Décision

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Riolo Vaccaro c. Duret

2015 QCCA 203

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-024056-137

(505-17-005367-117)

 

DATE :

 5 février 2015

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

GUY GAGNON, J.C.A.

MARIE ST-PIERRE, J.C.A.

 

 

ROSA RIOLO VACCARO

APPELANTE - intimée

c.

ÉRIC DURET

CATHERINE CALY-DURET

INTIMÉS - requérants

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           L'appelante se pourvoit contre le jugement de la Cour supérieure, district de Longueuil (l'honorable Yves Poirier), qui, séance tenante, le 1er novembre 2013[1], la condamne à verser aux intimés les honoraires extrajudiciaires dus à leur propre avocat pour le temps inutilement passé devant le tribunal le 28 octobre 2013.

* *

[2]           Voici les faits.

[3]           Les intimés ont poursuivi les clients de l'appelante, avocate de son état. Le procès est fixé au lundi 28 octobre 2013, et ce, pour quatre jours. Selon ce qu'indique le plumitif, l'avis d'audition en ce sens (art. 278 C.p.c.) a été envoyé aux parties et à leurs avocats le 18 juillet 2013, après que, dans le cadre d'un appel de rôle provisoire tenu le 26 novembre 2012, la cause ait préalablement été fixée au 30 septembre 2013, également pour quatre jours.

[4]           Le 15 octobre 2013, l'appelante se présente à la Régie du logement pour y plaider une importante affaire d'éviction. À cause de l'encombrement du rôle, cependant, l'audition doit être reportée. L'appelante, qui n'a pas en main son agenda et dont l'assistante ne peut être jointe, consent à ce que la cause soit reportée péremptoirement au 28 octobre 2013. Apparemment, elle ne s'est pas souvenue, à ce moment-là, que cette date coïncidait avec celle du début du procès qui devait l'occuper, treize jours plus tard, devant la Cour supérieure.

[5]           Réalisant l'imbroglio dans lequel elle s'est placée, l'appelante n'entreprend pourtant aucune démarche. Elle compte plutôt sur un règlement amiable dans l'un ou l'autre des dossiers. Les pourparlers en cours n'aboutissant toutefois pas[2], l'appelante, le 24 octobre (c'est-à-dire le jeudi précédant la date du début du procès), adresse un courriel au juge coordonnateur[3], courriel dans lequel, arguant de la production tardive, le 23 octobre, de certains documents émanant de la partie adverse, elle réclame que l'affaire soit remise à plus tard « afin de vérifier les informations qui viennent d'être ajoutées au dossier et permettre, s'il y a lieu, les négociations d'un règlement hors Cour »[4].

[6]           L'avocat des intimés s'oppose au report du procès et s'en explique dans un courriel qu'il transmet au juge coordonnateur le même jour[5].

[7]           L'appelante, qui aura également une conversation téléphonique avec le juge coordonnateur, lui adresse alors un autre courriel, toujours le 24 octobre, dans lequel elle lui explique être « aux prises avec un conflit d'horaires », qu'elle décrit succinctement, et l'assure qu'elle « travaille sur une solution »[6]. Son confrère lui répond immédiatement, par courriel, lui suggérant qu'elle se fasse remplacer devant la Régie du logement et l'informant qu'il procédera même par défaut, si nécessaire[7].

[8]           Le juge coordonnateur, par lettre du même jour[8], fait savoir aux avocats qu'« il est trop tard pour qu'une demande de remise du procès soit tranchée par un juge siégeant en division de pratique », de sorte qu'il « défère au juge qui entendra le procès le dépôt de nouveaux documents par la demande ainsi que la demande de remise de procès, le cas échéant ». Cette lettre a-t-elle été envoyée aux avocats avant ou après le second courriel de l'appelante? Le dossier ne le révèle pas clairement, mais, quoi qu'il en soit, la question est renvoyée au juge du procès.

[9]           Par la suite, tout en s'excusant profusément du confit d'horaires dont elle admet être seule responsable, l'appelante tente de convaincre son confrère de l'opportunité de commencer le procès le 29 octobre seulement, plutôt que le 28. Elle lui écrit d'ailleurs à ce propos le dimanche 27 octobre[9]. Elle offre de convenir avec lui d'admissions qui pourraient écourter l'enquête.

[10]        Devant cela, l'appelante, après plusieurs tentatives infructueuses (nous sommes un dimanche, à la veille du procès), confie à une avocate de sa connaissance le soin de la représenter devant la Cour supérieure le 28 octobre 2013, aux fins de suggérer que le procès ne commence que le 29 et se déroule sur trois jours plutôt que quatre. Elle avise également ses clients qu'ils n'auront pas besoin de se présenter à la Cour à cette date.

[11]        On peut signaler que jamais l'appelante n'a songé à s'informer de l'identité du juge présidant le procès ou à lui adresser une requête écrite, ce qu'elle aurait sans doute pu faire le 24 ou le 25 octobre, après avoir reçu la réponse du juge coordonnateur.

[12]        Toujours est-il que, le 28 octobre, elle ne se présente pas devant la Cour supérieure. L'avocate qui la représente (et qui n'est pas en mesure de plaider l'affaire elle-même) explique la situation au juge et propose l'ajournement du procès au lendemain. L'avocat des intimés s'oppose à un tel ajournement : son client est là, il a assigné un témoin qui n'est pas disponible le lendemain (quoiqu'il le soit le surlendemain, ainsi qu'en sera informé le juge) et il réclame donc que l'on procède, par défaut s'il le faut.

[13]        Sans entrer dans les détails, il suffira de dire que le juge, surpris de l'absence inattendue de l'appelante, dont personne ne l'a prévenu, et placé devant l'impossibilité de procéder (sauf par défaut, ce qui ne lui agrée pas, à bon droit), cherche diverses voies de solution. Tout cela prendra un certain temps et requerra que l'on cherche à joindre l'appelante, qui sera en définitive retenue toute la journée devant la Régie du logement.

[14]        À 14 h 41, enfin, le juge décide que le procès sera reporté au lendemain. Il explique à l'avocat des intimés, qui insiste pour procéder par défaut, que le jeu n'en vaut pas la chandelle, signifierait vraisemblablement une éventuelle rétractation de jugement et retarderait d'autant le prononcé d'un jugement final. Il estime en outre (ce qu'il a déjà noté le matin même) que l'affaire peut aisément être entendue en trois jours, plutôt qu'en quatre. L'après-midi se termine sur l'échange suivant :

LA COUR :

            Bien. Si vous avez d'autres représentations relativement à la journée que nous avons faite aujourd'hui…

Me RICARDO Hrtschan :

            C'est les frais.

LA COUR :

            … je vous suggère de les faire demain matin.

Me RICARDO Hrtschan :

            Il y a des… O.K., merci.

[15]        À 15 h 43, l'avocat des intimés envoie un courriel à l'appelante, lui signifiant qu'elle doit être présente devant la Cour supérieure le lendemain et lui indiquant que « [à] l'occasion de la journée de demain, nous ferons aussi nos représentations pour abus de procédure contre vous et vos clients en ce qui a trait à vos agissements d'aujourd'hui »[10].

[16]        Le 29 octobre, l'appelante est présente, bien sûr, et le procès peut commencer. De façon préalable, toutefois, l'avocat des intimés, se fondant sur les articles 54.1 et s. C.p.c., réclame verbalement de l'appelante, personnellement, le paiement des honoraires extrajudiciaires qu'il facturera à ses clients pour la journée du 28 octobre, qu'ils ont inutilement passée à la Cour en raison de la conduite abusive qu'il reproche à sa consœur. Cette demande verbale sera réitérée dans un acte de procédure produit le 31 octobre, selon le plumitif.

[17]        Après avoir entendu sommairement les deux avocats, le juge, s'inspirant manifestement de l'article 54.2 C.p.c., statue de la manière suivante :

Le Tribunal ayant entendu les parties suite à une demande pour déclarer sommairement un abus de la part de l'avocate de la partie adverse;

Considérant que le procès était fixé depuis une longue période;

Considérant que l'avocate a sans autorisation du Tribunal décidé de vaquer à ses occupations auprès de la Régie du logement et a laissé en plan le Tribunal ainsi que la partie demanderesse;

Considérant les obligations déontologiques prévues dans l'exercice des fonctions des avocats;

Le Tribunal conclut sommairement que Me Vaccaro a commis des gestes constituant un abus conformément à l'article 54.1 C.p.c.

En conséquence;

Ordonne à Me Vaccaro de faire ses représentations relativement à telle demande de dommages après la fin de l'audition de la présente affaire incluant plaidoiries au plus tard jeudi le 31 octobre 2013 à 15 h 00 devant le présent Tribunal.

Frais à suivre.

[18]        Cela fut fait. Le 31 octobre, après le procès, le juge entend le témoignage de l'intimé Duret ainsi que celui de l'appelante, qui s'explique. Il entend par la suite les brèves plaidoiries de cette dernière et de son confrère[11]. Le 1er novembre, il rend jugement. À son avis, l'appelante a commis une faute et elle a notamment manqué à l'article 2.07 du Code de déontologie des avocats[12] en ne se présentant pas devant la Cour supérieure le 28 octobre 2013, et ce, sans raison valable, préavis ou autorisation. Il lui reproche de n'avoir rien fait en temps utile pour régler un problème dont elle était pourtant informée depuis plusieurs jours. Il n'est pas tendre envers l'appelante, qui aurait ainsi fait montre d'une témérité blâmable et d'un mépris inacceptable pour les règles de la procédure. Elle a, par insouciance, fait perdre du temps au tribunal et causé préjudice à la partie adverse, celle-ci devant payer son avocat pour la journée perdue du 28 octobre. Il condamne en conséquence l'appelante à verser 2 400 $ aux intimés, en remboursement des honoraires extrajudiciaires en question.

[19]        L'appelante obtient la permission d'appeler de ce jugement[13].

* *

[20]        Il y aura lieu de rejeter le pourvoi et de confirmer la condamnation prononcée à l'encontre de l'appelante, encore que pour des raisons qui diffèrent à certains égards de celles du juge de première instance.

[21]        De l'avis de la Cour, en effet, le contexte de la présente l'affaire ne se prête pas à l'application des articles 54.1 et s. C.p.c., dispositions qui visent en principe les parties au litige, elles-mêmes, et non leurs avocats, ainsi que le rappelle le paragraphe 8 de l'arrêt N.M. c. P.P.[14]. Peut-être n'est-il pas exclu que, dans certaines circonstances, l'avocat, auteur véritable d'un abus autrement imputable, en apparence, à la partie qu'il représente, puisse être sanctionné en vertu de ces dispositions (ce que laisse entendre notre cour dans Cosoltec inc. c. Structure Laferté inc.[15]). Toutefois, il n'est pas utile que nous statuions sur ce point, puisque, en l'occurrence, la situation ne répond ni aux conditions d'application du premier alinéa de l'article 54.1 C.p.c. ni à la définition que le second alinéa donne de l'abus :

54.1     Les tribunaux peuvent à tout moment, sur demande et même d'office après avoir entendu les parties sur le point, déclarer qu'une demande en justice ou un autre acte de procédure est abusif et prononcer une sanction contre la partie qui agit de manière abusive.

            L'abus peut résulter d'une demande en justice ou d'un acte de procédure manifestement mal fondé, frivole ou dilatoire, ou d'un comportement vexatoire ou quérulent. Il peut aussi résulter de la mauvaise foi, de l'utilisation de la procédure de manière excessive ou déraisonnable ou de manière à nuire à autrui ou encore du détournement des fins de la justice, notamment si cela a pour effet de limiter la liberté d'expression d'autrui dans le contexte de débats publics.

54.1     A court may, at any time, on request or even on its own initiative after having heard the parties on the point, declare an action or other pleading improper and impose a sanction on the party concerned.

            The procedural impropriety may consist in a claim or pleading that is clearly unfounded, frivolous or dilatory or in conduct that is vexatious or quarrelsome. It may also consist in bad faith, in a use of procedure that is excessive or unreasonable or causes prejudice to another person, or in an attempt to defeat the ends of justice, in particular if it restricts freedom of expression in public debate.

[22]        Il n'est pas question ici « d'une demande en justice ou d'un acte de procédure » (c.-à-d. « a claim or pleading ») qui serait mal fondé, frivole ou dilatoire, ni d'un comportement vexatoire ou quérulent. Il ne s'agit pas non plus d'un usage de la procédure « de manière excessive ou déraisonnable ou de manière à nuire à autrui ou encore du détournement des fins de la justice » (« excessive or unreasonable or causes prejudice to another person, or in an attempt to defeat the ends of justice »).

[23]        L'appelante, certes, ne s'est pas présentée devant la Cour supérieure alors qu'elle y était dûment convoquée; elle n'a pas pris les mesures qui lui auraient permis d'y être; elle a indûment tardé à informer le tribunal (en l'occurrence le juge coordonnateur) de la difficulté dans laquelle elle se trouvait. Le juge de première instance, à juste titre, considère que les explications qu'elle a fournies sont insuffisantes, explications qu'elle reprend devant la Cour lors de l'audience d'appel, et qui ne sont guère plus convaincantes. Son comportement dénote en effet un manque de jugement et une désorganisation blâmables. Toutefois, s'agissant d'un événement isolé et tenant compte de l'ensemble de la preuve, on peut difficilement parler d'un comportement qui répond au descriptif que l'on trouve au second alinéa de l'article 54.1 C.p.c. La faute de l'appelante n'est pas sans conséquence, soit, mais elle n'atteint pas  - et de loin - le niveau de gravité requis pour qu'on puisse parler d'abus au sens de cette disposition.

[24]        Par ailleurs, les articles 54.1 et s. C.p.c. n'ont pas pour vocation première de réprimer ou sanctionner les fautes déontologiques de ce genre.

[25]        Enfin, il faut rappeler que l'erreur est humaine, l'inadvertance ou l'inattention aussi, de même que le manque ponctuel de jugement. De là à parler d'abus au sens du second alinéa de l'article 54.2 C.p.c., il y a un (grand) pas que la Cour, en l'espèce, ne franchira pas.

[26]        Néanmoins, l'avocat qui, sans raison, sans prévenir (ou sans prévenir en temps utile) et sans y être autorisé, ne se présente pas devant une cour de justice lorsqu'il y est convoqué commet une faute et doit s'attendre à une sanction, laquelle trouve son assise dans les pouvoirs généraux du tribunal, que consacre l'article 46 C.p.c.[16]. Cette sanction est à la fois « punitive dans son imposition et compensatoire dans son effet »[17]. Elle prendra le plus souvent la forme d'une réprimande, assortie ou non d'une indemnité accordée à la partie adverse pour la réparation totale ou partielle du préjudice engendré par la faute de l'avocat. La condamnation peut être prononcée sommairement, après que l'avocat ait eu l'occasion, cela va sans dire, de se faire entendre, d'expliquer son absence et de faire valoir les raisons pour lesquelles son comportement ne devrait pas être jugé fautif ou, s'il l'est, mériterait clémence[18].

[27]        La condamnation prononcée contre l'appelante, en même temps punitive et compensatoire, répond-elle à cette exigence procédurale? Il est vrai que, en raison de l'application que le juge a faite de l'article 54.2 C.p.c., il a été décidé dès le matin du 29 octobre que, à première vue, la conduite de l'appelante était fautive et qu'elle devrait s'en justifier. Cette décision préliminaire, cependant, n'a pas été prononcée sans que l'appelante ait été entendue et qu'elle ait présenté ses observations au juge. Signalons au passage que, sauf pour ce qui figure au procès-verbal de l'audience, nous ignorons ce qui s'est dit exactement à ce sujet, puisque l'appelante n'a pas jugé utile de faire transcrire et de joindre à son mémoire les notes sténographiques pertinentes. Il appert néanmoins qu'elle a pu se défendre à ce stade.

[28]        Cela dit, cette même décision préliminaire, par ailleurs, renvoyait la détermination finale à plus tard et donnait ainsi à l'appelante une seconde occasion de contrer les reproches qu'on lui adressait. En réalité, la manière de faire n'était pas tellement différente de ce qu'elle aurait été si, plutôt que de statuer en vertu de l'article 54.2 C.p.c., le juge, au matin du 29 octobre, avait tout simplement, sur réception de la requête verbale des intimés, demandé à l'appelante de s'expliquer ultérieurement, ce qui suppose nécessairement une détermination implicite qu'il y a matière à débat et matière à se défendre.

[29]        C'est donc le 31 octobre 2013, à l'issue du procès, que l'appelante a pu se défendre, preuve à l'appui. Pouvait-elle craindre cependant que la décision préliminaire n'ait un effet irrémédiable sur le jugement à venir et, disons-le crûment, que le juge ne soit partial et préjugé? Les notes sténographiques de l'audience du 31 octobre, de même que le jugement prononcé par la suite ne démontrent aucunement que le juge s’est fermé aux explications que lui a fournies l'appelante lors de son témoignage ni qu'il les a écartées du revers de la main, sans les considérer. Au contraire, l'appelante a pu expliquer tout ce qu'il y avait à expliquer et, manifestement, le juge a statué comme s'il reprenait l'affaire de novo.

[30]        L'appelante a-t-elle bénéficié du temps nécessaire à la préparation de sa défense? On peut comprendre que, informée le matin du 29 octobre de ce qu'elle devra répondre à une demande visant à faire déclarer sa conduite abusive, mais tenue par ailleurs de représenter ses clients dans le procès qui commence ce jour-là et se terminera le 31, l'appelante n'a pas eu beaucoup de temps pour mûrir sa défense. Les circonstances, on peut le concéder, n'étaient pas propices à la sérénité. D'un autre côté, l'affaire n'avait rien de complexe, l'appelante était la seule à être en pleine possession des faits justifiant son comportement et elle a d'ailleurs fourni toutes les explications qu'il lui était possible de donner, explications qu'elle reprend du reste dans son mémoire d'appel et de même à l'audience devant la Cour.

[31]        Sur tous ces plans, l'équité procédurale, dans sa substance, a donc été respectée.

[32]        Y a-t-il lieu de réformer le jugement sur le fond? Une réponse négative s'impose.

[33]        Comme on l'a vu précédemment, les qualificatifs employés par le juge pour décrire le comportement de l'appelante sont trop durs, soit dit en tout respect, mais il demeure que l'appelante a indubitablement commis une faute, faute résultant d'une série de décisions irréfléchies. Elle s'est elle-même, par manque d'organisation, placée dans la situation de conflit d'horaires que l'on sait; elle n'a pas tenté de résoudre ce problème dès qu'elle en a pris conscience, se contentant plutôt d'espérer qu'un heureux coup du sort (c.-à-d. le règlement amiable de l'un ou l'autre de ses dossiers) la sorte d'embarras; elle n'a agi qu'à la toute dernière minute, acculée au pied du mur, ne prenant pas les moyens requis pour aviser le tribunal de la difficulté dans laquelle elle s'était placée et se trouvant en fin de compte à imposer unilatéralement au juge et à la partie adverse la solution qu'elle estimait appropriée.

[34]        Il est vrai que l'appelante pratique seule, mais cela ne peut, en soi, l'excuser ni justifier sa conduite : la pratique en solitaire requiert des précautions qui ne semblent pas avoir été prises en l'espèce. Par ailleurs, il faut signaler que l'appelante n'a pas non plus l'excuse du manque d'expérience. Elle a, précise-t-elle à l'audience d'appel, vingt ans de barreau et fréquente régulièrement les tribunaux. Son manque de diligence et de transparence, notamment envers le juge coordonnateur, ne joue pas en sa faveur, dans ce contexte.

[35]        L'appelante ne peut pas non plus reprocher à son confrère de n'avoir pas consenti à sa demande initiale de remise ou au report du début du procès au 29 octobre. L'avocat des intimés s'est montré intransigeant, peut-être, mais il n'était pas tenu d'acquiescer à une requête de dernière minute concernant un procès de quatre jours (son consentement, de toute façon, n'aurait pas lié le tribunal[19]). Quant à ce qui s'est produit le 28 octobre même, l'on ne peut aucunement reprocher au juge de première instance d'avoir cherché une solution avant de constater, au milieu de l'après-midi, que, l'heure avançant et l'appelante n'étant toujours pas disponible, il convenait d'ajourner l'affaire au lendemain.

[36]        Sans doute ne s'agit-il pas de se montrer impitoyable et de sanctionner implacablement tout retard ou toute absence, même injustifiés et fautifs. Une condamnation comme celle de l'espèce devrait normalement demeurer l'exception. La conduite de l'appelante, cependant, n'est pas propice à une manifestation d'indulgence.

[37]        Outre ce qui en a été dit plus haut, elle n'a respecté ni l'autorité de la Cour supérieure et de ses juges ni le principe de préséance et, en pratique, elle a fait perdre au juge de première instance des heures précieuses qui auraient pu être consacrées à d'autres tâches, au bénéfice d'autres justiciables (ce qui, dans un contexte de rareté des ressources judiciaires, ne saurait être ignoré). L'organisation des rôles au sein d'un tribunal d'instance, en l'espèce la Cour supérieure, est une affaire délicate et complexe et ne peut fonctionner que si les avocats en respectent scrupuleusement les règles.

[38]        Par ailleurs, il n'est pas besoin d'insister sur le fait que le comportement fautif de l'appelante a également causé préjudice aux intimés, tenus de verser à leur avocat des honoraires extrajudiciaires pour une journée (ou presque) inutilement passée au palais de justice de Longueuil. On peut parler ici d'une faute civile qui engendre un préjudice susceptible d'être compensé (et ce, même si l’on peut trouver ironique que l'avocat des intimés, qui a perdu son temps le 28 octobre, ait passé - on aurait envie de dire dépensé - presqu'autant d'heures à exiger, au nom de ses clients, les honoraires de ce jour-là).

[39]        La réparation accordée par le juge aux intimés était-elle raisonnable? Comme on le sait, ce n'est jamais qu'avec prudence, et non sans en vérifier d'abord les justificatifs, que l'on peut ordonner à une personne de payer les honoraires extrajudiciaires d'une autre[20]. Or, en l'espèce, le juge a pu constater lui-même le temps perdu par l'avocat des intimés le 28 octobre, le taux horaire exigé n'a rien d'excessif, le nombre des heures réclamées non plus. Sur ce dernier point, l'appelante fait cependant valoir que l'on n'aurait pas dû indemniser les intimés au delà de la fin de l'audience du 28 octobre (qui s'est terminée à 14 h 41), mais vu l'heure de leur arrivée au palais de justice et les conséquences qui s'ensuivaient nécessairement de l'ajournement, on ne peut voir d'erreur révisable dans cette conclusion du juge. Pour le reste, il suffira de dire que, ayant considéré toutes les circonstances (incluant le fait que le procès n'a pas été prolongé par suite de l'absence de l'appelante), le juge, en fixant le montant des dommages, a exercé son pouvoir d'appréciation discrétionnaire d'une manière qui n'appelle pas l'intervention de la Cour.

[40]        Au total, la condamnation de 2 400 $ est sévère, mais n'est pas disproportionnée et ne peut donner prise à réformation.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[41]        REJETTE l'appel, avec dépens.

 

 

 

 

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

 

 

 

 

 

GUY GAGNON, J.C.A.

 

 

 

 

 

MARIE ST-PIERRE, J.C.A.


 

 

Rosa Riolo Vaccaro

Personnellement

 

Me Ricardo Hrtschan

HRTSCHAN, AVOCATS INC.

Pour les intimés

 

Date d’audience :

13 janvier 2015

 



[1]     Les motifs de ce jugement ont fait l'objet d'une transcription datée du 26 novembre 2013.

[2]     Dans le cas du dossier qui doit procéder devant la Cour supérieure, l'avocat des intimés, le 18 octobre 2013, informe le juge coordonnateur qu'aucune entente n'est possible entre les parties et que l'affaire procédera donc comme prévu. Voir pièce R-2 (courriel de Me Hrtschan à l'adjointe du juge coordonnateur, avec copie à l'appelante, en date du 18 octobre 2013, à 13 h 06).

[3]     Le 7 octobre 2013, le juge coordonnateur a, par lettre circulaire, informé les parties de la supervision qu'il exercerait sur le dossier (voir pièce R-1).

[4]     Pièce R-4 (courriel de l'appelante, adressé à l'adjointe du juge coordonnateur, avec copie à l'avocat des intimés, en date du 24 octobre 2013, à 10 h 48).

[5]     Pièce R-5 (courriel de Me Hrtschan, adressé à l'adjointe du juge coordonnateur, avec copie à l'appelante, en date du jeudi 24 octobre 2013, à 11 h 24).

[6]     Pièce R-7 (courriel de l'appelante, adressé à l'adjointe du juge coordonnateur, avec copie à Me Hrtschan, en date du jeudi 24 octobre 2013, 15 h 28).

[7]     Pièce R-8 (courriel de Me Hrtschan adressé à l'appelante, en date du jeudi 24 octobre 2013, à 15 h 50).

[8]     Lettre du 24 octobre 2013, pièce R-6.

[9]     Voir la pièce R-9 (courriel de l'appelante, adressé à Me Hrtschan, avec copie au juge coordonnateur et à son adjointe, en date du dimanche 27 octobre 2013, à 16 h 53).

[10]    Courriel de Me Hrtschan adressé à Me Vaccaro, en date du lundi 28 octobre 2013, à 15 h 43.

[11]    Notons ici que le juge a rappelé à l’ordre l'avocat des intimés lorsque celui-ci, dépassant le cadre de sa requête, a voulu alléguer d'autres causes de reproche contre sa consœur : voir les notes sténographiques du 31 octobre 2013, p. 132-133.

[12]    RLRQ, c. B-1, r. 3.

[13]    Riolo Vaccaro c. Duret, 2013 QCCA 2217.

[14]    2010 QCCA 1326.

[15]    2010 QCCA 1600, paragr. 69.

[16]    Ces pouvoirs, inhérents à la compétence de la Cour supérieure, sont également dévolus à la Cour du Québec dans la mesure où la sanction de l'absence de l'avocat devant le tribunal (manquement in facie) et du préjudice consécutif à la partie adverse est liée à l'exercice de sa compétence sur les matières que lui a confiées le législateur, le tout au sens des arrêts Société de l'assurance automobile du Québec c. Paul, 2012 QCCA 1627, J.E. 2012-1831, et, par analogie, Radio-Canada c. Comm. de police du Québec, [1979] 2 R.C.S. 618.

      Voir aussi : Trang v. Alberta (Edmonton Remand Centre), 2007 ABCA 267 (la conduite fautive d'un avocat cause l'ajournement d'un appel). Par analogie également, voir : Pacific Mobile Corporation c. Hunter Douglas Canada Limited, [1979] 1 R.C.S. 842; Michalakopoulos c. Sam Levy & Associés inc., 2009 QCCA 427, paragr. 42 à 45 (s'agissant dans ces affaires de dépens incluant des honoraires extrajudiciaires, en matière de faillite).

[17]    Yves-Marie Morissette, « L'initiative judiciaire vouée à l'échec et la responsabilité de l'avocat ou de son mandant », (1984) 44 R. du B. 397, p. 415.

[18]    Voir Michalakopoulos c. Sam Levy & Associés inc., précité, note 16, paragr. 56 et s.

[19]    Voir ainsi l'art. 27 du Règlement de procédure civile (Cour supérieure), RLRQ, c. C-25, r. 11.

[20]    Hébert (Succession de), 2011 QCCA 1170; Iris, Le groupe visuel (1990) inc. c. 9105-1862 Québec inc., 2012 QCCA 1208; Delacretaz c. Triple AAA Architecture and Construction Inc., 2013 QCCA 2089.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.