Dumas c. Association des étudiantes et étudiants en histoire de l'Université Laval |
2013 QCCQ 8934 |
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« Division des petites créances » |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
QUÉBEC |
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« Chambre civile » |
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No : |
200-32-056842-122 |
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DATE : |
26 juillet 2013 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE L'HONORABLE Daniel Bourgeois, J.C.Q. (JB 4529)
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Marc-Antoine Dumas, [...], Québec (Québec) [...] |
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Demandeur |
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c.
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Association des étudiants et étudiantes en histoire de l'université Laval, Pavillon Charles Koninck, Québec (Québec) G1K 7P4 |
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Défenderesse |
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JUGEMENT |
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Le litige
[1] Le Tribunal est saisi d'une demande de la part de monsieur Marc-Antoine Dumas, lequel poursuit en dommages-intérêts l'Association des étudiants et étudiantes en histoire de l'Université Laval (l'Association), à la suite des lignes de piquetage organisées et coordonnées par l'Association, dans le cadre de la grève étudiante ayant affectée plusieurs établissements d'enseignement au Québec à l'hiver 2012.
[2] Selon monsieur Dumas, puisque l'Association a fait en sorte de bloquer l'accès aux salles de cours, il a été dans l'obligation d'abandonner le 19 mars 2012 l'ensemble des cours auxquels il était inscrit, cette date étant, selon le calendrier universitaire, la date limite à laquelle un étudiant pouvait abandonner « sans mention d'échec ».
[3] Il réclame donc à l'Association 1 742,65 $, cette somme représentant ses frais d'inscription, le matériel scolaire, le permis de stationnement ainsi que l'essence dépensée pour se présenter à l'Université.
le Contexte
[4] Monsieur Dumas est inscrit, pour la session d'hiver 2012, aux cours HST-2104, HST-1009 et HST-2355, à l'Université Laval. À cette époque, il avait déjà complété trois sessions.
[5] Le 20 février 2012, l'Association fait part à tous les étudiants en histoire du message suivant[1] :
Ce message est pour vous informer que votre association a voté la grève générale illimitée à partir de demain, c'est-à-dire le 21 février 2012 à 00:01.
[…]
Donc, il y aura des lignes de pictage devant les cours de sigle HST à partir de demain matin, les cours seront donc annulés.
[…]
(Reproduction intégrale)
[6] Ce message aux étudiants inscrits en histoire à l'Université Laval fait suite à l'assemblée générale de l'Association, tenue le 20 février 2012, à l'occasion de laquelle la proposition de l'assemblée de déclencher une grève générale illimitée, à partir du 21 février 2012, est adoptée à la majorité. Le procès-verbal de cette assemblée indique également que l'assemblée avait décidé d'adhérer à la Coalition Large Autour de l'Association pour une Solidarité Syndicale Étudiante (CLASSE)[2].
[7] Le 21 février 2012, l'Association transmet aux étudiants l'horaire de piquetage pour la semaine :
[…]
Nous vous transmettons aujourd'hui l'horaire du piquetage pour cette semaine. Tous ceux qui veulent participer au mouvement de grève et qui veulent appuyer la décision de l'Assemblée Générale d'histoire peuvent se présenter à l'avance à la porte des cours à l'horaire.[3]
[…]
(Reproduction intégrale)
[8] Un comité de mobilisation est donc mis en place pour organiser et coordonner les activités de piquetage et monsieur Simon Fortin-Dupuis est identifié dans ces différents messages comme étant en charge de l'organisation de ces activités[4].
[9] À l'audition M. Fortin-Dupuis, qui témoigne à titre de président de l'Association, précise qu'il était à l'époque le président de ce comité de mobilisation, mais qu'il n'était pas président du comité exécutif de l'Association.
[10] Par ailleurs, aux assemblées générales du 20 et 29 février 2012 de l'Association, M. Fortin-Dupuis agit comme secrétaire d'assemblée[5].
[11] Le but de ce comité de mobilisation a été décrit sur le site Facebook de l'Association et M. Fortin-Dupuis y déclare ce qui suit :
« Le comité de mobilisation a été créé spécifiquement pour mobiliser pour la grève puisque nous avons pris, en AG, la décision d'y participer.[6] »
[…]
(Reproduction intégrale)
[12] Selon les objets de la charte[7] de l'Association, cette dernière possédait les pouvoirs pour créer ce comité. En effet, l'article 12 de la charte prévoit ce qui suit :
12. Pouvoirs
L'Assemblée générale est l'instance suprême de l'Association. Elle est souveraine et exerce le rôle et les pouvoirs suivants :
a) Déterminer les orientations générales et particulières de l'Association.
b) …
c) Former des comités.
d) Prendre des décisions de principe et d'action sur les enjeux ou problèmes débattus.
e) […]
[13] Monsieur Dumas témoigne qu'il se rendait à chaque fois pour assister à ses cours, mais qu'il ne pouvait entrer en classe car il se butait à des lignes de piquetage qui l'empêchait d'entrer.
[14] Pour sa part, M. Fortin-Dupuis précise que les gens qui participaient aux lignes de piquetage n'avaient pas la consigne de s'opposer et de menacer physiquement les gens qui voulaient accéder aux cours.
[15] Cependant, en plus du message du 20 février dans lequel on précisait que les cours du lendemain allaient être annulés, M. Fortin-Dupuis écrit ce qui suit le 29 février 2012 dans un message à tous les étudiants :
[…]
Enfin, le comité de mobilisation a utilisé le doodle pour créer un horaire de piquetage. Mais puisque, jusqu'à maintenant, le volontariat a été très important, nous continuerons à nous baser sur votre bonne volonté pour être présents aux piquetages. Nous conseillons toutefois de vous présenter au moins aux cours auxquels vous êtes inscrits. Si vous avez des disponibilités supplémentaires, veuillez nous aider à tenir les lignes de piquetage durant toute la semaine!
Il faut être devant les locaux à piqueter environ 30 minutes avant le début des cours afin de s'assurer que personne n'entre[8].
[…]
(Nos soulignements)
[16] Puis, le 10 mars 2012, dans un autre message, le comité de mobilisation indique ce qui suit :
[…]
Pour continuer sur la bonne voie, nous devons, dès lundi, recommencer à piqueter de manière efficace. Il est donc impératif que nous fassions du piquetage devant les cours auxquels nous sommes inscrits[9].
[17] Le 18 mars 2012, M. Fortin-Dupuis informe les étudiants de ce qui suit :
[…]
Comme vous le savez, nous entamerons notre 4e semaine de grève demain. Jusqu'à maintenant, L'AÉÉH a fait un excellent travail pour le piquetage des cours HST et a participé à toutes les manifestations ainsi qu'à presque toutes les actions qui se sont faites à Québec. […]
Nous devrons collaborer avec les autres associations étudiantes de l'Université Laval pour assurer à tous le droit de grève (en s'entraidant lors des piquetages). […][10]
(Nos soulignements)
[18] Enfin, le 25 mars 2012, le comité de mobilisation envoie le message suivant :
[…]
Évidemment, le travail est loin d'être terminé, mais la victoire est en vue. En effet, la pression sur le gouvernement s'accentue de jour en jour grâce aux actions de désobéissance civile entreprises par les étudiants. L'appui de la population et même de certaines administrations municipales!
[…] Nous ne nous contenterons plus de piqueter les cours, mais nous devrons prendre une part active dans les actions symboliques et les manifestations qui sont organisées. Chacune et chacun devra donc se rendre le plus disponible possible pour que les piquetages gardent leur efficacité tout en permettant une participation accrue aux actions. […][11]
(Nos soulignements)
[19] Monsieur Dumas indique qu'il a été empêché d'assister à ses cours depuis le 21 février 2012 et qu'il se présentait à l'Université à chaque fois où il était requis de le faire en fonction de l'horaire de ses cours.
[20] Étant donné la poursuite de la grève et puisqu'il savait qu'il ne pouvait pas faire de session de rattrapage au début de l'été, et ce, parce qu'il ne voulait pas mettre en péril son revenu d'été et la santé financière de son foyer, M. Dumas a décidé d'abandonner sa session en date du 19 mars 2012, date ultime pour pouvoir abandonner la session sans avoir une mention d'échec, mais également sans avoir le droit au remboursement par l'Université Laval des frais de scolarité qu'il avait payés.
[21] Se considérant « victime d'un préjudice, car le fait d'empêcher un étudiant d'assister à un cours qu'il a payé est illégal et constitue une atteinte à ses droits[12] », il réclame donc à l'Association à titre de dommages-intérêts compensatoires, 1 742,65 $, cette somme étant divisée comme suit :
· frais d'inscription 1 156,66 $
· Matériel scolaire, livres, ouvrages 420,06 $
· Stationnement 102,75 $
· Essence 63,18 $
Analyse
[22]
L'article
1457. Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s'imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.
Elle est, lorsqu'elle est douée de raison et qu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu'elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu'il soit corporel, moral ou matériel.
Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d'une autre personne ou par le fait des biens qu'elle a sous sa garde.
[23] Les personnes visées à cet article comprennent non seulement les individus, mais aussi les personnes morales. L'Association invoque être régie par la Loi sur l'accréditation et le financement des associations d'élèves ou d'étudiants[13] (ci-après appelée Loi). En effet, l'article 4 de la charte de l'Association réfère à cette Loi.
[24]
L'article
[25]
L'article
[26]
Les statuts de constitution de l'Association n'ont pas été déposés en
preuve lors de l'audition. Cependant, compte tenu des dispositions précédentes
de la Loi, le Tribunal est d'avis que l'Association est une personne morale qui
est assujettie à l'article
[27] L'Association invoque les moyens suivants en défense, lesquels font parties d'une plaidoirie écrite déposée lors de l'audition :
a) M. Dumas, étant membre de l'Association, serait lié par le vote de grève pris en assemblée générale et ce, en vertu de la Loi. Puisque les votes de grève ont été faits en accord avec les principes de la démocratie directe, l'Association n'a commis aucune faute;
b) Le droit de grève des étudiants est protégée par la Charte canadienne des droits et Libertés et le droit de piqueter l'est également; Il ne saurait donc y avoir de faute civile puisqu'il y a eu exercice de droits fondamentaux sur la liberté d'expression et d'association;
c) Subsidiairement, même si l'Association avait bloqué l'accès aux salles de cours hermétiquement, l'obligation de donner des cours n'incombe pas à l'Association mais bien à l'Université Laval et aux professeurs; en conséquence, il n'y a pas de lien de causalité entre la faute reprochée à l'Association et le préjudice subi;
d) Le préjudice subi est exagéré. De plus, le demandeur a agit de manière impulsive alors que les mesures de rattrapage n'avaient pas encore annoncées. La précipitation du demandeur à annuler sa session l'a empêché de connaître le plan de rattrapage qui lui aurait permis d'assurer ses revenus pour l'été.
[28] Le Tribunal abordera dans l'ordre chacun de ces moyens.
[29] Ce moyen de défense a fait l'objet de plusieurs décisions de la Cour supérieure en 2012[14], dans le cadre des recours intentés par certains étudiants qui réclamaient des ordonnances en injonction contre des associations étudiantes ou des établissements d'enseignement universitaire ou collégial.
[30] Dans une de ces décisions, soit Morasse c. Université Laval.[15], le juge Émond, dans le cadre d'une demande de prolongation d'une ordonnance d'injonction interlocutoire provisoire prononcée par son collègue le juge Lemelin, analyse cette position et la rejette aux motifs suivants :
[…]
[25] Comme troisième et dernier argument visant à contester le droit apparent de M. Morasse, l'ASETAP fait valoir que ce dernier est lié par le vote de grève de ses membres décrétant le boycott des cours.
[26] Elle soutient qu'un étudiant, au même titre qu'un travailleur syndiqué à l'égard de son syndicat, ne peut défier le vote de son association et franchir les lignes de piquetage dressées par les étudiants.
[27] En conséquence, l'ASETAP plaide que M. Morasse n'a aucun droit à faire valoir.
[28] Elle fonde sa position sur la Loi sur l'accréditation et le financement des associations d'élèves ou d'étudiants qui, selon elle, accorderait aux associations étudiantes un monopole de représentation pour tous les étudiants membres.
[29] Cette position est, dans l'état actuel du droit, sans fondement.
[30] L'ASETAP confond le monopole de représentation, si monopole de représentation il y a, avec le monopole du travail, lequel découle des dispositions anti-briseurs de grève du Code du travail qui interdisent à un employeur de retenir les services d'un salarié qui fait partie d'une unité de négociation en grève.
[31] Contrairement au Code du travail, la Loi sur l'accréditation et le financement des associations d'élèves ou d'étudiants ne contient aucune disposition permettant à une association de forcer un étudiant, contre son gré, à pratiquer le boycott de ses cours et de lui en faire supporter les effets.
[32] Les références au Code du travail sont non seulement boiteuses et inappropriées, mais encore, elles confirment l'interprétation de ceux qui, comme le juge Lemelin, considèrent que les lois du Québec ne confèrent aucun véritable droit de grève aux étudiants.
[31] Dans le présent dossier, l'Association réfère elle aussi à la jurisprudence applicable dans un contexte du droit du travail où il est question du droit de piquetage et de la liberté d'expression par les employées et leur syndicat.
[32] Tout comme le juge Émond, le Tribunal est d'avis que la Loi et la Charte canadienne des Droits et Libertés ne peuvent être invoquées, compte tenu des faits en l'instance, et n'ont pas la portée que l'Association aimerait y voir.
[33] En effet, nulle part dans la Loi peut-on retrouver des dispositions permettant de déclencher un vote de grève ou des pouvoirs qui se comparent aux droits accordés à un syndicat.
[34] De plus, lorsque l'on prend connaissance du contenu de certaines résolutions adoptées en assemblée générale, l'incongruité de cette position est évidente. Il y a, entre autres, celle du 15 mars 2012 où l'Association adopte à la majorité une résolution en faveur de l'augmentation des redevances minières exigées aux entreprises qui exploitent les ressources naturelles du Québec, ou encore celle où l'Association se positionne comme « gardien de la vertu et pourfendeur de la mauvaise foi, notamment en matière politique ».[16] Selon l'Association, puisque de telles résolutions, comme celle décrétant le vote de grève, ont été adoptées démocratiquement à la majorité des votes, chaque étudiant en histoire à l'Université Laval serait lié par chacune de ces décisions qui lui serait opposable.
[35] Ce qui précède est la preuve selon le Tribunal que non seulement ce postulat est mal fondé mais démontre en plus les effets inattendus de certaines décisions d'une Association dont les actions dépassent les objets pour lesquels elle a été constituée.
[36] Le Tribunal rejette donc l'argument selon lequel une décision ou résolution de l'Association peut lier chacun des membres.
[37] En ce qui concerne ce deuxième argument, le Tribunal est d'avis que les droits fondamentaux de l'Association ne sont nullement bafoués par le recours en dommages-intérêts intenté par M. Dumas.
[38] En effet, M. Dumas ne remet pas en cause le droit de l'Association ou des étudiants en histoire qui le veulent de manifester ou de procéder à un vote de grève. Il reproche essentiellement à l'Association d'avoir organisé et coordonné des lignes étanches de piquetage, de telle sorte que les salles de cours étaient inaccessibles, donc d'avoir posé des gestes illégaux, brimant ainsi son droit à assister aux cours.
[39] Bien que M. Fortin-Dupuis est d'avis que les salles de cours n'étaient pas hermétiquement bloquées, M. Dumas témoigne que des tables étaient renversées afin de bloquer le passage.
[40] Qui plus est, les messages envoyés aux étudiants par M. Fortin-Dupuis laissent peu de doute à cet égard :
[…] il y aura des lignes de pictage devant les cours de sigle HST à partir de demain matin. Les cours seront donc annulés.[17].
[…]
(Nos soulignements)
(Reproduit tel quel)
[…]
Il faut être devant les locaux à piqueter environ 30 minutes avant le début des cours afin de s'assurer que personne n'entre.[18] […]
(Nos soulignements)
[41] Et même dans l'éventualité où les salles de cours n'étaient pas bloquées, conclusion de fait que ne partage pas le Tribunal, une ligne de piquetage constitue tout de même une formidable barrière, même psychologique, qui peut être difficile, voire impossible, de franchir.
[42] À ce sujet, le juge Cory de la Cour Suprême du Canada s'exprimait ainsi dans l'affaire T.U.A.C., section locale 1518, c. KMart Canada Ltd[19].
« 40 Il ne fait aucun doute que le piquetage est une forme d'exercice de la liberté d'expression. Toutefois, sa caractéristique est la ligne de piquetage, qui a été décrite comme un « signal » de ne pas aller plus loin. Quel que soit son message, la ligne de piquetage a l'effet d'une barrière. Elle entrave l'accès du public aux biens ou service des entreprises, ainsi que l'accès des employés à leur lieu de travail et l'accès des fournisseurs aux lieux de livraison.
[…]
41 Les lignes de piquetage constituent de formidables barrières. Au sein de la société canadienne, les citoyens sont réticents à franchir une ligne de piquetage. »
[…]
[43] Enfin, pour conclure sur ce deuxième moyen de défense, le Tribunal fait siens les commentaires du juge Émond dans l'affaire Morasse précitée :
[42] Comme dernier moyen, l'ASETAP fait valoir que l'ordonnance réclamée par M. Morasse priverait les étudiants pratiquant le boycott de leur droit constitutionnel à la libre expression.
[43] Avec égards pour l'opinion contraire, le tribunal ne voit pas en quoi l'accès aux salles de cours réclamé par M. Morasse pourrait brimer le droit à la libre expression des étudiants membres de l'Association.
[44] La demande de M. Morasse ne vise pas à interdire aux étudiants de manifester, mais seulement à les empêcher de poser des gestes illégaux, en l'occurrence le blocage de l'accès aux salles où sont dispensés les cours.
[45] De fait et à y regarder de près, ce n'est pas tant le droit constitutionnel à la libre expression qui est en cause, mais plutôt l'équivalent « d'un monopole du travail » que l'ASETAP veut s'octroyer pour se donner un rapport de force.
[46] Or, nous l'avons déjà mentionné, la Loi sur l'accréditation et le financement des associations d'élèves ou d'étudiants ne contient aucune disposition permettant à une association étudiante de forcer un étudiant à boycotter ses cours contre son gré.
[44] À cet égard, le Tribunal est d'avis que durant cette période (que les médias ont identifiée sous l'appellation de « printemps érable »), il était en effet légitime de se questionner sur les obligations contractuelles des établissements d'enseignement de fournir et de dispenser les cours aux étudiants désireux d'y assister.
[45] Encore une fois, dans l'affaire Morasse précitée, le juge Émond s'exprime ainsi par rapport aux obligations de l'Université Laval :
[17] Cela dit, il est regrettable que l'Université Laval, qui a l'obligation contractuelle de dispenser ces cours malgré l'appel au boycott, comme le rappelle à juste titre le juge Lemelin, laisse aux étudiants la tâche ingrate de faire établir l'ordre dans ses propres locaux.
[18] Il convient ici d'ajouter que l'Université Laval a non seulement l'obligation contractuelle de dispenser les cours malgré l'appel au boycott mais, également celle de permettre à tous ses étudiants d'avoir accès aux locaux où ces cours sont donnés.
[46] Certes, M. Dumas aurait sans doute pu poursuivre contractuellement l'Université Laval ainsi que le corps professoral, pour avoir failli à la tâche et avoir cédé eux aussi aux lignes de piquetage organisées par l'Association. Mais M. Dumas en a décidé autrement et a intenté son recours uniquement contre l'Association, cette dernière ayant posé des gestes illégaux, soit le blocage de l'accès aux salles de cours.
[47] Malgré les reproches que l'on pourrait faire à l'Université Laval dans la gestion de cette crise étudiante, le Tribunal est convaincu que le fait par l'Association d'avoir organisé et coordonné le piquetage et d'avoir ainsi bloqué l'accès aux cours, est à l'origine et fût la cause immédiate et directe du préjudice de M. Dumas.
[48]
Et même si d'autres personnes, soit l'Université Laval ou certains
professeurs, avaient une responsabilité pour avoir, par omission ou autrement,
participé aux « faits collectifs fautifs »,
l'article
1480. Lorsque plusieurs personnes ont participé à un fait collectif fautif qui entraîne un préjudice ou qu'elles ont commis des fautes distinctes dont chacune est susceptible d'avoir causé le préjudice, sans qu'il soit possible, dans l'un ou l'autre cas, de déterminer laquelle l'a effectivement causé, elles sont tenues solidairement à la réparation du préjudice.
[49] Enfin, dans la décision Morasse précitée, l'association étudiante intimée plaidait que l'émission d'une ordonnance d'injonction n'était pas le recours approprié puisque si l'Université Laval décidait de prolonger ses cours sur une longue période ou pis encore, d'annuler les sessions, M. Morasse pourrait faire valoir ses droits au moyen d'un recours en dommages. Le juge Émond rejette l'argument de cette association et confirme que l'injonction était le recours approprié, mais sans toutefois exclure le recours en dommages pour certaines dépenses.[20]
[37] De plus, il apparaît difficile de quantifier tous les dommages que M. Morasse pourrait subir s'il ne parvenait pas à compléter sa session à l'intérieur d'un délai raisonnable ou encore, si celle-ci devait être éventuellement reprise.
[38] Il pourrait sans doute réclamer les dépenses inutilement encourues en raison des délais ou encore, ses frais de scolarité ou d'autres dépenses engagées au cours de la session d'hiver 2012 si celle-ci était annulée.
[39] Mais qu'en serait-il des pertes de temps, d'opportunité ou encore, de l'impact qu'auraient de tels délais ou un report de la session sur sa santé, son travail d'été, sa carrière, sa vie professionnelle et sa vie personnelle?
[40] Il est difficile de soutenir que les dommages résultant d'un boycott sont tous quantifiables sans banaliser certains effets négatifs et dommageables qu'un tel boycott peut engendrer en termes de troubles, ennuis et inconvénients.
[41] Il ne peut s'agir comme le laisse entendre l'ASETAP, de simples désagréments.
(Nos soulignements)
[50] Monsieur Dumas témoigne qu'il avait un emploi d'été dans le secteur du terrassement, emploi qu'il avait occupé l'année précédente. Cet emploi débutait tôt, à la fin des classes et il ne pouvait se permettre de mettre en péril cet emploi en suivant des cours de rattrapage à la fin du printemps ou au cours de l'été 2012. L'Association invoque que la précipitation de M. Dumas d'annuler sa session l'a empêché de connaître le plan de rattrapage qui lui aurait permis d'assurer ses revenus d'été.
[51] Or, la preuve devant le Tribunal est à l'effet qu'en février 2012, et ce, jusqu'au 19 mars (soit la date limite d'abandon sans mention d'échec), aucun plan de rattrapage n'avait été discuté ni même avancé par l'Université. Tout était donc possible et cette incertitude était très inquiétante pour le demandeur.
[52] Monsieur Dumas savait cependant une chose le 19 mars 2012 : si l'éventuel plan de rattrapage impliquait des sessions à la fin du printemps ou à l'été 2012, il lui aurait été impossible de suivre ces cours puisque, dit-il, la santé financière de son foyer était en péril car elle dépendait de cet emploi d'été.
[53] Dans de telles circonstances, il n'aurait pas pu suivre les cours de rattrapage et son dossier académique aurait fait mention « d'échec », n'ayant pas abandonné en temps opportun (c'est-à-dire le ou avant le 19 mars 2012) pour éviter cette mention.
[54]
En conséquence de tout ce qui précède, le Tribunal est d'avis que
l'Association a engagé sa responsabilité civile extra-contractuelle en vertu de
l'article
Les dommages
[55] En ce qui concerne les dommages-intérêts réclamés, le Tribunal est d'avis que tout le matériel scolaire (ouvrages et livres), totalisant une somme de 420,06 $ ne peut être réclamé car le demandeur conserve ces livres et ces ouvrages. Il a donc obtenu une contrepartie, soit des biens, en retour de ce paiement.
[56] La même conclusion s'applique à la vignette de stationnement dont M. Dumas réclame une partie du coût total, mais pour des motifs différents.
[57] Le Tribunal estime en effet que cette réclamation de 102,75 $ est non fondée puisque son épouse partageait et utilisait de toute façon cette vignette ou ce permis de stationnement pour ses propres fins.
[58] En ce qui a trait au coût de l'essence réclamé soit 63,18 $, M. Dumas présente des calculs, sans preuve à l'appui, d'une consommation moyenne de treize litres aux 100 Kilomètres, d'une distance parcourue aller retour entre son domicile et l'Université de douze kilomètres et ce, trois fois semaine, sur dix semaines soit un total de 360 kilomètres. Selon lui, le véhicule aurait consommé 46,8 litres à un coût moyen de 1,354 dollar le litre.
[59] Le Tribunal est confronté à une preuve peu documentée eu égard aux calculs, à la cote de consommation et au type de véhicule de M. Dumas. Mais compte tenu qu'il est raisonnable de penser que des allocations de déplacement visent non seulement à compenser l'essence utilisée mais également la dépréciation d'un véhicule, et puisque M. Dumas ne réclame que le coût de l'essence utilisée, le Tribunal n'hésite pas, dans les circonstances, à lui accorder le montant demandé de 63,18 $ à ce titre.
[60] Enfin, le Tribunal est d'avis que M. Dumas a droit au remboursement de ses frais de scolarité au montant de 1 156,66 $, tel qu'il appert du sommaire de compte par session d'études[21].
[61] En conclusion, l'Association devra payer à M. Dumas la somme de 1 219,84 $ à titre de dommages-intérêts avec les intérêts calculés au taux légal, plus l'indemnité additionnelle à compter de l'assignation.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
accueille en partie la demande;
Condamne la défenderesse, Association des étudiants et
étudiantes en histoire de l'Université Laval, à payer la somme de
1 219,84 $ au demandeur, M. Marc-Antoine Dumas et ce, avec
les intérêts calculés au taux légal, plus l'indemnité additionnelle prévue à
l'article
Condamne la défenderesse, Association des étudiants et étudiantes en histoire de l'Université Laval, à payer au demandeur, M. Marc-Antoine Dumas, les frais judiciaires de 103 $.
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__________________________________ Daniel Bourgeois, J.C.Q. |
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Date d’audience : |
17 juin 2013 |
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[1] Pièce P-10
[2] Pièce D-3
[3] Pièce P-11
[4] Voir entre autres pièces P-12, P-13 et P-16
[5] Pièces D-3 et D-4
[6] Pièce P-20
[7] Pièce D-2
[8] Pièce P-13
[9] Pièce P-15
[10] Pièce P-16
[11] Pièce P-17
[12] Pièce P-3, mise en demeure
[13] L.R.Q. c. A-3.01,
[14]
Déry c. Duchesne C.S. Alma
[15] C.S. Québec 2012-QCCS 1859.
[16] Pièce D-5
[17] Pièce P-10, message du 20 février 2012.
[18] Pièce P-13, message du 29 février 2012.
[19] [1999] 2 R.C.S. 1083.
[20] Précité, note 15.
[21] Pièce P-4
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.