Décision

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Église de Dieu Mont de Sion c. Montréal (Ville de)

2014 QCCA 295

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-022032-114

(500-17-045973-081)

 

DATE :

17 FÉVRIER 2014

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

GUY GAGNON, J.C.A.

MANON SAVARD, J.C.A.

 

 

ÉGLISE DE DIEU MONT DE SION

APPELANTE - Défenderesse

c.

 

VILLE DE MONTRÉAL

INTIMÉE - Demanderesse

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           L’appelante se pourvoit contre un jugement de la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Stéphane Sansfaçon), rendu le 25 août 2011, qui lui ordonne de cesser d’utiliser comme lieu de culte un immeuble situé au 9166, rue Lajeunesse à Montréal, et ce, dans les 180 jours de la signification du jugement entrepris;

[2]           Pour les motifs du juge Gagnon, auxquels souscrivent les juges Bich et Savard;

LA COUR :

[3]           Accueille en partie l’appel à la seule fin d’accorder à l’appelante un délai de douze mois à compter du présent arrêt pour que cesse l’usage comme lieu de culte de l'immeuble situé au 9166, rue Lajeunesse à Montréal;

[4]           MAINTIENT les autres conclusions du jugement entrepris;

[5]           Le tout, avec dépens contre l'appelante.

 

 

 

 

 

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

 

 

 

 

 

GUY GAGNON, J.C.A.

 

 

 

 

 

MANON SAVARD, J.C.A.

 

Me Julius H. Grey

Me Isabelle Turgeon

Grey & Casgrain s.e.n.c.

Pour l'appelante

 

Me Éric Couture

Dagenais, Gagnier, Biron

Pour l'intimée

 

Date d’audience :

9 octobre 2013


 

 

MOTIFS DU JUGE GAGNON

 

 

[6]           L’appelante Église de Dieu Mont de Sion se pourvoit contre un jugement de la Cour supérieure (l’honorable Stéphane Sansfaçon) rendu le 25 août 2011[1]. Le jugement entrepris lui ordonne de cesser d’utiliser sa propriété comme lieu de culte, le règlement de zonage de l’intimée Ville de Montréal (la « Ville ») prohibant cette activité dans le secteur où est situé son immeuble. Le juge accorde à l’appelante 180 jours pour mettre fin à cet usage dérogatoire.

[7]           En appel, elle soutient notamment que la Ville a porté atteinte à son droit à la liberté de religion reconnu par la Charte canadienne des droits et libertés (« Charte canadienne »)[2] et la Charte des droits et libertés de la personne  Charte québécoise »)[3]. En conséquence, elle nous demande de casser le jugement entrepris ou, à défaut, de lui accorder un délai suffisant pour déménager.

Le contexte

[8]           Le juge résume ainsi les faits à l’origine du litige :

[2]        Forcée de mettre fin à ses activités par une ville voisine pour cause d’incompatibilité de l’usage avec la règlementation d’urbanisme, l’Église de Dieu Mont de Sion achète un immeuble à caractère commercial situé sur la rue Lajeunesse dans une zone commerciale de l’arrondissement Ahuntsic/Cartierville de la Ville de Montréal, puis y transfère ses activités.

[3]        Jamais elle ne s’informe au préalable auprès des autorités municipales afin de savoir si, cette fois, les règlements de la ville y permettent l’exercice de ses activités. Elle se satisfait des informations, erronées il va sans dire, qui lui sont données par l’agent immobilier mandaté par le vendeur afin de vendre l’immeuble.

[4]        Avisée par les représentants de la ville de l’illégalité de son occupation, l’Église part à la recherche d’un local où transférer à nouveau ses activités. En plus des démarches effectuées par ses représentants, elle s’adjoint les services d’agents immobiliers. Les représentants de l’Église, non plus que ses agents immobiliers, ne réussissent à trouver un local rencontrant les critères de l’Église, sauf un seul pour lequel une offre d’achat est présentée, mais qui ne peut être complétée à cause d’un problème de financement.

Les débuts de l'Église de Dieu Mont de Sion

[9]           L'appelante est une congrégation religieuse de confession chrétienne. Elle célèbre des mariages, des baptêmes, des funérailles, procède à la présentation des nouveau-nés et tient des offices religieux. Sa mission l’amène aussi à aider les pauvres, les jeunes, les immigrants et les personnes âgées.

[10]        Son mouvement prend naissance au début des années 1990. Vers l’année 1995, elle s'installe dans un local commercial qu’elle loue dans la ville de Roxboro sans d’abord vérifier si, à cet endroit, l’implantation d’un lieu de culte est autorisée par le règlement de zonage de cette municipalité. En 1998, les autorités de la ville lui demandent de mettre fin à ses activités au motif que la destination donnée à son local contrevient à la réglementation. Devant cet ultimatum, elle quitte la ville sans plus de contestation.

L'acquisition de l'immeuble litigieux

[11]        Lors de sa recherche pour un nouvel emplacement, l’appelante, par l’intermédiaire de son pasteur monsieur Forilien Foris, jette son dévolu sur un immeuble situé sur la rue Lajeunesse dans le quartier Ahuntsic/Cartierville.

[12]        Le pasteur soutient avoir informé l’agent immobilier Edward Perlman, mandaté pour vendre cette propriété, de la destination que l’appelante entendait lui donner. Il omet cependant de lui révéler son expérience récente avec la ville de Roxboro.

[13]        Monsieur Perlman a déclaré devant le juge ne pas avoir vérifié la conformité de l’usage projeté du bâtiment avec la réglementation municipale. De son propre aveu, cette omission résulte de son ignorance des dispositions du règlement de zonage de la Ville propres aux lieux de culte.

[14]        Le 30 juillet 1999, l'appelante devient propriétaire de l’immeuble de la rue Lajeunesse. Le contrat d’achat signé par le pasteur Foris contient la déclaration suivante : « […] l’acquéreur déclare avoir vérifié lui-même auprès des autorités compétentes que la destination qu'il entend donner à l'immeuble est conforme aux lois et règlements en vigueur »[4].

Les difficultés

[15]        Le 25 juillet 2001, la Ville informe l'appelante que les activités religieuses tenues dans son édifice ne sont pas autorisées par la réglementation concernée. Cette dernière réagit en déposant une demande de modification de zonage qui n’allègue cependant aucun motif particulier[5]. Cette demande de permission spéciale est rejetée le 2 avril 2002 lors de l’assemblée du conseil d’arrondissement Ahuntsic/Cartierville[6].

Les recherches pour un nouveau lieu de culte

[16]        De l’année 2001 jusqu’à l’année 2005, le pasteur Foris se met lui-même à la recherche d'un nouveau local, mais en vain. À la même époque, il reçoit de la Ville une carte montrant les endroits dans l'arrondissement Ahuntsic/Cartierville où les établissements religieux sont autorisés. Il néglige cependant d’en remettre une copie aux différents agents immobiliers subséquemment mandatés par lui.

[17]        Le 28 septembre 2004, l'appelante reçoit une mise en demeure de la Ville lui enjoignant de cesser d’utiliser son immeuble à des fins religieuses dans les dix jours de l’avis, sans quoi un recours sera entrepris contre elle[7]. Le dossier fait cependant voir que la Ville n’a déposé ses procédures au greffe de la Cour supérieure qu’en octobre 2008.

[18]        Le 31 mars 2005, le pasteur Foris mandate les agents immobiliers Perlman et Lavallée pour vendre l'immeuble de la rue Lajeunesse et trouver un nouvel emplacement pour son église. Durant les neuf mois que dure leur mandat, ils ne concentrent leurs efforts que dans le secteur nord de la Ville sans s’intéresser aux autres endroits où les lieux de culte sont autorisés.

[19]        La preuve fait aussi voir qu'en 2006 le pasteur Foris a présenté à trois reprises des offres d'achat pour un édifice, propriété du diocèse de Montréal. Le projet aurait achoppé vraisemblablement en raison de l’incapacité financière de l’appelante à poursuivre ses ambitions, cette dernière n’étant pas parvenue à vendre sa propriété de la rue Lajeunesse.

[20]        Entretemps, monsieur Richard Blais, chef de la division des permis et inspections pour la Ville, informe le pasteur Foris des différentes zones où l’implantation d’une église est autorisée.

[21]        En 2008, le pasteur Foris demande cette fois à monsieur Nat Meranda de faire des recherches pour l’acquisition d’une résidence personnelle et, par la même occasion, de vérifier la possibilité d’implanter son église dans un autre secteur.

[22]        Durant les six semaines de son mandat, l’essentiel des démarches de monsieur Meranda ne porte que sur le résidentiel, se contentant de quelques incursions dans le secteur Saint-Laurent pour vérifier si certains emplacements pourraient convenir à un lieu de culte. Lui aussi ne juge pas utile de contacter la Ville en vue de faciliter un repérage efficace d’immeubles pouvant servir à des fins religieuses.

[23]        À la fin de l’année 2008, l'appelante mandate cette fois un coreligionnaire, l’agent immobilier Emmanuel Clervoix. Ce dernier ne pose aucune enseigne annonçant que l’immeuble est à vendre. Aussi, compte tenu des restrictions importantes imposées par sa cliente quant à l’emplacement et les caractéristiques de l’édifice recherché, il ne réussit pas à trouver l’immeuble répondant aux critères exigés.

[24]        En octobre 2010, l'appelante fait une dernière tentative en accordant un mandat à monsieur Rémy Jean Rony.

[25]        Ce dernier est venu expliquer au juge qu’une cliente l’avait déjà informé de l’existence probable d’un règlement municipal selon lequel la Ville accordait, sans autre formalité, un permis pour l’exploitation d’un bâtiment aux fins de culte situé dans un rayon de 500 mètres d'une église. C’est sur la foi d’un renseignement manifestement erroné dont il ne s’est pas donné la peine d’en vérifier l’exactitude que cet agent a décidé de limiter ses recherches aux seuls endroits répondant à ce critère.

[26]        Ce sont là les démarches de l’appelante, succinctement résumées, j’en conviens, qui démontreraient, selon elle, l’impossibilité de déménager son église.

Jugement visé par l'appel

[27]        Le juge a d’abord déterminé que les activités religieuses ne sont pas autorisées dans le secteur de la rue Lajeunesse. Ensuite, il constate que pas moins d’une cinquantaine d’emplacements dans l’arrondissement Ahuntsic/Cartierville permettent l’hébergement d’un lieu de culte.

[28]        Après avoir décidé que l'appelante avait donné à l'immeuble de la rue Lajeunesse une destination contraire à ce que prévoit le règlement de zonage (ce qui n’est pas contesté), le juge se demande ensuite si ce règlement constitue une entrave à sa liberté de religion.

[29]        S’appuyant sur les motifs minoritaires du juge LeBel dans l’arrêt Lafontaine[8], il en vient à la conclusion qu’en pareille situation la partie qui invoque une atteinte à sa liberté de religion doit faire la preuve qu’aucun local convenable n’est disponible pour l’établissement d’un lieu de culte dans les zones permettant cette activité.

[30]        Au final, il considère que l’appelante ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve. En excluant d’emblée de ses recherches les immeubles locatifs, alors que les croyances religieuses de ses fidèles ne l’empêchent pas de tenir un lieu de culte à ces endroits, et en déployant des efforts médiocres pour déménager, elle n’a pas démontré avoir été dans l’impossibilité de s’implanter dans un secteur de la Ville compatible avec ses activités religieuses.

[31]        Le juge rejette aussi l’argument selon lequel la Ville aurait implicitement accepté la destination donnée à l’immeuble sur la rue Lajeunesse en reconnaissant à l’appelante une exemption fiscale en raison de ses activités de culte.

[32]        Les autres moyens avancés par l’appelante, telle la tardiveté du recours de la Ville, sa négligence à lui accorder un soutien convenable dans ses démarches en vue de déplacer son église et la demande faite au juge d’instance d’user de la discrétion conférée par l’article 227 de la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme[9] sont également rejetés.

Les questions en litige

[33]        L’appelante soulève six moyens d'appel qu’il convient de reprendre de la manière suivante :

1.            La réglementation de zonage pour l’arrondissement Ahuntsic/Cartierville entrave-t-elle la liberté de religion de l’appelante?

2.            Le juge a-t-il commis une erreur en lui imposant le fardeau de prouver l'absence d’endroit permettant l’exercice de ses activités cultuelles, et ce, sur un territoire plus vaste que celui de l’arrondissement Ahuntsic/Cartierville?

3.            Le juge a-t-il commis une erreur en renonçant à exercer la discrétion que lui confère l'article 227 de la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme?

4.            La tolérance de la Ville et les délais encourus avant le dépôt de ses procédures judiciaires en Cour supérieure sont-ils suffisants pour justifier son maintien dans l’immeuble de la rue Lajeunesse?

5.            Advenant une réponse négative à chacune de ces questions, quel doit être le délai consenti pour son déménagement?

Analyse

[34]        L'appelante soutenait en première instance, et ce, en dépit d’efforts raisonnables déployés en ce sens, avoir été dans l’impossibilité de déménager. Elle plaidait aussi que le refus de la Ville d’accepter sa demande de modification de zonage constituait une atteinte injustifiée à son droit à la liberté de religion.

[35]        En appel, elle ajoute un nouveau moyen à son argumentaire. Elle avance maintenant que la Ville n'a pas démontré que les valeurs reconnues par la Charte canadienne ont été prises en compte avant de rejeter sa demande de modification de zonage.

[36]        Voyons ce qu'il en est.

    1)     La liberté de religion

[37]        Je suis d'avis que l’appelante n’a pas démontré que la Ville a porté atteinte à sa liberté de religion. Et si une telle atteinte a été établie, ce que j’estime ne pas être le cas, elle est, selon les circonstances de cette affaire, tout au plus négligeable. Je m'explique.

[38]        En l’espèce, les croyances religieuses de l’appelante et la sincérité de la foi de ses membres ne font aucun doute.

[39]        Cela dit, la liberté de religion n’est pas à l’abri de toute forme d’entrave. La jurisprudence reconnaît les limites intrinsèques de ce droit fondamental[10] comme c'est d'ailleurs le cas pour toutes les autres libertés. Ces limites peuvent aussi provenir d’une justification établie en vertu de l’article 1 de la Charte canadienne. Bref, les libertés fondamentales ne sont pas absolues[11].

[40]        Par ailleurs, dans l'arrêt Edwards Books[12], la Cour suprême, reprenant les propos de la juge Wilson[13], affirmait que seuls les obstacles non négligeables à une pratique religieuse peuvent être considérés comme une atteinte à celle-ci.

[41]        Sous la plume du juge Iacobucci, le plus haut tribunal du pays dans l'arrêt Amselem[14] a de même précisé que la conduite contestée devait entraver de manière plus que négligeable ou insignifiante la capacité d'agir en conformité avec ses croyances religieuses.

[42]        Finalement, la Cour suprême dans l'arrêt Hutterian[15] est venue expliquer que les atteintes « négligeables » sont celles qui ne menacent pas réellement les convictions religieuses. Elle résume ainsi la grille d'analyse applicable aux libertés de religion et de conscience :

[32]      Il est établi qu’une mesure contrevient à l’al. 2a) de la Charte lorsque : (1) le plaignant entretient une croyance ou se livre à une pratique sincère ayant un lien avec la religion; et que (2) la mesure contestée nuit d’une manière plus que négligeable ou insignifiante à la capacité du plaignant de se conformer à ses croyances religieuses […].[16]

Application aux faits de l'espèce

[43]        Le juge devait trancher si la réglementation de la Ville en matière de zonage entravait injustement l’appelante dans l’exercice de ses activités religieuses. Cette dernière reconnaît par ailleurs avoir le fardeau de prouver l’atteinte invoquée[17].

[44]        Avant de traiter plus à fond de ce sujet, il convient de rappeler que l’appelante ne soutient pas que le règlement de zonage de la Ville est prohibitif en raison d’une interdiction généralisée de l’usage sur son territoire d’un édifice à des fins de culte. La question à l’étude porte plutôt sur l’allégation d’impossibilité pour l’appelante de déménager et donc de respecter la réglementation en vigueur.

[45]        À mon avis, on ne peut soupeser la valeur de cette prétention sans tenir compte de l’ensemble des circonstances qui ont conduit à ce pourvoi.

[46]        Au départ, j’estime que l'appelante n'a pas agi avec prudence et diligence lors de l’acquisition de l'immeuble de la rue Lajeunesse.

[47]        Compte tenu de ses activités de culte, non seulement avait-elle l'obligation, comme citoyenne, de porter une attention particulière au lieu projeté pour l’implantation de son église, mais, au surplus, elle était déjà sensibilisée à cette obligation compte tenu de son expérience récente avec la municipalité de Roxboro.

[48]        Or, l'appelante n’a pas démontré avoir d’abord entrepris des recherches sérieuses en vue d’établir son église dans une zone permettant son implantation. La preuve ne révèle pas davantage qu'à l'époque elle n'avait d'autre possibilité que de se placer en situation d'irrégularité si elle souhaitait poursuivre ses activités religieuses sur le territoire de la Ville.

[49]        Ensuite, l’affirmation suivante contenue dans l'acte d’acquisition de l'immeuble de la rue Lajeunesse laisse perplexe : « avoir vérifié lui-même [monsieur Forilien Foris] auprès des autorités compétentes que la destination qu'il entend donner à l'immeuble est conforme aux lois et règlements en vigueur » [je souligne]. Mais il y a plus.

[50]        Après avoir apprécié la preuve et jugé de la crédibilité des témoins entendus, le juge en vient à la conclusion qu'il y avait une cinquantaine d'emplacements permettant l'hébergement d'un lieu cultuel dans l’arrondissement d'Ahuntsic/Cartierville alors que ce secteur comptait au moins deux locaux susceptibles d’accueillir l’appelante.

[51]        Le juge rappelle qu’elle a volontairement exclu de ses critères les locaux à louer. Il écrit :

[75]      Or, le culte peut être exercé aussi bien dans un local loué. Aucune preuve pouvant permettre de conclure que le mode de détention de l’église est un facteur associé aux croyances de cette religion n’a été présentée. D’ailleurs, l’Église occupait auparavant un local loué.

[76]      Les membres ne sont pas dispensés de tout effort, voire de tout sacrifice, dans le cadre de l'exercice de la liberté de culte. Ceci couvre le déplaisir de n’être que locataire de l’église.

[52]        La preuve présentée par l’appelante ne révèle pas que ses fidèles sont captifs d’un seul lieu pour leurs activités de culte. Le déplacement de leur église de la ville de Roxboro à la rue Lajeunesse illustre plutôt le contraire.

[53]        Quant aux efforts de l'appelante pour déménager, s'agissant là d'une question de fait laissée à l'appréciation du juge d'instance, il a déterminé que les tentatives de l’appelante avaient échoué en raison de sa faute :

·        ses techniques de recherche étaient inefficaces et improductives;

·        elle a limité ses recherches aux seuls environs de l’arrondissement Ahuntsic/Cartierville;

·        elle s’est concentrée que sur l’acquisition d’un immeuble, excluant de ses critères les possibilités de location.

[54]        Bref, l’appelante n’a pas démontré que la réglementation de zonage de la Ville la privait de jouir d'un endroit permettant le plein exercice de sa liberté de religion. À ce sujet, notre Cour a affirmé que « [l]a liberté de religion n'emporte pas le droit de célébrer le culte ou d'établir une école d'enseignement religieux à l'endroit de son choix »[18].

[55]        La situation dans laquelle l'appelante se retrouve aujourd'hui découle de sa seule négligence au moment d’arrêter son choix sur l’immeuble de la rue Lajeunesse et aussi sur son absence d'efforts véritables pour trouver un autre emplacement où elle pourrait en toute légalité exercer sa liberté de culte.

[56]        Pour paraphraser mon collègue le juge Dufresne dans l'arrêt Val-Morin[19], l'appelante s'est placée dans une situation de contravention à la réglementation municipale et n'a pas démontré qu'il lui était interdit de construire, d'occuper ou d'aménager un bâtiment sur le territoire de la Ville permettant des manifestations religieuses.

[57]        Et si, aux fins de la discussion, on devait considérer que la réglementation de la Ville, dans son essence même, porte atteinte à la liberté de religion de l’appelante, celle-ci ne serait, en l’espèce, que négligeable. Comme la preuve démontre que la réglementation de la Ville permet l'implantation d'établissements religieux dans différents secteurs situés sur son territoire, les contraintes reliées au déménagement de l’appelante ne peuvent constituer, à elles seules, une atteinte à sa liberté de religion.

[58]        En somme, ses convictions religieuses et sa capacité de se conformer à ses croyances ne sont pas ici véritablement menacées dans la mesure où les fidèles de l’appelante ne sont pas dispensés « de tout effort, voire de tout sacrifice, notamment pour l’exercice de la liberté de culte »[20].

[59]        En raison de ce qui précède, il n'est pas nécessaire de procéder à l'analyse requise par l'article premier de la Charte canadienne ou de considérer que les circonstances mises en preuve doivent conduire à une obligation d'accommodement raisonnable.

    2)     La charge de la preuve

[60]        Aux fins de trancher la question de l'intensité de la charge de preuve imposée à l'appelante, le juge s'est appuyé sur les motifs dissidents du juge LeBel dans l'arrêt Lafontaine[21]. Cette démarche est conforme au droit applicable à la présente affaire.

[61]        Dans l’arrêt Lafontaine, la Cour suprême devait discuter de la légalité du refus par une municipalité de consentir une modification du zonage à un requérant. Une majorité de la Cour a choisi de trancher l’appel en faisant reposer son analyse sur le principe de l'équité procédurale.

[62]        Pour le juge LeBel, le débat nécessitait au départ de déterminer si le refus de la municipalité portait atteinte à l'alinéa 2a) de la Charte canadienne. Il écrit :

63.       Avant d’aborder la question de la liberté de religion, il convient de rappeler que le règlement de zonage de la municipalité n’interdit pas l’usage « édifices de culte » sur l’ensemble du territoire de la municipalité, mais le permet dans une zone déterminée. Il ne peut donc pas être considéré comme prohibitif au sens de la jurisprudence (Saint - Michel-Archange, précité, p. 882; J. L’Heureux, Droit municipal québécois (1984), t. II, p. 316-317, par. 606).  La rédaction de ce règlement fait donc une place à l’exercice de la liberté de culte.  Il faut maintenant déterminer si cette place respecte les exigences constitutionnelles établies par la Charte.

[…]

68.       Dans ce contexte, il n’appartient plus à l’État de donner un appui actif à une religion particulière, ne serait-ce que pour éviter de s’ingérer dans la vie religieuse de ses membres.  L’État est tenu au respect de confessions diverses dont les valeurs ne se concilient pas toujours aisément. […]

[…] En règle générale, l’État s’abstient d’agir sur le plan religieux.  Il lui appartient tout au plus de mettre en place un cadre social et juridique où les consciences seront respectées et où les membres des diverses confessions pourront s’associer pour exercer la liberté de culte qui exprime un aspect collectif fondamental de la liberté de religion et pour organiser leurs Églises ou leurs communautés.  Dans ce contexte, le principe de neutralité devra être pris en compte pour apprécier l’obligation des corps publics, telles les municipalités, d’assister activement les groupes religieux.

69.       L’examen des différentes composantes du concept de la liberté de religion pourrait laisser croire que les droits protégés par l’al. 2a) de la Charte sont absolus, mais tel n’est pas le cas.  En effet, cette liberté est limitée par les droits et libertés des autres.  La diversité des opinions et des convictions exige la tolérance mutuelle et le respect d’autrui.  La liberté de religion est aussi sujette aux limites nécessaires afin de « préserver la sécurité, l’ordre, la santé ou les mœurs publics . . . » (Big M, précité, p. 337; Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau-Brunswick, [1996] 1 R.C.S. 825, par. 72; Université Trinity Western c. British Columbia College of Teachers, [2001] 1 R.C.S. 772, 2001 CSC 31, par. 29).  Enfin, notre Cour a mis en évidence qu’avant de conclure à une violation de la liberté de religion, il faut démontrer que l’atteinte à la pratique ou à la croyance religieuse n’est pas insignifiante ou négligeable.  Ainsi, les Églises et leurs membres ne sont pas dispensés de tout effort, voire de tout sacrifice, notamment pour l’exercice de la liberté de culte :

La Constitution ne protège les particuliers et les groupes que dans la mesure où des croyances ou un comportement d’ordre religieux pourraient être raisonnablement ou véritablement menacés.  Pour qu’un fardeau ou un coût imposé par l’État soit interdit par l’al. 2a), il doit être susceptible de porter atteinte à une croyance ou pratique religieuse.  Bref, l’action législative ou administrative qui accroît le coût de la pratique ou de quelque autre manifestation des croyances religieuses n’est pas interdite si le fardeau ainsi imposé est négligeable ou insignifiant : voir à ce sujet l’arrêt R. c. Jones, [1986] 2 R.C.S. 284, le juge Wilson, à la p. 314.

(Edwards Books, précité, p. 759)[22]

[63]        Dans les cas où le litige invite à faire l’étude de la réglementation municipale sous l’angle de l’obligation de neutralité religieuse d’une ville, l'opinion du juge LeBel en ce domaine constitue l’état du droit. C’est la position adoptée par notre Cour dans l'arrêt Apôtres de l'amour infini c. Brébeuf (Municipalité de), où le juge Brossard écrit :

[49]      Ma propre lecture des opinions du juge Dickson et du juge Iacobucci dans les arrêts Big M, Edwards Books et Syndicat Northcrest me porte à conclure que les extraits précités de l'opinion du juge LeBel, dans Témoins de Jéhovah [Lafontaine], constituent la synthèse la plus complète de ce qu'il faut entendre par la liberté de religion, au sens des chartes, dont l'élément essentiel du contenu me paraît être le lien nécessaire avec une croyance religieuse et sa liberté de pratique.  On ne saurait parler d'atteinte à la liberté de culte, à moins qu'elle ne soit réelle, matérielle et qu'elle porte sur un objet ayant un lien réel avec la pratique de cette croyance.[23]

[64]        Le juge LeBel a résumé dans l’arrêt Lafontaine l'étendue de l'obligation d'une municipalité à l'égard des groupes religieux demandant d'aménager la réglementation municipale selon leur intérêt :

71.       La municipalité, tenue de faire preuve de neutralité religieuse, doit veiller à aménager sa réglementation afin d’éviter d’imposer des obstacles inutiles à l’exercice des libertés religieuses.  Elle n’a cependant pas à fournir une assistance quelconque aux différents groupes religieux ni à les aider activement à régler toutes les difficultés qu’ils peuvent éprouver dans leurs négociations avec des tiers pour implanter un lieu de culte.  Ainsi, en l’espèce, la municipalité n’avait pas à assurer aux appelants l’accès à un terrain qui correspondait davantage à leurs critères de sélection.  Une telle aide serait incompatible avec son obligation de neutralité, car elle signifierait que la municipalité manipulerait ses normes réglementaires en faveur d’une religion particulière.  Un tel appui donné à un groupe religieux pourrait donc porter atteinte à la neutralité nécessaire à l’égard de tous.  De plus, de la même manière que cette Cour l’a précisé dans l’arrêt Edwards Books, « [l]’alinéa 2a) n’exige pas que les législatures éliminent tout coût, si infime soit-il, imposé par l’État relativement à la pratique d’une religion » (p. 759).  En outre, bien que le règlement de zonage par sa nature même ne laisse pas aux appelants une liberté absolue de choisir l’emplacement de leur lieu de culte, cette limite est nécessaire à la préservation de la sécurité et de l’ordre au sein de la municipalité et au bon usage de son territoire et ne constitue pas une violation de la liberté de religion.  Ni le règlement, ni son application n’ont eu pour but ou pour effet de porter atteinte à la liberté de religion des appelants.

72.       Comme au moins un terrain restait disponible dans la zone P-3 pour la construction de leur lieu de culte, les appelants doivent se conformer au règlement de zonage de la municipalité et construire leur lieu de culte dans cette zone où l’usage est autorisé.  Leurs croyances et pratiques religieuses ne les exemptent alors pas de se conformer à la réglementation municipale.  Le pourvoi doit en conséquence être rejeté. […] [24]

[65]        Encore une fois, ces motifs sont endossés par mon collègue le juge Dufresne dans l'arrêt Val-Morin[25] :

[49]      […] Je fais miens ici les propos du juge LeBel, propos qui, du reste, n'ont pas été abordés par les juges majoritaires : « bien que le règlement de zonage par sa nature même ne laisse pas aux appelants une liberté absolue de choisir l’emplacement de leur lieu de culte, cette limite est nécessaire à la préservation de la sécurité et de l’ordre au sein de la municipalité et au bon usage de son territoire et ne constitue pas une violation de la liberté de religion » […].

[Référence omise]

[66]        Au regard de ce qui précède, le juge de première instance n’a donc pas imposé à l’appelante un fardeau de preuve excessif au moment de conclure que l’impossibilité pour elle de déménager dans un autre secteur de la Ville n’avait pas été démontrée.

[67]        L'appelante nous demande maintenant d'ignorer les deux arrêts de notre Cour rendus dans Brébeuf et Val-Morin au motif que la Cour suprême aurait définitivement écarté le raisonnement du juge LeBel dans Lafontaine au moment d'écrire dans l'arrêt Doré[26] les quelques lignes suivantes :

[24]      Il va sans dire que les décideurs administratifs doivent agir de manière compatible avec les valeurs sous-jacentes à l’octroi d’un pouvoir discrétionnaire, y compris les valeurs consacrées par la Charte […].

[68]        Elle retient de ce court extrait l'expression ferme par la Cour suprême d'une obligation nouvelle, voire spécifique, faite à une municipalité de considérer à titre de facteur déterminant la liberté de religion avant de conclure au rejet d'une demande de modification de zonage en faveur d’un groupe religieux.

[69]        À mon avis, ce passage de l'arrêt Doré ne fait que rappeler au décideur administratif son obligation omniprésente, à l’occasion de ses fonctions, de toujours agir dans le respect des valeurs protégées par la Charte canadienne et la Charte québécoise[27]. À ce chapitre, il n’y a rien de nouveau dans le paysage constitutionnel.

[70]        Le juge LeBel dans Lafontaine a justement fixé les paramètres de cette exigence dans le contexte de l'obligation de neutralité à laquelle est astreint tout corps public. Ces limites sont le résultat de l’application concrète de l’alinéa 2a) de la Charte canadienne qui oblige les gouvernements à s’abstenir d’agir sur le plan religieux. Cette obligation comporte en outre l’interdiction implicite pour les villes d’ajuster leurs normes réglementaires selon l’intérêt des différents groupes confessionnels résidant sur leur territoire.

[71]        En ce sens, la Ville n'avait pas à mettre activement ses ressources au service de l’appelante en vue de lui trouver un nouveau lieu de culte. Elle avait encore moins l'obligation de légiférer pour lui permettre de s’implanter dans une zone prohibant les activités cultuelles alors qu'elle impose aux autres congrégations religieuses l'obligation de s'astreindre rigoureusement aux respects de sa réglementation.

[72]        Dans le présent cas, la preuve fait voir qu'il existait de nombreuses possibilités permettant à l'appelante de déménager ailleurs sur le territoire de la Ville sans qu’un tel déplacement constitue pour elle un fardeau déraisonnable. Le juge n'a donc pas commis d'erreur en exigeant la preuve de l'absence d'endroit lui permettant d'exercer ses activités. Cette conclusion est conforme à la position adoptée par le juge Dufresne dans Val-Morin :

[41]      Dans le cas qui nous occupe, le Règlement de zonage de la Municipalité ne contrevient pas à la liberté de religion, en ce qu'il prévoit des zones pour la construction d'immeubles consacrés à la pratique religieuse ou à l'enseignement. […]  [28]

[73]        L'appelante avance un argument subsidiaire selon lequel sa situation financière devait être prise en compte dans l'analyse du caractère significatif de l'entrave causée par la réglementation de zonage. Le juge a répondu à cette prétention de la manière suivante :

[131]    Or, les problèmes de financement d’une Église ne peuvent être opposés à la Ville afin de justifier ses difficultés à implanter un lieu de culte. Aucune preuve n’a été présentée qui permettrait de conclure que les agissements de la Ville ont jeté sur les épaules de l’Église un fardeau hors de l’ordinaire. Les difficultés rencontrées par l’Église dans le cadre de la vente de son immeuble de la rue Lajeunesse ou dans le cadre de la recherche de financement afin d’acquérir le nouvel immeuble ne découlent pas de la règlementation municipale et lui sont propres.

[74]        À supposer même, dans le contexte de la présente affaire, qu’il s’agisse là d’un facteur pertinent, ce que je ne décide pas, l'appelante n'a pas présenté en première instance d'éléments probants concernant sa situation financière (états financiers, états de revenus et dépenses, liste des actifs et passifs, etc.). Ensuite, rien ne fait voir que l’état de ses finances s’est dégradé depuis l’acquisition de l'immeuble sur la rue Lajeunesse au point où seul le statu quo est désormais envisageable.

[75]        De toute façon, il n'appartient pas à la Ville d'ajuster sa réglementation à la capacité financière de l’un de ses résidants. Ici, il n’a pas été démontré que la réglementation municipale imposait des obstacles inutiles à l’exercice de la liberté de religion de l’appelante.

[76]        Pour conclure sur cette question, non seulement l’appelante n’a pas établi l’absence d’endroit dans le quartier Ahuntsic/Cartierville susceptible de recevoir son église, mais j’estime que le juge de première instance a eu raison d’étendre l’obligation de recherches diligentes lui incombant au-delà de ce seul secteur, d’autant que la preuve fait voir que ses fidèles ne sont pas réfractaires à se déplacer.

    3)     Le pouvoir discrétionnaire conféré au tribunal par l'article 227 de Loi sur l'aménagement et l'urbanisme

[77]        L'article 227 de la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme est ainsi rédigé :

La Cour supérieure peut, sur requête du procureur général, de l'organisme compétent, de la municipalité ou de tout intéressé, ordonner la cessation :

 1° d'une utilisation du sol ou d'une construction incompatible avec :

a)  un règlement de zonage, de lotissement ou de construction;

[…]

[Je souligne.]

[78]        Notre Cour a déjà décidé que l'article 227 de la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme conférait un pouvoir discrétionnaire au juge de la Cour supérieure. À ce sujet, le juge Chamberland écrivait dans l'arrêt Chapdelaine :

[31]      À mon avis, le recours de l'article 227 de la Loi est porteur d'une certaine discrétion dont le tribunal, dans les circonstances particulières et exceptionnelles, peut user afin de refuser le recours même en présence d'une utilisation du sol ou d'une construction incompatible avec la réglementation municipale.   Cette discrétion s'étend donc non seulement au choix du remède approprié pour corriger une situation dérogatoire, mais aussi, exceptionnellement, lorsque les circonstances l'exigent, à la possibilité de rejeter le recours même après avoir constaté l'existence d'une situation dérogatoire.

[32]      Reprenant en cela l'idée exprimée par mon collègue Baudouin dans l'arrêt Abitibi (Municipalité régionale de Comté), il me semble normal que les tribunaux gardent une certaine marge de pouvoir discrétionnaire de façon à pallier les injustices qu'une application stricte, rigoureuse et aveugle de la réglementation pourrait parfois entraîner.  Cette discrétion me semble souhaitable, voire essentielle, pour permettre aux tribunaux de préserver, exceptionnellement et lorsque les circonstances particulières d'un dossier l'exigent, l'équilibre entre les intérêts de la communauté et ceux d'un individu.

[33]      La jurisprudence traitant à ce jour de l'article 227 de la Loi reconnaît qu'il y a place à cette discrétion lorsque les dérogations reprochées sont mineures ou de peu d'importance ou lorsque les conclusions recherchées par le requérant ne procureront aucun résultat pratique en raison du caractère théorique de l'ordonnance.  À ces situations, je propose donc d'ajouter qu'il y a aussi place à la discrétion judiciaire, exceptionnellement, lorsque les circonstances tout à fait particulières d'un dossier l'exigent pour éviter les injustices qu'une application stricte, rigoureuse et aveugle de la réglementation pourrait entraîner.[29]

[Références omises. Je souligne.]

[79]        Dans des motifs concordants, le juge Rochon développait une série de critères devant guider l’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge en ce domaine :

[52]      Sans élaborer une théorie générale sur le sujet, je retiens que les tribunaux refuseront la demande de la municipalité si nous retrouvons l'ensemble des éléments suivants :

      Il doit s’agir de circonstances exceptionnelles et rarissimes.

      L’intérêt de la justice doit commander le rejet du recours.

      La personne en contravention de la réglementation municipale doit avoir été diligente et de bonne foi.  Elle ne doit pas avoir connu la contravention préalablement.

      L’effet du maintien de la contravention ne doit pas avoir une conséquence grave pour la zone municipale touchée.

      Il doit y avoir existence d’un délai déraisonnable (généralement plus de 20 ans) et inexcusable de la part de la municipalité.

•     Il doit y avoir eu un acte positif de la municipalité (émission de permis, perception de taxes).

•     La situation dérogatoire ne doit pas avoir pour effet de mettre en danger la santé ou la sécurité publique, l’environnement et le bien-être général de la municipalité.[30]

[Je souligne.]

[80]        Dans la présente affaire, le juge a choisi de ne pas exercer le pouvoir discrétionnaire accordé par l'article 227 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, étant d'avis que l'appelante n’avait pas démontré de circonstances « particulières et exceptionnelles » justifiant l’intervention du Tribunal.

[81]        Le pouvoir de révision d'une cour d'appel est plutôt limité lorsque l’enjeu porte sur des matières où la loi confère au décideur une certaine latitude. En l'absence d'une démonstration convaincante selon laquelle le pouvoir discrétionnaire du juge a été exercé de manière déraisonnable ou de façon abusive, une grande retenue s’impose à l'égard des décisions de cette nature[31].

[82]        Il faut aussi dire que le fardeau de preuve rattaché à l’application de cette disposition est exigeant. L’appelante devait démontrer être aux prises avec une situation « particulière et exceptionnelle » débouchant sur une injustice flagrante, résultat d’une application de la réglementation municipale « stricte, rigoureuse et aveugle »[32].

[83]        Ici, nous sommes loin du compte. Le juge a cité quelques exemples le justifiant de ne pas intervenir. Je les résume ainsi :

-     Forte de son expérience dans la ville de Roxboro, l'appelante affirme s'être assurée de la conformité de l'usage de l'immeuble au regard de la réglementation du zonage applicable à sa situation alors qu'il n'en est rien.

-     Alors qu’elle est avisée depuis le 25 juillet 2001 de l'usage dérogatoire qu'elle fait de l'immeuble de la rue Lajeunesse, douze ans plus tard, l'appelante n'a toujours pas trouvé de lieu lui convenant. Cette saga est entièrement imputable à ses recherches sans méthode, à l'absence de rigueur de ses courtiers et à ses critères indûment restrictifs au moment de chercher un immeuble convenant à ses besoins.

-     Contrairement à ce que soutient l'appelante, la Ville n'a pas fait preuve de laxisme avant d'entreprendre son recours. Dès le moment où elle mettait l'appelante en demeure le 25 juillet 2001, ce geste était suivi d'une multitude de démarches, de discussions et d'interventions de toutes sortes de la part de l’appelante laissant croire qu’elle cherchait toujours à déménager.

-     En dépit de huit constats d'infraction reçus entre le 22 avril 2005 et le 2 octobre 2008, l’appelante n’a pas réagi adéquatement.

[84]        Si la situation de l’appelante est celle qu’on lui connaît aujourd’hui, c’est parce qu’elle y a contribué de manière importante. Aussi, l’attitude positive que les autorités de la Ville ont toujours maintenue à son égard est loin de suggérer l’existence d’une application « aveugle » de la réglementation municipale.

[85]        Bref, le juge a considéré ne pas être en présence d’une situation exceptionnelle justifiant son intervention. Cette détermination me semble inattaquable.

    4)     La tolérance de la Ville

[86]        Contrairement à ce que soutient l’appelante, la preuve ne démontre pas que la Ville a posé un geste de tolérance susceptible de la réconforter dans sa situation dérogatoire. L'exemption de paiement de taxes foncières consentie en vertu de la Loi sur la fiscalité municipale[33] ne pouvait conduire à cette impression. Comme il a déjà été dit, le Trésor municipal ne se soucie guère de la légalité d'une activité[34].

[87]        Par ailleurs, les circonstances du dossier ne permettent pas d’inférer que la Ville a tardé à agir en justice. À ce chapitre, il est plutôt ironique de lui reprocher sa lenteur à déposer ses procédures judiciaires, mesure de dernier recours, est-il nécessaire de le rappeler, alors que l’appelante a toujours requis plus de temps pour lui permettre de trouver un nouvel emplacement.

[88]        De toute façon, il est de jurisprudence constante que la tolérance par une municipalité d'un usage dérogatoire ne peut avoir pour effet de rendre cet usage conforme. Notre Cour écrivait à ce sujet :

Il est de jurisprudence constante que la tolérance pendant une période de temps même prolongée ne suffit pas, en soi, pour faire échec à une demande sous l'article 227 LAU.[35]

    5)     Le délai consenti à l'appelante pour trouver un nouvel endroit

[89]        La Ville demandait à la Cour supérieure de délivrer contre l’appelante une ordonnance de cessation de ses activités religieuses devenant exécutoire dans les 30 jours du jugement. Le juge a plutôt ordonné leur cessation dans les 180 jours de la signification de l’ordonnance.

[90]        Lors de l’audition d’appel, les procureurs de la Ville nous informent qu’advenant que le pourvoi soit rejeté, ils n'ont pas objection à ce que l’appelante profite d'un délai d'un an à compter de notre arrêt pour déménager. Cette suggestion me paraît acceptable.

Conclusion

[91]        Pour ces motifs, je propose de limiter l’intervention de la Cour aux seules fins de donner acte à la position de l’intimée et d’accorder à l'appelante un délai de douze mois à compter de notre arrêt pour que cesse l’usage actuel de l'immeuble sis au 9166 de la rue Lajeunesse à Montréal. Je suggère de maintenir toutes les autres conclusions du jugement entrepris, avec dépens contre l'appelante.

 

 

 

 

GUY GAGNON, J.C.A.

 



[1]     Ville de Montréal c. Église de Dieu Mont-de-Sion, J.E. 2011-1573, 2011 QCCS 4281.

[2]     Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11, alinéa 2a.

[3]     Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., c. C-12, art. 3.

[4]     Contrat de vente notarié du 30 juillet 1999, p. 4, Pièce P-1.

[5]     Demande de modification de zonage datée du 21 août 2001, Pièce P-5.

[6]     Procès-verbal de l’assemblée du conseil d’arrondissement Ahuntsic/Cartierville tenue le 2 avril 2002, Pièce P-6.

[7]     Pièce P-9.

[8]     Congrégation des témoins de Jéhovah de St-Jérôme-Lafontaine c. Lafontaine (Village), [2004] 2 R.C.S. 650, 2004 CSC 48 (« Lafontaine »).

[9]     Loi sur l'aménagement et l'urbanisme, R.L.R.Q. c. A-19.1, art. 227.

[10]    Université Trinity Western c. British Columbia College of Teachers, [2001] 1 R.C.S. 772, 2001 CSC 31, paragr. 29-30; P. (D.) c. S. (C.), [1993] 4 R.C.S. 141, p. 189.

[11]    Syndicat Northcrest c. Amselem, [2004] 2 R.C.S. 551, 2004 CSC 47, paragr. 1, 61, 136.

[12]    R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713, paragr. 97.

[13]    R. c. Jones, [1986] 2 R.C.S. 284, paragr. 67.

[14]    Syndicat Northcrest c. Amselem, supra, note 11, paragr. 59.

[15]    Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, [2009] 2 R.C.S. 567, 2009 CSC 37, paragr. 32 (« Hutterian »).

[16]    Ibid., paragr. 32.

[17]    R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265, paragr. 21, 22, 30.

[18]    Congregation of the Followers of the Rabbis of Belz to Strengthen Torah c. Val-Morin (Municipalité de), [2008] R.J.Q. 879, 2008 QCCA 577, paragr. 45 (« Val-Morin »).

[19]    Ibid.

[20]    Lafontaine, supra, note 8, paragr. 69.

[21]    Ibid.

[22]    Ibid., paragr. 63-69.

[23]    Apôtres de l'amour infini c. Brébeuf (Municipalité de), [2008] R.J.Q. 837, 2008 QCCA 554, paragr. 49.

[24]    Lafontaine, supra, note 8, paragr. 71-72.

[25]    Val-Morin, supra, note 18, paragr. 49.

[26]    Doré c. Barreau du Québec, [2012] 1 R.C.S. 395, 2012 CSC 12, paragr. 24.

[27]    Voir à ce sujet voir Chamberlain c. Surrey School District No. 36, [2002] 4 R.C.S. 710, 2002 CSC 86, paragr. 71; Pinet c. St. Thomas Psychiatric Hospital, [2004] 1 R.C.S. 528, 2004 CSC 21, paragr. 19-24; et Ontario (Sûreté et Sécurité publique) c. Criminal Lawyers’ Association, [2010] 1 R.C.S. 815, 2010 CSC 23, paragr. 62-75.

[28]    Val-Morin, supra, note 18, paragr. 41.

[29]    Montréal (Ville) c. Chapdelaine, [2003] R.J.Q.1417, paragr. 31-33 (« Chapdelaine »).

[30]    Ibid., paragr. 52.

[31]    Harper c. Harper, [1980] 1 R.C.S. 2, 24; Hamstra (Tuteur à l'instance de) c. British Columbia Rugby Union, [1997] 1 R.C.S. 1092, paragr. 26; et 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 983, 2001 CSC 59, paragr. 60 et 65.

[32]    Chapdelaine, supra, note 29, paragr. 33.

[33]    Loi sur la fiscalité municipale, R.L.R.Q., c. F-2.1

[34]    Jean Hétu et Yvon Duplessis, Droit municipal - Principes généraux et contentieux, 2e éd., Brossard, Publications CCH, vol. 1, paragr. 8.212-8.213, p. 8-359; Boisbriand (Municipalité de) c. Harvey, EYB 2004-69144 (C.S.), paragr. 41.

[35]    Sept-Îles (Ville de) c. Sept-Îles Métal ltée, J.E. 2005-1856, 2005 QCCA 901, paragr. 2, reprenant Chapdelaine, supra, note 29, paragr. 46 : « En lui-même, le seul passage du temps ne suffit pas pour faire échec à la demande formulée par la municipalité. ».

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