R. c. G.M. |
2020 QCCQ 2209 |
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JL-3223 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE TROIS-RIVIÈRES |
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Chambre criminelle et pénale |
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N° : 400-01-088975-180 |
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DATE : 18 juin 2020 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DU JUGE PIERRE LORTIE |
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LA REINE |
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Poursuivante |
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c.
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G.M. |
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Accusée |
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JUGEMENT |
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[1] Pour alléger le texte, le Tribunal retient les désignations suivantes[1] :
1) Madame G.M. : L'accusée.
2) Madame L.C., mère de l'accusée : L.C. ou la mère.
3) Madame J.C., sœur de L.C. : J.C.
4) Monsieur D.M., frère de l'accusée et fils de L.C. : D.M.
5) Le petit-fils de L.C. : S.M-B.
6) La Banque Royale du Canada : La banque.
[2] L'accusée, 53 ans, est inculpée par acte criminel de vol[2] et de fraude[3] à l’encontre de sa mère L.C. aujourd’hui âgée de 81 ans. Les faits se sont déroulés à Trois-Rivières et s’étendent entre le 1er janvier 2015 et le 1er juillet 2017. L.C. avait donc entre 77 et 79 ans.
[3] La poursuite identifie une série de transactions faites par l'accusée dans les comptes de sa mère à la banque, pour un total de 173 086,92 $. Toutefois, le procès a essentiellement porté sur quatre opérations qualifiées de « transactions d’intérêt » où l’accusée se serait illégalement approprié les montants suivants :
1 |
Mars 2016 |
40 000 $ |
2 |
23 mars 2017 |
2 000 $ |
3 |
31 mai 2017 |
10 000 $ |
4 |
6 juin 2017 |
85 000 $ |
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Total |
137 000 $ |
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Récupéré |
(75 500 $) |
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Perte |
61 500 $ |
[4] La théorie de cause de la poursuite se résume ainsi :
1) L.C. désigne l'accusée pour gérer ses biens et transiger à la banque.
2) Elle devient inapte, et ce, à la connaissance de l'accusée.
3) L'accusée outrepasse ses pouvoirs de gestion et s’approprie illégalement l’argent de L.C. à la banque à des fins personnelles.
4) Lorsqu’elle transige avec la banque, elle camoufle l’inaptitude de L.C.
[5] L’accusée reconnaît avoir fait les quatre transactions et obtenu l’argent. Toutefois, elle nie avoir volé ou fraudé. Elle soutient que sa mère avait encore ses capacités mentales. De plus, elle avait clairement exprimé sa volonté de lui donner cet argent.
[6] Le Tribunal identifie les trois questions suivantes :
1) La question de la poursuite sur l’inaptitude de L.C., lors du contre-interrogatoire de la représentante de la banque, est-elle hypothétique et irrecevable? L’objection de la défense a été rejetée séance tenante et il convient de développer les motifs.
2) L'accusée peut-elle rapporter au Tribunal les paroles de L.C. pour démontrer sa volonté de lui donner l’argent? L’objection de la poursuite a été prise sous réserve[4] et doit maintenant être tranchée.
3) L'accusée a-t-elle commis les infractions de vol et de fraude? Pour répondre à cette question, le Tribunal devra examiner s’il croit l'accusée ainsi que, le cas échéant, si sa défense soulève un doute raisonnable et si la poursuite a démontré la culpabilité hors de tout doute raisonnable.
[7] En toile de fond, le litige concerne la volonté et la capacité juridique[5] de L.C. de faire des dons à l'accusée ainsi que les pouvoirs de cette dernière concernant la gestion et l’administration des biens.
[8] La poursuite appelle les témoins suivants :
1) L’enquêteur Pierre Gervais [l’enquêteur] du Service de police de Trois-Rivières [SPTR].
2) La Dre France Beaucage, qui pratique en médecine familiale au service ambulatoire de gériatrie [SAG] du CIUSSS MCQ[6] [l’hôpital]. Ce témoin a été déclaré expert.
3) La travailleuse sociale Véronique Bazinet.
4) Thérésia Bucher, directrice de succursale de la banque.
5) D.M., frère de l'accusée.
6) Le fils de l’accusée[7].
[9] De plus, la poursuite produit une importante preuve documentaire, principalement des notes provenant de la banque ainsi que des intervenants sociaux et médicaux[8]. Avant le procès, la poursuite transmet à l'accusée des avis d’intention conformément à la Loi sur la preuve au Canada[9]. En outre, plusieurs témoins (Dre Beaucage, Mme Bucher et Mme Bazinet) confirment le contenu de leurs notes prises antérieurement.
[10] Par ailleurs, les témoins suivants sont entendus en défense :
1) Lydiane Roy, employée de la banque (le 13 septembre 2019).
2) L’accusée (le 13 février 2020).
[11] Il importe de souligner que la poursuite et la défense n’ont pas appelé L.C. à témoigner. Il est admis qu’elle ne peut se présenter à la Cour en raison de son état de santé.
[12] Pour une bonne compréhension des faits, il convient de présenter les liens familiaux :
1) L.C. est née en 1938. Elle vit présentement dans une résidence pour personnes âgées.
2) Elle a une sœur, J.C., décédée en 2017 à l’âge de 87 ans. Elle était célibataire et sans enfants.
3) L.C. a épousé M.M., décédé prématurément en 1977. Le couple a eu trois enfants : F.M. (décédée en 2006), l'accusée et D.M. F.M. est la mère de S.M-B.
4) L'accusée, enseignante de profession, a eu deux enfants dont celui qui a été appelé comme témoin par la poursuite.
[13] L.C. fait affaires avec la banque. À l’époque des faits en litige, elle est titulaire de comptes personnels et possède des investissements d’environ 250 000 $. Ses entrées mensuelles s’établissent à 4 000 $[10]. En outre, elle est propriétaire d’une maison évaluée à 140 000 $.
[14] L'accusée est cliente à la même banque.
[15] Par ailleurs, le 1er septembre 2011, devant la notaire Audrey Chevalier[11] :
1) L.C. complète une procuration générale :
a) Elle est désignée « mandante ». Elle nomme et constitue l'accusée procureur. D.M. est désigné remplaçant.
b) L'accusée « pourra gérer et administrer avec les pouvoirs d’un administrateur chargé de la pleine administration du bien d’autrui tous les biens de la mandante »[12], « déposer toute somme d’argent […], retirer toute valeur […] »[13], placer toute somme appartenant à la mandante[14], « acheter pour la mandante des vêtements et autres nécessités de la vie et les payer à même l’argent de la mandante »[15] et « accepter ou renoncer à toute donation et à tout legs fait à la mandante pour et en son nom »[16]. Il en va de même à l’égard de toute succession[17].
c) De plus : « Le présent mandat est donné pour valoir immédiatement alors que la mandante est en bonne santé, apte à pourvoir elle-même à ses propres besoins […] »[18].
2) L.C., dans le même acte notarié, complète un mandat en prévision de l’inaptitude :
a) Elle nomme et constitue comme mandataires l'accusée et D.M. qui devront agir conjointement.
b) Les mandataires ont divers pouvoirs de gestion et d’administration sur les biens[19].
c) Ils ont également des pouvoirs concernant la protection de L.C.[20] et le consentement aux soins médicaux[21].
d) Les mandataires auront droit aux remboursements des dépenses qu’ils encourent[22].
e) L’exécution du mandat d’inaptitude « est subordonnée à la survenance de l’inaptitude de la mandante et à la procédure prévue par la loi pour le rendre exécutoire. […] La détermination de l’incapacité et l’homologation du mandat seront soumises à la loi du domicile de la mandante ».
Ø
Cette clause découle de l'article
◊
[16] Au fil des années, l'accusée et D.M. s’occupent de plus en plus de leur mère qui nécessite du support.
[17] D.M. prend surtout charge des travaux pratiques.
[18] L'accusée, pour sa part, est principalement responsable de la gestion et de l’administration. De plus, elle voit aux aspects de la vie quotidienne (visites médicales, épicerie, préparation des repas, etc.). Tout cela entraîne plusieurs déplacements en automobile, d’autant plus qu’elle demeure à l’extérieur et que sa mère verra sa mobilité progressivement réduite.
[19] Le tout s’inscrit dans un climat de confiance.
◊
[20] L'accusée s’occupe également de sa tante âgée J.C.
[21] À une certaine époque, J.C. devient inapte à gérer des biens. En 2011, ses proches retiennent les services de la notaire Chevalier et tiennent une assemblée. Cela conduit à une demande formelle d’ouverture d’un régime de protection.
[22] Le 6 juin 2012, la greffière de la Cour supérieure prononce un jugement constatant l’inaptitude de J.C. « à prendre soin de sa personne de façon partielle et permanente et de ses biens de façon totale et permanente ». De plus, l'accusée est nommée tutrice à la personne et aux biens.[23]
[23] Au procès, l'accusée rapporte les propos de sa mère soi-disant tenus en 2012 concernant le patrimoine de J.C. : « […] ma mère m'a dit qu'elle […] était l'héritière de [J.C.] et que c'était à moi que ça reviendrait l'héritage de [J.C.] parce que c'est moi qui fais tout, qui s'occupe d'elle. C'est la décision que ma mère a prise. Ça faisait trois ans déjà que je m'occupais de [J.C.] en 2012 »[24]. Cette version, à laquelle s’oppose la poursuite, sera abordée au chapitre de l’analyse.
◊
[24] En 2013, l'accusée est « chicotée » par le fait que sa mère « cherche ses mots », ce qui conduit à une consultation médicale[25].
[25] Le 15 novembre 2013, L.C. rencontre un médecin au groupe de médecine de famille [GMF] de Trois-Rivières. Selon les notes au dossier[26] :
[patiente] 75 ans, se demande si ne peut pas souffrir de problème de mémoire, cherche souvent ses mots mais finit par les trouver avec insistance, compréhension plus difficile des instructions à suivre dans toutes les sphères de sa vie, accompagnée de sa fille inquiète car situation de plus en plus problématique, RDS[27] stable, folstein 29/30 avec beaucoup d’hésitation et de deuxième chance laissée à la patiente, test de l’horloge 3/3.
Conclusion de la consultation : Déficit d’attention pour le moment, démence sous jacente peu d’argument pour le moment, réassurance, [Rendez-vous] dans 3-4 mois avec folstein et moca à reprendre.
[26] La Dre Beaucage témoigne que :
a) Le test Folstein correspond au MMSE (Mini-Mental State Examination) qui examine l’état mental d’une personne.[28]
b) Le MoCA (Montreal Cognitive Assessment) est un test cognitif plus difficile.
[27] Le 6 mai 2014, devant la notaire Chevalier, L.C. complète un testament[29]. Elle prévoit léguer à D.M. et à l’accusée sa maison ainsi que le contenu. Le résidu de ses biens sera transmis aux personnes suivantes, selon certaines proportions : D.M., 40 %; l’accusée, 40 %; S.M-B. (petit-fils), 10 %; le fils de l’accusée (petit-fils), 5 %; un autre petit-fils, 5 %. D.M. et l’accusée sont désignés liquidateurs à l’éventuelle succession.
[28] Le 18 février 2015, la Dre Beaucage rencontre L.C. suite à une référence du médecin de famille. Il s’agit d’une évaluation cognitive et l’accusée est présente. Selon les notes au dossier[30] :
Patiente âgée de 76 ans, veuve depuis plusieurs années. Madame a deux enfants qui vivent dans la région (une fille décédée il y a neuf ans). Madame vit dans sa maison depuis [48] ans (N.B. : Le petit-fils de 25 ans, [S.M-B.], vit au sous-sol mais madame ne peut compter sur lui d’aucune façon). […]
La famille note des difficultés depuis au moins un an mais qui progressent de façon plus accélérée depuis six mois. La famille rapporte une possible diminution de la mémoire à court terme mais surtout des problèmes langagiers (madame cherche plus ses mots, fait des paraphrasies, a des problèmes de compréhension). Elle nécessite de l’assistance au niveau de la gestion financière. Madame a, en effet, oublié de remettre certains documents à sa fille pour les impôts 2013 et a eu des conséquences sur le plan financier. Sa fille a observé que madame n’est plus capable de compter de l’argent, par hasard il y a deux semaines. Madame demeure fière de sa personne et autonome pour la lessive, l’entretien ménager (reçoit de l’aide depuis un an seulement pour les gros travaux en raison de son arthrose sévère). Elle s’est perdue en voiture en allant à son rendez-vous médical il y a un mois et le médecin de famille a suspendu le permis. Madame admet cependant avoir eu des difficultés d’orientation spatiale et temporelle depuis au moins un an. C’est sa fille qui gère les rendez-vous. […]
Évaluation cognitive : Patiente droitière qui offre une très bonne collaboration. Hygiène corporelle et vestimentaire normale. La patiente nous apparaît vigilante. Les réponses aux questions demandées sont nettement influencées par son trouble langagier puisqu’on observe effectivement un manque du mot très important, de nombreuses paraphrasies et un problème de compréhension quand la consigne est plus complexe. Par ailleurs, la fluidité langagière est très réduite. Elle est incapable de répondre adéquatement à nos questions d’abstraction. L’autocritique est très présente (madame est très inquiète de sa condition). Le jugement m’apparaît bon. On note un peu de persévération sans plus. Pas d’idée délirante, d’hallucination ou de désinhibition. L’affect est mobilisable et adéquat pour le contexte. Je n’ai pas noté de problème de praxie gestuelle mais, par ailleurs, des problèmes d’apraxie de construction. Elle est incapable de dessiner une horloge malgré trois essais (elle est incapable d’indiquer les chiffres et encore moins l’heure). Notons que madame est d’ailleurs incapable de lire l’heure sur sa montre lorsque je lui demande. Elle a de la difficulté à m’expliquer les sources de ses revenus mais quand je lui offre un choix elle répond bien. Elle ne semble pas capable de me donner les chiffres ou même de les comprendre. Elle obtient un score de 23/30 au MMSE.
Diagnostics retenus : Troubles cognitifs à prédominance langagière […]
Conduite : La patiente a accepté de poursuivre le bilan afin de préciser le diagnostic. […]. Sa fille vérifiera s’il existe une procuration bancaire et un mandat en cas d’inaptitude. Madame n’a aucun service à domicile pour le moment et souhaite le maintien à domicile (à réévaluer selon l’évaluation en ergo du SAG). Je reverrai la patiente et sa fille pour donner les résultats du reste de l’évaluation dans quelques semaines.
[29] Au procès, la Dre Beaucage ajoute que le médecin de famille « avait initié une médication pour des troubles cognitifs comme si, par exemple, ça pouvait être une maladie d'Alzheimer, mais ce n'était pas optimal, alors […] je me suis permis d'augmenter la médication. […] mes conclusions étaient soit une maladie d'Alzheimer un peu atypique, qu'on appelle forme langagière ou une aphasie primaire progressive logopénique »[31]. De plus[32] :
Q. […] [le 18 février 2015] vous ne portez pas d'opinion quant à l'aptitude ou l'inaptitude...
R. Non.
Q. ... c'est exact? O.K. Est-ce que, aujourd'hui, vous auriez, si on vous avait posé la question au [18 février 2015], auriez-vous été en mesure de rendre une opinion sur l'aptitude ou l'inaptitude de [L.C.] quant aux biens, quant à sa gestion financière?
R. Si quelqu'un de la famille m'avait demandé : On prévoit aller changer les papiers, est-ce que vous êtes... est-ce que vous êtes à l'aise avec ça? J'aurais dit : On attend, c'est loin d'être certain. Ça ne m'a pas été demandé...
Q. O.K.
R. ... ce n'est pas écrit, mais c'est ce que j'aurais dit.
Q. Quand vous parlez de papiers, notamment, à quoi vous...?
R. Procurations, mandats, testaments.
[30] Par ailleurs, le 21 février 2015, L.C., l'accusée et D.M. se présentent à la banque pour compléter une procuration devant la préposée Karelle Labranche[33]. L.C. signe le document qui autorise l’accusée et D.M. à faire des transactions sur ses comptes[34], ce qui exclut les placements[35].
[31] L'accusée s’occupe des affaires de sa mère à la banque. De plus, elle fait divers achats en payant elle-même. Après avoir accumulé quelques factures, elle se présente à la banque pour se faire rembourser par virements ou retraits à même le compte de sa mère.
[32] Le 28 avril 2015, plusieurs intervenants de l’hôpital, dont la Dre Beaucage, rencontrent L.C. en présence de l’accusée. Les notes de la travailleuse sociale indiquent ce qui suit[36] :
Retour sur l’évaluation du 18 février dernier avec Dre France Beaucage et l’annonce du diagnostic (Démence de type Alzheimer). [L.C.] ne se souvenait pas du diagnostic et nomme être surprise. Nomme croire qu’elle « n’est pas rendue là ». […] Un suivi avec Dre Beaucage sera proposé à [L.C.] dans 6 à 8 mois.
[33] Au procès, la Dre Beaucage témoigne avoir redemandé à l'accusée s’il y a un mandat d’inaptitude parce que, à cette étape, « on n'est probablement pas juste dans un trouble de langage, on est dans un trouble de mémoire »[37]. Il serait trop tard pour faire signer une procuration s’il n’y en avait pas[38]. À partir de maintenant, le médecin sait que les choses « vont se gâter » et que l’état de L.C. va se détériorer[39]. Plus précisément[40] :
[…] [les] aphasies primaires progressives vont évoluer, là, en troubles de... en troubles de démence, on ne dit plus ça, là, mais des troubles neurocognitifs majeurs, oui c'est annoncé qu'il va y avoir une détérioration qui est variable selon les individus, mais qui est quasi-certaine.
[34] Le 17 juin 2015, la Dre Beaucage rencontre L.C. qui est encore accompagnée de l’accusée. Selon les notes[41], elle est revue pour de multiples problèmes, notamment des tremblements au niveau des membres supérieurs qui semblent augmenter. En outre, elle vit de l’anxiété en raison du comportement de S.M-B. qui demeure au sous-sol de sa maison.
[35] Le 20 août 2015, la travailleuse sociale a un entretien téléphonique avec l'accusée concernant la situation problématique de S.M.-B. qui se comporte de façon dérangeante (cris, sacres, alcool, présence d’un tiers avec un chien), ce qui affecte L.C.[42]. Il est convenu de procéder à une visite à domicile. Le 24 août, l'accusée annule la visite suite au départ de S.M-B.[43]
[36] Le 7 octobre 2015, la Dre Beaucage rencontre à nouveau L.C., toujours en compagnie de l'accusée. Selon les notes[44] :
Patiente revue au SAG seule, puis avec sa fille [l'accusée]. Madame avait reçu un diagnostic de démence de type Alzheimer; forme langagière versus une aphasie primaire progressive de type logopénique. […] Sa fille a l’impression d’une augmentation des difficultés langagières depuis la dernière visite mais peu de modifications des atteintes fonctionnelles. Elle demeure seule dans sa maison et sa fille l’aide notamment pour les courses et la gestion des finances. […]. Le MMSE est à 22/30 soit une diminution d’un point depuis six mois avec des atteintes au niveau de l’orientation dans le temps mais surtout du rappel, quoiqu’aidée par l’indiçage. Madame est incapable de répéter les trois mots. On note des fautes d’orthographe majeures même dans l’écriture d’une phrase simple. Madame a beaucoup de difficulté à exprimer ses pensées. Sa fille nous explique que madame souhaite apporter des modifications à son testament fait il y a environ un an mais madame est complètement incapable de m’expliquer ce qu'elle souhaite faire de façon très claire (la confusion s’installe facilement…). Je ne crois pas qu’elle ait la capacité à faire des modifications sur ce testament et je lui ai expliqué devant sa fille. Nous avons suggéré de continuer la même médication […]. Je la reverrai donc dans six mois au SAG.
[37] Lors de cette rencontre, l'accusée explique au médecin que la modification testamentaire vise le pourcentage du legs particulier au petit-fils S.M-B[45].
[38] Au procès, la Dre Beaucage précise que L.C. avait un discours « très très embrouillé »[46]. De plus, elle confirme avoir expliqué à L.C. et à l'accusée l’incapacité de changer le testament[47].
[39] D.M. témoigne également de cet état de confusion en 2015 et du besoin de soutien[48].
[40] En 2016, l'accusée habite dans un logement et se met à la recherche d’une maison.
[41] Elle trouve un jumelé dans un secteur proche de la résidence de sa mère. Cet achat présuppose une mise de fonds de 41 200 $ selon les exigences de la SCHL, montant qu’elle n’a pas les moyens d’avancer seule[49]. Elle parle de son projet à sa mère.
[42] Elle témoigne qu’il était avantageux de demeurer proche de sa mère puisqu’elle s’en occupait sur une base presque quotidienne. Elle ajoute que sa mère lui a demandé combien elle avait besoin d’argent et avoir dit : « J'te le donne […]. J’aimerais que tu prennes un rendez-vous à la banque […]. C'est entre toi et moi »[50].
[43] Concernant la capacité mentale, l'accusé témoigne ainsi : « Bien, ma mère était correcte, ma mère me le verbalisait, ma mère avec des yeux éclairés, lucides, joyeux. Si j'ai accepté le [40 000 $] de ma mère c'est parce que je la considérais correcte. Si j'avais eu... présentement, là, comme ma mère elle est aujourd'hui, là, si ma mère me proposerait [40 000 $], je ne l'accepterais pas. Mais au moment où elle l'a fait, c'est une toute autre histoire. Je... c'est ce que j'ai à dire par rapport à ça. Point à la ligne »[51]. Pour l'accusée, les limitations se caractérisaient essentiellement par des troubles langagiers, sans atteinte cognitive[52]. Cet aspect litigieux de la preuve sera plus loin analysé par le Tribunal.
[44] Le 3 mars 2016, L.C. et l’accusée rencontrent la conseillère à la banque Lydiane Roy. L.C. (donateur) et l'accusée (bénéficiaire) signent une formule de la banque intitulée « lettre de don » au montant de 40 000 $ « qui servira à constituer la totalité ou une partie de la mise de fonds applicable à l’achat de la propriété […] »[53].
[45] Au procès, interrogée par l’avocat de l'accusée, Mme Roy mentionne que la rencontre s’est d’abord faite séparément puis en présence de toutes. Lors de la rencontre individuelle avec L.C., elle pose des questions générales et les réponses sont coordonnées. De plus, « on parlait, c’était très très simple, là, on parlait ensemble puis elle me disait qu’elle était au courant que sa fille allait s’acheter une maison, puis qu’elle était à l’aise avec ça »[54]. Elle a alors conclu que L.C. « était tout à fait apte à signer le document »[55]. Il n’y a pas eu de sonnette d’alarme. Elle précise qu’il n’y a pas de protocole spécifique à la banque sur l’aptitude des signataires.
[46] Le contre-interrogatoire de la poursuite se déroule ainsi[56] :
Q. O.K. Si [L.C.] était... s’il y avait au dossier de la [banque] des notes à l’effet que [L.C.] était inapte, par exemple...
R. Hum hum.
Q. ... [le 3 mars 2016]
R. Oui.
Q. ... est-ce que vous auriez procédé à la lettre de don?
R. Je n’aurais pas pu. Si j’avais eu un mandat d’inaptitude homologué, je n’aurais pas pu à ce moment-là.
Q. […], c’est exact de dire, là, que [l’accusée] ne vous informe pas de l’état médical de [L.C.]?
R. Pas particulièrement, non.
Q. O.K.
R. Je n’ai pas de...
Q. Madame...
R. On n’a pas de discussion sur ça.
Q. O.K. Est-ce que [l’accusée] vous fait mention que [L.C.] a un diagnostic d’Alzheimer depuis [2015]?
R. Non.
Q. O.K. Est-ce que [l’accusée] vous fait mention que le [7 octobre 2015] le médecin, une des médecins traitantes de [L.C.] a mentionné à [l’accusée] que [L.C.] n’était pas en mesure de faire des modifications testamentaires?
R. Pas de mémoire, je ne me rappelle pas qu’on m’ait mentionné ça.
Q. O.K. Elle ne vous mentionne pas non plus que préalablement à ça, par exemple le [28 avril 2015], lors d’une rencontre de famille avec l’équipe de médecins traitants, que [l’accusée] se fait expliquer des démarches quant à l’inaptitude, quant à l’homologation de l’inaptitude à venir pour [L.C.]?
R. Je n’ai pas souvenir de ça.
Q. O.K. Puis elle ne vous fait pas mention que le [18 février 2015] il y a une première évaluation médicale qui relève des troubles cognitifs à prédominance langagière de [L.C.]?
R. Pas non plus, non.
Q. O.K. Si vous aviez eu toutes ces informations-là de [l’accusée] le [3 mars], est-ce que vous auriez procédé à la lettre de don?
[47] L’avocat de l'accusée s’oppose à la question pour le motif qu’elle est hypothétique. Séance tenante, le Tribunal rejette l’objection pour les motifs qui seront plus loin développés.
[48] Mme Roy répond comme suit[57] :
Ça, on parle hypothétiquement, parce que […] maintenant ça fait quand même quelques années, mais je crois […] que je n’aurais pas procédé plus loin.
[49] Le 8 mars, le SAG reçoit un appel de l'accusée. Selon les notes de l’infirmière[58] :
[L'accusée] veut un papier disant que sa mère est apte à faire un changement à son testament. [L.C.] souhaite retirer [S.M-B.] qui est son petit-fils. Discussion téléphonique ce jour avec [l'accusée]. Elle me dit que les changements sont déjà faits au testament et que la notaire souhaite une lettre écrite du Dre Beaucage disant qu’elle est apte à faire des changements. [L'accusée] dit que lors du dernier RV de sa mère avec Dre Beaucage nous lui avons dit de ne pas tarder à faire des changements au testament avant que les troubles cognitifs progressent trop. Ce RV date de octobre 2015. Par contre dans la note du Dre Beaucage de octobre 2015 il est écrit que Mme est inapte à faire des changements à son testament et que nous l’avions expliqué à elle [l'accusée] et sa mère en octobre. [L'accusée] est avisée de cela. Je transmettrai l’information à Dre Beaucage.
[50] Le 11 mars, la Dre Beaucage appelle l’accusée. Cette dernière mentionne que la notaire attend ses conclusions sur la capacité de L.C. Selon la note au dossier médical[59] :
À la dernière visite, j’ai annoncé à [L.C. et à l’accusée] que compte tenu d’une [augmentation du trouble] langagier, [L.C.] me semblait inapte à apporter des modifications. […]. [L’accusée] n’a pas souvenance et souhaite que sa mère soit revue avant avril 2016 comme prévu […].
[51] Le 14 mars, la Dre Beaucage rencontre L.C. et l'accusée. Selon les notes au dossier[60] :
Patiente revue à la demande de sa fille [l'accusée]. Patiente à aphasie primaire progressive de type logopénique. Vue la dernière fois au SAG le 7 octobre 2015. Peu de changement fonctionnel depuis dernière visite.
[Raison consultation aujourd’hui] : capacité à apporter des [modifications] testamentaires. Patiente rencontrée seule d’abord puis avec sa fille. Mme a difficulté à expliquer raison visite. Connait ses coordonnées personnelles mais incapable de donner # tel - Anxieuse + mentionne que nous allons la trouver folle. Bien arrive à l’heure - sait que petit-fils [S.M-B.] ne vit plus avec elle mais ne peut dire quand. Ne peut expl. pourquoi il a quitté dit qu’elle était tannée mais incapable d’en dire plus. Dit qu’elle se sent bien a un bon moral. Ne peut dire sa [médication] ni les raisons… Dit que ses enfants (2) veulent qu’elle change des choses dans son testament. Propos contradictoires (d’accord ou non). Incapable de dire détails du dernier testament, date, nom de la notaire… Diff. d’expliquer ++ ce qu’elle souhaite modifier. Dit […] c’est sa fille [l'accusée] qui fait gestion + a confiance ++ ne manque de rien. Incapable à préciser ses sources de revenus, les montants, la valeur de sa maison. Ne peut dire comment elle vérifierait si tout est bien fait (J’ai de bons enfants…) À mon avis, les troubles langagiers sont trop sévères pour que Mme apporte des [modifications] testamentaires. Patiente + fille avisées. Difficulté de lecture ++ ([…] compréhension du texte…) Diff. à dire des normes + élevés. […]
[52] La Dre Beaucage témoigne avoir été étonnée de la démarche de l’accusée vu les informations données antérieurement que L.C. ne pouvait modifier son testament[61].
[53] Le 17 mars 2016, l'accusée retire 40 000 $ des placements de L.C. et dépose ce montant dans le compte courant de L.C. En outre, l’accusée dépose à partir de ses fonds un montant de 1 200 $ dans le compte de L.C. Dans ses notes, la préposée Lydiane Roy inscrit ce qui suit : « Retrait 40k […] pour don à sa fille [l'accusée]. Elle a une lettre de don à l’appui car celle-ci s’achète une maison »[62].
[54] Le 24 mars, la banque émet un chèque de 41 200 $ à l’ordre de la notaire Chevalier en fidéicommis, et ce, pour une « mise de fonds »[63].
[55] Le 7 avril, l’accusée obtient une hypothèque de la banque et, subséquemment, achète une maison au prix de 206 000 $[64].
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[56] Lorsque D.M. est informé du projet d’achat de sa sœur, il est étonné. D’une part, il considère que sa sœur était déjà bien installée. D’autre part, il s’interroge sur les dépenses que cela engendre. L'accusée lui répond de ne pas s’inquiéter, qu’il n’y pas de problème et qu’elle est capable de s’acheter une maison. À cette époque, D.M. ignore d’où provient le financement de sa sœur[65].
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[57] Le 12 septembre 2016, la Dre Beaucage fait une rencontre de suivi avec L.C., en présence de l’accusée. Selon les notes[66] :
Patiente revue au SAG le 12 septembre 2016 avec sa fille [l'accusée]. Madame avait reçu un diagnostic de maladie d’Alzheimer forme langagière versus aphasie primaire progressive logopénique en février 2015. […]. Madame vit toujours seule à domicile et s’occupe bien de son hygiène personnelle, vestimentaire et s’occupe bien de l’entretien de sa maison. La médication […] semble bien prise. C’est sa fille qui fait les courses et la gestion financière à l’aide d’une procuration bancaire. Sa fille a cependant des problèmes du fait qu’elle doit demander à sa mère de donner des autorisations et fournir certains renseignements par téléphone (par exemple Vidéotron, les gouvernements…) et que madame, compte tenu de sa dysphasie, a de la difficulté parfois à répondre. Il n’y a pas de changement de milieu de vie prévu à court terme mais une vente de la maison sera à envisager dans un délai difficile à prévoir. Madame a beaucoup de difficulté à communiquer et cela augmente si elle est anxieuse bien sûr. Elle a également des difficultés de compréhension et des difficultés dans la gestion financière (ne comprend pas toujours bien ce que sa fille veut lui expliquer). Elle me semble tout à fait incapable de vendre elle-même sa maison et, dans ce contexte, je suggère l’homologation de mandat qui a été faite à la faveur de sa fille en 2014. Je suggère cette démarche compte tenu des délais que cela peut impliquer. Selon sa fille, les troubles langagiers ont l’air de progresser notamment le manque de mot, la lecture est non fonctionnelle et madame n’est plus capable d’écrire sa liste d’épicerie. Madame est encore capable de faire certains numéros de téléphone et d’appeler ses enfants. Au MMSE son résultat est de 14/30 alors qu’il était de 22/30 lors de a dernière visite il y a six mois. J’ai dû inscrire, afin que la médication soit acceptée, un score de 16/30 pour le formulaire de médicament d’exception. […].
[58] Une note manuscrite mentionne que L.C. est totalement inapte à administrer ses biens[67].
[59] Le 12 octobre 2016, la Dre Beaucage complète la formule « Évaluation médicale dans le cadre d’une demande d’ouverture d’un régime de protection ou de l’homologation d’un mandat »[68]. On retrouve les informations suivantes :
§ Maladie : Démence de type Alzheimer.
§ Date du diagnostic : Février 2015.
§ Administration des biens[69] : La personne est inapte à administrer ses biens et à exercer ses droits civils relatifs aux biens. Le degré de l’inaptitude est total, parce qu’elle ne peut pas prendre de décisions éclairées quant à l’administration de ses biens.
§ Capacités résiduelles[70] : Si l’inaptitude est partielle, quelles capacités résiduelles identifiables conserve la personne? Incapable de s’occuper de la gestion financière et/ou vente éventuelle de sa maison en raison des troubles langagiers. Mme reste soucieuse de son hygiène [personnelle] + vestimentaire. Capable de s’occuper de sa [médication] placée en dispill[71], fait réchauffer repas préparés.[72]
§ Conclusions[73] : L’évaluation médicale démontre l’inaptitude de la personne, et, considérant la sévérité et l’évolution possible du diagnostic médical, la durée de l’inaptitude est permanente parce qu’aucune amélioration n’est envisagée.
[60] Au procès, l'accusée explique ainsi sa compréhension de la situation[74] :
[…] c'est que ma mère n'était pas capable d'aller gérer ses biens. Mais elle était capable, elle avait sa tête, puis elle était capable d'en discuter avec moi. D'en discuter avec moi. Je n'aurais jamais vu ma mère commencer à mettre sa maison en vente, ça, c'est sûr sûr sûr que non, ça je n'aurais pas pu... aucune... je ne veux même pas y penser. […] Pour ce qui est de son incapacité à gérer ses biens, je le sais que... je le sais qu'elle avait besoin d'aide ma mère, là, pour ça, là, c'est évident, là. C'est évident.
[61] Le 21 octobre 2016, L.C., l’accusée et D.M. rencontrent une travailleuse sociale pour une évaluation fonctionnelle. Il est notamment question de la situation préoccupante avec le petit-fils S.M-B. et de l’homologation du mandat d’inaptitude. La travailleuse sociale remet un document à l'accusée comportant les informations nécessaires en vue de l’homologation.[75]
[62] Le 25 novembre 2016, la travailleuse sociale communique avec l’accusée pour connaître les développements concernant le mandat. Selon les notes au dossier, l'accusée exprime qu’elle n’a pas eu le temps de s’en occuper et qu’elle ne sait pas quand elle pourra poursuivre les démarches[76].
[63] Le 1er décembre 2016, la travailleuse sociale informe l’accusée que la formule complétée le 12 octobre est valide pour six mois. Comme il reste environ deux mois, « il faudrait commencer à penser à faire les démarches si elle souhaite toujours l’homologation du mandat de protection »[77]. Le 6 janvier 2017, la travailleuse sociale fait un nouveau rappel à l’accusée qui mentionne avoir encore manqué de temps[78].
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[64] Dans la période des Fêtes 2016, le fils de l'accusée demande à cette dernière s’il est possible d’emprunter 30 000 $ à L.C. Il souhaite alors acheter un immeuble et doit faire une mise de fonds. Il ne formule pas la demande directement à L.C. car cette dernière est fragile et aurait dit oui automatiquement.
[65] Au procès, il rapporte ainsi la réponse de l'accusée : « Ça ne se fait pas, on est surveillé […] trois ans ou cinq ans, c’est des transactions qu’on ne peut, pas faire […] »[79]. Il comprend que cette surveillance est faite par la curatelle. L'accusée lui ajoute que : « […] ça ne se faisait pas point de vue légal, puis ça ne se faisait pas... elle considérait que ça ne se faisait pas aussi d’un point de vue moral, elle me dit ‘Ça n’aurait jamais passé au niveau de mon oncle’ »[80]. L'accusée fait alors référence à son frère D.M.
[66] Il ne va pas plus loin et obtient du financement d’une autre source.
[67] Pour sa part, l'accusée reconnaît avoir dit « on ne peut pas faire ça ». D’une part, elle s’est demandé si sa mère était au courant. D’autre part, le don de 40 000 $ venait d’être fait et il ne convenait pas de « sortir » en plus 30 000 $[81].
[68] Quoi qu’il en soit, elle n’aborde pas ce sujet avec sa mère. Pourquoi? Réponse : « Je ne le sais pas »[82].
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[69] Le 30 janvier 2017, J.C., sœur de L.C., décède à l’âge de 87 ans[83].
[70] Selon le testament de J.C. rédigé en 1979, deux frères reçoivent des legs particuliers de 1 000 $ chacun. Quant au résidu, L.C. est légataire universelle. De plus, elle est exécutrice testamentaire[84]. Est-elle maintenant capable d’exercer cette tâche? L'accusée répond non en raison du trouble langagier et des déplacements requis par une telle tâche[85].
[71] Comme les deux frères sont décédés, L.C. est la seule survivante. Puisque J.C. est célibataire et sans enfants, L.C. hérite de tout. Selon les documents bancaires produits par l'accusée, la succession vaut environ 95 000 $[86].
[72] Elle témoigne que c’était une question de temps avant que l’argent passe du compte de J.C. à celui de L.C.[87] Elle ajoute que sa mère lui a dit : « Va à la banque et retire ce qui te revient du testament, j’te le donne [l’argent]. […] Va le chercher! »[88]. Pour elle, cela rejoint les propos de sa mère tenus en 2012. Le Tribunal reviendra sur cette question litigieuse.
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[73] Le 10 février 2017, la travailleuse sociale et l'accusée discutent d’une nouvelle formule d’évaluation par la Dre Beaucage[89]. L'accusée témoigne que l’homologation est nécessaire « pour faire avancer le testament de [J.C.] […] »[90].
[74] Le 15 février, le médecin remplit la formule et maintient les conclusions de sa première évaluation en octobre 2016 (inaptitude de L.C., homologation du mandat)[91].
[75] Le 28 février, une travailleuse sociale rencontre L.C. et l’accusée pour une évaluation des besoins à domicile et pour les démarches d’homologation. Selon les notes au dossier[92] :
[...] Conclusions : Dans le moment, l’orientation ciblée, suivant la volonté de l’usagère et de la famille, est le maintien à domicile même si certains risques sont présents. Lors de l’entrevue, nous abordons le sujet de la vulnérabilité de Mme, en raison des troubles cognitifs. La fille qui est consciente de ce fait. Afin d’améliorer la condition de l’usagère et la sécurité, une demande d’aide aux soins d’hygiène sera réalisée ainsi qu’une demande d’évaluation de la gestion de la médication. De plus, nous procéderons progressivement aux démarches en lien avec l’homologation du mandat en cas d’inaptitude. […] Une prochaine entrevue aura lieu dans quelques semaines concernant l’homologation du mandat en cas d’inaptitude et d’ici la rencontre, la fille aura certaines démarches à faire dont la demande de l’affidavit au notaire, photocopie de la carte d’assurance maladie ainsi que la cueillette d’informations concernant les finances de Mme. Celle-ci nous rappellera.
Opinion professionnelle : Mme présente des pertes cognitives significatives et présente un besoin de protection en raison de la maladie d’Alzheimer et de sa vulnérabilité. La famille semble être en harmonie et Mme collabore bien. Méfiante quant au fait de devoir partir de sa maison.
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[76] En mars 2017, l'accusée est en arrêt de travail. Elle ira plus tard consulter en thérapie.[93]
[77] Le 9 mars 2017, elle se présente à la banque et rencontre le préposé Simon Grondin concernant la succession de J.C. Selon les notes du préposé[94] :
Rencontré mandataire de la curatelle [l'accusée]. Elle croyait être liquidatrice automatiquement du fait qu’elle s’occupait de la curatelle. Malheureusement, sur le testament, la défunte nommait ses deux frères comme liquidateurs[95] qui sont tous deux décédés. À l’habitude, une déclaration d’héritiers nommera automatiquement les héritiers comme liquidateurs. La seule héritière [toujours] en vie est la sœur de la défunte qui est également mère de [l'accusée]. Cependant, la mère sera déclarée inapte sous peu et l’homologation est en attente. [L'accusée] doit donc se rendre chez notaire pour procéder à une nomination de liquidateur en son nom.
[78] Au procès, la directrice Bucher témoigne que la banque apprend à ce moment-là l’inaptitude de L.C.[96]
[79] Le 23 mars 2017, l’accusée se présente au comptoir de la banque et effectue un retrait de 2 000 $[97]. Elle témoigne qu’il s’agit de remboursement de dépenses autorisé par sa mère. Le Tribunal analysera plus loin cette question.
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[80] En mars 2017, l'accusée décide de retenir les services du travailleur social Marc-Antoine Tessier pour procéder à l’évaluation psychosociale en vue de l’homologation du mandat[98]. Il s’agit d’un mandat au privé qui permettra d’aller plus vite[99].
[81] Le 31 mars, la travailleuse sociale discute avec l'accusée des démarches d’homologation et d’un éventuel déménagement.
[82] Le 9 mai, la travailleuse sociale aborde le sujet avec l'accusée. Selon les notes, « nous reflétons la problématique de jugement présente » chez L.C.[100]
[83] L.C. déménage finalement en mai 2017 pour vivre en résidence supervisée.
[84] Le 9 mai, le travailleur social Tessier complète une évaluation psychosociale après avoir rencontré L.C. et consulté l'accusée ainsi que D.M.[101]. Les éléments suivants ressortent :
1) L.C. présente des troubles cognitifs. Une démence de type Alzheimer modérée a été diagnostiquée en février 2015.
2) L'accusée surveille la date d’expiration des aliments et doit en jeter certains. La médication doit être gérée par ses enfants sans quoi elle oublie et mélange ses doses. L.C. doit être accompagnée si elle sort de sa résidence car elle est désorientée.
3) Les fonctions exécutives ainsi que le jugement, la flexibilité cognitive et abstraction sont altérés de façon significative faisant en sorte que l’expression de ses choix et opinions sont circonstanciels et ne sont pas toujours orientés sur le moment présent. La dysphasie est importante et rend difficile l’expression de ses besoins.
4) Elle est en mesure de donner son opinion et peut défendre ses choix sur le moment. Toutefois, sa mémoire ne lui permet pas de les défendre dans le temps. De plus, elle doit s’en remettre à une personne de confiance afin que ses choix ne lui soient pas préjudiciables.
5) Elle comprend et coopère en matière de consignes simples et concrètes. Afin de faciliter la compréhension et la coopération, en vertu des difficultés d’encodage et de rétention, les consignes doivent être simples et faire l’objet de rappel et de surveillance parfois de la part du personnel soignant ou de ses proches.
6) Elle connaît peu ses droits et n’arrive pas à élaborer les actions possibles à poser ni à les actualiser.
7) Elle ne possède pas les capacités (analyse, jugement) afin de préciser les besoins en matière de soins et services dans leur ensemble nécessitant un suivi. Ainsi, elle a tendance à être passive si elle n’est pas stimulée.
8) Elle a confiance en ses proches et s’en remet totalement à eux, spécialement à ses deux enfants pour voir et combler l’ensemble de ses besoins. Elle ne peut assurer seule le suivi de ses demandes. Le suivi est assuré par ses enfants qui se concertent.
9) Sa maison est évaluée à 142 000 $ et ses placements à la banque à 212 713 $.
10) Elle ne connaît pas la composition de son patrimoine et ne peut effectuer les opérations financières courantes (ex. : faire un chèque ou un retrait au guichet automatique). De plus : « Les atteintes cognitives sont importantes au niveau du calcul mental, qu’il soit simple ou complexe. Elle n’est pas en mesure d’apprécier les conséquences de toutes ses décisions concernant l’administration de ses biens ».
11) Comprend-elle les obligations découlant d’un contrat? L’évaluateur répond ainsi : « À l’évaluation elle a signé une feuille sans questionner sur le contenu. La majeure n’est pas en mesure de conclure et signer un contrat ainsi que de comprendre les obligations qui y sont rattachées tant dans la forme que dans le contenu ».
12) L'accusée et son frère « sont unanimes quant à la nécessité de la présente démarche d’homologation du mandat ».
13) Les membres de la famille expriment leur accord à l’égard de la démarche d’homologation. L’évaluateur exprime l’opinion suivante : « Mme a un diagnostic de démence de type Alzheimer depuis 2015. On dénote des problèmes importants de dysphasie et d’apraxie de construction qui rendent difficile l’expression de la pensée. L’évaluation médicale ainsi que nos propres observations confirment des atteintes importantes des capacités mnésiques caractérisées par une difficulté d’encodage et de rappel de l’information. Toutefois, les séquelles cognitives sont légères à sévères au plan du fonctionnement de l’attention divisée et soutenue. La mémoire à court terme est altérée. La flexibilité mentale ainsi que le jugement sont pauvre. L’autocritique est dans la limite de la normalité. Cependant, il y a un bon contact avec la réalité. Pour ce qui est de la pensée, il y a relâchement des associations et parfois de la fuite des idées. Il n’y a pas de délire ni de bizarrerie dans le contenu de la pensée. La forme et la vitesse des pensées sont rigides et déficitaires. Le processus est cohérent, mais circonstanciel et axé considérablement sur l’immédiateté de ses besoins à combler. La tolérance à l’effort mental soutenu est grandement réduite. Le sensorium est clair. Mme est orientée uniquement dans la sphère (personne) ».
14) Le degré d’inaptitude à administrer les biens est total puisqu’elle ne peut prendre de décision éclairée à cet égard. Comme elle a besoin de représentation, il est recommandé de procéder à l’homologation.[102]
[85] Le 31 mai 2017, l’accusée retire du compte de L.C. deux montants de 5 000 $. Par la suite, elle dépose 10 000 $ dans son compte personnel.[103]
[86] Encore une fois, l'accusée témoigne que cet argent lui revenait, selon les volontés de sa mère. Le Tribunal reviendra sur ce point contesté par la poursuite.
[87] Le 6 juin 2017[104] :
1) L’accusée retire des placements faits au nom de L.C. (55 646,11 $ et 30 000 $).
2) Elle dépose ces montants dans le compte courant de L.C.
3) Elle retire 85 000 $ du compte de L.C.
Ø Sur le document « Historique de compte », la date du 7 juin est inscrite[105].
4) Elle dépose ce montant dans son compte personnel.
5) Elle fait un retrait en argent comptant de 9 500 $[106].
[88] Les notes du 6 juin de la préposée de la banque Karelle Labranche se lisent ainsi[107] :
CP - Retrait et fermeture de CP suite à la demande de sa fille [l'accusée] qui a une procuration générale notariée.
CELI - Retrait de 30 000 $ suite à la demande de sa fille [l'accusée] qui a une procuration générale notariée.
Total des retraits = 85 000 $. [L'accusée] a l’intention de se faire un virement dans son compte personnel et de faire des investissements avec [un conseiller financier à la banque]. [L.C.] est aussi sensée recevoir 100 000 $ d’héritage suite au décès de sa sœur [J.C.].
[89] La directrice Bucher témoigne que la procuration notariée du 1er septembre 2011 a été déposée le 6 juin 2017[108]. Une telle procuration donne accès aux placements de L.C., et ce, contrairement à la procuration bancaire de février 2015 qui se limite aux opérations courantes[109].
[90] L'accusée reconnaît ne pas avoir informé Mme Labranche des évaluations médicales[110].
[91] Elle témoigne qu’après être allée à deux reprises retirer 5 000 $, « j'ai pensé à ça, je me suis dit : Bien voyons! je ne suis pas pour retirer à coups de [5 000 $] ici et là »[111]. D’où l’intérêt à retirer le 85 000 $ d’un seul coup.
[92] Après ces opérations, Mme Bucher décide d’intervenir. Au procès, elle décrit ainsi ses démarches[112] :
Moi, en fait, mon rôle à la succursale, c’est je suis directeur de conformité, donc, tout ce qui est retrait d’investissements, de fonds d’investissements, me sortir un rapport [48] heures après et je dois les approuver. Dans ce cas-là, c’est sûr qu’on va vérifier, quand on approuve une transaction, on va vérifier les commentaires au dossier et dans ce cas-là, étant donné que ça avait été fait avec une procuration notariée, je n’étais pas à l’aise du tout avec la transaction, j’ai mis un blocage sur le compte... sur l’argent restant qui était transféré déjà dans le compte à [l'accusée], j’ai mis un blocage sur le montant restant et puis j’ai téléphoné à [l'accusée] pour une rencontre avec [L.C.] dans mon bureau.
[93] La rencontre se tient le 15 juin. Mme Bucher résume ainsi le déroulement[113] :
[…] je pose des questions sur la transaction sans en dire trop, mais je les pose directement à [L.C.] qui semblait avoir beaucoup de difficultés à me répondre clairement. Je n’étais vraiment pas à l’aise du tout parce que je lui posais la question à quoi ça servait ces retraits-là, parce que normalement... puis je lui disais que c’était sa fille qui avait fait le retrait, ce n’était pas clair, ce n’était pas clair, je n’étais pas à l’aise avec la discussion qu’on a eue, parce qu’on n’a pas eu vraiment de discussion en fait, c’était... ça ne se tenait pas. Donc, je n’étais pas du tout... j’ai vraiment tout laissé bloqué à cet effet-là. […] [L.C.] m’a précisé que c’était à [l'accusée], ça lui revenait, mais des questions simples elle n’était pas capable de répondre. […] des questions simples sur, O.K., à quoi ça va servir, pourquoi elle a fait le retrait, je ne voulais vraiment pas que [l’accusée] intervienne, mais [l’accusée] est intervenue une couple de fois, puis je lui ai demandé de ne pas intervenir parce que je voulais avoir une discussion avec [L.C.], mais c’était impossible.
[94] De plus, concernant la succession de J.C. : « [L’accusée] me précisait qu’elle s’est occupée de [J.C.] plusieurs années et puis que […] ça devait lui revenir »[114]. Mme Bucher ne voit pas le lien puisque, d’une part, le 85 000 $ provient du compte de L.C. et, d’autre part, la succession de J.C. n’est pas réglée.
[95] Le 15 juin, Mme Bucher inscrit la note suivante au dossier[115] :
Nous avons eu une rencontre avec [L.C.] et sa fille [l'accusée] dans le but de savoir si Mme était au courant du retrait de placement fait par sa fille avec la procuration notariée. [L.C.] nous explique que les fonds de la succession de sa sœur [J.C.] reviennent à [l'accusée]. Le fait est que la succession n’est pas réglée et que [L.C.] sera déclarée inapte sous peu car les papiers sont en processus. Nous avons pris la décision de retransférer le montant de 75 500 $ du compte de [l'accusée] à [L.C.].
[96] Le 16 juin, Mme Bucher ajoute la note suivante[116] :
[L.C.] sera déclarée inapte sous peu et le mandat sera homologué. [D.M.] et [l'accusée] devront agir conjointement pour régler le compte de la succession. En attendant limiter les retraits à [l'accusée] seulement sur présentation de facture, accepter aucun retrait de montant élevé.
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[97] Dans la période de mai et juin 2017, D.M. reçoit des informations troublantes concernant la gestion de l’accusée des finances de L.C. Les relations deviennent tendues entre le frère et la sœur.
[98] D.M. aborde ce sujet avec le fils de l’accusée [le fils]. Il est question d’un retrait de 20 000 $. Le fils trouve la situation délicate, coincé entre sa mère et son oncle.
[99] De retour de voyage à l’extérieur le 13 juin, le fils apprend le retrait de 85 000 $.
[100] Lui aussi troublé, il rencontre sa mère (l'accusée) pour avoir des explications. Cette dernière amène une boîte de factures puis parle de l’héritage qu’elle recevra de J.C., et ce, selon les volontés de L.C. Le fils s’interroge puisque cette affirmation n’est pas documentée[117]. Il témoigne que certains montants ne sont pas explicables puis « c’est un peu pourquoi que vous me voyez ici aujourd’hui […] ça ne s’est pas bien terminé »[118].
[101] Le 20 juin 2017, l’avocat de D.M. envoie une mise en demeure à l’accusée[119]. Essentiellement, D.M. demande des explications et des pièces justificatives à l’égard de transactions « hautement suspectes », dans le contexte d’une condition cognitive de L.C. qui régresse. Un tableau est joint avec plusieurs dépôts et retraits, dont les quatre présentes transactions d’intérêt. D.M. ne reçoit pas les informations demandées.
[102] Le 21 juin 2017, la notaire Nancy Pothier complète la demande de D.M. et de l’accusée (les demandeurs) afin de faire homologuer le mandat de protection[120]. La demande contient les allégations suivantes :
4. La personne concernée est inapte à prendre soin d’elle-même et à administrer ses biens de façon totale et permanente, tel qu’en font foi l’évaluation médicale signée par le Docteur France Beaucage, le 15 févier 2017, et l’évaluation psychosociale préparée par Marc-Antoine Tessier, travailleur social, le 9 mai 2017, et constatant cette inaptitude […].
5. Cet état de fait empêche la personne concernée d’exercer ses droits civils et de voir à l’administration de ses biens.
[103] Le 6 juillet, D.M. et l’accusée signent l’affidavit à l’appui de cette demande et déclarent sous serment que tous les faits sont vrais.
[104] Les conclusions de la demande se lisent ainsi :
DÉCLARER la personne concernée inapte à prendre soin d’elle-même et à administrer ses biens.
HOMOLOGUER à toutes fins que de droit, le mandat de protection de la personne concernée reçu le 1er septembre 2011 devant Me Audrey Chevalier notaire […].
CONFIRMER la nomination des demandeurs [D.M.] et [l'accusée], à titre mandataires de la personne concernée, afin de prendre soin de sa personne et d’administrer ses biens.
[105] Par la suite, D.M. dépose une demande modifiée et recherche une ordonnance interlocutoire pour administration provisoire. À compter de ce moment, chaque demandeur a son avocat.
[106] Le 24 octobre 2017, la Cour supérieure prononce un jugement selon les conclusions suivantes[121] :
[6] ACCUEILLE la demande d’ordonnance interlocutoire pour administration provisoire du demandeur, [D.M.], pour la durée de l’instance;
[7] SUSPEND, provisoirement, la procuration générale contenue au mandat […];
[8] PERMET au demandeur, [D.M.], et à la personne intéressée, [le fils de l'accusée], de prendre soin de [L.C.], la personne concernée, et d’administrer ses biens en respect des droits, pouvoirs et dispenses mentionnés à la procuration générale avec clause d’inaptitude;
[9] DÉCLARE que le demandeur, [D.M.] et la demanderesse, [l'accusée], sont autorisés à consulter le dossier médical et social de la personne concernée ainsi que tout autre dossier la concernant et pouvant leur être utile, et en obtenir des copies, […];
[10] PREND ACTE de l’engagement du demandeur, [D.M.], et de la personne intéressée, […], de rendre compte de leur administration commune durant l’instance, à la demanderesse, [l'accusée], et ce, le 15e jour de chaque mois, en transmettant à cette dernière, copie de toutes les pièces justificatives, […];
[11] DÉCLARE la présente ordonnance interlocutoire pour administration provisoire exécutoire, nonobstant appel et sans caution;
[12] Sans frais de justice, pour valoir jusqu’au jugement au mérite sur la demande.
[107] La preuve ne révèle pas qu’un jugement a été prononcé par la Cour supérieure en homologation du mandat.
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[108] En juin 2017, le CLSC reçoit un signalement de la résidence où habite L.C. concernant les inquiétudes de D.M. sur la gestion des finances[122].
[109] Véronique Bazinet, travailleuse sociale au CLSC, échange séparément avec D.M. et l'accusée. Le but de son appel à l'accusée est la protection psychologique de L.C. dans le contexte d’un litige entre frère et sœur. Ses notes rédigées le 22 juin 2017 se lisent ainsi[123] :
1. Discussion avec [D.M.], fils pour lui indiquer que suite à la discussion avec l’avocate de notre établissement, il est possible d’aller de l’avant avec le protocole socio-judiciaire. M. souhaite toujours le déclencher. Par ailleurs, nous l’informons que suite à notre visite à sa mère, nous allons contacter sa sœur pour lui demander de ne plus parler de la situation actuelle avec sa mère pour éviter de la déstabiliser. L’incitons à faire de même. M. souhaite que je contacte sa conjointe, car elle a des questions à nous poser. Appel fait à […], conjointe de M. qui se demande dans un premier temps si son conjoint pourrait avoir du support psychologique. L’informons que je peux lui en offrir. Par ailleurs, elle m’informe que son conjoint a croisé sa sœur hier à la résidence […]. Ils ne se sont pas parlé. [Elle] me questionne p/r au protocole socio-judiciaire, l’informons que j’enverrai une déclaration aujourd’hui à la SPTR[124] et à la commission de droits. Elle se questionne sur la pertinence de poursuivre les démarches avec l’avocat au civil. Lui reflétons que c’est une décision personnelle qui leur appartient. Précisions les mandats de la police et de la commission des droits de la personne. Mme a lu que la commission a le pouvoir de récupérer l’argent qui a été volé. Clarifions que tout dépend du dénouement de l’enquête et de la solvabilité de l’abuseur, le cas échéant. Ces enquêtes peuvent prendre un certain temps. La référons à son avocat p/r toutes les questions à propos des saisies de biens etc., car ce n’est pas notre domaine d’expertise. Mme m’informe que hier, lorsque son conjoint est allé porter le certificat de naissance à [la notaire], cette dernière lui aurait dit qu’elle détenait certaines informations, mais qu’elle était liée par le secret professionnel qui lui empêche de les révéler. Clarifions auprès de Mme que le lien d’attachement entre [L.C.] et sa fille semble fort que je souhaite qu’il soit préservé et ce dans l’intérêt de [L.C.]. Elle se dit tout à fait d’accord.
2. Message laissé à [l’accusée], fille de me rappeler.
3. Retour d’appel de [l’accusée]. Lui expliquons que nous sommes au dossier de sa mère et que nous souhaitons la sensibiliser au fait que sa mère est très perturbée par ce qui se passe actuellement. Lui demandons de ne plus aborder le sujet avec sa mère. Mme affirme qu’elle n’abordera plus le sujet avec sa mère. Mme me dit que tout est de la faute à son frère, qu’elle n’a rien à se reprocher, que c’est épouvantable que son frère fasse subir ça à sa mère alors qu’elle est en fin de vie. Mme affirme ne pas avoir eu le choix de dire à sa mère que son frère l’empêchait d’aller la chercher. Mme reproche à son frère d’avoir crié et sacré après elle. Elle lui reproche de ne jamais lui avoir offert son aide ou dit merci pour tout ce qu’elle faisait pour leur mère. Mme croit que son frère s’est lié avec son fils pour « jouer dans la tête de sa mère ». Mme admet que son frère lui a demandé les preuves p/r aux retraits et qu’elle ne lui a pas donné. Mme affirme avoir tous les documents à l’appui et être en mesure d’expliquer chaque dépense. Nous la questionnons donc p/r à certains retraits figurant sur la mise en demeure. Mme n’est pas en mesure d’expliquer plusieurs retraits, mais relate qu’il faudrait qu’elle aille voir dans ses dossiers pour trouver les justifications. Pour le 41 200 $, Mme admet que sa mère lui a fait un don pour qu’elle s’achète une maison. Selon elle, ce don aurait été fait en toute légalité. Sa mère l’a accompagnée à la banque et a signé les documents elle-même. [L’accusée] affirme que sa mère était totalement apte à prendre cette décision et qu’elle peut prouver cette affirmation. Lui demandons si elle a un document signé de son médecin pour prouver cela. Elle me dit que non, mais elle n’a qu’à contacter Dre Beaucage qui a suivi sa mère au SAG pour avoir un document attestant l’aptitude de sa mère. Mme dit s’être occupé de sa mère depuis très longtemps, qu’elle était toujours présente pour elle, pour l’accompagner à ses nombreux R-V, etc. Elle prenait ses journées de maladie au travail pour s’occuper de sa mère. Elle rapporte s’être également occupée de sa tante [J.C.] (sœur de sa mère). [L’accusée] aurait été sa curatrice privée et aurait pris beaucoup de son temps pour s’en occuper et l’accompagner à ses R-V, etc. Elle rapporte que sa mère, qui est l’héritière sur le testament de sa sœur [J.C.], lui aurait toujours dit (devant témoin) que l’héritage de [J.C.] lui revenait à elle ([l'accusée]). [J.C.] est décédé et c’est [L.C.] qui est la liquidatrice testamentaire. Pour ce qui est du 85 000 $, Mme nous explique son rationnel : Compte tenu du fait que son frère avait changé de comportement à son égard depuis quelques temps, elle s’est dit qu’il n’acceptera jamais d’honorer ce que sa mère aurait toujours dit (Que l’héritage de [J.C.] revenait à [l’accusée]). Elle a alors décidé d’aller chercher le 85 000 $ dans le compte de sa mère pour que les volontés de sa mère soient respectées. Ainsi, lorsque la succession de sa tante [J.C.] sera réglée, le montant que sa mère héritera (plus de 85 000 $ selon elle), sera déposé dans le compte de sa mère. Mme dit avoir agi de toute bonne foi en respectant les volontés de sa mère. Elle relate avoir rencontré la directrice de la banque qui lui a expliqué que pour faire la transaction, elle devait aller voir un notaire. Elle aurait consulté un notaire qui lui aurait expliqué qu’elle ne pouvait rien faire compte tenu de l’inaptitude de sa mère.
Expliquons à Mme que sa mère ne peut pas décider de changer l’héritière du testament de sa sœur. Confrontons Mme à l’effet que la transaction a été faite alors qu’elle savait que sa mère était présumée inapte que c’est questionnant, car elle n’a pas agi dans l’intérêt de sa mère. Mme prétend qu’elle avait le droit de le faire puisque la caissière a autorisé le transfert d’argent. Elle affirme que c’est la caissière qui a fait l’erreur, qu’elle devrait perdre son travail. Reflétons à Mme que peu importe ce que la caissière à fait, il reste qu’elle s’est tout de même présenté à l’institution financière pour retirer 85 000 $ du compte de sa mère, sachant très bien que sa mère était présumée inapte. Mme affirme qu’elle avait le droit de faire tous les retraits qu’elle a fait, qu’elle trouve que je tente de la prendre en défaut. Que son frère s’attaque à son honneur, à son intégrité et sa réputation et qu’il va le regretter, il « ne créera pas à ça », dit-elle. Clarifions ce qu’elle veut dire par cette affirmation. Elle dit qu’elle va poursuivre son frère avec 2 avocats. Elle me demande de le dire à son frère. Clarifions avec Mme que je ne ferai pas l’intermédiaire entre les 2, que mon rôle est de préserver le bien-être de sa mère. Mme fait différentes affirmations au sujet de son frère. Entre autre, que lorsque sa tante J.C. est décédée, il a acheté sa maison à moindre coût et que maintenant, elle a une valeur qui correspond à plus de double de ce qu’il l’a payée. Clarifions que si elle a des reproches à faire à son frère, je ne suis pas la bonne personne pour cela. Mme est en colère contre son frère de lui avoir envoyé une mise en demeure alors qu’elle lui avait envoyé un texto le conviant à régler cela entre eux. Durant la discussion, Mme est très très volubile, nous avons de la difficulté à prendre la parole et devons lui couper la parole et hausser le ton pour arriver à lui parler.
Observations : Relevons une incohérence entre les dires de [l’accusée] et les notes de Dre Beaucage au dossier médical de [L.C.]. En effet, [l’accusée] relate que sa mère était apte lorsqu’elle lui a fait un don de 41 200 $ en mars 2016 et qu’il lui serait facile de prouver son aptitude en contactant Dre Beaucage. Toutefois, dans les notes de cette dernière, il est clairement inscrit que dès octobre 2015, [l’accusée] a été informée que sa mère n’avait plus l’aptitude pour changer son testament. Dre Beaucage l’a de nouveau réaffirmé à Mme et sa fille lors d’un R-V en mars 2016 où [l’accusée] demandait d’avoir document médical attestant de l’aptitude de sa mère. Tout cela nous questionne beaucoup.
[…]
Rédaction du rapport pour l’entente socio-judiciaire que nous remettons à […] pour l’envoi aux partenaires ce jour.
[110] Au procès, Mme Bazinet témoigne qu’elle a pris des notes manuscrites lors des rencontres dans le but de faire un résumé. Par la suite, elle a retranscrit le tout sur ordinateur. Les passages entre guillemets correspondent au mot à mot. Au total, son témoignage confirme les notes qu’elle a prises.
◊
[111] Le 28 juin 2017, la police de Trois-Rivières reçoit une plainte et ouvre une enquête. Elle obtiendra plusieurs documents de la banque et de l’hôpital ainsi que des déclarations de témoins. L.C. ne peut être rencontrée en raison de son inaptitude.
[112] Après analyse des documents bancaires, l’enquêteur confectionne un tableau et identifie des dépenses suspectes totalisant 173 086,92 $, ce qui inclut les quatre transactions d’intérêt de 137 000 $. L’enquêteur prend également en compte le montant récupéré de 75 500 $.
[113] Le 15 février 2018, l’accusée est formellement inculpée. Elle maintient son innocence jusqu’au procès tenu en septembre 2019 et février 2020.
[114] L'accusée est inculpée de vol (chef 1) et de fraude (chef 2) à l’encontre de sa mère pour des montants supérieurs à 5 000 $.
[115] Le Tribunal rappelle les questions en litige :
1) La question de la poursuite sur l’inaptitude de L.C., lors du contre-interrogatoire de la représentante de la banque, est-elle hypothétique et irrecevable?
2) L'accusée peut-elle rapporter au Tribunal les paroles de L.C. pour démontrer sa volonté de lui donner l’argent?
3) L'accusée a-t-elle commis les infractions de vol et de fraude?
[116] L'accusée appelle comme témoin une ex-employée de la banque, Lydiane Roy, qui est intervenue lors de la première transaction d’intérêt au montant de 40 000 $ en mars 2016.
[117] Lors de l’interrogatoire principal, Mme Roy mentionne avoir rencontré L.C. et que tout s’est déroulé normalement, sans constat d’inaptitude.
[118] En contre-interrogatoire, l’avocat de la poursuite lui demande ce qu’elle aurait fait si elle avait été informée du diagnostic de la maladie d’Alzheimer et des évaluations médicales portant sur l’inaptitude[125].
[119] L’avocat de l'accusée s’oppose à la question pour le motif qu’elle est hypothétique.
[120] Séance tenante, le Tribunal rejette l’objection et permet la question. Il convient de développer cette décision.
[121] Premièrement, l’avocat de l'accusée a ouvert une porte en abordant lui-même avec Mme Roy les capacités de L.C.
[122] Deuxièmement, l’état de L.C. ne relève pas de l’hypothèse et se trouve documenté sur le plan médical.
[123] Troisièmement, même si la question était jugée hypothétique, elle serait admissible puisqu’elle porte sur une question factuelle reliée à l’exercice des fonctions de Mme Roy. La Cour d’appel, dans l’affaire Hotte[126], a jugé légale ce type de question. Elle confirme ainsi la décision du premier juge[127] de permettre à des policiers, témoins ordinaires, de relater les mesures préventives qu’ils auraient prises s’ils avaient été informés de la situation problématique d’un collègue policier avant la commission d’actes criminels avec une arme de service. Bien qu’il s’agisse de questions hypothétiques, les témoins ont été mis en situation afin de déterminer comment ils auraient agi, ce qui relève des pratiques usuelles suivies dans l'exercice quotidien de leurs fonctions[128]. Cette logique, développée en contexte civil, s’applique avec les adaptations nécessaires au présent cas en matière criminelle.
[124] Conséquemment, le Tribunal réitère que l’objection de l'accusée est rejetée.
[125] Durant son interrogatoire, l'accusée veut rapporter les paroles de sa mère concernant la volonté de cette dernière de lui donner l’argent pour la mise de fonds lors de l’achat d’une maison et de lui transmettre l’héritage de J.C.
[126] La poursuite s’oppose pour le motif qu’il s’agit de ouï-dire et qu’elle ne peut contre-interroger L.C. Le Tribunal prend alors l’objection sous réserve[129] et permet à l'accusée de témoigner. En plaidoirie finale, les avocats étoffent leur position. L’objection doit maintenant être tranchée.
[127] Le Tribunal retient qu’il ne s’agit pas de ouï-dire lorsqu’il s’agit uniquement d’établir que la déclaration a été faite[130]. Dans le présent cas, l'accusée peut donc relater les paroles de sa mère pour prouver qu’elles ont été prononcées et ensuite expliquer ses faits et gestes. Elle est accusée de vol et l’apparence de droit est un élément essentiel. Elle est accusée de fraude et, au chapitre de la mens rea, la perception de l'accusée d’un acte malhonnête est un autre élément. Priver l'accusée de ce témoignage serait la priver de moyens de défense.
[128] Le témoignage de l'accusée est donc admissible, sous réserve de la valeur probante finale.
[129] Pour ces motifs, l’objection de la poursuite est rejetée.
[130] Les éléments essentiels de ces infractions s’établissent comme suit.
[131] Selon
l'article
[132] Les auteures Bergeron et Dumais exposent l’état du droit à l’égard de cette infraction[131].
[133] En ce qui concerne l’aspect matériel, il s’agit de prendre une chose qui donne lieu à une privation auprès d’une personne.
[134] En ce qui concerne l’intention criminelle, le vol doit être commis frauduleusement, sans apparence de droit et avec l'intention de priver, temporairement ou absolument, son propriétaire. Plus précisément :
1) L'intention de priver : Il s'agit d'une intention spécifique. Il suffit qu’un accusé soit conscient qu'en s'appropriant un bien il en privera son propriétaire, même s'il n'agit pas dans ce but.
2) Frauduleusement : L'insertion du mot « frauduleusement » dans la définition du vol n'a pas pour effet de créer une intention supplémentaire. Elle n'oblige pas à prouver que l'accusé savait que son geste était malhonnête. Ce terme signifie simplement le fait de prendre une chose intentionnellement, sachant que l'on n'y possède aucun droit.
3) Sans apparence de droit : La poursuite doit démontrer que l'accusé n'avait aucune apparence de droit dans l'objet subtilisé. En conséquence, la croyance sincère mais erronée de l'accusé qu'il possédait un droit dans un bien constitue une défense valable. Il ne doit pas s'agir d'une conviction morale d'avoir le droit de posséder le bien, mais d'un droit que lui attribue la loi. Cette défense s'assimile non pas à une défense d'erreur de droit, mais plutôt à une défense d'erreur de fait, puisque la croyance erronée porte sur une question de droit privé qui concerne un élément essentiel de l'infraction. L'apparence de droit peut trouver sa source tout autant dans l'erreur honnête qu'entretient l'accusé du droit applicable à la situation litigieuse que dans son appréciation erronée de la situation véritable à laquelle il est confronté.
[135] Selon
l'article
[136] La Cour d’appel, dans l’arrêt Goulet prononcé en 2016[132], résume ainsi l’état du droit :
[37] Dans les arrêts Olan[133], Théroux[134] et Zlatic[135], la Cour suprême explique que l'actus reus de la fraude comporte deux éléments. D'une part, il doit s'agir d'un acte prohibé ou malhonnête, qui consiste en une supercherie, en un mensonge ou en un autre moyen dolosif. D'autre part, il faut qu'il y ait une privation causée par cet acte prohibé, celle-ci pouvant soit être une perte véritable soit une mise en péril des intérêts pécuniaires de la victime. Notons toutefois qu'il n'est pas nécessaire que la personne qui commet la fraude en tire profit pour qu'elle soit déclarée coupable, ni que la victime en subisse une perte pécuniaire réelle pour que l'accusé soit trouvé coupable[136].
[38] Quant à la mens rea, elle est constituée à la fois de la connaissance subjective de l'acte prohibé, et de la connaissance subjective que l'acte prohibé pourrait causer une privation à autrui, sans qu'il ne soit nécessaire que l'accusé saisisse subjectivement la malhonnêteté de son acte[137].
[39] Notre Cour, sous la plume de la juge Côté, a résumé les éléments constitutifs de cette infraction dans l'arrêt Guité c. R. :
[93] Les éléments essentiels de l'infraction de fraude ont été analysés par la Cour suprême dans trois arrêts de principe : [Olan], [Théroux], [Zlatic]. Dans ces affaires, la Cour suprême a énoncé ce que constitue la mens rea de l'infraction de fraude en distinguant l'actus reus qui sera établi par la preuve d'un acte malhonnête dont l'appréciation doit se faire à partir de la norme objective de la personne raisonnable.
[94] La perception réelle ou personnelle de l'accusé n'intervient que dans l'appréciation de la mens rea de l'infraction de fraude, soit qu'il savait qu'il commettait un acte malhonnête et que celui-ci entraînerait une privation pour la victime. Il faut rappeler qu'il y a privation dès qu'il y a un risque de préjudice pour les intérêts pécuniaires de la victime : [Olan] et [Zlatic], précités.[138]
[40] La mens rea de la fraude n’exige pas d’intention malicieuse, malveillante ou de nuire chez l’accusé[139]. On ne cherche pas à savoir si une personne raisonnable aurait prévu les conséquences de l’acte prohibé, mais plutôt si l’accusé avait une conscience subjective que les conséquences étaient à tout le moins possibles[140].
[41] Dans l'arrêt [Théroux], la juge McLachlin, écrivant pour la majorité, affirmait que « [p]our établir la mens rea de la fraude, le ministère public doit démontrer que l'accusé a sciemment employé le mensonge, la supercherie ou un autre moyen dolosif alors qu'il savait qu'une privation pouvait en résulter »[141]. Elle rappelait également que la preuve de la connaissance n'exige pas nécessairement de faire la preuve précise de ce que l'accusé avait à l'esprit au moment où il commettait l'infraction :
Dans certains cas, la conscience subjective des conséquences peut être déduite de l'acte lui-même, sous réserve de quelque explication qui vient mettre en doute cette déduction. Le fait qu'une telle déduction soit faite ne diminue en rien le caractère subjectif du critère.[142]
[42] Dans leur ouvrage sur les infractions contre la propriété, les auteurs Gagné et Rainville s'expriment ainsi quant à la connaissance des faits constitutifs du moyen dolosif employé :
La fraude consiste à faire usage d'un moyen dolosif occasionnant la privation d'un tiers. L'utilisation de ce moyen dolosif ne doit pas être involontaire: l'inculpé doit avoir été au courant des faits constitutifs du moyen dolosif qu'on lui reproche d'avoir utilisé. La Cour suprême ne distingue pas selon la nature du moyen dolosif employé. L'accusé devra avoir agi intentionnellement quel que soit le comportement frauduleux qui lui est reproché : « L'accusé doit intentionnellement tromper, mentir ou accomplir quelque autre acte frauduleux pour que l'infraction soit établie. » Tout doute raisonnable quant à l'état des connaissances du prévenu suffira à le faire acquitter.[143]
[137] Dans l’affaire Goulet, l'accusé était inculpé de fraude après avoir utilisé un faux contrat d'hypothèque dans le contexte d'une action en partage avec son ex-conjointe. La Cour d’appel confirme la déclaration de culpabilité prononcée en première instance. Dans son analyse, la Cour retient ce qui suit :
1) Concernant l’actus reus[144] : L’utilisation du contrat d’hypothèque est l’acte malhonnête. En outre, les intérêts pécuniaires de l’ex-conjointe ont été mis en péril.
2) Concernant la mens rea[145] :
a) Le premier élément, soit la connaissance subjective de l’acte malhonnête, est rempli. Ainsi, Goulet savait que le contrat d’hypothèque n’était pas valide, car il ne respectait pas les formalités nécessaires. Malgré tout cela, il va de l’avant avec l’utilisation de ce document qui aurait eu pour effet de considérablement modifier à son avantage la créance finale résultant du partage des biens.
b) À l’égard du deuxième élément, la Cour se réfère à l’arrêt Théroux, énonçant que « la conscience subjective des conséquences peut être déduite de l'acte lui-même ». Ici, la déduction est permise en raison des explications floues, invraisemblables et contradictoires de Goulet sur les effets du contrat d’hypothèque sur son ex-conjointe. Par conséquent, la première juge pouvait bel et bien déduire qu’il avait la connaissance subjective que son acte malhonnête pouvait causer une privation pour son ex-conjointe.
[138] Les parties ne contestent pas ces principes. Le débat concerne leur application au présent cas.
[139] Le Tribunal a consulté trois jugements en matière criminelle où les victimes sont des personnes ayant perdu leurs capacités mentales. En voici le résumé, par ordre chronologique.
[140] Dans l’affaire Manseau[146], l'accusé est inculpé de fraude à l’égard d’une tante âgée de 82 ans. Cette dernière avait signé en 2006 une procuration sur ses comptes désignant l'accusé. En 2009, elle fait un chèque qui revient sans provisions suffisantes. Soutenue par des proches, elle découvre que son compte est passé de 130 000 $ à 30 000 $. À noter que, en 2007, la Dre Beaucage diagnostique une maladie d’Alzheimer non agressive et à évolution lente. Après analyse, le juge Jacques Trudel retient que l'accusé a transféré 50 000 $ dans son compte parce que sa tante se plaignait de payer de l’impôt. En outre, plusieurs chèques correspondent à la volonté de madame de donner des cadeaux à des proches parents. De plus, de nombreuses transactions sont antérieures au diagnostic. Finalement, il n’y a pas d’évaluation concernant l’incapacité à gérer les biens. Sur la base du doute raisonnable, un acquittement est prononcé. Le juge laisse toutefois entendre qu’un vol aurait pu être commis[147].
[141] Dans l’affaire Satgé[148], le couple Satgé-Devries est accusé de fraude et de vol, entre janvier 2004 et mai 2010, d’une somme supérieure à 630 000 $ à l’encontre de M. Duhaime qui avait entre 87 et 94 ans. Ce dernier avait une confiance aveugle envers les accusés, ce qui l’a conduit à signer des procurations sur ses comptes. De plus, en 2004, il donne sa maison aux accusés tout en conservant un droit d’usage et en assumant les frais de la transaction ainsi que les frais d’entretien. La juge Guylaine Tremblay retient qu’il était vulnérable à la suite du décès de sa conjointe en 2003 et en raison d’une perte progressive de ses facultés cognitives jusqu’à un diagnostic formel d’Alzheimer en juin 2010. De façon très conservatrice, ces pertes étaient significatives et visibles depuis au moins juin 2009. La pierre angulaire de la défense des accusés était que M. Duhaime pouvait donner à qui il voulait. La juge ne retient pas cet argument et mentionne qu’elle doit se « préoccuper du consentement véritable » de la victime[149]. La juge conclut que les accusés, en acceptant autant d’argent d’une personne dont l’état mental était perturbé, ont abusé « d’une personne vulnérable pour s’enrichir »[150]. Ils sont donc déclarés coupables de fraude. Un arrêt conditionnel est prononcé sur le chef de vol.
[142] Dans l’affaire Alm[151], l'accusée était la voisine de la victime depuis quelques années et lui apportait du soutien (visites, nourriture, nettoyage, etc.). Au cours du mois d’août 2014, un médecin constate que les capacités cognitives de la victime ont diminué, ce qui conduit à un diagnostic de démence. En septembre 2014, la victime vend son automobile à l'accusée au prix de 20 $, alors que l’évaluation est supérieure à 5 000 $. Inculpée de vol et de fraude, l'accusée soutient que le véhicule lui a été donné et qu’il s’agit d’un cadeau. Le montant de 20 $ a été inscrit pour les fins d’enregistrement. De plus, elle prétend qu’elle ignorait la condition mentale. Le juge du procès identifie deux questions. Premièrement, la victime avait-elle la capacité mentale de faire un cadeau? Deuxièmement, le cas échéant, l'accusée avait-elle connaissance de cette incapacité? Après analyse, le juge retient le témoignage du médecin et d’autres intervenants que la victime n’était pas en mesure de donner son véhicule. De plus, il est impensable que quelqu’un passant quelques instants avec la victime le considère capable de comprendre des transactions importantes. L'accusée est déclarée coupable de vol et de fraude. Ce verdict est maintenu en appel.
◊
[143] Sous cet éclairage, le présent Tribunal procédera à l’analyse des deux chefs.
[144] Les positions des parties diffèrent.
[145] Selon la poursuite, L.C. est inapte depuis au moins 2015, et ce, à la connaissance de l'accusée. Elle n’avait pas donc la capacité de faire les dons et ne pouvait exprimer une telle volonté. De plus, l’accusée a induit la banque en erreur.
[146] Pour sa part, l'accusée soutient que L.C. a clairement exposé son intention de lui donner l’argent. De plus, au moment des dons, elle avait encore sa capacité. En outre, les montants retirés en 2017 peuvent être rattachés à une donation faite en 2012 alors que L.C. avait toute sa lucidité. Elle prétend également avoir agi en toute transparence.
[147] Comme la position des parties est contradictoire et que la crédibilité est un enjeu, le Tribunal retient la démarche développée par la Cour suprême dans l’arrêt W.(D.)[152] dans le contexte de directives à un jury :
§ Premièrement, si vous croyez la déposition de l'accusé, manifestement vous devez prononcer l'acquittement.
§ Deuxièmement, si vous ne croyez pas le témoignage de l'accusé, mais si vous avez un doute raisonnable, vous devez prononcer l'acquittement.
§ Troisièmement, même si vous n'avez pas de doute à la suite de la déposition de l'accusé, vous devez vous demander si, en vertu de la preuve que vous acceptez, vous êtes convaincus hors de tout doute raisonnable par la preuve de la culpabilité de l'accusé.
[148] Ces énoncés, avec les adaptations nécessaires, doivent également guider le juge qui siège seul[153].
[149] Avant d’entreprendre cette démarche, il convient de récapituler les faits essentiels :
Date |
Fait |
Transaction |
1er septembre 2011 |
Procuration et mandat d’inaptitude |
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6 mai 2014 |
Testament de L.C. |
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18 février 2015 |
Diagnostic d’Alzheimer |
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21 février 2015 |
Procuration à la banque |
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7 octobre 2015 |
Suivi médical (non modification testament) |
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3 mars 2016 |
Lettre de don |
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14 mars 2016 |
Suivi médical (non modification testament) |
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24 mars 2016 |
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Retrait de 40 000 $ |
12 octobre 2016 |
Évaluation homologation (1) |
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30 janvier 2017 |
Décès de J.C. |
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15 février 2017 |
Évaluation homologation (2) |
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23 mars 2017 |
|
Retrait de 2 000 $ |
9 mai 2017 |
Évaluation psychosociale (inaptitude) |
|
31 mai 2017 |
|
Retrait de 10 000 $ |
6 juin 2017 |
|
Retrait de 85 000 $ |
21 juin 2017 |
Demande en homologation |
|
[150] L'analyse du témoignage ne doit pas se faire de façon isolée, dans un vacuum, mais en tenant compte de toute la preuve[154].
[151] Le Tribunal retient ce qui suit :
1) Au procès, l'accusée a tendance à argumenter plutôt que simplement relater les faits. Son comportement à la Cour (ex. : couper la parole, interventions sans autorisation) fait en sorte qu’elle doit être recadrée à quelques reprises par le Tribunal[155]. Cette conduite ressemble à celle décrite par la directrice bancaire Bucher et la travailleuse sociale Bazinet.
2) Son interrogatoire principal se déroule généralement bien. Toutefois, lors du contre-interrogatoire, elle prend souvent de grands détours pour répondre à des questions directes. Par exemple, pour savoir si, avant de retirer le 85 000 $, elle avait reçu l’évaluation du travailleur social Tessier concluant à l’inaptitude[156]. Pourtant, c’est elle qui avait retenu les services de M. Tessier pour obtenir cette évaluation qui était essentielle en vue de l’homologation du mandat.
3) Toujours au contre-interrogatoire, son malaise est palpable lorsqu’elle estime sa mère incapable de gérer ses biens mais capable de faire des dons[157]. Comment concilier les deux?
4) Même inconfort lorsqu’il est question, d’une part, de son affidavit signé en juillet 2017 sur l’incapacité de sa mère et, d’autre part, le retrait du 85 000 $ un mois avant[158].
5) Elle banalise la situation de sa mère concernant sa capacité d’agir comme liquidatrice de J.C. en 2017, parlant de problèmes de transport et d’un trouble langagier. Pourtant elle reconnaît que, en octobre 2016, après l’évaluation de la Dre Beaucage, sa mère ne pouvait gérer ses biens. Alors comment peut-elle agir comme liquidatrice en 2017?
6) En tant qu’administrateur et mandataire, elle ne se pose pas de questions sur son pouvoir de faire des dons au nom de sa mère tout en étant bénéficiaire[159]. Malgré qu’elle fasse affaire avec la notaire Chevalier, elle ne s’informe pas.
7) Lorsque son fils lui demande s’il peut emprunter 30 000 $ à L.C., elle lui répond que ça ne se fait pas, notamment parce qu’elle aurait dû en discuter avec son frère D.M. Alors, pourquoi ne pas discuter du 40 000 $ avec D.M.? Embarrassée, elle répond : « […] je le sais où vous voulez vous en venir avec ça […] »[160].
8) À certains moments clefs en 2016 et 2017, elle garde le silence et omet de communiquer des informations importantes qui pourraient lui être défavorables. Ainsi :
a) En mars 2016, elle reconnaît ne pas avoir informé la préposée de la banque, Lydiane Roy, de la condition médicale de L.C. Pourquoi? Réponse : « […] je ne vois pas pourquoi »[161]. Cela étonne compte tenu du diagnostic de la maladie d’Alzheimer en février 2015 et des rencontres médicales en février, avril et octobre 2015 ainsi qu’en mars 2016 à l’époque du supposé don.
b) Durant la période des Fêtes 2016, elle s’oppose à ce que son fils emprunte 30 000 $ à L.C., notamment parce que cette dernière n’est pas au courant. Par la suite, l'accusée n’en parle pas à sa mère. Pourquoi? Elle ne le sait pas.
c) En juin 2017 lors du retrait de 85 000 $, elle n’informe pas la préposée à la banque Karelle Labranche des évaluations médicales. Pourquoi? Réponse : « Bien pourquoi j’aurais be… pourquoi j’aurais amené ça? »[162].
9) Contre-interrogée sur l’utilisation du 9 500 $ dépensé en neuf jours après le retrait du 85 000 $[163], elle répond avec désinvolture « […] J'ai fait de l'épicerie. […] j'ai vécu […] je suis allée chez la coiffeuse […] »[164].
[152] La conjugaison de tous ces éléments conduit le Tribunal à ne pas croire l'accusée.
[153] L'accusée appelle en défense la préposée de la banque Lydiane Roy concernant le don de 40 000 $ en mars 2016. Mme Roy témoigne avoir parlé à L.C. sans observer de problèmes.
[154] Toutefois, elle mentionne que la conversation avec L.C. est demeurée générale et « très très simple ».
[155] Surtout, l'accusée, bénéficiaire du don, n’informe pas Mme Roy de la situation médicale de L.C. Cette dernière reconnaît qu’elle n’aurait pas complété la transaction si elle avait su.
[156] Par analogie, il est arrivé que des juges annulent des donations notariées pour motif d’incapacité du donateur, même si les notaires instrumentant n’ont rien constaté de particulier[165]. On ne peut certainement pas demander plus à Mme Roy qu’à un notaire dont la mission est de vérifier la capacité des parties à un acte dont il reçoit la signature[166].
[157] La défense, vue dans son ensemble, ne soulève pas de doute raisonnable.
[158] Dans la présente affaire, les faits reliés aux transactions bancaires sont prouvés et même non contestés. De plus, il est en preuve que l'accusée gérait les affaires bancaires de sa mère et pouvait transiger sur ses comptes.
[159] Les rapports médicaux font preuve de leur contenu et l'accusée ne les a pas contestés. Elle n’a pas demandé de contre-expertise.
[160] Par ailleurs, la poursuite a retracé une multitude de transactions qui correspondent aux achats faits par l'accusée au bénéfice de sa mère. Au procès, la poursuite n’insiste pas et le Tribunal ne peut conclure à la commission d’infractions criminelles à ce chapitre.
[161] Parmi les quatre transactions d’intérêt, on retrouve le 2 000 $ qui, selon l'accusée, correspond au remboursement de diverses dépenses encourues. À cet égard, les multiples déplacements au bénéfice de L.C. et les frais encourus sont réels. De plus, la procuration et le mandat d’inaptitude prévoient le remboursement des frais. Le Tribunal a un doute raisonnable et ne peut conclure à la culpabilité sur ce montant.
[162] Le litige principal concerne la volonté et la capacité de L.C. de donner le 40 000 $ en mars 2016 ainsi que le 10 000 $ en mai 2017 et le 85 000 $ en juin 2017.
[163] L’âge avancé de L.C. affecte-t-il, en soi, la volonté et la capacité? L’auteure Christine Morin, après analyse de la jurisprudence, conclut que l’âge « n'est pas un facteur autosuffisant pour conclure à l'inaptitude à consentir. Néanmoins, il est régulièrement décrit et présenté comme un facteur parmi d'autres ou comme un facteur aggravant d'autres conditions jugées problématiques. C'est la conjugaison du grand âge avec ces différentes conditions qui permet de conclure que le donateur ou le testateur n'avait plus l'aptitude requise pour se départir de ses biens à titre gratuit »[167]. Ainsi, il faut pondérer l’autonomie de la personne qui est libre de donner et la protection qui doit lui être accordée[168].
[164] Cela étant, l'accusée soutient que sa mère avait la volonté de lui donner l’argent.
[165] Cette prétention concernant des supposés dons totalisant 135 000 $ (40 000 $ + 10 000 $ + 85 000 $) entre en contradiction avec la preuve qui démontre la volonté de L.C. d’agir équitablement avec les membres de sa famille et de ne pas tout concentrer sur l'accusée. Ainsi, dans le testament notarié du 6 mai 2014, la maison est léguée à l'accusée et à D.M. Le résidu du patrimoine est cédé à des membres de la famille selon certaines proportions, dont 40 % chacun à l'accusée et à D.M.
[166] L.C. a-t-elle voulu favoriser l'accusée parce qu’elle s’occupait beaucoup d’elle? La preuve révèle que D.M. a également contribué, surtout pour les travaux pratiques. À certains moments, il participe à des rencontres avec les intervenants de l’hôpital[169]. L’évaluateur Tessier note que L.C. s’en remet totalement à ses enfants, ce qui inclut D.M. Sa mère lui faisait confiance, le nommant remplaçant sur la procuration générale et mandataire avec l'accusée concernant le mandat en prévision de l'inaptitude. Il est de plus nommé avec sa sœur liquidateur à la succession.
[167] Toujours au chapitre de la volonté, le Tribunal retient que L.C. était influençable et pouvait facilement dire oui si quelqu’un lui demandait de l’argent. Le témoignage du fils de l'accusée est éloquent à ce sujet.
[168] Par ailleurs, même si L.C. exprime la volonté de donner à l'accusée, en a-t-elle la capacité?
[169] Concernant le 40 000 $ en mars 2016 :
1) Le diagnostic d’Alzheimer, posé depuis le 18 février 2015, est connu de l'accusée.
2) Ce diagnostic fait l’objet de suivis médicaux le 28 avril et le 17 juin 2015, toujours en présence de l'accusée.
3) Le 7 octobre 2015, alors que la situation se détériore, l'accusée est informée que L.C. n’a pas la capacité de modifier son testament.
4) Le 14 mars 2016, trois jours avant la finalisation du don à la banque, la Dre Beaucage réitère cette incapacité. D’ailleurs, le médecin est étonné de la démarche de l’accusée en ce sens qui se garde bien de parler du 40 000 $. Sans doute qu’elle connaissait la réponse : tout comme la modification du testament, le médecin n’aurait pas accepté[170]. Il est permis de déduire que l'accusée voulait se ménager une preuve pour valider le don en cas d’une éventuelle contestation.
5) Le 17 mars elle procède au retrait de 40 000 $ qui sera suivi d’une traite bancaire de 41 200 $ pour la mise de fonds sur l’achat de la maison.
[170] Comment L.C. peut-elle donner 40 000 $ si elle n’a pas la capacité de modifier son testament? Poser la question, c’est y répondre.
[171] Au procès, l'accusée réduit les problèmes de sa mère à un trouble langagier. Or, le dossier médical en 2015 et 2016, comportant plusieurs suivis avec L.C. accompagnée de l'accusée, fait état de nombreux autres éléments : incapacité de compter l’argent, difficulté d’orientation spatiale et temporelle, incapacité de répondre aux questions d’abstraction et de lire l’heure, incapacité de répéter des mots, difficulté à exprimer les pensées, discours « très très embrouillé ». Dès le 28 avril 2015, la Dre Beaucage constate qu’il ne s’agit pas d’un trouble de langage mais d’un trouble de mémoire avec une situation qui va se détériorer, d’où la discussion avec l'accusée concernant l’homologation du mandat d’inaptitude. De plus, les résultats du test MMSE se détériorent progressivement, passant de 29/30 en novembre 2013 à 14/30 en septembre 2016.
[172] Concernant le 10 000 $ (31 mai 2017) et le 85 000 $ (6 juin 2017) :
1) Le 12 octobre 2016, la Dre Beaucage complète une évaluation concluant à l’inaptitude permanente de L.C. et recommandant l’homologation du mandat d’inaptitude. L'accusée est supposée s’occuper des démarches. À au moins deux reprises, une travailleuse sociale communique avec elle pour donner suite. Elle répond qu’elle n’a pas le temps. Cette inaction conduira à une nouvelle rédaction d’évaluation par la Dre Beaucage le 15 février 2017.
2) J.C. décède le 30 janvier 2017. Selon le testament, L.C. est désignée liquidateur. Il est évident qu’elle ne peut remplir cette fonction.
3) Le 9 mars, l'accusée se présente à la banque et se fait dire par le préposé Grondin qu’il y a des procédures à suivre concernant la succession, dans le contexte de la demande d’homologation.
4) Le 9 mai, l'accusée rencontre une travailleuse sociale qui fait part d’une problématique de jugement de L.C.
5) Également le 9 mai, le travailleur social Tessier complète son évaluation psychosociale concluant à l’inaptitude totale de J.C. à administrer ses biens. L'accusée, qui a retenu les services de M. Tessier, lui a fourni de l’information sur l’état de santé. Elle est en accord avec la démarche d’homologation en raison de l’inaptitude.
6) Le 31 mai, elle retire 10 000 $.
7) Le 6 juin, elle se présente à la banque et remet la procuration générale de 2011 qui donne accès aux placements. Contrairement à 2016, elle ne se fait pas accompagner de sa mère pour rencontrer un préposé. Elle retire 85 000 $.
8) Le 15 juin, la directrice Bucher rencontre L.C. et constate un état de confusion. Cela conduit à un retour de 75 500 $ et à une limite des retraits futurs par l'accusée.
9) Le 22 juin, la travailleuse sociale Bazinet observe des incohérences entre les dires de l'accusée et les notes au dossier médical.
10) Le 6 juillet, dans le cadre de la demande d’homologation, elle signe une déclaration assermentée reconnaissant que L.C. ne peut exercer ses droits civils ni administrer ses biens selon l’évaluation du 15 février 2017.
[173] En somme, que ce soit en 2016 ou en 2017, tous ceux qui gravitent autour de L.C. constatent ses capacités diminuées, la rendant incapable de gérer ses biens. L'accusée, au courant de cet état, procède malgré tout aux retraits.
◊
[174] En ce qui concerne les retraits de 2017, elle soulève un argument de droit civil : les montants sont liés à la succession de J.C. et revenaient à L.C., seule héritière. En 2012, L.C. a donné ou promis de donner cet argent à l'accusée. À cette époque, elle avait toutes ses capacités.
[175] Qu’en est-il?
[176] Selon
l'article
[177] En outre, les supposés dons ne sont aucunement documentés.
[178] Quant à la
promesse de donation, l'article
[179] De plus, l'article
[180] Le Tribunal ne peut donc retenir l’argument d’une donation en 2012.
[181] Par surcroît, comment concilier, d’une part, un supposé don à une seule personne en 2012 et, d’autre part, le testament notarié en 2014 en vertu duquel L.C. répartit son patrimoine entre ses enfants et ses petits-enfants?
[182] Même en supposant que L.C. exprime un souhait en 2012, elle avait le droit de changer d’idée subséquemment.
[183] D’une façon ou d’une autre, l'accusée reconnaît que la question a été rediscutée avec sa mère en 2017, après le décès de J.C. À cette époque, l’incapacité était notoire et connue de l'accusée. Les supposées paroles : « va chercher l’argent » n’avaient pas de valeur sur le plan légal.
[184] Même si le
jugement homologuant le mandat n’est toujours pas rendu, l'article
[185] Il est bien établi que la jurisprudence développée en matière testamentaire traitant de la capacité peut servir concernant les donations[173]. Dans l’arrêt Bertrand c. Opération Enfant Soleil[174], la Cour d’appel rappelle que le fardeau de prouver l'incapacité incombe à celui qui demande la nullité de l'acte puisque chacun est présumé être sain d'esprit. Si cette capacité est sérieusement mise en doute par une preuve prima facie, le fardeau de la preuve se déplace sur celui qui prétend à la validité de l'acte. Il reviendra alors à ce dernier de démontrer la capacité de contracter. Transposée au présent cas, la preuve démontre l’incapacité de L.C. au moment des supposées donations. Les éléments avancés par l'accusée ne démontrent pas la capacité.
◊
[186] L'accusée laisse entendre qu’il n’y a pas de réelle privation puisque l’argent retiré en mai et juin 2017 dans le compte de L.C. allait être remboursé par une entrée de fonds liée à la succession de J.C.
[187] Il n’en demeure pas moins que les actifs de L.C. sont amputés de 95 000 $. L’argent de J.C. n’a toujours pas été transféré dans le patrimoine de L.C.
[188] Selon les volontés testamentaires, J.C. désigne L.C. comme héritière et L.C. répartit ses biens entre ses enfants. L'accusée ne pouvait changer ces volontés légalement exprimées. Elle ne pouvait non plus se faire justice en allant chercher l’argent de sa tante en passant par sa mère.
[189] D’ailleurs, il faut rappeler que l’évaluation de la Dre Beaucage remonte au 12 octobre 2016 et que l'accusée n’a pas fait avancer les démarches d’homologation malgré plusieurs rappels des intervenants sociaux. Si cela avait été fait, elle et son frère auraient été désignés mandataires et auraient conjointement géré et administré les biens de leur mère. Au moment du décès de J.C. en janvier 2017, l'accusée n’aurait donc pu décider seule de la gestion du patrimoine dont héritait sa mère.
◊
[190] L'accusée a-t-elle outrepassé ses pouvoirs de gestion et d’administration des biens de L.C.?
[191] Le 1er septembre 2011, L.C. signe devant notaire une procuration générale donnant à l'accusée le pouvoir de gérer et d’administrer ses biens avec les pouvoirs d’un administrateur du bien d’autrui. Le Code civil, aux articles 1299 et suivants, prévoit les règles de « l’administration du bien d’autrui ».
[192] Toujours
le 1er septembre 2011, L.C. nomme l'accusée et D.M. pour
agir comme mandataires en cas d’inaptitude. Outre les dispositions spécifiques
prévues aux articles
[193] En 2015, L.C. signe une procuration bancaire qui désigne l'accusée et D.M. Encore une fois, on peut référer aux règles du mandat.
[194] Cela étant, l’acte notarié n’accorde pas le pouvoir de faire une donation. De plus, divers articles du Code civil encadrent les pouvoirs de l’administrateur et du mandataire :
|
Administrateur |
Mandataire |
Respecter l’acte et agir dans les limites prévues |
1308 |
|
Agir avec prudence et diligence, honnêteté et loyauté, dans le meilleur intérêt du bénéficiaire |
1309 |
2138 |
Ne pas agir dans l’intérêt de l’administrateur, ne pas se placer en conflit d’intérêts |
1310 |
2138 |
Ne pas confondre les biens |
1313 |
|
Ne pas utiliser à son profit le bien ou l’information (sauf si consentement) |
1314 |
2146 |
[195] Le Tribunal conclut que l'accusée a outrepassé les pouvoirs accordés par l’acte notarié ainsi que les dispositions du Code civil en manœuvrant pour faire les retraits à des fins personnelles, et ce, au détriment de L.C. qui était alors inapte et ne pouvait donner un consentement valide.
[196] Elle a servi ses propres intérêts et non ceux de sa mère.
[197] L'accusée témoigne qu’elle n’avait pas connaissance de ces dispositions. Toutefois, avant de faire les retraits, elle reconnaît ne pas s’être informée. Pourtant, elle était entourée de gens qui pouvaient l’éclairer : la notaire, les préposés à la banque, les intervenants à l’hôpital. Elle a choisi de ne pas consulter et de procéder aux retraits.
[198] Pour paraphraser le juge Sopinka dans l’arrêt de la Cour suprême Jorgensen[176], elle a fermé les yeux parce qu'elle savait ou pouvait fortement soupçonner que si elle regardait elle saurait.
[199] De plus, il entre dans le sens commun qu’avant de retirer plus de 100 000 $ du compte d’une personne aux capacités réduites, l’administrateur ou le mandataire raisonnable prenne la peine de s’informer. Cette personne raisonnable agirait avec transparence à l’égard de ses proches. L'accusée n’a pas appliqué ces règles qui relèvent du gros bon sens.
[200] En outre, elle avait une certaine expérience dans l’administration du bien d’autrui, étant mandataire de sa mère depuis 2011, tutrice à sa tante depuis 2012 et procureure à la banque depuis 2015. Il est impossible qu’elle n’ait pas reçu un minimum d’information sur ses pouvoirs et devoirs.
[201] Par surcroît, le 9 mars 2017, elle est avisée par le préposé de la banque Grondin qu’il y a des formalités à respecter à l’égard du transfert de patrimoine.
[202] Il est reconnu que, selon la gravité des manquements, les dispositions du Code criminel peuvent s’appliquer[177].
[203] Les éléments essentiels du vol sont-ils prouvés?
[204] En mars 2016, l'accusée retire 40 000 $ du compte de L.C. pour une mise de fonds lors de l’achat de sa maison. Elle a besoin de cet argent pour rencontrer les exigences de la SCHL, alors que ses moyens financiers sont limités.
[205] En mai 2017, elle retire 10 000 $. En juin 2017, elle retire 85 000 $ dans le but de faire des placements personnels. Un montant de 9 500 $ est pris en argent comptant pour des dépenses personnelles. Jugeant le retrait de 85 000 $ problématique, la banque bloque la transaction et récupère 75 500 $.
[206] Lors des retraits, elle a donc privé L.C. de son argent. De plus, elle a agi intentionnellement et profité de l’inaptitude. Elle s’est convaincue qu’elle avait droit à cet argent mais cette croyance contredit ses pouvoirs de gestion et d’administration. D’ailleurs, lorsque son fils lui parle d’emprunter de l’argent à L.C., elle lui répond que cela ne se fait pas.
[207] De plus, l’argent de J.C. ne lui appartenait pas puisque légué à L.C. Encore là, on ne retrouve pas de droit ni d’apparence de droit en faveur de l'accusée.
[208] Elle est donc déclarée coupable de vol.
◊
[209] Les éléments essentiels de la fraude sont-ils prouvés?
Ø L’actus reus
[210] Les retraits constituent l’acte malhonnête. De plus, L.C. subit une perte pécuniaire.
[211] Sur le plan objectif, des personnes raisonnables éprouvent un inconfort en raison des faits et gestes de l'accusée : la Dre Beaucage et l’intervenante du SAG lors de la demande de changement de testament; la préposée Roy une fois informée des évaluations médicales après le retrait de 40 000 $; la directrice Bucher après le retrait de 85 000 $; les personnes qui font un signalement au CLSC en juin 2017; la travailleuse sociale Bazinet qui rédige un rapport dans le processus socio-judiciaire; le frère et le fils de l'accusée.
[212] Seule l'accusée trouve la situation normale. C’est tout dire.
Ø La mens rea
[213] L'accusée camoufle
intentionnellement des informations à la banque en 2016 et en 2017 pour retirer
l’argent. Il s’agit là de moyens dolosifs au sens de l'article
[214] Elle manque également de transparence envers la Dre Beaucage lors de la demande de changement de testament en plus de tenir son frère dans l’ignorance. L’obscurité se prolonge lorsque son frère et son fils tentent d’obtenir de l’information sur la gestion. De même, elle induit en erreur la travailleuse sociale Bazinet en lui mentionnant que la Dre Beaucage peut attester de la capacité de sa mère.
[215] Elle sait que sa mère est inapte.
[216] Elle sait ou devait savoir qu’elle outrepasse ses pouvoirs de gestion et d’administration, faisant ainsi preuve d’aveuglement volontaire[178].
[217] Sur le plan subjectif, la preuve démontre une connaissance des actes prohibés et une conscience des conséquences découlant des gestes. Les observations de la juge McLachlin dans l’arrêt Théroux[179] résument bien la situation :
Une personne n'échappe pas à une déclaration de culpabilité pour le motif qu'elle croit qu'elle ne fait rien de mal. Il s'agit de savoir si l'accusé était subjectivement conscient que certaines conséquences résulteraient de ses actes, et non pas s'il croyait que ses actes ou leurs conséquences étaient moraux. Tout comme un meurtrier pathologique ne serait pas acquitté pour le seul motif qu'il ne considérait pas que son acte était moralement répréhensible, le fraudeur ne sera pas acquitté pour le motif qu'il croyait que ce qu'il faisait était honnête.
[218] Cette logique trouve ici application.
[219] L'accusée est donc déclarée coupable de fraude.
◊
[220] Le droit interdit les condamnations multiples[180]. Cette règle a été appliquée par la jurisprudence en matière d’accusations conjointes de vol et de fraude[181]. Un arrêt conditionnel est donc prononcé sur le chef de vol qui est l’infraction la moins grave.
[221] PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[222] DÉCLARE l'accusée coupable à l’égard des chefs 1 (vol) et 2 (fraude).
[223] PRONONCE un arrêt conditionnel concernant le chef 1.
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__________________________________ PIERRE LORTIE Juge à la Cour du Québec |
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Me Julien Beauchamp-Laliberté Directeur des poursuites criminelles et pénales |
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Me Maurice Biron Avocat de l'accusée |
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Dates d’audience : |
11 et 13 septembre 2019, 13 et 14 février 2020 |
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[1] Il n’y a pas d’ordonnance limitant la diffusion des identités. Toutefois, puisque des renseignements personnels sont relatés, le Tribunal utilise les initiales des noms par souci de respect.
[2] Articles 322 et 334a) du Code criminel [C.cr.]. Il s’agit du chef 1.
[3]
Article
[4] Notes sténographiques du 13 février 2020, page 49.
[5]
Tel que reconnu par la jurisprudence et la doctrine en droit civil,
les mots capacité (ou incapacité) et aptitude (ou inaptitude) sont utilisés
indistinctement. Voir : Édith Deleury et Dominique Goubau,
[6] Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec.
[7] Le Tribunal a ordonné la non-divulgation du nom et de la fonction du témoin.
[8] Dans le présent jugement, le Tribunal reproduit certaines notes et procède à des corrections mineures d’orthographe en plus de protéger les identités (ex. : « l'accusée », « L.C. »).
[9]
Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), c. C-5, articles 28,
29, 30 et 30(7). De plus, la Cour suprême, dans Ares c. Venner,
[10] Notes sténographiques du 13 février 2020, page 28.
[11] Pièce PR-2, page 20. Soulignement ajouté.
[12] Clause 1.1.1.
[13] Clause 1.2.
[14] Clause 1.2.3.
[15] Clause 1.11.2.
[16] Clause 1.17.1.
[17] Clause 1.17.2
[18] Clause 1.25.3.
[19] Clause 2.3.2.1.
[20] Clause 2.3.2.2.
[21] Clause 2.4.
[22] Clause 2.9.1.
[23] Pièce PR-D5 (jugement dans le dossier 400-14-003484-113).
[24] Notes sténographiques du 13 février 2020, pages 75 et 76.
[25] Notes sténographiques du 13 février 2020, pages 31 et suivantes.
[26] Pièce PR-D2. Soulignement ajouté.
[27] Revue des systèmes.
[28] Pièce PR-D1.
[29] Pièce PR-14.
[30] Pièce PR-10, pages 2 et suivantes. Soulignement ajouté.
[31] Notes sténographiques du 11 septembre 2019, pages 107 et 108.
[32] Notes sténographiques du 11 septembre 2019, pages 117 et 118. Soulignement ajouté.
[33] Sur le déplacement à la banque, voir le témoignage de la directrice Bucher, notes sténographiques du 13 septembre 2019, page 16.
[34] Notes de la préposée, Pièce PR-2, page 17.
[35] Selon le témoignage de la directrice Bucher, notes sténographiques du 13 septembre 2019, pages 13 et 14.
[36] Pièce PR-10, page 6.
[37] Notes sténographiques du 11 septembre 2019, page 121. Soulignement ajouté.
[38] Notes sténographiques du 11 septembre 2019, page 123.
[39] Notes sténographiques du 11 septembre 2019, page 122.
[40] Notes sténographiques du 11 septembre 2019, page 124. Soulignement ajouté.
[41] Pièce PR-10, page 10.1.
[42] Notes de la travailleuse sociale, PR-10, page 7.
[43] Notes de la travailleuse sociale, PR-10, page 19.
[44] Pièce PR-10, page 12. Soulignement ajouté.
[45] Notes sténographiques du 11 septembre 2019, pages 136 et 137.
[46] Notes sténographiques du 11 septembre 2019, page 140. Soulignement ajouté.
[47] Notes sténographiques du 11 septembre 2019, page 141.
[48] Notes sténographiques du 13 septembre 2019, page 108.
[49] Notes sténographiques du 13 février 2020, page 345.
[50] Notes sténographiques du 13 février 2020, page 67. L’objection de la poursuite a été prise sous réserve.
[51] Notes sténographiques du 13 février 2020, pages 115 et 116.
[52] Notes sténographiques du 13 février 2020, page 223.
[53] Pièce PR-8.
[54] Notes sténographiques du 13 septembre 2019, page 227.
[55] Notes sténographiques du 13 septembre 2019, page 225.
[56] Notes sténographiques du 13 septembre 2019, pages 236 et suivantes.
[57] Notes sténographiques du 13 septembre 2019, page 239. Soulignement ajouté.
[58] Pièce PR-10, page 12.1. Soulignement ajouté.
[59] Pièce PR-10, page 12.2.
[60] Pièce PR-10, page 13. Soulignement et caractère gras ajoutés.
[61] Notes sténographiques du 11 septembre 2019, page 144.
[62] Pièce PR-2, page 17.
[63] Pièce PR-4B.
[64] Pièce PR-11 (index des immeubles).
[65] Notes sténographiques du 13 septembre 2019, pages 115 à 116.
[66] Pièce PR-10, page 15. Soulignement ajouté.
[67] Pièce PR-10, page 17.
[68] Pièce PR-10, page 20. Soulignement ajouté.
[69] Section 6(B) du document.
[70] Section 6(C) du document.
[71] Pilulier.
[72] La partie en italique est écrite à la main.
[73] Section 7 du document.
[74] Notes sténographiques du 13 février 2020, pages 321 et 322. Soulignement ajouté.
[75] Pièce PR-10, page 23.
[76] Pièce PR-10, page 25.
[77] Pièce PR-10, page 26.
[78] Pièce PR-10, page 27.
[79] Notes sténographiques du 13 septembre 2019, page 202.
[80] Notes sténographiques du 13 septembre 2019, pages 202 et 203.
[81] Notes sténographiques du 13 février 2020, pages 163 et 164.
[82] Notes sténographiques du 13 février 2020, page 169.
[83] Pièce PR-12.
[84] Pièce PR-13. Depuis la réforme du Code civil du Québec en 1994, il s’agit du « liquidateur ».
[85] Notes sténographiques du 13 février 2020, pages 144 et 145.
[86] Pièce PR-D6.
[87] Notes sténographiques du 13 février 2020, pages 77 et 78.
[88] Id.
[89] Pièce PR-10, page 28.
[90] Notes sténographiques du 13 février 2020, page 179.
[91] Pièce PR-10, page 28.1.
[92] Pièce PR-10, page 29. Soulignement ajouté.
[93] Notes sténographiques du 13 février 2020, pages 351 et 352.
[94] Pièce PR-18. Soulignement ajouté.
[95] Le testament prévoit que L.C. est liquidateur.
[96] Notes sténographiques du 13 septembre 2019, page 43 et 60.
[97] Pièce PR-3A, page 3 et Pièce PR-3B.
[98] Pièce PR-10, page 31 (notes de l’hôpital).
[99] Notes sténographiques du 13 février 2020, page 147.
[100] Pièce PR-10, page 33.
[101] Pièce PR-16B. Voir également : notes sténographiques du 13 février 2020, page 278.
[102] Soulignement ajouté.
[103] Pièce PR-3A, page 4 et Pièce PR-3B, pages 33 et 34.
[104] Pièce PR-4A, page 14, Pièce PR-4B, page 262, Pièce PR-6B, Pièce PR-6C.
[105] PR-4A, page 14.
[106] Témoignage de la directrice Bucher, notes sténographiques du 13 septembre 2019, page 75.
[107] Pièce PR-2, page 17.
[108] Notes sténographiques du 13 septembre 2019, page 14.
[109] Notes sténographiques du 13 septembre 2019, page 19.
[110] Notes sténographiques du 13 février 2020, page 387.
[111] Notes sténographiques du 13 février 2020, page 78.
[112] Notes sténographiques du 13 septembre 2019, pages 62 et 63. Soulignement ajouté.
[113] Notes sténographiques du 13 septembre 2019, pages 65 et suivantes. Soulignement ajouté.
[114] Notes sténographiques du 13 septembre 2019, page 67.
[115] Pièce PR-2, page 17.
[116] Pièce PR-2, page 17.
[117] Notes sténographiques du 13 septembre 2019, page 182.
[118] Notes sténographiques du 13 septembre 2019, pages 184 et 185.
[119] Pièce PR-15.
[120] Pièce PR-16.
[121] Pièce PR-17.
[122] Notes sténographiques du 11 septembre 2019, pages 226 et 227.
[123] Pièce PR-10, page 34. Soulignement ajouté.
[124] Sécurité publique de Trois-Rivières.
[125] Notes sténographiques du 13 septembre 2019, pages 238 et 239.
[126]
Laval (Ville de) (Service de protection des citoyens, département de
police et centre d'appels d'urgence 911) c. Ducharme,
[127]
Mainville c. Laval (Ville de) (Service de protection des citoyens,
département de police et centre d'appels d'urgence 911),
[128] Ville de Laval, préc., note 126, par. 171.
[129]
Article
[130]
R. c. O'Brien
[131] Annie-Claude Bergeron et Catherine Dumais, « Les infractions criminelles », dans École du Barreau, Collection de droit 2019-2020, vol. 13 « Droit pénal - Infractions, moyens de défense et peine », Cowansville, Édition Yvon Blais, 2019, pages 145 et suivantes. Les références ne sont pas reproduites.
[132]
Goulet c. R.,
[133]
R. c. Olan et al.,
[134]
R. c. Théroux,
[135] R. c. Zlatic,
[136] Id., p. 48.
[137] Id., p. 49.
[138]
Guité c. R.,
[139]
Gisèle Côté-Harper, Pierre Rainville et Jean Turgeon,
[140] R. c. Théroux, préc., note 134, p. 17 et 18; G. Côté-Harper, P. Rainville et J. Turgeon, préc., note 139, p. 476.
[141] R. c. Théroux, préc., note 134, p. 25 et 26 (motifs de la juge McLachlin).
[142] Id., p. 18 (motifs de la juge McLachlin).
[143]
Jacques Gagné et Pierre Rainville,
[144] Goulet c. R., préc., note 132, par. 45 et 46.
[145] Id., par. 47 et suivants.
[146]
R. c. Manseau,
[147] Id., par 102.
[148]
R. c. Satgé,
[149] Id., par. 284.
[150] Id., par. 297.
[151]
R. c. Alm,
[152]
R. c. W.(D.),
[153] R. (P.) c. R., 1998 CanLII 19399 (QC CA), par. 26.
[154]
R.P. c. R.,
[155] Notes sténographiques du 11 septembre 2019, page 84. Notes sténographiques du 13 septembre 2019, page 255. Notes sténographiques du 13 février 2020, pages 317, 374 et 404.
[156] Notes sténographiques du 13 février 2020, pages 393 et 394.
[157] Notes sténographiques du 13 février 2020, pages 339 et 340.
[158] Notes sténographiques du 13 février 2020, pages 381 et suivantes.
[159] Notes sténographiques du 13 février 2020, page 222.
[160] Notes sténographiques du 13 février 2020, page 167.
[161] Notes sténographiques du 13 février 2020, page 293.
[162] Notes sténographiques du 13 février 2020, page 387.
[163] Entre le 6 et le 15 juin 2017.
[164] Notes sténographiques du 13 février 2020, pages 400 et 401.
[165]
Bertrand c. Opération Enfant Soleil,
[166] Loi sur le notariat, RLRQ c. N-3, article 43.
[167] Christine Morin, préc., note 5, page 158. Soulignement ajouté.
[168] Id., page 164.
[169] Notes au dossier, Pièce PR-10, pages 6 et 23.
[170] Notes sténographiques du 11 septembre 2019, pages 117 et 118.
[171]
Article
[172] Soulignement ajouté.
[173] Talbot c. Talbot, préc., note 165, par. 50, note 11.
[174] Bertrand c. Opération Enfant Soleil, préc., note 165, par. 42 et 43.
[175] Édith Deleury et Dominique Goubau, préc., note 5, page 720, par. 767.
[176]
R. c. Jorgensen, 1995 CanLII 85 (CSC),
[177] Madeleine Cantin Cumyn et Michelle Cumyn, L’administration du bien d’autrui, 2e éd., coll. « Traité de droit civil », Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, par. 372 de la version électronique.
[178]
R. c. Briscoe,
[179] R. c. Théroux, préc., note 134, page 18. Soulignement ajouté.
[180]
Kienapple c. R., 1974 CanLII 14 (CSC),
[181]
R. c. Corriveau,
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