Directeur des poursuites criminelles et pénales c. M.G. |
2014 QCCQ 10602 |
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COUR DU QUÉBEC |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
SAINT-FRANÇOIS |
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LOCALITÉ DE |
SHERBROOKE |
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« Chambre Criminelle et pénale » |
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N° : |
450-01-085119-142 |
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DATE : |
28 octobre 2014 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
LA JUGE |
CLAIRE DESGENS J.C.Q. |
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DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES |
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Poursuivant |
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c. |
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M... G... |
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Accusé |
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JUGEMENT |
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CE DOSSIER COMPORTE UNE ORDONNANCE EN VERTU DE L'ARTICLE 486.4 DU CODE CRIMINEL LIMITANT LA PUBLICATION ET INTERDISANT DE PUBLIER OU DE DIFFUSER DE QUELQUE FAÇON QUE CE SOIT TOUT RENSEIGNEMENT PERMETTANT D’ÉTABLIR L’IDENTITÉ DE LA VICTIME.
[1] Le litige porte ici sur une question de droit. Est-ce que l'article 155 du Code criminel crée une infraction pouvant s'appliquer aux rapports sexuels entre un père et son fils ou si le chef d'accusation d'inceste n'est réservé qu'aux délits impliquant obligatoirement un homme et une femme?
Prétentions des parties
[2] La poursuite suggère que, vu sa rédaction limpide, le texte de l'alinéa 155(1) C.cr. doit être lu en fonction du sens clair et précis des mots choisis par le législateur. Aucune interprétation n'est donc nécessaire puisque le texte de la disposition législative n'est pas ambigu. Ici, le Code ne fait pas de distinction entre les sexes.
[3] Il est préconisé d'adopter une approche axée sur le sens commun et habituel des mots qui tient compte de l'évolution du droit relatif à la protection des victimes d'abus sexuels intrafamiliaux, les garçons comme les filles.
[4] La défense est plutôt d’avis que l'article 155 C.cr. doit s'interpréter restrictivement. L'argument s'appuie sur l'historique de cette disposition; l'infraction d'inceste a été incluse au Code criminel pour marquer la réprobation contre les crimes de nature sexuelle commis par des personnes liées par le sang, avec comme principal objectif de contrer les risques liés à la procréation en pareilles circonstances.
[5] Cet article du Code devrait en conséquence ne s'appliquer qu'aux relations intrafamiliales de nature hétérosexuelle.
Les faits pertinents
[6] Quant aux faits pertinents, les parties ont déposé un projet d'admissions, reproduit ici intégralement pour valoir preuve:
1- Le 13 octobre 2013, X (1998-[...]) habite avec sa mère, V..., son beau-père, et sa belle-sœur R.... Pendant la journée, V... et son conjoint partent pour aller au cinéma. Pendant une courte période, X se retrouve seul à la maison. Le lendemain, R... explique à V... que lorsqu'elle se changeait dans la chambre où elle dort, alors qu'elle était nue, elle a entendu du bruit dans le garde-robe. Elle a alors découvert X, qui était complètement nu dans le garde-robe, avec une couverture et un oreiller. Elle lui a alors dit d'aller se coucher dans sa chambre.
2- Le lendemain, V... confronte X à ce sujet. Après avoir discuté de film pornographique que X aurait visualisé, V... demande à X pourquoi il a fait cela avec R... et elle lui explique qu'elle n'accepte pas ce comportement. X lui coupe alors la parole et lui dit: « maman, j'ai quelque chose à t'avouer… ». À ce moment, il pleure. V... lui demande ce qu'il a encore fait. X lui répond que c'est au sujet de son père (M... G...). V... lui demande ce qu'il y a. X lui répond: « mon père m'a touché plusieurs fois... mon père m'a demandé de baisser plusieurs fois mon pantalon ». Il va également lui avouer que c'est bien vrai et qu' « il y a plus encore ». X va alors lui parler de pénétrations qui auraient été faites par l'accusé à son égard.
3- Suite à cette déclaration, la mère de X a entrepris les démarches auprès du Service de police de Sherbrooke, pour que la situation soit enquêtée.
4- X n'habitait pas avec l'accusé. Il a eu des contacts avec lui entre les mois de novembre 2012 et décembre 2012. À ce moment, il y avait un conflit avec la conjointe du moment de l'accusé, M... G…. X avait donc coupé les liens avec son père. Ils ont recommencé les contacts autour du mois de mai 2013 (V... situe cette période en lien avec le décès de son père le 11 mai 2013). Ils se sont terminés après le dévoilement des abus, au mois d'octobre 2013. Ils se voyaient à toutes les fins de semaines et ce, du vendredi au dimanche, pendant cette période. Selon V..., les deux seules fins de semaines où X n'y serait pas allé sont celles où la conjointe de l'accusé, Ma…, serait sortie de cure de désintoxication et une autre où l'accusé ne pouvait être présent à la maison.
5- La mère de X précise que celui-ci a eu des problèmes de comportement sexuel à compter de l'âge de 13 ans environ. Entre autres, il est porté à consulter de la pornographie sur Internet et il y aurait eu un épisode problématique avec un jeune cousin.
6- X raconte plusieurs événements dans lesquels l'accusé, son père, lui a fait des attouchements.
a. X raconte un épisode, alors que l'accusé demeure maintenant avec Ma… et des colocataires. Il y avait aussi certains autres enfants qui dormaient à cet endroit. Alors qu'il dort, il se fait réveiller par l'accusé. Il respire, comme s'il était nerveux. L'accusé masturbe X Cette fois, X ne réagit pas. Il se laisse aller. L'accusé a remonté les bobettes de X et est retourné se coucher. X n'a pas redormi cette nuit-là.
b. Un événement s'est également produit alors que l'accusé, X et Ma… étaient allés aux Drags, à St-Élie. Au retour, Ma… n'allait pas très bien. Elle a donc dormi sur le divan. L'accusé et X ont dormi ensemble. L'accusé masturbe X. L'accusé, qui a une érection, lui prend la tête et amène X à lui faire une fellation et ce, jusqu'à ce qu'il éjacule dans sa bouche. Après cela, les deux se rendorment.
c. X relate aussi un événement où l'accusé lui a fait une fellation. Cet événement s'est passé en été, alors que l'école était terminée. X est endormi dans la chambre, avec les autres enfants. L'accusé s'agenouille sur le bord du matelas. Il se penche vers le bassin de X et lui fait une fellation. X se décrit comme « s'il n'était plus là ». Il ne bougeait pas. Il admet qu'il était excité. Il aurait voulu lui demander ce qu'il faisait là, mais en a été incapable, parce que « l'excitation était trop forte ». L'accusé arrête, remonte le boxer de X et ressort de la chambre sans faire de bruit. X n'a pas éjaculé.
d. Lors de la dernière fin de semaine que X a passée chez son père, l'accusé a tenté de baisser ses pantalons, mais X l'en a empêché. Il ne s'est rien passé. Ils n'ont jamais discuté de ce qui s'est passé.
e. X précise qu'il fait des cauchemars à cause des faits qui se sont passés entre son père et lui.
7- Le 13 janvier 2014, M... G... se présente au poste de police du Service de police de Sherbrooke, où il est arrêté. Il est interrogé pendant plus de quatre (4) heures. Cette entrevue est filmée. L'accusé admet les faits suivants:
a. Qu'il y a eu des épisodes de masturbation de part et d'autre.
b. Qu'il y a eu des fellations de part et d'autre.
c. Selon lui, c'est arrivé à deux (2) reprises que X a éjaculé et une (1) fois où lui-même a éjaculé.
d. Il va admettre que « c'était plus fort que nous autres. J'avais aucun contrôle ».
e. Il précise qu'il y a eu une relation complète. Il confirme qu'il y a eu une relation à travers laquelle X l'a pénétré. L'accusé était couché sur le côté. X était couché en cuiller (sic.). L'accusé l'a dirigé pour la pénétration. Après coup, X a essayé d'inverser les rôles, pour que l'accusé le pénètre à son tour, mais l'accusé l'a arrêté, en se tassant. Il précise qu'il a été sur le bord, qu'il a caressé X entre les fesses avec son pénis, mais qu'il n'a pas forcé. Ce type d'événement n'est arrivé qu'une fois.
(Les soulignements ont été ajoutés.)
DROIT APPLICABLE
[7] L'article 155 C.cr. prévoit que:
155. (1) Inceste - Commet un inceste quiconque, sachant qu’une autre personne est, par les liens du sang, son père ou sa mère, son enfant, son frère, sa soeur, son grand-père, sa grand-mère, son petit-fils ou sa petite-fille, selon le cas, a des rapports sexuels avec cette personne.
(2) Peine - Quiconque commet un inceste est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de quatorze ans, la peine minimale étant de cinq ans si l’autre personne est âgée de moins de seize ans.
(3) Contrainte - Nul ne doit être déclaré coupable d’une infraction au présent article si, au moment où les rapports sexuels ont eu lieu, il a agi par contrainte, violence ou crainte émanant de la personne avec qui il a eu ces rapports sexuels.
(4) Définition de « frère » et « sœur » - Au présent article, « frère » et « sœur » s’entendent notamment d’un demi-frère et d’une demi-sœur.[1]
(Les soulignements ont été ajoutés.)
[8] L'alinéa 4 (5) C.cr. définit ce que sont les rapports sexuels aux termes de la loi:
(5) Rapports sexuels - Pour l'application de la présente loi, les rapports sexuels sont complets s'il y a pénétration même au moindre degré et bien qu'il n'y ait pas émission de semence.
(Les soulignements ont été ajoutés.)
[9] Quant à la jurisprudence, une seule décision émanant de la Cour supérieure du Québec, apparait ici pertinente[2].
[10] Dans le cadre d'une requête en certiorari présentée pour faire casser une citation à procès suite à une enquête préliminaire, l'honorable juge Claude Guérin décide que, pour constituer un inceste « …il est essentiel de l'article 155 que la relation visée soit entre des personnes de sexe opposé. »[3].
[11] Après avoir considéré les définitions d'inceste dans les dictionnaires Le Petit Larousse et Le Petit Robert, le juge poursuit en disant:
« Suivant ces définitions, la condition sine qua non de l'inceste est la défense du mariage pour cause de parenté;
Le mariage entre personnes du même sexe n'étant pas reconnu dans notre droit, il va de soi qu'il ne peut y avoir d'inceste qu'entre personnes de sexe opposé; »[4].
(Les soulignements ont été ajoutés.)
[12] Cette décision est la seule rapportée qui définit ce crime car l'ensemble de la jurisprudence canadienne plaidée et consultée ne s'intéresse qu'aux cas d'incestes survenus entre pères et filles[5]. La question semble ne s'être jamais posée dans un contexte d'abus père et fils.
[13] Il existe quelques décisions isolées qui traitent de la peine imposée à certains pères, qui ont reconnu leur culpabilité à ce chef d'accusation à l'égard de leur fils, ces cas semblant reconnaître implicitement que l'article 155 C.cr. s'applique aussi à ce type d'abus[6].
[14] Il apparaît utile de reproduire ici quelques définitions du mot inceste qui n'ont pas beaucoup changées depuis celle tirée du Petit Robert et ayant inspiré l’honorable juge Guérin:
« Relations sexuelles entre un homme et une femme parents ou alliés à un degré qui entraîne la prohibition du mariage » [7].
(Les soulignements ont été ajoutés.)
[15] Quant à la définition citée dans ce jugement provenant du dictionnaire Le Petit Larousse de l'époque, elle a évolué. En 1989, on pouvait lire:
« Union illicite entre parents à un degré pour lequel le mariage est interdit »[8].
[16] Et dans l'édition de 2015, elle est désormais:
« Relations sexuelles entre un homme et une femme liés par un degré de parenté entraînant la prohibition du mariage; relations sexuelles entre parents très proches » [9].
(Les soulignements ont été ajoutés.)
[17] D'autres descriptions tirées de divers ouvrages de référence démontrent que le concept de l'inceste est associé à la proximité parentale, aux liens de sang. Dans le Merriam-Webster's Collegiate Dictionary[10], on peut lire:
« Sexual intercourse between persons so closely related that they are forbidden by law to marry; also: the statutory crime of such a relationship ».
Dans le Dictionnaire de Droit québécois et canadien[11]:
« Rapport sexuel entre personnes unies par les liens du sang à un degré prohibé par la loi, constituant ainsi un acte criminel pour celle qui connaît l'existence de ces liens ».
Dans le Dictionary of Legal terms[12]:
« A criminal offense of sexual intercourse between members of a family, or those between whom marriage would be illegal because of blood relationship».
Dans le Black's Law Dictionary[13]:
« Sexual relations between family members or close relatives, including children related by adoption. Incest was not a crime under English common law but was punished as an ecclesiastical offense. Modern statutes make it a felony ».
Dans le Dictionary of Canadian Law[14]:
« Knowing that another person is by blood relationship his or her parent, child, brother, sister, grandparent or grandchild, as the case may be, having sexual intercourse with that person ».
[18] Quant à l'Office québécois de la langue française, il définit l'inceste comme étant:
« Tout rapport sexuel entre personnes unies par les liens de sang à un degré interdisant, au regard de la loi, de telles activités, et ce, qu'il y ait ou non consentement mutuel ».
(Les soulignements ont été ajoutés.)
ANALYSE
[19] Dans la présente affaire, il n'y a aucun doute que l'accusé a bel et bien abusé de son fils biologique; ils ont eu au moins une relation sexuelle allant jusqu'à la pénétration anale. Ce geste constitue indéniablement un rapport sexuel tel que défini à l'alinéa 4(5) C.cr. qui ne précise pas que la pénétration dont il y est fait mention doit être vaginale.
[20] Une preuve d'éjaculation n'est pas un élément essentiel pour donner ouverture au chef d'inceste, pas plus que pour les chefs d'accusation d'agression sexuelle (271 C.cr.), de contacts sexuels (151 C.cr.) ou d'incitation à des contacts sexuels (152 C.cr.); ces trois dernières infractions étant toutes passibles de peines minimales d'une année de détention si le plaignant est âgé de moins de seize ans, et de peines maximales de dix ans.
[21] La seule question qui se pose ici est de savoir si l'article 155 C.cr. s'applique à l'accusé ou si cette disposition ne vise que les situations d'infractions sexuelles commises dans un contexte intrafamilial, entre un homme et une femme.
[22] Le texte de loi édicte que « quiconque » a des rapports sexuels avec une « autre personne » sachant qu'elle y est liée par le sang commet un « inceste ». Il n'y est aucunement fait mention ni du sexe de l'agresseur potentiel ni de celui du plaignant.
[23] Force est de reconnaître qu'à l'origine, cet article a été introduit au Code criminel dans le contexte d'une réalité, connue bien que tabou, des pères incestueux[15].
[24] Jusqu'en 1969, l'homosexualité ayant été un crime[16], la définition antérieure d'inceste n'incluait certes pas la prohibition des relations sexuelles d'un père avec son fils.
[25] Historiquement, l'inceste entre une mère et son fils n'était pas non plus une réalité courante. Le genre de situation le plus souvent ciblée par le texte de loi original était surtout, jusqu'en 1928[17], l'inceste entre père et fille et entre frère et sœur. En 1934, le législateur ajoutait le demi-frère ou la demi-sœur à la définition d'inceste élargissant alors la notion des liens de sang[18].
[26] Par la suite, certaines modifications[19] au texte ont notamment permis de clarifier le traitement réservé à la victime qui pouvait, elle aussi, être poursuivie jusqu'en 1985[20].
[27] Cette mise en contexte peut partiellement expliquer la nuance ou la discrimination apparente dans la rédaction des versions antérieures de l'article 155 C.cr. qui visaient à prohiber les relations incestueuses de nature à engendrer une procréation risquée.
[28] En 1985, le législateur a cependant actualisé sa définition du crime d'inceste, tenant compte de l'évolution des mœurs, en ouvrant la porte à la défense de contrainte tant aux hommes qu'aux femmes[21].
[29] Ensuite, après une profonde réflexion alimentée par certains rapports de la Commission de réforme du droit du Canada[22], le libellé des infractions de nature sexuelle a subi des modifications substantielles, notamment par l'abolition des distinctions fondées sur le genre.
[30] En 1983, le viol était déjà devenu l’agression sexuelle, mais le 1er janvier 1988, entrent en vigueur les nouvelles dispositions de contact et d’incitation à des contacts sexuels suite à l’abrogation de l’infraction de grossière indécence[23].
[31] Par cette réforme, la volonté du législateur semblait claire: reformuler de façon concise toutes les infractions de nature sexuelle, en faire un tout cohérent, actualiser le langage utilisé dans la définition des infractions, alléger ainsi le Code criminel de quelques termes désuets et l'adapter à l'évolution de la société canadienne contemporaine en simplifiant et clarifiant la liste des gestes prohibés à caractère sexuel.
[32] Cette réforme n'avait rien de superficiel; elle comportait une révision en profondeur des dispositions du Code criminel relatives aux crimes sexuels qui tenait compte des nouvelles réalités sociales telles l'évolution du rôles des hommes et des femmes et la transformation de la famille traditionnelle.
[33] C'est dans la foulée de ces modifications que le texte de l'article 155 C.cr. doit être analysé. Bien que depuis le 4 décembre 1985, cette disposition n’a pas été modifiée -sauf en 2012 quant à la peine minimale-, elle doit être lue dans le contexte particulier de ces changements[24].
[34] Le législateur aurait pu abolir ou modifier cet article, qu'il a choisi de conserver dans la partie V du Code, au chapitre des infractions d'ordre sexuel, des actes contraires aux bonnes mœurs et inconduites. À partir là, le texte qui définit l'infraction d'inceste a nécessairement pris un sens actuel.
[35] L'infraction de grossière indécence en vigueur jusqu’au 1er janvier 1988 ayant été abrogée, il faut se souvenir que cette disposition était alors utilisée comme fondement aux poursuites d'accusés présentant des comportements de nature homosexuelle contraires aux bonnes mœurs. C'est dans ce même contexte que la disposition concernant l'inceste a, quant à elle, été conservée[25].
[36] En vertu des règles d'interprétation des lois, lorsqu’un texte législatif est clair, il faut y voir là une volonté du législateur que la disposition soit interprétée selon le sens courant des mots[26].
[37] En s'inspirant des définitions des dictionnaires, c'est la portée de textes juridiques qui est ultimement recherchée. Ici, la plupart des ouvrages de référence consultés définissent l'inceste comme des « relations entre personnes de même sang » ne faisant plus référence, et ce, depuis bien avant 1988, à la nécessité de la dimension de rapports sexuels homme-femme[27].
[38] Il est donc important que l'analyse de cette infraction se fasse contextuellement[28], les mots utilisés par le législateur étant d'ailleurs conformes à l'objet de la Loi.
[39] Il n'est pas souhaitable de s'écarter du sens courant des mots; une interprétation stricte est habituellement de rigueur pour une infraction à caractère pénale[29].
[40] Lorsque la loi est claire et bien rédigée, le tribunal de première instance doit présumer que le législateur a exprimé ce qu'il voulait dire et que ce qu'il a voulu, il l'a exprimé[30].
[41] La fonction du juge est d'interpréter et d'appliquer la loi, non de créer le droit.
[42] Ici, l'article 155 C.Cr. établit clairement que «quiconque», « un homme ou une femme » peut commettre l'inceste, « s'il ou elle » a des rapports sexuels, avec « une personne », « homme ou femme », à laquelle « il ou elle » est uni par les liens de sang.
[43] Lorsqu'il est question de relations sexuelles entre un parent et son enfant adopté, malgré qu'il s'agisse d'inceste au sens généralement accepté du terme, le texte de la loi exclut ces cas de la définition légale actuelle.
[44] Cet article exclut également clairement, par sa définition, toute relation incestueuse entre une mère et sa fille puisqu'au sens de la loi, pour constituer un rapport sexuel, la preuve d'une pénétration est nécessaire, même à un moindre degré.
[45] Ne reste alors qu'à déterminer si l'inceste, au sens de l'article 155 C.cr. exclut les rapports sexuels d'un père avec son fils.
[46] Avec l'évolution des mœurs de la société et le contexte de la révision des infractions de nature sexuelle, le tribunal conçoit mal que le texte de cet article du Code criminel, adopté en 1985 et modifié en 2012, puisse perpétuer des stéréotypes que les réformes visaient à éliminer[31].
[47] L'interprétation suggérée par la défense voudrait dire qu'un père qui a une relation avec pénétration anale avec sa fille de moins de seize ans commettrait l'inceste alors que s'il avait le même comportement à l'égard de son garçon du même âge[32], il s'exposerait à un chef d'accusation différent.
[48] Après la décriminalisation de l'homosexualité, l'abrogation du concept de grossière indécence, est également disparue une interprétation discriminatoire de l'inceste.
[49] L'argument voulant que la définition de l'inceste soit rattachée à l'institution du mariage ne fait qu'ajouter au texte de loi. Il n'est nullement question de mariage à l'article 155 C.cr. Ce que le législateur protège de façon très explicite, ce sont les liens de sang et les prohibitions qui en découlent. La définition de l'inceste ne peut s'appuyer sur l’institution du mariage[33].
[50] Le tribunal n’est pas lié par l’interprétation proposée dans la décision Ritter[34] ; la règle du stare decisis[35] n’apparait pas applicable ici parce que ce jugement n’analyse que brièvement le sens à donner à l'infraction d'inceste, et ce, dans un tout autre contexte.
[51] Cette distinction qui prenait l'institution du mariage comme point de départ au raisonnement, est devenue, elle aussi, obsolète et désuète pour définir l'inceste car le mariage civil est désormais légal[36] entre personnes de même sexe.
[52] Le tribunal conclut que l'accusé a commis un inceste à l’égard de son fils, soit l’infraction faisant l’objet du quatrième chef d'accusation.
[53] L'accusé ayant déjà reconnu sa culpabilité aux chefs d'accusation numéros deux et trois, il est également déclaré coupable de contacts sexuels et d'incitation à des contacts sexuels à l'égard de son fils pour la période comprise entre le 1er mai et le 15 octobre 2013.
[54] Considérant les déclarations du ministère public, le tribunal prononce un acquittement sur les chefs d’accusation numéros un et cinq.
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__________________________________ Claire Desgens, J.C.Q. |
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Me Joannie Houde St-Pierre |
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Procureure du poursuivant |
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Me Catherine Lafont-Dion |
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Procureure de l'accusé |
[1] Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C-34, art. 150; S.C. 1972, ch. 13, art. 10; (1985) ch. 27 (1er suppl.), art. 21; L.C. 2012, c. 1, art. 14.
[2] R. c. Ritter, [1989] J.Q. no 2163, C.S. Richelieu, no 765-01-000112-892, 28 novembre 1989, j. Guérin, décision finale qui a été cassée en appel sur un autre point dans Ritter c. La Reine, 2014 QCCA 432.
[3] R. c. Ritter, préc., note 2, p. 7.
[4] R. c. Ritter, préc., note 2, où le juge s'inspire des définitions des dictionnaires Le Petit Larousse et Le Petit Robert de l'époque.
[5] R. c. P. (D.W.), [1987] M.J. No. 331 (Man. C.A.); R. c. Guilbault, (1939) 72 C.C.C. 254 (B.R. Qué).
[6] R. c. D.D., 2008 QCCQ 14412; R. c. J.G., 2010 QCCQ 4295.
[7] Définition du dictionnaire tirée du jugement R. c. Ritter, préc., note 2, page 7.
[8] Id.
[9] Le petit Larousse illustré en couleurs, Paris, 2015, p. 607.
[10] Merriam-Webster's collegiate dictionary, Springfield, Mass., 2003, p. 629.
[11] Hubert Reid, Dictionnaire de droit québécois et canadien, 4e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2010.
[12] Steven H. Gifis, Dictionnary of Legal terms, 4e ed., New York, Barron's Educational Series, 2008, p. 245.
[13] Bryan A. Garner (Editor in Chief), Black's law dictionary, 10e éd., St. Paul, MN, Thomson Reuters, 2014, p. 879.
[14] Daphne A. Dukelow, The Dictionary of Canadian Law, 4e éd., Toronto, Ontario, Carswell, 2011, p. 620.
[15] William A. Shabas, Les infractions d'ordre sexuel, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1995, p. 77 à 81.
[16] L.C. 1968-69, c. 38, art. 7 (date d'entrée en vigueur le 26 août 1969); S.R.C. 1970, c. C-34, art. 158;
[17] S.C. 1892, c. 29; S.R.C. 1906, c. 146, art. 204; S.R.C. 1927, c. 36.
[18] Voir aussi les modifications apportées en 1934 par S.C. 1934, c. 47, art. 6.
[19] S.C. 1953-54, c. 51 art. 142 (en vigueur de 1955 à 1971); S.R.C. 1970, c. C-34, art. 150 (en vigueur jusqu'en 1972 date où la peine par fouet a été abrogée).
[20] L.R.C. (1985), c. 27, (1er supplém.), art. 21 (en vigueur à compter du 4 décembre 1985).
[21] Voir la défense de contrainte au paragraphe 150 (3) C.cr., ancienne version, S.R.C. 1970, c. C-34 qui réfère à « la femme » et le paragraphe 155 (3) C.cr. qui réfère à «nul ne doit être déclaré coupable…» L.R.C. (1985), c. 27 (1er supplém.) art. 21 (en vigueur depuis le 4 décembre 1985).
[22] Commission de réforme du droit au Canada dont le document de travail numéro 22. À noter que la recherche des débats en Chambre entre 1985 et 1988 ne recèle pas d’informations utiles à ce sujet.
[23] Loi modifiant le Code criminel en matière d'infractions sexuelles et d'autres infractions contre la personne et apportant des modifications corrélatives à d'autres lois, S.C. 1980-81-82-83, c. 125, art. 19 et suiv. (entrée en vigueur le 4 janvier 1983); L.R.C. (1985), c. 19 (3e supplém.) art. 10 (entrée en vigueur le 1er janvier 1988); L.C. 1987, c. 24, art. 1. Voir aussi R. c. Roy, (1998) R.J.Q. 1043, paragr. 41.
[24] R. c. Roy, préc., note 23, paragr. 28, 29, 48 et 49, 52 à 58.
[25] R. c. Roy, préc., note 23.
[26] Pierre-André Côté avec la collab. de Stéphane Beaulac et de Mathieu Devinat, Interprétation des lois, 4e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2009, paragr. 980 à 1149; R. c. Monney, [1999] 1 R.C.S. 652, paragr. 26.
[27] Voir la définition du Petit Larousse dans le jugement R. c. Ritter, préc., note 2, page 7.
[28] Pierre-André Côté, préc., note 26, paragr. 980 à 1149; Pharmascience inc. c. Binet, [2006] 2 R.C.S. 513, paragr. 32; R. c. Roy, préc., note 23, paragr. 28, 29, 48 et 49; R. c. Big M Drugmart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, p. 334 à 336.
[29] R. c. Eguiagaray, [1971] C.A. 653.
[30] Pierre-André CÔTÉ, préc., note 26, paragr. 980 à 1149; Bell ExpressVu Limited Parthnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559, paragr. 26 à 28; R. c. Clay, [2003] 3 R.C.S. 735, paragr. 55-56; R. c. Shoker, [2006] 2 R.C.S. 399; Québec (Procureur général) c. Paulin, [2008] 2 R.J.Q. 16 (C.A.), paragr. 30 à 37.
[31] R. c. Roy, préc., note 23, paragr. 31, 46 à 49.
[32] Maurice Gabias, Droit pénal général et pouvoirs policiers, 6e éd., Montréal, Modulo, 2011, p. 512. La peine minimale pour l'inceste à l'égard d'un enfant de seize ans est de cinq ans alors que l'accusation d'agression sexuelle sur un enfant du même âge est une peine minimale d'un an de détention.
[33] R. c. Roy, préc., note 23, paragr. 27 et 49.
[34] R. c. Ritter, préc., note 2.
[35] Sur la règle de stare decisis; voir Donald Poirier et Anne Françoise Debruche, Introduction générale à la Common Law, 3e éd., Cowansville, Editions Yvon Blais, 2005, p. 359 à 364; Albert Mayrand, L’autorité du précédent au Québec, (1994) 28 R.J.T. A1, p. 773; Sris Kandarajah c. États-Unis d’Amérique, [2012] 2 R.C.S. 489, paragr. 18 à 31; R. c. Robinson, [1996] 1 R.C.S. 683, paragr. 16-17 et 76-80 et Allard c. La Reine, 2008 QCCS 1362, paragr. 21 qui cite Lefebvre c. Commission des affaires sociales du Québec, (1991) R.J.Q. 1864 (C.A.).
[36] Loi sur le mariage civil, L.C. 2005, ch. 33; C.c.Q., art. 521.1.
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