COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Canada (Procureur général) c. Confédération des syndicats nationaux, 2014 CSC 49, [2014] 2 R.C.S. 477
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Date : 20140717 Dossier : 35124 |
Entre :
Procureur général du Canada
Appelant
et
Confédération des syndicats nationaux et
Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec
Intimées
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Abella, Rothstein, Moldaver, Karakatsanis et Wagner
Motifs de jugement : (par. 1 à 46) |
Les juges LeBel et Wagner (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Abella, Rothstein, Moldaver et Karakatsanis) |
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canada (p.g.) c. csn, 2014 CSC 49, [2014] 2 R.C.S. 477
Procureur général du Canada Appelant
c.
Confédération des syndicats nationaux et
Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec Intimées
Répertorié : Canada (Procureur général) c. Confédération des syndicats nationaux
2014 CSC 49
No du greffe : 35124.
2014 : 20 janvier; 2014 : 17 juillet.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Abella, Rothstein, Moldaver, Karakatsanis et Wagner.
en appel de la cour d’appel du québec
Procédure civile — Requête en irrecevabilité — Stare decisis — Recours visant à faire déclarer inconstitutionnelles certaines dispositions législatives relatives à l’assurance-emploi — Requête en irrecevabilité présentée au motif qu’un arrêt rendu auparavant par la Cour suprême du Canada tranchait déjà les questions soulevées — La requête introductive d’instance est-elle fondée en droit, supposé même que les faits allégués soient vrais? — Code de procédure civile, RLRQ, ch. C-25, art. 165(4).
En 1998 et 1999, des
syndicats se sont adressés aux tribunaux pour faire invalider certaines
dispositions de la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23,
notamment celles relatives au mécanisme de fixation des cotisations et ayant
permis d’accumuler des surplus de plusieurs milliards de dollars. Selon eux, le
gouvernement réaffectait ces surplus à ses dépenses générales, ce qui
constituait un détournement des fonds qui devaient être réservés à l’assurance-emploi.
En 2008, dans son arrêt Confédération des syndicats nationaux c. Canada
(Procureur général),
Arrêt : Le pourvoi est accueilli.
Avant d’accueillir une requête en irrecevabilité au motif qu’une décision faisant autorité a déjà tranché la question en litige, le juge d’instance doit être convaincu, au regard du dossier et des faits allégués, que le précédent invoqué par le requérant porte sur l’ensemble du débat qu’il devrait normalement trancher et qu’il y apporte une solution complète, certaine et définitive.
En l’espèce, le
recours des syndicats est voué à l’échec. Le recours repose sur la prémisse que
l’inscription au Compte d’assurance-emploi d’un solde créditeur constitue une
dette du Trésor envers ce compte. Pour les syndicats, le suivi comptable des
cotisations versées dans le cadre du régime d’assurance-emploi représente une
condition essentielle à la validité constitutionnelle de celles-ci. Or, l’arrêt
CSN c. Canada a fixé l’état du droit à cet égard et prive la requête
introductive d’instance de tout fondement juridique. Dans cette affaire, la
Cour a conclu que les sommes recueillies au titre des cotisations à la caisse
d’assurance-emploi sont une portion des recettes publiques de l’État et peuvent
être utilisées à d’autres fins que le paiement de prestations. Bien que le lien
entre le régime et les cotisations soit un élément dont on peut tenir compte
afin d’établir la nature des prélèvements, il est erroné d’affirmer que la
validité de ces prélèvements dépend de l’existence de ce lien. De plus, il n’a
jamais existé de dette du Trésor envers le Compte d’assurance-emploi, l’État ne
pouvant être endetté envers lui-même. La demande n’ayant aucune chance
raisonnable de succès, le par.
Jurisprudence
Arrêt examiné :
Confédération des syndicats nationaux c. Canada (Procureur général),
Lois et règlements cités
Code de procédure civile, RLRQ, ch. C-25, art. 165.
Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23, art. 66, 66.1, 66.3.
Loi sur l’emploi et la croissance économique, L.C. 2010, ch. 12, art. 2185 et suiv.
Doctrine et autres documents cités
Ferland, Denis, et Benoît Emery. Précis de procédure civile du Québec, vol. 1, 4e éd. Cowansville, Qué. : Yvon Blais, 2003.
Kélada,
Henri.
Reid, Hubert, et Claire Carrier. Code de procédure civile du Québec : jurisprudence et doctrine, 30e éd. Montréal : Wilson & Lafleur, 2014.
POURVOI contre un
arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Morissette, Fournier et St-Pierre),
René LeBlanc et Pierre Salois, pour l’appelant.
Guy Martin, pour l’intimée la Confédération des syndicats nationaux.
Jean-Guy Ouellet, pour l’intimée la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec.
Le jugement de la Cour a été rendu par
[1]
Les juges LeBel et Wagner —
La saine administration des ressources judiciaires représente une condition
essentielle pour assurer le bon fonctionnement du système judiciaire et l’accès
des justiciables à une justice de qualité. Pour garantir cette saine
administration, les législateurs ont doté les tribunaux d’outils leur
permettant de mettre fin à des recours voués à l’échec, et ce, même à un stade
préliminaire. Au Québec, à titre d’exemple, l’art.
[2]
Pour les motifs qui suivent, il est manifeste, à notre avis, que le
recours entrepris par les intimées Confédération des syndicats nationaux et
Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (collectivement les
« syndicats ») est voué à l’échec. L’application de la règle du stare
decisis est fatale à leur action : l’arrêt prononcé par notre Cour en 2008
dans l’affaire Confédération des syndicats nationaux c. Canada
(Procureur général),
I. Le contexte
[3] En 1996, en édictant la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23 (« Loi de 1996 »), le gouvernement fédéral a opéré une réforme majeure du régime d’assurance-emploi. L’un des principaux éléments de cette réforme visait le mode de fixation des cotisations payables par les travailleurs et employeurs qui contribuaient au régime et, partant, le mode de financement du régime.
[4] Aux prises avec des déficits périodiques du régime et appréhendant les effets d’une période de ralentissement économique sur le Trésor fédéral, le Parlement voulait, par sa réforme, créer une réserve pour augmenter la stabilité du régime en évitant les fluctuations importantes des cotisations. Cette réforme a rapidement porté fruit, puisqu’au 1er janvier 2009, le Compte d’assurance-emploi comportait un surplus de plusieurs milliards de dollars.
[5] En 1998 et 1999 respectivement, le Syndicat national des employés de l’aluminium d’Arvida et la Confédération des syndicats nationaux s’adressent aux tribunaux pour faire invalider certaines dispositions de la Loi de 1996, plaidant notamment l’inconstitutionnalité du mécanisme de fixation des cotisations au motif que les excédents annuels au compte étaient réaffectés par le gouvernement à ses dépenses générales, notamment à la réduction du déficit budgétaire. Selon eux, il s’agissait purement et simplement d’un détournement des fonds qui devaient être réservés à l’assurance-emploi.
[6] Dans son arrêt du 11 décembre 2008, notre Cour a déclaré que les mesures adoptées en vertu de la Loi de 1996 étaient valides et constitutionnelles, sauf pour les années 2002, 2003 et 2005. Relativement à ces années, la Cour a conclu que le mécanisme de fixation des cotisations était inconstitutionnel, car il permettait au gouverneur en conseil d’imposer une taxe sans qu’aucune délégation claire du pouvoir de taxation ne l’y autorise (CSN c. Canada, par. 72 et suiv.).
[7]
En effet, pour les années 2002, 2003 et 2005, les taux de cotisation
avaient été fixés par le gouverneur en conseil en vertu des art. 66.1 et 66.3
de la Loi de 1996. Ces dispositions permettaient de déroger aux critères
prévus par l’art. 66, lesquels encadraient l’exercice du pouvoir de fixer les
taux de cotisation. Parce qu’elles étaient muettes sur le lien entre les
cotisations et les prestations, les dispositions ne pouvaient être considérées
comme imposant une charge réglementaire au sens des arrêts Première nation
de Westbank c. British Columbia Hydro and Power Authority,
[8] Le 12 juillet 2010, le Parlement a adopté la Loi sur l’emploi et la croissance économique, L.C. 2010, ch. 12 (« Loi de 2010 »), qui prévoyait notamment la fermeture du Compte d’assurance-emploi et la création d’un nouveau compte, appelé Compte des opérations de l’assurance-emploi, de façon rétroactive au 1er janvier 2009 (art. 2185 et suiv.).
[9] Il est admis que la Loi de 2010 ne prévoyait aucun transfert du solde créditeur du Compte d’assurance-emploi — lequel s’établissait alors à plus de 57 milliards de dollars — vers le nouveau Compte des opérations de l’assurance-emploi. La contestation judiciaire s’est donc engagée dans ce contexte.
II. Historique judiciaire
[10] Au mois d’avril 2011, les syndicats ont déposé une requête introductive d’instance pour faire déclarer inconstitutionnelles certaines dispositions de la Loi de 2010.
[11]
Soutenant que les questions soulevées par les syndicats avaient déjà été
tranchées par notre Cour dans l’arrêt CSN c. Canada, le procureur
général du Canada a donc présenté une requête en irrecevabilité fondée sur le
par.
A. Cour
supérieure,
[12] La requête en irrecevabilité a d’abord été accueillie par la Cour supérieure du Québec. La juge Perrault a écarté les arguments des syndicats selon lesquels les dispositions attaquées seraient constitutionnellement invalides, car elles briseraient le lien nécessaire entre les cotisations perçues et le régime d’assurance-emploi. La juge a souligné que, dans l’arrêt CSN c. Canada, notre Cour a décidé que les fonds du régime appartiennent au gouvernement et non aux cotisants. De plus, le lien invoqué par les syndicats n’était pertinent que pour déterminer la nature juridique des cotisations, non la légalité de leur utilisation. En l’occurrence, il s’agissait soit de prélèvements réglementaires, soit de taxe sur les listes de paie. Les surplus amassés font partie des recettes de l’État, ils n’ont pas à être utilisés aux seules fins du régime d’assurance-emploi et ils ne constituent pas une dette du Trésor public envers ce régime. Selon la juge Perrault, les questions de droit soulevées par les syndicats avaient déjà été tranchées par notre Cour en 2008. Leur recours n’était donc pas fondé en droit et devait être rejeté même à ce stade préliminaire.
B.
Cour d’appel,
[13] La Cour d’appel du Québec a infirmé la décision de première instance, considérant que le litige portait davantage sur « les effets du geste d’abolition du solde créditeur et des entrées comptables en résultant », suite à la modification législative de 2010, que sur l’utilisation des surplus accumulés dans ce compte (par. 51). Or, cette question n’a pas, dans sa forme actuelle, été tranchée par la Cour dans son arrêt de 2008, puisque la loi en question n’avait pas encore été adoptée. Qui plus est, la majorité des faits pertinents sont postérieurs à cet arrêt. Dans ce contexte, si la juge de première instance avait, comme elle se devait de le faire, tenu ces faits pour avérés, elle aurait rejeté la requête en irrecevabilité et permis aux parties de débattre au fond les questions soulevées par les syndicats. La Cour d’appel a d’ailleurs souligné que la prétention des syndicats selon laquelle le Trésor public avait une dette envers le Compte d’assurance-emploi faisait partie des faits que la juge de première instance devait tenir pour avérés.
III. Question en litige
[14] Devant notre Cour, la question soulevée demeure celle du sort de la requête en irrecevabilité présentée par l’appelant.
IV. Analyse
A. Le
paragraphe
(1) Fonction
et portée du par.
[15]
La requête préliminaire présentée par l’appelant repose sur le par.
[16]
Pour cette raison, l’application du par.
[17]
Le rejet d’une action au stade préliminaire peut toutefois entraîner de
très sérieuses conséquences. Les tribunaux doivent pour cette raison faire
preuve de circonspection dans l’exercice de ce pouvoir. Dans ce contexte, seule
une absence claire et manifeste de fondement juridique mènera au rejet d’une
action à cette étape des procédures (Bohémier c. Barreau du Québec,
[18]
À ce propos, la Cour d’appel du Québec soulignait qu’« il faut
éviter de mettre fin prématurément à un procès au stade d’une requête en
irrecevabilité, à moins d’une situation claire et évidente, considérant
les graves conséquences qui découlent du rejet d’une action sans que la demande
ne soit examinée au mérite » (Entreprises Pelletier & Garon
(Toitures inc.) c. Agropur Coopérative,
[19]
Cette situation « claire et évidente » ouvrant la voie au
rejet de l’action doit apparaître à la lecture des allégations de la requête
introductive d’instance et des différentes pièces invoquées à son soutien (Groupe
Jeunesse Inc.; R. c. Québec (Société des alcools),
[20]
Cependant, si les faits allégués dans la requête doivent
être tenus pour avérés (Westmount (Ville) c. Rossy,
[21] Dans ce contexte, le juge appelé à statuer sur la recevabilité d’un recours doit déterminer si les allégations de fait énoncées dans la requête introductive d’instance sont « de nature à donner ouverture aux conclusions recherchées » par le demandeur (Association provinciale des constructeurs d’habitations du Québec inc., par. 14). Dans tous les cas, pour que le tribunal soit fondé à conclure à l’irrecevabilité, il faut que tous les éléments de fait à considérer apparaissent à la requête introductive d’instance et que l’application de la règle de droit pertinente à ces éléments ne soit pas discutable (H. Reid et C. Carrier, Code de procédure civile du Québec : jurisprudence et doctrine (30e éd. 2014), par. 165/200).
(2) Le rejet d’action fondé sur la règle du stare decisis
[22]
Les jugements rendus en application du par.
[23]
En effet, nous sommes selon lui en présence d’une situation où un arrêt
antérieur de notre Cour a fixé le droit à l’égard des principales questions
juridiques que soulève le pourvoi. L’appelant ne prétend pas qu’il s’agit d’un
cas de chose jugée qui permettrait d’invoquer le par. 165(1). Il plaide
plutôt que le droit applicable aux questions fondamentales qui scelleront le
sort de l’appel a été établi par l’arrêt CSN c. Canada qu’a rendu notre
Cour en 2008, dans l’exercice de sa fonction d’interprétation, en dernier
ressort, du droit constitutionnel et du droit public. Une interprétation
contraire à celle adoptée par la Cour dans cet arrêt serait dépourvue de
fondement juridique en raison de l’autorité que revêt celui-ci comme précédent
(Canada (Procureur général) c. Imperial Tobacco Ltd.,
[24] Certes, la règle de l’autorité du précédent ou du stare decisis n’est plus d’une rigidité absolue aujourd’hui. Comme l’a rappelé notre Cour dans l’arrêt Bedford, la valeur précédentielle d’un jugement peut être remise en cause « lorsque de nouvelles questions de droit sont soulevées par suite d’une évolution importante du droit ou qu’une modification de la situation ou de la preuve change radicalement la donne » (par. 42). En revanche, quand la question juridique demeure la même et s’insère dans un contexte similaire, le précédent représente toujours l’état du droit et doit être respecté par les tribunaux (Bedford, par. 46).
[25]
D’utilisation limitée dans la procédure civile du Québec, la méthode de
rejet au stade préliminaire fondée sur la règle du stare decisis se
rapproche de l’exception fondée sur la chose jugée (par.
[26] Dans Canada c. Imperial Tobacco, le juge Gascon, alors à la Cour d’appel, a donné les précisions suivantes :
Dans ce contexte, ne m’apparaît pas décisif l’argument des fabricants voulant qu’il ne s’agisse pas ici de chose jugée puisque l’arrêt Imperial n’est pas rendu par une cour compétente de juridiction civile ou parce que l’identité stricte de parties, de causes et d’objets n’est pas établie. Je n’estime pas nécessaire de discuter plus amplement des distinctions que soulèvent les fabricants en regard de ces identités de parties, de causes et d’objets qui feraient échec à l’argument de chose jugée qu’invoque le PGC. À mon avis, la règle du stare decisis permet plutôt de trancher la question.
Suivant cette règle, la Cour supérieure aurait dû se déclarer liée par l’arrêt Imperial. En statuant comme elle l’a fait sur la question de l’immunité dont bénéficie le PGC en regard de la ligne de conduite remise en question par les fabricants, la Cour suprême rendait en quelque sorte leurs actions en garantie irrecevables parce que mal fondées en droit, même en tenant pour avérés les faits allégués.
L’argument fondé sur le stare decisis est moins exigeant que la chose jugée puisqu’il ne requiert qu’une trame factuelle similaire ou analogue. La règle du stare decisis est un principe [traduction] « suivant lequel les tribunaux doivent suivre la jurisprudence applicable sur un point donné lorsque le même point se soulève de nouveau devant eux » [Black’s Law Dictionary (9e éd. 2009), p. 1537]. Cette règle s’applique bien sûr aux arrêts de la Cour suprême, particulièrement en matière de droit public comme ici, alors que les parties ont participé au débat antérieur sur la question précise en jeu. [Nous soulignons; par. 125-127.]
[27] Cela dit, avant d’accueillir une requête en irrecevabilité pour absence de fondement juridique, encore faut-il que le juge d’instance soit convaincu, au regard du dossier et des faits allégués, que le précédent invoqué par le requérant porte bien sur l’ensemble du débat qu’il devrait normalement trancher et qu’il y apporte une solution complète, certaine et définitive. En cas de doute, le juge doit rejeter la requête en irrecevabilité et laisser aux parties la possibilité de débattre au fond des questions litigieuses.
B. Application du droit aux faits
(1) La nature véritable du recours
[28] L’appelant prétend que l’application du principe du stare decisis entraîne l’irrecevabilité du recours intenté en l’espèce. Pour statuer sur cette prétention, il est nécessaire d’identifier la nature de la demande qui a fait l’objet du jugement de la Cour en 2008 et de la situer par rapport aux allégations et aux conclusions énoncées par les syndicats dans leur recours entrepris en 2011.
[29] Par ailleurs, en semblable matière, le juge saisi de la requête en rejet peut pousser son examen du dossier au-delà de la forme afin de bien dégager le caractère essentiel du recours et de pouvoir ainsi écarter des prétentions qui n’auraient de nouveau que leur présentation.
[30] Les questions constitutionnelles tranchées par la Cour dans son jugement de 2008 étaient formulées ainsi :
1.
Les articles 66 à 66.3 et
2.
En cas de réponse affirmative à la question 1, les articles 66 à 66.3 et
3.
En cas de réponse négative à la question 2, les articles 66 à 66.3 et
4.
Les articles 24, 25, 56 à 65.2, 73, 75, 77, 109c) et
5.
En cas de réponse affirmative à la question 4, les articles 24, 25, 56 à
65.2, 73, 75, 77, 109c) et
(CSN c. Canada, par. 17)
[31] En l’espèce, les syndicats demandent aux tribunaux de leur accorder les conclusions suivantes :
Déclarer que toute modification au mode de fixation des taux de cotisation ne peut faire abstraction des sommes prélevées et comptabilisées dans le Compte d’assurance-emploi;
Déclarer que le solde créditeur du Compte d’assurance-emploi ne peut être effacé et doit être affecté au financement du régime;
Déclarer invalides les articles 2185 à 2187, 2189 et 2190, 2193 à 2199, 2203, 2204(1) pour ce qui est des paragraphes 66(1), 2204(2), 2207 et 2208 de la Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au parlement le 4 mars 2010 et mettant en œuvre d’autres mesures;
(requête introductive d’instance (« r.i.i. »), p. 29; d.a., vol. I, p. 55)
[32] Il ne fait aucun doute que les syndicats souhaitent en dernière analyse que l’argent comptabilisé dans le Compte d’assurance-emploi soit affecté exclusivement au paiement des prestations. Pour eux, les sommes prélevées dans le cadre de l’ancien régime devraient servir uniquement au financement du nouveau régime. Tel est l’objectif poursuivi en l’espèce par les syndicats.
[33] Lorsque nous examinons les assises juridiques de la nouvelle demande, nous constatons que, suivant la prémisse sur laquelle repose le recours des syndicats, « l’inscription au Compte d’assurance-emploi d’un solde créditeur [. . .] constitue une dette du Trésor envers le Compte d’assurance-emploi » (r.i.i., par. 90; d.a., vol. I, p. 53).
[34] Les syndicats considèrent que la validité constitutionnelle des cotisations est tributaire du transfert de cette créance de l’ancien Compte d’assurance-emploi vers le nouveau Compte des opérations de l’assurance-emploi. En effet, ils plaident que l’on « ne peut [. . .] effacer cette créance sans remettre en cause la validité constitutionnelle des sommes prélevées et comptabilisées » (r.i.i., par. 92; d.a., vol. I, p. 54). Pour appuyer leur prétention, les syndicats citent le passage suivant de l’arrêt CSN c. Canada, où notre Cour a affirmé ce qui suit :
Il est clair toutefois que ce Compte n’est pas un fonds fiduciaire ou un patrimoine d’affectation, comme dans le cas de l’actif d’un fonds de retraite. Il représente une partie de la comptabilité publique du Canada et les cotisations, une portion des recettes publiques de l’État. À ce titre, l’usage fait par le gouvernement ne représente pas un détournement des fonds de l’assurance-emploi. Les fonds ont été employés comme toute autre partie des recettes du Trésor et la comptabilité appropriée a été tenue. [Nous soulignons; par. 74.]
[35] Selon les syndicats, c’est parce que les sommes prélevées au titre de cotisation avaient été dûment comptabilisées au Compte d’assurance-emploi que notre Cour a jugé que les sommes en question n’avaient été ni volées ni détournées par le gouvernement (r.i.i., par. 89; d.a., vol. I, p. 52). Bref, le suivi comptable des cotisations versées dans le cadre du régime représenterait une condition essentielle à la validité constitutionnelle de celles-ci. Selon ce moyen, en l’absence d’un tel lien comptable, l’utilisation des cotisations à d’autres fins constituerait un détournement des fonds de la caisse d’assurance-emploi, et partant, serait inconstitutionnelle.
[36] Pour les syndicats, cette question n’a pas été tranchée par la Cour en 2008. Pour l’appelant, cependant, il en est tout autrement. Le Compte d’assurance-emploi n’est qu’un simple instrument de suivi comptable qui ne contient aucun bien ou aucun emprunt, et ce compte n’a de dette envers personne. Toutes les opérations — versement de cotisations ou paiement de prestations — sont effectuées sur le Trésor public, de telle sorte que le Compte d’assurance-emploi n’est ni un fonds fiduciaire ni un patrimoine d’affectation.
(2) Le recours est-il voué à l’échec?
[37]
Tel qu’il a été mentionné précédemment, pour décider si le recours est
irrecevable en application du par.
[38]
Nous sommes d’avis que le précédent invoqué par l’appelant produit cet
effet. En conséquence, le par.
[39] Rappelons tout d’abord que, suivant les syndicats, « l’inscription au Compte d’assurance-emploi d’un solde créditeur [. . .] constitue une dette du Trésor envers le Compte d’assurance-emploi » (r.i.i., par. 90; d.a., vol. I, p. 53). En conséquence, le succès de leur recours dépend directement de la validité de cette prétention, qui en constitue la pierre angulaire, comme l’a d’ailleurs reconnu la Cour d’appel du Québec. Toutefois, cette dernière a commis une erreur déterminante dans l’analyse de cette prétention en assimilant l’allégation relative à l’existence d’une dette du Trésor envers le Compte d’assurance-emploi à un fait qui devait être tenu pour avéré pour les besoins de la requête en irrecevabilité, alors qu’il s’agissait en réalité d’une qualification juridique des faits.
[40] En effet, pour statuer sur l’existence ou non d’une dette du Trésor public envers le Compte d’assurance-emploi, il faut analyser la nature du Trésor et du Compte, ainsi que le rapport qu’ils entretiennent entre eux. En d’autres termes, la conclusion selon laquelle le Trésor public serait endetté envers le Compte d’assurance-emploi suppose une qualification juridique particulière de leur relation. En somme, il incombe à notre Cour de déterminer si, juridiquement, il existe une dette du Trésor envers le Compte d’assurance-emploi, en définitive si le moyen de droit fondamental des syndicats est bien fondé.
[41] À ce propos, nous sommes d’avis que la décision de la Cour dans CSN c. Canada n’est d’aucun secours pour les syndicats. Au contraire, ce jugement prive leur recours de toute chance raisonnable de succès. Dans cette affaire, notre Cour a affirmé que le Compte d’assurance-emploi « n’est pas un fonds fiduciaire ou un patrimoine d’affectation, comme dans le cas de l’actif d’un fonds de retraite. Il représente une partie de la comptabilité publique du Canada et les cotisations, une portion des recettes publiques de l’État » (par. 74 (nous soulignons)). En tant que recettes de l’État, les sommes recueillies au titre des cotisations à la Caisse d’assurance-emploi peuvent donc être utilisées à d’autres fins que le paiement de prestations.
[42] D’ailleurs, il n’a jamais existé de dette du Trésor envers le Compte d’assurance-emploi. Comme toute personne morale ou physique, l’État ne peut être endetté envers lui-même. Il s’ensuit que toute prétention fondée sur l’existence d’une telle dette est vouée à l’échec. L’adoption de la Loi de 2010 ne change rien à cet état de fait et au droit.
[43] Par ailleurs, dans CSN c. Canada, notre Cour a décidé que le lien entre le régime et les cotisations est un élément dont on peut tenir compte afin d’établir la nature des prélèvements. Il est toutefois erroné d’affirmer que la validité de ces prélèvements dépend de l’existence de ce lien. Comme nous l’avons affirmé dans cette affaire, le gouvernement peut, légalement, utiliser les cotisations des travailleurs à d’autres fins que le financement du régime d’assurance-emploi.
[44] En conséquence, même si l’on tenait pour avérée la prétention des syndicats suivant laquelle le lien entre les cotisations et le régime d’assurance-emploi serait rompu par la décision de ne pas transférer le solde créditeur de l’ancien compte vers le nouveau, la validité des prélèvements ne serait pas mise en péril pour autant.
V. Conclusion
[45]
À notre avis, il est manifeste que le recours des syndicats ne présente
aucune possibilité raisonnable de succès. En application de la règle du stare
decisis, il appert que leur argument principal voulant qu’il existe une
dette du Trésor envers le Compte d’assurance-emploi est sans fondement, et
cette conclusion emporte le sort du litige. Dans ce contexte, notre arrêt dans
l’affaire CSN c. Canada apporte une solution complète, certaine et
définitive à l’ensemble du débat que tentent de faire revivre les syndicats.
C’est donc à bon droit que leur demande a été déclarée irrecevable par la juge
Perrault en application du par.
[46] Pour ces motifs, nous sommes d’avis d’accueillir le pourvoi et de rétablir le jugement de première instance, avec dépens devant toutes les cours.
Pourvoi accueilli avec dépens devant toutes les cours.
Procureur de l’appelant : Procureur général du Canada, Ottawa et Montréal.
Procureurs de l’intimée la Confédération des syndicats nationaux : Roy Évangéliste avocats, Montréal.
Procureurs de l’intimée la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec : Ouellet, Nadon & Associés, Montréal.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.