Roy c. Perna |
2016 QCRDL 19324 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau dE Montréal |
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No dossier : |
31-130423-062 31 20130423 A |
No demande : |
57050 |
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Date : |
01 juin 2016 |
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Régisseur : |
Éric Luc Moffatt, juge administratif |
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ALBINY ROY
MICHAEL COMEAU |
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Locataires - Partie demanderesse |
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c. |
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MARIA PERNA |
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Locatrice - Partie défenderesse |
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GINO PERNA |
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Partie intéressée
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D É C I S I O N
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[1] Par un recours introduit le 23 avril 2013, les locataires demandent l’autorisation de déposer le loyer à la Régie du logement, la diminution du loyer de 15 %, des dommages-intérêts moraux de 2 000 $ pour les troubles et inconvénients subis ainsi que de statuer sur les frais.
[2] Une lettre de mise en demeure datée du 8 juillet 2012 est jointe à la demande pour en faire partie intégrante et préciser les motifs allégués au soutien du recours.
[3] Un premier amendement a été déposé en l’instance le 6 mai 2014 pour désigner le défendeur Gino Perna comme partie intéressée en l’instance. Une diminution du loyer additionnelle de 5 % par mois depuis le 1er mai 2013 est demandée, des dommages-intérêts punitifs (1902 C.c.Q.) de 2 000 $ et des dommages-intérêts moraux majorés à 4 000 $. Une lettre de mise en demeure datée du 24 mars 2014 est jointe à l’amendement pour en faire partie intégrante.
[4] Un second amendement a été déposé le 10 juin 2015. Les dommages-intérêts moraux pour troubles et inconvénients subis sont majorés à 10 000 $ et des dommages-intérêts matériels sont réclamés pour une somme de 6 896,49 $.
[5] Les locataires étaient liées à la locatrice par un bail reconduit et couvrant la période du 1er novembre 2011 au 30 juin 2012, au loyer mensuel de 720 $, lequel a été renouvelé à échéance. Ils ont commencé à habiter le logement au cours du mois de novembre 2011.
[6] Le logement concerné se compose de 4 pièces et demie et est situé au rez-de-chaussée d’un immeuble qui abrite neuf logements, lequel aurait été construit en 1961, selon la locatrice.
[7] Les locataires ont quitté définitivement le logement le 30 mars 2015. Le 14 avril 2015, les locataires ont produit au dossier un avis indiquant leur changement d’adresse. Le 17 mars 2015, les locataires transmettaient à la locatrice un avis d’abandon du logement (Pièce P-18 en liasse) daté du 12 mars 2015 et ont été relogés en vertu de mesures d’urgence par l’Office municipal d’habitation de Montréal vu leur évacuation forcée du logement.
[8] Certaines conclusions recherchées deviennent caduques vu le départ des locataires. La preuve sera appréciée aux seules fins de statuer sur les demandes de diminution de loyer et de dommages-intérêts moraux, punitifs et matériels.
[9] Les motifs invoqués au soutien des procédures sont, pour la demande du 23 avril 2013, les troubles de faits divers causés par des bruits de voisinage excessifs et à toutes heures provenant de logements du même immeuble et une contamination fongique (moisissures) importante dans le logement. Dès le 8 juillet 2012, ces troubles sont dénoncés à la locatrice. Le remplacement d’une porte vétuste sur laquelle il y a formation de glace est à remplacer.
[10] Les locataires allèguent à l’amendement du 6 mai 2014 faire l’objet de harcèlement (1902 C.c.Q.) par la locatrice, celle-ci les enjoignant à répétition de déménager, car devenus indésirables à ses yeux. La présence de moisissures s’accroît et les placards et armoires de cuisine ne peuvent plus être utilisés. La lettre de mise en demeure du 24 mars 2014 a précédé cet amendement. Seule la porte a été remplacée, mais sur laquelle de la glace se forme encore ainsi que des moisissures. Il est allégué que le système de plomberie et les calorifères produisent un bruit infernal et la valve de contrôle est défectueuse, les locataires ne peuvent contrôler la température dans leur logement. De nombreuses réparations sont alors demandées par les locataires.
[11] Aux fins de recueillir la preuve, des audiences sont tenues les 21 juillet, 1er octobre et 10 décembre 2015.
[12] Une preuve accablante et corroborée a été soumise par les locataires au soutien de leur recours et des faits allégués.
[13] Quant aux bruits dénoncés, la locatrice n’est pas intervenue en faveur des locataires et pour assurer leur quiétude et leur jouissance normale des lieux loués.
[14] La preuve essentiellement non contestée démontre que les locataires ont dû supporter des bruits excessifs depuis au moins 2011 provenant de divers logements : musique à fort volume, vacarme la nuit, bruits d’haltères et vélo stationnaire, coups sur des poutrelles de métal supportant le plancher de leur logement, claquements de portes, bruit incessant d’une tuyauterie bruyante à chaque fois que le chauffage était en fonction ou qu’un locataire utilisait de l’eau, tel qu’un enregistrement en fait état, les locataires étant logés au-dessus de la salle mécanique. Selon les locataires, la locatrice leur a indiqué de « foutre le camp ». Les bruits ont persisté jusqu’à leur départ du logement malgré l’intervention répétée des policiers.
[15] Plusieurs enregistrements confirment aussi les bruits dénoncés.
[16] Lorsque les locataires ont commencé à habiter le logement, ils constatent que certaines parties des murs avaient été lavés avant qu’ils ne peinturent le logement. Ils ignorent alors qu’il s’agissait de moisissures qu’on a voulu sommairement masquer avant leur arrivée. Il ressort de l’ensemble de la preuve que le logement loué était déjà aux prises d’un problème de moisissures avant même que les locataires s’y installent. Les moisissures réapparaissent dès le mois de décembre 2011. La locatrice est aussitôt avisée. Une porte a aussi gelé en raison de la formation de glace dès l’arrivée de la saison froide. Cette porte vétuste a été remplacée au cours de l’automne 2013, mais la formation de glace à son pourtour a continué. La locatrice n’a rien fait. Les locataires ont dû communiquer avec les autorités municipales.
[17] Visiblement, l’immeuble est très déficient au niveau de l’isolation, l’humidité se condense sur les murs froids qui donnent vers l’extérieur. La preuve photographique (Pièce L-7 en liasse) est accablante pour démontrer l’état dégradé des enduits et revêtements du logement par la présence massive de moisissures. Il n’y a aucune ventilation mécanique dans la cuisine ou la salle de bain et l’humidité ruissèle sur les fenêtres. La locatrice n’a tenté que de procéder à un lavage grossier ce qui s’est avéré tout à fait inadéquat. Le mobilier des locataires a aussi gravement été contaminé par les moisissures tel que démontré par la preuve photographique et ils ont été forcés de se départir de la plupart de leurs meubles lors de leur départ.
[18] Selon le protocole de décontamination imposé par l’équipe de décontamination, les locataires ont dû se départir de la plupart de leurs biens. Ils n’ont pu conserver que le téléviseur, les appareils électroménagers, dont la lessiveuse, un seul lit et la table de cuisine.
[19] Les locataires indiquent que la locatrice leur a déclaré que les murs seraient remplacés, mais cela n’a jamais été fait. La locatrice a plutôt indiqué aux locataires que la locataire qui occupait le logement était une « cochonne » et qu’eux aussi étaient des « cochons ».
[20] La preuve démontre que les joints de briques de l’immeuble devaient être refaits au complet et que de la moisissure était aussi présente dans d’autres logements (Pièce L-16).
[21] Les rapports des inspecteurs municipaux (Pièces L-4 et L-5 en liasse) confirment les prétentions des locataires et la preuve matérielle quant à la présence massive de moisissures dans le logement.
[22] L’inspecteur municipal Paul Champoux indique dans son rapport qu’une contamination fongique était aussi présente dans d’autres logements de l’immeuble. Une décontamination et une reconstruction ont été jugées nécessaires par les autorités municipales. La preuve photographique jointe au rapport est accablante. La relocalisation des occupants a aussi été recommandée par l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal (Pièce L-3).
Droit et conclusions
[23] La preuve démontre que la locatrice a fait défaut de respecter les obligations qui lui incombent concernant l’entretien du logement et le bon état de réparation du logement (1864 C.c.Q.). La preuve révèle aussi que la locatrice n’a pas délivré un logement en bon état d’habitabilité (1910 C.c.Q.). La locatrice a aussi fait défaut de fournir aux locataires la pleine jouissance normale du logement pendant toute la durée du bail (1854 C.c.Q.).
[24] Pour la période de 22 mois commençant le 1er mai 2013 et se terminant le 28 février 2015, une somme globale de 3 000 $ est accordée à titre de diminution de loyer vu la perte de jouissance des lieux loués au cours de la période concernée. Les locataires n’ont pas payé le loyer du mois de mars 2015 et aucune diminution de loyer ne sera accordée pour ce mois.
[25] Des dommages-intérêts moraux de 5 000 $ sont aussi accordés aux locataires en raison des troubles et inconvénients majeurs et persistants causés par l’état des lieux loués découlant de l’inaction et la négligence de la locatrice.
[26] Après analyse et évaluation de la valeur dépréciée des biens perdus, une somme de 3 000 $ est aussi accordée en compensation des biens meubles et effets personnels dont les locataires ont dû se départir en raison de la contamination fongique.
[27] Les frais de déménagement encourus au montant de 482,27 $ sont aussi accordés aux locataires.
[28] Les frais d’hébergement ou de soins des deux chats ne peuvent être accordés considérant que leur présence dans le logement était interdite selon le bail.
[29] Aucune compensation ne sera accordée, pour les autres postes de dommages réclamés à l’amendement du 10 juin 2015, notamment les frais de transport par taxis, vu l’insuffisance de preuve.
Le harcèlement
[30] Selon les locataires, le harcèlement était soutenu. La locatrice leur disait de déménager s’ils n’étaient pas contents. Michael Comeau affirme que la locatrice lui disait qu’elle avait hâte qu’il « crève » et suite à la réception d’un rapport des autorités municipales, le 18 avril 2013, elle s’est présentée à la porte du logement hors d’elle en cognant avec force à leur porte. Elle leur demande pourquoi n’avez-vous pas « sacrer le camp », leur reprochant d’avoir recouru au service d’inspection municipale pour l’embêter. Elle se réclamait du droit de leur dire de partir du logement.
[31] Un enregistrement du 18 avril 2013 fait clairement état de l’attitude de la locatrice et relate des propos hostiles de la locatrice à l’endroit des locataires. La locatrice nie avoir vu des moisissures dans le logement, toutefois, elle finit par admettre qu’il y en avait. « Vous ne pouvez pas rester ici », déclare-t-elle. Elle s’adresse aux locataires : « J’ai besoin que le logement soit vide », « vous êtes la personne la plus méchante que j’ai connue », « vous allez payer pour ça », elle intime les locataires de quitter le logement. Elle confirme les bruits excessifs provenant du logement numéro 9 de « 6 heures du matin à 11 heures le soir ». « Si vous n’êtes pas contents, pourquoi vous restez », ajoute-t-elle.
[32] Lors du déménagement, l’intervention de deux policiers a été requise pour tenir à l’écart la locatrice. La locatrice indique que les locataires étaient pour elle un « cauchemar », depuis leur arrivée dans l’immeuble. Il n’y a nul doute qu’une preuve prépondérante démontre que les conditions prévues à l’article 1902 du Code civil du Québec sont pleinement rencontrées.
[33] Même à l’audience, la locatrice souligne que les locataires devaient « prendre la porte » en raison de leur mécontentement.
[34] L’article 1902 du Code civil du Québec énonce ce qui suit :
« 1902. Le locateur ou toute autre personne ne peut user de harcèlement envers un locataire de manière à restreindre son droit à la jouissance paisible des lieux ou à obtenir qu'il quitte le logement.
Le locataire, s'il est harcelé, peut demander que le locateur ou toute autre personne qui a usé de harcèlement soit condamné à des dommages-intérêts punitifs.»
[35] Lors de l’ajournement du 10 décembre 2015, il était prévu que la locatrice soumettrait ses moyens de défense à la demande des locataires. Or, étonnamment, la locatrice a décidé de n’en soumettre aucun. La locatrice affirme même comme suit, en parlant de la preuve présentée par le locataire Comeau : « Tout ce qu’il dit, je suis d’accord avec lui ». Elle refuse aussi de poursuivre le contre-interrogatoire du locataire.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[36] DIMINUE le loyer d’une somme globale et unique de 3 000 $ et CONDAMNE la locatrice à payer ladite somme aux locataires;
[37] CONDAMNE la locatrice Maria Perna à payer aux locataires la somme de 10 482,27 $ (5 000 $ + 3 000 $ + 482,27 $ + 2 000 $) à titre de dommages-intérêts avec les intérêts au taux légal calculés à compter de la présente décision.
AVIS :
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