Décision

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Droit de la famille — 181293

2018 QCCA 1023

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-027068-170

(700-04-028193-172)

 

DATE :

 18 juin 2018

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

FRANÇOIS DOYON, J.C.A.

MANON SAVARD, J.C.A.

JOCELYN F. RANCOURT, J.C.A.

 

 

C… B...

APPELANTE - défenderesse

c.

 

F… D...

INTIMÉ - demandeur

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           En raison de l’imminence de la rentrée scolaire, la juge de première instance (l’honorable Karen M. Rogers de la Cour supérieure, district de Terrebonne) rend jugement oralement, séance tenante, le 28 août 2017 (jugement révisé le 1er septembre 2017), jugement qui accorde à l’intimé la garde de l’enfant du couple, X, née le [...] 2011, et ordonne que l’appelante ait des droits d’accès conformes à la proposition de l’intimé.

[2]           Cela étant, on ne peut s’attendre à un jugement aussi approfondi que si l’affaire avait été mise en délibéré, ce qui ne signifie évidemment pas que la juge n’est pas pour autant tenue aux règles de droit.

[3]           Par ailleurs, la Cour ne peut intervenir à l’égard d’une telle ordonnance pour la seule raison que la juge aurait omis de mentionner certains facteurs ou certains faits pertinents. Comme le rappelle la Cour dans Droit de la famille — 15463 :

[2]        Une cour d’appel doit faire preuve de retenue en examinant les décisions des juges de première instance qui portent sur la garde. C’est ce que rappelle régulièrement la Cour suprême. Ainsi, il ne suffit pas de démontrer que le juge de première instance a omis de mentionner un facteur pertinent dans ses motifs. Encore faut-il établir que le juge a négligé d’examiner la preuve ou l’a mal interprétée de manière telle que sa conclusion en a été affectée.[1]

[4]           En somme, l’intervention en appel n’est autorisée que si le dossier permet de conclure que le juge n’a pas tenu compte de principes reconnus ou de faits importants, ce qui exige aussi une démonstration que l’erreur, fut-elle de droit ou de fait, a eu un impact déterminant sur la conclusion.

[5]           Sans être mariées, les parties ont fait vie commune de 2008 à 2013. De cette union naît X. Les deux parties ont chacune un enfant issu d’une union précédente. L’appelante est policière [au service de police A] et travaillait dans [la région A] depuis plusieurs années, alors que l’intimé est pompier à la Ville A.

[6]           Dès la rupture, en 2013, les parties, qui demeurent alors toutes les deux dans la région de Ville B, à environ un kilomètre de distance, se partagent également la garde de même que les droits d’accès à l’enfant.

[7]           Il appert des témoignages que les deux parents sont alors disponibles pour leur enfant. L’intimé a un horaire atypique, lui imposant parfois de travailler plusieurs jours consécutifs, mais il arrive à passer beaucoup de temps avec sa fille. Toutefois, les exigences de son emploi font en sorte qu’il ne peut s’absenter pendant son travail s’il y a une urgence. L’appelante a généralement un horaire plus stable et elle est disponible lorsque se présente une urgence. Les parents veillent, autant l'un que l'autre, aux besoins de leur fille et sont tous les deux dévoués.

[8]           L’entente entre les parties est relativement bonne, quoique l’appelante reproche à l’intimé de laisser parfois X aux soins de sa demi-sœur de 11 ans durant une trentaine de minutes avant le départ pour l’école et, à l’occasion, de manquer d’organisation. 

[9]           Au moment des procédures, en 2017, X partage son temps entre deux familles recomposées harmonieuses. Chez son père, elle vit avec sa demi-sœur Y, dont elle est très proche. Elle s’entend bien avec la conjointe de son père, qu’il fréquente depuis 18 mois, et ses deux filles, quoiqu’elles ne vivent pas dans la même demeure, la conjointe de l’intimé habitant sa maison à Ville C. Chez sa mère, elle vit avec son demi-frère aîné, qui est né d’une relation antérieure, et sa demi-sœur cadette, Z, dont la naissance l’a réjouie et à laquelle elle est très attachée. Elle s’entend bien avec son beau-père, avec qui sa mère cohabite depuis quatre ans.

[10]        En mars 2017, l’appelante informe l’intimé que son employeur a accepté de les transférer, elle et son conjoint, [dans la région B], leur région d’origine. Son conjoint bénéficiera d’une promotion. Dans leurs nouvelles fonctions, elle et son conjoint auront un horaire stable (7 h 30 à 16 h 30) et auront congé les vendredis, quatre semaines sur cinq. En outre, leurs supérieurs font preuve de souplesse et sont ouverts à faciliter la conciliation entre le temps au travail et le temps en famille.

[11]        Dès l’annonce de son transfert, les communications entre les parties deviennent plus difficiles.

[12]        L’appelante déclare que, contrairement à ce qui avait été convenu entre eux, l’intimé a informé X du déménagement de sa mère sitôt qu’il l’a appris, ce qui a soulevé questions et inquiétudes chez l’enfant.

[13]        L’intimé dépose une demande introductive d’instance le 27 avril 2017 pour obtenir la garde exclusive de X, tout en proposant des droits d’accès pour l’appelante équivalant à moins de 30 % du temps. L’appelante réplique par une demande de garde partagée dans une proportion de 60 % du temps avec elle.

[14]        Le 20 juillet 2017, l’appelante déménage [dans la région B] avec sa famille. X est enthousiaste, installe sa chambre et visite le quartier dès le déménagement.

[15]        Le jugement est laconique sur les motifs qui mènent la juge à accorder la garde à l’intimé et à retenir sa proposition de droits d’accès (telle que présentée à l’audience) plutôt que celle de l’appelante. Après avoir rappelé que l’appelante est déménagée de Ville B à Ville D, que la garde partagée n’est plus possible en raison de la distance entre les deux endroits (quelque 400 km et environ quatre heures de route) et que la capacité parentale des deux parents est établie, sa motivation tient principalement dans les trois paragraphes suivants de la transcription de son jugement :

[18]   Le demandeur, malgré son horaire atypique, a démontré qu’il est suffisamment entouré pour voir aux besoins de X s’il doit travailler. D’ailleurs, l’avantage de son horaire atypique est qu’il a beaucoup de flexibilité et de temps à consacrer à sa fille. D’ailleurs, la preuve est à l’effet que la relation père-fille est très bonne.

[19]   Le Tribunal considère que d’obliger X à abandonner son école, ses amis, sa famille élargie et le monde qu’elle connaît depuis sa naissance n’est pas dans son meilleur intérêt. Déjà, elle devra s’adapter à ne pas voir sa mère et sa petite sœur Z aussi fréquemment qu’auparavant, ce qui sera sûrement difficile pour elle.

[20]   Le Tribunal considère que la preuve est que le demandeur offre un environnement stable et sécuritaire à sa fille. De plus, elle a très peu de famille dans la région de Ville D, donc, elle abandonnera en fait tout, si le Tribunal lui imposait de se déplacer.

[16]        Le raisonnement du paragraphe 19 peut paraître étonnant : rappelons que Z est la fille de deux ans née de la nouvelle union de l’appelante. Selon la juge, X verra moins sa mère et sa jeune demi-sœur et il faut, dans son meilleur intérêt, favoriser son maintien dans son milieu actuel, chez l’intimé. Pourtant, c’est justement en raison du jugement que X verra moins souvent sa mère et Z. Bref, un raisonnement circulaire qui n’aide pas beaucoup à la compréhension de la décision.

[17]        Par ailleurs, la lecture du jugement et des interventions de la juge mènent au constat suivant : à compter du déménagement de l’appelante, il n’y a, pour la juge, qu’une seule solution, soit le maintien de l’enfant dans son milieu de vie pour assurer sa stabilité. En d’autres termes, le déménagement de la mère conduit nécessairement à la fin de la garde partagée et au maintien de l’enfant à Ville B, si tant est que le père ait les ressources pour s’occuper de l’enfant. La juge évalue donc l’intérêt de l’enfant en considérant presque exclusivement la capacité du père à en prendre soin, et en omettant celle de la mère d’en faire autant. Or, le déménagement de la mère ne peut, en soi, mener à ce résultat, à moins que ce déménagement ait un lien avec sa capacité de voir aux besoins de l’enfant, ce qui n’est pas le cas. La stabilité d’un enfant ne requiert pas nécessairement le statu quo, d’autant que, en l’espèce, au moment de l'audition, la résidence de l’intimé était en vente et qu’il a déclaré à la juge ne pas encore savoir où il s’établirait advenant une vente, ce qui démontre comment il pouvait être délicat pour la juge de se fonder sur le statu quo.

[18]        Même si Gordon c. Goertz[2] n’est peut-être pas spécifiquement applicable vu l’absence d’ordonnance judiciaire antérieure, les principes qui s’en dégagent quant au déménagement d’un parent demeurent pertinents : ce seul fait ne doit pas mener à l’exclusion des autres facteurs : paragr. 22-23 et 49.

[19]        De plus, selon la juge, la stabilité de l’enfant passe essentiellement par son maintien dans son milieu de vie scolaire et social, une conception trop étroite de la stabilité, alors qu’il n’est pourtant pas question de priver l’enfant de ses liens avec la famille élargie composée de son père, de sa conjointe et des enfants. D’ailleurs, tout en considérant avec attention la famille de l’intimé, la juge ne s’attarde que très peu à celle de l’appelante, cette dernière, faut-il le préciser, étant plus disponible que l’intimé qui a parfois besoin d’aide extérieure.

[20]        La juge commet aussi une erreur en ne tenant pas compte de l’ensemble des circonstances, notamment du manque de collaboration et de transparence de l’intimé, alors qu’il faut pourtant que le parent gardien s’assure du maintien des contacts de l’enfant avec l’autre parent, particulièrement lorsque les moments avec ce dernier sont espacés. Or, les difficultés de l’intimé à cet égard se sont manifestées d’abord au procès, entre autres lorsqu’il fut question de sa propension à discuter du litige avec X et de son travail parallèle, qui pouvait entraîner une disponibilité moins grande que celle qu’il décrivait, puis en appel, lorsqu’il fut question de l’endroit où il allait demeurer avec l’enfant après la vente de sa maison. La Cour a alors pu constater les réticences de l’intimé à informer adéquatement l’appelante. D’ailleurs, la proposition de droits d’accès de l’intimé laissait voir à la juge qu’il était fort préoccupé par ses propres besoins et ceux de sa nouvelle conjointe, sans vraiment tenir compte des besoins de l’enfant et des disponibilités de l’appelante. De plus, et cela est fort regrettable, l’intimé a impliqué l’enfant dans le conflit.

[21]        En somme, la juge évalue l'intérêt de l'enfant à un moment précis, celui du jugement, sans une perspective plus large, comme elle le devait, en tenant compte aussi de la capacité de chacun des parents à faire une place à l'autre, pour faciliter les contacts ultérieurs avec l’enfant, capacité qu’a manifestée l’appelante alors que celle de l’intimé est loin d’être démontrée. La Cour a du reste été informée d’un incident qui laisse perplexe à ce sujet : une mise en demeure transmise par l’intimé à l’appelante lui interdisant de venir voir sa fille à l’école[3] en dehors des journées préalablement identifiées, tout en informant l’école de la situation, alors que l’une des conclusions du jugement de première instance est : « PERMET et encourage les parties à faciliter et encourager toutes communications et accès entre la défenderesse et X ».

[22]        L’analyse de la juge recèle donc des erreurs, notamment lorsqu’elle identifie les conditions pour assurer la stabilité de l’enfant, d’autant que cette stabilité s’avérait de toute façon précaire vu la mise en vente de la maison de l’intimé et son désir avoué lors du procès d’emménager avec sa conjointe, qui habitait alors à Ville C. Elle a indûment restreint son examen des facteurs pertinents de la façon suivante : comme l’appelante déménageait, il fallait assurer la stabilité de l’enfant et la seule façon était d’ordonner son maintien chez l’intimé. Elle s’est alors limitée à évaluer la capacité de l’intimé à s’occuper de l’enfant, sans s’interroger sur celle de l’appelante à le faire, et à tenir compte de la famille élargie de l’intimé, sans faire de même pour celle de l’appelante, sans perspective globale et sans une approche prenant en compte l’ensemble des circonstances, dont les difficultés de l’intimé à favoriser la maximisation des contacts entre l’enfant et sa mère, ce qui constitue des erreurs déterminantes.

[23]        À l’audience en appel, les parties disent avoir convenu de droits d’accès pour la période estivale 2018, de sorte que les changements aux modalités de garde et d’accès n’entreront en vigueur qu’à compter du 24 août 2018, en vue de la rentrée scolaire.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[24]        ACCUEILLE l’appel en partie;

[25]        INFIRME les paragraphes 21, 22, 24, 26, 27, 28 et 29 du jugement de première instance, les autres conclusions demeurant en vigueur, afin d’y substituer, à compter du 24 août 2018, les paragraphes suivants :

[21]   CONFIE la garde de l’enfant X à Madame;

[22]   CONFIRME que l’enfant X fréquentera une école de la Commission scolaire A;

[24]   ORDONNE aux parties de permettre et faciliter les communications entre l’enfant X et ses deux parents;

[26]   ACCORDE à Monsieur des droits d’accès à l’enfant X, selon les modalités suivantes :

i)    Toutes les fins de semaine correspondant aux congés en vigueur à la Commission scolaire A, du jeudi (après l’école) au dimanche, si le congé est un vendredi, et du vendredi (après l’école) au lundi, si le congé est un lundi;

ii)   Une fin de semaine additionnelle, au choix de Monsieur, lorsqu’une période de quatre semaines et plus sépare l’exercice des droits d’accès, étant entendu que Monsieur devra aviser Madame de son choix au plus tard le 1er septembre et que cette fin de semaine ne peut être consécutive à une fin de semaine au cours de laquelle Monsieur exerce ses droits d’accès;

iii)   La moitié de la période des Fêtes, incluant Noël ou le jour de l’An en alternance annuelle, Monsieur ayant la période de Noël pour 2018;

iv)  Toutes les semaines de relâche, à compter du vendredi (après l’école) la précédant jusqu’au dimanche suivant;

v)   Du jeudi au lundi pour la période de Pâques;

vi)  Période estivale : De la fin des classes jusqu’au vendredi précédant la semaine de la rentrée scolaire, à l’exception de deux semaines consécutives au choix de Madame, étant entendu que cette dernière avisera Monsieur de son choix au plus tard le 1er avril;

vii) Tout autre moment convenu entre les parties;

         et DONNE ACTE à l’entente entre les parties selon laquelle l’échange de l’enfant X, aux fins de l’exercice des droits d’accès, a lieu dans un endroit public à Ville E, à 17 h pour l’arrivée et à 19 h pour le retour, et ORDONNE aux parties de s’y conformer, chacune assumant ses frais de transport.

[26]        ORDONNE aux parties de convenir de la pension alimentaire à être versée au bénéfice de l'enfant X selon le Règlement sur la fixation des pensions alimentaires pour enfants;

[27]        DONNE ACTE à l’entente entre les parties quant aux modalités de garde de l’enfant X jusqu’au 24 août 2018 et leur ORDONNE de s’y conformer;

[28]        SANS LES FRAIS DE JUSTICE, vu le second alinéa de l’article 340 C.p.c.

 

 

 

 

FRANÇOIS DOYON, J.C.A.

 

 

 

 

 

MANON SAVARD, J.C.A.

 

 

 

 

 

JOCELYN F. RANCOURT, J.C.A.

 

Me Alain Bissonnette

Bissonnette Fortin Giroux

Pour l’appelante

 

Me Éloïse Pion

Prévost Fortin D’Aoust

Pour l’intimé

 

Dates d’audience :

19 avril et 1er juin 2018

 



[1]     2015 QCCA 440, références omises.

[2]     [1996] 2 R.C.S. 27.

[3]     Selon ce qui a été dit à la Cour, il s’agissait de la journée de la rentrée scolaire.

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