St-Pierre c. Deneault |
2020 QCRDL 6609 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau dE Montréal |
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No dossier : |
481240 31 20190916 G |
No demande : |
2847056 |
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Date : |
24 février 2020 |
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Régisseure : |
Chantal Boucher, juge administrative |
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Collin St-Pierre |
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Locateur - Partie demanderesse |
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c. |
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Jean-Pierre Deneault |
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Locataire - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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[1] Le
locateur demande la résiliation du bail du locataire à la suite du comportement
violent et agressif de celui-ci envers le locateur lui-même et les autres
locataires en vertu de l’article
[2] Il appert de la preuve que les parties sont liées par un bail verbal ayant débuté le 1er mai 2018 au loyer mensuel de 478 $, reconduit de mois en mois.
Faits au dossier
[3] Bien que dûment convoqué, le locataire est absent à l’audience. Le Tribunal a reçu en preuve le témoignage du locateur ainsi que celui d’un des locataires et les pièces P-1 à P-3.
[4] Le locateur témoigne à l’audience que le locataire trouble la jouissance paisible de tous les autres locataires de l’immeuble en indiquant qu’il a reçu plusieurs plaintes à cet effet. Il déclare que la police a dû intervenir à plusieurs reprises suivant des comportements agressifs du locataire.
[5] Le locateur explique que le locataire occupe le logement du sous-sol. Après l’arrivée du locataire concerné, le locataire occupant le logement du dessus a formulé plusieurs plaintes au locateur indiquant que le locataire du dessous tenait à son endroit des propos racistes et homophobes. Ce locataire a fini par quitter le logement en raison de cette situation.
[6] Le locateur déclare qu’il a été personnellement témoin du vocabulaire utilisé par le locataire à l’endroit de cet autre locataire et témoigne au Tribunal, sans vouloir nécessairement répéter les mots exacts vu leur portée et leur caractère irrespectueux, que ceux-ci étaient clairement racistes et homophobes.
[7] À la suite du départ de ce locataire, le locateur a entrepris des travaux dans le logement qui, tel que mentionné précédemment, est celui situé au-dessus de celui du locataire visé par cette procédure.
[8] Le locateur relate un événement survenu le 9 août 2018. Il témoigne qu’il faisait certains travaux dans le logement au-dessus du locataire. À un moment, il entend cogner à la porte et va ouvrir. En ouvrant la porte, le locateur témoigne qu’il a reçu un coup de poing directement dans son épaule. Il déclare que s’il n’avait pas eu le réflexe de tenter d’esquiver le coup, il l’aurait reçu au visage.
[9] Le locateur déclare que le locataire a tenté d’entrer dans le logement, mais qu’il a réussi à refermer la porte. Il s’est par la suite assis pour reprendre ses esprits et a appelé le service de police, tel qu’il appert de la pièce P-3. Pendant son appel, il déclare que le locataire criait dans le corridor devant le logement.
[10] Le service de police a pris les déclarations reliées à l’événement, mais le locateur indique qu’il n’a pas voulu porter plainte.
[11] À la suite de cet événement, le locateur a signifié une mise en demeure au locataire par huissier le 21 août 2018, lui demandant de cesser toutes formes de violence physique et verbale envers lui et les autres locataires et d’adopter un comportement approprié.[1]
[12] Le locateur témoigne également qu’à la suite des plaintes répétées des locataires du rez-de-chaussée, il a dû verrouiller l’accès menant du sous-sol au rez-de-chaussée, car le locataire l’utilisait pour aller déranger les locataires de ces logements, alors qu’il n’avait pas l’autorisation de monter à cet étage. Il a pris cette action en octobre 2019.
[13] Le locateur ajoute que depuis la signification de la demande introduite à la Régie du logement demandant la résiliation du bail du locataire, celui-ci s’est un peu calmé et il reçoit moins de plaintes.
[14] Le locateur présente l’actuel locataire du logement situé directement au-dessus du locataire dont on reproche le comportement comme témoin à l’audience.
[15] Le témoin déclare qu’il habite son logement depuis le 1er septembre 2018. Il déclare que près d’un mois après son arrivée dans l’immeuble, il a fait une soirée chez lui où il y a eu un peu plus de bruit qu’à l’habitude.
[16] Il déclare que le lendemain, il a vu le locataire coller son visage à la fenêtre de son logement pour regarder à l’intérieur. Il indique que son logement est de type un et demi et donc le locataire pouvait tout voir.
[17] Le témoin raconte que lorsqu’il a vu le visage du locataire dans sa fenêtre, il est sorti à l’extérieur pour aller à sa rencontre.
[18] Le locataire lui a alors dit qu’il était mieux d’arrêter de faire du bruit sinon il y aurait des conséquences. Le locataire a ajouté qu’il était l’ancien entraîneur de Georges St-Pierre et ancien boxeur et que même s’il était âgé il était toujours capable de se battre.
[19] Le témoin déclare qu’il s’est senti très nerveux, car la posture du locataire lui faisait penser qu’il était prêt à se battre. Il déclare qu’il a demandé au locataire s’il était entrain de le menacer physiquement. Le locataire a alors quitté les lieux en criant et en déclarant « tu es bien mieux de faire ce que je dis ».
[20] Le témoin ajoute que depuis cet événement et pendant près d’un an, le locataire à tout moment tentait de le déranger en cognant sur son plafond avec un objet et criait à son endroit qu’il était pour utiliser ses relations de la GRC pour intervenir chez lui et le remettre à sa place.
[21] Le témoin raconte un autre événement survenu le 13 septembre 2019. Il déclare que cette journée-là, il entend beaucoup de bruit sur l’étage. Il sort de son logement et voit le locataire frapper à la porte d’un autre locataire avec un bâton très violemment. Il entend le locataire dire « ouvre la porte ou je la défonce ».
[22] Le témoin indique qu’il s’est précipité à l’extérieur de l’immeuble et a envoyé un message texte au locataire en question qui lui a répondu qu’il avait appelé le service de police. Il ajoute que des policiers sont arrivés peu de temps après et ont pris leur déposition.
[23] Le témoin relate un dernier événement marquant survenu le 19 octobre 2019. Alors qu’il était dans son logement avec sa copine, il entend soudainement frapper violemment sur sa porte d’entrée. Il entend la voix du locataire du dessous lui crier qu’il doit sortir de son logement.
[24] Le témoin indique qu’il ne s’est pas senti en sécurité et a appelé le service de police qui est intervenu sur les lieux. Il ajoute que le locataire criait si fort qu’il avait de la difficulté à parler avec l’opérateur du 911.
[25] À la fin de son témoignage, le locataire déclare qu’il ne se sent pas en sécurité dans son logement et espère ne plus avoir à revivre ce type de situation.
Droit applicable et analyse
[26] En premier lieu, il est important de rappeler que celui qui veut faire valoir une prétention doit en faire la preuve au Tribunal par prépondérance de preuve.[2]
[27] Le fondement de la
présente demande est basé sur l’article
« 1863. L’inexécution d’une obligation par l’une des parties confère à l’autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l’exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l’inexécution lui cause à elle-même ou, s’agissant d’un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.
L’inexécution confère, en outre, au locataire le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l’avenir. »
[28] Le locateur demande la résiliation de bail en invoquant que le comportement du locataire trouble la jouissance paisible des autres locataires.
[29] Pour que le Tribunal puisse conclure à la résiliation de bail pour ce motif, le locateur doit faire la preuve par prépondérance que le comportement allégué est de nature à troubler la paix des autres locataires et que les conséquences de ce comportement lui causent un préjudice sérieux.
[30] Concernant le premier
point, soit celui de ne pas troubler la jouissance des autres occupants, le
Tribunal se réfère à l’article
« 1860. Le locataire est tenu de se conduire de manière à ne pas troubler la jouissance normale des autres locataires.
Il est tenu, envers le locateur et les autres locataires, de réparer le préjudice qui peut résulter de la violation de cette obligation, que cette violation soit due à son fait ou au fait des personnes auxquelles il permet l’usage du bien ou l’accès à celui-ci.
Le locateur peut, au cas de violation de cette obligation, demander la résiliation du bail. »
[31] Pour bien cerner le
droit applicable, il y a lieu également de prendre en compte l’article
« 976. Les voisins doivent accepter les inconvénients normaux du voisinage qui n’excèdent pas les limites de la tolérance qu’ils se doivent, suivant la nature ou la situation de leurs fonds, ou suivant les usages locaux. »
[32] Il ressort de ces deux articles lus en parallèle, qu’un locataire doive se conduire à ne pas troubler les autres locataires de façon anormale. Aucune définition claire n’est donnée au terme normal, mais celui-ci a été précisé à plusieurs reprises dans la jurisprudence. Le Tribunal fait siens les propos de la juge administrative Jodoin dans la décision Gelly c. Doucet :
« Il ressort de ces principes que pour donner ouverture à la résiliation du bail, la preuve doit révéler une série de faits établissant des inconvénients anormaux ou excessifs qui présentent un caractère de persistance ou de répétition; le locataire auteur du trouble doit avoir agi de façon illégitime ou fautive; il faut aussi prouver la dénonciation du trouble au locataire et sa persistance par la suite.
En cette matière, le tribunal ne peut fonder son appréciation sur des considérations subjectives et doit chercher à déterminer si les locataires plaignants vivent une situation qui par sa répétition, insistance et ampleur constitue une atteinte grave, excessive ou déraisonnable justifiant la résiliation du bail. Cette analyse doit se fonder sur des critères objectifs et probants. Ce qui est incommodant pour certains peut ne pas l'être pour d'autres et ainsi, le tribunal est appelé à se prononcer uniquement sur une situation extraordinaire et inhabituelle. »[3]
[33] Le Tribunal a entendu le témoignage du locateur ainsi que celui du locataire occupant le logement au-dessus du locataire dont le comportement est reproché.
[34] Le Tribunal juge que ces témoignages étaient crédibles, éloquents et précis. En effet, les témoignages ont été livrés de façon objective, sentis et sans exagération. Le Tribunal a pu notamment constater dans quelle mesure le comportement du locataire nuisait à la jouissance des lieux des autres occupants.
[35] Le témoin à l’audience, étant locataire de l’immeuble, a su bien traduire et expliquer le sentiment d’insécurité dans lequel il vivait continuellement en lien direct avec les comportements agressifs et violents du locataire concerné.
[36] Le Tribunal prend très au sérieux les menaces verbales soulevées par les témoignages à l’audience ainsi que la continuité dans le temps. En effet, il est clair dans l’esprit du Tribunal que ce comportement n’est pas un événement isolé et perdure depuis l’arrivée du locataire.
[37] En effet, malgré la mise en demeure reçue en août 2018, le locataire a continué à adopter des comportements agressifs et menaçants envers les autres locataires.
[38] Le Tribunal prend également en compte l’agressivité physique dont le locateur a été victime et qui renforce la prétention que le locataire représente une menace sérieuse.
[39] Malgré le fait que le locateur indique que depuis la signification en septembre 2019 de la demande produite à la Régie, la situation s’est calmée, le Tribunal note que le locataire du logement du dessus a vécu une autre situation impliquant le locataire concerné en octobre 2019, où il s’est senti menacé et pas en sécurité au point d’appeler le service de police.
[40] Le Tribunal estime donc que le locataire, par son comportement, contrevient clairement à son obligation de ne pas troubler la jouissance paisible des autres locataires.
[41] Concernant le préjudice sérieux, le Tribunal estime que les faits parlent d’eux-mêmes.
[42] Le locateur a fait la preuve que le comportement du locataire du fait de sa violence, sa constance et ses menaces, met la sécurité des autres locataires à risque. De plus, le locataire précédent qui occupait le logement au-dessus du locataire concerné a quitté à la suite des comportements inacceptables de celui-ci. Également, le locateur a dû mettre en place un système bloquant l’accès au rez-de-chaussée pour assurer la sécurité de ses autres locataires.
[43] Tous ces éléments pris ensemble démontrent bien au-delà de la prépondérance de preuve le caractère sérieux du préjudice causé par le comportement du locataire.
[44] Le Tribunal estime donc, que cette situation engendrée par le comportement du locataire empêche le locateur de procurer la jouissance paisible des lieux à tous ses locataires, obligation qu’il se doit de remplir, selon la Loi.
[46] Par conséquent, considérant le préjudice sérieux que la présence du locataire cause au locateur et aux autres locataires et qu’il s’agit d’une atteinte grave, répétitive et déraisonnable, le Tribunal estime que la demande de résiliation du bail doit être accueillie.
[47] Le Tribunal estime que le préjudice causé au locateur justifie l'exécution provisoire de la décision, comme il est prévu à l'article 82.1 de la Loi sur la Régie du logement[4].
POUR CES MOTIFS LE TRIBUNAL :
[48] ACCUEILLE la demande du locateur;
[49] RÉSILIE le bail et ORDONNE l’expulsion du locataire et de tous les occupants du logement;
[50] ORDONNE l’exécution provisoire, malgré l’appel, de l’ordonnance d’expulsion à compter du 11e jour de sa date;
[51] CONDAMNE le locataire à payer au locateur la somme de 99 $ à titre de frais de justice.
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Chantal Boucher |
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Présence(s) : |
le locateur |
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Date de l’audience : |
18 février 2020 |
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AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.