also reflective of fundamental societal values. A finding that a claimant has a reasonable expectation of privacy is not only a description of a specific constellation of factual considerations, but is also a declaration of societal aspirations and values ».

[108]  R. c. Colarusso, [1994] 1 R.C.S. 20.

[109]  R. c. Jarvis, 2002 CSC 73, [2002] 3 R.C.S. 757.

[110]  Québec (Procureur général) c. Laroche, 2002 CSC 72, [2002] 3 R.C.S. 708.

[111]  R. c. Cole, 2012 CSC 53, [2012] 3 R.C.S. 34, paragr. 66-73.

[112]  R. c. Spencer, 2014 CSC 43, [2014] 2 R.C.S. 212.

[113]  Goodwin c. Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles), 2015 CSC 46, [2015] 3 R.C.S. 250.

[114]  La doctrine examine plusieurs de ces questions : D. Stratas, « ‘‘Crossing the Rubicon’’: The Supreme Court and Regulatory Investigations » (2003), 6 C.R. (6th) 74; J. S. Clarke, « R. v. Jarvis and Corporations » (2008), 54 C.L.Q. 167; L. M. Austin, « Information Sharing and the ‘Reasonable’ Ambiguities of Section 8 of the Charter » (2007), 57 U. Toronto L.J. 499; S. Penney, « The Reasonableness of Regulatory Searches: Saying Goodbye to the Criminal-Regulatory Binary » (2021), 26 Can. Crim. L. Rev. 78.

[115]  Voir R. c. Spencer, 2014 CSC 43, [2014] 2 R.C.S. 212, paragr. 66.

[116]  Québec (Procureur général) c. Laroche, 2002 CSC 72, [2002] 3 R.C.S. 708.

[117]  R. v. D’Amour (2002), 166 C.C.C. (3d) 477 (C.A. Ont.).

[118]  R. c. Spencer, 2014 CSC 43, [2014] 2 R.C.S. 212, paragr. 64; R. v. Orlandis-Habsburgo, 2017 ONCA 649, paragr. 26. Voir aussi les commentaires nuancés du juge Fish dans l’arrêt R. c. Cole, 2012 CSC 53, [2012] 3 R.C.S. 34, paragr. 66-73, de même que les observations dans R. c. Marakah, 2017 CSC 59, [2017] 2 R.C.S. 608, paragr. 50, et R. c. Reeves, 2018 CSC 56, [2018] 3 R.C.S. 531.

[119]  R. c. Spencer, 2014 CSC 43, [2014] 2 R.C.S. 212, paragr. 77.

[120]  Massoud c. R., 2021 QCCA 21, paragr. 76; R. v. Rocha, 2012 ONCA 707, paragr. 28; R. v. Booth, 2019 ONCA 970, paragr. 122.

[121]  R. c. Côté, 2011 CSC 46, [2011] 3 R.C.S. 215, paragr. 72; R. c. Cole, 2012 CSC 53, [2012] 3 R.C.S. 34, paragr. 93.

[122]  R. c. La, [1997] 2 R.C.S. 680.

[123]  2013 CSC 71, [2013] 3 R.C.S. 1053.

[124]  Ibid., paragr. 63.

[125]  Ibid., paragr. 64.

[126]  Ibid., paragr. 66.

[127]  La Cour adopte ces enseignements dans les arrêts Tremblay c. R., 2018 QCCA 2170, paragr. 27, et Zalat c. R., 2019 QCCA 1829, paragr. 34.

[128]  Tremblay c. R., 2018 QCCA 2170, paragr. 27.

[129]  Politique de gestion OPÉR. GEN. – 67 (2003-02-28). Selon l’article 1.1 : « Cette politique a pour but notamment de favoriser l’efficacité et la transparence dans le processus de prises de notes à la Sureté ». La définition de notes personnelles prévoit que les notes personnelles sont les « observations, actions, faits et détails que le policier consigne dans un calepin lors d’interventions policières » énumérées et à y compris « toute autre intervention », ce qui inclut les rencontres avec des témoins. La lecture de l’ouvrage de l’auteur G. S. Campbell, Le manuel juridique de l’enquêteur, Yvon Blais, 2010, p. 49-77, établit indubitablement que l’importance de la prise de notes par les policiers n’a rien de nouveau. Voir aussi Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CSC 38, [2008] 2 R.C.S. 326, paragr. 48-49.

[130]  R. c. La, [1997] 2 R.C.S. 680, paragr. 22.

[131]  Ibid., paragr. 36.

[132]  Zalat c. R., 2019 QCCA 1829, paragr. 33.

[133]  Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Harkat, 2014 CSC 37, [2014] 2 R.C.S. 33, paragr. 97.

[134]  Décision sur voir-dire no 5.

[135]  Simard c. R., 2015 QCCA 1266, paragr. 91.

[136]  R. v. Maslanka, 2011 ONSC 1668, paragr. 75; R. v. Khan, 2022 ONCA 698, paragr. 83.

[137]  R. c. Lyttle, 2004 CSC 5, [2004] 1 R.C.S. 193, paragr. 45.

[138]  R. c. Babos, 2014 CSC 16, [2014] 1 R.C.S. 309, paragr. 48.

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