[1] L'appelant se pourvoit contre le verdict de culpabilité de meurtre au premier degré prononcé le 16 décembre 2006 par un jury de la Cour supérieure, district de Laval, présidé par l’honorable juge Marc David.
[2] Par lettre puis à l’audition, le ministère public informe la Cour qu’il concède l’appel. Les parties proposent à la Cour de prononcer l’acquittement de l’appelant.
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[3] Ce qu’il est tristement convenu d’appeler la « guerre des motards » a sévi au Québec entre les années 1994 et 2002 alors que des gangs criminels se disputaient la mainmise sur des territoires pour, notamment, la revente de drogues. Le conflit a fait de nombreuses victimes et les forces policières ont été sollicitées de manière importante, à la mesure des crimes commis.
[4] Les Hells Angels affrontaient ainsi d’autres groupes, dont les Rock Machines et les Bandidos, dans une série d’attentats lancés de part et d’autre contre les biens, mais aussi contre les personnes membres des organisations impliquées. En 2000, Normand Hamel, un membre des Hells Angels, est assassiné dans un stationnement de Laval. C’est de ce meurtre dont l’appelant est déclaré coupable en 2006.
[5] En 2014, alors que l’appel figure au rôle de la Cour, un événement survient qui provoquera à la fois le report de la date fixée pour l’audition et la constitution d’une nouvelle preuve. Celle-ci vient affecter deux aspects du dossier.
[6] Il faut savoir qu’au procès de l’appelant, Sylvain Beaudry a témoigné pour la poursuite. À l’époque il était un délateur, ancien membre du gang de motards criminels Rock Machine, qui collaborait avec la poursuite. Les sujets qu’il a abordés au procès ont porté sur sa vie criminelle, l’entente intervenue avec le ministère public pour sa collaboration, le monde des motards criminels et la guerre que se faisaient les différents groupes concernés. Son témoignage a été long, mais le point d’orgue résidait dans l’aveu qu’il aurait reçu de l’appelant. Le délateur a raconté au jury qu’au cours d’une conversation, l’appelant lui a avoué sa responsabilité dans le meurtre de Hamel, un épisode somme toute assez bref, mais important.
[7] En effet, le juge qui a présidé le procès estimait que la preuve d’identification des deux témoins oculaires était insuffisante, sans la preuve du délateur, pour donner ouverture à la condamnation.
[8] Cela dit, au cours de son témoignage, le délateur a informé le jury de certains détails entourant l’aveu reçu. Ainsi il a précisé que l’appelant lui avait notamment dit que « ça glisse des bottes de cowboy ». Ces paroles, replacées dans l’ensemble de la preuve, pouvaient expliquer des abrasions aux genoux de la victime, notées au rapport d’autopsie.
[9] Or, le délateur rapporte aujourd’hui qu’il n’a pas reçu cette information de l’appelant, mais qu’elle lui a été fournie par un policier au courant du dossier. Il ne peut préciser s’il s’agit du policier Benoît Roberge ou de son partenaire, Jean-Pierre Pelletier, les deux policiers qui l’ont recruté et qui se sont occupés de lui. Il dit avoir fait lui-même le lien avec la preuve au dossier puisqu’on lui avait également remis un cédérom contenant des éléments du dossier de l’appelant et plus spécifiquement le rapport d’autopsie de la victime. Conscient que son témoignage devait être « corroboré », il a compris l’importance de ce « détail » et affirme avoir insisté sur cet aspect lors de son témoignage au procès. Le délateur ajoute qu’il a omis d’informer le jury qu’il avait eu accès à cette preuve lorsque questionné sur la préparation de son témoignage. En d’autres mots, il admet avoir menti sur ces deux éléments. C’est le premier aspect du dossier.
[10]
Il faut également préciser que les avantages reçus
par un témoin délateur dorénavant protégé par l’État est une dimension
pertinente et non négligeable pouvant affecter sa crédibilité : R. c.
Minisini,
[11] Tous ces nouveaux éléments sont reconnus par le délateur qui, sous serment et dûment contre-interrogé par le ministère public, a admis avoir menti sur des éléments importants, pour à fois rehausser de manière non négligeable l’impact des aveux incriminants et protéger sa crédibilité face au jury.
[12] Les parties conviennent et proposent conjointement à la Cour d’admettre cette nouvelle preuve et d’ordonner un nouveau procès.
[13]
Les critères qui sous-tendent l’admissibilité et
l’évaluation de la nouvelle preuve sont bien connus : R. c. Palmer,
[1980] 1 R.C.S. 789, lesquels doivent s’adapter au contexte dans lequel on les
applique : R. c. St-Cloud, [2015] 2 R.C.S. 328 ; R. c.
Warsing,
[14]
Dans son mémoire additionnel, le ministère
public invoque à juste titre l’arrêt Tremblay. Dans cet
arrêt, rendu dans un contexte juridique différent, mais dont les faits
ressemblent à ceux de l’espèce, la Cour explique qu’il y a lieu d’avoir une
approche souple « s'il y a une possibilité réelle d'injustice ou
d'apparence d'injustice » : R. c. Tremblay,
[15] Ici, la nouvelle preuve est en quelque sorte hybride en ce qu’elle touche en partie celle présentée au procès et qu’elle est en partie extrinsèque à celui-ci, attaquant le processus lui-même. La souplesse est alors requise.
[16] Ainsi, malgré un questionnement légitime sur la crédibilité générale du témoin dans le cadre de la nouvelle preuve, le ministère public reconnaît que celle-ci doit être reçue. En outre, dans son mémoire supplémentaire, il concède avec raison que certaines informations pourraient alimenter une requête pour abus de procédures.
[17] À ce stade, la Cour n’a pas à décider si une telle requête serait accueillie ou même si les nouvelles informations qui en constitueraient le fondement sont suffisamment supportées par la preuve. Comme l’écrit l’appelant dans son mémoire supplémentaire, il n’est pas ici question de déterminer si ce que dit maintenant le délateur est la vérité.
[18] Cela étant, dans le contexte particulier de ce dossier, les nouveaux éléments apportés par le témoin délateur ne peuvent être ignorés. Il y a donc lieu d’accueillir l’appel.
[19] Dans une lettre conjointe du 12 décembre 2016, les parties écrivent que « [l]e ministère public affirme par ailleurs que Sylvain Beaudry ne serait plus témoin à charge dans le cadre d'un nouveau procès qui aurait pu être ordonné par la cour. » En fait et en droit, on peut comprendre cette position qui entraîne dans sa suite l’affirmation suivante des parties : « Les parties vous soumettent également que la révision de la preuve disponible dans l'abstraction de ce témoignage emmène les parties à conclure qu'il ne peut exister de certitude morale que le crime allégué peut être prouvé hors de tout doute raisonnable. Le ministre public déclare donc sa volonté de ne pas tenir de nouveau procès dans cette affaire. Aussi nous nous entendons pour recommander à cette honorable cour d'acquitter l'appelant de l'infraction reprochée. »
[20]
Comme dans l’arrêt R. c. Lambert,
[21]
La décision de tenir un procès ou un nouveau procès à la suite d’une
ordonnance de la Cour appartient exclusivement au poursuivant. Il s’agit d’une
prérogative au cœur de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire à l’égard
duquel les tribunaux ne peuvent intervenir, sauf dans de rares cas qui ne
reçoivent pas application ici : Krieger c. Law Society of Alberta,
**
[22]
Conformément à l’article
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
[23] ACCUEILLE la requête pour preuve nouvelle;
[24] ADMET la preuve nouvelle;
[25] ACCUEILLE l’appel;
[26] INFIRME le jugement de première instance;
[27] PREND ACTE des déclarations du ministère public;
[28] ACQUITTE l’appelant.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.