Décision

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Autorité des marchés financiers c. Patry

2015 QCCA 1933

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-10-005472-137

(500-36-005705-119) - (500-61-255499-098)

 

DATE :

 LE 20 NOVEMBRE 2015

 

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

FRANÇOIS DOYON, J.C.A.

JACQUES J. LEVESQUE, J.C.A.

JEAN-FRANÇOIS ÉMOND, J.C.A.

 

AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS

APPELANTE - Poursuivante

c.

 

DENIS PATRY

INTIMÉ - Défendeur

et

 

LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC

MISE-EN-CAUSE

 

ARRÊT

 

 

[1]           L’appelante se pourvoit contre un jugement prononcé le 10 juillet 2013 par la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Claude Champagne), qui a rejeté son appel du jugement rendu le 24 janvier 2011 par la Cour du Québec, chambre criminelle et pénale, district de Montréal (l’honorable Claude Millette) qui avait déclaré l’intimé non-responsable pour cause de troubles mentaux.

[2]           Pour les motifs du juge Doyon, auxquels souscrivent les juges Levesque et Émond, la Cour :

[3]            ACCUEILLE la requête pour permission d’appeler en ce qui a trait au deuxième moyen d’appel;

[4]           ACCUEILLE l’appel;

[5]           INFIRME le jugement de la Cour supérieure;

[6]           ACCUEILLE l’appel du jugement de la Cour du Québec;

[7]           INFIRME le jugement de la Cour du Québec;

[8]           DÉCLARE l’intimé coupable des chefs d’accusation 1 à 81 et 84 à 89;

[9]           RETOURNE le dossier en Cour du Québec pour la détermination de la peine.

 

 

 

 

FRANÇOIS DOYON, J.C.A.

 

 

 

 

 

JACQUES J. LEVESQUE, J.C.A.

 

 

 

 

 

JEAN-FRANÇOIS ÉMOND, J.C.A.

 

Me Annie Fortin

Me Marianna Ferraro

Me Julie Garneau

Autorité des marchés financiers

Pour l’appelante

 

Me Francis Le Borgne

Raby Dubé Le Borgne

Pour l’intimé

 

Me Julien Bernard (absent)

Bernard, Roy (Justice-Québec)

Direction générale des aff. jur. et légis.

 

Date d’audience :

 

Mise en délibéré :

20 JANVIER 2015

 

2 AVRIL 2015



 

 

MOTIFS DU JUGE DOYON

 

 

[10]        Cet appel met en cause la recevabilité de la défense de troubles mentaux à l’encontre d’une infraction de responsabilité stricte, ses limites et la nature de la preuve requise.

[11]        C’est dans ce contexte que l’appelante demande la réformation du jugement de la Cour supérieure qui a refusé d’intervenir pour annuler un jugement de la Cour du Québec ayant déclaré l’intimé non responsable pour cause de troubles mentaux.

[12]        Pour les raisons qui suivent, j’estime que cet appel doit être accueilli.

I - LE CONTEXTE

[13]        L’appelante a porté 89 chefs d’accusation contre l’intimé. Ils se divisent en trois groupes. Le premier (chefs 1 à 81) concerne des informations fausses ou trompeuses à propos d’opérations sur des titres. Tous ces chefs sont formulés de la même façon et renvoient soit au 31 mars, soit au 30 juin 2005. Seuls les noms des 81 victimes et les montants en cause diffèrent. En voici un exemple :  

À Montréal et ses environs, dans le district judiciaire de Montréal, le ou vers le 30 juin 2005, a aidé, par acte ou omission, Les conseillers en valeurs Planiges inc., à fournir des informations fausses ou trompeuses à propos d’une opération sur des titres, en mentionnant, dans un relevé de titres composant le portefeuille de [nom de la victime], que la valeur du titre « Fond administratif » au 30 juin 2005, était de [ $ ], alors que ce n’était pas le cas, commettant ainsi l’infraction prévue à l’article 197(1) de la Loi sur les valeurs mobilières, c.V-1.1 (la «Loi»), avec référence à l’article 208 de la Loi et se rendant ainsi passible de la peine prévue aux articles 204 et 208.1 de la Loi.

[14]        Le deuxième (chefs 82-83) a trait à une vente d’actions en contravention de la Loi sur les valeurs mobilières[1] [la « LVM »] et à l’exercice d’activités de courtier en valeurs sans être dûment inscrit à ce titre auprès de la Commission des valeurs mobilières du Québec. Ces deux infractions ont été commises le 2 mars 1999.

[15]        Le troisième (chefs 84-89) porte sur le non-respect d’un engagement souscrit  par l’intimé auprès de l’appelante, et ce, à six reprises entre le 29 mars et le 25 mai 2005. Ces chefs, dont seuls les dates et les montants varient, sont rédigés ainsi : 

À Montréal et ses environs, dans le district judiciaire de Montréal, le ou vers le [ date ], a aidé, par acte ou omission, Corporation de gestion et de recherche ZENITH, à manquer à un engagement souscrit auprès de l’Autorité des marchés financiers le 11 mars 2005, soit en l’aidant à facturer à Fonds de croissance ZENITH à valeur stable des frais de recherche financière pour un montant de [ $ ] et en aidant Corporation de gestion et de recherche ZENITH à retirer des fonds appartenant à Fonds de croissance ZENITH à valeur stable pour payer ces frais de recherche financière, commettant ainsi l’infraction prévue à l’article 195(2) de la Loi sur les valeurs mobilières, LRQ, c V-1.1 (la «Loi»), avec référence à l’article 208 de la Loi et se rendant ainsi passible de la peine prévue à l’article 202 de la Loi.

[16]        L’intimé a été déclaré non responsable pour cause de troubles mentaux des infractions visées par les premier et troisième groupes. En ce qui a trait au deuxième, comme il s’agit de gestes posés en 1999 et que la preuve psychiatrique ne couvrait que la période 2003 à 2006, le juge de la Cour du Québec l’a reconnu coupable.

[17]        Le pourvoi interjeté en Cour supérieure par l’appelante en ce qui a trait aux chefs des groupes 1 et 3 a été rejeté. Elle a été autorisée à porter ce jugement en appel devant notre Cour.

[18]        Dès le procès, l’intimé admet les éléments matériels des infractions. La seule question en litige est alors la défense de troubles mentaux.

[19]        Comme les faits ne sont donc pas contestés, un résumé succinct suffira.

[20]        En ce qui concerne le premier groupe de chefs d’accusation, l’intimé était président et administrateur de Les conseillers en valeurs Planiges inc. (« Planiges »), une firme qui offrait des services de conseiller en valeurs depuis sa fondation en 1982. Entre 1991 et 1995, la valeur des portefeuilles gérés par la firme a diminué substantiellement. En février 1996, l’intimé convainc la vaste majorité de ses clients de transférer leurs argents, jusqu’alors placés chez Fiducie Desjardins qui agissait comme gardien des valeurs, dans un compte détenu par Planiges à la Banque Royale du Canada. Quelque 10 000 000 $ sont ainsi transférés.

[21]        Au cours des mois qui suivent, des clients demandent d’être remboursés, de sorte qu’environ 7 000 000 $ leur sont remis. Il reste donc environ 3 000 000 $ dans le compte.

[22]        À un certain moment au cours des années 2000, les états de compte trimestriels, envoyés aux clients et préparés par Planiges selon les instructions de l’intimé, font état de valeurs qui sont faussées. L’intimé cherchait par ce stratagème à dissimuler le fait que, en raison de son utilisation des fonds pour effectuer des transactions sur des contrats à terme ou des options ainsi que pour financer les activités de Planiges, les encaisses avaient fondu. En réalité, il ne restait plus rien en juin 2005, alors que les états trimestriels laissaient miroiter des sommes importantes, d’où le dépôt des accusations du groupe 1.

[23]        Quant au troisième groupe, deux autres entités sont impliquées, soit Corporation de gestion et de recherche Zénith (« Corporation Zénith »), qui agissait à titre de fiduciaire et gérante de Fonds de croissance Zénith à valeur stable (« Fonds Zénith »). Pour des raisons qu’il n’est pas nécessaire d’expliciter davantage, un engagement est souscrit auprès de l’appelante le 11 mars 2005 par ces deux sociétés, ainsi que par Planiges et l’intimé. Selon cet engagement, Fonds Zénith ne devait pas être facturée en raison de frais de recherche financière. C’est pourtant ce qui s’est produit, puisque, à six reprises, Corporation Zénith a facturé Fonds Zénith pour cette raison et cela, sur ordre et approbation de l’intimé. Fonds Zénith a en conséquence payé Corporation Zénith, ce qui explique les six chefs du groupe 3.

II - LE JUGEMENT DE LA COUR DU QUÉBEC

[24]        Comme on le sait, l’intimé présente une défense de troubles mentaux.

[25]        Selon le juge de la Cour du Québec, le témoignage de l’intimé révèle la présence d’une grave maladie qui l’a poussé à adopter des comportements irréfléchis, tant sur le plan personnel que professionnel. Le juge souligne que l’intimé admet les gestes qui lui sont reprochés, tout en témoignant que, obnubilé par son objectif de récupérer l’argent perdu par ses clients, ses obligations légales n’étaient pas sa préoccupation. Employant l’expression utilisée par l’intimé, le juge écrit que les obligations émanant de la loi et de son engagement souscrit auprès de l’appelante n’étaient pas « dans son radar ».

[26]        Deux psychiatres témoignent : le Dr Larouche, médecin traitant, et un autre témoin expert, le Dr Turcotte. Selon le juge, leurs témoignages, qu’il retient, confirment que l’intimé souffre depuis longtemps d’une grave « maladie bipolaire » nécessitant une médication importante.

[27]        Le Dr Larouche traite l’intimé depuis septembre 2003. Selon lui, la maladie a affecté le jugement de son patient. Bien qu’une personne bipolaire soit consciente de son environnement, la maladie a pour effet d’altérer et de perturber son jugement.

[28]        Le Dr Turcotte, quant à lui, formule son opinion clinique sur la base d’une rencontre avec l’intimé, mais surtout en se fondant sur le dossier médical de ce dernier. Il témoigne que l’intimé est en phase dépressive durant les années 2003 à 2006, période entrecoupée d’épisodes de manie de courte durée. L’intimé a également brièvement frôlé la psychose à quelques reprises. L’expert note une amélioration débutant à la fin de l’année 2005. En ce qui a trait aux gestes faisant l’objet des accusations, l’expert soutient que le jugement de l’intimé était altéré : il comprenait les gestes qu’il posait, il était conscient d’agir dans l’illégalité (« de faire quelque chose de pas correct »), mais il avait la conviction qu’ils lui permettraient de rétablir la santé financière de ses clients. Autrement dit, pour cet esprit perturbé, la fin justifiait les moyens, d’autant que, selon lui, il pourrait, sans aucun doute, redresser la situation. Le Dr Turcotte compare ce comportement à celui d’un joueur compulsif qui, tout en sachant que sa conduite est en partie irrationnelle, croit fermement qu’il gagnera.

[29]        Procédant à l’analyse des arguments, le juge rappelle que, suivant l’art. 60 du Code de procédure pénale (« C.p.p. »), les moyens de défense, justifications et excuses reconnus en droit criminel sont applicables au droit pénal réglementaire, compte tenu des adaptations nécessaires. La défense de troubles mentaux est donc applicable.

[30]        L’art. 16 C.cr. requiert que les troubles mentaux rendent la personne « incapable de juger de la nature et de la qualité de l’acte ou de l’omission, ou de savoir que l’acte ou l’omission était mauvais » au moment des faits. Le juge souligne que, selon l’intimé, c’est le premier volet qui doit recevoir application (« incapable de juger »). Il faut en conséquence que la maladie entrave « la capacité de percevoir les conséquences, les répercussions et les résultats d’un acte matériel ». 

[31]        Appliquant cette règle aux faits de l’affaire, le juge souligne que l’intimé «était conscient de l’aspect matériel de ses actes », qu’il savait qu’il transmettait à ses clients « de faux rapports trimestriels » et qu’il « a consciemment contrevenu » à l’engagement. Cependant, la simple connaissance des gestes posés ne suffit pas pour entraîner la responsabilité pénale. Encore faut-il en percevoir les conséquences. Or, le juge conclut que, en raison de son trouble bipolaire, il ne pouvait le faire. Tel un joueur compulsif, il était convaincu que ses manœuvres mèneraient au succès. Le fait qu’il était certain que sa conduite, même irrationnelle, lui permettrait de récupérer l’argent perdu démontre qu’il entretenait une conception erronée des conséquences de ses actes. Un incident au cours duquel il a distribué des sommes faramineuses à des gens sur la rue, sans se soucier de sa propre capacité financière, dans le but « d’aider les pauvres », est, pour le juge, un fait particulièrement révélateur.

[32]        Il estime donc que la défense s’est déchargée de son fardeau de démontrer que l’intimé était incapable de juger de la nature et de la qualité de ses actes, plus particulièrement d’en percevoir les conséquences. Il s’agit des actes faisant l’objet des chefs d’accusation 1 à 81 et 84 à 89. Puisque les gestes reprochés par les chefs  82-83 (groupe 2) ont eu lieu en 1999 et que la preuve présentée par les psychiatres ne couvre que la période de 2003 à 2006, l’intimé est reconnu coupable de ces deux chefs.

III - LE JUGEMENT DE LA COUR SUPÉRIEURE

[33]        L’appelante soulève devant la Cour supérieure deux questions : le juge de la Cour du Québec a-t-il erré en droit dans l’application de l’art. 16 C.cr et a-t-il commis une erreur manifeste et déterminante dans son interprétation de la preuve?

[34]        Le juge de la Cour supérieure est en accord avec l’appelante pour qualifier de responsabilité stricte les infractions prévues aux art. 195(2) et 197 LVM. Il ajoute qu’une forme de mens rea est néanmoins présente, soit celle de la négligence. Il s’ensuit que « le ministère public a la charge de prouver une mens rea dite objective qui respecte le critère objectif modifié ».

[35]        Le juge précise :

[19]   D’ailleurs, la personne accusée d’une infraction de responsabilité stricte a la possibilité d’invoquer la défense d’erreur de fait raisonnable. Cette défense consiste à analyser la conformité de la croyance subjective d’un accusé par rapport à une personne raisonnable dans les mêmes circonstances. La mens rea vient jouer un rôle dans ce cas-ci. C’est pourquoi le Tribunal est d’avis que l’appelante se trompe lorsqu’elle affirme qu’il n’y a aucune considération de mens rea en ce qui à trait aux infractions de responsabilité stricte. La responsabilité stricte n’est pas complètement dépourvue de mens rea. Celle-ci existe sous une forme objective et un élément intentionnel existe également de manière limitée.

[36]        En ce sens, selon le juge, en adoptant l’art. 60 C.p.p., le législateur québécois voulait que la défense de troubles mentaux s’applique aux infractions de responsabilité stricte, qui ne peuvent se transformer en infractions de responsabilité absolue lorsque vient le temps d’appliquer cette défense. De plus, l’appelante a tort « lorsqu’elle affirme qu’il n’y a aucune considération de mens rea en ce qui a trait aux infractions de responsabilité stricte ». Conséquemment, en tenant compte du concept de négligence, le juge de la Cour du Québec n’a pas commis d’erreur lorsqu’il a retenu la défense de troubles mentaux au motif que l’intimé était incapable de juger de la nature et de la qualité de ses actes.

[37]        En ce qui a trait au second moyen d’appel, le juge indique qu’il ne peut intervenir qu’en présence d’une erreur de fait manifeste et déterminante, de l’omission de tenir compte d’un principe juridique applicable ou d’un verdict déraisonnable.

[38]        En l’espèce, malgré les faiblesses de la preuve en défense soulevées par l’appelante, notamment le témoignage du Dr Turcotte, le juge est d’avis qu’aucune erreur manifeste et déterminante n’a été démontrée. Il rejette donc l’appel.

IV - LES ARGUMENTS DES PARTIES

[39]        L’enjeu de cet appel consiste, d’une part, à déterminer si la défense de troubles mentaux s’applique aux infractions réglementaires de responsabilité stricte de même que, le cas échéant, à quelles conditions, et, d’autre part, si le juge de la Cour du Québec, en retenant la non-responsabilité pénale pour cette raison, a rendu un verdict qui ne pouvait s’appuyer sur la preuve. Ce sont les deux moyens qu’invoque l’appelante.

[40]        Les parties ont également été invitées par la Cour à faire part de leur point de vue par écrit sur la notion d’aide, telle que formulée à l’art. 208 LVM, et sur son impact en ce qui a trait à la recevabilité de la défense de troubles mentaux. Elles ont produit leurs exposés écrits respectivement les 20 février et 2 avril 2015, ce qui explique que l’affaire a été mise en délibéré uniquement à cette dernière date, même si l’audition a eu lieu le 20 janvier 2015.

[41]        Voici comment l’appelante formule ses deux moyens d’appel :

1)    Le juge de la Cour supérieure siégeant en appel a-t-il erré en droit en concluant à l’application intégrale de l’art 16 C.cr aux infractions de responsabilité stricte prévues par les  articles 195(1) et 197 de la LVM?

2)    Le juge de la Cour supérieure siégeant en appel a-t-il erré en droit en concluant que le verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux rendu par le juge d’instance était raisonnable?

[42]        Notons que ma collègue la juge St-Pierre, siégeant comme juge unique, n’a pas autorisé ce second moyen. Elle a préféré déférer cette question à la Cour, étant dans l’impossibilité, sans avoir accès à tout le dossier, de déterminer s’il s’agissait vraiment d’une question de droit, d’autant qu’elle fut présentée en Cour supérieure à titre de question mixte de fait et de droit.

[43]        Aux deux questions soulevées par l’appelante, il faut ajouter celle suscitée par la Cour dans les termes qui suivent :

Quel est l’impact, s’il en est, de la notion d’aide, à titre de mode de participation criminelle, sur la question des troubles mentaux? L’arrêt La Souveraine c. AMF, [2013] 3 RCS 756, est-il d’intérêt, notamment les paragr. 44 et 47? Cette Cour devrait-elle aborder cette question?

[44]        Je traiterai de cette dernière question après la première invoquée par l’appelante.

V - L’APPLICATION DE L’ARTICLE 16 C.Cr.

1) Le point de vue de l’appelante

[45]        Bien qu’elle reconnaisse que le moyen de défense prévu à l’art. 16 C.cr. s’applique généralement aux infractions de type réglementaire, l'appelante argue que cette disposition doit être adaptée aux infractions de responsabilité stricte et qu’elle ne peut donc être appliquée intégralement sans distinction. Selon l’appelante, elle n’est pas transposable à moins de tenir compte « des adaptations nécessaires », comme le prévoit l’art. 60 C.p.p. :

60. Les moyens de défense ainsi que les justifications et excuses reconnus en matière pénale ou, compte tenu des adaptations nécessaires, en matière criminelle s'appliquent sous réserve des règles prévues dans le présent code ou dans une autre loi.

60. The defenses and the justifications and excuses recognized in penal matters or, adapted as required, in criminal matters apply subject to the rules provided in this Code or in any other Act.

 

 

[46]        Pour tenir compte des « adaptations nécessaires », il faudrait prendre en considération le libellé de l’art. 16 C.cr. :

 (1) La responsabilité criminelle d’une personne n’est pas engagée à l’égard d’un acte ou d’une omission de sa part survenu alors qu’elle était atteinte de troubles mentaux qui la rendaient incapable de juger de la nature et de la qualité de l’acte ou de l’omission, ou de savoir que l’acte ou l’omission était mauvais.

(2) Chacun est présumé ne pas avoir été atteint de troubles mentaux de nature à ne pas engager sa responsabilité criminelle sous le régime du paragraphe (1); cette présomption peut toutefois être renversée, la preuve des troubles mentaux se faisant par prépondérance des probabilités.

 (1) No person is criminally responsible for an act committed or an omission made while suffering from a mental disorder that rendered the person incapable of appreciating the nature and quality of the act or omission or of knowing that it was wrong.

 

 (2) Every person is presumed not to suffer from a mental disorder so as to be exempt from criminal responsibility by virtue of subsection (1), until the contrary is proved on the balance of probabilities.

 

 

[47]        L’article 16 C.cr. est composé de deux volets. Le premier concerne la capacité de juger de la nature et de la qualité d’un acte et le second, la capacité de savoir que l’acte était mauvais. Selon l’appelante, il y aurait alors lieu de distinguer les deux aspects du premier volet soit 1) être incapable de juger de la nature de l’acte (les caractéristiques physiques de l’acte) et 2) être incapable de juger de sa qualité (ses conséquences matérielles).

[48]        Cette distinction importe, puisque seul le deuxième aspect porte sur la mens rea subjective, ce qui n’est pas le cas du premier. Comme les infractions de responsabilité stricte n’ont pas de composante mens rea, l’incapacité de juger de la qualité de l’acte leur serait inapplicable. Or, c’est ce qu’a fait le juge de la Cour du Québec. La Cour supérieure devait donc accueillir l’appel et a elle-même commis une erreur de droit en important la notion de mens rea aux infractions de responsabilité stricte.

[49]        En somme, pour adapter la défense de troubles mentaux aux infractions de type réglementaire de responsabilité stricte, cette défense devrait être limitée aux seuls cas où c’est l’aspect volontaire de l’actus reus qui est nié, et non la mens rea, de sorte que seul l’aspect « juger de la nature de l’acte » peut être pertinent.

[50]        L’appelante estime donc que seul l’aspect volontaire de l’actus reus peut être contesté par une défense de troubles mentaux. Ce serait le cas par exemple de ce que l’on appelle l’automatisme avec troubles mentaux.

[51]        Quant à l’incapacité de savoir que l’acte était mauvais (le second volet de l’art. 16), elle serait aussi applicable, puisque ce n’est pas la mens rea qui est alors en cause, mais bien une excuse, en raison de l’incapacité de distinguer le bien du mal : R. c. Chaulk, [1990] 3 R.C.S. 1303, p. 1324.

[52]        Pour résumer, l’appelante voudrait, à titre d’adaptation nécessaire, disséquer l’art. 16 C.cr. pour n’en conserver que deux parties sur trois, soit l’incapacité de juger de la nature de l’acte et l’incapacité de savoir que l’acte était mauvais et rejeter la possibilité d’invoquer l’incapacité de juger de la qualité de l’acte.

2) Le point de vue de l’intimé

[53]        Pour l’intimé, le cloisonnement invoqué par l’appelante est contraire aux enseignements de la Cour suprême, notamment dans Chaulk. Jamais la Cour suprême n’a voulu créer deux régimes en interprétant le premier volet de l’art. 16 C.cr. Au contraire, la Cour fusionne la capacité de juger de la nature de l’acte et la capacité de juger de sa qualité en un seul test : être en mesure de « percevoir les conséquences, l’effet et les résultats d’un acte physique ».

[54]        L’appelante fait donc fausse route en voulant limiter la défense de troubles mentaux à la capacité de juger de la nature de l’acte ou de savoir qu’il est mauvais.

[55]        Bref, les adaptations nécessaires ne peuvent mener au résultat escompté par l’appelante.

[56]        Par ailleurs, l’intimé plaide que la responsabilité stricte, qui dispense la poursuite de faire la preuve de l’élément intentionnel et impose à la défense de démontrer la diligence raisonnable ou l’erreur de fait raisonnable, n’en demeure pas moins une infraction qui prend en compte l’intention et l’état d’esprit du défendeur. Par exemple, lorsqu’il plaide l’erreur de fait raisonnable, le défendeur doit démontrer que lui-même croyait, pour des motifs raisonnables, à un état de fait qui s’est avéré inexistant. Par conséquent, l’état d’esprit du défendeur demeure pertinent, malgré la notion de négligence objective.

[57]        De plus, en raison des caractéristiques des infractions en cause, des peines prévues par la LVM (amendes sévères et emprisonnement) et des stigmates qui y sont associés, il plaide qu’il s’agit d’infractions quasi criminelles, qui requièrent l’application intégrale de l’art. 16 C.cr. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre le jugement de la Cour supérieure qui n’a fait que constater la gravité des infractions et la nécessité de les traiter comme telles, sans importer erronément un concept de mens rea subjective.

3) L’article 16 C.cr. est-il applicable?

[58]        Les parties conviennent que les infractions en cause, de type réglementaire, sont des infractions de responsabilité stricte. Je partage leur avis, ainsi que celui du juge de la Cour supérieure. Il ne s’agit sûrement pas d’infractions de responsabilité absolue. Le texte de l’infraction ne permet pas d’y déceler l’intention du législateur de s’éloigner de la règle voulant que ce type d’infraction soit présumé être de responsabilité stricte. De plus, outre la question de l’aide à commettre l’infraction, sur laquelle je reviendrai, on ne peut davantage parler d’infractions de mens rea.

[59]        Puisque ce sont des infractions de responsabilité stricte, la preuve de l’actus reus (les éléments matériels de l’infraction) a pour conséquence de forcer le défendeur à nier l’intention présumée (ou l’aspect moral), soit en démontrant sa diligence raisonnable, soit en établissant l’existence d’une erreur de fait fondée sur des motifs raisonnables et qui explique sa conduite.

[60]        C’est par ailleurs le Code de procédure pénale qui régit la procédure applicable en la matière et qui prévoit aussi la recevabilité de certains moyens de preuve, en poursuite comme en défense. Ainsi, comme on l’a vu, l’art. 60 C.p.p. édicte que les moyens de défense, les justifications et les excuses admissibles en droit criminel s’appliquent à certaines conditions aux infractions pénales québécoises, incluant évidemment les infractions de responsabilité stricte. 

[61]        La défense de troubles mentaux est évidemment une défense, ou une excuse, selon le cas, reconnue en droit criminel. Encore faut-il toutefois que cette défense soit pertinente à une infraction de responsabilité stricte et puisse contrer un volet de l’infraction.

[62]        Je conclus, comme nous y invitent les parties, que l’art. 16 C.cr. est applicable aux infractions de responsabilité stricte. Même si la mens rea, au sens subjectif que lui prête la jurisprudence, n’est pas véritablement en cause dans ce type d’infraction et que le fardeau, en terme d’intention, est celui du défendeur, il reste que la gravité et les conséquences de ce type d’infraction, comme en l’espèce (amendes sévères, emprisonnement, stigmates, impact sur la vie professionnelle du défendeur, etc.), favorisent l’application d’une règle protégeant la personne dont « la condition mentale a faussé [le] cadre de référence » : R. Chaulk, [1990] 3 R.C.S. 1303, p. 1323. Dans ce contexte, toute infraction de responsabilité stricte requiert au moins le libre arbitre et l’autonomie à titre de fondement préalable à la responsabilité pénale : R. c. Bouchard-Lebrun, [2011] 3 R.C.S. 575, paragr. 46.

[63]        Il est vrai que, bien souvent, la preuve de troubles mentaux sert à nier la mens rea. Par contre, cela n’exclut pas la possibilité que cette défense puisse plutôt nier l’aspect volontaire de l’actus reus ou encore constituer une excuse mettant l’accusé à l’abri d’une condamnation. C’est ce que rappelle le juge en chef Lamer dans Chaulk, aux pages 1323 à 1325 :

[…] Tous ces exemples ont cependant un dénominateur commun. Chacun d'eux repose en effet sur la prétention sous-jacente que l'accusé n'est pas capable d'une intention criminelle parce que sa condition mentale a faussé son cadre de référence. Lorsqu'une personne plaide l'aliénation mentale, elle peut fort bien ainsi, dans un cas donné, nier l'existence de la mens rea, ou encore, dans un autre cas, faire valoir une excuse empêchant la responsabilité criminelle; mais cette personne peut également faire une allégation plus fondamentale qui va au-delà de la mens rea ou de l'actus reus, savoir qu'elle échappe aux postulats normaux de notre modèle de droit criminel parce qu'elle n'a pas la capacité de former une intention criminelle. […]

[…] Compte tenu du libellé du "premier volet" du par. 16(2), cela est vrai dans la grande majorité des cas. Une allégation d'aliénation mentale présentée en vertu du "premier volet" se traduira, dans un cas particulier, par une négation de la mens rea. Il est aussi possible, cependant, qu'une allégation de cette nature se traduise, dans un autre cas, par une négation du caractère volontaire de l'actus reus. […]

[…] Ainsi, bien qu'une allégation d'aliénation mentale reposant sur le "second volet" soit fondée sur la même négation fondamentale de la capacité pénale qu'une allégation faite en vertu du "premier volet", elle se traduit non par une négation de l'actus reus ou de la mens rea, mais plutôt par une excuse à l'égard de ce qui serait autrement une conduite criminelle.

[Je souligne.]

[64]        En somme, la portée de la défense de troubles mentaux ne peut être limitée aux seules infractions de mens rea, ni même à l’aspect volontaire de l’actus reus : elle peut aussi constituer une excuse, au sens plus large que lui confère le juge Lamer dans Chaulk, et sa pertinence dépasse donc largement la seule question de la mens rea.

[65]        Le professeur Hugues Parent est aussi d’opinion que cette défense est recevable. C’est ce qu’il écrit dans son ouvrage La culpabilité :

Si la diligence raisonnable et l’erreur de fait raisonnable peuvent être alléguées à l’encontre d’une infraction de responsabilité stricte (culpabilité), qu’en est-il des facteurs qui, au-delà de leur incidence sur la diligence de l’accusé, affectent la capacité de l’individu de répondre pénalement de ses actes (imputabilité)? Sur ce point, la jurisprudence est de plus en plus unanime : la responsabilité stricte est à sa base une infraction pénale et comme toutes les infractions pénales, elle exige, à ce titre, un minimum d’intelligence et de liberté. Ce principe, qui fut reconnu à plusieurs reprises, fut retenu notamment dans les cas de minorité, de troubles mentaux et d’automatisme. […][2]

[66]        Le juge LeBel souligne pour sa part, dans R. c. Bouchard-Lebrun, précité, l’importance de la volonté, de la rationalité et du libre arbitre pour être reconnu pénalement responsable, et ce, tant au plan physique (paragr. 49) que moral (paragr. 51)  :

45     En effet, une règle traditionnelle et fondamentale de common law subordonne l'imputabilité en matière pénale à la commission d'un acte volontaire par l'accusé. Cet important principe reconnaît qu'il serait injuste, dans une société démocratique, d'infliger les conséquences et les stigmates de la responsabilité pénale à un prévenu qui n'a pas accompli volontairement un acte constituant une infraction pénale.

46     Pour qu'un acte soit considéré comme volontaire en droit pénal, il doit nécessairement être le produit de la volonté libre de l'accusé. […]

49     De ce fondement essentiel de l'imputation de la responsabilité pénale découle donc une présomption que chaque individu dispose de la capacité de distinguer le bien du mal. En effet, le droit pénal présume que toute personne est un être autonome et rationnel dont les actes ou les omissions sont de nature à engager sa responsabilité. Cette présomption n'est toutefois pas absolue : elle peut être repoussée par la preuve que l'accusé n'avait pas, au moment des faits reprochés, le niveau d'autonomie ou de rationalité requis pour engager sa responsabilité pénale. Le droit pénal se refuse alors à l'imputation de la responsabilité en raison d'une excuse pour le geste commis, reconnue par notre société. En effet, celle-ci entretient "la conviction fondamentale que la responsabilité criminelle n'est appropriée que lorsque l'agent est une personne douée de discernement moral, capable de choisir entre le bien et le mal" (R. c. Chaulk, [1990] 3 R.C.S. 1303, p. 1397). Dans l'arrêt Ruzic, la Cour a d'ailleurs reconnu l'existence d'un principe de justice fondamentale selon lequel "seule la conduite volontaire - le comportement qui résulte du libre arbitre d'une personne qui a la maîtrise de son corps, en l'absence de toute contrainte extérieure - entraîne l'imputation de la responsabilité criminelle et la stigmatisation que cette dernière provoque" (par. 47).

50     L'aliénation mentale constitue une exception au principe général de droit pénal selon lequel l'accusé est réputé être une personne autonome et rationnelle. En effet, une personne atteinte de troubles mentaux au sens de l'art. 16 C. cr. n'est pas considérée comme capable d'apprécier la nature de ses actes ou de comprendre que ceux-ci sont foncièrement mauvais. Pour cette raison, dans l'arrêt Chaulk, le juge en chef Lamer a affirmé que les dispositions relatives à l'aliénation mentale qui sont contenues dans le Code criminel "agissent, au niveau le plus fondamental, comme une exemption de responsabilité pénale fondée sur l'incapacité de former une intention criminelle" (p. 1321 (soulignement omis)).

51     En suivant la logique adoptée dans l'arrêt Ruzic, il est également possible d'affirmer qu'une personne souffrant d'aliénation mentale est incapable d'agir volontairement sur le plan moral. Les gestes qu'elle accomplit ne résultent effectivement pas de son libre arbitre. C'est donc en conformité avec les principes de justice fondamentale que le droit canadien écarte la responsabilité pénale d'une personne dont la condition mentale au moment des faits est visée par l'art. 16 C. cr. Le fait de condamner une personne qui agit de façon involontaire ébranlerait les fondements du droit criminel et porterait atteinte à l'intégrité du système judiciaire.

[Je souligne.]

[67]        Tout autant que les infractions de mens rea, les infractions de responsabilité stricte requièrent que le défendeur agisse volontairement, tant sur le plan physique que sur le plan moral, et que sa conduite résulte de l’exercice du libre arbitre. Il s’agit d’une exigence que je qualifierais de minimale avant de pouvoir reconnaître un défendeur pénalement responsable. Or, la défense de troubles mentaux permet d’en nier l’existence. Il faut donc conclure que la défense est admissible.

[68]        C’est aussi la conclusion du juge Paulin Cloutier dans Ville de l’Ancienne-Lorette c. Lachance, [2000] J.Q. 7581 (C.M.), une affaire impliquant une infraction au Code de la sécurité routière (un demi-tour interdit), qui déclare la défenderesse non responsable pour cause de troubles mentaux en raison d’un « état mental de désorganisation qui ne lui permettait pas de juger de ses actes ni d'en connaître les conséquences ».

[69]        Dans R. c. Ferron, [1999] J.Q. 6751 (C.M.), le juge Jacques Ouellet, tout en rejetant la défense de troubles mentaux, reconnaît qu’elle est applicable à l’infraction d’omettre de céder le passage en conduisant un véhicule automobile, contrairement au Code de la sécurité routière.

[70]        Dans R. c. P.R.L., 2013 ONCJ 322, le juge Quon, de la Cour de justice de l’Ontario, reconnaît lui aussi que la défense de troubles mentaux peut être opposée à une infraction de responsabilité stricte, en l’espèce, un changement de voies prohibé et un excès de vitesse. S’interrogeant sur la recevabilité de la défense, le juge Quon écrit ce qui suit, avant de conclure qu’elle est applicable, principalement en raison de la possibilité de contester l’aspect volontaire de l’actus reus :

85     However, since the defendant has not been charged with committing criminal offences, but regulatory offences then the issue is whether the mental disorder or automatism defences necessarily apply to all regulatory offences, especially since regulatory offences are comprised of all three category of offences established by the Supreme Court of Canada in R. v. Sault Ste. Marie[1978] 2 S.C.R. 1299, of mens rea, strict liability and absolute liability, and it is not clear whether the mental disorder or automatism defences would apply to strict liability and absolute liability offences, considering that the prosecution is not legally required to prove any mental element or mens rea in order to get a conviction for strict liability and absolute liability offences.

86     On the other hand, similar to criminal offences, the mental disorder and automatism defences should logically apply to regulatory offences that are of the mens rea category, although the special verdict of "not criminally responsible by reason of mental disorder", which is not a verdict of acquittal and which requires the accused person for a criminal offence to be detained usually in an institution until they are determined to be no longer a danger to the public, would not be an appropriate outcome for the regulatory sphere.

87     And, despite there being some bemusement about the applicability of the mental disorder and automatism defences to regulatory or public welfare offences, especially for strict and absolute liability offences, there has been comment and belief in academic writing that such defences should logically be available in the regulatory sphere for strict and absolute liability offences. One such commentary is found in the textbook, Criminal Law 5ed. (2012) (Toronto, Canada: Irwin Law Inc., 2012), at p. 222, in which Professor Kent Roach reasons that defences of automatism, mental disorder, or extreme intoxication could possibly apply to an absolute liability offence, because the nature of these defences would indicate that the accused acted in an involuntary manner that is inconsistent with proof of the actus reus [emphasis is mine below]:

A defence of honest or even reasonable mistake of fact will not be a defence to an absolute liability offence. Thus, an accused's subjective reliance on a faulty speedometer would not be a valid defence even if the reliance was reasonable. The defences of automatism, mental disorder, or extreme intoxication might possibly apply to an absolute liability offence, because they would indicate that the accused acted in an involuntary manner that is inconsistent with proof of the actus reus ...

88     Additionally, in the leading treatise on regulatory offences in Canada, Libman on Regulatory Offences in Canada (Salt Spring Island, B.C.: Earlscourt Legal Press Inc., 2002), Justice Libman at p. 5-28 (in update 8 — November 2006) had also commented that such defences as insanity, automatism, or duress are available even for offences of absolute liability [emphasis is mine below]:

The term absolute liability is commonly used to describe offences in which it is not open to an accused to avoid criminal liability on the ground that he or she acted under a reasonable mistake of fact which, if the facts had been as the accused believed them to be, would have made his or her act innocent. Even in offences of absolute liability, however, other defences such as insanity, automatism or duress are available.

89     However, Justice Libman in his textbook at p. 6-11 (in update 8 — November 2006) also commented that strict liability offences do involve a necessary mental element or a mental process connected to the actus reus or prohibited act, but that they do not require the prosecution or Crown to prove mens rea [emphasis is mine below]:

In R. v. Cooke, the court rejected the argument that the offence of careless driving could no longer be construed as an offence of strict liability, given the decision of the Supreme Court of Canada in R. v. Hundal[1993] 1 S.C.R. 867. The court held that while Hundal, a dangerous driving case, provides clarification in understanding the nature of the mental element for driving offences, Highway Traffic Act offences are not crimes, and thus should not be categorized as part of those offences requiring proof of mens rea. Strict liability offences "do involve a necessary mental element or a mental process connected to the actus reus or prohibited act", but they do not require the Crown to prove mens rea.

90     Moreover, in R. v. Daviault (1994), 93 C.C.C. (3d) 21 at 25 (S.C.C.), at paras. 7, 8, 9, and 11, Cory J. indicated that the mental aspect involved in willed or voluntary conduct may overlap to some extent in both the concept of mens rea and actus reus. He also provided an example of why a person could not be found guilty of committing a prohibited act if the person had not been consciously aware of committing the act, since the mental element involved in committing a willed voluntary act and the mental element of intending to commit the act would be absent. […]

[Extraits soulignés dans le jugement.]

[71]        Le juge a toutefois rejeté la défense qui, comme ici, se fondait sur la bipolarité de la défenderesse.

[72]        Au moins un autre juge d’une cour municipale a conclu à la recevabilité de cette défense, même si elle n’a pas mené au résultat escompté par la défenderesse : le juge Robert Beauséjour dans Joliette (Ville de) c. Paquin-Bergeron, 2010 QCCM 252.

[73]        Enfin, particulièrement lorsque l’automatisme en raison de troubles mentaux est invoqué, des tribunaux supérieurs se sont montrés ouverts à la recevabilité de la défense à l’encontre d’infractions de responsabilité stricte, parce qu’elle nie alors le caractère volontaire de l’actus reus : R. v. Metro News Ltd. [1986] O.J. 826 (Ont. C.A.).

[74]        Dans ces circonstances, je ne vois pas pourquoi la défense de troubles mentaux de l’art. 16 C.cr., que ce soit à titre de moyen de défense (au sens traditionnel) ou d’excuse (au sens complémentaire que lui donne le juge Lamer dans Chaulk) ne serait pas recevable en matière d’infractions de responsabilité stricte. Comme aucune loi ne prohibe cette défense, possibilité envisagée à l’art. 60 C.p.p., il faut conclure qu’elle est applicable, d’autant que sa raison d’être et ses objectifs sont tout à fait compatibles avec les principes sous-jacents aux infractions de responsabilité stricte.

[75]        D’ailleurs, j’estime que les propos tenus par le juge Dickson dans R. c. Sault Ste-Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299, en matière d’infractions contre le bien-être public et d’intention requise (« on répugne généralement à punir celui qui est moralement innocent ») sont transposables à la défense de troubles mentaux lorsqu’on veut l’opposer à une infraction de responsabilité stricte.

[76]        Le professeur Parent écrit aussi :

Comme l’indique ce passage emprunté à Stephen, la défense d’aliénation mentale agit en amont de la responsabilité pénale, comme une cause qui éteint le crime dans son principe essentiel. La responsabilité pénale, avons-nous dit, repose sur la présence d’un acte volontaire [au point de vue moral]. Or, l’acte volontaire [au sens moral] suppose un choix qui implique lui-même la notion de jugement rationnel. Donc l’aliénation mentale, en détruisant la faculté de juger de façon rationnelle et donc de faire un choix rationnel quant au caractère bon ou mauvais de l’acte, éclipse l’acte volontaire à la source de la responsabilité pénale. Une telle conceptualisation concorde, à notre avis, avec les principes généraux de la responsabilité pénale, notamment avec l’idée voulant que les personnes souffrant d’aliénation mentale ne répondent pas à certains postulats fondamentaux de notre système de droit pénal : à savoir que l’accusé est un être autonome et rationnel, capable de juger de la nature et de la qualité de l’acte ou de l’omission et de savoir que l’acte ou l’omission était mauvais.[3]

[Je souligne.]

[77]        Cette conceptualisation de la défense de troubles mentaux la rend applicable aux infractions de responsabilité stricte, qui renvoient à une norme objective, car on ne peut imposer la norme de la raisonnabilité à une personne qui ne possède pas elle-même l’autonomie et la faculté de raisonnement.

[78]        Une personne souffrant de troubles mentaux incapacitants ne peut être en mesure d’agir comme le ferait une personne diligente. Or, pour être acquitté, le défendeur doit démontrer qu’il a agi en personne diligente ou en raison d’une erreur raisonnable. Le moyen de défense est par conséquent recevable, puisqu’il explique pourquoi le défendeur ne peut faire cette démonstration ou encore pourquoi il ne peut être tenu responsable comme pourrait l’être une personne raisonnable.

[79]        En somme, qu’il s’agisse d’infractions de mens rea ou de responsabilité stricte, les troubles mentaux établissent que le défendeur ne répond pas à certains préceptes fondamentaux du droit criminel, ce qui mène à la non-responsabilité pénale.

[80]        Pour reprendre les mots de l’auteur Eugene Ewaschuck[4] : «An insane person, within the definition of s.16 of the Criminal Code, lacks the capacity, like an infant under 12 years of age […] to commit a crime». Or, un enfant ne peut pas être responsable pénalement, qu’il s’agisse d’une infraction de mens rea ou de responsabilité stricte.

[81]        Il n’y a donc aucune raison, qu’elle soit de droit ou de politique judiciaire, pour empêcher une personne souffrant de troubles mentaux de soulever son état mental afin d’établir l’absence de responsabilité pénale à une infraction de responsabilité stricte.

4) Des adaptations sont-elles nécessaires?

[82]        Je le rappelle : l’art. 60 C.p.p. précise que les moyens de défense et excuses du droit criminel sont recevables « compte tenu des adaptations nécessaires / adapted as required ». Quelles devraient être ici les adaptations nécessaires?

[83]        Les conditions de la défense de troubles mentaux sont définies à l’art. 16 C.cr. Par contre, ses conséquences (verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux) et les règles de preuve et de procédure qui s’appliquent sont décrites à la Partie XX.1 C.cr. Voyons ce qu’il en est.

[84]        La formulation de l’art. 16 C.cr., qui établit l’existence de deux formes distinctes d’incapacité (juger de la nature et de la qualité / savoir que l’acte est mauvais), a amené les tribunaux à parler du premier et du second volet de la défense de troubles mentaux : voir notamment R. c. Abbey, [1982]  2 R.C.S. 24 et R. c. Chaulk, précité. On sait que c’est dans ce contexte que l’appelante plaide les adaptations nécessaires.

[85]        Selon elle, en abordant la capacité de juger de la qualité de l’acte, les juges de la Cour du Québec et de la Cour supérieure ont indûment incorporé une notion de mens rea dans l’infraction de responsabilité stricte. Je ne partage pas son avis.

[86]        Comme l’intimé, je crois que le premier volet constitue un tout. L’appelante estime que ce premier volet contient deux critères qui devraient être scindés aux fins de l’analyse. Or, ce ne peut être le cas. Il faut démontrer à la fois l’incapacité de juger de la nature de l’acte et l’incapacité de juger de sa qualité, et non l’une ou l’autre. Comme le souligne le juge Lamer dans R. c. Landry, [1991] 1 R.C.S. 99, à la page 109, cela signifie en réalité que l’accusé était incapable de percevoir les conséquences matérielles de ses actes.

[87]        La décision de scinder le premier volet comme le veut l’appelante aurait deux conséquences néfastes.

[88]        D’une part, cela contredirait la volonté explicite du législateur. Je ne crois pas que, par adaptation nécessaire, l’on puisse dénaturer une défense au point de l’amputer de l’un de ses éléments fondamentaux et, par un exercice chirurgical, en faire disparaître un aspect important.

[89]        D’autre part, en biffant cet aspect de la défense, qui constitue l’une de ses exigences, on la rendrait recevable dans une série de situations où elle ne le serait normalement pas. Le premier volet comporte deux critères cumulatifs et exclure le second aurait pour conséquence de permettre la défense sans nécessité de le démontrer. Autrement dit, elle deviendrait encore plus accessible qu’elle ne l’est actuellement. 

[90]        Par ailleurs, l’exercice auquel nous convie l’appelante me paraît artificiel. Comment peut-on, de façon réaliste, retenir deux aspects de la défense et en rejeter un, alors qu’elle est le résultat d’une jurisprudence et de législations qui remontent à plus d’un siècle et qui ont tenté, dans la mesure du possible, de décrire avec acuité une question aussi difficile et délicate que celle des troubles mentaux? Je ne peux voir comment cela serait possible.

[91]        De plus, la distinction qui est faite par l’appelante ne tient pas compte, à mon avis, de la globalité de la question. Par exemple, sa proposition va à l’encontre des propos du juge LeBel, dans Bouchard-Lebrun, qui, je le rappelle, souligne que la volonté, la rationalité et le libre arbitre sont pertinents à la défense de troubles mentaux, tant sur le plan physique que sur le plan moral, et sous-tendent tous les aspects de la défense. En ce sens, la volonté, la rationalité et le libre arbitre ne peuvent être limités à la question de juger de la nature de l’acte; ils s’appliquent tout autant à celle de juger de sa qualité, ce qui ne permet donc pas de séparer les deux questions comme le voudrait l’appelante.

[92]        Elle contredit également les propos du juge Lamer, dans Chaulk, qui assimilent la défense à une excuse, à tout le moins dans son second volet. Cette excuse va bien au-delà des strictes questions de mens rea et d’intention et il est bien possible que le premier volet de l’art. 16 C.cr. puisse, dans certains cas, constituer lui aussi une forme d’excuse en raison de l’absence de libre arbitre.

[93]        En réalité, le concept même de troubles mentaux ne se prête pas aux distinctions invoquées par l’appelante et à la scission de premier volet de l’art. 16 C.cr. qu’elle propose.

[94]        De plus, il est inexact que les infractions de responsabilité stricte ne tiennent aucunement compte de l’état d’esprit du défendeur. Ainsi, la défense peut contrer la présomption d’intention en faisant valoir une erreur de fait fondée sur des motifs raisonnables. Or, pour ce faire, elle doit démontrer que le défendeur a cru subjectivement, mais erronément, pour des motifs raisonnables, à une situation de fait qui, si elle avait existé, l’aurait disculpé : R. c. Sault Ste-Marie, précité, p. 1326. Par conséquent, même si cet aspect de la défense (croyance et connaissance), qui s’apparente à la mens rea subjective, n’a pas à être prouvé par la poursuite, il peut néanmoins être validement soulevé par la défense. Dans ce contexte, la défense de troubles mentaux, qui s’intéresse à l’état d’esprit du défendeur, tout comme l’erreur de fait raisonnable, doit être admissible dans son entièreté et non de façon limitée.

[95]        On peut aussi considérer que la notion de diligence, même si elle est objective, recèle un volet plus subjectif lorsqu’il est question de troubles mentaux. En effet, dans le cas d’infractions de négligence pénale, quoique les caractéristiques personnelles du défendeur ne soient pas pertinentes, elles peuvent le devenir si elles établissent son incapacité « à apprécier le risque que comporte sa conduite » : R. c. Creighton, [1993] 3 R.C.S. 3, p. 66. Cette incapacité d’apprécier le risque peut être associée aux conséquences matérielles de l’acte. Par conséquent, même pour une infraction de responsabilité stricte, alors que la notion de négligence est en cause, les caractéristiques propres au défendeur, comme sa santé mentale, peuvent être pertinentes pour remettre en question sa capacité de juger des conséquences de l’acte. Ce principe, qui oblige, dans certains cas, à tenir compte des caractéristiques personnelles du défendeur, tend donc lui aussi à démontrer la recevabilité de la défense en cas d’infractions de responsabilité stricte.

[96]        En somme, que ce soit le premier volet ou encore le second, la défense de troubles mentaux est pertinente pour démontrer l’absence de responsabilité morale qu’exige une infraction de responsabilité stricte en niant la possibilité d’agir en personne raisonnable.

[97]        Tout cela ne signifie pas toutefois qu’aucune adaptation ne soit nécessaire. Je reviens maintenant à la Partie XX.1 C.cr.

5) Quelles devraient être les adaptations nécessaires?

[98]        Selon la Partie XX.1 C.cr., la défense de troubles mentaux n’entraîne pas l’acquittement. Elle conduit plutôt  à un verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux : art. 672.34 C.cr. La distinction est importante, puisque, contrairement à un acquittement, qui met fin aux procédures, l’accusé pourra être soumis à diverses ordonnances et assujetti ensuite aux décisions de la commission d’examen dont les pouvoirs, au Québec, sont exercés par le Tribunal administratif du Québec.

[99]        Le Code de procédure pénale ne prévoit pas, quant à lui, un tel verdict. En effet, selon l’art. 219, le juge acquitte le défendeur, le déclare coupable ou rejette la poursuite. Il y a donc une différence importante entre les deux régimes, différence sur laquelle je reviendrai.

[100]     Par ailleurs, il y a un autre aspect de la Partie XX.1 C.cr. qui mérite l’attention : les procédures judiciaires subséquentes au verdict de non-responsabilité et l’administration de la preuve.

[101]     Ainsi, la cour qui a rendu le verdict de non-responsabilité peut tenir une audience pour déterminer la décision appropriée entre la libération de l’accusé, inconditionnelle ou selon diverses modalités, et une ordonnance de détention dans un hôpital : art. 672.45 (1) C.cr. Si la cour ne le fait pas, ce sera à la commission d’examen de le faire : art. 672.47 (1) C.cr. Dans le présent dossier, le juge de la Cour du Québec a considéré qu’il devait le faire et, convaincu de l’absence de dangerosité de l’intimé, l’a libéré inconditionnellement.

[102]     Le Code procédure pénale ne traite pas spécifiquement de ces questions.

[103]     Il faut donc déterminer, d’un côté, si le verdict de non-responsabilité pour cause de troubles mentaux peut être rendu selon le Code de procédure pénale et, d’un autre côté, si les autres dispositions de la Partie XX.1 C.cr. s’appliquent, que ce soit intégralement ou partiellement.

[104]     Je rappelle que l’art. 60 C.p.p. édicte le principe que les défenses et excuses en matière criminelle sont recevables. Il ajoute toutefois « compte tenu des adaptations nécessaires ». L’incorporation de toute la Partie XX.1 C.cr. au Code de procédure pénale peut-elle être considérée comme une conséquence du renvoi à la matière criminelle ou même comme une adaptation nécessaire?

[105]     J’aborderai la question en deux temps. D’abord, le verdict et ses effets; ensuite, les règles de preuve et de procédure.

[106]     Avant d’aller plus loin, la dimension historique mérite toutefois d’être abordée.

[107]     L’art. 60 C.p.p. a été adopté le 17 décembre 1987 et est entré en vigueur le 1er octobre 1990. Comme la technique du renvoi externe (renvoi à une disposition d’un autre texte de loi ou d’un principe de Common law) est utilisée, on peut se demander si l’on doit « considérer le renvoi comme statique et figé ou comme évolutif et dynamique » : Pierre-André Côté, Interprétation des lois [5]. Autrement dit, le renvoi se limite-t-il à la loi ou aux principes de Common Law tels qu’ils étaient en 1987 ou en 1990, ou encore tels qu’ils sont aujourd’hui, avec les modifications survenues depuis?

[108]     Le professeur Côté rappelle, au paragr. 301 de son ouvrage, que, si la tendance traditionnelle était de considérer le renvoi comme fermé, ou figé dans le temps, cette interprétation ne correspond plus aux pratiques législatives actuelles. Par contre, cela ne répond pas à la question de savoir si, en 1987 ou en 1990, le législateur québécois voulait que les modifications ultérieures s’appliquent. Il faut, pour y répondre, procéder au « diagnostic de la volonté législative », en tenant compte de tous les facteurs, dont l’objectif du renvoi, le renvoi à une loi adoptée par un auteur distinct, le libellé de la disposition, sa nature et sa raison d’être : Interprétation des lois, précité, note 5, paragr. 300 et 303.

[109]     Je le rappelle : l’art. 60 C.p.p. renvoie aux moyens de défense et aux justifications « en matière criminelle », tout en précisant qu’il doit être tenu compte des « adaptations nécessaires ».

[110]     Le droit criminel (ou la « matière criminelle ») est en constante évolution, que ce soit les lois ou les règles de la Common Law. À elle seule, cette mention de « la matière criminelle » favorise l’interprétation dynamique, puisque, comme le précise encore le professeur Côté, si l’on renvoie à un texte ou un principe « qui énonce le droit commun […]  ce type de renvoi commande de le réputer évolutif, sous peine de faire perdre à la loi passive son caractère de droit commun » : paragr. 303. D’ailleurs, Me Herbert Marx, alors ministre de la Justice du Québec, répondant aux questions des parlementaires, indiquait que les règles de la Common Law étaient incorporées au Code de procédure pénale par l’art. 60[6].

[111]     L’emploi de l’expression « adaptations nécessaires » suscite le même raisonnement, quoique, là encore, il faudra en déterminer l’ampleur.

[112]     Dans ce contexte, une seule conclusion s’impose : le renvoi prévu à l’art. 60 C.p.p. constitue un renvoi dynamique et les modifications ultérieures à la « matière criminelle » sont applicables.

[113]     Qu’en est-il maintenant de ce renvoi? Quelle est son ampleur? À quelles dispositions du droit criminel le législateur québécois voulait-il référer en 1987 ou 1990? À cet égard, même si les modifications postérieures s’appliquent, encore faut-il savoir à quelles dispositions l’art 60 C.p.p. nous renvoie pour déterminer quelles sont les modifications ultérieures qui doivent recevoir application.

[114]      La Partie XX.1 C.cr. n’est entrée en vigueur que le 4 février 1992. L’art. 60 C.p.p. ne pouvait donc, en 1987 ou 1990, renvoyer spécifiquement à cette partie. Ce ne serait qu’à titre de modification législative subséquente que cette partie pourrait s’appliquer et encore, seulement s’il s’agit d’une modification à une disposition à laquelle l’art. 60 C.p.p. renvoyait.

[115]     Avant 1992, les dispositions du Code criminel en matière de troubles mentaux étaient fort limitées. On parlait d’aliénation mentale et d’acquittement pour cause d’aliénation mentale : art. 16 et 542 C.cr. L’art. 16 C.cr. retenait une définition de l’aliénation mentale qui est similaire à celle des troubles mentaux de l’actuel art. 16 : « […] incapable de juger la nature et la qualité d'un acte ou d'une omission, ou de savoir qu'un acte ou une omission est mauvais / …incapable of appreciating the nature and quality of an act or omission or of knowing that an act or omission is wrong ». L’accusé pouvait interjeter appel même s’il y avait « acquittement » (art. 603(2)b) C.cr.). Par ailleurs, en raison de cet acquittement, le plaidoyer spécial d’autrefois acquit était nécessairement recevable. En tenant compte des principes d’interprétation décrits plus haut, il me semble acquis que le législateur québécois voulait renvoyer à ces disposions en adoptant l’art. 60 C.p.p.

[116]     Quant aux conséquences du verdict d’acquittement pour cause d’aliénation mentale, avant 1992, elles étaient pour le moins drastiques : l’accusé ne pouvait être laissé en liberté et devait être détenu « sous une garde rigoureuse » jusqu’à ce que soit connu le bon plaisir du lieutenant-gouverneur : art. 542(2) et 545(1) C.cr. Bref, une détention d'une durée indéterminée relevant du seul bon vouloir de l'État. Tout le régime que l’on connaît maintenant sous le vocable de Partie XX.1 C.cr. tenait en quelques articles et faisait bien peu de cas des droits individuels des accusés soufrant d’aliénation mentale. Il n’est pas étonnant que la disposition ait été invalidée par la Cour suprême dans R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933.

[117]     En considérant la nature du renvoi prévu à l’art. 60 C.p.p., ses objectifs et son contexte, je suis convaincu que le législateur québécois ne voulait pas qu’un défendeur soit automatiquement détenu sous garde rigoureuse au bon plaisir du lieutenant-gouverneur dès qu’il serait acquitté pour cause d’aliénation mentale d’une infraction provinciale. Le résultat aurait été absurde, en ce que les infractions provinciales ne sont généralement pas de nature à exiger une telle détention.

[118]     En résumé, pour déterminer si la Partie XX.1 C.cr. s’applique, en tout ou en partie, il faut savoir que, lors de son adoption, l’art 60 C.p.p. renvoyait nécessairement à la notion d’aliénation mentale, au verdict d’acquittement pour cause d’aliénation mentale, à la possibilité pour l’accusé (ou le défendeur) d’interjeter appel et au droit d’invoquer le plaidoyer spécial d’autrefois acquit. Par contre, il ne pouvait renvoyer aux autres dispositions que l’on retrouve maintenant à la Partie XX.1 C.cr., puisqu’elles n’existaient pas. Il faut alors se demander si cette partie doit néanmoins s’appliquer, en tout ou en partie, à titre de modification postérieure à l’entrée en vigueur de l’art. 60 C.p.p. Dans le contexte, cet article ne pouvait en toute logique renvoyer aux graves conséquences d’un verdict d’acquittement pour cause d’aliénation mentale sur les droits des défendeurs à qui on reprochait uniquement la perpétration d’une infraction provinciale. Si le législateur ne voulait pas que le Code criminel soit applicable sous cet aspect, il ne pouvait vouloir davantage que les modifications ultérieures le soient.

[119]     Par conséquent, le verdict (ou le jugement) de non-responsabilité pour cause de troubles mentaux, mentionné à l’art. 672.34 C.cr., doit être retenu. Comme l’art. 60 C.p.p. renvoyait à l’acquittement pour cause de troubles mentaux, il me semble aller de soi que le concept de non-responsabilité pour cause de troubles mentaux, qui en est le successeur, doit s’appliquer selon la théorie du caractère évolutif du renvoi en question.

[120]     À mon avis, il serait pernicieux de maintenir le verdict d’acquittement pur et simple, comme le prévoit l’art. 219 C.p.p.

[121]     D’abord, la réalité judiciaire accepte l’idée d’un verdict de non-responsabilité en cas d’infractions provinciales. Ainsi, certains juges n’ont pas hésité à rendre un tel verdict. C’est le cas par exemple du juge de la Cour du Québec dans le présent dossier. Ce fut aussi le cas dans Ville de l’Ancienne-Lorette c. Lachance, précité. 

[122]     Par contre, il me faut souligner que les auteurs Nouraie et St-Jacques favorisent un verdict d’acquittement pur et simple. Ils écrivent :

Nous considérons ainsi que si la défense d'automatisme avec troubles mentaux à l'égard d'une infraction pénale était acceptée par un juge, un verdict d'acquittement s'imposerait tout autant. […]

Autrement, le résultat serait souvent disproportionné. On imagine mal, par exemple, qu'une personne soit détenue dans un hôpital psychiatrique alors qu'elle était seulement passible d'une amende de quelques centaines de dollars. De plus, d'autres mécanismes sont prévus par la loi lorsque des personnes posent un danger pour elles-mêmes ou pour autrui. […][7]

[Je souligne.]

[123]     C’est donc en raison des impacts disproportionnés d’un verdict de non-responsabilité, en particulier la possibilité d’un internement,  que ces auteurs favorisent le verdict d’acquittement. Pourtant, dans l’état actuel des choses, le reste de la Partie XX.1 C.cr. ne devrait pas s’appliquer en matière provinciale, ce qui est de nature à annihiler les craintes des deux auteurs.

[124]     Ensuite, un verdict de non-responsabilité reflète davantage la réalité qu’un simple acquittement. Après tout, le défendeur a commis l’infraction, même s’il n’en est pas responsable pénalement, de sorte que l’acquittement pur et simple serait contraire à la réalité. Tronquer la vérité en raison de l’absence de dispositions spécifiques dans le Code de procédure pénale prévoyant le verdict de non-responsabilité pénale pour cause de troubles mentaux serait une manœuvre injustifiée, surtout que le législateur fait référence à des adaptations nécessaires, autorisant ainsi les tribunaux à importer ce type de verdict, ou de jugement, en droit pénal québécois.

[125]     Dans ce contexte, je vois mal pourquoi le législateur québécois aurait accepté d’incorporer ce moyen de défense sans y inclure le verdict qui lui est associé en droit criminel. Il y aurait là un hiatus difficilement explicable.

[126]     Il en est de même des effets d’un tel verdict, soit la possibilité de plaider autrefois acquit (art. 672.35 C.cr.) ou de porter la décision en appel, comme le prévoient par exemple les art. 675(3) et 676(1)a) C.cr.

[127]     Voilà pourquoi le verdict de non-responsabilité pénale pour cause de troubles mentaux est une adaptation nécessaire. Sans cette adaptation, le verdict perd son sens et ne reflète aucunement le constat fait par le tribunal. Je précise aussi que le qualificatif « pénale » n’est pas qu’une figure de style. Il est là pour assurer la distinction généralement reconnue entre le droit criminel fédéral et le droit pénal provincial.

[128]     En revanche, comme je l’ai mentionné précédemment, j’estime qu’il y a lieu d’exclure le reste de la Partie XX.1 C.cr. qui réglemente la preuve et la procédure.

6) Le reste de la Partie XX.1 C.cr.

[129]     Il est vrai que cette partie du Code criminel, qui constitue une forme de « code de procédure » propre aux verdicts de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux (je ne m’attarde évidemment pas aux articles qui s’intéressent à l’aptitude à subir un procès), est intimement liée au verdict lui-même. Ainsi, tant la société que l’accusé sont protégés grâce au mécanisme élaboré par cette partie, malgré le verdict de non-responsabilité. Il faut toutefois souligner que cette partie a été conçue dans le contexte d’infractions criminelles, en ayant à l’esprit la possibilité que l’accusé constitue un risque important pour la sécurité du public, notamment en raison de la violence de son comportement et du danger qu’il constitue.

[130]     J’ai déjà mentionné être d’avis que ces dispositions ne font pas partie des modifications applicables selon la théorie de caractère évolutif du renvoi, et ce, en raison de l’absence de renvoi aux dispositions analogues en vigueur avant 1992.

[131]     J’ajoute que le danger que représente un défendeur en droit pénal provincial est différent et généralement de moindre importance que le risque que fait courir à la société l’accusé qui a commis une infraction criminelle, notamment de violence, tout en souffrant de troubles mentaux. C’est d’ailleurs ce que laisse entendre le juge Quon dans P.R.L., précité :

86     On the other hand, similar to criminal offences, the mental disorder and automatism defences should logically apply to regulatory offences that are of the mens rea category, although the special verdict of "not criminally responsible by reason of mental disorder", which is not a verdict of acquittal and which requires the accused person for a criminal offence to be detained usually in an institution until they are determined to be no longer a danger to the public, would not be an appropriate outcome for the regulatory sphere.

[Je souligne.]

[132]     Je ne prétends pas que cette partie du Code criminel ne pourrait jamais s’appliquer. En revanche, le droit tel qu’il est, plus spécifiquement la Loi sur la justice administrative (RLRQ, c J-3), rend à mon avis la chose impraticable. En effet, aux fins de l’application de la Partie XX.1 C.cr., il doit y avoir une « commission d’examen » constituée ou désignée en vertu de l’art. 672.54 c) C.cr. : art. 672.1 C.cr. Au Québec, c’est la Loi sur la justice administrative qui désigne la commission d’examen. Or, selon l’art. 19 de cette Loi, et l’art. 2.1 de l’Annexe 1, c’est la section des affaires sociales du Tribunal administratif du Québec qui est désignée « comme étant une commission d'examen au sens des articles 672.38 et suivants » du Code criminel pour traiter des « mesures visant un accusé qui a fait l’objet d’un verdict de non-responsabilité criminelle ». En d’autres termes, le législateur québécois a précisé que la compétence du Tribunal administratif, à titre de commission d’examen, est limitée au Code criminel, ou, à tout le moins, il ne lui a pas accordé de manière spécifique la compétence de traiter de verdicts de non-responsabilité pénale prononcés à l’égard d’infractions provinciales.

[133]     Dans les circonstances, il n’y a pas lieu d’imposer en droit québécois, à titre d’adaptation nécessaire, un régime strict, complexe et onéreux, adopté par le législateur fédéral dans un contexte fort différent, sans que le législateur québécois l’ait décidé et sans qu’une commission d’examen ait été spécifiquement constituée ou désignée par celui-ci. De plus, toujours en droit québécois, un régime législatif existe déjà pour assurer, du moins partiellement, la protection du public, notamment l’art. 27 C.c.Q., dont le premier alinéa prévoit que :

 

 

27. S'il a des motifs sérieux de croire qu'une personne représente un danger pour elle-même ou pour autrui en raison de son état mental, le tribunal peut, à la demande d'un médecin ou d'un intéressé, ordonner qu'elle soit, malgré l'absence de consentement, gardée provisoirement dans un établissement de santé ou de services sociaux pour y subir une évaluation psychiatrique. Le tribunal peut aussi, s'il y a lieu, autoriser tout autre examen médical rendu nécessaire par les circonstances. Si la demande est refusée, elle ne peut être présentée à nouveau que si d'autres faits sont allégués.

 

1991, c. 64, a. 27; 1997, c. 75, a. 30.

27. Where the court has serious reasons to believe that a person is a danger to himself or to others owing to his mental state, it may, on the application of a physician or an interested person and notwithstanding the absence of consent, order that he be confined temporarily in a health or social services institution for a psychiatric assessment. The court may also, where appropriate, authorize any other medical examination that is necessary in the circumstances. The application, if refused, may not be submitted again except where different facts are alleged.

 

 

1991, c. 64, a. 27; 1997, c. 75, s. 30.

 

[134]     Cette disposition n’est toutefois pas entièrement satisfaisante lorsqu’il est question de non-responsabilité pénale. En effet, on peut se demander ce qu’il adviendra s’il paraît, pour des motifs sérieux, au moment du jugement, que le défendeur souffre toujours de troubles mentaux et qu’il pourrait représenter un danger pour lui-même ou pour autrui. Une personne intéressée, au sens de l’article 27, pourrait-elle présenter une demande au juge, si ce dernier est par ailleurs juge de la Cour du Québec (art. 36.2 al. 1 C.c.Q.)? Sur quel fondement? Qu’en serait-il devant un juge d’une cour municipale autre que celle de Montréal, Québec ou Laval ou encore s’il n’y a pas urgence (art. 36.2 al. 2 C.c.Q.)? L’avocat de la poursuite pourrait-il être une personne intéressée? Bref, de multiples questions auxquelles les tribunaux pourraient devoir répondre.

[135]     Il serait souhaitable, me semble-t-il, que le législateur précise son intention en vue d’assurer la protection tant des défendeurs que celle du public. On peut penser, selon les circonstances, à un avis destiné à un organisme de régulation (par exemple la SAAQ, lorsqu’une infraction au Code de la sécurité routière a été commise) ou à un ordre professionnel, en cas d’infraction perpétrée par un membre de l’Ordre. Les possibilités sont innombrables, mais c’est au législateur d’en décider.

[136]     En somme, j’estime que l’application de la défense de troubles mentaux se termine au moment du verdict de non-responsabilité et que la procédure de la Partie XX.1 C.cr. n’a pas à être suivie, sauf, pour me répéter, en ce qui a trait aux art. 672.34 et 674.35 C.cr. Si le législateur québécois le désire, il pourra toujours rendre applicable l’entièreté ou une portion de la Partie XX.1 C.cr., ou encore légiférer autrement, ce qu’il a d’ailleurs fait par les art. 20 à 22 de la Loi sur la protection des personnes dont l'état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui, chap. P-38.001 RLRQ.

VI - L’IMPACT DE L’ARRÊT LA SOUVERAINE c. AMF

[137]     Comme mentionné précédemment, la Cour s’est interrogée sur l’impact que pourrait avoir l’arrêt prononcé par la Cour suprême dans La Souveraine c. AMF, [2013] 3 R.C.S. 756, en raison de l’utilisation des mots « a aidé » dans les chefs d’accusation. Cette notion d’aide émane de l’art. 208 LVM et les trois paragraphes de l’arrêt La Souveraine qui suivent sont particulièrement pertinents :

44     La Cour d’appel du Québec, dans l’arrêt Demers c. Autorité des marchés financiers2013 QCCA 323, s’est prononcée récemment sur une disposition qui établit un mode de participation à la commission d’une infraction plutôt qu’une infraction autonome. Il s’agit de l’art. 208 de la Loi sur les valeurs mobilières, L.R.Q., ch. V-1.1 (« LVM »), qui se lit comme suit :

208. Celui qui, par son acte ou son omission, aide quelqu’un à commettre une infraction est coupable de cette infraction comme s’il l’avait commise lui-même. Il est passible des peines prévues à l’article 202, 204 ou 204.1 selon les infractions en cause.

La même règle s’applique à celui qui, par des encouragements, des conseils ou des ordres, amène quelqu’un à commettre une infraction.

45     Compte tenu de son arrêt dans la présente affaire, la Cour d’appel aurait pu conclure dans Demers que l’art. 208 de la LVM édicte une infraction de responsabilité stricte. Une telle conclusion aurait pu s’imposer au motif qu’à l’instar de l’art. 482 de la LDPSF, l’art. 208 de la LVM n’exige pas la preuve d’une mens rea spécifique, contrairement à l’al. 21(1)b) du Code criminel.

46     Or, la Cour d’appel a rejeté cet argument et en est arrivée à la conclusion qu’elle n’avait pas à statuer sur la nature de l’infraction définie à l’art. 208 de la LVM. En fait, puisque la preuve au dossier était suffisante pour établir hors de tout doute raisonnable l’intention spécifique de la partie en cause d’« aide[r] quelqu’un à commettre une infraction » au sens de cette disposition, une déclaration de culpabilité était justifiée. Néanmoins, la Cour d’appel a pris la peine de souligner qu’il y avait une distinction importante à faire entre l’infraction définie à l’art. 208 de la LVM et celle dont il est question dans la présente affaire (Demers, par. 54-56) :

Contrairement à l’article 482 [LDPSF], l’article 208 LVM édicte un mode de participation et non une infraction autonome. L’article 208 LVM est plus proche, en ce sens, de l’article 21(1)b) C.cr. que de la disposition visée dans La Souveraine.

On notera que l’article 208 LVM précise que le complice est coupable de l’infraction commise par l’acteur principal « comme s’il l’avait commise lui-même/as if he had committed it himself ». En revanche, l’article 482 [LDPSF] prévoit que l’assureur qui se livre au comportement visé est coupable d’« une infraction/an offence », infraction distincte de celle commise par l’acteur principal. L’article 208 est donc un simple mode de participation […] et non d’une « infraction » en elle-même.

Notons, de plus, que la [LDPSF] comporte une disposition pratiquement identique à celle prévue à l’article 208 LVM - l’article 491[LDPSF]. Comme le fait l’article 208 LVM, cet article définit un mode de participation qui rend le complice coupable de la même infraction que le contrevenant principal, « comme s’il l’avait commise lui-même/as if the person had committed it himself ». Ce dernier texte, cousin de l’article 208 LVM, n’a nullement été soulevé dans La Souveraine pour fonder la responsabilité de l’assureur. Les différences entre l’article 208 LVM et l’article 482 [LDPSF] suffisent pour conclure que l’arrêt de cette Cour dans La Souveraine ne peut servir de précédent dans la présente affaire.

47     En somme, le texte de l’art. 482 de la LDPSF, en créant une infraction distincte, se démarque de celui des art. 208 de la LVM et 491 de la LDPSF, lesquels créent des modes de participation qui ressemblent davantage à ce qu’édicte l’al. 21(1)b) du Code criminel (voir aussi les motifs de la Cour d’appel, par. 41-44, le juge Dalphond, dissident, mais pas sur cette question). Il s’ensuit que l’infraction définie à l’art. 482 de la LDPSF n’a pas à être assujettie à la règle de common law selon laquelle la preuve de mens rea demeure requise en cas d’infractions de complicité.

[138]     On pourrait donc légitimement se poser la question : en édictant un mode de participation pénale plutôt qu’une infraction autonome, l’art. 208 LVM s’apparente-t-il davantage à l’art. 21 (1)b) C.cr. et exige-t-il en conséquence la preuve de la mens rea de connaissance et d’intention spécifique d’aider? Une telle conclusion serait évidemment déterminante sur la question de savoir si la défense de troubles mentaux s’applique.

[139]      La question est assurément intéressante. Elle a toutefois été posée avant une analyse complète de la situation et donc avant de conclure à la recevabilité de la défense à l’encontre d’infractions de responsabilité stricte. Autrement dit, il n’est pas nécessaire d’y répondre étant donné que la défense est admissible de toute façon. Je note toutefois que le juge Champoux, de la Cour du Québec, a souligné la distinction entre l’art 21 (1)b) C.cr. et l’art. 208 LVM, en ce que, contrairement au premier, ce dernier ne prévoit pas que l’accusé doive avoir accompli ou omis d’accomplir quelque chose en vue d’aider l’auteur principal : AMF c. Chaussé, 2015 QCCQ 7527, paragr. 40. Cette différence est en effet importante. Quoique ce jugement portait sur l’art. 491 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers, RLRQ, c. D-9.2, la similitude entre les art. 208 et 491 explique ce propos du juge Champoux. 

VII - LE VERDICT DE NON-RESPONSABILITÉ ÉTAIT-IL FONDÉ SUR UNE ERREUR DE DROIT?

[140]     En vertu de l’art. 291 C.p.p., le présent appel ne peut être accueilli que si l’appelante démontre une erreur de droit. Il va par ailleurs de soi que l’erreur, s’il en est, doit être suffisamment importante pour justifier l’intervention de la Cour : art. 313 et 286 al. 2 C.p.p.

[141]     Je précise que l’erreur de droit doit être celle du juge de la Cour supérieure, puisque le présent appel porte sur ce jugement, et non sur celui de la Cour du Québec.

[142]      Une autre particularité mérite d’être soulignée. En appel à la Cour supérieure, la poursuite n’est pas limitée à des questions de droit. L’art. 286 C.p.p. édicte que le juge de la Cour supérieure accueille l’appel « s'il est convaincu par l'appelant que le jugement rendu en première instance est déraisonnable eu égard à la preuve, qu'une erreur de droit a été commise ou que justice n'a pas été rendue / if he is satisfied by the appellant that the judgment rendered in first instance is unreasonable, considering the evidence, that an error in law has been made or that justice has not been rendered ». Cette règle s’applique aux deux parties, de sorte que la poursuite peut interjeter appel sur des questions de fait.

[143]     Si, lors d’un appel en droit criminel à la Cour d’appel (art. 676 (1) C.cr.), le poursuivant est limité à des questions de droit (et l’on sait que le verdict déraisonnable n’est pas une question de droit quand il est invoqué par la poursuite : R. c. Biniaris, [2000] 1 R.C.S. 381), cela n’est pas vrai en droit pénal lors de l’appel en Cour supérieure. En d’autres termes, contrairement au droit criminel, la poursuite peut interjeter un premier appel en droit pénal en invoquant l’erreur de fait manifeste et dominante ou encore, le caractère déraisonnable d’un jugement d’acquittement, dans les limites toutefois et avec les difficultés reconnues par la jurisprudence : notamment, R. c. Schuldt, [1985] 2 R.C.S. 592 et R. Biniaris, précité, paragr. 33. C’était le deuxième argument invoqué par l’appelante. Le premier reprochait au juge de la Cour du Québec d’avoir « erré en droit relativement aux critères applicables à la défense » de troubles mentaux.

[144]     En conséquence, si le juge de la Cour du Québec avait erré en identifiant les facteurs à prendre en considération à l’égard d’une défense de troubles mentaux, il y aurait erreur de droit, puisqu’il aurait apprécié la preuve en se fondant sur de mauvais principes juridiques : R. c. J.M.H., [2011] 3 R.C.S. 197, paragr. 29. L’appel devrait donc être accueilli, sauf si cette erreur était sans conséquence. En l’espèce, elle serait évidemment déterminante.

[145]     De plus, comme le fardeau de démontrer la défense de troubles mentaux était celui de l’intimé, il s’agit de l’un de ces rares cas où, pour paraphraser R. c. J.M.H., précité, paragr. 30, il est permis de « dire en droit qu'il y a absence de preuve qui puisse permettre au tribunal de déclarer » le défendeur non responsable, la présomption d’innocence n’ayant pas à être réfutée sur cette question. Voilà donc une deuxième erreur de droit qui peut être invoquée ici.

[146]     Pour cette raison, je suis d’avis d’accueillir la demande de permission d’appeler en ce qui a trait au second moyen d’appel soulevé par l’appelante et dont j’ai fait état précédemment. Au regard de l’ensemble du dossier, il y a là une question de droit à débattre.

[147]     Revenons maintenant aux erreurs de droit.

[148]     Le juge de la Cour du Québec a conclu que l’intimé « était incapable de juger les conséquences matérielles de ses actes » au moment où il a, de mars à juin 2005, posé les gestes reprochés.

[149]     Examinons de façon plus précise comment il en arrive à cette conclusion.

[150]     Il cite d’abord un extrait de R. c. Cooper, [1980] 1 R.C.S. 1149, dans lequel le juge Dickson écrit :

Avec égards, j'accepte l'opinion qu'en employant le mot "juger", la première partie du critère introduit une exigence qui s'ajoute à la simple connaissance de la qualité matérielle de l'acte. L'exigence, propre au Canada, est celle de la perception, une capacité de percevoir les conséquences, les répercussions et les résultats d'un acte matériel. Un accusé peut être conscient de l'aspect matériel de son acte (c.-à-d., la strangulation) sans nécessairement pouvoir juger que, par sa nature et sa qualité, cet acte entraînera la mort d'un être humain.

[151]     En effet, pour le premier volet de l’art. 16 C.cr., la simple connaissance ne suffit pas. Il faut être en mesure de juger, de comprendre les conséquences matérielles de ses actes. Le juge Dickson donne l’exemple de la strangulation. L’accusé pouvait savoir qu’il étranglait sa victime, sans nécessairement comprendre que cela signifiait le décès de cette dernière.

[152]     Pour entraîner la non-responsabilité, il ne faut donc pas uniquement se demander si l’accusé savait, mais surtout s’il était capable de juger, d’analyser les aspects matériels de ses gestes, leur caractère physique et leurs conséquences matérielles, d’en mesurer et d’en prévoir les conséquences.

[153]     J’ajoute que le passage cité de Cooper par le juge de la Cour du Québec comporte aussi la phrase suivante à la fin de l’extrait :

Il s'agit simplement d'une réitération, propre à la défense d'aliénation mentale, du principe que la mens rea, ou l'intention relativement aux conséquences d'un acte, est un élément nécessaire dans la perpétration d'un crime.

[154]     Ces deux extraits indiquent que c’est par rapport aux conséquences matérielles de l’acte (par exemple le décès) qu’il faut rechercher la capacité d’analyse, et non au regard d’un mobile ou d’un objectif louable. Or, je suis d’avis que c’est là une des erreurs qu’a commises le juge de la Cour du Québec en retenant ce facteur. Voici pourquoi.

[155]     Le juge explique sa conclusion de la façon suivante :

[24]        Dans le présent cas, il est indéniable que M. P..., de son aveu même, était conscient de l'aspect matériel de ses actes en ce sens que, durant les années 2003 à 2006, il savait qu'il utilisait des sommes variant entre 700 000$ et 1 000 000$ appartenant à ses clients pour effectuer des transactions sur des contrats à terme ou sur des options. Il était également conscient d'utiliser entre 2 000 000.$ et 2 300 000.$ de leurs fonds pour financer les opérations de Planiges et de leur envoyer de faux rapports trimestriels. Enfin, il a consciemment contrevenu à l'engagement signé le 11 mars 2005 à l'égard de l'Autorité des marchés financiers. Cependant, même s'il connaissait la qualité matérielle de ses gestes, pouvait-il en percevoir les conséquences?

[25]        Le docteur Larouche, le médecin traitant de M. P..., a affirmé que le jugement de son patient était "déficitaire". Il a donné en exemple les épisodes de conduite automobile à très haute vitesse relatés par M. P.... Selon le docteur Larouche, M. P... savait que ces agissements étaient dangereux, mais s'y livrait quand même, convaincu de sa capacité de le faire et donc de l'absence de conséquences.

[26]        Quant au docteur Turcotte qui a témoigné à titre de psychiatre expert, il a affirmé que le jugement du défendeur était perturbé et altéré par sa maladie bipolaire. Il a donné l'exemple du joueur compulsif qui est conscient du caractère irrationnel de sa conduite, mais est néanmoins convaincu de son succès.

[27]        Il est indubitable que la conduite du défendeur était affectée par sa maladie bipolaire. Son obsession était de permettre à ses clients de recouvrer leurs actifs même si les pertes qu'ils avaient encourues ne lui étaient nullement imputables. Il était manifestement certain de rétablir complètement la situation par ses manœuvres financières illégales, et la finalité de ses agissements ne posait aucun doute dans son esprit. L'exemple de l'épisode au cours duquel M. P... distribua une somme d'argent faramineuse à des gens sur la rue dans le but "d'aider les pauvres", sans se soucier de sa propre capacité financière, est particulièrement révélateur.

[28]        La défense a donc établi par prépondérance des probabilités que le défendeur était incapable de juger les conséquences matérielles de ses actes lorsqu'il a posé, en 2005, les gestes qui lui sont reprochés aux chefs d'accusation 1 à 81 inclusivement et 84 à 89 inclusivement. Toutefois, les deux psychiatres n'ont fait état de l'étendue réelle de la maladie de M. P... et de ses implications que pour les années 2003 à 2006. Aucune preuve ne permet donc de conclure de façon prépondérante que sa  maladie bipolaire a amené le défendeur à vendre des actions de Corporation de gestion et de recherche Zénith à M. Anthony Halfacre en 1999 sans prospectus et sans être inscrit comme courtiers en valeur auprès de la Commission des valeurs mobilières du Québec, comme la Poursuivante le lui reproche aux chefs d'accusation 82 et 83.

[Je souligne.]

[156]     En somme, l’intimé connaissait la nature de ses gestes et était en mesure de juger leurs conséquences matérielles, plus particulièrement le fait que, en falsifiant les états trimestriels, il transmettait des informations fausses à quelque 80 clients. Il savait aussi que ses clients croyaient en la véracité de ces états, ce qui les amenait d’ailleurs à maintenir leurs relations d’affaires avec lui. Malgré cela, selon le juge, il ne pouvait percevoir les conséquences de ses actes. Pourquoi? Parce qu’il avait un objectif louable, méritoire : « sauver les investisseurs », selon les mots du psychiatre, ou « leur permettre de recouvrer leurs actifs », selon les mots du juge.

[157]     Bref, la finalité des manœuvres illégales de l’intimé était la santé financière de ses clients et cela démontrerait qu’il ne pouvait percevoir les conséquences matérielles de ses actes. Or, avec égards, cela n’est pas le test approprié. Pas plus d’ailleurs qu’un mobile charitable ne permet de nier l’existence de la mens rea spécifique de frauder ou de voler.

[158]     À mon avis, le juge a confondu l’objectif recherché, la finalité de l’acte, avec la capacité de juger de la nature et de la qualité d’un acte, particulièrement ses conséquences. Cela constitue ici une erreur de droit.

[159]     Comme le rappelle le juge, l’intimé a, pendant plus de trois ans, sinon cinq, rédigé ou fait rédiger de faux rapports trimestriels et a ensuite consciemment contrevenu à son engagement. Comment conclure alors qu’il n’avait pas la capacité de percevoir les conséquences matérielles de ses actes, soit la transmission de fausses données, alors qu’il avait justement l’intention d’induire ses clients en erreur et de les maintenir dans l’ignorance afin qu’ils n’abandonnent pas le navire?

[160]     L’intimé savait ce qu’il faisait, savait que la conséquence était la transmission de fausses informations et était en mesure d’en juger. Il percevait clairement quelle serait la réaction de ses clients, une autre conséquence de la transmission de faux renseignements, c’est-à-dire qu’ils ne quitteraient pas son entreprise. Il était donc capable de percevoir les conséquences d’avoir produit et transmis des documents contenant de fausses informations. En fait, c’est exactement ce qu’il voulait. On est alors loin de l’incapacité à juger des conséquences de ses actes. L’objectif de permettre aux investisseurs de se renflouer à leur insu, le mobile, ne peut aucunement servir de fondement à l’incapacité visée par le premier volet de l’art. 16 C.cr.

[161]     On parle ici de trouble bipolaire. L’un des experts de la défense, le Dr Larouche, indique qu’il s’agit d’abord et avant tout d’une « maladie des humeurs », donc de dérèglement de l’humeur, qui se manifeste par des épisodes alternant entre phases dépressives et phases maniaques. Selon les experts entendus, il n’est pas ici question d’épisodes psychotiques ni de perte de contact avec la réalité durant la période en cause.

[162]     Le psychiatre qui a rencontré l’intimé à une reprise en août 2008, le Dr Turcotte, diagnostique plus précisément un trouble bipolaire de type 1 qui a mené à une phase dépressive au cours des années 2003-2005, alors que l’intimé était « aux prises avec des idées de grandeur et une absence totale d’autocritique ». Il tire ses conclusions des propos de l’intimé durant l’entrevue et de la consultation de son dossier médical. Le psychiatre ne dit toutefois rien de particulier à propos du moment précis de la perpétration des infractions, particulièrement les 31 mars et 30 juin 2005. Il me semble aller de soi qu’il n’était pas en mesure de le faire en raison de sa connaissance limitée de l’état de l’intimé.

[163]     Il faut aussi mentionner que son rapport ne fait aucunement état des documents falsifiés. En fait, il témoigne n’avoir aucun souvenir que l’intimé lui en ait parlé. Il s’agit pourtant d’un fait particulièrement important dans l’analyse de l’état mental de l’intimé.

[164]     Un autre extrait de son témoignage mérite d’être cité, passage d’ailleurs relevé par le juge :

Donc moi j’avais l’impression que ce monsieur-là savait qu’il y avait quelque chose qu’il faisait de pas bien, de pas correct, mais j’avais l’impression que son jugement était faussé parce qu’il faisait ça pour sauver quelqu’un. […]

C’est un monsieur qui sait que c’est quelque chose qu’il fait de pas correct, mais c’est pour le bien.

[165]     En agissant comme il l’a fait, l’intimé savait qu’il posait des gestes « pas corrects », donc illicites, moralement répréhensibles et par conséquent mauvais, comme l’exige l’art. 16 C.cr. Il y a là la démonstration que les exigences du deuxième volet de l’article ne sont pas davantage satisfaites, comme en conclut le juge. Pour reprendre les termes de l’art. 16 C.cr. et de la jurisprudence, il savait que l’acte était mauvais, au sens de « moralement répréhensible » : R. c. Chaulk, précité (renversant les motifs de la majorité dans R. c. Schwartz, [1977] 1 R.C.S. 673), même si l’objectif poursuivi était de « sauver quelqu’un ».

[166]     Quant au Dr Larouche, médecin traitant, il diagnostique le même trouble et commence à traiter l’intimé en 2003. Au début, son patient ne répond pas très bien aux médicaments. Il y a eu nécessité d’en prescrire plus d’un et il a fallu deux ou trois ans pour atteindre une certaine stabilité. Selon le témoin, « de 2003 à 2006, 2007, ça se promenait, les montagnes russes » et « il y avait de grosses fluctuations », quoique la stabilisation a débuté en juillet 2005.

[167]     Pour décrire ce qu’il appelle un jugement qui « n’est pas bon », le témoin donne l’exemple de celui qui achète un billet de loterie tout en pensant « qu’il va gagner quarante (40) millions puis il va régler toute l’affaire ». Or, cet exemple démontre qu’on ne parle pas ici de l’incapacité de juger de la nature et de la qualité de l’acte, donc de ses conséquences matérielles, mais bien de l’objectif poursuivi. C’est un peu comme confondre la compréhension des conséquences d’une fraude avec la croyance qu’on gagnera au casino et qu’on pourra ensuite rembourser les créanciers : R. c. Zlatic, [1993] 2 R.C.S. 29.

[168]     Pourtant, le juge retient cet exemple pour conclure à l’incapacité, alors que cet espoir improbable ne nie aucunement la perception qu’avait l’intimé des conséquences de ses actes. Elle explique plutôt son espoir de renflouer ses clients, ce qui n’a rien à voir avec les conséquences de l’acte. Il en est d’ailleurs de même de l’épisode cité par le juge alors que l’intimé a distribué de l’argent à des gens sur la rue pour les aider. Cela ne démontre aucunement qu’il ne pouvait juger de la qualité de cet acte. Cela indique tout au plus qu’il avait un objectif louable.

[169]     Sans décrire spécifiquement l’état mental de l’intimé au moment des infractions[8], le Dr Larouche indique dans ses notes du 21 avril 2005 (l’époque des infractions) que son patient « semble plutôt triste, tendu. Il prévoit que le capital pour payer les employés sera épuisé vers la mi-mai ». Cette description ne cadre pas avec le premier volet de l’art. 16 C.cr. On y constate qu’il était tout à fait en mesure de juger de la situation financière de son entreprise et des conséquences pour ses employés et pour sa propre situation.  D’ailleurs, c’est cette bonne capacité d’analyse de l’état précaire de ses finances qui l’a amené à produire des documents falsifiés.

[170]     Il faut aussi ajouter que l’intimé n’était pas en situation permanente d’états dépressifs ou maniaques. Selon la preuve, il pouvait aussi, à l’époque des infractions, être dans un état mental sans épisodes de dépression ou de manie.

[171]     La preuve n’est donc pas faite, par prépondérance, que les multiples falsifications ont été faites à un moment où l’intimé était incapable d’en percevoir les conséquences matérielles.

[172]     Je rappelle que l’art. 16 C.cr. précise qu’une personne n’est pas responsable d’un acte survenu « alors qu’elle était atteinte de troubles mentaux / while suffering from a mental disorder ». Il faut donc une preuve que l’accusé souffrait de troubles mentaux incapacitants au moment de l’infraction, et non avant ou après. C’est ce que rappellent les auteurs Manning, Mewett & Sankoff :

As stated in the McRuer[9] Report, the question to be considered is: “Was the accused person at the very time of the offence - not before or after, but at the moment of the offence - by reason of disease of the mind, unable fully to appreciate…”.[10]

[L'accusé, au moment de I'infraction - non avant ni après, mais au moment de l'infraction - à cause d'une affection mentale, était-il incapable d'apprécier tout à fait […].][11]

[173]     Ce critère a été retenu dans R. c. Cooper, précité, sauf pour les mots « tout à fait » ou « fully ».

[174]     Ainsi, que l’accusé ait été atteint de troubles mentaux avant ou après les infractions n’est pas suffisant, si ce n’est pour ajouter de la crédibilité à la preuve. Il faut que le trouble mental ait existé au moment de la perpétration de l’infraction.

[175]     Cette précision prend tout son sens lorsque l’on tient compte de l’opinion du juge Dickson, dans Cooper, qui, à la page 1159, exclut les états mentaux transitoires et exige un certain niveau d’intensité :

En bref, on pourrait dire qu'au sens juridique, "maladie mentale" comprend toute maladie, tout trouble ou tout état anormal qui affecte la raison humaine et son fonctionnement à l'exclusion, toutefois, des états volontairement provoqués par l'alcool ou les stupéfiants, et des états mentaux transitoires comme l'hystérie ou la commotion. Afin d'appuyer une défense d'aliénation mentale, la maladie doit, bien sûr, être d'une intensité telle qu'elle rende l'accusé incapable de juger la nature et la qualité de l'acte violent ou de savoir qu'il est mauvais.

[176]     Dans le présent dossier, on parle d’un homme qui vivait des épisodes dépressifs et maniaques et qui, dans l’espoir de « sauver ses clients », leur a menti à répétition en confectionnant ou faisant confectionner des documents falsifiés. Je ne doute pas de l’objectif recherché par l’intimé. Ce que je dis par contre c’est qu’il n’y a aucune preuve d’incapacité telle que décrite à l’art. 16 C.cr.

[177]     La capacité de juger peut être altérée, sans être nécessairement inexistante. Pourtant, l’art. 16 C.cr. parle d’incapacité de juger et non seulement de difficulté à juger.

[178]     Par ailleurs, sur le même thème, même si l’on invoquait l’automatisme avec troubles mentaux, encore faudrait-il démontrer que le défendeur était totalement incapable et non seulement partiellement incapable de se contrôler : R. c. Hotte, 2005 QCCA 625, paragr. 161 et 162.

[179]     En somme, l’ensemble de la preuve me convainc que la défense présentée par l’intimé n’atteignait pas le seuil de la vraisemblance (ou « air of reality ») : R. c. Cinous, [2002] 2 R.C.S. 3; R. c. Fontaine, [2004] 1 R.C.S. 702, ou, à tout le moins, que la preuve était nettement insuffisante pour renverser, par prépondérance des probabilités, la présomption selon laquelle l’intimé ne soufrait pas de troubles mentaux incapacitants.

[180]     Je rappelle également ces propos du juge LeBel, dans Bouchard-Lebrun en rapport avec certaines considérations d’ordre public :

86     Cette conclusion prend en compte les considérations d'ordre public évoquées par le juge Dickson dans l'arrêt Cooper. En considérant la teneur de l'expertise du Dr Faucher au sujet de la fréquence des psychoses toxiques dans des circonstances analogues à celles du présent dossier, l'adoption de la position de l'appelant entraînerait des conséquences difficilement acceptables pour l'intégrité du système de justice criminelle. Si chaque individu qui commet une infraction violente pendant qu'il souffre d'une psychose toxique devait, sans égard à l'origine ou à la cause de celle-ci, échapper à la responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux, la défense prévue à l'art. 16 C. cr. acquerrait une portée qui excéderait largement celle qu'envisageait le législateur. Ces considérations renforcent la conclusion que la psychose toxique développée par l'appelant en l'espèce est visée par l'exclusion établie dans l'arrêt Cooper à l'égard des "états volontairement provoqués par l'alcool ou les stupéfiants".

[181]     Il me semble qu’une forme de considération d’ordre public devrait aussi être prise en compte dans le présent dossier. Je l’ai déjà mentionné : il s’agit ici d’abord et avant tout d’un trouble de l’humeur. Je ne prétends pas qu’il ne puisse jamais s’agir de troubles mentaux. Cependant, en l’absence d’épisodes psychotiques, les troubles de l’humeur ne devraient qu’exceptionnellement entraîner un verdict de non-responsabilité pour cause de troubles mentaux, surtout si les infractions s’échelonnent sur une longue période, qu’elles sont répétitives, que leur perpétration requiert une bonne dose de planification, de la précision dans l’exécution ainsi qu’une analyse pointue de la situation, et que la preuve par expert ne permet pas de savoir quel était l’état mental du défendeur au moment de la perpétration de ces infractions.

VIII - CONCLUSION

[182]     J’estime que le juge de la Cour du Québec a commis une erreur de droit, en confondant les conséquences matérielles d’un acte avec l’objectif recherché. Il a aussi commis une erreur de droit en examinant la défense de troubles mentaux alors qu’elle ne satisfaisait pas au critère du seuil minimal de vraisemblance ou encore, en lui donnant effet alors que la preuve ne suffisait clairement pas à renverser la présomption. La preuve ne pouvait supporter la défense.

[183]     Ces erreurs sont d’une telle importance qu’il est manifeste qu’un verdict autre aurait été rendu sans elles. En fait, en raison des admissions et de l’absence d’éléments de preuve apportés en défense, seul un jugement de culpabilité pouvait être prononcé. D’ailleurs, le jugement de culpabilité sur les chefs du deuxième groupe le démontre. Le juge de la Cour supérieure a donc commis une erreur de droit en refusant d’intervenir. J’ajoute que même s’il s’agissait d’une infraction de mens rea, spécifique ou non, la seule conclusion, en l’absence de défense de troubles mentaux, serait la culpabilité. Il est démontré, hors de tout doute raisonnable, que l’intimé avait l’intention d’aider Les conseillers en valeurs Planiges inc. à transmettre des informations fausses ou trompeuses et Corporation de gestion et de recherche ZENITH à manquer à son engagement.

[184]     Par ailleurs, vu que l’appelante recherche une peine plus sévère que la peine minimale, une ordonnance de retourner le dossier en Cour du Québec pour déterminer la peine appropriée s’impose, ce que permet l’art. 313 C.p.p. d’autant que, même s’il ne suffit pas à exonérer l’intimé de sa responsabilité pénale, son état mental peut évidemment être pertinent au stade de la détermination de la peine : R. c. Sauriol, 2012 QCCQ 7766.

[185]     Je propose donc d’accueillir la requête pour permission d’appeler en ce qui a trait au deuxième moyen invoqué par l’appelante, d’accueillir l’appel, d’infirmer le jugement de la Cour supérieure et celui de la Cour du Québec, de déclarer l’intimé coupable des chefs 1 à 81 et 84 à 89, et de retourner le dossier en Cour du Québec pour la détermination de la peine.

 

 

 

FRANÇOIS DOYON, J.C.A.

 



[1] RLRQ, c V-1.1.

[2] Traité de droit criminel, tome 2, 3e éd., 2014, Les éditions Thémis, Montréal, à la page 525, paragr. 566.

[3] L’imputabilité, Traité de droit criminel, tome 1, 4e éd., 2015, Les éditions Thémis, Montréal, à la page 134, paragr. 159.

[4] Criminal Pleadings & Practice in Canada, second ed., vol. 3, p. 22-4.

[5] Pierre-André Côté, Interprétation des lois, 4e éd., 2009, Éditions Thémis, Montréal, paragr. 295.

[6] Journal des débats, Commission permanente des institutions, Étude détaillée du projet de loi 75 - Code de procédure pénale, 9 décembre 1987, Bibliothèque nationale du Québec, ISSN 0823-0102, p. CI-3607.

[7] L.S. Nouraie et N. St-Jacques, Automatisme, dans JurisClasseur Québec - Collection Droit Pénal - Droit pénal général, fasc.12, Montréal, LexisNexis Canada, aux paragr. 49-50.

[8] Sauf pour dire qu’en juin 2015, en raison de la médication, « il peut s’être senti plus euphorique puis poser des gestes un peu osés, je ne le sais pas ».

[9] Rapport de la Commission royale chargée d’étudier la défense d’aliénation mentale en matière criminelle, Imprimeur de la Reine, 1956, p. 13.

[10] Criminal law, 4th ed., 2009, LexisNexis, p. 419.

[11] Selon la version française du rapport, p. 13.

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