Décision

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Péladeau c. Centre de réadaptation en dépendance du Nouveau Départ inc. (Clinique Nouveau Départ)

2016 QCCA 1726

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-025329-152

(500-22-217506-149)

 

DATE :

 27 octobre 2016

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

CLAUDE C. GAGNON, J.C.A.

GENEVIÈVE MARCOTTE, J.C.A.

MARK SCHRAGER, J.C.A.

 

 

ANNE-MARIE PÉLADEAU

APPELANTE - Défenderesse

c.

 

CENTRE DE RÉADAPTATION EN DÉPENDANCE DU NOUVEAU DÉPART INC., faisant affaires sous le nom « CLINIQUE NOUVEAU DÉPART Â»

INTIMÉE - Demanderesse

Et

TRUST ÉTERNA INC.

MISE EN CAUSE - Mise en cause

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           L’appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 7 mai 2015 par la Cour du Québec, Chambre civile, district de Montréal (l’honorable Antonio De Michele), qui la condamne à payer à l’intimée 24 290,84 $ pour des soins qui lui ont été administrés par cette clinique en 2013;

[2]           Pour les motifs de la juge Marcotte, auxquels souscrivent les juges Gagnon et Schrager, LA COUR :

 

 

[3]           REJETTE le pourvoi, avec les frais de justice.

 

 

 

 

CLAUDE C. GAGNON, J.C.A.

 

 

 

 

 

GENEVIÈVE MARCOTTE, J.C.A.

 

 

 

 

 

MARK SCHRAGER, J.C.A.

 

Me Jean-Marc Lacourcière

Me André Lespérance

TRUDEL, JOHNSTON & LESPÉRANCE

Pour l’appelante

 

Me Yves Moranville

MORENCY SOCIÉTÉ D’AVOCATS

Pour l’intimée

 

Date d’audience :

12 septembre 2016


 

 

MOTIFS DE LA JUGE MARCOTTE

 

 

[4]           L’appelante Anne-Marie Péladeau se pourvoit contre un jugement rendu le 7 mai 2015 par la Cour du Québec, Chambre civile, district de Montréal (l’honorable Antonio De Michele), qui la condamne à payer à l’intimée 24 290,84 $ pour des soins qui lui ont été administrés par cette clinique en 2013.

CONTEXTE

[5]           L’appelante est assujettie à un régime de tutelle aux biens depuis 1993. La tutelle à la personne dont elle bénéficiait également depuis 1993 a pris fin en 1997.

[6]           Selon la preuve, les actifs de l’appelante sont gérés par une fiducie créée à son bénéfice après le décès de son père. Cette fiducie devait recevoir des versements périodiques de Placements Péladeau inc. calculés en fonction des dividendes versés par la société Québecor inc. et transmettre certaines sommes à la mise en cause, Trust Éterna, chargé d’assurer la gestion du budget quotidien de l'appelante.

[7]           Les parties n’ont pas cru opportun de déposer en preuve en première instance le jugement initial prononçant l’ouverture de la tutelle en 1993, non plus que la mainlevée obtenue en 1997.  Une copie de ces documents a toutefois été remise à la formation lors de l’audience en appel. Il importe de signaler à cet égard que bien qu'il ressorte de la preuve que Trust Éterna agit comme gestionnaire du budget de l’appelante, aucun des documents fournis à la Cour ne désigne Trust Éterna ou Robert Archer à titre de tuteur aux biens de l'appelante; le jugement de 1993 ne mentionne que les noms de Pierre Péladeau, le père de l'appelante, décédé depuis, à titre de tuteur à la personne, celui de Pierre-Karl Péladeau, à titre de tuteur pour administrer ses biens et d’Érik Péladeau à titre de subrogé tuteur à la personne et aux biens.

[8]           Depuis 1999, l'intimée, une clinique privée, dispense ponctuellement à l’appelante des soins pour traiter sa toxicomanie. Aucune convention écrite n’a été signée au cours des années, l’intimée se contentant d’ententes verbales conclues avec l'appelante et les membres de sa famille.

[9]           L’appelante se présente alors volontairement à la clinique pour y être admise, sans qu'intervienne son tuteur aux biens. Toutefois, elle requiert que la facturation soit adressée au Trust Éterna. Le représentant de celui-ci, Robert Archer, confirme que, depuis 1999, son rôle se limite à assumer le paiement des factures après que les soins et services de la clinique ont été rendus. Il fait parvenir les factures à la fiducie, laquelle les approuve avant de lui transférer les fonds nécessaires à leur paiement.

[10]        En novembre 2012, l’appelante se présente chez l'intimée afin d’y recevoir des soins. Au courant du mois de décembre 2012, l'intimée transmet au Trust Éterna pour signature une convention de services que Robert Archer refuse de signer, au motif que les fonds dont dispose l’appelante sont insuffisants pour acquitter les frais de traitement. Il acquitte toutefois par la suite 64 709,41 $ pour des soins dispensés par l’intimée entre novembre 2012 et juin 2013, grâce aux sommes versées par la fiducie.

[11]        Le 27 mai 2013, Robert Archer écrit à l’intimée que les ressources financières de l’appelante sont limitées et « qu’elles ne permettent plus d’absorber le niveau des dépenses liées aux traitements et services fournis ».

[12]        En juillet 2013, l’appelante se présente néanmoins de nouveau chez l'intimée pour recevoir des soins. Elle se soumet notamment à un bilan sanguin le 5 juillet 2013 et est hébergée à la clinique à compter du 8 juillet 2013; elle reçoit alors divers traitements incluant des soins infirmiers, un encadrement psychologique individuel et de groupe ainsi que des soins de massothérapie. 

[13]        Le 15 juillet 2013, Robert Archer fait parvenir un courriel à une représentante de l’intimée dans lequel il mentionne qu’il « faudrait trouver une façon pour acquitter les frais reliés aux traitements » en raison des moyens limités de l’appelante.  Il ne suggère pas la cessation des traitements prodigués à l’appelante ni son transfert dans le réseau public de santé. Selon l'intimée, l’appelante exprime le souhait de demeurer à la clinique. Suivant la facturation déposée en preuve, l'appelante poursuit son hébergement à la clinique jusqu'au 25 août 2013 et reçoit des soins totalisant 30 790,84 $ durant les mois de juillet et août 2013.

[14]        Le 28 août 2013, Benoit Mailloux, président de l’intimée, fait parvenir au Trust Éterna une lettre réclamant le paiement de cette somme. Sur réception de cette lettre, Robert Archer vérifie auprès de la fiducie si des fonds sont encore disponibles. La fiducie lui transfère alors un montant de 6 500 $ qui est remis à l’intimée en septembre 2013. Robert Archer indique toutefois dans le courriel qui précède ce paiement partiel que celui-ci n’engage pas la responsabilité de Trust Éterna à l’égard de l’acquittement du solde impayé, en soulignant le rôle d’intermédiaire qui lui est dévolu.

[15]        Selon la preuve, la fiducie a cessé de recevoir depuis un certain temps des versements de la société Québecor, ne laissant d'autre choix à l'appelante que de poursuivre Placements Péladeau inc. afin de recouvrer les sommes qui lui sont dues[1]. La fiducie a cessé à son tour ses versements au Trust Éterna au courant de l’année 2013, obligeant ce dernier à contracter des emprunts pour subvenir aux besoins de l’appelante. 

[16]        Le solde des factures de l'intimée au montant de 24 290,84 $ demeure impayé. L'intimée réclame donc cette somme à l’appelante, d'abord par mise en demeure datée du 20 mai 2014, puis par requête introductive d’instance initiée le 27 novembre 2014. 

[17]        Le procès se déroule le 6 mai 2015 devant le juge De Michele qui rend jugement le lendemain et accueille la réclamation de 24 290,84 $ à l'endroit de l'appelante.

[18]        Le 8 juin 2015, l’appelante dépose une requête pour permission d’appeler, qui est accueillie par le juge Morissette[2].

JUGEMENT ENTREPRIS

[19]        Le juge de première instance résume d’abord les faits et les prétentions des parties. Il souligne que les services rendus et les sommes réclamées ne sont pas contestés par l’appelante, qui nie plutôt sa responsabilité à l’égard du paiement des factures.

[20]        Il signale que l’appelante est assujettie à un régime de tutelle aux biens, mais non à une tutelle à la personne, et qu’elle jouit en conséquence de la pleine personnalité juridique lui permettant de contracter, puisque le rôle du tuteur aux biens se limite à la stricte administration de son patrimoine. Il conclut en outre que l’appelante a engagé sa responsabilité personnelle relativement aux soins que l’intimée lui a prodigués et il la condamne à verser à l'intimée 24 290,84 $ avec intérêt au taux légal et indemnité additionnelle depuis l’assignation.

QUESTIONS EN LITIGE

[21]        Les questions en litige se résument ainsi :

1.            Le contrat de services conclu entre les parties est-il nul en raison de l’incapacité de l’appelante à conclure seule un contrat avec l’intimée, alors que l'appelante est assujettie à un régime de tutelle aux biens?

2.            Le contrat a-t-il par ailleurs été confirmé?

ANALYSE

1.            Le contrat de services conclu entre les parties est-il nul en raison de l’incapacité de l’appelante à conclure seule un contrat avec l’intimée, alors que l'appelante est assujettie à un régime de tutelle aux biens?

Position des parties

[22]        L’appelante plaide que le juge de première instance a erré en omettant de conclure que le régime de tutelle aux biens privait l’appelante de sa capacité de contracter, désormais dévolue à son tuteur, et que le refus exprès du tuteur de s’engager à acquitter les honoraires de l’intimée a rendu le contrat nul ab initio. 

[23]        Selon elle, l’article 163 C.c.Q., qui permet l’annulation ou la réduction des obligations d’un acte fait seul par le majeur sous tutelle s’il en subit un préjudice, ne s’applique pas en l’espèce, puisque l’expression « l’acte fait seul » contenue à cet article exclut nécessairement l’acte conclu par le majeur à la suite du refus exprès du tuteur.  Puisque cet article vise notamment à assurer la stabilité des relations commerciales en protégeant les individus de bonne foi qui concluent des contrats équitables avec des personnes protégées, il serait impensable d’octroyer une telle protection à un cocontractant qui a fait fi du refus de son tuteur de contracter en son nom. En outre, l’exigence d’une démonstration du préjudice, conformément à l’article 163 C.c.Q., serait contraire à l’exigence générale d’exercer ses droits civils de bonne foi et l’intimée aurait plutôt dû, une fois informée des difficultés financières de l'appelante, la référer au réseau public ou, à défaut, lui offrir des services gratuits.

[24]        L’appelante plaide subsidiairement que, dans l’éventualité où l’article 163 C.c.Q. trouve application, le refus du tuteur de contracter en raison de la situation financière précaire de l’appelante fait présumer la lésion. Ainsi, selon elle, la décision d’admettre l’appelante à la clinique malgré le refus du tuteur donne lieu à une situation d’exploitation et les honoraires réclamés de près de 25 000 $ constituent une obligation excessive.

[25]        L’intimée rétorque que l’appelante avait la capacité de contracter auprès d’elle. Comme l’appelante bénéficie seulement d’un régime de protection aux biens, et non d’une tutelle à sa personne, l'intimée plaide que l'appelante conserve sa pleine capacité juridique pour tout ce qui est lié à sa personne, d’autant que l’intimée n’a jamais été informée des modalités relatives aux pouvoirs attribués au tuteur aux biens de l’appelante, telles que déterminées par le tribunal.

[26]        Elle ajoute que l’appelante était apte ou, à tout le moins, présumée apte à consentir aux soins requis par son état, au sens des articles 11 et suivants du C.c.Q.  Aussi, les aspects financiers du contrat de services en cause ne sont que secondaires, puisque le contrat relève de l’intégrité de la personne. Il n’appartenait donc pas au tuteur aux biens de substituer son propre choix à celui du majeur dans des domaines qui touchent à son bien-être ni de décider d’éléments intimement liés à la personne, surtout que l’appelante a spécifiquement refusé d’être transférée dans un établissement relevant du régime public.

[27]        L'intimée plaide en outre que l’interprétation de l’article 163 C.c.Q., telle que proposée par l’appelante, a pour effet d’ajouter au texte pourtant clair de cette disposition et que l’appelante n’a pas fait la démonstration du préjudice requis pour permettre l’annulation du contrat. Ceci d’autant qu’elle ne conteste ni la qualité des services rendus ni les montants facturés. De plus, selon elle, dans son courriel du 27 mai 2013, Trust Éterna n’a pas catégoriquement refusé d’assumer les dépenses découlant des traitements offerts par l'intimée; il l’a plutôt prévenue des moyens limités de l’appelante.

Droit applicable

[28]        Pour être valide, le contrat doit nécessairement avoir été conclu entre des personnes capables de contracter, comme le prévoit l’article 1385 C.c.Q.[3]. Le majeur protégé par une tutelle a-t-il la capacité de contracter au sens de cet article?

[29]        Je signale d'entrée de jeu que la tutelle diffère de la curatelle, par laquelle le majeur protégé devient soumis à un régime d'incapacité d'exercice générale le rendant incapable de conclure un contrat sans être représenté par son curateur[4]. 

[30]        Suivant les commentaires du ministre de la Justice, l’article 288 C.c.Q. qui traite de l'ouverture du régime de tutelle « permet l'établissement d'un régime adapté à la personne protégée et à son degré réel d'inaptitude physique ou mentale et reconnaît à cette personne une certaine autonomie et capacité, tout en assurant sa protection »[5], allant jusqu’à la mise en place de tutelles « partielles » (portant uniquement sur les biens ou sur la personne).

[31]        Il est vrai que malgré cette souplesse et ces aménagements, plusieurs dispositions du Code civil du Québec viennent restreindre la capacité juridique du majeur sous tutelle. D'abord, l’article 436 C.c.Q. interdit au majeur sous tutelle de passer des conventions matrimoniales à moins qu’il ne soit assisté de son tuteur, lui-même autorisé par le tribunal.  Ensuite, l’article 709 C.c.Q. prévoit que le testament fait par le majeur sous tutelle sera valide uniquement s’il est confirmé par le tribunal. Enfin, les articles 1813 et 1814 C.c.Q. régissent les donations que peuvent faire ou recevoir les majeurs sous tutelle. Ces dispositions emploient l’expression « majeur sous tutelle » sans faire de distinction entre la tutelle à la personne ou aux biens et sans indiquer si elles visent uniquement le majeur assujetti à un régime complet de tutelle, qui touche à la fois ses biens et sa personne. Par ailleurs, aucune ne porte sur le contrat de services ou de soins. 

[32]        Cela dit, au-delà des dispositions limitant expressément la capacité juridique du « majeur sous tutelle Â», l’article 163 C.c.Q. permet toujours au majeur protégé de demander la nullité d’un acte qu’il a posé seul lorsque certaines conditions sont satisfaites :

163.  L'acte fait seul par le mineur ou fait par le tuteur sans l'autorisation du conseil de tutelle, alors que celle-ci est requise par la nature de l'acte, ne peut être annulé ou les obligations qui en découlent réduites, à la demande du mineur, que s'il en subit un préjudice.

163. An act performed alone by a minor or performed by his tutor without the authorization of the tutorship council although the nature of the act requires it may not be annulled nor the obligations arising from it reduced, on the application of the minor, unless he suffers injury therefrom

 

[33]        Cette disposition qui concerne le mineur s’applique au majeur sous tutelle par le biais de l’article 287 C.c.Q. :

287. Les règles relatives à l’exercice des droits civils du mineur s’appliquent au majeur en tutelle, compte tenu des adaptations nécessaires.

 

287. The rules pertaining to the exercise of the civil rights of a minor apply, adapted as required, to a person of full age under tutorship.

[34]        Mais pour prétendre à l'annulation de l'acte du majeur protégé, la seule preuve de son incapacité ne suffit pas. Il doit également être démontré que l’acte dont il demande l’annulation lui est préjudiciable. Cette exigence vise l’atteinte d’un double objectif, soit de protéger l’inapte tout en favorisant la stabilité des relations contractuelles[6]. Comme le soutiennent les auteurs Deleury et Goubau, « il semble en effet normal de ne pas permettre la remise en cause de contrats qui, même s'ils ne sont pas réellement profitables, n'ont au moins pas fait subir de préjudice réel à la personne protégée »[7].

[35]        Le mot « préjudice » qu’on retrouve à l’article 163 C.c.Q. doit cependant être lu en conjonction avec l’article 1406 C.c.Q.[8], qui définit la lésion ainsi :

1406. La lésion résulte de l'exploitation de l'une des parties par l'autre, qui entraîne une disproportion importante entre les prestations des parties; le fait même qu'il y ait disproportion importante fait présumer l'exploitation.

 


Elle peut aussi résulter, lorsqu'un mineur ou un majeur protégé est en cause, d'une obligation estimée excessive eu égard à la situation patrimoniale de la personne, aux avantages qu'elle retire du contrat et à l'ensemble des circonstances.

1406. Lesion results from the exploitation of one of the parties by the other, which creates a serious disproportion between the prestations of the parties; the fact that there is a serious disproportion creates a presumption of exploitation.

 

In cases involving a minor or a protected person of full age, lesion may also result from an obligation that is considered to be excessive in view of the patrimonial situation of the person, the advantages he gains from the contract and the circumstances as a whole.

 

[36]        Cet article présente deux concepts distincts de lésion.

[37]        D’abord, la lésion dite « objective » qui requiert une preuve d’exploitation causant une disproportion importante entre les prestations des parties et qu'il n'est possible d’invoquer que dans les cas où la loi le prévoit expressément[9] : par exemple, en matière de contrat de consommation[10], de prêt d’argent[11] ou de renonciation au partage du patrimoine familial[12].

[38]        Le second type de  lésion dite « subjective » concerne uniquement les mineurs et les majeurs protégés[13]. En vertu de l’article 1406 al. 2 C.c.Q., la partie qui l'invoque aura le fardeau de démontrer que l’obligation qu’elle a contractée est excessive soit au regard de sa situation patrimoniale, aux avantages qu'elle retire du contrat ou à l'ensemble des circonstances[14]. Selon les auteurs Lluelles et Moore, il suffit de faire la preuve d’un seul des trois éléments mentionnés[15].

[39]        Suivant les commentaires du ministre de la Justice, l’adoption d’une définition large et souple de la lésion est justifiée par le besoin accru de protection qui caractérise les mineurs et les majeurs inaptes[16].

[40]        Les auteurs Baudouin, Jobin et Vézina décrivent pour leur part la lésion subjective comme étant le résultat « d'un ou de plusieurs actes entraînant un embarras financier ou augmentant directement ou indirectement, d'une façon inéquitable, le passif du patrimoine du contractant »[17]. Ils estiment que la preuve que le contrat conclu a un impact négatif sur la situation patrimoniale de la personne vulnérable est suffisante pour permettre à cette dernière d’obtenir l’annulation de l’acte en cause ou la réduction de ses obligations[18]. Ainsi, il peut y avoir lésion même si les prestations des cocontractants sont objectivement équilibrées[19]. Le préjudice est alors extrinsèque au contrat  et il suffit de démontrer que l’engagement auquel a souscrit la personne protégée « dépasse ses moyens, lui occasionne des pertes et des dépenses ou encore des responsabilités qu’[elle] n’est pas en mesure d’assumer »[20].

Application des principes aux faits

[41]        D’entrée de jeu, je souligne que le contrat de services en cause ici ne tombe sous aucune des dispositions du Code civil du Québec prévoyant la restriction de la capacité juridique du majeur sous tutelle.

[42]        Je ne peux adhérer à la thèse de l’appelante voulant qu’une tutelle partielle portant sur l’administration des biens seulement prive le majeur protégé de la capacité générale de contracter, comme ce serait le cas en matière de curatelle, et l’oblige à être représenté dès lors qu’il désire conclure le moindre acte juridique. L’article 289 C.c.Q. permet d'ailleurs au majeur en tutelle de conserver la gestion du produit de son travail, sauf décision contraire du tribunal[21] et, par renvoi aux règles relatives à l’exercice des droits civils du mineur[22], la loi reconnaît au majeur sous tutelle la capacité de contracter seul afin de satisfaire ses besoins ordinaires et usuels[23], sous réserve de modalités différentes que pourrait prévoir le tribunal.

[43]        Il est indéniable que le contrat de soins en cause fait intervenir des considérations qui sont étroitement liées à la personne. L’intimée plaide que « les choix de l’appelante relatifs au type de soins, au lieu de dispensation ainsi qu’aux professionnels qui les dispenseront relèvent de l’intégrité de la personne et non de la gestion de son patrimoine ».

[44]        En effet, depuis des années, l’appelante est aux prises avec un problème de dépendance qui l’a menée à suivre plusieurs cures de désintoxication auprès d’établissements du réseau public et d’institutions privées. La preuve démontre qu’elle n’a jamais été représentée par son tuteur aux biens aux fins de son admission. Robert Archer confirme par son témoignage qu’il n’intervient qu’au moment du paiement des factures médicales et que son rôle à cet égard relève de celui d’un intermédiaire entre l’appelante et la fiducie. Il affirme également ne pas être impliqué dans la gestion du patrimoine de l'appelante.

[45]        Son rôle est donc plus limité que celui habituellement dévolu au tuteur aux biens, qui assume généralement la pleine gestion du patrimoine du majeur protégé[24].

[46]        Au vu de la preuve administrée au dossier, laquelle fournit peu de détails et ne contient aucun document permettant de définir le rôle exact que joue Trust Éterna ou Robert Archer à l’égard de l’appelante ni l’étendue de leurs pouvoirs alors qu'il est admis que Trust Eterna n’administre pas son patrimoine, il paraît même hasardeux de le qualifier de tuteur aux biens.

[47]        Aussi, la prétention de l’appelante voulant qu'elle ne puisse contracter en l’espèce sans être représentée par Trust Éterna ne m'apparaît pas fondée. Ceci d'autant qu'elle équivaut à reconnaître à Robert Archer la faculté de décider du bien-fondé d’un contrat de soins. Or, il s’agit là de décisions que n’ont jamais été appelés à prendre Robert Archer et Trust Éterna et qui, à mon avis, relèvent plutôt d'un tuteur à la personne, le cas échéant.

[48]        L’appelante soutient que l’expression « l’acte fait seul » de l’article 163 C.c.Q. doit nécessairement exclure l’acte conclu par le majeur à la suite du refus exprès du tuteur de contracter en son nom. Selon elle, le législateur n’a pas voulu protéger les individus qui, bien qu’informés du refus du tuteur de conclure un contrat au nom du majeur, choisissent tout de même de contracter avec l’individu sous tutelle. À son avis, un tel contrat serait nul « ab initio », sans même que la preuve d’un préjudice soit nécessaire, puisque, exiger la preuve d’un préjudice dans ces circonstances serait contraire à l’exigence d’exercer ses droits civils de bonne foi. 

[49]        À mon avis, en l’espèce, le seul refus mis en preuve est celui de Trust Éterna de voir son nom apparaître à titre de cocontractant à la convention de services conclue par l’intimée ou celle d’engager sa responsabilité personnelle à l’égard du paiement des factures, d’où la réclamation dirigée uniquement contre l'appelante. Il n’est pas question à proprement parler d’un refus de contracter au nom de l’appelante et il n’a jamais non plus été question pour Trust Éterna de refuser de permettre la poursuite de ses traitements auprès de la clinique intimée ou de refuser de payer les factures une fois en possession des deniers suffisants. 

[50]        Par son courriel du 15 juillet 2013, alors que l’appelante vient d’être admise auprès de la clinique intimée,  Robert Archer souligne la nécessité de trouver une façon pour acquitter les frais reliés aux traitements offerts par la clinique en ces termes :

Tel que mentionné dans ma dernière communication les moyens de la cliente sont limités et il faudrait trouver une façon pour acquitter les frais reliés aux traitements fournis par votre clinique.

[51]        Je n'y retrace aucun refus à ce que l'appelante soit soignée chez l'intimée, au contraire.

[52]        Puis, le 19 septembre 2013, Robert Archer écrit qu’un montant sera transmis à l’intimée en paiement des factures de manière à permettre à l’appelante de continuer son suivi à la clinique, tout en rappelant alors le rôle limité d’intermédiaire qui lui est dévolu :

Madame,

Pour faire suite à de récents échanges avec madame Sylvie Gosselin de votre organisation, nous désirons vous confirmer qu'un montant de 6 500 $ vous sera transmis au cours des prochains jours. Ce paiement est effectué dans l'esprit des discussions tenues avec madame Gosselin et pour permettre à Anne Marie de continuer à avoir un suivi.

Ce paiement ne change en aucune façon notre position dans le dossier ni ne constitue une reconnaissance des affirmations contenues dans la lettre de monsieur Mailloux datée du 28 août dernier. Toute procédure intentée contre nous suite à une allusion à cet effet dans la lettre de monsieur Mailloux sera vivement contestée.

Je vous rappelle à cet égard que nous avions refusé de signer la convention que vous nous aviez transmise à la fin de 2012 lors de l'admission de Anne Marie à votre clinique. Nous vous avions alors expliqué notre rôle dans ce dossier complexe et nos propos ont été réitérés en juin 2013 lorsque nous vous avons fait part verbalement et par courriel que la capacité financière de la cliente ne permettait plus d'assumer les dépenses de votre clinique. Nous avons également au cours des dernières semaines expliqué notre position à madame Gosselin et notre rôle d'intermédiaire dans ce dossier.

Bonne journée

[Soulignements ajoutés]

[53]        Enfin, Robert Archer explique davantage à l'audience les circonstances du paiement partiel des factures :

R :       En fait, il y a eu des…il y a eu un appel…il y a eu une conversation téléphonique avec madame Gosselin mentionnant que madame Péladeau, bon, son état de santé…J'ai dit : « Écoutez, là, nous, on n'a pas de fonds disponibles. Je peux revérifier. » Elle dit : « Nous, il faut continuer absolument à lui assurer présentement un suivi. Il faut qu'elle continue à recevoir des soins minimums, compte tenu de son état de santé. »

J'ai dit : « Je vais voir avec le fiduciaire s'il y a des fonds disponibles » et le fiduciaire m'a mentionné qu'il y aurait possiblement une somme de six mille cinq cents dollars (6 500 $) qui pourrait être disponible, en tenant compte que les fonds s'épuisent.

[54]        J’estime donc que, devant de telles circonstances, on ne peut pas conclure à un « refus du tuteur de contracter au nom de l’appelante Â» d’autant plus que le statut légal de Robert Archer ou du Trust Éterna n’est pas clairement défini ou établi.

[55]        Je ne peux non plus souscrire à l’argument voulant que l’intimée n'ait pas agi en contractant honnête ou ait fait preuve de mauvaise foi en l’espèce.

[56]        Selon l'intimée, l’appelante souhaitait demeurer à la clinique et la représentante de l’intimée a témoigné sur les raisons qui ont mené la clinique à poursuivre son traitement, après avoir été informée de l'épuisement de ses ressources financières :

Q :       Pour finaliser au niveau de la dernière question de mon collègue, veuillez indiquer à la Cour pourquoi vous avez continué de traiter madame Péladeau.

R :       Selon ce qu’on m’a dit, O.K., madame Péladeau a demandé de l’aide et on lui a donné, et elle voulait rester à notre centre. Et docteur Chiasson a dit : «On va essayer de faire une entente avec le Trust Éterna pour que vous puissiez rester, à votre demande», parce qu’elle ne voulait pas quitter le centre et, nous, on pouvait pas la mettre dehors, Monsieur le juge.

Q :       Pourquoi vous ne pouviez pas la mettre dehors?

R :       Bien, c’est un être humain qui est aux prises avec un problème de dépendance. Alors, on ne pouvait pas lui dire : «Bonjour, on te met dehors, tu as plus d’argent.» Non, ça fonctionne pas comme ça chez nous.

[Soulignements ajoutés]

[57]        Il est vrai cependant que l’appelante pouvait demander la nullité du contrat, tel que le prévoit l’article 163 C.c.Q. Mais pour réussir, elle devait démontrer qu’elle subissait un préjudice du fait de la conclusion du contrat. L'appelante invoque deux éléments qui, à son avis, établissent la lésion en vertu de l'article 1406, al. 2 C.c.Q. : elle plaide qu’elle aurait pu être traitée gratuitement dans le réseau public et que son incapacité financière, rappelée à maintes reprises à l’intimée, fut démontrée lors de l’enquête.

[58]        D'abord, l’argument soulevé à l’égard de la gratuité des soins, fondé sur l’affirmation que l’appelante aurait pu recevoir les mêmes soins gratuitement au sein du réseau public, pose problème dans la mesure où l’appelante n’a pas démontré que l’ensemble des traitements reçus auraient pu lui être administrés dans le réseau de santé public. 

[59]        Le témoignage de Sylvie Gosselin, directrice par intérim de l’intimée, se limite à dire à cet égard que le réseau public offre également des soins aux personnes souffrant de toxicomanie. De là à conclure que l’appelante aurait bénéficié des mêmes services et soins qu'à la clinique intimée, il y a là un pas que la preuve ne permet pas de franchir.

[60]        De toute manière, même si les mêmes services étaient disponibles dans le réseau public, il n’y a ici aucune exploitation dans la mesure où l’appelante avait la capacité de choisir d’être traitée dans une clinique privée.

[61]        Il est par ailleurs admis que les services dont l’intimée réclame le paiement ont été entièrement rendus à la demande de l’appelante et celle-ci n’a pas prétendu à quelque surfacturation de la part de l'intimée.

[62]        Enfin, aucun document n’a été déposé en preuve afin de soutenir la vulnérabilité de sa situation patrimoniale. Tout ce dont le juge disposait pour évaluer la situation financière de l’appelante se résume au témoignage de Robert Archer qui, je le rappelle, était chargé de gérer son budget et non son patrimoine, et qui s’est retrouvé face à une menace d'épuisement imminent des fonds versés par la fiducie.

[63]        À mon avis, la situation « patrimoniale précaire » de l’appelante n'a pas été mise en preuve de manière à satisfaire l'exigence de la démonstration d’un préjudice sous l'article 163 C.p.c.

2.         Le contrat a-t-il été confirmé?

[64]        Cela dit, même en acceptant la thèse de l’appelante, voulant qu’il y ait eu la démonstration d’un préjudice ou d’une lésion entraînant la nullité relative du contrat en vertu de l'article 163 C.c.Q.[25], j’estime que le contrat a été confirmé en l’espèce par le paiement de 6 500 $ en septembre 2013. 

[65]        Le contrat frappé de nullité relative est susceptible de confirmation[26] et l’article 1423 C.c.Q. définit la confirmation en ces termes :

1423. La confirmation d’un contrat résulte de la volonté, expresse ou tacite, de renoncer à en invoquer la nullité.

 

La volonté de confirmer doit être certaine et évidente.

 

1423. The confirmation of a contract results from the express or tacit will to renounce the invocation of its nullity.

 


The will to confirm must be certain and evident.

 

[66]        En l'espèce, le paiement partiel des factures par Trust Éterna, pour le compte de l’appelante et à sa connaissance, constitue une confirmation tacite et sans équivoque du contrat en litige, puisque Robert Archer y indique clairement qu’il effectue le paiement en vue de permettre à l'appelante de continuer à recevoir des traitements.

[67]        Le fait de mentionner ensuite que ce paiement « ne constitue [pas] une reconnaissance des affirmations contenues dans la lettre de monsieur Mailloux datée du 28 août dernier » et d’ajouter que « toute procédure intentée contre nous suite à une allusion à cet effet dans la lettre de monsieur Mailloux sera vivement contestée », n’est pas, à mon avis, un obstacle à la conclusion voulant qu’il s’agisse bel et bien d’un acte de confirmation.

[68]        En effet, dans sa lettre du 28 août 2013[27], Benoit Mailloux (qui était à l’époque président de l’intimée) avait avisé Trust Éterna que, à défaut de recevoir de sa part un montant de 30 790,84 $, il prendrait « les mesures nécessaires pour protéger [sa] créance » et que Trust Éterna serait « certainement mise en cause d’avoir failli à [ses] devoirs ». Il n'étonne pas que Robert Archer ait voulu nier toute responsabilité personnelle dans cette affaire, d'autant qu'il signalait ne tenir qu'un rôle d'intermédiaire entre la fiducie et l'appelante.

[69]        En acquittant partiellement les factures de l’intimée et en indiquant expressément que ce paiement était fait dans le but de continuer les traitements, Trust Éterna a fait disparaître la cause de nullité du contrat de services invoquée par l'appelante, faisant ainsi échec à toute tentative de sa part de désavouer le contrat.

[70]        Pour l’ensemble de ces motifs, j’estime que l'appelante n’a pas réussi à démontrer que le contrat conclu avec l’intimée doit être annulé, d'autant qu'il a été confirmé par l’accord manifesté à l’égard de la poursuite des traitements de l’appelante et le paiement partiel des factures.

[71]        Je propose donc le rejet du pourvoi, avec les frais de justice.

 

 

 

GENEVIÈVE MARCOTTE, J.C.A.

 



[1]     Péladeau c. Placements Péladeau inc., 2014 QCCS 10; Péladeau c. Placements Péladeau inc., 2015 QCCA 1724.

[2]     Jugement de la Cour d’appel accueillant la requête pour permission d’appeler (Morissette, J.C.A.) 25 juin 2015.

[3]     L’article 1409 C.c.Q. énonce que « Les règles relatives à la capacité de contracter sont principalement établies au livre Des personnes ».

[4]     « […] sous réserve de la capacité résiduelle éventuelle en matière de consentement aux soins et sous réserve de la capacité du majeur à être consulté et à donner son avis lorsqu'il s'agit de questions relatives à des choix de vie. » : Édith Deleury et Dominique Goubau, Le droit des personnes physiques, 5e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, p. 690, par. 735.

[5]     Ministère de la Justice, Commentaires du ministre de la Justice - Le Code civil du Québec, t. 1, Québec, Les Publications du Québec, 1993 (article 288).

[6]     É. Deleury et D. Goubau, supra, note 4, p. 452, note 479.

[7]     É. Deleury et D. Goubau, supra, note 4.                

[8]     É. Deleury et D. Goubau, supra, note 4, p. 454, note 482; Didier Lluelles et Benoit Moore, Droit des obligations, 2e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2012, p. 454, par. 482; Jean-Louis Baudouin, Pierre-Gabriel Jobin, Nathalie Vézina, Les obligations, 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, p. 388, par. 290.

[9]     Article 1405 C.c.Q.

[10]    Article 8 Loi sur la protection du consommateur, RLRQ, c. P-40.1.

[11]    Article 2332 C.c.Q.

[12]    Article 424 C.c.Q.

[13]    D. Lluelles et B. Moore, supra, note 8, par. 788.

[14]    Id., par. 844.

[15]    Id., par. 847.

[16]    Ministère de la Justice, supra, note 5 (Article 1406).

[17]    J.-L. Baudouin, P.-G. Jobin, N. Vézina, supra, note 8, p. 372, par. 265.

[18]    Id., p. 385, par. 280.

[19]    É. Deleury et D. Goubau, supra, note 4, p. 453, note 481.

[20]    Gérard Guay, « La tutelle au mineur » dans Répertoire de droit, Chambre des notaires du Québec, 2e éd., 2010, p. 8.

[21]    Par exemple : Québec (Curateur public) et M.N., 2014 QCCS 835, Québec (Curateur public) c. J.L., 2012 QCCS 4711.

[22]    Article 287 C.c.Q.

[23]    Article 157 C.c.Q.

[24]    Articles 1301 à 1305 C.c.Q.

[25]    D. Lluelles et B. Moore, supra, note 8, par. 910; article 1419 C.c.Q.; voir également : J.-L. Baudouin, P.-G. Jobin, N. Vézina, supra, note 8, p. 388, par. 290.

[26]    Article 1420 C.c.Q.; Vincent Karim, Les obligations, Vol. 1, 4e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2015, par. 1649.

[27]    D-4, Lettre du 24 août 2013 de Benoit Mailloux à Robert Archer.  

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