Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
Décision

Manoukian c. Dumesnil

2019 QCRDL 28631

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

470347 31 20190710 G

No demande :

2800671

 

 

Date :

04 septembre 2019

Régisseure :

Chantale Bouchard, juge administrative

 

Lori Manoukian

 

Locatrice - Partie demanderesse

c.

Mellendy Dumesnil

 

Locataire - Partie défenderesse

D É C I S I O N

 

 

[1]      Par un recours introduit le 6 juillet 2019, la locatrice demande la résiliation du bail et l’expulsion de la locataire, le recouvrement du loyer (1 455 $) ainsi que celui dû au moment de l’audience, avec les intérêts et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec (C.c.Q.), plus l'exécution provisoire de la décision, malgré l'appel, et les frais judiciaires.

[2]      La résiliation du bail est ainsi requise aux motifs d’un retard de plus de trois semaines pour le paiement du loyer et de son acquittement fréquent après échéance, tel que le prévoit l'article 1971 C.c.Q. :

« 1971. Le locateur peut obtenir la résiliation du bail si le locataire est en retard de plus de trois semaines pour le paiement du loyer ou, encore, s'il en subit un préjudice sérieux, lorsque le locataire en retarde fréquemment le paiement. »

[3]      La demande a été signifiée le 17 juillet 2019 par huissier, en mains propres, tel qu’il appert de la preuve administrée.

[4]      Il s’agit d’un bail datant de 2014, notamment reconduit pour la période du 1er juillet 2019 au 30 juin 2020 au loyer mensuel de 730 $, payable le premier jour du mois.

[5]      La preuve démontre que la locataire doit 730 $, soit le loyer du mois d’août 2019.

[6]      Partant, le Tribunal constate que la locataire n’est pas en retard de plus de trois semaines pour le paiement du loyer. La résiliation du bail n’est donc pas accordée pour ce motif, par application de l’article 1971 C.c.Q.


[7]      Concernant le second motif invoqué et aux termes de l’article 1971 C.c.Q., afin d’obtenir gain de cause, soit la résiliation du bail en raison de retards fréquents dans le paiement du loyer, le locateur doit établir, par prépondérance, non seulement qu’il y a une fréquence dans les retards, par leur caractère régulier, continuel et même chronique, mais que tels retards lui causent un préjudice qualifié de « sérieux »[1]. Ce vocable n’a pas été ajouté comme figure de style par le législateur. La preuve du sérieux et de la gravité du préjudice doit être fiable et probante, complète et documentée, appuyée de faits précis et objectifs, excluant la simple déclaration d’inconvénients, soucis ou tracasseries résultant de la gestion d’un immeuble locatif. Il n’y a donc pas de présomption à cet égard. La résiliation du contrat étant une sanction fort importante, voire la plus sévère, en ce sens, la preuve et les motifs y conduisant doivent l’être tout autant.

[8]      La locatrice démontre que le loyer est fréquemment payé en retard, ce qui lui cause un préjudice sérieux dans la gestion de son immeuble, justifiant la résiliation du bail sous ce chef.

[9]      Toutefois, suivant la preuve administrée et usant de sa discrétion judiciaire, le Tribunal estime qu’il y a lieu d’y surseoir et d’y substituer une ordonnance selon l’article 1973 C.c.Q.

[10]   Il sera donc ordonné à la locataire de payer le loyer le premier jour de chaque mois. Cette ordonnance vaudra pour la durée du bail en cours ainsi que pour une de ses reconductions subséquentes entre les parties, le cas échéant. De plus, l’ordonnance rendue entrera en vigueur dès le 1er novembre 2019, vu le délai légal d’exécution de la présente décision.

[11]   Incidemment et avec égards pour l’opinion contraire, le Tribunal est d’avis qu’en fixant ainsi précisément l’ordonnance et sa durée[2], cela rejoint l’essence du jugement rendu par la Cour du Québec dans l’affaire Marcellus c. Rosito[3], et ce, malgré la controverse existante au sein de cette Cour au sujet de la survie de l’ordre après le terme du bail connu au moment de l’audience[4].


[12]   Particulièrement utilisée lorsque la partie locataire se trouve défenderesse, une interprétation autre viendrait limiter considérablement la discrétion du tribunal d’user de l’article 1973 du Code civil du Québec pour le maintenir dans les lieux loués, alors que le droit à la résiliation du bail est par ailleurs reconnu en application des articles 1971[5] ou 1863 du même Code. Il faut se rappeler qu’au nom de ce droit du locataire, se greffe aussi celui à la reconduction de plano d’un bail à durée fixe[6]. Si on ne pouvait considérer les reconductions à venir du bail, comment pourrait-on s’autoriser à examiner des manquements au sein de termes antérieurs? Rappelons également que l’article 1973 en cause se trouve inséré au Code civil du Québec à la « Section IV - règles particulières au bail d’un logement ». Ceci dit, toujours avec égards.

[13]   Tel qu’édicté à l’article 1973 précité, le défaut par la locataire de respecter une telle ordonnance permettra à la locatrice d’obtenir la résiliation du bail en présentant une nouvelle demande en ce sens. La locataire serait donc bien avisée de ne pas y contrevenir, d’autant que son défaut pourrait alors s’avérer irrémédiable. Il s’agit d’une dernière chance qui lui est accordée pour pouvoir s’amender à cet égard et conserver son droit au maintien dans les lieux loués.

[14]   Par ailleurs, l’exécution provisoire de la décision, malgré l’appel, n’est pas justifiée, tel que le prévoit l’article 82.1 L.R.L.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[15]   SURSOIT à la résiliation du bail en application de l’article 1973 C.c.Q.;

[16]   ORDONNE à la locataire de payer son loyer le premier jour de chaque mois, dès le 1er novembre 2019, et ce, pour la durée du bail en cours ainsi que pour une reconduction subséquente entre les parties, le cas échéant;

[17]   CONDAMNE la locataire à payer à la locatrice la somme de 730 $, avec les intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q., à compter du 2 août 2019, plus les frais judiciaires de 99 $, incluant ceux de la signification selon le Tarif[7].

 

 

 

 

 

 

 

 

Chantale Bouchard

 

Présence(s) :

la locatrice

Date de l’audience :  

20 août 2019

 

 

 


 



[1] Voir les affaires Gestion R. Latreille Inc. c. Germain Peterson, R.D.L. 2718768, le 21 mai 2019, r. Jodoin, j.a; René Carrier c. Pier-Luc Garneau, R.D.L. 2712041, le 13 mai 2019, r. Alain, j.a.; Ean Ruel c. Kim Lalonde Lachapelle, R.D.L. 2373346, le 1er mai 2019, r. Jodoin, j.a. et S.N.C. Levac c. Boni Richard Ouorou, R.D.L. 2421837, le 27 mars 2018, r. Gravel, j.a.

[2] Dans l’affaire Brodeur c. Joly, [C.Q. 460-80-000625-093, 2010 QCCQ 3987, le 29 mars 2010], l’honorable Patrick Théroux, juge de la Cour du Québec, se prononçait sur le délai à impartir à une ordonnance sous 1973 C.c.Q. : « [51] Il faut considérer ici que la sanction prévue à l'article 1973 du C.c.Q. est fonction du non-respect du délai imparti par l'ordonnance. En utilisant les termes « […] ordonner au débiteur d'exécuter ses obligations dans le délai qu'il détermine », la loi exprime clairement l'intention voulant que l'effet d'une ordonnance soit circonscrit dans le temps. Le temps est donc de l'essence de ce type d'ordonnance puisque, faute de délai précis, elle devient à toutes fins utiles, sans objet, non susceptible d'exécution.

[52] Une ordonnance émise aux termes de l'article 1973 du C.c.Q. doit donc stipuler un délai d'exécution dans le délai qu'il détermine »). » (Soulignement ajouté)

[3] Marcellus c. Rosito, C.Q. Division administrative et d'appel, N° 500-80-014843-099, le 16 septembre 2010, sous la présidence de l’honorable Jean-F. Keable, J.C.Q., [2010 QCCQ 7901].

Voir également Carrier c. Coop la voix [2007 QCCQ 1340] où l’honorable juge André Renaud mentionnait notamment au paragraphe 30 de son jugement relativement à l’ordonnance émise sous l’égide de l’article 1973 du Code civil du Québec, « […] que si cette ordonnance est imprécise, par exemple, quant à sa durée, la résiliation ne sera pas automatique. »

Aussi, dans Brodeur c. Joly [2010 QCCQ 3987], l’honorable juge Théroux conclut au paragraphe [52] qu’ « [u]ne ordonnance émise aux termes de l'article 1973 du C.c.Q. doit donc stipuler un délai d'exécution […]. »

[4] Dans l’affaire St-Jérôme (Office municipal d'habitation de) c. Charbonneau [C.Q., Division administrative et d'appel, N° 700-80-003056-089, le 22 octobre 2010, sous la présidence de l’honorable Georges Massol, J.C.Q.,

(2010 QCCQ 9079)], toujours en appel d’une décision de la Régie du logement et statuant de nouveau, la Cour du Québec rendait l’ordonnance suivante en vertu de l’article 1973 du Code civil du Québec, à savoir : « ORDONNE à V[…] de payer son loyer le premier (1er) jour de chaque mois pendant toute la durée du bail, y compris toute durée pendant laquelle le bail sera reconduit ; ». (Soulignements ajoutés)

Enfin, dans la cause Lavigueur c. Grenon [2015 QCCQ 14082], l’honorable juge Serge Laurin, après une revue de la jurisprudence, énonce ceci : « [32] L'ordonnance de l'article 1973 C.c.Q. entraîne de graves conséquences qui vont à l'encontre du droit au maintien dans les lieux du locataire. Il est certain que la sanction d'une telle ordonnance doit être appliquée de manière restrictive. L'ordonnance doit être claire, précise et ne laissez aucun doute ou ambigüité. L'ordonnance ne peut être imprécise quant à sa durée. » (Soulignements ajoutés)

[5] En ce qui a trait aux retards fréquents seulement, le retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer étant expressément exclu de l’application de l’article 1973 du Code civil du Québec.

[6] Suivant l’article 1941 du Code civil du Québec.

[7] Tarif des frais exigibles par la Régie du logement, (RLRQ, c. R-8.1, r. 6).

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.