Décision

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Bellemare c. Bhogal

2022 QCTAL 33768

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau de Montréal

 

No dossier:

631370 31 20220505 F

No demande:

3546945

RN :

 

3620878

 

Date :

17 novembre 2022

Devant la greffière spéciale :

Me Shuang Shuang

 

Danièle Bellemare

 

Stéphanie Bellemare

Locatrices - Partie demanderesse

c.

Harleen Bhogal

Locataire - Partie défenderesse

 

DÉCISION

 

 

[1]         Les locatrices ont produit une demande de fixation de loyer, conformément aux dispositions de l’article 1947 du Code civil du Québec, ainsi qu’une demande de remboursement des frais.

[2]         Les parties sont liées par un bail du 1er juillet 2021 au 30 juin 2022, à un loyer mensuel de 1 032,00 $.

[3]         Le Tribunal, lorsque saisi d’une demande de fixation ou de réajustement de loyer en vertu de l’article 1947 du Code civil du Québec, modifie le loyer au terme du bail en tenant compte, selon la part attribuable au logement, des critères prévus au Règlement sur les critères de fixation de loyer[1].

[4]         Les locatrices ont produit le formulaire de renseignements nécessaires à la fixation du loyer, ainsi que les pièces justificatives et les factures au soutien de ces renseignements, sauf quant au bail du local commercial.

[5]         Le Tribunal a autorisé les locatrices à produire après audience la preuve requise au dossier, et ce, au plus tard le 3 octobre 2022. Les locatrices ont respecté l’autorisation de produire.

[6]         Il appert du bail commercial produit en preuve que le loyer exigible pour décembre 2021 est de 22 424 $. Ce montant sera considéré pour les fins du présent calcul de réajustement de loyer.


[7]         Après calcul, l’ajustement du loyer permis en vertu du Règlement sur les critères de fixation de loyer[2] est de 32,15 $ par mois, s’établissant comme suit :

 

Taxes municipales et scolaires

6,17 $

Assurances

 5,30 $

Gaz

 0,00 $

Électricité

 0,15 $

Mazout

 0,00 $

Frais d’entretien

2,77 $

Frais de services

0,00 $

Frais de gestion

 1,39 $

Réparations majeures, améliorations majeures,

mise en place d’un nouveau service

 

 6,48 $

Ajustement du revenu net

 9,89 $

 

TOTAL

 

 32,15 $

LES FRAIS

[8]         Les locatrices demandent également que la locataire soit condamnée au paiement des frais de la demande.

[9]         En matière de remboursement des frais engagés lors d’une demande de fixation de loyer, le principe veut que ce soit le locateur qui assume les frais introductifs de la demande de fixation. Ce principe est réitéré dans l’affaire A. Rossi buildings c. Bradley[3], maintes fois citée par la jurisprudence subséquente :

« […] en matière de fixation de loyer, le législateur a tarifié le coût de cette demande alors que le locateur exerce un recours prévu par la loi qui constitue le seul moyen de fixer l’augmentation à laquelle il peut avoir droit. Par ailleurs, le locataire a parallèlement exercé son option de refuser l’augmentation demandée et ce faisant, il exerce lui-même un droit conféré par la loi.

C’est pourquoi, lorsque la Régie statue sur une telle demande, elle détermine l’augmentation à laquelle le locateur a droit sans blâmer pour autant le locataire d’avoir contesté et dans la majorité des cas, le locateur doit assumer le coût de cette procédure. »

[10]     Cela dit, le Tribunal administratif du logement a établi, dans la même affaire, les critères applicables pour déroger au principe général. Ainsi, pour réussir à récupérer les frais de la demande, le locateur doit en premier lieu, avant même de déposer sa demande, établir qu’il a tenté de négocier avec le locataire, notamment en lui donnant accès aux données pertinentes à la fixation de loyer et, en second lieu, il doit obtenir par la décision une augmentation égale ou supérieure à celle demandée dans son avis.

[11]     Le Tribunal souligne que les critères susmentionnés sont cumulatifs et qu’il appartient au locateur d’établir, à la satisfaction du Tribunal, ces deux éléments factuels pour réussir à récupérer les frais déboursés pour l’introduction de sa demande au Tribunal.

[12]     Dans une autre décision[4] rendue en révision par le Tribunal administratif du logement, les juges administratifs Francine Jodoin et Christine Bissonnette précisent les balises jurisprudentielles en matière de condamnation du locataire aux frais introductifs de la demande. Elles s’expriment comme suit :

« [36] Par ailleurs, le Tribunal a dû se pencher sur diverses situations qui lui étaient présentées pour décider s'il y avait lieu de condamner le locataire à rembourser les frais au locateur.

[37] Tentant d’endiguer une certaine pratique où le locataire exerçait son droit de refus de façon déraisonnable, la jurisprudence a développé certaines balises.

[38] Cette première décision du bureau de révision a identifié certaines exceptions au principe desquelles se dégageaient alors deux critères que le locateur doit remplir pour faire valoir le remboursement aux frais.


[39] Le premier critère vise à analyser le contexte de négociation entre les parties et les efforts du locateur. La seconde condition est d'obtenir par la décision rendue une augmentation au moins égale à celle qui a été demandée. Or, pour faire l'analyse de ces conditions, le locateur doit offrir une preuve claire et précise dans chaque cas puisqu'il s'agit d'une question de faits.

[40] À cet égard, c'est à tort que le procureur du locateur indique que la bonne ou la mauvaise foi ou l'attitude générale du locataire n'est pas en cause dans ces négociations, car la jurisprudence citée démontre au contraire que le Tribunal a sanctionné chez le locataire un comportement insouciant ou un refus systématique de négocier par la condamnation aux frais parce qu'il en résultait de sa part, un exercice déraisonnable de son droit en vertu des articles 6, 7 et 1375 du Code civil du Québec qui traitent de la bonne foi et qui se lisent comme suit :

« 6. Toute personne est tenue d'exercer ses droits civils selon les exigences de la bonne foi. »

« 7. Aucun droit ne peut être exercé en vue de nuire à autrui ou d'une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l'encontre des exigences de la bonne foi. »

« 1375. La bonne foi doit gouverner la conduite des parties, tant au moment de la naissance de l'obligation qu'à celui de son exécution ou de son extinction. »

[41] Est-ce à dire que le locateur doit prouver la mauvaise foi du locataire dans chaque cas? Le Tribunal ne croit pas. Il doit cependant démontrer que le locataire n'a pas participé à une négociation légitime alors que de son côté, tous les documents et les explications nécessaires lui ont été fournis pour en venir à un règlement. »

[13]     Dans le dossier à l’étude, le Tribunal conclut qu’il n’y a pas lieu de condamner la locataire aux frais introductifs de la demande, puisque la preuve démontre que les locatrices n’ont pas, avant l’introduction de la demande, fourni à la locataire tous les documents pertinents à la fixation de loyer.

[14]     Étant donné que les critères en matière des frais sont cumulatifs et qu’en l’espèce, le premier critère n’est pas rencontré, le Tribunal refuse de faire droit à la demande de remboursement des frais des locatrices.

[15]     CONSIDÉRANT l'ensemble de la preuve faite à l'audience;

[16]     CONSIDÉRANT qu’un ajustement mensuel de 32,15 $ est justifié;

[17]     CONSIDÉRANT que les locatrices n’ont pas établi qu’il y a lieu de condamner la locataire au paiement des frais introductifs de la demande;

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[18]     FIXE le loyer, après arrondissement au dollar le plus près, à 1 064,00 $ par mois, du 1er juillet 2022 au 30 juin 2023;

[19]     Les autres conditions du bail demeurent inchangées.

[20]     Les locatrices assument les frais de la demande.

 

 

 

 

 

 

 

 

Me Shuang Shuang, greffière spéciale

 

Présence(s) :

les locatrices

la locataire

Date de l’audience :

9 septembre 2022

 

 

 


[1] RLRQ, c. T-15.01, r. 2.

[2] RLRQ, c. T-15.01, r. 2.

[3] R.L. révision Montréal 31-040416-297-V-041221, le 1er février 2007, rr. Bernard et Bissonnette.

[4] Capital Augusta inc. c. Faye, 2011 QCRDL 12803.

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