Décision

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Centre universitaire de santé McGill c. Lemay

2022 QCCA 1394

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

 :

500-09-029564-218

(500-17-109890-197)

 

DATE :

17 octobre 2022

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A.

SOPHIE LAVALLÉE, J.C.A.

PETER KALICHMAN, J.C.A.

 

 

CENTRE UNIVERSITAIRE DE SANTÉ MCGILL

APPELANT – mis en cause

c.

 

ÉRIC YVAN LEMAY

INTIMÉ – demandeur

et

 

COMMISSION D’ACCÈS À L’INFORMATION DU QUÉBEC

MISE EN CAUSE – mise en cause

 

 

ARRÊT

 

 

[1]                L’appelante porte en appel le jugement du 2 février 2021 prononcé par l’honorable Marc St-Pierre de la Cour supérieure, district de Montréal, lequel accueille une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’un jugement du 28 août 2019 de la Cour du Québec. Par ce jugement, la Cour du Québec a rejeté l’appel de la décision du 1er mars 2018 de la Commission d’accès à l’information du Québec, refusant l’accès à un rapport au motif qu’il est protégé par le secret professionnel de l’avocat.

[2]                Pour les motifs du juge Mainville, auxquels souscrivent les juges Lavallée et Kalichman, LA COUR :

[3]                ACCUEILLE l’appel;

[4]                ANNULE le jugement de la Cour supérieure;

[5]                RÉTABLIT le jugement de la Cour du Québec confirmant la décision de la Commission d’accès à l’information;

[6]                LE TOUT, avec les frais de justice.

 

 

 

 

ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A.

 

 

 

 

 

SOPHIE LAVALLÉE, J.C.A.

 

 

 

 

 

PETER KALICHMAN, J.C.A.

 

 

 

 

Me Patrick Trent

Me Audrey Belhumeur

BORDEN LADNER GERVAIS

Pour l’appelant

 

Me Zoé Foustokjian

Me Karl Ferland

QUÉBECOR MÉDIA

Pour l’intimé

 

Date d’audience :

15 septembre 2022


 

MOTIFS DU JUGE MAINVILLE

 

 

 

[7]                Le Centre universitaire de santé McGill (« CUSM ») porte en appel, sur permission, le jugement du 2 février 2021[1] prononcé par l’honorable Marc St-Pierre de la Cour supérieure, district de Montréal, lequel accueille une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’un jugement du 28 août 2019 de la Cour du Québec[2]. Par ce jugement, la Cour du Québec a rejeté l’appel de la décision du 1er mars 2018 de la Commission d’accès à l’information du Québec (« CAI »)[3], refusant l’accès à un rapport au motif qu’il est protégé par le secret professionnel de l’avocat.

[8]                Le présent pourvoi soulève principalement la question de savoir si la divulgation volontaire d’un document protégé par le secret professionnel de l’avocat à l’Unité permanente anticorruption (« UPAC »), dans le contexte d’une enquête de nature criminelle, entraîne la perte de confidentialité dudit document à l’égard d’autres tiers. La Cour du Québec et la CAI ont conclu que non. Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis qu’elles ont toutes deux raison et que le juge de la Cour supérieure a erré en décidant autrement. En conséquence, je propose à la Cour d’accueillir l’appel et de confirmer le jugement de la Cour du Québec et la décision de la CAI.

LE CONTEXTE

[9]                Les faits pertinents à l’affaire ne sont pas contestés. Ils sont énoncés aux par. [5] à [29] de la décision de la CAI, auxquels s’en remettent les parties.

[10]           En bref, le litige survient dans le contexte de contrats octroyés pour la construction du nouveau centre hospitalier du CUSM. En septembre 2012, l’UPAC, un corps de police spécialisé[4], exécute un mandat de perquisition dans les bureaux du CUSM à la suite d’allégations de collusion et de corruption dans l’octroi de ces contrats.

[11]           Le président-directeur général du CUSM alors en fonction, M. Normand Rinfret, mandate Me Yves Dubois, avocat au sein du cabinet BLG, afin de conseiller le CUSM quant aux recours et aux mesures à entreprendre à la lumière de ces allégations. Dans le cadre de l’exécution de son mandat, Me Dubois confie à la firme PricewaterhouseCoopers (« PwC ») un mandat d’assistance juricomptable. Ce mandat doit être effectué par phases et un rapport préliminaire doit être produit par PwC au terme de la première d’entre elles. C’est ce rapport qui fait l’objet du litige et est visé par la demande d’accès.

[12]           Le rapport est d’abord remis à Me Dubois et M. Rinfret. Il est ensuite présenté aux membres du comité de vérification du CUSM composé du président du conseil d’administration et de membres indépendants, sans toutefois qu’il ne leur soit remis. Les membres sont alors informés de la confidentialité des sujets abordés.

[13]           Au terme de cette rencontre, M. Rinfret informe les membres du comité qu’il entend transmettre le rapport à l’UPAC. Il souhaite collaborer avec l’UPAC aux fins de son enquête par souci de transparence. Le rapport est effectivement transmis à l’UPAC par Me Dubois le 11 novembre 2013.

[14]           Le 16 mai 2014, Mme Caroline Pailliez fait une demande d’accès à l’information auprès du CUSM afin d’obtenir une copie du rapport. Cette demande sera refusée le 11 juin 2014. Le 30 juin 2014, Mme Pailliez saisit la CAI d’une demande de révision.

LA DÉCISION DE LA CAI

[15]           Après un exposé des faits en litige[5], la CAI conclut que le mandat confié à PwC par Me Dubois faisait lui-même partie du mandat plus large confié à Me Dubois par le CUSM. Il s’inscrit donc dans le cadre de la relation privilégiée entre l'avocat et son client. Puisque le secret professionnel de l’avocat s’étend à l’ensemble des documents préparés aux fins de la consultation juridique, y compris les rapports d’experts, le rapport en cause s’inscrit dans les limites du secret professionnel de l’avocat[6].

[16]           Par ailleurs, la CAI conclut que la transmission du rapport à l’UPAC n’équivaut pas nécessairement à une renonciation au secret professionnel de l’avocat. Pour parvenir à une telle conclusion, la CAI applique notamment sa décision dans l’affaire Groupe TVA[7] dans laquelle elle avait préalablement conclu en ce sens.

[17]           S’appuyant sur son analyse de la preuve, la CAI conclut que c’est par souci de transparence avec l’UPAC que le CUSM a souhaité porter à l’attention des services policiers l’existence du rapport, sans pour autant renoncer au privilège du secret professionnel de l’avocat à l’égard d’autres tiers[8]. La CAI rejette donc la demande de révision[9].

LE JUGEMENT DE LA COUR DU QUÉBEC

[18]           La Cour du Québec confirme en tous points la décision de la CAI.

[19]           La juge Aubé de la Cour du Québec conclut que le rapport est protégé par le secret professionnel de l’avocat : il avait expressément pour but de renseigner les avocats dont le CUSM a sollicité l’avis et les conseils; il a été requis par l’avocat; et il fut préparé dans le contexte d’une demande d’avis juridique devant s’appuyer sur une enquête juricomptable. La juge de la Cour du Québec estime donc que la CAI a rendu une décision correcte en concluant que le rapport s’inscrivait dans la relation privilégiée entre l'avocat et son client[10].

[20]           Comme la CAI, la juge de la Cour du Québec est aussi d’avis que le CUSM n’a pas renoncé à ce privilège en regard des tiers lorsqu’il a transmis le rapport à l’UPAC. Alors que l’arrêt Chevrier c. Guimond[11], prononcé par la Cour en 1984, énonce qu’une fois un secret professionnel révélé à un tiers, il n’existe plus à l’égard d’autres tiers, les arrêts subséquents de la Cour, notamment Biomérieux inc. c. GeneOhm Sciences Canada inc.[12]  Biomérieux ») et 9139-4429 Québec inc. c. Rosemère (Ville de)[13]  Ville de Rosemère »), ont depuis fortement tempéré ces propos. Ainsi, si les circonstances ne permettent pas de conclure que la divulgation résulte d’une renonciation, le tribunal peut prendre les mesures requises pour assurer la protection du document visé par le secret professionnel de l’avocat[14].

[21]           La juge de la Cour du Québec confirme donc le raisonnement de la CAI dans ce dossier et dans celui de l’affaire Groupe TVA[15]. Elle conclut ainsi que la CAI a correctement décidé que le CUSM n’a pas renoncé au secret professionnel de l’avocat en remettant volontairement le rapport à l’UPAC et que ce document, remis aux fins d’enquête policière, n’a pas perdu son caractère confidentiel[16].

LE JUGEMENT DE LA COUR SUPÉRIEURE

[22]           Agissant en reprise d’instance pour Mme Pailliez, M. Éric Yvan Lemay demande le contrôle judiciaire du jugement de la Cour du Québec. Dans ses procédures, il ne remet pas en question la conclusion de la CAI et de la Cour du Québec voulant que le rapport soit assujetti au secret professionnel de l’avocat. Cette question n’est donc pas en litige. Sa contestation concerne uniquement la conclusion voulant que la transmission volontaire du rapport à l’UPAC ne constitue pas une renonciation par le CUSM au secret professionnel de l’avocat.

[23]           Dans des motifs laconiques, le juge St-Pierre dit souscrire au raisonnement énoncé par un autre juge de la Cour supérieure dans une autre affaire et voulant « que la communication des renseignements afin d’être utilisés envers de tierces personnes équivaut à une divulgation emportant la renonciation au secret professionnel »[17]. Ce serait le cas en l’espèce.

[24]           Il réfute aussi la conclusion de la CAI et de la Cour du Québec que la divulgation dans le cadre d’une enquête policière n’entraîne pas nécessairement une renonciation au secret professionnel de l’avocat puisque « rien dans la jurisprudence citée par la Cour du Québec ou les parties ne soutient une telle exception »[18].

[25]           Il accueille donc le pourvoi en contrôle judiciaire et retourne le dossier à la CAI afin qu’elle décide des autres motifs de refus de divulgation invoqués par le CUSM.

LES MOYENS D’APPEL

[26]           L’appelant énonce ainsi ses moyens d’appel :

  • L’honorable juge St-Pierre a-t-il erré en droit et en fait en appliquant le mauvais cadre d’analyse au présent dossier et en concluant que la communication du Rapport à l’UPAC était « utilisée envers de tierces personnes »?
  • L’honorable juge St-Pierre a-t-il erré en droit et en fait en concluant que la transmission confidentielle par le CUSM du Rapport à l’UPAC constituait une transmission à un « tiers »?
  • En supposant que cette honorable Cour conclue que le Rapport a été transmis à un « tiers » (ce qui est contesté par le CUSM), l’honorable juge St-Pierre a-t-il erré en fait et en droit en omettant de tenir compte du privilège de l’intérêt commun entre l’UPAC et le CUSM?
  • En supposant que cette honorable Cour conclue que le Rapport a été transmis à un « tiers » (ce qui est contesté par le CUSM), l’honorable juge St-Pierre a-t-il erré en fait et en droit en ne tenant pas compte du contexte dans lequel le Rapport a été transmis à l’UPAC et en concluant hâtivement que la communication du Rapport à un tiers emportait automatiquement une renonciation au secret professionnel?

[27]           Il ne sera pas nécessaire de traiter de l’ensemble de ces moyens puisque les seules questions pertinentes en l’espèce sont celles de savoir si : i) la divulgation volontaire d’un document protégé par le secret professionnel de l’avocat à l’UPAC dans le contexte d’une enquête de nature criminelle entraîne nécessairement la perte de confidentialité dudit document à l’égard d’autres tiers; et ii) en l'espèce, si la communication du rapport en cause à l'UPAC a produit cet effet.

ANALYSE

[28]           Il est bien établi que le client, titulaire du droit au secret professionnel de l’avocat, peut y renoncer implicitement[19]. Comme le souligne le juge LeBel dans Glegg c. Smith & Nephew Inc. « [la renonciation implicite] s’infère des gestes posés par le titulaire du droit, qui se révèlent incompatibles avec la volonté de préserver le secret professionnel ou plutôt d’éviter la divulgation de l’information confidentielle que protège celui-ci »[20]. Par contre, afin de lui être opposable, cette renonciation doit être claire et non équivoque[21]. Elle doit aussi être interprétée et appliquée de manière restreinte[22].

[29]           En principe, la divulgation à un tiers d’une information protégée par le secret professionnel de l’avocat emporte renonciation au privilège. C’est d’ailleurs ce qui a été conclu par le juge Tyndale dans l’arrêt Chevrier c. Guimond[23] :

That point is whether the privilege had been lost by disclosure to Appellants of the information respondents were attempting to protect. It is common sense that a secret once revealed is a secret no longer; that a privilege is lost when the information, confidential to professional and client, is disclosed to a third party; and such third party is free to make what legitimate use he wishes of the information no longer confidential. It is also the law; see, for example, Wigmore.

[Référence omise, soulignement ajouté]

[30]           Cela étant, les propos du juge Tyndale ne doivent pas être compris comme entraînant la perte de confidentialité à l’égard de tous chaque fois qu’un secret professionnel de l’avocat est divulgué à un tiers.  C’est plutôt lorsque le contexte s’y prête, notamment lorsque la divulgation est faite volontairement, plutôt qu’accidentellement ou sous la contrainte, et que le tiers à qui elle est faite peut en disposer librement.

[31]           À cet égard, dans Biomérieux, la juge Thibault précise ce qui suit[24] :

[40] Dans la foulée de la jurisprudence récente sur l'interprétation de l'article 9 de la Charte, il me semble que la portée de l'arrêt Chevrier c. Guimond précité doit être modulée, selon les circonstances et suivant le sens commun. Par exemple, si une information sujette au secret professionnel a été dévoilée au grand public, je vois mal comment elle pourrait être protégée par le tribunal ou autrement. Par contre, si sa divulgation a été limitée et que les circonstances ne permettent pas de conclure qu'elle résulte d'une renonciation, il me semble que le tribunal doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la protection d'un droit fondamental découlant de l'article 9 de la Charte.

[Soulignement ajouté; référence omise]

[32]           Dans l’arrêt Ville de Rosemère, le juge Morissette identifie certains cas de figure pour lesquels une communication à un tiers n’a pas pour effet de faire perdre la confidentialité d’une information autrement protégée par le secret professionnel de l’avocat. C’est le cas notamment d’une divulgation faite par inadvertance ou par erreur[25] ou de situations qui s’apparentent à une divulgation sous la contrainte ou « sous protêt »[26]. Le juge Morissette prend soin toutefois de préciser que l’analyse ne saurait devenir un exercice de « simple casuistique »[27]. Il s’agit en somme d’une analyse contextuelle propre à chaque cas.

[33]           Qu’en est-il d’une divulgation faite à un corps de police, telle l’UPAC, dans le cadre d’une enquête de nature criminelle? Entraîne-t-elle automatiquement la perte du secret professionnel de l’avocat auprès d’autres tiers, comme l’énonce péremptoirement le juge de la Cour supérieure dans la présente affaire?

[34]           La CAI et la Cour du Québec ont toutes deux décidé que les circonstances en l’espèce ne permettaient pas de conclure en ce sens. À mon avis, elles n’ont commis aucune erreur en décidant ainsi.

[35]           Tant la CAI que la Cour du Québec retiennent qu’en transmettant le rapport à l’UPAC, le CUSM n’avait pas l’intention de renoncer au secret professionnel, mais plutôt de collaborer avec l’UPAC, par souci de transparence, considérant l’enquête criminelle qui était en cours. La CAI s’exprime ainsi à ce sujet[28] :

[76] Tout comme dans l’affaire Groupe TVA, où la demande portait sur un rapport de juricomptabilité commandé par un avocat et transmis à l’UPAC, la Commission considère que la présentation au comité de vérification de l’organisme et la transmission à l’UPAC du document en litige ne constituent pas une renonciation à la protection du secret professionnel :

[…]

[77] Il ressort de la preuve présentée, que le rapport préliminaire a été transmis à l’UPAC parce que l’organisme considérait que son contenu relevait davantage des services policiers. L’UPAC avait déjà perquisitionné les bureaux de l’organisme dans le cadre d’allégations de fraude. Le rapport étant en lien avec ces allégations et dans une volonté de transparence avec l’UPAC, l’organisme a voulu porter à l’attention des autorités policières le contenu du document.

[78] Cette décision de l’organisme ne permet pas de conclure à une renonciation au privilège du secret professionnel.

[36]           La Cour du Québec confirme en tous points ce raisonnement.

[37]           Les conclusions de la CAI, de même que celles de la Cour du Québec, sont toutes deux appuyées sur celle de la décision antérieure de la CAI dans l’affaire Groupe TVA qui énonce que la transmission d’un rapport juricomptable à l’UPAC n’emporte pas nécessairement une renonciation au secret professionnel de l’avocat à l’égard de tiers. En voici les extraits pertinents[29] :

[132] En l’espèce, un avocat des services juridiques de Desjardins a réclamé une étude détaillée de la part de la firme KPMG afin de conseiller adéquatement son client sur la légalité des gestes posés par l’actionnaire principal de BCIA pour obtenir un prêt. La relation privilégiée d’avocat client est au cœur des démarches initiées.

[…]

[138] Le même raisonnement s’applique du fait qu’une dénonciation à la police ait été faite. Compte tenu de la conclusion à laquelle l’expert comptable en était venu, l’organisme public, dont les fonds proviennent des contribuables, et Desjardins, en tant que citoyen corporatif, avaient l’obligation morale de porter la situation à l’attention des autorités policières dans les circonstances. Leur conduite ne correspond pas à un geste de renonciation au privilège du secret professionnel, lequel, pour être convaincant, doit démontrer clairement l’intention d’être privé de la protection liée au secret professionnel, ce qui n’est pas démontré. Leur initiative traduit plutôt une volonté de dénoncer aux autorités compétentes toute manœuvre dolosive qui mériterait d’être sanctionnée.

[139] Compte tenu de ce qui précède, le rapport de KPMG et ses annexes ne seront pas communiqués au demandeur. La Commission conclut que l’intégralité de leur contenu est inaccessible. Ainsi, il n’est pas nécessaire d’apprécier l’applicabilité de l’article 28 de la Loi sur l’accès.

[Référence omise]

[38]           Ainsi, ces trois décisions soutiennent qu’une divulgation aux autorités policières d’un document soumis au privilège du secret professionnel de l’avocat dans le but de collaborer à une enquête criminelle n’entraîne pas en soi la perte de confidentialité du document à l’égard d’autres tiers. Le geste de transmettre l’information privilégiée aux autorités policières relève de l’obligation morale, ce qui ne démontre aucune intention claire et non équivoque d’être privé de la protection liée au secret professionnel de l’avocat.

[39]           Or, ce raisonnement est similaire, sinon identique, à celui retenu par la Court of Appeal d’Angleterre dans l’affaire British Coal Corp. v. Dennis Rye Ltd and another (No. 2)[30] British Coal »), dont les principes ont été repris en droit canadien[31]. Dans cette affaire, il fallait décider si la communication de documents assujettis au secret professionnel de l’avocat (« legal professional privilege ») à la police dans le cadre d’une procédure criminelle concernant les mêmes faits, constituait une renonciation au secret professionnel. Le juge Neil a répondu par la négative à cette question en ces mots[32] :

In my opinion this part of the case can be dealt with quite shortly. The documents, when they came into existence, were plainly protected by legal professional privilege of the kind to which I have referred. The privilege was from discovery in the action for which they were prepared, that is, the present action. Has anything happened which has caused that privilege to be waived or otherwise lost?

In my judgment the answer to this question is plainly No. Let it be assumed that all the documents have come into the possession of the defendants with the implied consent of the plaintiff and that it could be established that it would have supplied the category B documents even without an order of the court. Nevertheless, it is clear that the plaintiff made the documents available for a limited purpose only, namely to assist in the conduct first of a criminal investigation and then of a criminal trial. This action by the plaintiff, looked at objectively as it must be, cannot be construed as a waiver of any rights available to it in the present civil action for the purpose of which the privilege exists.

In my judgment the action of the plaintiff in making documents available for the purpose of the criminal trial did not constitute a waiver of the privilege to which it was entitled in the present civil proceedings. Its action in regard to the documents was in accordance with its duty to assist in the conduct of the criminal proceedings, and could not properly be construed as an express or implied waiver of its rights in its own civil litigation. Indeed, it would in my view be contrary to public policy if the plaintiff's action in making the documents available in the criminal proceedings had the effect of automatically removing the cloak of privilege which would otherwise be available to them in the civil litigation for which the cloak was designed.

[40]           Ainsi, selon le juge Neil, lorsque le titulaire du droit au secret professionnel de l’avocat met à la disposition des autorités policières des documents privilégiés dans le but de soutenir les autorités dans le cadre d’une enquête criminelle et ensuite de procédures criminelles, cela ne constitue pas nécessairement une renonciation à son droit au secret professionnel dans le contexte civil. Il serait, selon lui, contraire à l’ordre public que la divulgation de documents privilégiés dans le cadre d’une procédure criminelle ait pour effet de supprimer, en quelque sorte, les privilèges qui y sont associés.

[41]           Ce raisonnement, comme celui de la CAI et de la Cour du Québec dans le présent dossier et celui dans l’affaire Groupe TVA, s’appuie sur des considérations d’intérêt public. S’il faut se garder d’importer de façon inappropriée des règles de la common law pour interpréter l'étendue du secret professionnel en droit québécois[33], j’estime toutefois que le raisonnement fondé sur l’intérêt public retenu par la CAI et la Cour du Québec dans cette affaire et dans l’affaire Groupe TVA (lequel est similaire à celui énoncé dans l’affaire British Coal) est tout à fait justifié.

[42]           Rappelons que dans l’arrêt Biomérieux, la juge Thibault invite les tribunaux à moduler, en fonction des circonstances et suivant le sens commun, la règle selon laquelle la divulgation à un tiers d’une information protégée lui fait perdre son caractère confidentiel. À titre d’exemple, la juge Thibault souligne qu’une divulgation limitée, faite dans des circonstances qui ne permettent pas de conclure à une renonciation, n’emporte pas nécessairement la perte de la confidentialité de l’information divulguée.

[43]           C’est ainsi qu’en appliquant l’approche préconisée dans Biomérieux, la Cour décide dans Centre Marcel-Boivin inc. c. Société immobilière du Québec[34] que la communication d’expertises au procureur général du Québec, en cours d’instance, pourrait valoir renonciation au secret professionnel à l’égard de ce dernier, mais non pas à l’égard d’autres tiers[35]. Dans l’arrêt Chubb Insurance Company of Canada c. Domtar[36], le juge Schrager, écrivant pour la majorité, adopte un raisonnement similaire lorsqu’il conclut que le fait qu’une partie à l’instance ait divulgué à un tiers le contenu d’un avis juridique n’équivaut pas nécessairement à une renonciation au secret professionnel en faveur de tous les tiers, y compris l’intimé dans l’affaire en cause[37].

[44]           Il n’y a donc, à mon avis, aucun obstacle en droit québécois au raisonnement adopté dans British Coal et repris ici de façon autonome par la CAI et la Cour du Québec, puisque cette Cour a déjà retenu qu’une divulgation restreinte à un tiers déterminé n’emporte pas nécessairement renonciation à l’endroit de l’ensemble des tiers. Tout dépend du contexte et des faits propres à chaque affaire.

[45]           En l’espèce, s’appuyant sur les faits dans le dossier et tenant compte de l’ensemble du contexte, la CAI a conclu que la décision du CUSM de transmettre le rapport à l’UPAC ne constituait pas une renonciation au privilège du secret professionnel à l’égard de tous les tiers[38]. Cette conclusion est fondée sur la preuve.

[46]           D’abord, il ressort clairement de la preuve que le rapport en cause fut traité comme étant confidentiel par le représentant de l’appelant, M. Rinfret, et par tous les intervenants au sein du CUSM. À cet égard, le rapport a été commandé à PwC par Me Dubois dans le cadre de son mandat à titre d’avocat du CUSM et la diffusion du contenu du rapport fut intentionnellement très limitée à l’interne. Dans son témoignage, M. Rinfret indique qu’il souhaitait éviter que le rapport circule au sein du CUSM considérant la nature hautement confidentielle des sujets abordés[39].

[47]           Sur le rapport, on retrouve la mention « DRAFT Privileged and Confidential For Discussion Only », qui indique le sort qu’on voulait réserver au document. Par ailleurs, le rapport a seulement été présenté au comité de vérification du CUSM composé de quelques membres indépendants et du président du conseil d’administration. Des consignes quant à la confidentialité des informations contenues dans le rapport ont été adressées aux membres présents lors de cette rencontre.

[48]           Après cette rencontre, la décision fut prise par le comité de vérification et M. Rinfret de ne pas prolonger le mandat de PwC. M. Rinfret a ensuite décidé de transmettre le rapport à l’UPAC. Le conseil d’administration de l’organisme n’a pas vu le rapport et ce dernier ne lui a pas été présenté; il a seulement été informé de son existence, de la rencontre avec le comité de vérification et de la décision de ne pas poursuivre le mandat de PwC.

[49]           Ainsi, contrairement à ce que soutient l’intimé, ce n’est pas seulement la présence de la mention « DRAFT Privileged and Confidential For Discussion Only » qui permet de conclure en l’espèce que le CUSM souhaitait préserver la confidentialité du rapport malgré sa transmission à l’UPAC.

[50]           Je ne peux non plus retenir la prétention de l’intimé voulant que le défaut d’avoir explicitement réservé le privilège lors de la transmission du rapport à l’UPAC (notamment au moyen d’une lettre à cet effet) doive nécessairement être interprété comme une renonciation par l’appelant au privilège lié au secret professionnel de l’avocat.

[51]           Je réitère que la renonciation au secret professionnel de l’avocat doit être claire et non équivoque. C’est le contexte factuel applicable à chaque cas qui permet de l’inférer. Par conséquent, aucune formule particulière, telle une réserve explicite des droits, n’est requise. Tout dépend de l’analyse contextuelle qui, elle, commande de tenir compte de l’ensemble des circonstances en cause dans chaque cas[40]. Dans celui qui nous occupe, à la lumière de l’ensemble de la preuve devant elle, la CAI a correctement retenu, comme conclusion factuelle, qu’il n’y avait pas eu une telle renonciation de la part de l’appelant.

[52]           Par ailleurs, l’argument de l’intimé (retenu par le juge de la Cour supérieure[41]) selon lequel « l’UPAC est parfaitement libre de divulguer le Rapport à qui elle le souhaite et de l’utiliser comme bon lui semble »[42], ne tient pas à la lumière des circonstances en l’espèce et du droit applicable. En effet, la divulgation est assujettie aux obligations de l’UPAC en matière de confidentialité à titre d’organisme public et de corps de police et, en conséquence, cette dernière ne peut l’utiliser autrement que dans le cadre de son enquête criminelle.

[53]           À cet égard, je note que les corps de police sont tenus à la confidentialité dans la conduite de leurs enquêtes, tel que le prévoit d’ailleurs explicitement l’article 28 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels[43]. Je souligne aussi que l’article 7 du Code d’éthique et de déontologie des administrateurs publics du Commissaire à la lutte contre la corruption confirme le devoir de confidentialité de l’UPAC[44] :

7. Le commissaire est tenu à la discrétion sur ce dont il a connaissance dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions et est tenu, à tout moment, de respecter le caractère confidentiel de l’information ainsi reçue.

[54]           D’ailleurs, aucune preuve n’a été produite dans le dossier qui permettrait d’établir que l’UPAC aurait dévoilé d’une quelconque façon le rapport en cause ou aurait eu l’intention de le faire, en tout ou en partie. En l’absence d’une telle preuve, il est difficile de comprendre comment on peut conclure que le CUSM aurait renoncé au secret professionnel à l’égard de tous les tiers au motif que l’UPAC aurait pu tenir une conférence de presse sur le contenu du rapport dès le lendemain de sa transmission[45]. Une telle conclusion est manifestement infondée, tant au regard des faits en preuve qu’en vertu du droit applicable.

[55]           Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel, j’annulerais le jugement de la Cour supérieure et je rétablirais le jugement de la Cour du Québec confirmant la décision de la CAI, le tout avec les frais de justice.

 

 

 

ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A.

 


[1] Lemay c. Cour du Québec - division administrative et d'appel, 2021 QCCS 1963 (le « jugement de la Cour supérieure »).

[2] Pailliez c. Centre universitaire de santé McGill, 2019 QCCQ 5554 (le « jugement de la Cour du Québec »).

[3] Pailliez c. Centre universitaire de santé McGill, 2018 QCCAI 40 (la « décision de la CAI »).

[4] Loi concernant la lutte contre la corruption, RLRQ, c. L-6.1, art. 8.4.

[5] Décision de la CAI, par. 1-30.

[6] Id., par. 59-70.

[7] Groupe TVA inc. c. Investissement Québec, 2014 QCCAI 41.

[8] Décision de la CAI, par. 77-78.

[9] Id., par. 79.

[10] Jugement de la Cour du Québec, par. 47-63.

[11] Chevrier c. Guimond, 1984 R.D.J. 240 (C.A.).

[12] Biomérieux inc. c. GeneOhm Sciences Canada inc., 2007 QCCA 77.

[13] 9139-4429 Québec inc. c. Rosemère (Ville de), 2013 QCCA 495.

[14] Jugement de la QCCQ, par. 68-74.

[15] Id., par. 82-85.

[16] Id., par. 86-87.

[17] Jugement de la Cour supérieure, par. 8, référant à Bourcier c. Desormeaux, 2006 QCCS 3787.

[18] Id., par. 12.

[19] Glegg c. Smith & Nephew Inc., 2005 CSC 31, [2005] 1 R.C.S. 724, par. 19. Voir également : Procureur général du Québec c. Beaulieu, 2021 QCCA 1305, par. 101-110; N9ne Realty Inc. c. First Capital (Aylmer Principale) Corporation Inc., 2019 QCCA 2027, par. 2;  Poulin c. Prat, 1994 CanLII 5421 (QC CA), [1994] R.D.J. 301 (C.A.), p. 306-307. 

[20] Glegg c. Smith & Nephew Inc., 2005 CSC 31, [2005] 1 R.C.S. 724, par. 19.

[21] Id., par. 18. Voir également : Pilon ltée c. Lavoie, 2018 QCCA 890, par. 20; Chubb Insurance Company of Canada c. Domtar inc., 2017 QCCA 1004, par.113.

[22] Procureur général du Québec c. Beaulieu, 2021 QCCA 1305, par. 109. Voir également : N9ne Realty Inc. c. First Capital (Aylmer Principale) Corporation Inc., 2019 QCCA 2027, par. 5; M.Bl. c. R.B., 2017 QCCA 1543, par. 10-16.

[23] Chevrier c. Guimond, 1984 CanLII 2862 (QC CA), [1984] R.D.J. 240, 242 (C.A).

[24] Biomérieux inc. c. GeneOhm Sciences Canada inc., 2007 QCCA 77, par. 40.

[25] 9139-4429 Québec inc. c. Rosemère (Ville de), 2013 QCCA 496, par. 47. Voir également : A.G. c. D.W., J.E. 2002-1035 (C.S.); Chouinard c. Robbins, J.E. 96-2296 (C.S.).

[26] 9139-4429 Québec inc. c. Rosemère (Ville de), 2013 QCCA 496, par. 48. Voir également Biomérieux inc. c. GeneOhm Sciences Canada inc., 2007 QCCA 77, par. 41; Landry c. Société immobilière Marathon ltée/Marathon Realty Co, 2000 CanLII 18683 (QC CS), J.E. 2000-1896 (C.S.).

[27] 9139-4429 Québec inc. c. Rosemère (Ville de), 2013 QCCA 496, par. 54.

[28] Jugement de la CAI, par. 76-78.

[29] Groupe TVA inc. c. Investissement Québec, 2014 QCCAI 41, par. 132, 138-139.

[30] British Coal Corp v. Dennis Rye Ltd  (No. 2), [1988] 3 All ER 816 (C.A.), demande d’autorisation d’appel à la House of Lords refusée.

[31] Voir notamment : Interprovincial Pipe Line Inc. c. M.N.R., [1996] 1 F.C. 367, p. 380-381; Philips Services Corp. (Receiver of) c. Ontario (Securities Commission), 202 O.C. 201, 77 O.R. (3d) 209, 2005 CarswellOnt 3935 (Ont. Div. Court), par. 47-49; Rekken v. Health Region #1, 2012 SKQB 248, par. 22.

[32] British Coal, p. 821-822.

[33] Poulin c. Prat, 1994 CanLII 5421 (QC CA), [1994] R.D.J. 301 (C.A.), 307, par. 14 de l’éd. CanLII; Saint-Alban (Municipalité de) c. Récupération Portneuf, 1999 CanLII 13284 (QC CA), [1999] R.J.Q. 2268 (C.A.).

[34] Centre Marcel-Boivin inc. c. Société immobilière du Québec, 2007 QCCA 749.

[35] Id., par. 44-45.

[36] Chubb Insurance Company of Canada c. Domtar inc., 2017 QCCA 1004.

[37] Id., par. 114.

[38] Décision de la CAI, par. 78.

[39] Transcription du témoignage de Norman Rinfret devant la CAI le 5 juin 2017, p. 61-62.

[40] Philips Services Corp. (Receiver of) c. Ontario (Securities Commission), 202 O.C. 201, 77 O.R. (3d) 209, 2005 CarswellOnt 3935 (Ont. Div. Court), par. 61.

[41] Jugement de la Cour supérieure, par. 14.

[42] Argumentation au mémoire de l’intimé, par. 44-45.

[43] Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, RLRQ c. A-2.1, art. 28.

[44] Code d’éthique et de déontologie des administrateurs publics du Commissaire à la lutte contre la corruption, art. 7.

[45] Jugement entrepris, par. 14.

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