Droit de la famille — 20621 |
2020 QCCS 1397 |
COUR SUPÉRIEURE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTMAGNY |
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N° : |
300-04-000017-208 |
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DATE : |
28 avril 2020 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
FRANCE BERGERON, j.c.s. |
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A |
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Demanderesse |
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c. |
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B, Directrice de la protection de la jeunesse |
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Défenderesse |
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et |
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C |
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Mis en cause |
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JUGEMENT portant sur une demande de surseoir à l’exécution
des décisions
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JB-4172 |
[1] La demanderesse, A (la Mère), se pourvoit en contrôle judiciaire des décisions de la défenderesse, Directrice de la protection de la jeunesse (DPJ), des [...], [...] et [...] 2020, qui suspendent les contacts physiques qu’elle a avec ses enfants X et Y, âgées respectivement de sept ans et de cinq ans, alors que sévit la pandémie de la Covid-19.
[2] La DPJ aurait pris cette décision à la suite de l’Arrêté 2020-006 de la ministre de la Santé et des Services sociaux en date du 19 mars 2020 (l’Arrêté), libellé ainsi[1] :
Sont suspendues les conclusions d’une décision ou d'une ordonnance rendue par la Cour du Québec, ordonnant tout contact en présence physique de l'enfant avec ses parents, ses grands-parents ou tout autre personne, dans la mesure où le directeur de la protection de la jeunesse considère, suivant les recommandations de santé publique, que ces conclusions ne peuvent être respectées d'une façon qui protège la santé de la population dans le contexte de la pandémie de la COVID-19. Le directeur de la protection de la jeunesse doit, lorsque possible, prévoir d’autres modalités de contact sécuritaire par tout moyen jugé utile, notamment des moyens technologiques. Le directeur de la protection de la jeunesse doit permettre l’exécution des conclusions dès qu'elles peuvent être appliquées sans représenter une menace à la santé de la population.
[3] Le [...] 2020, madame la juge A, de la Cour du Québec, chambre de la jeunesse, ordonnait en effet, à titre de mesures provisoires, que les contacts physiques entre les enfants et leur Mère, s’effectuent selon les modalités suivantes[2] :
[...].
[4] Depuis le [...] 2020, la DPJ a désigné la grand-mère maternelle des enfants, la mère de la demanderesse, madame C, comme tiers autorisé à superviser les contacts, lesquels s’exercaient.
[5] C’est dans ce contexte que la Mère demande au Tribunal de surseoir à l’exécution de ces décisions de la DPJ, dont elle a été informée selon la séquence décrite ci-dessous.
[6] Le 31 mars 2020, l’intervenante de la DPJ, madame [intervenante 1], téléphone à la Mère pour l’informer que la DPJ ne respecterait plus le jugement de madame la juge A. Cette décision est d’ailleurs confirmée dans la lettre du 8 avril 2020, qu’adresse l’avocate de la DPJ, Me Diguer, à celle de la Mère, Me Goldwater, où elle écrit que [intervenante 1], intervenante sociale, a avisé la Mère que ses contacts étaient suspendus en raison de l’arrêté ministériel[3].
[7] Le 3 avril 2020, Me Diguer réitère que les contacts de la Mère sont suspendus, et ce, de la façon suivante[4] :
Nous confirmons par la présente la suspension des contacts qui étaient prévus entre votre cliente et ses enfants les 3 et 4 avril 2020.
Cette décision a été prise en vertu de l’arrêté ministériel de la ministre de la Santé et des services sociaux présentement en vigueur (dans le contexte de la situation d’urgence sanitaire déclarée le 13 mars 2020 en regard de la pandémie Covid-19).
La suspension actuelle des conclusions imposée par arrêté ministériel vise à limiter la propagation du Covid-19. Des contacts ne peuvent être autorisés que de façon exceptionnelle par la directrice de la protection de jeunesse. Également, la suspension des conclusions actuellement en vigueur ne se limite pas aux seuls contacts impliquant du personnel de la DPJ.
[8] Finalement, dans la lettre du 8 avril 2020, Me Diguer explique ainsi que la DPJ a analysé la situation, d’où le maintien de la suspension des contacts[5] :
Madame [intervenante 1], intervenante sociale, a avisé votre cliente que ses contacts étaient suspendus en raison de l’arrêté ministériel. La situation de votre cliente n'a alors pas été soumise à madame B, directrice de la protection de la jeunesse, puisqu'elle ne cadrait pas avec les motifs d'exceptions qui auraient pu permettre de maintenir les contacts. Par la suite, suite à la réception de votre lettre du 1er avril 2020, madame B a analysé elle-même la situation de votre cliente et a considéré qu'elle ne répondait à aucun des critères d’exception, d'où le maintien de la suspension des contacts de votre cliente avec ses enfants.
Quant à cette analyse, il en procède comme suit. Suivant l’arrêté ministériel, il y a suspension de tous les contacts parents-enfants. Par la suite, après vérification de différents éléments visant à éviter toute propagation de la Covid-19 (selon l'algorithme fourni à cet effet par le ministère de la Santé et des services sociaux), la directrice évalue s'il y a lieu d'autoriser les contacts, et ce, de manière très exceptionnelle, selon des critères de nature clinique (contexte de réintégration dans le milieu familial; suspension qui compromet le projet de vie d'un enfant; suspension qui compromet un retour envisagé en milieu familial en fonction de l'âge et du développement du lien affectif avec le parent; suspension qui a pour effet de reporter la fin d'une situation de compromission; selon les impacts de la suspension sur les enfants visés).
Dans la situation de votre cliente, bien qu’il n’y a pas eu identification de risques particuliers au plan de la santé, la situation n’entre dans aucun des motifs d’exception, d’où le maintien de la suspension de ses contacts.
[9] Il ressort des représentations effectuées à l’audience, que la Mère a des contacts téléphoniques journaliers ou par FaceTime avec les enfants, depuis la suspension des contacts physiques, le 19 mars 2020.
[10] Quant au mis en cause, C (le Père), le père des enfants, il souhaite le rétablissement des contacts physiques de la Mère, 24 heures aux deux semaines, supervisés par la grand-mère maternelle, en autant que la Mère et la grand-mère maternelle des enfants respectent les consignes sanitaires.
[11] CONSIDÉRANT que la demande de pourvoi en contrôle judicaire n’opère pas sursis de l’exécution d’une décision prise par une personne ou un organisme assujetti à ce contrôle, à moins que le tribunal n’en décide autrement[6];
[12] CONSIDÉRANT la demande de sursis d’exécution des décisions de la DPJ;
[13] CONSIDÉRANT que le sursis est une mesure exceptionnelle;
[14] CONSIDÉRANT les critères qui doivent guider le Tribunal en cette matière, à savoir l’apparence de droit, le préjudice sérieux ou irréparable et la prépondérance des inconvénients[7];
[15] CONSIDÉRANT l’allégation de la demanderesse que la DPJ applique l’Arrêté comme si la règle était la suspension de tous les contacts, le maintien étant l’exception, et que l’Arrêté est ainsi appliqué de façon erronée par la DPJ;
[16] CONSIDÉRANT, de fait, que la DPJ a, vu l’Arrêté, suspendu toutes les conclusions des décisions ou ordonnances rendues par la Cour du Québec, ordonnant tout contact en présence physique de l'enfant avec ses parents, ses grands-parents ou tout autre personne, et les autorise de manière très exceptionnelle;
[17] CONSIDÉRANT, toutefois, que la volonté des autorités gouvernementales, malgré les mesures mises en place, est de maintenir les modalités de garde et d’accès, en fait les contacts physiques, établis par jugements, ordonnances et ententes, à moins que les parents ne respectent pas les mesures sanitaires;
[18] CONSIDÉRANT que le Tribunal est conscient que le cadre législatif de la Cour supérieure et celui de la Cour du Québec, chambre de la jeunesse, n’est pas le même;
[19] CONSIDÉRANT, en l’espèce, que la DPJ considère que la situation de la Mère ne répond à aucun des critères d’exception, d’où le maintien de la suspension des contacts de la Mère avec ses enfants;
[20] CONSIDÉRANT que la DPJ explique, suivant l’arrêté ministériel, qu’il y a suspension de tous les contacts parent-enfant et par la suite, après vérification de différents éléments visant à éviter toute propagation de la Covid-19, la directrice évalue s’il y a lieu d’autoriser les contacts, et ce, de manière très exceptionnelle, selon des critères de nature clinique;
[21] CONSIDÉRANT, dans la lettre du 8 avril 2020, que la DPJ, bien qu’elle considère, dans la situation de la Mère, qu’il n’y a pas eu identification de risques particuliers sur le plan de la santé, la situation n’entre dans aucun des motifs d’exception, d’où le maintien de la suspension de ses contacts;
[22] CONSIDÉRANT que la Mère, spécialiste dans le domaine [...], et la grand-mère maternelle suivent et se conforment aux consignes d’hygiène et de sécurité émises par les autorités gouvernementales et reliées à la pandémie du coronavirus, Covid-19, tel qu’il appert d’ailleurs de l’aveu contenu dans la lettre du 8 avril 2020 de l’avocate de la DPJ;
[23] CONSIDÉRANT qu’il ressort de la simple lecture de l’Arrêté et de l’application qu’en fait la DPJ qu’il y a une forte apparence de droit, qu’il y a un doute sérieux quant à la validité des décisions en regard de l’Arrêté;
[24] CONSIDÉRANT que la DPJ semble avoir lié son pouvoir discrétionnaire à des critères d’exceptions;
[25] CONSIDÉRANT que les décisions auraient été prises selon un algorithme inconnu et non communiqué, si ce n’est que quelques minutes avant l’audience, selon des critères ajoutés par la DPJ;
[26] CONSIDÉRANT le caractère volontaire des mesures de confinement, qu’il n’y a pas d’arrêté obligeant les personnes âgées à rester chez eux, visant notamment la grand-mère maternelle;
[27] CONSIDÉRANT que des contacts physiques entre la Mère et les enfants, d’une durée de 24 heures aux deux semaines, permettent une qualité de contacts humains ne pouvant être comparée à des contacts par moyens technologiques;
[28] CONSIDÉRANT que ce sont ces contacts de qualité que madame la juge A a ordonnés le [...] 2020;
[29] CONSIDÉRANT, lorsqu’il s’agit du maintien du lien parent-enfant, que le préjudice peut être qualifié d’irréparable, notamment au sens où ils ne peuvent être repris;
[30] CONSIDÉRANT que la DPJ allègue agir dans l’intérêt public ayant appliqué l’Arrêté en concluant sur la base de la santé de la population et non sur la santé des personnes concernées;
[31] CONSIDÉRANT qu’il est question, ici, de la relation parent-enfants;
[32] CONSIDÉRANT que les inconvénients causés à la Mère par la suspension des contacts physiques entre les enfants et elle, sont plus grands que ceux de la DPJ, le préjudice d’ordre administratif ne surpasse pas les inconvénients subis par la Mère;
[33] CONSIDÉRANT que le Tribunal déplore que l’avocate de la DPJ à l’audience, ait divulgué que les enfants âgées de sept ans et de cinq ans, rencontrées par l’intervenante les jours précédant l’audience, n’auraient pas réclamés leur Mère, le tout selon la déclaration sous serment de la DPJ, et qu’elle en fasse un argument;
[34] CONSIDÉRANT que le père souhaite le rétablissement des accès de 24 heures aux deux semaines, en autant que la Mère et la grand-mère maternelle respectent les consignes de santé;
[35] CONSIDÉRANT que la DPJ soulève qu’un sursis mettrait en cause ses interventions auprès des enfants, alors qu’au contraire, il découle du jugement de la Cour du Québec, chambre de la jeunesse, que la situation des enfants est confiée à la DPJ pour l’exécution de l’ordonnance;
[36] CONSIDÉRANT, si le gouvernement avait voulu, dans une optique de protection de « la santé de toute la population, », suspendre toutes les décisions des tribunaux relatives aux modalités de garde et d’accès, soit les contacts physiques entre les parents et les enfants, qu’il aurait pu le faire, ce qu’il n’a pas fait;
[37] CONSIDÉRANT, au contraire, dans le contexte de pandémie et d’urgence sanitaire, qu’à plusieurs reprises, les tribunaux et le gouvernement du Québec ont réitéré que les jugements, les ordonnances et les ententes relatives aux modalités de garde et d’accès s’appliquaient, en respectant les consignes sanitaires[8];
[38] CONSIDÉRANT que le Tribunal jouit d’une discrétion judicaire pour décider du bien ou du mal fondé de la demande de sursis[9];
[39] CONSIDÉRANT l’intérêt primordial des enfants;
[40] CONSIDÉRANT que les motifs sont, dans le présent contexte, sérieux;
[41] CONSIDÉRANT l’urgence;
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[42] ORDONNE la mise sous scellés du présent dossier, ainsi que la confidentialité des débats;
[43] SURSOIT à l’exécution des décisions de la Directrice de la protection de la jeunesse, communiquées à la demanderesse, notamment verbalement et par le biais de lettres, suspendant les contacts physiques de la Mère, la demanderesse, à raison de 24 heures aux deux semaines, supervisés par un tiers, désigné par la DPJ, soit la grand-mère maternelle, D;
[44] PREND ACTE de la déclaration de la demanderesse qu’elle se désiste de sa demande en changement de district judiciaire;
[45] Avec les frais de justice.
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FRANCE BERGERON, j.c.s. |
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Me Anne-France Goldwater GOLDWATER, DUBÉ 3500 de Maisonneuve West Suite 2310, Office Tower 2 Westmount, QC H3Z 3C1 |
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Avocats de la demanderesse |
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Me Nathalie Diguer PLANTE, LABERGE, BLONDEAU ET ASSOCIÉS 975, rue de la Concorde,
bureau 40 |
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Avocats de la défenderesse |
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Me Michelle Bernard CENTRE COMMUNAUTAIRE JURIDIQUE DE QUEBEC 68, rue du Palais de Justice, bureau 106 Montmagny (Québec) G5V 1P5 |
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Avocats du mis en cause |
[1] Pièce P-3.
[2] Pièce P-2.
[3] Pièce P-8. Lettre de Me Diguer à Me Goldwater du 8 avril 2020.
[4] Pièce P-6. Lettre de Me Diguer à Me Goldwater du 3 avril 2020.
[5] Pièce P-8. Lettre de Me Diguer à Me Goldwater du 8 avril 2020.
[6]
Article
[7]
Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd.,
[8]
Pièce P-10. Ministère de la justice - Des réponses à vos questions :
les échanges de garde d’enfants en période de pandémie; Droit de la
famille ¾ 20474,
[9]
Alex Couture inc c. Québec (Procureur général),
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.