Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Émond) c. Procureur général du Québec (Ministère du Travail, de l'Emploi et de la Solidarité sociale) |
2021 QCTDP 8 |
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TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
BEAUHARNOIS |
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N° : |
760-53-000005-197 |
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DATE : |
26 mars 2021 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
DORIS THIBAULT |
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AVEC L’ASSISTANCE DES ASSESSEURES : |
Me Djénane Boulad, avocate à la retraite Me Marie-Josée Paiement |
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COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITS DE LA JEUNESSE, agissant dans l’intérêt public et en faveur de GABRIEL ÉMOND |
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Partie demanderesse |
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c. |
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PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC (aux droits du MINISTÈRE DU TRAVAIL, DE L’EMPLOI ET DE LA SOLIDARITÉ SOCIALE) |
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Pascale Lalonde |
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Parties défenderesses |
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Gabriel Émond |
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Partie victime et plaignante |
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JUGEMENT |
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[1]
La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse
(Commission) agissant en faveur de monsieur Gabriel Émond (monsieur Émond) et
dans l'intérêt public, allègue que le Procureur général du Québec aux droits du
ministère du Travail, de l'Emploi et de la Solidarité sociale (MTESS) et madame
Pascale Lalonde (madame Lalonde) ont porté atteinte au droit de monsieur Émond
d’être traité en pleine égalité, sans distinction ou exclusion fondée sur le
sexe, en l'informant qu’il ne pouvait soumettre sa candidature pour un poste de
préposé d’aide à domicile auprès de personnes âgées au motif qu’il est un
homme, en contravention des articles
[2]
La Commission allègue également que le MTESS et madame Lalonde ont aussi
porté atteinte au droit de monsieur Émond à la sauvegarde de sa dignité, sans
distinction ou exclusion fondée sur le sexe, contrairement aux articles
[3] Outre les dommages moraux au montant de 8 500 $ réclamés solidairement contre les parties défenderesses et les dommages punitifs au montant de 1 000 $ réclamés contre madame Lalonde, la Commission demande au Tribunal de prononcer des ordonnances visant à obliger le Procureur général du Québec à dispenser une formation sur la discrimination ainsi qu'à adopter, mettre en œuvre et diffuser une politique visant à contrer la discrimination qui s’adresse aux employés actuels et futurs du Centre local d’emploi de Vaudreuil-Soulanges.
[4] Les parties défenderesses contestent les prétentions de la Commission et soutiennent que la demande doit être rejetée. Elles plaident que les Centres locaux d’emploi (CLE)[2] n’ont qu’un rôle d’intermédiaire entre les personnes à la recherche d’un emploi et les employeurs et, par conséquent, ne sont pas responsables du contenu des offres d’emploi qui leur sont transmises ni ne sont responsables de la conduite des employeurs dans leur processus de recrutement.
Les questions en litige
i)
Le MTESS et madame Lalonde ont-ils porté atteinte au droit de monsieur
Émond d'être traité en pleine égalité, sans distinction ou exclusion fondée sur
le sexe en ne lui transmettant pas les informations concernant l'employeur pour
un poste de préposé d'aide à domicile parce que cet employeur recherchait des
candidatures féminines, en contravention des articles
ii)
Ce faisant, le MTESS et madame Lalonde ont-ils porté atteinte au droit
de monsieur Émond à la sauvegarde de sa dignité, sans distinction ou exclusion
fondée sur le sexe, contrairement aux articles
iii) Dans l'affirmative, monsieur Émond a-t-il droit aux dommages moraux et punitifs réclamés?
iv) Les ordonnances demandées par la Commission sont-elles justifiées?
Le contexte
[5]
Le MTESS, conformément à l’article
[6] Les articles 1 à 3 de la Loi sur l’aide aux personnes et aux familles[4] énoncent que le MTESS est chargé d’offrir des mesures, programmes et services d’aide à l’emploi de même que d’aide et d’accompagnement social. Les points de services du MTESS sont les CLE qui couvrent l'ensemble du territoire québécois.
[7] Pour accomplir leur mandat, les CLE emploient des agents d’aide à l’emploi (qui sont en lien avec les personnes à la recherche d’un emploi)[5] et des agents d’aide aux entreprises (qui assurent le lien avec les entreprises et organismes qui recherchent des candidats)[6].
[8] L’agent d’aide à l’emploi est chargé de l’accompagnement de la clientèle dans sa démarche vers l’emploi. Cet agent informe sa clientèle sur le marché du travail, réalise des entrevues avec les clients et élabore, avec le client, un plan d’intervention dans l'objectif d'accéder au marché du travail.
[9] Monsieur Émond a complété une formation en psychanalyse et en hypnose. Il a occupé la fonction d’intervenant dans ces domaines à son compte jusqu’en 2015. À cette époque, sa clientèle a baissé drastiquement, car le type de services qu'il offrait n'étaient plus couverts par le régime d'assurance de ses clients. N'ayant pas réussi à se retrouver un emploi, il doit faire une demande d’aide de dernier recours.
[10] Le 1er juin 2016, monsieur Émond participe à une rencontre organisée par le MTESS qui a pour but, d’une part, de remettre en mains propres aux prestataires convoqués leur chèque d’aide financière de dernier recours et, d’autre part, de les renseigner sur les offres d’emploi sur un territoire donné, sur le programme d’aide financière et sur le programme de subventions salariales.
[11] Lors de cette rencontre, madame Karyna Legault (madame Legault), alors agente d’aide aux entreprises au CLE de Vaudreuil-Soulanges, présente des offres d’emploi sur le territoire desservi par le CLE, dont certaines peuvent bénéficier du programme de subventions salariales.
[12] Les tâches de madame Legault visent notamment à faire l’arrimage entre un employeur et des candidats potentiels dont certains qui bénéficient de la subvention salariale et non pas à recruter des candidats pour l'employeur.
[13] Les candidats contactés obtiennent alors les informations relatives à l’emploi et font directement leurs démarches pour poser leur candidature auprès de l’employeur.
[14] Ainsi, le 1er juin 2016, madame Legault fait, à la suite de son exposé sur les subventions salariales, une présentation succincte des postes à pourvoir et invite les personnes intéressées à venir la rencontrer. Elle ne leur donne pas le nom de l'employeur ni les exigences de l'emploi. Elle précise que les emplois dont il est question se retrouvent sur le site d’Emploi-Québec (Placement en ligne), sur les babillards, sur Facebook et dans les journaux.
[15] Elle explique que durant les rencontres comme celle du 1er juin 2016, peu de personnes viennent la voir pour manifester leur intérêt pour un poste. À son souvenir, personne n’est venue la voir à la rencontre du 1er juin.
[16] Après la présentation, monsieur Émond fait part au chef d’équipe des agents d’aide à l’emploi, de son intérêt pour un poste de préposé d’aide à domicile qui est disponible.
[17] Il est alors informé qu’il sera contacté par son agente d’aide à l’emploi, madame Lalonde, qui lui transmettra des informations au sujet de cet emploi et vérifiera son admissibilité à une subvention salariale.
[18] Le lendemain, madame Lalonde laisse un message téléphonique à monsieur Émond en lui précisant que l'employeur, (Services d’aide à domicile Vaudreuil-Soulanges), qui offre le poste de préposé d'aide à domicile a un besoin particulier de femmes, tout en lui demandant de la rappeler pour discuter de la subvention salariale.
[19] Monsieur Émond rapporte le contenu du message téléphonique en ces termes : « …que je ne pourrais pas bénéficier de la subvention salariale ni obtenir l’emploi auquel j’étais intéressé parce que la propriétaire de l’établissement ne recherche que des femmes et que j’étais un homme donc que ça ne pouvait pas être possible et que je ne pourrais pas avoir l’emploi ».
[20] Il ne donne pas suite au message de madame Lalonde, car pour lui ce refus est sans équivoque. Il nie qu’il y avait une demande de rappel de la part de madame Lalonde.
[21] Monsieur Émond témoigne avoir mal réagi devant cette attitude sexiste, il était démoli.
[22] Ce refus d’avoir accès au poste de préposé d'aide à domicile l’affecte sur le plan de son estime personnelle et ajoute à l’humiliation qu’il ressent en étant bénéficiaire d'aide de dernier recours, car il a cru que ce serait une façon de sortir de la précarité. Il dit qu’en fait, il est devant un cul-de-sac parce qu'il est un homme et qu’il ne pourra occuper un tel emploi subventionné; emploi qui est en demande au Québec.
[23] Trois semaines plus tard, madame Lalonde lui téléphone pour lui proposer de suivre une formation de préposé aux bénéficiaires. Bien qu'il ait dû suspendre sa formation en raison de son état de santé, il la complète quelques mois plus tard.
[24] Lors de cette conversation, le sujet du poste de préposé d'aide à domicile n’est pas abordé par madame Lalonde ni par monsieur Émond.
[25] Monsieur Émond reconnaît que c’est lui qui doit faire les démarches d’emploi et que madame Lalonde, à titre d’agente d’aide à l’emploi, est là pour lui offrir son soutien. Il affirme avoir eu une bonne relation avec elle lors de leurs divers échanges et leurs rencontres (une dizaine) entre début 2015 et septembre 2017.
[26] Il croit avoir suivi la procédure établie pour démontrer son intérêt pour ce poste. Il ne pouvait faire plus, car il n’avait pas les coordonnées de l’employeur, l’agente servant de pont entre les demandeurs d’emploi et les employeurs potentiels.
[27] Madame Andrée Gaudet (madame Gaudet) est directrice des Services d’aide à domicile Vaudreuil-Soulanges (organisme à but non lucratif) depuis 1999. Cet organisme offre trois types de services aux personnes âgées et à limitation fonctionnelle : 1) présence, surveillance et soins à la personne donnés par des préposés aux bénéficiaires; 2) service d’entretien léger par les aides à domicile qui inclut la préparation des repas, faire des commissions, s’occuper de la lessive et de la literie (travaux légers); 3) service de nettoyage des murs, plafonds, fenêtres, travaux extérieurs exécutés par des aides à domicile (travaux lourds).
[28] En 2016, les Services d’aide à domicile Vaudreuil-Soulanges emploient 36 personnes dans ces 3 types de services : 3 préposés aux bénéficiaires, 30 aux travaux légers et 3 aux travaux lourds.
[29] Les Services d’aide à domicile recrutent sur le site d’Emploi-Québec, la plateforme Passeport Vaudreuil, les journaux locaux, Jobboom, divers détaillants et par le bouche-à-oreille.
[30] En 2014, les Services d’aide à domicile rencontrent le CLE de Vaudreuil-Soulanges pour mettre en place un partenariat étroit étant donné que les besoins à l’époque sont importants. Au surplus, l'organisme se qualifie pour une subvention salariale.
[31] Les exigences de base du poste de préposé d'aide à domicile travaux légers ou travaux lourds comprennent l’obtention d’un secondaire V, de l’expérience avec les personnes âgées, l’usage du français et l’accès à une voiture. Seuls les préposés aux bénéficiaires doivent détenir le diplôme d’assistance à la personne.
[32] L’exigence du sexe des employés n’est pas mentionnée, car ils recrutent des hommes et des femmes. On tient compte cependant des exigences des clients pour les préposés aux bénéficiaires qui prodiguent des soins à la personne; si le bénéficiaire demande un homme, on enverra un homme.
[33] Madame Gaudet affirme qu’aucun candidat n’a été refusé en raison de son sexe et que les postes sont ouverts à tous.
[34] Depuis plus de 10 ans, les Services d’aide à domicile affichent les 3 postes sur le site d’Emploi-Québec. De manière générale, c’est madame Gaudet qui rédige les offres d’emploi[7].
[35] Aucune des parties n’a déposé l’offre d’emploi de 2016 des Services d’aide à domicile Vaudreuil-Soulanges.
[36] Madame Gaudet témoigne de façon très générale, en évitant de répondre avec précision à certaines questions liées à la préférence de candidatures féminines. Elle reconnaît toutefois que cela lui est déjà arrivé de mentionner aux agents du CLE qu’il y a des besoins pour un homme ou pour une femme, même pour les travaux légers, car les clients demandent parfois d'avoir une femme plutôt qu'un homme pour ces services. Les postes sont ouverts aux deux sexes.
[37] Finalement, elle dit n’avoir jamais rencontré monsieur Émond et ne se souvient pas d'avoir parlé de lui avec madame Lalonde, son agente.
[38] Madame Legault se souvient de la demande qu'elle a reçue de l'organisme Services d'aide à domicile. Lors de leur conversation en 2016, la directrice, madame Gaudet, lui explique que les tâches de ce poste comprennent certains soins à la clientèle, cuisiner un repas, faire le lit, exécuter des petites tâches ménagères, faire l’épicerie et des petits travaux légers; en somme, occuper les fonctions d’un aidant naturel.
[39] Elle se rappelle que madame Gaudet lui a dit que son organisme recherche des femmes pour occuper ce poste de préposé d'aide à domicile, car sa clientèle est presque exclusivement féminine, constituée de femmes âgées qui ne sont pas à l’aise et ne se sentent pas en sécurité si un homme leur prodigue ces services à la maison (les aider à s’habiller, changer les pansements, faire le lit, faire du ménage).
[40] La directrice lui a dit : « … moi si je reçois un c.v. une demande par un homme je ne la considèrerais pas parce que je le sais que ma clientèle ne souhaite pas avoir un homme à la maison ».
[41] Si son souvenir est si précis, c'est qu'il s'agit de la première fois qu'une telle exigence lui était communiquée.
[42] Elle reçoit la description du poste qu’elle reprend dans un courriel en y insérant les informations qu’elle a colligées durant son entretien téléphonique avec la directrice de l’organisme. Ce courriel est envoyé à ses collègues agentes d’aide à l’emploi, dont madame Lalonde, pour la recherche de candidats[8].
[43] Le courriel confirme que l’organisme recherche des femmes (idéalement) et que les tâches à effectuer comprennent les soins à la personne, la présence/surveillance, les soins après une hospitalisation, la préparation des repas, etc. Ces informations reflètent les exigences de l’employeur, explique-t-elle.
[44] Elle souligne qu’elle comprend que les soins à la personne et la présence/surveillance sont des soins et attentions de base exécutés par une aide à domicile.
[45] Madame Legault prépare mensuellement un document interne qui donne un aperçu des « arrimages » effectués entre les entreprises et les prestataires d'aide de dernier recours. Dans le document déposé au Tribunal, daté d’avril 2016[9], on y voit la mention : « Services d’aide à domicile Vaudreuil-Soulanges - Préposée aux bénéficiaires (Femme idéalement) ; Homme à tout faire ». Elle indique que la description « préposée aux bénéficiaires » est une erreur et qu’il s’agit d’un poste de préposé d'aide à domicile[10].
[46] Elle a écrit « Femme idéalement » dans ce document interne, même si elle avait compris que l’on recherche exclusivement des femmes candidates. Elle n’est pas en mesure d’expliquer pourquoi elle choisit cette expression plutôt qu’une autre.
[47] Toutefois, elle ajoute qu’à titre d’agente d’aide aux entreprises, elle n’a pas à « juger » des demandes de l’employeur et rappelle que le MTESS, tel qu'il est indiqué sur le site Placement en ligne[11], n’est pas responsable du descriptif des postes publiés et que ce n’est pas à elle de dire à l’employeur que ses exigences pourraient être discriminatoires.
[48] Elle répète qu’elle n’est qu’une intermédiaire entre les employeurs et les candidats.
[49] Elle rapporte que les employés du MTESS reçoivent, au cours de leurs années de services, une formation sur la discrimination et l’éthique[12].
[50] Madame Francine Leroux (madame Leroux), chef d’équipe au sein du CLE de Vaudreuil-Soulanges de décembre 2010 à mai 2019, planifie et organise le travail de ses équipes d’agents.
[51] Questionnée sur le rôle des CLE, madame Leroux précise que ce n’est pas dans leur mandat de recruter des candidats pour de potentiels employeurs et que le CLE n'est pas une agence de placement.
[52] Madame Leroux est présente à la rencontre du 1er juin 2016. Elle est en charge de l’organisation et de la distribution des chèques aux prestataires. Elle témoigne ne pas se souvenir d'avoir vu monsieur Émond durant cette rencontre.
[53] Toutefois, dans sa déclaration à la Commission[13], elle mentionne que monsieur Émond a donné son nom pour un des postes présentés à la réunion. Elle confirme également qu’elle a demandé à madame Lalonde, l’agente d’aide à l’emploi de monsieur Émond, de communiquer avec lui pour l’émission d’une lettre de subvention salariale.
[54] Madame Leroux ne se souvient pas si elle a suivi, au CLE, une formation sur la discrimination et ne se souvient pas de directives particulières à cet égard.
[55] Madame Lalonde est, au moment des faits, l’agente d’aide à l’emploi de monsieur Émond, poste qu’elle occupe de 2011 à 2017.
[56] Elle explique que ses fonctions comprennent l’entrevue d’évaluation des clients et la mise en place d’un plan d’action et d’intervention adapté à leurs besoins en matière d’emploi et de formation afin que le client trouve un emploi durable.
[57] L’agente d’aide à l’emploi donne de l’information aux clients sur les options d’emploi et invite le candidat à faire ses propres démarches auprès des employeurs. Elle lui fournit les informations et coordonnées des employeurs qui sont susceptibles de l’intéresser.
[58] En outre, elle s’occupe d’émettre au client, s’il y a lieu, une lettre d’admissibilité à une subvention salariale. Cette subvention est rattachée à un type d’emploi en fonction du choix professionnel du client.
[59] Madame Lalonde s’occupe du dossier de monsieur Émond de janvier 2015 à février 2017. La première démarche avec monsieur Émond vise à préparer un rapport d’orientation. Suite à l’émission du rapport, elle communique avec monsieur Émond qui ne donne pas suite à cette démarche.
[60] En juillet 2015, monsieur Émond dépose une demande d’aide de dernier recours et elle doit donc le revoir pour évaluer le progrès de ses démarches de recherche d’emploi. Elle établit alors avec lui une approche en vue d’une formation académique.
[61] Elle perd contact avec monsieur Émond qui a des problèmes de santé. Il reprend contact avec elle en mars 2016 alors qu'il la rappelle pour poursuivre sa formation académique. Elle prépare une fiche de référence qu’il ne vient pas chercher.
[62] Madame Lalonde n’est pas présente à la rencontre du 1er juin 2016. Madame Leroux, sa chef d’équipe, l’informe que monsieur Émond est intéressé par le poste de préposé d'aide à domicile. Elle lui dit que bien que ce poste vise des candidates féminines, elle peut voir avec le client pour la lettre d’admissibilité pour la subvention salariale.
[63] C'est dans cet esprit qu'elle lui laisse un message sur sa boîte vocale. Elle se souvient lui avoir dit : « … que j’avais eu l’information que … on m’avait informé qu’il était intéressé par le poste de service d’aide à domicile donc c’est ça et je lui ai donné l’information à savoir que le service d’aide à domicile avait un besoin particulier de femmes pour répondre à un besoin de sa clientèle mais je lui ai parlé aussi de la subvention salariale, que s'il est intéressé à la subvention salariale de me rappeler pour qu’on puisse se rencontrer pour voir quel type de poste on pourrait mettre sur la lettre et que je lui expliquerai aussi comment utiliser la lettre pour sa recherche d’emploi ».
[64] Elle est informée que cet organisme recherche toujours des candidats, pas nécessairement des femmes, mais il y avait à ce moment-là, un besoin particulier pour des femmes; la clientèle étant presque entièrement des femmes, ces dernières se sentent plus à l’aise d’avoir des femmes comme aide à domicile.
[65] Contre-interrogée par l'avocate de la Commission, madame Lalonde suggère que même si l’organisme recherche des femmes en particulier, monsieur Émond aurait quand même pu postuler car le poste est ouvert à tout le monde. Cependant, il ne l’a pas rappelée et elle n’a pas pu lui transmettre les coordonnées de l’organisme. Elle n’est pas surprise de ne pas avoir de retour d’appel, car c’est déjà arrivé auparavant.
[66] Elle ajoute que cet organisme emploie particulièrement des femmes et a bénéficié, entre 2004 et aujourd’hui, de treize subventions salariales dont une seule pour un homme émise en 2018 après la plainte à la Commission.
[67] Elle reprend contact plus tard avec monsieur Émond lorsque la formation de préposé aux bénéficiaires est à nouveau disponible, car elle se souvient qu’il avait manifesté un intérêt pour cette formation.
[68] Lorsqu’elle lui téléphone à ce sujet, en juin 2016, monsieur Émond se dit toujours intéressé. Elle lui prépare une fiche de référence pour l’inscription à cette formation. Elle l’a revu après l’inscription en septembre 2016 pour signer une entente de financement.
[69] Lors de leurs discussions et rencontres de juin et septembre 2016, aucun d'eux n’aborde la question du contenu du message téléphonique en lien avec le poste de préposé d'aide à domicile.
[70] En tout et pour tout, madame Lalonde dit avoir vu monsieur Émond environ trois fois et avoir eu autant de communications téléphoniques avec lui.
[71] En décembre 2016, elle apprend que monsieur Émond a déposé une plainte à la Commission.
[72] Madame Lalonde ne se souvient pas avoir suivi une formation spécifique au travail portant sur la discrimination ou sur la Charte, mais se souvient en avoir suivi une sur l’éthique. Des questions relatives à la discrimination sont abordées de manière générale dans leurs réunions d'équipe.
Le droit
[73] Les articles de la Charte qui soutiennent la réclamation de la Commission sont les suivants :
4 Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.
10 Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, l’identité ou l’expression de genre, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.
Il y a discrimination lorsqu'une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.
12 Nul ne peut, par discrimination, refuser de conclure un acte juridique ayant pour objet des biens ou des services ordinairement offerts au public.
16. Nul ne peut exercer de discrimination dans l'embauche, l'apprentissage, la durée de la période de probation, la formation professionnelle, la promotion, la mutation, le déplacement, la mise à pied, la suspension, le renvoi ou les conditions de travail d'une personne ainsi que dans l'établissement de catégories ou de classifications d'emploi.
18. Un bureau de placement ne peut exercer de discrimination dans la réception, la classification ou le traitement d'une demande d'emploi ou dans un acte visant à soumettre une demande à un employeur éventuel.
49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d'obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.
En cas d'atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs.
[74]
La preuve d'une discrimination au sens de l'article
1) une distinction, exclusion ou préférence;
2)
fondée sur l'un des motifs énumérés à l'article
3) qui a pour effet de détruire ou compromettre le droit à une pleine égalité dans la reconnaissance et l'exercice d'un droit ou d'une liberté de la personne[15];
[75] Cette preuve faite, il y a discrimination prima facie. Dans un deuxième temps, la partie défenderesse peut présenter des éléments de preuve réfutant ou justifiant la conduite reprochée. À défaut d'une telle preuve, le Tribunal devra conclure à l'existence de discrimination au sens de la Charte.
[76]
L'article
[77]
Dans le présent dossier, la Commission allègue que les parties
défenderesses ont contrevenu au droit à l'égalité de monsieur Émond dans
l'exercice des droits protégés par les articles
[78]
L'article
[79] Pour que cette disposition puisse trouver application, trois éléments sont requis :
a) que des biens ou des services soient ordinairement offerts au public;
b) qu'il se produise un refus de conclure un acte juridique en rapport avec ces biens ou ces services;
c) que ce refus résulte d'une discrimination;
[80] Quant à l'existence d'un tel refus, elle doit être analysée en deux étapes. Le Tribunal doit tout d'abord déterminer si la personne qui invoque la discrimination a exprimé sa volonté de bénéficier d'un bien ou d'un service de façon suffisamment explicite. Ensuite, il doit décider si la preuve démontre que la personne qui fournit le bien ou le service a effectivement refusé de conclure un acte juridique à leur sujet[16].
[81]
Quant à l'article
[82] La Charte prévoit également, à son article 18, qu'un bureau de placement ne peut exercer de discrimination dans le cadre du traitement d'une demande d'emploi lorsqu'il soumet une demande à un employeur.
[83]
Finalement, la Commission reproche au MTESS et à madame Lalonde d'avoir
également contrevenu de manière discriminatoire au droit à la sauvegarde de la
dignité de monsieur Émond, tel que garanti par l'article
[84] Rappelons que l'article 4 représente la pierre angulaire de l'ensemble des droits protégés par la Charte et y contrevenir n'est pas sans conséquence.
[85] La Cour suprême dans l'affaire Law[18] explique de quelle manière la dignité d'une personne est bafouée lorsqu'elle est victime de discrimination :
La dignité humaine signifie qu'une personne ou un groupe ressent du respect et de l'estime de soi. Elle relève de l'intégrité physique et psychologique et de la prise en main personnelle. La dignité humaine est bafouée par le traitement injuste fondé sur des caractéristiques ou la situation personnelle qui n'ont rien à voir avec les besoins, les capacités ou les mérites de la personne.
(Notre soulignement)
L'analyse
i)
Le MTESS et madame Lalonde ont-ils porté atteinte au droit de
monsieur Émond d'être traité en pleine égalité, sans distinction ou exclusion
fondée sur le sexe en ne lui transmettant pas les informations concernant
l'employeur pour un poste de préposé d'aide à domicile parce que cet employeur
recherchait des candidatures féminines, en contravention des articles
[86]
Le MTESS, par le biais des CLE, offre des services d'accompagnement dans
la recherche d'emploi et de formation. Les parties conviennent qu'il ne peut
être assimilé à un bureau de placement au sens de l'article
[87]
Le Tribunal ne procédera donc pas à l'analyse à savoir s'il y a eu
contravention à l'article
[88] Monsieur Émond a démontré un intérêt sérieux pour le poste de préposé d'aide à domicile qu'il convoitait. En rencontrant madame Leroux après la présentation du 1er juin, il complète la démarche qui lui est recommandée.
[89] Le Tribunal doit maintenant déterminer s'il y a eu refus de conclure un acte juridique en rapport avec ces services.
[90]
La notion de services doit préalablement être précisée aux fins
d'analyse du dossier. Le Tribunal est en désaccord avec l'interprétation
stricte de l'article
[91] Le MTESS offre des services d'aide à l'emploi comme il est mentionné à l'article 3 de la Loi sur l'aide aux personnes et aux familles[19]. Il est acquis que les dispositions de la Charte doivent recevoir une interprétation large et généreuse qui favorise la réalisation des objectifs généraux de ce texte quasi constitutionnel qu'est la Charte[20].
[92] La juge Pauzé écrit sur ce sujet en 2010[21] :
[138] […] qu'il faut écarter une interprétation littérale et restrictive de la disposition, qui viendrait par exemple limiter l'interdiction ici prescrite à la seule acception civiliste d'un contrat. La notion d'acte juridique doit recevoir une interprétation contextuelle, et dans le contexte de la protection des droits et libertés, il ne saurait s'agir de restreindre la notion d'acte juridique à un concept contractuel, bilatéral ou unilatéral, dans le sens que lui donne traditionnellement le droit civil.
[…]
[158] L'article
[159] Ainsi, bien que toute personne, dont une entité publique telle une municipalité, ait le droit de choisir les biens et services qu'elle offrira au public, une fois qu'elle décide de les offrir, la Charte lui impose de le faire sans porter préjudice à quiconque en raison de ses caractéristiques personnelles, tel le handicap.
[…]
[168] Dans
la jurisprudence canadienne relative aux différentes lois
anti-discriminatoires, la notion de « services » a reçu une
interprétation large, s'étendant notamment à des services d'enseignement, à des
prestations d'assistance sociale ou d'indemnités aux travailleurs ainsi qu'à
l'octroi de permis. Au Québec, les services d'éducation et de santé,
ainsi que l'octroi de permis ont été considérés comme des services au sens
de l'article
(Nos soulignements)
[93]
Une telle interprétation a également été retenue par le Tribunal dans Commission
des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Miller et autres) c.
Ville de Montréal (Service de police) (SPVM)[22],
un jugement dans lequel le Tribunal reconnaît que les services de police
municipaux « constituent un service ordinairement offert au public »,
au sens de l'article
[94] En l'espèce, les services qu'offre le MTESS au public sont l'accompagnement du candidat dans la recherche d'emploi, l'information sur les emplois disponibles et la vérification de son admissibilité à des subventions salariales.
[95]
Le Tribunal n'a pas d'hésitation à conclure que le type de services
dispensés par le MTESS est visé par l'article
[96] La jurisprudence du Tribunal est constante à l'effet que le refus d'offrir un service n'a pas à être explicite ou formel. Il peut s'inférer de gestes, de remarques même subtiles. Encore ici, une interprétation large doit être préférée à une application rigide du concept.
[97] Le Tribunal a ainsi conclu dans l'affaire Centre Laltitude Fitness inc.[23] que par les remarques et les questions posées à la plaignante, en raison de son handicap et de l'utilisation d'un chien guide pour y pallier, ayant pour objectif de la dissuader de s'inscrire au centre d'entraînement et démontrant la fermeture à l'égard de sa demande d'inscription, le centre avait refusé de lui offrir un service. Le Tribunal en vient à cette conclusions après avoir rappelé que :
[46] L'interprétation large et libérale qu'il
convient de donner aux droits et libertés garantie par la Charte exige de ne
pas enfermer cette notion de refus dans un cadre indûment restreint. Aux
fins de l'article
(Nos soulignements)
[98]
Également, dans l'affaire Taranovskaya Tsarevsky[24],
concernant la conclusion d'un bail de logement, le Tribunal a conclu que le
refus dont il est question à l'article
[67] […] englobe toute situation où le refus est explicitement ou implicitement exprimé sous forme d'une « distinction, exclusion ou préférence », et ce, à toute étape des discussions.
[99] Le MTESS plaide que madame Lalonde n'a pas refusé de transmettre l'information à monsieur Émond. Elle souhaitait « entamer une discussion et non pas clore un dossier ». Elle lui demande de le rappeler, ce qu'il ne fait pas. Pour le MTESS, il s'agit d'un énorme malentendu entre les parties.
[100] Bien que le Tribunal préfère sur ce point (la teneur du message téléphonique), le témoignage de madame Lalonde à celui de monsieur Émond qui manque de nuance, il conclut que par la façon dont elle s'est exprimée, elle a dissuadé monsieur Émond de postuler pour cet emploi.
[101] Le fait qu'elle informe monsieur Émond que l'employeur recherche idéalement des candidatures féminines, conjugué au fait qu'elle ne lui transmet pas les coordonnées de l'employeur, sont de nature à laisser croire à monsieur Émond qu'il ne peut postuler pour cet emploi qui l'intéresse.
[102] La teneur
de son message constitue un refus discriminatoire au sens de l'article
[103] En ne
fournissant pas à monsieur Émond les coordonnées de l'employeur concerné par le
poste qu'il convoitait, le MTESS a fait échec au droit de ce dernier d'obtenir,
en toute égalité, l'un des services offerts par le MTESS, c'est-à-dire la transmission
d'informations sur l'employeur. Le refus de transmettre ces informations étant en
lien direct avec le fait qu'il soit un homme, est en contravention des articles
[104] Le Tribunal ne retient pas l'argument de l'avocat des parties défenderesses à l'effet que le MTESS ne peut être responsable des exigences de l'employeur.
[105] Malgré que la preuve démontre que le critère de sélection fondé sur un motif prohibé de discrimination émane d'un tiers, le fournisseur de services qui agit en s'appuyant sur un tel critère procède de facto à une exclusion fondée sur un motif prohibé de discrimination et est donc responsable au même titre que celui qui a adopté ce critère.
[106] La responsabilité du MTESS est engagée en raison de la conduite de madame Lalonde en vertu de l'article 1463 du Code civil du Québec[25].
[107] Qu'en est-il de la responsabilité de madame Lalonde qui a agi dans le cadre de ses fonctions?
[108] En relayant à monsieur Émond les exigences de l'employeur qui lui ont été transmises par madame Legault, elle agit de façon discriminatoire et engage sa responsabilité. Les motifs qui soutiennent la responsabilité du MTESS qui sont exprimés plus haut s'appliquent mutatis mutandis à madame Lalonde.
[109] Avec justesse, le juge Pierre E. Audet écrivait sur le même sujet dans Resto-Bar Le Surf[26] :
[47] D'autre part, le pouvoir de direction de l'employeur ne saurait s'étendre jusqu'à lui permettre d'exiger de l'employé qu'il agisse à l'encontre de la loi ou de l'ordre public. Dans un tel contexte, l'employé se doit de refuser de poser un geste illégal sinon il engage sa propre responsabilité vis-à-vis la tierce personne, victime du préjudice alors subi. […]
(Nos soulignements)
[110] Ainsi, madame Lalonde tout comme le MTESS, ont porté atteinte au droit de monsieur Émond d'être traité en pleine égalité sans distinction ou exclusion fondée sur le sexe.
[111]
Finalement, le Tribunal considère
que l'article
ii) Ce faisant, le
MTESS et madame Lalonde ont-ils porté atteinte au droit de monsieur Émond à la
sauvegarde de sa dignité, sans distinction ou exclusion fondée sur le sexe,
contrairement aux articles
[112] L'accès à des services d'aide à l'emploi sans discrimination fondée sur un motif interdit est intimement lié à la dignité d'une personne car il est en lien avec l'estime de soi. Un traitement injuste fondé sur des caractéristiques personnelles qui n'ont rien à voir avec les mérites d'une personne porte atteinte à sa dignité. Particulièrement dans le cas qui nous occupe, monsieur Émond le traduit bien lorsqu'il exprime qu'il espérait ainsi sortir de la précarité dans laquelle il se retrouvait en étant prestataire d'aide de dernier recours. Il souhaitait « jouer un rôle utile dans la société »[27]. Ainsi, le MTESS et madame Lalonde ont causé une atteinte discriminatoire au droit de monsieur Émond à sa dignité en refusant de lui transmettre les coordonnées de l'employeur qui offrait le poste convoité, et ce, parce qu'il était un homme.
iii) Dans l'affirmative, monsieur Émond a-t-il droit aux dommages moraux et punitifs réclamés?
Les dommages moraux
[113] Fréquemment citée et toujours pertinente, l'affaire Bou Malhab[28] de la Cour d'appel nous rappelle la difficile appréciation qu'implique l'évaluation du préjudice moral :
[62] S'il est moins palpable, il n'en est pas moins réel. Le dommage moral ou extrapatrimonial est souvent difficile à chiffrer d'une manière exacte ou même approximative.
[…]
Dans tous ces cas cependant, le préjudice est direct, certain et réel et doit donc être compensé, même s'il n'existe pas de base scientifique permettant de l'évaluer précisément.
[63] Que le préjudice moral soit plus difficile à cerner ne diminue en rien la blessure qu'il constitue. J'irais même jusqu'à dire que, parce qu'il est non apparent, le préjudice moral est d'autant plus pernicieux. Il affecte l'être humain dans son for intérieur, dans les ramifications de sa nature intime et détruit la sérénité à laquelle il aspire. Il s'attaque à sa dignité et laisse l'individu ébranlé, seul à combattre les effets d'un mal qu'il porte en lui plutôt que sur sa personne ou sur ses biens.
(Nos soulignements)
[114] Monsieur Émond, honteux d'être prestataire d'aide de dernier recours, est démoli lorsqu'il se voit refuser l'accès à un employeur parce qu'il est un homme. Il croit qu'il ne pourra jamais se sortir de sa situation précaire.
[115] Toutefois, le Tribunal est surpris qu'il n'ait jamais abordé le sujet avec son agente lors de discussions subséquentes, surtout s'il était intéressé pour ce poste en particulier.
[116] Le Tribunal fixe à 2 750 $ le préjudice moral subi par monsieur Émond pour le traitement discriminatoire dont il a été victime.
Les dommages punitifs
[117] Si
l'article
[…] il y aura atteinte illicite et intentionnelle au sens du
second alinéa de l'article
(Notre soulignement)
[118] L'attribution de dommages punitifs revêt un caractère exceptionnel et poursuit des objectifs de punition, de dissuasion et de dénonciation de comportements jugés particulièrement répréhensibles. Leur attribution vise à punir l'auteur d'une atteinte illicite et intentionnelle à un droit protégé par la Charte, à le dissuader de récidive, à décourager les tiers à agir de la même façon et à exprimer la désapprobation du Tribunal face à ce comportement.
[119] La preuve ne permet pas de conclure que madame Lalonde avait l'intention de nuire aux démarches de monsieur Émond. L'absence de preuve d'un geste intentionnel, malveillant ou d'une insouciance de sa part ne peut donner ouverture à l'octroi de dommages punitifs.
iv) Les ordonnances demandées par la Commission sont-elles justifiées?
[120] Plaidant
l'intérêt public, la Commission demande au Tribunal de rendre des ordonnances
visant à prévenir la discrimination pour l'avenir, des ordonnances qui dépassent
le cadre des faits du litige soumis, mais que l'article
80. Lorsque les parties refusent la négociation d'un règlement ou l'arbitrage du différend, ou lorsque la proposition de la Commission n'a pas été, à sa satisfaction, mise en œuvre dans le délai imparti, la Commission peut s'adresser à un tribunal en vue d'obtenir, compte tenu de l'intérêt public, toute mesure appropriée contre la personne en défaut ou pour réclamer, en faveur de la victime, toute mesure de redressement qu'elle juge alors adéquate.
(Notre soulignement)
[121] La prépondérance de la preuve démontre que les personnes travaillant dans les équipes des CLE n'ont pas reçu de formation particulière sur le droit à l'égalité et les divers motifs de discrimination en matière d'emploi.
[122] Elles possèdent, comme seul outil de référence, un code d'éthique où semble-t-il, certains aspects de la discrimination sont abordés, mais les dispositions de la Charte en lien avec l'emploi ne sont pas discutées de façon particulière. Il transparaît de la preuve qu'elles ne sont pas conscientes de leurs obligations.
[123] Compte tenu du rôle que ces personnes jouent tant auprès des futurs employés qu'auprès des employeurs, il est dans l'intérêt de la société qu'ils soient bien aux faits des enjeux en matière de discrimination dans le contexte d'embauche et d'emploi afin d'éviter que d'autres personnes soient victimes de discrimination. Une formation sur les divers aspects de la discrimination en matière d'emploi est opportune.
[124] La preuve ne permet pas pour autant de conclure à la pertinence et à la nécessité d'ordonner au MTESS d'élaborer une politique sur le sujet. Une formation paraît suffisante.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[125] ACCUEILLE partiellement la demande;
[126] CONDAMNE solidairement le Procureur général du Québec (aux droits du ministère du Travail, de l'Emploi et de la Solidarité sociale) et madame Pascale Lalonde à verser à monsieur Gabriel Émond 2 750 $ à titre de dommages moraux;
[127] ORDONNE au Procureur général du Québec (aux droits du ministère du Travail, de l'Emploi et de la Solidarité sociale) de dispenser une formation sur la discrimination dans le contexte de l'emploi à tous les employés actuels ou futurs du Centre local d'emploi de Vaudreuil-Soulanges, et ce, dans un délai de 12 mois du présent jugement ou dans les 90 jours suivant leur embauche, le cas échéant;
[128] LE TOUT
avec intérêts au taux légal plus l'indemnité additionnelle prévue à l'article
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__________________________________ doris thibault, Juge au Tribunal des droits de la personne |
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Me Geneviève Griffin |
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BITZAKIDIS CLEMENT-MAJOR FOURNIER |
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Pour la partie demanderesse |
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Me Walid Touabti |
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Bernard Roy (JUSTICE - QUÉBEC) |
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Pour les parties défenderesses |
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Dates d’audience : |
14 et 15 octobre 2020 |
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[1] RLRQ, c. C-12.
[2] Les services offerts par le MTESS le sont par l'intermédiaire des CLE qui couvrent l'ensemble du territoire québécois.
[3] RLRQ, c. M-15.001.
[4] RLRQ, c. A-13.1.1.
[5] Pièce D-3, Description du poste d’agent d’aide à l’emploi.
[6] Pièce D-4, Description du poste d’agent d’aide aux entreprises.
[7] Pièce P-2, p. 2 - Madame Gaudet précise que cette offre date de 2017 et qu’il y a une erreur dans la description de ce poste de préposé d'aide à domicile et qu’elle n’aurait pas dû comporter les mentions : Présence/surveillance. Soins à la personne.
[8] Pièce D-5, Courriel de Karyna Legault daté du 4 février 2016.
[9] Pièce D-6, Arrimage - 2016-04-27.
[10] Pièce P-5, Déclaration de Karyna Legault datée du 10 janvier 2017, dans laquelle elle confirme que le poste disponible n’est pas un poste de préposé aux bénéficiaires, mais un poste de préposé d’aide à domicile.
[11] Pièce D-2, Placement en ligne - Emploi-Québec.
[12] Pièce P-6, L’Éthique au ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale.
[13] Pièce P-7, Déclaration de madame Francine Leroux datée du 15 juin 2018, corrigée par elle à la main.
[14]
Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la
jeunesse) c. Bombardier inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation),
[15] Id, par. 35.
[16] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Pico) c. Centre Laltitude Fitness inc., 2013, QCTDP 27, par. 43, 45 et 46.
[17]
Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse)
c. Boisbriand (Ville),
[18] Law c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), 1999 CanLII 675 (CSC) par. 53.
[19] Préc., note 4.
[20]
Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Côté,
[21] Mastropaolo c. St-Jean-de-Matha (Municipalité de), 2010, QCTDP 7.
[22]
Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Miller
et autres) c. Ville de Montréal (Service de police) (SPVM),
[23] Préc., note 16.
[24]
Taoussi c. Taranovskaya Tsarevsky,
[25]
Article
[26]
Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Gologo
et une autre) c. 2314-4207 Québec inc. (Resto-Bar Le Surf),
[27]
St-Pierre c. Éditions Hurtubise inc.,
[28] Malhab c. Métromédia C.M.R. Montréal inc., 2003 CanLII 47948 (QC CA).
[29] Québec (Curateur public) c. Syndicat National des employés de l'hôpital St-Ferdinand, 1996 3 RCS 211, par. 121.