R. c. Drouin | 2022 QCCQ 3474 | ||||
COUR DU QUÉBEC | |||||
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CANADA | |||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||
DISTRICT DE RIMOUSKI |
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LOCALITÉ DE MATANE |
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« Chambre criminelle et pénale » | |||||
N°: | 125-01-009881-197 | ||||
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DATE : | 20 mai 2022 | ||||
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE | MADAME LA JUGE | ANDRÉE ST-PIERRE, C.Q. | |||
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LA REINE | |||||
Poursuivante | |||||
c. | |||||
XAVIER DROUIN | |||||
Accusé | |||||
et | |||||
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA | |||||
Mis en cause | |||||
et | |||||
PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC | |||||
Mis en cause | |||||
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JUGEMENT | |||||
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[1] L’accusé a plaidé coupable, le 30 juin 2021, à l’accusation d’avoir eu en sa possession de la pornographie juvénile entre le 14 mars 2019 et le 15 mai 2019.
CONTEXTE DE L’INFRACTION
[2] Dans le cadre d’une enquête en matière de pornographie juvénile, des policiers exécutent un mandat de perquisition dans la chambre louée par l’accusé, saisissent son téléphone cellulaire, une tablette électronique et une carte SIM. On retrouve vingt (20) fichiers graphiques correspondant à de la pornographie juvénile sur le cellulaire et la tablette électronique. Les photos illustrent des enfants pré-pubères ou au début de la puberté, nus, se touchant le pénis mutuellement ou exhibant un pénis en érection. Certains fichiers présentent un enfant subissant des gestes à caractère sexuel, de la sodomie ou de la fellation. Les enfants sont tous de sexe masculin sauf sur une photo.
[3] Le Tribunal doit maintenant établir la peine juste et appropriée pour l’accusé.
[4] La poursuite soutient que le Tribunal doit imposer la peine minimale de six (6) mois de détention, suivie d’une probation de trente (30) mois assortie de différentes conditions.
[5] Elle soutient que les objectifs de dénonciation et de dissuasion doivent primer lorsque l’on doit punir pour des infractions à caractère sexuel. Elle ajoute que le Tribunal doit tenir compte de l’âge des enfants sur les photos qui sont tous mineurs. Elle déplore que l’accusé soit encore incapable d’expliquer ses comportements, que ce soit l’arrestation qui a mené à l’arrêt d’agir de l’accusé, que son risque de récidive est qualifié de modéré.
[6] L’accusé présente un avis soulevant l’inconstitutionnalité de l’article 163.1 4) b) du Code Criminel qui crée une peine minimale de six (6) mois de détention pour l’infraction de pornographie juvénile. Il soutient qu’une peine juste et appropriée serait de lui imposer une probation d’une durée de trois (3) ans, avec suivi, incluant la condition d’effectuer deux cent quarante (240) heures de travaux communautaires et celle de faire un don au CAVAC. Pour lui, une détention de six (6) mois constitue une peine cruelle et inusitée, totalement disproportionnée, en raison, notamment, de ses caractéristiques personnelles et des circonstances particulières de l’affaire. Il invite le Tribunal à considérer tous les principes de détermination de la peine, non seulement la dissuasion et la dénonciation, et que sa réinsertion sociale permet de diminuer le risque de récidive.
[7] Le Procureur général du Québec martèle que la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Friesen[1], somme les juges de première instance d’augmenter à la hausse les peines en matière d’infractions à caractère sexuel à l’égard des enfants, que cet arrêt impose aux tribunaux de donner plein effet à la volonté du législateur de dissuader quiconque de commettre plus d’infractions en augmentant tant les peines minimales que maximales. Elle souligne que le Tribunal ne peut remettre en question l’intention du législateur, qu’elle peut agir seulement si la peine est exagérément disproportionnée, soit odieuse, intolérable, incompatible avec la dignité humaine, au point de révulser tout citoyen bien informé de la situation.
CADRE D’ANALYSE
[8] Dans R. c. Nur[2], la Cour suprême énonce le processus d’analyse à suivre lors de la contestation constitutionnelle fondée sur l’article 12 de la charte.
[9] Premièrement, le Tribunal doit déterminer la peine juste et appropriée à infliger à l’accusé. Une fois cette peine déterminée, le Tribunal doit se demander si la peine minimale obligatoire est exagérément disproportionnée par rapport à la peine qu’elle imposerait en vertu de la première étape.
[10] Si le Tribunal estime que la peine n’est pas exagérément disproportionnée, elle doit étudier les applications raisonnablement prévisibles pour s’assurer que la peine ne serait pas exagérément disproportionnée à l’égard de certaines personnes.
HISTORIQUE DES PEINES
[11] Avant 2005, la possession de pornographie juvénile n’était punissable d’aucune peine minimale. En 2005, une peine minimale de quatorze (14) jours est établie pour ce type d’infraction dans le cadre d’une infraction sommaire et de quarante-cinq (45) jours pour un acte criminel. En 2012, ces peines minimales sont augmentées à quatre-vingt-dix (90) jours dans le cas d’infraction sommaire et à six (6) mois lors d’une accusation déposée par acte criminel. En 2015, les peines minimales sont à nouveau augmentées, cette fois-ci à six (6) mois lors d’infractions poursuivies par déclaration sommaire et à un (1) an lorsque l’accusation est portée par voie de mise en accusation.
[12] Au même moment, la peine maximale, dans le cas d’une accusation portée par mise en accusation, passe de cinq (5) ans à dix (10) ans de détention. La peine maximale, lorsque l’accusé est poursuivi par procédure sommaire, est de deux (2) ans moins un (1) jour. En augmentant les peines minimale et maximale, le législateur démontre sa volonté de sanctionner plus sévèrement les infractions sexuelles touchant les enfants.
[13] Déjà, en 2001, dans R. c. Sharpe[3], la Cour suprême écrivait :
«[158] L’existence même de la pornographie juvénile, au sens du paragraphe 163.1 (1) du Code Criminel, est fondamentalement préjudiciable aux enfants et à la société. Le préjudice qu’elle cause existe indépendamment de toute diffusion réelle ou potentielle et découle directement de l’existence des représentations pornographiques qui portent elles-mêmes atteinte aux droits à la dignité et à l’égalité des enfants. Le préjudice causé par la pornographie juvénile est inhérent parce que la représentation avilissante et déshumanisante d’enfants, qui en fait des objets, compromet par sa seule existence les droits constitutionnels des enfants et des autres membres de la société. La pornographie juvénile érotise l’infériorité des enfants sur les plans social, économique et sexuel et se nourrit d’inégalités préexistantes. »
[14] Dans R. c. Friesen[4], la Cour suprême écrit, d’entrée de jeu :
« [5] Troisièmement, nous envoyons le message clair que les infractions d’ordre sexuel contre des enfants sont des crimes violents qui exploitent injustement leur vulnérabilité et leur causent un tort immense ainsi qu’aux familles et aux collectivités. Il faut imposer des peines plus lourdes pour ces crimes. Les tribunaux doivent infliger des peines proportionnelles à la gravité des infractions d’ordre sexuel contre des enfants et au degré de responsabilité du délinquant, à la lumière des initiatives du législateur en matière de détermination de la peine et du fait que la société comprend mieux le caractère répréhensible et la nocivité de la violence sexuelle à l’endroit des enfants. Les peines doivent être le reflet fidèle du caractère répréhensible de la violence sexuelle faite aux enfants de même que du tort profond et continu qu’elle cause aux enfants, aux familles et à la société en général. »
[15] Plus loin la Cour rappelle que les tribunaux doivent privilégier les objectifs de dénonciation et de dissuasion en matière d’infraction sexuelle contre les enfants :
« [100] Afin de respecter la décision du législateur d’augmenter les peines maximales, les tribunaux devraient généralement infliger des peines plus lourdes que celles qui étaient infligées avant les augmentations. Comme l’a reconnu le juge d’appel Kasirer dans Rayo où il s’agissait de l’infraction de leurre d’enfant, l’opinion du législateur quant à la gravité accrue de l’infraction, tel qu’elle est reflétée par l’augmentation des peines maximales, devrait se concrétiser par un « durcissement des sanctions » (…) Les juges chargés de la détermination de la peine et les cours d’appel doivent donner effet aux signaux clairs et répétés du législateur d’ériger des peines plus lourdes pour ces infractions. »
[16] La Cour suprême précise également qu’il est nécessaire d’imposer des sanctions plus sévères pour des infractions d’ordre sexuel contre des enfants, l’article 718.01 du Code Criminel faisant des mauvais traitements à l’égard d’enfants un facteur aggravant. Elle précise aussi que la proportionnalité de la peine demeure un principe important, la peine devant être juste et appropriée, rien de plus.
[17] Dans cet arrêt, la Cour suprême nous dit que la société a maintenant une meilleure compréhension des conséquences des abus sur des enfants, conséquences qui sont à long terme.
[18] Dans St-Pierre c. R.[5], jugement rendu en 2018, la Cour d’appel du Québec déclarait qu’une peine appropriée pour le crime de possession de pornographie juvénile, se situait entre six (6) mois et deux (2) ans.
[19] Peu de temps après, dans R. c. Régnier[6], la même Cour d’appel dit que cette fourchette est désuète et doit être révisée à la hausse en raison des nombreux amendements législatifs qui révèlent la volonté claire du Parlement d’accorder une protection accrue aux enfants et d’infliger des peines sévères pour les délinquants qui gravitent autour de cette industrie de plus en plus nocive en raison de la facilité toujours plus grande d’y accéder via internet.
[20] Dans R. c. Ibrahim[7], la Cour d’appel rappelle les dommages susceptibles d’être causés par la pornographie juvénile :
« [52] Ce qu’il faut réprimer, c’est le tort fait aux enfants. Pour chacune des photos et chacune des vidéos, un enfant ou un bébé a souffert. Plus il y a de matériel, plus cela a contribué au mal que l’on veut réprimer. Plus le matériel est pernicieux, plus les enfants ont souffert. L’abus se perpétue chaque fois que le matériel est distribué. »
[21] Dans R. c. Daudelin[8], la Cour d’appel écrit :
« [43] Je ne veux pas reprendre tout ce que les tribunaux ont dit de l’exploitation sexuelle des enfants au cours des dernières années, mais le message véhiculé par la Cour suprême dans l’arrêt Freisen, ainsi que certains propos qu’elle y tient, méritent d’être rappelés. Quoique je reconnaisse volontiers que la juge de première instance ne pouvait en avoir connaissance, cet arrêt ayant été rendu après le prononcé de la peine en l’instance, il demeure que le message qui y est communiqué s’inscrit dans la foulée de messages semblables lancés par les tribunaux d’appel, dont notre Cour. De même, malgré le fait que l’infraction commise ait été celle d’avoir eu des contacts sexuels avec un enfant, ce que la Cour suprême y affirme s’applique mutatis mutandis aux infractions commises par l’intimé.
[44] Elle rappelle d’abord à quel point les crimes sexuels impliquant des enfants sont graves et doivent être dénoncés (…).
[45] Puis, elle reconnaît sans ambages que les nouvelles technologies ont ouvert la voie à de nouvelles formes de violence sexuelle et y contribuent, donnant comme exemple la diffusion en ligne de films ou d’images de violence sexuelle exercée contre un enfant (…). »
[22] Il ne faut pas oublier que derrière chaque photo il y a un abus sur un enfant, un être particulièrement vulnérable. Un enfant qui vit un traumatisme qui le suivra toute sa vie. L’abus se perpétue chaque fois que le matériel est distribué. Si personne ne consommait de telles photos, on cesserait d’en créer. On ne peut penser que, parce que l’on ne connaît pas la personne, les enfants en question, on ne fait de mal à personne. Le fait de visionner de la pornographie juvénile contribue à l’exploitation des enfants. La description des photos faites par l’agent Garon et la trame factuelle reconnue par l’accusé, permettent au Tribunal de constater que le traitement que les enfants ont subi est dégradant et cruel, tant physiquement et psychologiquement.
[23] Le Tribunal a établi un tableau de différentes peines rendues au cours des dernières années. Bien sûr, ce tableau ne contient pas tous les éléments du dossier, par exemple, la nature des actes sexuels se trouvant sur les fichiers, l’âge des victimes. Il ne tient pas compte non plus de tous les éléments particuliers à chacun des accusés, dont le risque de récidive, ou plus important encore, l’état mental de l’accusé. Par exemple, dans la décision Duclos[9], le juge retient de la preuve que la détention de l’accusé, qui a une déficience mentale, pourrait augmenter son risque de récidive.
[24] Tous les jugements réfèrent à des accusés qui ont plaidé coupables sauf Abel[10] et Gangoo Bassant[11]. Aucun des accusés n’a d’antécédent judiciaire. Le tableau donne une idée précise de l’augmentation des peines depuis l’arrêt Freisen.
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| Date du jugement | Peine pronon- cée | Âge accusé | Nbre fichiers | Durée infrac-tions | Suivi | Particularités |
1 | R. c. Régnier [2018] QCCA 1205
| 1er mars 2018
| 36 mois
| 55 ans
| 71,548 fichiers graphiques 2,407 vidéos
| 17 ans
| Oui
| Possession et distribution.
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2 | R. c. Ibrahim [2018] QCCA 1205 | 17 juillet 2018
| 12 mois
| 19 ans
| 807 fichiers vidéo 11,039 fichiers images | 2 ans
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| Accusation de distribution (18 mois de détention).
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3 | R.c. Daudelin [2021] QCCA 784
| 11 mai 2021
| 12 mois
| Jeune
| 227 images 51 vidéos
| 15 mois
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| Aucun lien avec la consommation de pornographie juvénile, 15 mois sur le chef d’accusation de distribution.
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4 | R. c. Swally [2018] BCCA 416
| 9 novembre 2018
| 4 mois de détention avec sursis
| 23 ans
| 480 images 400 vidéos
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| Capacité intellectuelle limitée, déficit cognitif.
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5 | R. c. Gangoo Bassant [2018] QCCQ 11080
| 27 novembre 2018
| 90 jours
| 34 ans
| 1 photo
| 1 fois
|
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6 | R. c. Delage [2019] QCCQ 1125
| 7 mars 2019
| 4 mois
| 27 ans
| 38 photos
| Quelques minutes ou quelques heures
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| Accusation de distribution également.
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7 | R. c. Duboc [2019] QCCQ 7950
| 28 mai 2019
| 6 mois
| 24 ans
| 14 vidéos
| 15 mois
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8 | R. c. Lavigne Thibodeau [2019] QCCQ 3824
| 26 juin 2019
| Probation 2 ans, 240 heures de travaux communautaires
| 23 ans
|
| 1 fois
| Oui |
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9 | R. c. Duclos [2019] QCCQ 5680
| 18 septembre 2019
| Probation 3 ans, 100 heures de travaux communautaires
| 30 ans
| 103 fichiers
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| Suivis avec différents intervenants | Syndrome Asperger, trouble anxieux généralisé, syndrome Gilles de la Tourette, déficience intellectuelle légère. |
10 | R.c.Arseneault [2019] QCCQ 7403
| 29 novembre 2019
| 30 jours
| 64 ans
| Trentaine de fichiers
| 10 ans
| Oui
| Dessins ou illustrations.
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11 | R.c.Senneville [2020] QCCQ 1204
| 13 mars 2020
| 90 jours
| 28 ans
| 317 fichiers
| 13 mois
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| Accusation d’accession. Jugement porté en appel.
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12 | R.c. Gagnon [2020] QCCQ 2920
| 23 juin 2020
| 90 jours
| 32 ans
| Vingtaine de fichiers
| 1 an
| Oui
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13 | R. c. Abel [2020] QCCF 2849
| 31 juillet 2020
| 30 mois
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| 659 fichiers graphiques 411 fichiers animés
| Un peu plus d’un (1) an
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14 | R.c. Gallo [2020] QCCQ 3142
| 6 août 2020
| Probation 2 ans, 240 heures de travaux communautaires
| 55 ans
| 1 fichier
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15 | R.c. Leroux [2021] QCCQ 2939
| 23 avril 2021
| 12 mois
| 62 ans
| 175 fichiers
| 15 mois
| Oui
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16 | R.c.Desmeules [2021] QCCQ 6288
| 28 juin 2021
| 24 mois
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| 9,357 fichiers
| Près de 5 ans
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17 | R.c.Boulianne [2021] QCCQ 6599
| 15 juillet 2021
| 6 mois
| 27 ans
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| 17 jours 148 reprises
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18 | R. c. Caron [2021] QCCQ 8362
| 16 septembre 2021
| 6 mois
| 23 ans
| 3 fichiers vidéo
| 2 mois
| Oui
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19 | R.c. Marquis [2021] QCCQ 10769 | 1er novembre 2021 | 6 mois
| 57 ans
| 1 fichier
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[25] Bien sûr, la détermination de la peine n’est pas un exercice mathématique. On ne peut faire une règle de 3 pour calculer la peine à imposer en fonction du nombre de fichiers retracés. Cependant cet exercice permet de respecter le principe de la parité qui veut que des délinquants semblables ayant commis des infractions semblables dans des circonstances semblables devraient recevoir des peines semblables. Cet exercice permet aussi de constater qu’il faut tenir compte de la quantité des fichiers : plus il y a de fichiers, plus le nombre d’enfants exploités et abusés est élevé.
PEINE JUSTE ET APPROPRIÉE
[26] Déterminer une peine est une tâche délicate. Une peine doit répondre aux objectifs généraux établis à l’article 718 du Code Criminel soit : dénoncer un comportement illégal et le tort causé aux victimes ou à la collectivité, dissuader les délinquants et quiconque de commettre des infractions, isoler au besoin les délinquants du reste de la société, favoriser la réinsertion sociale des délinquants, assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité et susciter la conscience de leur responsabilité chez les délinquants tout en tenant compte du profil de l’accusé et des gestes spécifiques qu’il a commis.
[27] L’accusé a 18 ans le 14 mars 2019 et les infractions qui lui sont reprochées se déroulent entre le 14 mars et le 16 mai de la même année. De fait, les photos sont déjà dans son téléphone alors qu’il est mineur.
[28] L’accusé étudie alors au CEGEP de Matane en animation 3D. Il vit, pour les fins de ses études, pour la première fois en dehors du domicile de ses parents situé à Daveluyville. Enfant il a peu d’amis, éprouvant de la difficulté à comprendre son attirance envers les garçons et cherchant à éviter de divulguer son homosexualité. L’accusé est un homme renfermé qui tend à conserver son côté enfant, malgré un effort d’autonomie. L’accusé explique qu’il ne comprend pas, lors des événements, à quel point ses comportements peuvent être graves, qu’il le réalise seulement après être rendu au poste de police. Il coopère à l’enquête, révèle ses codes d’accès et mots de passe.
[29] Les conditions de mise en liberté de l’accusé l’empêchent d’avoir accès à un ordinateur et de naviguer sur internet. En conséquence, il abandonne ses études et occupe un emploi de journalier. Il aimerait retourner à l’école, sans toutefois savoir exactement dans quel domaine.
[30] L’accusé est en quête identitaire : il a vécu des relations superficielles, souvent axées sur le sexe, moins investies sur le plan affectif ou amoureux. Durant ses études à Matane, l’accusé développe une relation amoureuse qui se termine deux (2) semaines avant son arrestation. Son ex-conjoint accompagne l’accusé dans les démarches judiciaires et au centre de prévention du suicide après son arrestation.
[31] Jean-Guy Côté, M.A., sexologue clinicien et psychothérapeute, pose deux (2) diagnostics sexologiques sous toutes réserves, l’un de pédophilie homosexuelle extrafamiliale, primaire et non exclusive, et l’autre d’un possible trouble de la sexualité, de l’ordre d’une érotisation atypique, soit un masochisme sexuel. Il qualifie le risque de récidive de l’accusé de modéré à moyen terme, celui-ci semblant mieux dans son corps, avoir plus d’assurance et s’affirmer davantage. Il croit qu’une thérapie sexologique permettra à l’accusé de surmonter son orientation perverse pour lui permettre d’être plus libre et autonome, moins dépendant de la sexualité.
[32] Madame Valérie Lafleur, agente de probation, conclue elle aussi à un risque de récidive modéré : l’accusé s’est mobilisé sur le plan thérapeutique à la suite de son arrestation, a démontré une certaine réceptivité à l’aide mais n’a toutefois pas cheminé en thérapie auprès d’un sexologue. Elle note, comme principaux facteurs criminogènes, la difficulté de gestion des émotions de l’accusé, son manque de confiance en lui, son immaturité et ses difficultés d’affirmation de soi. De fait, l’accusé a bénéficié d’un suivi de six (6) rencontres avec une psychologue en 2019 et de trois (3) rencontres auprès d’une travailleuse sociale en novembre 2020.
[33] L’accusé témoigne avec émotion de son cheminement de vie. On voit bien qu’il est mal à l’aise, sa vulnérabilité est palpable. Il dit qu’il comprend maintenant le tort causé aux victimes, contrairement au moment où il a eu les photos en sa possession. Il exprime des regrets que le Tribunal qualifie de sincères. L’accusé se dit prêt à s’impliquer dans une thérapie.
[34] Le Tribunal, outre les éléments mentionnés, considère les facteurs atténuants suivants :
plaidoyer de culpabilité;
collaboration à l’enquête;
absence d’antécédent judiciaire;
respect des conditions de mise en liberté strictes;
regrets et remords exprimés clairement;
très jeune âge de l’accusé : 18 ans tout juste.
[35] Le Tribunal retient les facteurs aggravants suivants :
la nature des images représentant de très jeunes enfants soumis à des actes sexuels explicites entre eux ou avec des adultes;
mauvais traitements à l’égard de personnes âgées de moins de 18 ans.
[36] Le nombre de fichiers et la durée de l’infraction ne sont considérés par le Tribunal ni comme étant un facteur atténuant, ni comme un facteur aggravant. Tout en étant très loin, par exemple, des quelques 74,000 fichiers retracés dans ses appareils comme dans le cas de Régnier, nous ne sommes pas non plus dans le cadre d’un événement isolé.
[37] Dans R. c. Régnier[12], la Cour précise que l’on peut penser à cinq (5) catégories d’images de pornographie juvénile :
1) des images érotiques sans activité sexuelle;
2) des activités sexuelles entre enfants ou masturbation par un enfant;
3) des activités sexuelles entre adultes et enfants sans pénétration;
4) des activités sexuelles entre adultes et enfants avec pénétration;
5) sadisme ou bestialité.
[38] Les images retrouvées dans les appareils de l’accusé correspondent aux quatre (4) premières catégories d’images énoncées. Cet élément augmente considérablement la gravité subjective de l’infraction.
[39] La détention est vraiment la norme pour le type d’infraction commise par l’accusé et les facteurs atténuants, bien que considérés à leur juste valeur, ne permettent pas au Tribunal de prononcer une peine ne comportant aucune détention. Le soumettre à une probation, si sévères les conditions soient-elles, banaliserait les gestes commis par l’accusé, confirmerait sa pensée initiale qu’il ne faisait rien de mal. L’accusé est jeune, immature, éprouve de la difficulté à gérer ses émotions mais il n’en est pas moins majeur. Par ailleurs, il continue l’infraction jusqu’à son arrestation, malgré les semaines qui passent après l’atteinte de la majorité. De plus, l’accusé a fait bien peu de démarches pour régler ses difficultés personnelles depuis son arrestation qui date maintenant de près de trois (3) ans, malgré que son arrestation ait pu avoir un effet choc. Le Tribunal réitère cependant qu’il est maintenant ouvert à recevoir de l’aide.
[40] Le Tribunal considère qu’une peine d’emprisonnement de quatre-vingt-dix (90) jours est une peine juste et appropriée, en fonction des facteurs de dissuasion et de dénonciation mais aussi de qui est l’accusé.
LA PEINE MINIMALE EST-ELLE EXAGÉRÉMENT DISPROPORTIONNÉE PAR RAPPORT À LA PEINE JUSTE ÉTABLIE PAR LE TRIBUNAL?
[41] La peine que le Tribunal estime juste et appropriée pour l’accusé est la demie de la peine minimale prévue par le législateur. Un citoyen bien informé, particulièrement du profil de l’accusé, considérerait exagérément disproportionné de lui imposer une peine d’emprisonnement de six (6) mois dans les circonstances, simplement parce qu’il s’agit d’une peine minimale.
[42] Le Tribunal est bien consciente que le critère d’incompatibilité avec la dignité humaine est très élevé. Bien que l’infraction commise par l’accusé soit elle-même très sérieuse, il serait totalement exagéré que l’accusé purge une peine de détention de six (6) mois. Une telle peine serait cruelle et inusitée. Un citoyen correctement informé des détails du dossier ne comprendrait pas cette peine, la trouverait exagérément disproportionnée. L’écart de proportion entre les peines explique le raisonnement du Tribunal.
[43] Considérant la conclusion à laquelle en vient le Tribunal, il n’est pas nécessaire d’examiner des situations hypothétiques raisonnables.
POUR TOUS CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[44] DÉCLARE que la peine minimale obligatoire prévue à l’article 163.1 (4) b) du Code Criminel est inopérante à l’égard de l’accusé, inconstitutionnelle au sens de l’article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés.
PRONONCE LA PEINE SUIVANTE:
[45] IMPOSE à l’accusé de purger une peine de détention de trois (3) mois;
[46] SOUMET l’accusé à une probation d’une durée de trente (30) mois aux conditions suivantes :
ne pas troubler l’ordre public et avoir une bonne conduite;
répondre aux convocations du Tribunal;
prévenir son agent de probation de changements d’adresse, de nom, d’emploi ou d’occupation;
se présenter à un agent de probation dans les deux (2) jours ouvrables suivant l’entrée en vigueur de la présente ordonnance et par la suite, selon les modalités de temps et de forme fixées par l’agent de probation pour une période de dix-huit (18) mois;
suivre toute thérapie afin de régler ses problèmes sexuels et de gestion des émotions;
interdiction de se trouver dans un parc public ou une zone publique où l’on peut se baigner s’il y a des personnes âgées de moins de 16 ans ou s’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’il y en ait, une garderie, un terrain d’école, un terrain de jeu ou un centre communautaire;
interdiction de chercher ou d’accepter ou de garder un emploi, rémunéré ou non, ou un travail bénévole qui vous placerait en relation de confiance ou d’autorité vis-à-vis des personnes âgées de moins de 16 ans;
interdiction d’utiliser internet ou tout autre réseau numérique sauf pour fins d’études, de recherche d’emploi ou dans le cadre d’un emploi
[47] ORDONNE à l’accusé de fournir un prélèvement de substances corporelles aux fins d’analyse génétique, dans les cent vingt (120) jours;
[48] INTERDIT à l’accusé d’avoir en sa possession des armes à feu, arbalètes, armes à autorisation restreinte, munitions et substances explosives pour une période débutant aujourd’hui et se terminant dix (10) ans après sa libération;
[49] INTERDIT à l’accusé d’avoir en sa possession des armes à feu prohibées, armes à feu à autorisation restreinte, armes prohibées, dispositifs prohibés et munitions prohibées à perpétuité;
[50] ORDONNE à l’accusé de se conformer à la Loi sur l’enregistrement des renseignements sur les délinquants sexuels pour une période de dix (10) ans;
[51] ORDONNE la confiscation des biens saisis;
[52] LE TOUT SANS FRAIS NI SURAMENDE considérant la détention imposée à l’accusé.
Signé le 20 mai 2022
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| __________________________________ ANDRÉE ST-PIERRE, J.C.Q. | |
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Me Roxanne Fournier et Me Florence Charlebois-Villeneuve | ||
Avocates pour le Directeur des poursuites criminelles et pénales | ||
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Me Camille Marceau-Bouchard et Me Kevin Aspirot | ||
Centre communautaire juridique de Matane-Centre communautaire juridique de Ste-Anne des Monts | ||
Avocats de l’accusé | ||
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Me Marie-Ève Pelletier | ||
Lavoie, Rousseau - Québec | ||
Avocate du mis en cause Procureur général du Québec | ||
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Date d’audience : | 2 mars 2022 | |
[1] R. c. Friesen [2020] CSC 9
[2] R. c. Nur [2015] CSC 15
[3] R. c. Sharpe [2001] CSC 2, par. [158]
[4] Précitée note 1, par. [5] et [100]
[5] St-Pierre c. R. [2018] QCCA 893
[6] R. c. Régnier [2018] QCCA 1205
[7] R. c. Ibrahim [2018] QCCA 1205, par. [52]
[8] R. c. Daudelin [2021] QCCA 784, par. [43]-[44]-[45]
[9] R. c. Duclos [2019] QCCQ 5680
[10] R. c. Abel [2020] QCCF 2849
[11] R. c. Gangoo Bassant [2018] QCCQ 11080
[12] Précitée note 6
AVIS :
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