Nguyen (3765 Dupuis Groupe d'investissement) c. Bussière | 2025 QCTAL 10686 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT |
Bureau dE Montréal |
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No dossier : | 809368 31 20240722 G | No demande : | 4407119 |
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Date : | 27 mars 2025 |
Devant la juge administrative : | Vanessa O’Connell-Chrétien |
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Nguyen, Giang Huong FAISANT AFFAIRES SOUS LE NOM DE 3765 Dupuis Groupe d'investissement | |
Locatrice - Partie demanderesse |
c. |
Réjean Bussière | |
Locataire - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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- La locatrice demande au Tribunal de résilier le bail de logement liant les parties au motif que le locataire maintiendrait le logement concerné dans un état de propreté qui n’est pas adéquat. Qui plus est, la résiliation serait justifiée en raison du refus du locataire de donner accès à la locatrice au logement concerné.
- Lors de l’audience, le locataire était présent et représenté par avocat pour contester la demande de la locatrice.
CONTEXTE
- Le locataire occupe le logement concerné par la procédure depuis près de trente années. Le bail produit à l’audience est intervenu entre le défunt époux de la locatrice, laquelle est, depuis, propriétaire de l’immeuble et agit comme locatrice. Les avis de reconduction récents ont été transmis par la locatrice.
- Les parties n’en sont pas à leurs premiers débats devant le Tribunal. Récemment, une demande de résiliation avait été introduite pour un motif similaire à celui au cœur de la présente demande. Cette demande s’est soldée par un rejet, vu l’introduction irrégulière de la procédure[1].
- Par ailleurs, une demande antérieure concernant la fixation du loyer pour une période de renouvellement du bail se serait soldée par une entente. Cette entente intervenue entre les parties a été signée le 12 août 2019. Par cette entente, la locatrice a convenu de remettre un chèque de 75 $ au locataire au plus tard le 30 août 2019, alors que le locataire s’est engagé à nettoyer convenablement son logement et à le désencombrer au plus tard le 21 août 2019. Il s’engageait également à permettre au concierge de visiter le logement et d’y prendre des photos le 22 août 2019 vers 17 h 30.
OBJECTION DE LA LOCATRICE LORS DE L’AUDIENCE
- À l’audience tenue devant la soussignée, l’avocat du locataire, après le contre-interrogatoire de son client, a fait témoigner celui-ci sur des photographies que le locataire avait prises de certaines pièces du logement à différentes dates, plus précisément aux dates suivantes : 5 octobre 2024, 7 octobre 2024, 15 octobre 2024, 20 novembre 2024, 25 novembre 2024, 27 novembre 2024, 27 novembre 2024, 29 novembre 2024, 20 janvier 2025, 21 janvier 2025, 24 janvier 2025. La locatrice s’est objectée à cette manière de faire, alors que le témoin avait déjà interrogé par son avocat dans le cadre de la preuve du locataire.
- Qui plus est, la locatrice a fait valoir que la communication préalable des pièces produites dans le cadre de ce réinterrogatoire avait été encadrée par le Tribunal, lors de l’audience du 4 décembre 2024 et que ces nouvelles pièces n’avaient pas été communiquées préalablement à l’audience. Ces pièces seraient donc inadmissibles puisque contraires aux directives émises par le Tribunal.
- Le procès-verbal disponible à l’audience étant illisible, le Tribunal a pris l’objection de la locatrice sous réserve. Après écoute de l’enregistrement de l’audience auquel la locatrice a référé, il y a lieu de conclure que la communication préalable des pièces du locataire n’a pas été encadrée par le Tribunal.
- L’objection étant non fondée, les réponses du locataire et les photos produites lors de son réinterrogatoire seront considérées par le Tribunal.
ENTRETIEN DU LOGEMENT PAR LE LOCATAIRE
- Le litige opposant les parties concerne la propreté du logement, ce qui est encadré par les articles 1911 et 1912 du Code civil du Québec[2] (C.c.Q.) :
« 1911. Le locateur est tenu de délivrer le logement en bon état de propreté; le locataire est, pour sa part, tenu de maintenir le logement dans le même état.
Lorsque le locateur effectue des travaux au logement, il doit remettre celui-ci en bon état de propreté.
1912. Donnent lieu aux mêmes recours qu’un manquement à une obligation du bail:
1° Tout manquement du locateur ou du locataire à une obligation imposée par la loi relativement à la sécurité ou à la salubrité d’un logement;
2° Tout manquement du locateur aux exigences minimales fixées par la loi, relativement à l’entretien, à l’habitabilité, à la sécurité et à la salubrité d’un immeuble comportant un logement. »
- L’inexécution par le locataire de l’une de ses obligations donne ouverture à la résiliation du bail dans la mesure où l’inexécution entraîne un préjudice sérieux :
« 1863. L’inexécution d’une obligation par l’une des parties confère à l’autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l’exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l’inexécution lui cause à elle-même ou, s’agissant d’un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.
L’inexécution confère, en outre, au locataire le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le Tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l’avenir. »
- Le concierge de la locatrice a témoigné de l’état de propreté du logement au fil des ans. Des photos démontrant l’état du logement au 26 juin 2022, en août 2023, d’octobre 2023, de février 2024, décembre 2024 et au 22 janvier 2025 ont été produites en preuve par la partie demanderesse.
- Le locataire a quant à lui soumis quelques photographies de certaines pièces du logement au 5 octobre 2024, 7 octobre 2024, 15 octobre 2024, 20 novembre 2024, 25 novembre 2024, 27 novembre 2024, 27 novembre 2024, 29 novembre 2024, 20 janvier 2025, 21 janvier 2025, 24 janvier 2025. Le locataire a témoigné de comment il avait pris ces photos. Celles-ci ont été prises après que le locataire ait fait le ménage de la pièce en question. C’est ce qui explique que pour chaque date précitée, le locataire n’a pas pris en photographie l’ensemble de son logement.
- Les photos soumises par le locataire ne témoignent que d’une petite partie de l’état du logement à une date donnée. Il s’agit d’une preuve morcelée à laquelle le Tribunal accorde un faible poids.
- À l’opposé, les photographies prises par le concierge apparaissent démontrer un portrait plus complet et représentatif de l’état du logement du locataire au fil des ans et des mois.
- Certes, il y a eu amélioration de la propreté du logement du locataire récemment. Il faut dire qu’à la lumière des photographies prises en 2022, le locataire partait de loin. En effet, le nombre de détritus jonchant les surfaces, dont les planchers, des pièces du logement était beaucoup plus élevé en 2022 et 2023, qu’en 2024.
- Bien que l’accumulation de biens se soit améliorée au fil des ans, il reste que les photos prises en janvier 2025 démontrent toujours un niveau élevé d’accumulation de biens, lesquels encombrent le logement.
- Au-delà de l’accumulation de biens, ce qui est toujours problématique est le fait que le logement est maintenu dans un désordre et en état de malpropreté, rendant notamment la circulation dangereuse dans le logement. En effet, les photographies de janvier 2025 démontrent que le locataire conserve un corridor pour circuler dans le logement à travers les biens jonchant le sol. Au salon, plusieurs détritus ont été laissés pêle-mêle au sol, au pied du divan par le locataire. À la cuisine, les fils électriques des différents appareils qu’utilise le locataire pour faire le ménage reposent sur le sol. Au sol de cette même cuisine, dans l’entrée de la cuisine, on trouve un ventilateur de table, alors que plus loin ont été laissées différentes bouteilles de produits nettoyants. Près de la table de cuisine, des bouteilles de boissons vides sont aussi par terre.
- À ce titre, il importe de mentionner que l’état du logement ne s’explique pas du fait que le locataire ne possède pas les appareils et les produits nettoyants pour faire le ménage de son appartement. En effet, le locataire possède plusieurs moppes, vadrouilles et différentes machines à vapeur. Il témoigne que chacun de ces items utilisés pour le nettoyage a son utilité.
- Il en va de même des nombreux produits ménagers qu’accumule le locataire. Le locataire semble conserver les bouteilles vides de ces produits ménagers. Le concierge de la locatrice a témoigné que si le locataire utilise véritablement les produits en question, le résultat ne semble pas concluant; l’appartement restant désordonné et sale.
- Le locataire a d’ailleurs reconnu que certaines bouteilles laissées au sol de sa salle de bain avaient accumulé de la crasse, mais qu’à l’intérieur de la bouteille, le produit était encore bon. Il souligne qu’il nettoie ses vêtements avec le produit et non l’extérieur de la bouteille.
- Ceci étant dit, c’est plus la volonté du locataire qui semble l’empêcher de tenir son appartement dans un état convenable de propreté. Le Tribunal retient du témoignage du locataire que de maintenir le logement propre n’est pas une priorité pour lui, que cela prend du temps et qu’il n’y a pas véritablement d’urgence à agir.
- À la lumière de la preuve entendue, l’amélioration récente de l’état de propreté du logement semble attribuable au fait que deux procédures ont été prises contre lui auprès du Tribunal. À ce titre, il faut mentionner que les parties étaient convoquées à une audience le 4 décembre 2024, mais que le dossier n’a pu procéder vu, notamment, le temps requis pour tenir l’audience.
- L’accumulation de biens dans le logement du locataire n’est pas sans conséquence. Le locataire a témoigné lui-même avoir trouvé récemment une souris morte, depuis un certain moment, a-t-il cru bon de préciser, à travers les biens accumulés, lors du ménage d’une pièce de son appartement, quelques jours avant l’audience.
- Il a aussi dénoncé quelques problèmes de vermines dans le passé à la locatrice. La locatrice serait intervenue, mais le locataire a témoigné avoir acheté lui-même des produits pour venir à bout de cette problématique de vermines. Il témoigne du fait que cette problématique serait pratiquement réglée avec les produits qu’il se serait procurés. C’est admettre en soi que la problématique n’est pas réglée complètement.
- La locatrice a fait la preuve de manière convaincante du manque d’entretien du logement par le locataire faisant en sorte de maintenir celui-ci dans un état de malpropreté qui subsiste encore en date de l’audience. Le locataire a eu de multiples occasions de prendre la situation en main, ce qu’il n’a pas fait. En effet, il a signé une entente à ce titre et a reçu deux procédures eu égard à la situation.
- La malpropreté, l’encombrement et le fait de tout laisser à la traîne n’importe où dans un logement, dont de nombreux fils électriques et plusieurs biens au sol, a des conséquences. Il y a notamment un enjeu de sécurité qui en découle. Également, la vermine est susceptible de s’installer plus facilement en contexte où il y a défaut de propreté et d’accumulation de biens. Justement, le locataire confirme la survenance de ces problématiques.
- De nombreuses visites ont été faites par le concierge de l’immeuble pour vérifier de l’état du logement. La locatrice a la sécurité de son immeuble et des autres locataires à cœur. Elle doit mesurer l’évolution de l’état du logement parce que celui-ci est susceptible d’avoir un impact sur plus que le locataire en l’instance uniquement. Les insectes et les souris sont susceptibles de se répandre dans l’immeuble et le problème de toilette bouchée par le locataire accumulant les papiers à sa toilette a, par le passé, causé un débordement dans un logement voisin.
- À la lumière de la preuve et des nombreuses chances que le locataire a eues de régulariser la situation, il y a lieu de faire droit à la demande de la locatrice et de mettre fin au bail liant les parties.
EXÉCUTION PROVISOIRE
- La locatrice recherche également l’exécution provisoire de la décision. La loi prévoit que l’exécution d’une décision prononçant la résiliation d’un bail et l’éviction des occupants d’un logement rendue par le présent Tribunal est acquise à l’expiration des délais d’appels[3].
- C’est que règle générale, notre droit civil est basé sur la conception que l’appel suspend l’exécution de la décision dont il est fait appel[4]. L’encadrement législatif en matière d’appel des décisions du Tribunal administratif du logement ne fait pas exception à ce principe.
- En effet, la demande pour permission d’appeler d’une décision doit être produite dans les 30 jours de la connaissance de la décision[5]. La demande pour permission d’en appeler ne suspend pas l’exécution[6]. Ce n’est que si l’appel est autorisé qu’il y aura appel et que cet appel suspendra l’exécution provisoire de la décision, et ce, à moins que l’exécution provisoire n’ait été accordée[7]. Lorsque la décision entraîne l’expulsion, entre la demande pour permission d’en appeler et l’appel, « il peut être demandé à un juge de la Cour du Québec de suspendre cette exécution si le demandeur démontre qu’il lui en résulterait un préjudice grave »[8].
- Par sa demande d’exécution provisoire, la locatrice cherche à éviter de devoir attendre l’expiration des délais ordinaires pour pouvoir exécuter sa décision.
- L’article 82.1 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement [9] encadre les demandes d’exécution provisoire :
« Le membre peut, s’il le juge à propos, ordonner l’exécution provisoire, nonobstant la révision ou l’appel, de la totalité ou d’une partie de la décision, s’il s’agit:
1° de réparations majeures;
2° d’expulsion des lieux, lorsque le bail est expiré, résilié ou annulé;
3° d’un cas d’urgence exceptionnelle. »
- L’utilisation des termes « s’il le juge à propos » témoigne d’une volonté du législateur de consacrer une discrétion au décideur dans l’octroi de l’exécution provisoire d’une partie ou de la totalité de sa décision.
- Il en va de même en matière judiciaire lorsque l’exécution provisoire n’est pas octroyée de plein droit[10].
- L’exécution provisoire dérogeant au principe général que l’appel régulièrement formé suspend l’exécution du jugement, les dispositions permettant une telle chose doivent être interprétées restrictivement[11].
- Dans le cadre de la présente demande, aucun des critères de l’article 82.1 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement [12] n’est rencontré. Ce faisant, le Tribunal ne peut faire droit à une telle demande.
FRAIS DU DOSSIER
- En ce qui a trait aux frais du présent dossier, ceux-ci sont également discrétionnaires et il est d’usage d’accorder ceux-ci à l’encontre de la partie qui succombe à la demande. La détermination et le montant des frais pouvant être accordés sont spécifiquement encadrés par la loi[13] et le règlement applicable[14]. Le Tribunal ne peut qu’accorder les frais engagés à la hauteur des montants prévus au règlement.
- En conséquence, les frais acquittés de 113,25 $, dont 87 $ pour le dépôt de la demande, de même que les frais de 26,25 $ liés à la signification de la demande. Le droit à cette condamnation ne naissant qu’à compter de la signature de la présente décision et compte tenu qu’il n’y a pas preuve d’une entente quant au taux d’intérêt applicable, l’intérêt légal sera accordé à compter du présent jugement sur cette condamnation, et ce, sans indemnité additionnelle.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
- RÉSILIE le bail et ORDONNE l’expulsion du locataire et de tous les occupants du logement;
- CONDAMNE le locataire à payer à la locatrice la somme de 113,25 $, et ce, avec intérêt au taux légal à compter de la présente décision.
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| Vanessa O’Connell-Chrétien |
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Présence(s) : | la locatrice Me Suzanne Boisvert, avocate de la locatrice le locataire Me Jean-Daniel Papillon, avocat du locataire |
Date de l’audience : | 24 janvier 2025 |
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[1] 3765 Dupuis investissement c. Bussière, 2024 QCTAL 20957 (CanLII).
[2] Code civil du Québec, RLRQ c. CCQ-1991.
[3] Loi sur le Tribunal administratif du logement, RLRQ, c. T-15.01, Art. 82.
[4] Mouvement laïque québécois c. English Montreal School Board, 2021 QCCA 1675, par. 2.
[5] Loi sur le Tribunal administratif du logement, RLRQ, c. T-15.01, Art. 92.
[6] Loi sur le Tribunal administratif du logement, RLRQ, c. T-15.01, Art. 94.
[7] Loi sur le Tribunal administratif du logement, RLRQ, c. T-15.01, Art. 94.
[8] Loi sur le Tribunal administratif du logement, RLRQ, c. T-15.01, Art. 94.
[9] Loi sur le Tribunal administratif du logement, RLRQ, c. T-15.01, art. 82.1.
[10] Mouvement laïque québécois c. English Montreal School Board, 2021 QCCA 1675, par. 2. Code de procédure civile, RLRQ c. C-25.01, art. 660-661.
[11] Grochowska Yale c. Syndicat des copropriétaires du Mont-Saint-Louis, 2022 QCCA 1293, par. 11.
[12] Loi sur le Tribunal administratif du logement, RLRQ, c. T-15.01, art. 82.1.
[13] Loi sur le Tribunal administratif du logement, chapitre T-15.01, art. 79.1.
[14] Tarif des frais exigibles par le Tribunal administratif du logement, chapitre T-15.01, r. 6, art. 1 et 7.