Décision

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Gabarit EDJ

Côté c. R.

2018 QCCQ 547

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

QUÉBEC

« Chambre criminelle et pénale »

N° :

200-01-199659-164

 

DATE :

12 février 2018

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

ANDRÉ PERREAULT, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

MARC-YVAN CÔTÉ

MARIO MARTEL

FRANCE MICHAUD

NATHALIE NORMANDEAU

BRUNO LORTIE

FRANÇOIS ROUSSY

Requérants-accusés

c.

SA MAJESTÉ LA REINE

 

Intimée-poursuivante

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

Mis en cause

et

 

MARIE-MAUDE DENIS

LOUIS LACROIX

 

Intervenants

______________________________________________________________________

JUGEMENT SUR UNE DEMANDE EN ANNULATION DE L’ASSIGNATION DE TÉMOINS JOURNALISTES POUR REFUS DE DIVULGUER DES RENSEIGNEMENTS OU DES DOCUMENTS QUI IDENTIFIENT OU QUI SONT SUSCEPTIBLES D’IDENTIFIER DES SOURCES JOURNALISTIQUES (Article 39.1 de la Loi sur la preuve au Canada, LRC 1985, c. C-5)

______________________________________________________________________

 

[1]       Dans le cadre d’une enquête criminelle et des accusations criminelles portées contre les six coaccusés à la suite de celles-ci, des documents et des informations de l’enquête et d’autres enquêtes, à l’égard de certains des coaccusés, se retrouvent entre les mains de journalistes qui les publient.

 

[2]       Le Tribunal entend une requête en arrêt des procédures pour abus de procédure fondée sur une conduite de l’État qui ne représente aucune menace pour l’équité du procès, mais qui risque de miner l’intégrité du processus judiciaire. Les requérants invoquent notamment le nombre de fuites, leurs conséquences, leur origine et l’absence totale de réaction de l’État à ces fuites. Dans le cadre de cette requête, les coaccusés-requérants veulent contraindre les deux journalistes qui ont publié ces documents et informations, à témoigner. Ils espèrent ainsi obtenir d’eux leurs sources afin de pouvoir remonter vers la personne de l’État ou les personnes de l’État ayant contribué à la fuite.

 

[3]       Les deux journalistes demandent l’annulation de leur assignation en invoquant la protection de leurs sources journalistiques.

 

CONTEXTE

 

[4]       Pour bien comprendre ce qui amène les requérants à s’intéresser à l’identification des auteurs des fuites journalistiques en l’espèce, il faut dresser la chronologie des événements pour situer dans quel contexte elles sont survenues et les liens entre les renseignements et les documents, d’une part, et la présente affaire et les requérants, d’autre part.

 

[5]       Les six coaccusés font face à certains des 14 chefs suivants contenus à l’acte d’accusation : fraude, abus de confiance, complot pour fraude et/ou abus de confiance, fraudes envers le gouvernement, corruption de fonctionnaires judiciaires et corruption dans les affaires municipales. La période totale couverte par les 14 chefs commence le 1er janvier 2000 et se termine le 31 décembre 2012.

 

[6]       La thèse du ministère public est que Marc-Yvan Côté aurait organisé, avec certains complices travaillant pour la firme d’ingénierie Roche, un système de financement occulte au profit de Nathalie Normandeau, alors ministre des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire (ci-après « MAMROT ») et députée de Bonaventure.

 

[7]       En échange de ce financement occulte, la firme Roche aurait obtenu frauduleusement du MAMROT des subventions pour ses clients pour l’accomplissement de certains projets en lien avec la qualité des eaux alors que pour d’autres projets, les subventions auraient été majorées.

 

[8]       Les présentes accusations découlent de deux enquêtes policières, les projets JOUG et LIERRE.

 

[9]       Le projet JOUG s’intéresse aux subventions du MAMROT que Roche aurait obtenues frauduleusement pour le compte de ses clientes, des municipalités de l’Est du Québec.

 

[10]    Le Projet LIERRE s’intéresse quant à lui à l’octroi d’une subvention du MAMROT à la Ville de Boisbriand, également cliente de Roche.

 

[11]    Les enquêtes JOUG et LIERRE font suite au projet FICHE qui concernait la collusion et la corruption auxquelles se serait livrée la firme Roche pour obtenir un mandat professionnel de la Ville de Boisbriand dans le cadre de la réfection de son usine d’épuration.

 

[12]    Le 7 avril 2010, dans le cadre de l’enquête FICHE, les policiers de l’opération Marteau perquisitionnent les bureaux de Roche.

 

[13]    Le 3 février 2011, toujours dans le cadre de l’enquête FICHE, les policiers arrêtent plusieurs individus, notamment France Michaud, l’une des six coaccusés dans la présente affaire, et les accusent d’infractions relatives à de la collusion et de la corruption.

 

[14]    Le 12 avril 2012, l’émission Enquête diffuse sur les ondes de Radio-Canada un reportage de la journaliste Marie-Maude Denis concernant le projet FICHE.

 

[15]    Le reportage rappelle notamment l’arrestation, le 3 février 2011, de France Michaud, vice-présidente de Roche, d’un de ses collègues ingénieurs chez Roche, Gaétan Morin, de Claude Brière, Rosaire Fontaine, Sylvie Saint-Jean, ex-mairesse de Brossard, Lino Zambito et son père. On relate aussi l’arrestation d’un ancien maire de Boisbriand, Robert Poirier, deux semaines plus tard.

 

[16]    Le reportage est constitué d’extraits vidéos et audios de l’interrogatoire de cinq personnes arrêtées, dont France Michaud, par des enquêteurs.

 

[17]    On y fait état que l’enquête a duré 17 mois, qu’il y a une soixantaine de témoins et des milliers de pages de documents qui ont mené à l’arrestation de huit personnes.

 

[18]    La journaliste mentionne avoir obtenu une partie de la preuve recueillie contre eux. On y voit un rapport d’enquête papier portant l’entête de la Sûreté du Québec.

 

[19]    Le reportage fait aussi état d’une lettre retrouvée lors d’une perquisition par la Sûreté du Québec chez Roche en 2010. On exhibe à l’écran l’image d’un extrait d’une lettre datée du 2 décembre 1994, adressée à Marc-Yvan Côté par un haut dirigeant de Roche, dont le nom est brouillé. Des extraits de la lettre apparaissent et on en cible ceux qui identifient les contributions politiques comme moyen de décrocher des contrats.

 

[20]    Le reportage présente un extrait de l’interrogatoire vidéo et audio de France Michaud portant sur cette lettre. Des extraits d’une déclaration d’un ingénieur de Roche qu’elle supervisait et dont des extraits sont présentés à l’écran. La journaliste souligne que, selon la preuve recueillie par Marteau, France Michaud avait participé activement au financement des partis politiques pour le compte de Roche.

 

[21]    On cite aussi une déclaration de Gilles Cloutier, un ancien employé de Roche, faite aux policiers de la Sûreté du Québec, une déclaration d’un haut fonctionnaire de la Ville de Boisbriand et des déclarations d’employés de BPR-Triax et de Roche dont on cite certains extraits.

 

[22]    Le reportage affiche ensuite une liste retrouvée chez la compagnie Infrabec par les policiers. Il s’agit des soumissionnaires potentiels pour la construction de l’usine. La liste aurait été envoyée par Roche à Infrabec pendant l’appel d’offres.

 

[23]    On exhibe à l’écran d’autres documents qui sont représentés comme des documents de l’enquête.

 

[24]    On souligne que Nathalie Normandeau était la ministre de qui relevait les subventions pour l’usine de Boisbriand.

 

[25]    Le reportage montre aussi l’extrait d’une lettre du chef de cabinet de Nathalie Normandeau, Bruno Lortie, un autre des coaccusés, faisant état d’une rencontre en juin 2006 entre France Michaud, Sylvie St-Jean et Nathalie Normandeau pour obtenir une subvention.

 

[26]    La journaliste souligne que, selon la preuve policière, France Michaud avait vanté ses contacts en politique pour vendre la candidature de Roche à la Ville de Boisbriand. On diffuse aussi un extrait de l’interrogatoire policier de France Michaud à cet égard.

 

[27]    Les membres de l’Unité permanente anticorruption (UPAC) ne s’étonnent pas de ce reportage et des documents utilisés parce que les avocats des accusés du projet FICHE se sont vu remettre des documents dans le cadre de la divulgation de la preuve.

 

[28]    Le 11 mai 2012, la Cour supérieure ordonne à la Société Radio-Canada de retirer de son site internet ce reportage afin de ne pas nuire au procès à venir de France Michaud et de ses coaccusés.

 

[29]    En décembre 2012, l’enquêteur Mathieu Venne devient enquêteur principal du dossier JOUG.

[30]    Au début 2013, le projet JOUG est présenté aux enquêteurs de la Commission sur l'octroi et la gestion des contrats publics dans l'industrie de la construction (ci-après « la commission Charbonneau »).

 

[31]    Le 29 janvier 2014, les policiers de l’UPAC perquisitionnent de nouveau les bureaux de la firme Roche.

 

[32]    Le 27 février 2014, les policiers dont l’enquêteur Venne, se rendent au domicile de Marc-Yvan Côté ainsi qu’à son commerce et y effectuent des perquisitions.

 

[33]    Lors de ces perquisitions, les policiers saisissent notamment des documents ainsi que le matériel informatique de Marc-Yvan Côté.

 

[34]    Dans les mois qui suivent, les policiers analysent le contenu du matériel informatique saisi.

 

[35]    Au cours de son étude du dossier, l’enquêteur Venne porte une attention particulière à une série de courriels que Marc-Yvan Côté aurait échangé avec certains dirigeants de l’entreprise Premier Tech en lien avec l’obtention d’une subvention.

 

[36]    Ces échanges démontreraient que Marc-Yvan Côté aurait usé de son amitié avec le ministre Sam Hamad afin d’obtenir certaines informations privilégiées, de débloquer le dossier et d’obtenir des subventions importantes pour la firme Premier Tech.

 

[37]    L’enquêteur Venne rédige un rapport d’enquête concernant cet événement (« le dossier Sam Hamad »), y voyant un acte répréhensible.

 

[38]    Le 6 mai 2014, les policiers perquisitionnent le bureau de Gaspé de la firme Roche.

 

[39]    Le 21 novembre 2014, l’émission Enquête dévoile que des enquêteurs de l’UPAC s’intéressent au rôle de l’ancien premier ministre Jean Charest et de l’homme d’affaires Marc Bibeau dans le cadre de l’établissement d’un système de financement occulte. Le nom de ce projet policier est MÂCHURER.

 

[40]    L’enquêteur Venne grave l’ensemble de ce qu’il a recueilli et qui concernerait les liens entre Marc-Yvan Côté et Sam Hamad sur un répertoire U de la Direction des enquêtes sur la corruption. Il rédige ensuite un document de signalement. Puis, il grave sur un cédérom les courriels et il remet le cédérom au lieutenant Pinet qui est l’officier responsable du Centre de gestion des signalements.

 

[41]    Le 27 janvier 2015, l’enquêteur Venne transmet son rapport d’enquête concernant le dossier Sam Hamad à son supérieur, le lieutenant Benoît Pinet, qui ouvre un dossier sur ce volet le lendemain.

[42]    Au cours du mois de février 2015, l’enquêteur Venne insiste à de nombreuses reprises pour que le dossier Sam Hamad soit étudié soigneusement. Les gestionnaires du dossier l’informent que ce volet ne sera pas exploré car ils n’y voient rien de concret. La chef d’équipe de l’enquêteur Venne, la sergente Geneviève Leclerc, estime qu’après quatre ans d’enquête de JOUG, il ne convient pas d’élargir ainsi l’enquête et croit plutôt que si ce volet doit être enquêté, il doit faire l’objet d’une enquête séparée.

 

[43]    Devant l’insistance de l’enquêteur Venne, les gestionnaires décident d’ajouter le dossier Sam Hamad au dossier JOUG, afin d’obtenir l’avis des procureurs de la poursuite.

 

[44]    Le 16 février 2015, le dossier JOUG est déposé au Bureau de la lutte à la corruption et à la malversation pour étude. Au cours des semaines et des mois suivants, aucune demande de complément n’est demandée pour le dossier Sam Hamad.

 

[45]    En juillet 2015, en l’absence de sa chef d’équipe, la sergente Geneviève Leclerc, l’enquêteur Venne tente de relancer l’intérêt pour le dossier Sam Hamad auprès du lieutenant Pinet.

 

[46]    Le samedi 8 août 2015, de 23h07 à 23h29, une personne non identifiée utilisant le mot de passe de l’enquêteur Venne entre dans le serveur du dossier JOUG (« UO 4200 ») et consulte des documents. Un des fichiers explorés contient six des sept courriels qui seront diffusés dans le cadre d’un reportage de Radio-Canada le 31 mars 2016. On y reviendra.

 

[47]    Tout le bureau de la corruption a accès au serveur de l’enquête JOUG.

 

[48]    Le 10 décembre 2015, l’émission Enquête de Radio-Canada diffuse un reportage de Marie-Maude Denis intitulé « Ratures et ruptures ».

 

[49]    On y traite alors de la dissidence du commissaire Renaud Lachance de la Commission Charbonneau, s’appuyant sur des documents manuscrits de celui-ci ainsi que des courriels échangés par les commissaires lors de leur délibéré.

 

[50]    Dans le cadre du reportage, on cite des extraits des projets échangés entre des commissaires et des commentaires manuscrits du commissaire Lachance au sujet de Bruno Lortie. On prend ensuite en exemple le procès de Nathalie Normandeau. On souligne que le sujet sur lequel le commissaire Lachance a rayé le plus de passages, c’est concernant la ministre Nathalie Normandeau et sa gestion du programme de subventions pour les usines de traitement des eaux. On cite des extraits que souhaitait corriger le commissaire Lachance.

 

 

 

[51]    Ce reportage est largement repris dans les médias.

 

[52]    Le 29 février 2016, les procureurs de la Direction des poursuites criminelles et pénales (DPCP) adressent une demande de compléments d’enquête à l’enquêteur Venne. Vu le nombre et la nature des compléments demandés, l’enquêteur Venne signale avoir besoin d’un mois.

 

[53]    Au début de mars 2016, les procureurs au DPCP sont prêts à déposer des accusations dans la présente affaire. Les policiers ne le sont pas.

 

[54]    Le 11 mars 2016, l’enquêteur Venne fait part à Me Claude Dussault du DPCP qu’il souhaite bénéficier d’un mois pour les compléments d’enquête.

 

[55]    La sergente Leclerc apprend qu’on demande que les arrestations aient lieu la semaine suivante. À l’époque, son équipe s’affaire dans un autre dossier avec un fonctionnaire en place et elle estime que cet empressement pour les arrestations n’est pas justifié. Elle demande à son supérieur, monsieur Cossette, de reporter les arrestations à plus tard. Ce dernier lui refusera que ça ait lieu le lundi, 21 mars 2016.

 

[56]    Le lundi 14 mars 2016, l’enquêteur Venne apprend de sa supérieure, madame Leclerc, que les arrestations dans la présente affaire sont devancées à la semaine suivante. Il apprend plus tard que ce sera plutôt le vendredi 18 mars. C’est de nouveau modifié. On lui fait part que les arrestations auront lieu le jeudi 17 mars. Les procureurs n’estiment pas avoir besoin d’attendre les compléments d’enquête.

 

[57]    Il appert que la date retenue du 17 mars est aussi la date de présentation du budget du Gouvernement du Québec.

 

[58]    L’enquêteur Venne ignore d’où sont venus les ordres de procéder aux arrestations le 17 mars 2016. Pour la sergente Leclerc, c’est la première fois que la date des arrestations n’est pas convenue entre les policiers et les procureurs, que la décision est prise unilatéralement. Cette dernière n’est toutefois pas surprise qu’on soit passé finalement du vendredi 18 mars au jeudi 17 mars, parce que le vendredi, les deux tiers des policiers sont en congé et que ça coûte donc cher de mener une opération du genre un vendredi.

 

[59]    Les arrestations du 17 mars 2016 dans cette affaire provoquent un battage médiatique que plusieurs policiers de l’UPAC ont estimé démesuré et injuste pour les personnes arrêtées. Quant à lui, l’enquêteur Venne en a été bouleversé.

 

[60]    Le matin du 19 mars 2016, Louis Lacroix, journaliste, reçoit un appel téléphonique. Son interlocuteur a emprunté le prénom de Pierre et demande à parler au journaliste de façon confidentielle.

 

[61]    Au cours de la conversation d’environ une demi-heure, Pierre veut discuter de l’arrestation de Nathalie Normandeau. Il soutient que la preuve amassée par l’UPAC ne tient que sur le témoignage de son ancien chef de cabinet, Bruno Lortie. Pierre y va d’une certaine analyse de la situation concernant Jean Charest, Bruno Lortie, Nathalie Normandeau, Marc-Yvan Côté, le patron de l’UPAC, Robert Lafrenière et Philippe Couillard.

 

[62]    Louis Lacroix constate que Pierre connaît bien les rouages du gouvernement. Il constate aussi que Pierre a obtenu son numéro de téléphone cellulaire qui n’est fiché nulle part, sauf sur une liste de la tribune de la presse.

 

[63]    Pierre propose à Louis Lacroix de le rencontrer le mardi ou mercredi suivant puisqu’il sera à Québec et propose un restaurant qui soit loin des regards de la colline parlementaire. Pierre indique à monsieur Lacroix qu’il le rappellera le lundi, 21 mars 2016.

 

[64]    Le lundi matin, 21 mars 2016, un peu avant 9 heures, Pierre appelle le journaliste Lacroix. Pierre lui raconte avoir commencé à consulter la preuve amassée par l’UPAC depuis leur première conversation. Il lui mentionne qu’il y a 1500 pages d’affidavits, d’écoute électronique et d’autres témoignages recueillis par les policiers et lui propose de lui refiler l’ensemble des fichiers sur un cédérom. Il lui demande de les copier et de détruire le disque parce qu’il est codé et qu’on peut remonter jusqu’à lui si on le retrouve. Pierre s’inquiète aussi d’une perquisition éventuelle au bureau de Louis Lacroix.

 

[65]    Pierre lui dit qu’il le rappellera le lendemain pour fixer l’heure du rendez-vous. Au moment de parution de l’article de Louis Lacroix, le 5 avril 2016, Pierre dont on reparlera, n’aura pas rappelé.

 

[66]    Le 21 mars 2016, la sergente Leclerc rencontre l’enquêteur Venne. Elle le sent toujours bouleversé. Il est émotif au point d’en venir aux larmes.

 

[67]    Le 31 mars 2016, le journaliste Louis Lacroix téléphone à l’UPAC pour obtenir un renseignement. Il demande à Anne-Frédéric Laurence, responsable des communications de l’UPAC, si la preuve du dossier JOUG est contenue sur un cédérom ou un disque dur.

 

[68]    Devant le caractère inusité de cette demande, Anne-Frédéric Laurence en avertit immédiatement la sergente Leclerc qui, à son tour, en avertit l’enquêteur Venne.

 

[69]    Louis Lacroix contacte également le DPCP pour s’informer de certaines fuites d’informations dans le dossier JOUG.

 

[70]    Dans l’heure qui suit ces deux appels, Pierre contacte Louis Lacroix pour lui dire qu’il sait qu’il a appelé à l’UPAC et au DPCP.

 

[71]    Le 31 mars 2016, Radio Canada diffuse, dans le cadre de l’émission Enquête, un reportage de la journaliste Marie-Maude Denis intitulé « Notre ami Sam ». Le reportage revient d’abord sur la candidature en 2003 de Sam Hamad, jusqu’à peu de temps auparavant vice-président chez Roche. On s’intéresse aux liens entre Sam Hamad et Marc-Yvan Côté. Le reportage dévoile des courriels dans le but avoué de démontrer que Marc-Yvan Côté s’activait pour le financement politique de Sam Hamad.

 

[72]    On s’intéresse aux subventions gouvernementales reçues par Premier Tech, une entreprise du Bas St-Laurent spécialisée en horticulture, en équipements industriels et en biotechnologies, pour acheter un concurrent.

 

[73]    La journaliste précise que les courriels obtenus font état de démarches de Sam Hamad et d’informations données par ce dernier sur les délibérations confidentielles du Conseil du trésor.

 

[74]    Le reportage contient six des sept courriels d’un des fichiers indiqués comme ayant été modifiés sur le répertoire U de l’enquêteur Venne le 8 août 2015, ce que l’enquêteur Venne dit ne pas avoir réalisé avant mai 2017.

 

[75]    On y cite des courriels envoyés entre Jean Bélanger, président et chef de l’exploitation de Premier Tech, Yves Goudreau, vice-président au développement corporatif de Premier Tech, Marc-Yvan Côté, présenté comme ayant été jusqu’à son arrestation du 17 mars 2016, vice-président du conseil d’administration de Premier Tech et Sam Hamad, élu en 2003 et ayant presque toujours siégé au Conseil des ministres.

 

[76]    On relate ensuite que le 7 septembre 2011, Sam Hamad est devenu ministre du Développement économique de l’Innovation et de l’Exportation, Québec.

 

[77]    Le reportage fait mention d’un retour à la charge avec une autre subvention qui dépend directement du ministère de Sam Hamad et qui sera, selon le reportage, accordée pour la somme de huit millions de dollars.

 

[78]    On relate à nouveau des échanges de courriels à ce sujet entre Marc-Yvan Côté, Jean Bélanger et le chef de cabinet adjoint de Sam Hamad.

 

[79]    Le 31 mars 2016, l’enquêteur Venne est sous le choc lorsqu’il constate que la journaliste Marie-Maude Denis a eu accès à six courriels du volet Sam Hamad, qui étaient dans son répertoire U. C’est qu’il sait bien que les accusés et leurs procureurs dans la présente affaire ne se sont toujours pas fait communiquer ces documents.

 

[80]    Le reportage est largement repris dans les médias.

 

[81]    Ce fort battage médiatique aura raison du portefeuille ministériel de Sam Hamad et déclenchera une enquête du commissaire au lobbysme et une autre du commissaire à l’éthique de l’Assemblée nationale.

 

[82]    Le 1er avril 2016, l’enquêteur Venne écrit à nouveau à sa chef d’équipe, la sergente Leclerc :

 

« Avec tout ce qui se passe, crois-tu qu’ils vont nous dire de creuser le volet? »

 

[83]    La poursuite jongle alors avec l’idée de demander une injonction pour empêcher la rediffusion du reportage, mais y renonce puisqu’elle ignore l’origine des fuites et qu’elle juge que ce reportage ne mettra pas en péril l’équité du procès.

 

[84]    Le 5 avril 2016, le magazine L’Actualité publie un article du journaliste Louis Lacroix intitulé « Qui veut faire dérailler le procès de Nathalie Normandeau? ».

 

[85]    Le journaliste raconte l’entretien qu’il a eu avec Pierre le 19 mars, tel que nous l’avons précédemment exposé.

 

[86]    Louis Lacroix ajoute dans l’article qu’un de ses collègues avec qui Pierre a aussi communiqué l’informe que Pierre lui a dit être au courant que Louis Lacroix avait logé des appels au DPCP et à l’UPAC pour savoir si la preuve était stockée sur des disques.

 

[87]    Louis Lacroix ajoute que trois autres journalistes, dont Michel Hébert du Journal de Montréal, ont reçu le même appel de « Pierre » sans plus de suite. Il y va de ce commentaire :

 

« Manifestement, « Pierre » n’est pas une source, mais quelqu’un qui veut se servir des journalistes pour faire avancer sa cause. Voilà pourquoi je me sens à l’aise de raconter cette histoire. »

 

[88]    Louis Lacroix questionne ensuite la véritable identité de Pierre et commente certains scénarios relatifs à sa motivation. Il raconte que Nathalie Normandeau a été appelée par Pierre et que l’entourage de cette dernière a pris toutes les distances nécessaires.

 

[89]    Le 13 avril 2016, le Service des enquêtes internes et du processus disciplinaire de la Sûreté du Québec lance une enquête pour identifier l’origine des fuites.

 

[90]    Le 19 avril 2016, le réseau TVA obtient de la Coalition Avenir Québec des documents provenant de la perquisition de Marc-Yvan Côté, notamment un Contrôle des pièces à conviction portant l’entête de la Sûreté du Québec.

 

[91]    Questionné sur l’identité de la source lui ayant remis ces documents confidentiels, le député de La Peltrie répond :

 

« Des gens qui ont intérêt à ce que ces questions se posent, des gens qui ont un intérêt à ce que les bonnes réponses soient données, des gens qui doutent peut-être ce qui a été dit dans l’espace public. »

 

[92]    Le jour même, l’enquêteur Venne apprend que le commissaire à l’éthique de l’Assemblée nationale désire enquêter sur les allégations du reportage d’enquête du 31 mars 2016 concernant le rôle qu’aurait joué Sam Hamad pour l’octroi d’une subvention à l’entreprise Premier Tech. Cette nouvelle le choque au plus haut point.

 

[93]    Le 19 avril 2016, la ministre de la Justice et la porte-parole de l’opposition officielle se montrent préoccupées par la tournure des événements.

 

[94]    La directrice des poursuites criminelles et pénales, Me Annick Murphy, se dit également préoccupée, assurant qu’une enquête est en cours et que la fuite ne peut provenir du directeur des poursuites criminelles et pénales.

 

[95]    Le 20 avril 2016, les accusés comparaissent et obtiennent copie de la communication initiale de la preuve.

 

[96]    Le 21 avril 2016, le procureur de Marc-Yvan Côté écrit au ministère public pour lui demander essentiellement quelles mesures ont été prises et sont envisagées pour cesser le coulage de la preuve dans les médias et de porter les accusations qui s’imposent contre Radio-Canada et TVA, notamment d’outrage au Tribunal.

 

[97]    Le 22 avril 2016, le magazine L’Actualité publie un article du journaliste Louis Lacroix intitulé : « Il y a plus d’un « Pierre » impliqué dans la fuite du dossier Normandeau ».

 

[98]    L’article rappelle que le commissaire de l’UPAC, Robert Lafrenière, a soutenu, le mercredi soir précédent, en commission parlementaire, que les fuites étaient prises très au sérieux par son organisation et qu’on avait demandé à la Sûreté du Québec de faire une enquête dans un cas, ce que la Sûreté du Québec était en train de faire. Celui-ci soulignait aussi des mesures prises à son bureau pour éviter d’éventuelles fuites.

 

[99]    Le journaliste souligne avoir été contacté de nouveau par Pierre le lendemain de la parution de son premier article du 5 avril 2016 et à quatre autres reprises dans les jours suivants. Pierre lui signale que son article avait rendu tout le monde prudent et que le but de son complice et lui n’est pas de faire dérailler le procès de Nathalie Normandeau. Il mentionne que le gros poisson est Jean Charest.

 

[100]    Au moment de prendre rendez-vous, Pierre signale que l’autre personne n’est pas à l’aise.

 

[101]    Louis Lacroix rapporte que ses conversations avec Pierre se sont tues le vendredi 8 avril 2016, 24 heures avant une rencontre prévue à Montréal. Pierre racontait alors avoir été interpellé par un collègue au moment où il se rendait dîner. Ce collègue lui avait demandé s’il se rendait toujours rencontrer Lacroix le lendemain après-midi au centre-ville. Pierre n’est pas venu à ce rendez-vous.

 

[102]    Louis Lacroix a noté le numéro de téléphone affiché sur son écran lors de cet appel du 8 avril. Le numéro correspondait au numéro d’un centre d’éducation populaire.

 

[103]    Le 22 avril 2016, le sergent Michel Comeau de la Direction des normes professionnelles de la Sûreté du Québec est désigné, à la demande de l’État-Major de la Sûreté du Québec, pour enquêter une entrave à la justice concernant une fuite d’informations policières faite au projet du monde journalistique. On cible les courriels saisis par l’UPAC à la résidence de Marc-Yvan Côté le 27 février 2014 en lien avec JOUG et diffusés lors de l’émission Enquête du 31 mars 2016 et les courriels et documents provenant du dossier JOUG et dont Pierre s’est dit en possession auprès de plusieurs journalistes.

 

[104]    Le 25 avril 2016, l’Actualité publie un article du journaliste Louis Lacroix intitulé « Pourquoi dévoiler l’existence de « Pierre »? ». Le journaliste raconte que Pierre ne s’est jamais offusqué que le journaliste publie le détail de leurs conversations. Il ajoute que Pierre a contacté plusieurs autres journalistes, une dizaine, à qui il a promis des documents sans jamais les livrer.

 

[105]    Dans les semaines qui suivent, les requérants apprennent, à la lecture d’une synthèse de la preuve préparée par le ministère public, que l’épisode ayant fait l’objet du reportage de l’émission Enquête du 31 mars 2016 sur le dossier Sam Hamad constitue une part substantielle des actions leur étant reprochées.

 

[106]    Le 3 mai 2016, le ministère public répond au courriel du 21 avril 2016 du procureur de Marc-Yvan Côté, se contentant d’inviter les requérants à porter plainte aux autorités compétentes pour faire cesser les fuites, mais omettant de répondre à la question des requérants concernant les procédures judiciaires qui seraient prises contre les médias.

 

[107]    Le 25 mai 2016, les enquêteurs des enquêtes internes rencontrent Lino Zambito, ancien entrepreneur en construction et témoin à charge dans le dossier LIERRE. Ce dernier aurait des liens solides dans les milieux policiers et journalistiques. Selon lui, les fuites dans les médias auraient été orchestrées par la haute direction de l’UPAC pour des motifs obliques.

 

[108]    Le 4 juillet 2016, insatisfait des réponses du ministère public, le procureur de Marc-Yvan Côté réitère sa demande qu’on lui communique les fruits de l’enquête entreprise pour trouver la source des fuites dont il est victime et souligne que l’on n’a pas répondu à sa question concernant les mesures qui seront prises contre les médias responsables de la diffusion d’éléments de preuve.

 

[109]    Le 5 juillet 2016, le requérant et ses coaccusés annoncent leur intention d’être jugés devant juge et jury, avec enquête préliminaire.

 

[110]    Le 28 juillet 2016, le ministère public refuse de divulguer les mesures prises pour trouver la source des fuites et invite de nouveau le requérant à porter plainte contre les médias.

 

[111]    Le 30 mars 2017, le Journal de Montréal publie une série de courriels issus de la divulgation de la preuve démontrant que Marc-Yvan Côté aurait aidé, d’une certaine façon, Philippe Couillard dans le cadre de la course à la chefferie du Parti libéral.

 

[112]    Je souligne qu’il est impossible de prétendre ici à une piste permettant de savoir comment le Journal de Montréal a obtenu ces documents.

 

[113]    Le 31 mars 2017, Marc-Yvan Côté, par l’entremise de son procureur, demande au ministère public de prendre des actions concrètes pour faire cesser les fuites à défaut de quoi il présentera une requête en arrêt des procédures lorsque le juge de son procès sera nommé.

 

[114]    Le 4 avril 2017, le ministère public accuse réception de cette correspondance, promettant de répondre dans les prochains jours.

 

[115]    Le 5 avril 2017, l’UPAC annonce la tenue d’une enquête interne afin d’identifier l’origine de la transmission de documents confidentiels qui a permis la diffusion publique de certains éléments d’une enquête criminelle active.

 

[116]    Le 24 avril 2017, le Journal de Montréal publie un article intitulé « Exclusif : Jean Charest et Marc Bibeau surveillés de près par la police jusqu’en 2016 ». On y révèle que le Bureau d’enquête du Journal de Montréal a appris que deux hommes et une trentaine de personnes dont l’ex-ministre Line Beauchamp et l’ex-directrice du financement du Parti libéral du Québec, Violette Trépanier, ont été ciblés par l’UPAC dans le cadre d’une enquête criminelle nommée MÂCHURER.

 

[117]    Dans cet article, on fait état de certaines démarches de surveillance physiques effectuées concernant Marc Bibeau et Jean Charest. On y mentionne aussi que, selon plusieurs sources, l’enquête MÂCHURER découle du projet LIERRE de l’UPAC qui a permis d’arrêter Nathalie Normandeau et six autres personnes en 2016. On y fait état de la thèse policière selon laquelle les grandes firmes de génie et de construction auraient fourni d’importantes contributions politiques illégales en retour de l’octroi de contrats gouvernementaux et de subventions sous le règne libéral, entre 2003 et 2012. On y reproduit un organigramme du projet MÂCHURER où figurent Marc Bibeau, Violette Trépanier, Jean Charest et des firmes d’ingénieurs dont Roche. On rapporte ce que des témoins rencontrés par l’UPAC ont raconté. On y retrouve également les fiches constituées à l’UPAC de Jean Charest et Marc Bibeau dont les journalistes disent avoir eux-mêmes brouillé les nombreux renseignements personnels, la liste des passages à la douane canadienne effectuées par Jean Charest à partir de 2003 fournie à l’UPAC par les Services frontaliers dans le cadre du projet MÂCHURER. Ce dernier document porte la date du 19 janvier 2016.

 

[118]    À cela s’ajoute un formulaire de demande de divulgation de renseignements personnels de Passeport Canada rempli par les enquêteurs de l’UPAC concernant le passeport de Jean Charest.

 

[119]    On cite finalement des extraits de la déclaration d’un témoin faite à l’UPAC le 21 janvier 2016, déclaration dont on reprend l’image des deux premières pages.

 

[120]    Pour le seul réseau Facebook, cet article sera partagé pas moins de 8 300 fois.

 

[121]    La nouvelle est reprise par l’ensemble des médias québécois.

 

[122]    Le 25 avril 2017, le Journal de Montréal publie un nouvel article selon lequel l’enquête visant messieurs Charest et Bibeau devait être terminée avant Noël 2016, publiant un calendrier des différentes échéances prévues au dossier.

 

[123]    Cette nouvelle est reprise par les médias.

 

[124]    Le jour même, le DPCP affirme ne pas avoir reçu le dossier portant sur l’enquête MÂCHURER.

 

[125]    La poursuite admet que seuls les préposés de l’UPAC ont accès à toutes ces informations, en ce que (1) l’enquête étant en cours, aucun avocat de défense n’en a obtenu copie, (2) le DPCP n’a pas reçu le dossier, (3) les documents proviennent tous directement et visiblement de la police et (4) seuls des policiers pouvaient connaître les échéances prévues.

 

[126]    Le procureur de Marc-Yvan Côté, toujours en attente d’une réponse à son courriel du 31 mars 2017, et face aux nouvelles fuites, écrit de nouveau au ministère public. D’emblée, il annonce de nouveau son intention de déposer une requête en arrêt des procédures en raison du coulage d’informations et demande d’obtenir certains renseignements en vue de cette requête. De plus, il soumet au ministère public certaines pistes pouvant l’aiguiller dans la recherche de la source des fuites.

 

[127]    À compter du 25 avril 2017, l’accès aux dossiers pour les enquêteurs de l’UPAC devient restreint aux seuls dossiers de leur équipe.

 

[128]    Le 26 avril 2017, le ministère public accuse réception de la nouvelle correspondance du procureur de Marc-Yvan Côté et indique qu’il lui reviendra sous peu.

 

[129]    Au mois de mai 2017, alors que l’enquêteur Venne se prépare à rencontrer l’enquêteur Comeau et qu’il fait des recherches dans son ordinateur, il constate, selon ses dires, que les dossiers de JOUG sur son répertoire U partagé par les enquêteurs de l’UPAC avaient été modifiés le 8 août 2015 entre 23h07 et 23h29. L’enquêteur Venne avait comme habitude de laisser son ordinateur à son poste de travail avec le jeton, qui est requis pour l’accès, branché sur le port USB. Personne d’autre que lui, à sa connaissance, n’a toutefois le mot de passe de son jeton.

 

[130]    En mai 2017, une enquête administrative menée par des enquêteurs retraités est déclenchée pour enquêter sur les fuites à l’UPAC.

 

[131]    Le 16 mai 2017, le réseau TVA diffuse des courriels issus de la preuve concernant la relation entre l’ancien directeur général de la Ville de Gaspé et actuel député, Gaétan Lelièvre, avec la firme Roche. Ces événements concernent le projet JOUG.

 

[132]    Le 31 mai 2017, le réseau TVA diffuse de nouveau des courriels issus de la preuve démontrant un lien d’amitié entre Marc-Yvan Côté et Philippe Couillard.

 

[133]    On y voit un courriel provenant de la divulgation de la preuve et on en cite un autre.

 

[134]    Cette nouvelle est reprise par les médias.

 

[135]    Le 1er juin 2017, le Journal de Québec diffuse de nouveaux courriels entre Philippe Couillard et Marc-Yvan Côté, issus de la preuve. Rien ne permet de savoir comment la journaliste a appris cela.

 

[136]    Ce nouvel épisode est relayé par la presse.

 

[137]    En juin 2017, naît le projet A, qui s’intéresse aux fuites des reportages « Anguille sous Roche », « Notre ami SAM » et aux fuites de MÂCHURER du 24 avril 2017 dans le Journal de Montréal. Ce sont des policiers de l’équipe sur la corruption qui enquêtent le projet A.

 

[138]    Le 20 juin 2017, la poursuite répond aux demandes des 21 avril 2016 et 31 mars 2017 en réitérant que Marc-Yvon Côté doit se plaindre des fuites aux autorités compétentes. La poursuite dévoile par la suite certains des renseignements demandés le 26 avril 2017 en vue d’étayer la requête des requérants en arrêt des procédures pour abus de procédure.

 

[139]    Le 21 juin 2017, la poursuite refuse de motiver son choix d’exiger un procès devant juge et jury.

 

[140]    Le 29 juin 2017, Marc-Yvan Côté annonce son intention d’être jugé par juge sans jury.

 

[141]    Au courant de l’été, les coaccusés du requérant manifestent leur intention d’être également jugés par un juge sans jury.

 

[142]    Le ministère public s’objecte tout l’été 2017 à ce que les requérants subissent un procès devant juge sans jury, sans donner d’explication de sa position.

 

[143]    Le 8 septembre 2017, l’honorable Richard Grenier, juge de la Cour supérieure, tranche. Le dossier est retourné devant la Cour du Québec afin que les requérants soient jugés par un juge sans jury.

 

[144]    Le 11 septembre 2017, en réponse à une lettre du procureur de Marc-Yvan Côté, le DPCP écrit aux procureurs de la défense pour leur transmettre une lettre datée du 8 août 2017 provenant du capitaine Duquette du Service des enquêtes internes et du processus disciplinaire concluant que l’origine des fuites dans JOUG et LIERRE est introuvable et donc que le dossier policier à cet effet est fermé.

 

[145]    Le Tribunal constate pourtant que c’est la conclusion du rapport de Michel Comeau porte la date du 13 septembre 2017, qu’il l’a signé à cette date et que la date de vérification officialisée par la signature par Michel Pagé est le 17 septembre.

 

[146]    Le 13 septembre 2017, le Journal de Québec publie des informations concernant une rencontre de monsieur Éric Tétreault avec les enquêteurs de l’UPAC dans le cadre du projet MÂCHURER.

 

[147]    Le 14 septembre 2017, Marc-Yvan Côté demande d’obtenir le dossier d’enquête sur les fuites dont il est fait mention au courriel du DPCP du 11 septembre 2017.

 

[148]    Le 25 octobre 2017, le député de Chomedey et président de la Commission des institutions, Guy Ouellette, est arrêté par l’UPAC.

 

[149]    L’UPAC prétend alors être à la recherche des fuites dans le dossier MÂCHURER. Jusqu’à présent, aucune accusation n’a été portée.

 

[150]    Dans le cadre de la requête en arrêt des procédures pour abus de procédures, le Tribunal a reçu le témoignage de Stéphane Bonhomme qui était policier à l’UPAC depuis 2011 au moment de sa suspension le 25 octobre 2017. Il avait un peu travaillé dans le dossier FICHE lors des perquisitions chez Infrabec, mais pas du tout dans les dossiers LIERRE, JOUG et MÂCHURER.

 

[151]    À l’UPAC, monsieur Bonhomme travaillait au Centre de gestion des signalements dont la mission est de recevoir les signalements, d’évaluer s’ils relèvent de l’UPAC avant de faire rapport au Commissaire.

 

[152]    Monsieur Bonhomme nie avoir participé directement ou indirectement à quelque fuite que ce soit. Il dit ignorer qui est à l’origine des fuites.

 

[153]    Le 25 octobre 2017, la résidence de monsieur Bonhomme est perquisitionnée. La lieutenant Grenier-Lafontaine dresse l’inventaire des choses retrouvées chez monsieur Bonhomme. On a retrouvé chez lui des supports informatiques des projets LAURÉAT, FAUFIL et un disque dur qui contient la base de données du projet NEPTUNIUM. Ce dernier avait été fourni par le soutien technologique de l’UPAC lors de l’extraction des données. Il faut ajouter que monsieur Bonhomme n’avait joué aucun rôle dans NEPTUNIUM et dans FAUFIL. Il avait travaillé un certain temps dans LAURÉAT, mais rien ne pouvait légitimement expliquer la présence de ces projets à son domicile. On y a aussi trouvé deux tableaux de suivi, ceux dressés les vendredis 1er septembre 2017 et du 6 octobre 2017 pour marquer l’état de l’évolution de la situation dans les dossiers d’enquête. Ces tableaux contiennent des informations sensibles. Ces tableaux n’étaient partagés que par les trois responsables de module, le capitaine, les coordonnateurs dont monsieur Bonhomme, et deux adjoints.

 

[154]    Dans une garde-robe de monsieur Bonhomme, on retrouve aussi un document qui contient la liste de tous les dossiers du bureau et un résumé de tous les dossiers et les personnes impliquées.

 

[155]    L’insatisfaction de monsieur Bohomme à l’endroit de ses supérieurs était bien connue. Il lui était arrivé d’avoir des propos désobligeants. Il reconnaît avoir traité un de ses supérieurs d’imbécile. Il a aussi distribué une caricature de son patron, le commissaire de l’UPAC, représenté en tortue qui parle lentement. Monsieur Bonhomme ne trouve pas étonnant qu’il y ait eu des fuites.

 

[156]    Monsieur Bonhomme ne se souvient pas qu’au début de 2015, son patron monsieur Pinet, lui ait remis un disque dur sur JOUG et LIERRE. Ce cédérom disparaîtra et ne sera plus retrouvé.

 

[157]    Monsieur Bonhomme explique que les tableaux du vendredi ont été amenés chez lui par mégarde une semaine ou deux avant la perquisition. Il reconnaît que ceux-ci n’auraient pas dû quitter le bureau. Il dit avoir oublié par la suite de les ramener au bureau. Il nie que certains documents retrouvés chez lui y étaient. Il dit ignorer qui est Pierre.

 

[158]    Le policier retraité de la Sûreté du Québec Richard Despaties a aussi témoigné devant le Tribunal. Après une retraite de la Sûreté du Québec en 2008, monsieur Despaties a été engagé à l’UPAC comme civil ayant un statut d’agent de la paix. Il était analyste enquêteur. Il a été relevé de ses fonctions le 25 juillet 2016 et il a été congédié le 18 octobre 2016. Il associe son congédiement à la plainte de madame Annie Trudel qui aurait aimé que l’UPAC enquête sur le Ministère des transports. Il dit qu’on a cru que c’est lui qui avait incité madame Trudel à porter plainte. Il dit avoir été congédié parce qu’on lui reproche d’avoir dévoilé de l’information. Pourtant dit-il, il n’a eu aucun accès à JOUG, LIERRE et MÂCHURER.

 

[159]    Monsieur Despaties dit avoir eu accès aux locaux du Centre de gestion des signalements pendant environ trois semaines en février 2016. Il connaissait toutefois monsieur Bonhomme et ceux-ci entretenaient des contacts après le congédiement de monsieur Despaties.

 

[160]    Monsieur Despaties nie toute participation directe ou indirecte dans les fuites. Il dit ne pas savoir qui est Pierre et qui est à l’origine des fuites.

 

[161]    Le Tribunal a aussi entendu monsieur Guy Ouellette, député de Chomedey. Du témoignage de monsieur Ouellette, le Tribunal retient qu’il connaissait Richard Despaties, mais pas messieurs Bonhomme et Venne. Il nie avoir donné des documents relatifs à l’UPAC à des journalistes. Il n’a jamais parlé, à sa connaissance, à Pierre.

 

[162]    Bien que l’enquête du projet A ne soit pas terminée au moment de la fin de l’audition des témoins aux fins de la présente décision, le 2 février 2018, messieurs Richard Despaties et Stéphane Bonhomme sont devenus des sujets d’intérêt dès le début de l’enquête. La lieutenant Grenier-Lafontaine, qui mène l’enquête dans le projet A, souligne que monsieur Despaties avait été mécontent d’être transféré à l’UPAC en janvier 2016 et que monsieur Bonhomme avait été rencontré par ses supérieurs en raison de son rendement. Monsieur Bonhomme avait accès au répertoire G et à tous les projets. L’enquête laisse voir par les registres téléphoniques certains échanges entre les deux individus. Elle relate aussi que le 28 juin 2017, monsieur Despaties est relevé de ses fonctions à l’UPAC et n’a plus accès aux ordinateurs de l’UPAC depuis juillet 2016, il a accès aux informations des bureaux de l’UPAC.

 

[163]    Elle ajoute que l’enquête en ce qui a trait à monsieur Lino Zambito n’est pas terminée, mais que ses registres téléphoniques suscitent de l’intérêt.

 

[164]    Elle écarte déjà l’enquêteur Venne comme sujet d’intérêt. L’enquête révèle qu’il n’a pas un mobile suffisant et qu’il n’apparaît jamais dans les échanges avec messieurs Bonhomme et Despaties. De plus, la lieutenant Grenier-Lafontaine détient des explications fournies par le responsable de l’informatique qui avance plusieurs scénarios pouvant expliquer les modifications du 8 août 2015 dans les dossiers de monsieur Venne, sans que ce dernier n’y soit pour quoi que ce soit.

 

[165]    La lieutenant Grenier-Lafontaine précise qu’il n’y a pas eu d’éléments des projets LAURÉAT, FAUFIL et NEPTUNIUM qui se sont retrouvés dans les médias.

 

[166]    Au moment de terminer son témoignage le 2 février 2018, la lieutenant Grenier-Lafontaine ne peut toujours pas dire qui est Pierre, qui a coulé l’information ni qu’on va pouvoir éventuellement identifier Pierre ou les sources de la journaliste Marie-Maude Denis.

 

[167]    Le projet A ne permet pas d’en apprendre beaucoup plus pour le moment puisque l’Assemblée nationale du Québec a revendiqué, le 8 janvier 2018, un privilège parlementaire sur les principaux fruits de l’enquête en lien avec l’arrestation de Guy Ouellette et de la perquisition faite chez lui ou sur sa personne.

 

[168]    Le Tribunal est convaincu par les détails fournis par la lieutenant Grenier-Lafontaine au sujet des perquisitions faites chez monsieur Bonhomme, que les explications de monsieur Bonhomme paraissent farfelues et tout cela ne fait qu’attirer de la plausibilité, sur la base de la preuve disponible, à la thèse de sa participation aux fuites qui nous concernent.

 

[169]    Le 26 octobre 2017, le quotidien La Presse dévoile les détails entourant l’enquête sur le député de Chomedey. La Presse avait pu reconstituer la genèse de l’opération de la veille à partir d’entrevues avec une demi-douzaine de sources. L’article fait notamment état d’une équipe spéciale d’une dizaine d’enquêteurs qui a été formée. Des enquêteurs de l’UPAC, des policiers du Service de police de la Ville de Montréal, de la police de Québec, de Longueuil, de Gatineau et de la GRC s’installent dans un bureau secret.

 

[170]    Revenu Québec leur donne un coup de main. L’article fait état que, selon les sources de la Presse, les enquêteurs du dossier MÂCHURER ont réalisé dix rencontres avec des témoins depuis juin 2017. On rapporte qu’une source policière a déploré le fait que la présence d’un politicien libéral parmi les cibles allait accentuer la pression sur l’équipe spéciale : « On est rendus du caviar pour les politiciens. ».

 

[171]    Le 30 octobre 2017, TVA Nouvelles publie un article dans lequel il est mentionné que son Bureau d’enquête a consulté des documents qui montrent comment les enquêteurs de l’UPAC ont déjà planifié d’utiliser du coulage d’informations à la télévision de Radio-Canada pour faire parler des suspects. On souligne que rien n’indique que l’UPAC est la source des documents fournis lors d’un épisode de l’’émission Enquête, mais que, bien informée des plans des journalistes, divers plans d’action seront mis en place pour profiter de ces reportages et pour provoquer des conversations entre les personnes impliquées et que les enquêteurs de l’UPAC vont rencontrer. L’article reproduit deux documents pour montrer que l’UPAC entendait bien profiter des informations coulées aux médias pour faire avancer leur enquête. Les noms des personnes dont les policiers planifiaient d’intercepter les conversations sont caviardées par TVA Nouvelles elle-même, selon celle-ci. Un document fait état d’un plan d’action fondé sur la connaissance que l’émission Enquête diffusera un reportage au sujet de certaines informations visant le premier ministre Jean Charest, et l’implication de Marc Bibeau dans le financement du Parti libéral du Québec. Le document mentionne que lors de la semaine 6, Jean Charest sera rencontré le jour 1 et Nathalie Normandeau, ancienne ministre du MAMROT et vice-première ministre, en lien avec le dossier LIERRE, le jour 2.

 

[172]    Le 8 novembre 2017, la poursuite annonce qu’elle consent à remettre le dossier d’enquête sur les fuites à la défense, tout en précisant qu’une autre enquête est en cours.

 

[173]    Le 15 novembre 2017, le Journal de Montréal écrit un article contenant des informations sensibles sur le projet MÂCHURER ne pouvant provenir que des forces policières, notamment le registre téléphonique de l’homme d’affaires Marc Bibeau, des photographies d’une surveillance physique et la théorie de cause de l’UPAC.

 

[174]    Ces nouvelles révélations sont reprises par la presse.

 

[175]    Le 17 novembre 2017, la défense obtient le dossier d’enquête sur la fuite concernant le reportage « Notre ami SAM » de l’émission Enquête du 31 mars 2016. Michel Comeau, sergent du Service des enquêtes internes et du processus disciplinaire, signe ce rapport totalisant près de 600 pages en incluant les annexes. Le rapport est daté du 13 septembre 2017. Le dossier est présenté comme en étant un d’entrave à la justice. Tout juste avant de conclure en soumettant son rapport au DPCP pour étude et décision, le sergent Comeau résume :

 

« À ce jour, l’enquête n’a pas permis d’identifier la personne responsable de la fuite. Plusieurs personnes (civils et policiers) pourraient être impliquées dans cette dernière.

 

Considérant les démarches d’enquête effectuées;

 

Considérant le nombre de témoins potentiels;

 

Considérant que les moyens d’enquête disponibles ont peu ou pas de chance de réussite;

 

Nous croyons qu’il y a lieu de clore cette enquête jusqu’à ce que de nouvelles informations ou éléments nouveaux nous soient acheminés. »

 

[176]    Le 27 novembre 2017, le Bureau d’enquête de TVA Nouvelles met la main sur le rapport de Jacques Duchesneau, daté du 14 juin 2012, déposé devant la Commission Charbonneau et qui devait rester scellé pendant cent ans. Ce rapport dresserait un constat dur et cinglant sur l’influence des firmes de génie conseil et des compagnies de construction sur la politique.

 

 

ANALYSE

 

a)     Le cadre législatif et jurisprudence

 

[177]    Le 18 octobre 2017, la Loi sur la protection des sources journalistiques[1] entrait en vigueur. La loi modifie la Loi sur la preuve au Canada[2] par l’adjonction, après l’article 39, de ce qui suit :

 

«  Sources journalistiques

 

Définitions

 

·      39.1 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

 

document S’entend au sens de l’article 487.011 du Code criminel. (document)

 

journaliste Personne dont l’occupation principale consiste à contribuer directement et moyennant rétribution, soit régulièrement ou occasionnellement, à la collecte, la rédaction ou la production d’informations en vue de leur diffusion par les médias, ou tout collaborateur de cette personne. (journalist)

 

 

source journalistique Source qui transmet confidentiellement de l’information à un journaliste avec son engagement, en contrepartie, de ne pas divulguer l’identité de la source, dont l’anonymat est essentiel aux rapports entre le journaliste et la source. (journalistic source)

 

·      Opposition

 

(2) Sous réserve du paragraphe (7), un journaliste peut s’opposer à divulguer un renseignement ou un document auprès d’un tribunal, d’un organisme ou d’une personne ayant le pouvoir de contraindre à la production de renseignements pour le motif que le renseignement ou le document identifie ou est susceptible d’identifier une source journalistique.

 

·      Ancien journaliste

 

(3) Pour l’application des paragraphes (2) et (7), journaliste comprend la personne qui était journaliste au moment où un renseignement identifiant ou susceptible d’identifier la source journalistique lui a été transmis.

 

 

·      Pouvoir du tribunal, de l’organisme ou de la personne

 

(4) Le tribunal, l’organisme ou la personne peut soulever l’application du paragraphe (2) de sa propre initiative.

 

·      Mesure intérimaire

 

(5) Lorsqu’une opposition ou l’application du paragraphe (2) est soulevée, le tribunal, l’organisme ou la personne veille à ce que le renseignement ou le document ne soit pas divulgué, sauf en conformité avec le présent article.

 

·      Observations

 

(6) Avant de décider la question, le tribunal, l’organisme ou la personne donne aux parties et aux personnes intéressées une occasion raisonnable de présenter des observations.

 

 

·      Autorisation

 

(7) Le tribunal, l’organisme ou la personne ne peut autoriser la divulgation du renseignement ou du document que s’il estime que les conditions suivantes sont réunies :

o   a) le renseignement ou le document ne peut être mis en preuve par un autre moyen raisonnable;

o   b) l’intérêt public dans l’administration de la justice l’emporte sur l’intérêt public à préserver la confidentialité de la source journalistique, compte tenu notamment :

§  (i) de l’importance du renseignement ou du document à l’égard d’une question essentielle dans le cadre de l’instance,

§  (ii) de la liberté de la presse,

§  (iii) des conséquences de la divulgation sur la source journalistique et le journaliste.

 

·      Conditions

 

(8) La décision rendue en vertu du paragraphe (7) peut être assortie des conditions que le tribunal, l’organisme ou la personne estime indiquées afin de protéger l’identité de la source journalistique.

 

·      Fardeau

 

(9) Il incombe à la personne qui demande la divulgation de démontrer que les conditions énoncées au paragraphe (7) sont remplies.

 

·      Appel

 

(10) L’appel d’une décision rendue en vertu du paragraphe (7) se fait :

o   a) devant la Cour d’appel fédérale, s’agissant d’une décision de la Cour fédérale;

 

o   b) devant la cour d’appel d’une province, s’agissant d’une décision d’une cour supérieure de la province;

o   c) devant la Cour fédérale, s’agissant d’une décision d’un tribunal, d’un organisme ou d’une personne investi du pouvoir de contraindre à la production de renseignements sous le régime d’une loi fédérale qui ne constitue pas un tribunal, un organisme ou un personne régi par le droit d’une province;

o   d) devant la division ou le tribunal de première instance de la cour supérieure de la province dans le ressort de laquelle le tribunal, l’organisme ou la personne a compétence, dans les autres cas.

 

·      Délai d’appel

 

(11) Le délai dans lequel l’appel prévu au paragraphe (10) peut être interjeté est de dix jours suivant la date de la décision frappée d’appel, mais le tribunal d’appel peut le proroger s’il l’estime indiqué dans les circonstances.

 

·      Procédure sommaire

 

(12) L’appel interjeté en vertu du paragraphe (10) est entendu et tranché sans délai et selon une procédure sommaire.

 

·         2017, ch. 22, art. 2. »

 

[178]    Dans R. c. National Post[3], un journaliste avait reçu d’une source secrète une enveloppe scellée contenant un document qui semblait être la copie d’une autorisation par une banque d’un prêt consenti à un hôtel situé dans le comté du premier ministre. Le journaliste menait une enquête visant à savoir si le premier ministre était impliqué dans le prêt consenti. La banque, le Cabinet du premier ministre et un avocat du premier ministre avaient indiqué que le document était contrefait. La Cour doit décider si le National Post pouvait annuler le mandat de perquisition et l’ordonnance d’assistance décernés pour trouver dans les locaux du National Post le document et l’enveloppe pour pouvoir identifier la source du document.

 

 

 

[179]    Le juge Binnie écrit :

 

« [26] La conduite d’enquêtes criminelles et la sanction des crimes sont essentielles dans une société fondée sur la primauté du droit, mais la liberté de la presse et des autres moyens de communication l’est tout autant. Le principe général selon lequel le public a droit à la preuve émanant de toutes les sources n’est pas absolu. Des exceptions restreintes ont été jugées nécessaires au nom d’intérêts publics rigoureusement définis et prépondérants. »[4]

 

[180]    Il ajoute :

 

« Il est donc important de trouver le juste équilibre entre deux intérêts publics — l’intérêt public à la répression du crime, qu’exige la société civile, et l’intérêt public à la libre circulation d’informations exactes et pertinentes, sans laquelle les institutions démocratiques et la justice sociale seraient affectées.»[5]

 

[181]    Le juge Binnie indique vouloir reconnaître l’importance du recours par les médias à des sources confidentielles particulièrement lorsqu’il s’agit de journalisme d’enquête :

 

« [33] Dans Lessard et Nouveau-Brunswick, la Cour a reconnu que la liberté de diffuser les informations emporte nécessairement la liberté de recueillir les informations. Dans la présente affaire, nous devrions faire un pas de plus et reconnaître, de la même façon, que la capacité des médias de recourir à des sources confidentielles constitue un élément important de la collecte de l’information (surtout dans le domaine du journalisme d’enquête). Les appelants et leurs témoins experts présentent des arguments convaincants pour démontrer que, si les médias ne peuvent assurer l’anonymat dans des situations où les sources se tariraient autrement, la liberté d’expression dans les débats sur des questions d’intérêt public sera grandement compromise. Des faits importants ne seront jamais relatés, et la transparence et l’obligation redditionnelle de nos institutions publiques s’en trouveront amoindries au détriment du public. »[6]

 

[182]    Dans Globe and Mail c. Canada (Procureur général)[7], la Cour suprême se penche sur la question des renseignements obtenus par un journaliste d’une source confidentielle non autorisée du gouvernement dans le cadre d’une requête du procureur général pour recouvrir les sommes payées par le gouvernement à une entreprise qui invoquait la prescription.

 

[183]    La Cour précise que le recours à un cadre d’analyse semblable au texte de Wigmore s’avère tout aussi valable dans le contexte d’un litige régi par le droit du Québec.[8]

 

[184]    Au sujet de l’étape de l’instance, la Cour souligne que le fait de se trouver en début d’instance pourrait militer en faveur de la reconnaissance du privilège, n’ayant pas encore atteint l’étape de la détermination de la responsabilité ou des droits des parties[9].

 

[185]    Quant au deuxième volet du test de Wigmore, on peut lire :

 

« [60] Le caractère essentiel de la question pour le débat judiciaire représentera aussi l’un des facteurs pertinents dans le cadre du différend.  En effet, la question de l’identité peut être tellement secondaire par rapport à l’objet véritable du débat judiciaire en fait et en droit que l’on devra se garder de forcer le journaliste à témoigner au sujet de sa source, bien que l’identité de celle-ci puisse être pertinente au litige, en raison de la conception large de la pertinence applicable dans les affaires civiles.

 

[61]    Toujours à propos du caractère essentiel de la question pour le litige, il faut aussi se demander si le journaliste est une partie à l’instance ou simplement un témoin ordinaire.  Par exemple, le problème de l’existence d’un intérêt public à contraindre un journaliste à témoigner sur l’identité d’une source confidentielle se réglera sans doute différemment si le journaliste se trouve un défendeur dans une action en diffamation, plutôt que d’être un tiers assigné à témoigner dans une affaire où il n’a aucun intérêt personnel. L’identité de la source se situera plus probablement au cœur du litige qui oppose les parties dans le premier de ces cas, mais non dans le second.

 

[62]    Lorsqu’un tribunal est appelé à déterminer si le privilège a été établi, il doit vérifier si les faits, les renseignements ou les témoignages peuvent être connus par d’autres moyens. Comme la Cour l’a reconnu dans National Post, « [l]e principe des “autres sources” est reconnu en droit canadien depuis l’arrêt Re Pacific Press Ltd. and The Queen (1977), 37 C.C.C. (2d) 487 (C.S.C.-B.), tout comme au Royaume-Uni » (par. 66).  En effet, selon les tribunaux du Royaume-Uni l’exigence de nécessité s’impose et ont conclu que la simple commodité administrative ne suffit pas (Secretary of State for Defence c. Guardian Newspapers Ltd., [1985] 1 A.C. 339; In re An Inquiry under the Company Securities (Insider Dealing) Act 1985, [1988] 1 A.C. 660; Cross and Tapper on Evidence (11e éd. 2007), p. 501).

 

[63] Ce principe est tout à fait logique. Si des renseignements pertinents peuvent être obtenus par d’autres moyens, il faut recourir à ces derniers avant de contraindre un journaliste à briser sa promesse de confidentialité. L’exigence de nécessité, tout comme la condition préalable de pertinence, agit comme une protection additionnelle contre les interrogatoires à l’aveuglette et les ingérences inutiles dans le travail des médias. Les tribunaux ne devraient contraindre un journaliste à rompre une promesse de confidentialité faite à une source qu’en dernier recours.

 

 [64] D’autres facteurs, comme le degré d’importance de la nouvelle du journaliste pour le public et la question de savoir si elle a été publiée et relève donc déjà du domaine public, peuvent être pertinents dans un cas donné. Cette liste n’est évidemment pas exhaustive. En définitive, l’examen de tout le contexte demeure crucial.

 

G  Résumé du test proposé

 

[65]    En résumé, pour exiger qu’un journaliste, dans une instance judiciaire, réponde à des questions susceptibles de permettre d’identifier une source confidentielle, la partie requérante doit démontrer leur pertinence. À défaut, l’enquête s’arrêtera là et il ne sera pas nécessaire d’examiner la question du privilège du secret des sources des journalistes. Toutefois, si les questions sont pertinentes, le tribunal examinera ensuite les quatre volets du test de Wigmore et déterminera si le privilège devrait être reconnu dans ce cas particulier. À l’importante quatrième étape de l’analyse, le tribunal mettra en balance (1)  l’importance de la divulgation pour l’administration de la justice et (2)  l’intérêt public à préserver la confidentialité de la source du journaliste.  Cet exercice de mise en balance s’effectuera en fonction du contexte, compte tenu de la demande de divulgation particulière en cause. Il incombera à la partie qui invoque le privilège de démontrer que l’intérêt à préserver la confidentialité de la source du journaliste l’emporte sur l’intérêt public à la divulgation, que la loi impose normalement.[10] »

 

[186]    La Cour cite les exemples du Royaume-Uni, de l’Australie, de la Nouvelle-Galles du Sud et de la Nouvelle-Zélande ayant adopté des lois offrant des protections relatives aux sources journalistiques des journalistes pour conclure qu’au Canada, un projet de loi en ce sens n’a pas été adopté[11].

 

[187]    La Cour s’en remet donc au test ou « critère de Wigmore » qui comporte quatre volets :

 

·      premièrement, les communications doivent avoir été transmises confidentiellement avec l’assurance que l’identité de l’information ne serait pas divulguée;

·      deuxièmement, le caractère confidentiel doit être essentiel aux rapports dans le cadre desquels la communication est transmise;

·      troisièmement, les rapports doivent être des rapports qui, dans l’intérêt public, devraient être « entretenus assidûment », adverbe qui évoque la constance et la persévérance;

·      enfin, si toutes les exigences sont remplies, le Tribunal doit déterminer si, dans l’affaire qui lui est soumise l’intérêt public que l’on sert en soustrayant l’identité à la divulgation l’emporte sur l’intérêt public à la découverte de la vérité.[12]

 

[188]    On constate donc que le législateur fédéral a modifié le test retenu par Wigmore de la façon suivante en ce qui concerne la protection des sources journalistiques.

 

[189]    Tout d’abord, observons que le paragraphe 39.1 (9) est venu inverser le fardeau reposant jusque-là sur les épaules du journaliste.

 

[190]    Les deux premiers volets du test de Wigmore se retrouvent incorporés dans la définition de « source journalistique ».

 

[191]    Le troisième volet du test de Wigmore qui visait l’exigence de rapports entretenus assidûment a été abandonné.

 

[192]    Le quatrième volet du test de Wigmore a été substantiellement modifié. L’intérêt public à la découverte de la vérité laisse place à l’intérêt public dans l’administration de la justice. Il faudra que la personne qui demande la divulgation démontre que c’est l’intérêt public dans l’administration de la justice qui l’emporte sur l’intérêt public à préserver la confidentialité de la source journalistique.

 

[193]    Le législateur a aussi prévu une liste non exhaustive de trois facteurs dont le tribunal, l’organisme ou la personne ayant à se livrer à cet exercice de pondération, tient compte :

 

·        l’importance du renseignement ou du document à l’égard d’une question essentielle dans le cadre de l’instance. Le texte anglais utilise les termes « central issue in the proceeding ».

·        la liberté de presse.

·        les conséquences de la divulgation sur la source journalistique et le journaliste.

 

[194]    On peut réitérer que, dans Globe and Mail, la Cour suprême avait énoncé d’autres facteurs au paragraphe 64, comme on l’a vu.

 

[195]    Quant à l’exigence de ne pouvoir mettre en preuve le renseignement ou le document par un autre moyen raisonnable, que prévoit l’alinéa 39.1 (7) a), celle-ci semble découler des propos de la Cour suprême dans Globe and Mail c. Canada (Procureur général), lorsqu’elle s’exprimait sur l’exigence de nécessité et de dernier recours[13].

 

b)     L’application du cadre législatif et jurisprudentiel en l’espèce

 

[196]    Par l’entremise de leur procureur, les deux journalistes estiment qu’aucune des conditions du paragraphe 39.1 (7) n’est démontrée par les accusés qui sont requérants dans le cadre de cette requête en arrêt des procédures pour abus de procédure en vertu de la catégorie résiduelle.

 

[197]    Les requérants sont d’avis qu’ils se sont déchargés de leur fardeau.

 

[198]    Qu’en est-il?

 

[199]    Les requérants ont démontré la pertinence des questions susceptibles de permettre d’identifier les sources confidentielles des deux journalistes[14].

 

[200]    Il y a donc lieu d’examiner si les requérants ont démontré que les conditions du paragraphe 39.1 (7) sont remplies.

 

[201]    À l’étape de la requête en arrêt des procédures fondée sur le coulage, il n’y a plus d’autre moyen raisonnable pour les requérants de mettre en preuve l’identité des sources des deux journalistes afin de remonter jusqu’à la personne ou aux personnes impliquées dans le coulage d’informations secrètes. La poursuite reconnaît que, selon la valeur des probabilités, au moins un employé de l’État est impliqué.

 

[202]    Le procureur des journalistes soutient que le Projet A pourrait éventuellement révéler l’identité des auteurs du coulage parmi des suspects sérieux. Rien n’est moins sûr et advenant que ce soit le cas, on ne sait pas quand. Je souligne qu’on y travaille depuis des mois. Les requérants ont bien tenté de remonter aux auteurs du coulage en faisant entendre plusieurs témoins qui s’avéraient des suspects les plus ciblés. Rien n’y a fait.

 

[203]    Dans le contexte d’une requête en arrêt des procédures pour abus de procédure, le Tribunal n’estime pas que la demande d’assignation est prématurée. On ne saurait tolérer que les préjudices pour les accusés se poursuivent pendant des mois, dans l’hypothèse où l’abus de procédure serait tel qu’il justifierait l’arrêt des procédures.

 

[204]    Le Tribunal est donc d’avis que le renseignement recherché par les requérants, l’identité des sources des deux journalistes afin de trouver les auteurs à l’origine du coulage, ne peut être mis en preuve par un autre moyen raisonnable.

 

[205]    Passons à l’exercice de pondération entre l’intérêt public dans l’administration de la justice et l’intérêt public à préserver la confidentialité de la source journalistique.

 

[206]    Nous sommes bien en présence de sources journalistiques au sens de la définition qu’en donne le paragraphe 39.1(1). Les journalistes ont déclaré sous serment que ces sources ont exigé que leur identité reste confidentielle ce à quoi ils se sont engagés, sans quoi les informations reçues ne leur auraient pas été communiquées.

 

[207]    Personne ne remet en question que Marie-Maude Denis et Louis Lacroix sont des journalistes au sens de la définition qu’en donne le paragraphe 39.1(1).

 

[208]    Voyons ce qui en est quant aux facteurs identifiés par le législateur.

 

[209]    Il faut d’abord déterminer à quoi correspond l’instance en l’espèce. S’agit-il de la requête en arrêt des procédures pour abus de procédures ou le procès? Le procureur des journalistes soumet qu’il s’agit du procès et soumet que le lien entre l’identité des sources journalistiques est extrêmement tenu et peu probant quant à l’innocence des accusés.

 

[210]    Comme l’a souligné le procureur de Marc-Yvan Côté, on peut comprendre que le législateur ait adopté un vocabulaire se prêtant bien à tous les forums au sein desquels s’applique la Loi sur la preuve au Canada.

 

[211]    Ainsi, il a retenu le terme « instance » pour déterminer dans quel cadre la question de l’importance du renseignement ou du document doit-elle être essentielle.

 

[212]    Pour les requérants, l’instance est ici la requête en arrêt des procédures. Pour l’avocat des deux journalistes, c’est le procès ne laissant place qu’aux rares exceptions reconnues aux cas de privilèges génériques.

 

[213]    Le Tribunal estime que le cadre de l’article 39.1 adopté par le législateur fédéral se veut un cadre permettant que la divulgation puisse être autorisée dans bien des situations débordant les rares exceptions des privilèges génériques. Les conditions du paragraphe 39.1 (7) en font preuve. J’estime, dans le cas d’accusation criminelle, que l’instance peut donc devenir une étape des procédures, comme par exemple l’enquête sur mise en liberté ou l’enquête préliminaire tenue par le juge de paix ou la détermination de la peine. De la même façon, j’estime que la présente requête en arrêt des procédures pour abus de procédure constitue une instance au sens du sous-alinéa 39.1 (7) b) (i).

 

[214]    Le Tribunal doit donc se demander si l’importance de l’identité des sources est une question essentielle à la requête en arrêt des procédures pour abus de procédure plutôt qu’au procès et à la détermination de la culpabilité ou de l’innocence des accusés.

 

[215]    Il faut souligner que les deux journalistes affirment sous serment, en date du 26 janvier 2018, ignorer l’identité de leurs sources. Cela inclut les conversations de Louis Lacroix avec Pierre et celles de Marie-Maude Denis pour ce qui est des reportages de « Anguille sous Roche » le 12 avril 2012, « Ratures et ruptures » le 10 décembre 2015 et « Notre ami Sam » le 31 mars 2016.

 

[216]    Il est à prévoir que le témoignage des deux journalistes ait peu de chance de permettre aux requérants de remonter jusqu’aux sources et encore plus jusqu’aux employés de l’État à l’origine du coulage.

 

[217]    On a évoqué la possibilité de faire entendre aux témoins des extraits vocaux de certaines personnes. On serait là en pleine situation d’interrogatoire à l’aveuglette pour reprendre les termes utilisés dans Globe and Mail c. Canada (Procureur général)[15]. Les tribunaux ne doivent pas devenir des organismes d’enquête là où ces derniers échouent. Ce n’est pas leur rôle de se lancer dans une chasse aux employés ripous de l’État.

 

[218]    On comprend donc que les requérants n’ont pas établi que les renseignements qu’ils obtiendraient des deux journalistes seraient importants à l’égard d’une question essentielle dans le cadre de leur requête.

 

[219]    Parviendrait-on à identifier les sources qu’il demeure non convainquant que cela nous permettrait de remonter jusqu’aux auteurs du coulage.

 

[220]    J’estime donc que le facteur de l’importance du renseignement ou du document à l’égard d’une question essentielle dans le cadre de l’instance ne milite pas en faveur de la divulgation.

 

[221]    Quant au facteur de la liberté de presse, il faut tenir compte que les reportages et articles des deux journalistes ont eu lieu dans le cadre du journalisme d’enquête.

 

[222]    Il convient de rappeler ces propos tenus par la Commission d’enquête sur la protection de la confidentialité des sources journalistiques, la Commission Chamberland, dans son rapport publié en décembre 2017, à l’appui de sa recommandation No 1 d’adopter au Québec, une Loi sur la protection du matériel et des sources journalistiques, en matières civile et pénale :

 

« C’est le droit du public à l’information, ingrédient essentiel de la démocratie, qui rend nécessaire la protection du matériel et des sources journalistiques. Il s’agit de confirmer dans une loi que le journalisme est au service du droit du public à l’information plutôt qu’au service de la police et des tribunaux[16].

 

[223]    Les requérants ont plaidé vigoureusement que lorsque, comme en l’espèce, les sources divulguent des informations et des documents confidentiels obtenus illégalement et criminellement, ce n’est plus l’intérêt public à préserver la confidentialité de la source journalistique qui est servi.

 

[224]    En l’espèce, le Tribunal ne retient pas ce raisonnement. Les requérants ne seront nullement empêchés d’évoquer, comme l’allègue leur requête, que les nombreux coulages concernent des dossiers policiers coulés par des employés de l’État en commettant ainsi des infractions pénales et criminelles, que le ministère public n’a pas pris les mesures nécessaires pour faire cesser le coulage et que les requérants en ont subi des conséquences.

 

[225]    Comparativement, les conséquences de la divulgation sur les deux journalistes, autre facteur identifié par le législateur, sont irrémédiables. Pour ce qui est des conséquences de la divulgation sur les sources journalistiques concernées dans cette affaire, le tribunal s’en soucie peu compte tenu de la nature et du caractère des documents qu’elles transmettaient et de l’inférence qu’on peut tirer quant à la connaissance que les sources pouvaient avoir de l’illégalité de l’obtention de ces renseignements et de ces documents.

 

[226]    Dans Globe and Mail c. Canada (Procureur général)[17], la Cour suprême souligne aussi que d’autres facteurs peuvent être le degré d’importance de la nouvelle du journaliste pour le public et la question de savoir si elle a été publiée et relève donc déjà du domaine public.

 

[227]    Dans le contexte de notre affaire, les renseignements et documents visaient bien d’autres aspects que ceux d’intérêt pour les requérants. Le public apprenait des informations importantes pour possiblement les aider à se faire une idée sur des sujets généraux d’intérêt public, notamment le financement politique et sur les efforts faits pour faire cesser les fuites à l’UPAC en lien avec des versions fournies en commission parlementaire. La nouvelle a été publiée par les journalistes mais l’information révélée n’identifie pas les employés de l’État à l’origine du coulage, si bien que cela n’est toujours pas du domaine public.

 

[228]    Le Tribunal estime donc que les requérants ne se sont pas déchargés de leur fardeau de démontrer que l’intérêt public dans l’administration de la justice l’emporte sur l’intérêt public à préserver la confidentialité des sources journalistiques de Marie-Maude Denis et de Louis Lacroix.

 

c)     Sommaire

 

[229]    En résumé ,

·      les renseignements que souhaitent obtenir les requérants des deux journalistes, l’identité de leurs sources journalistiques, sont pertinents;

·      Marie-Maude Denis et Louis Lacroix sont des journalistes au sens de la définition qu’en est donnée au paragraphe 39.1 (1) de la Loi sur la preuve au Canada;

·      les renseignements et documents qu’ils ont reçus proviennent de sources journalistiques au sens de la définition qui en est donnée au paragraphe 39.1 (1) de la Loi sur la preuve au Canada;

·      les requérants ont démontré que les renseignements ou les documents ne peuvent être mis en preuve par un autre moyen raisonnable conformément à l’alinéa 39.1 (7) a) de la Loi sur la preuve au Canada;

·      les requérants n’ont pas démontré que l’intérêt dans l’administration de la justice l’emporte sur l’intérêt public à préserver la confidentialité de la source journalistique, ce qu’exige l’alinéa 39.1 (7) b) de la Loi sur la preuve au Canada compte tenu

·      de l’importance des renseignements ou des documents à l’égard d’une question essentielle dans le cadre de la requête en arrêt des procédures pour abus de procédure;

·      de la liberté de la presse;

·      des conséquences de la divulgation sur les deux journalistes et leurs sources journalistiques;

·      de l’importance des reportages et articles des deux journalistes pour le public;

·      que les renseignements des sources journalistiques ont été publiées par les journalistes mais que ces renseignements ne portant pas sur l’identité des employés de l’État à l’origine du coulage. Cela ne relève donc toujours pas du domaine public.

 

[230]    Les requérants n’ont donc pas démontré que les conditions énoncées au paragraphe 39.1 (7) sont remplies. Le Tribunal ne peut donc autoriser les journalistes Marie-Maude Denis et Louis Lacroix à divulguer des renseignements ou des documents qui identifieraient leurs sources journalistiques ou qui seraient susceptibles de les identifier.

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

 

ACCUEILLE la présente demande;

 

N’AUTORISE PAS la divulgation par les journalistes Marie-Maude Denis et Louis Lacroix de renseignements ou documents identifiant leurs sources journalistiques ou susceptibles de les identifier.

 

ANNULE les assignations à un témoin enjoignant à Marie-Maude Denis et Louis Lacroix à comparaître devant le Tribunal dans le cadre de la présente requête.

 

 

 

__________________________________

ANDRÉ PERREAULT, J.C.Q.

 

 

Me Christian Leblanc

Procureur des intervenants Marie-Maude Denis et Louis Lacroix

 

Me Jacques Larochelle

Me Olivier Desjardins

Procureurs du requérant Marc-Yvan Côté

 

Me Réjean Lavoie

Procureur du requérant Mario Martel

 

Me Charles Levasseur

Me Jean-Philippe Lanthier

Procureur de la requérante France Michaud

 

Me Maxime Roy

Procureur de la requérante Nathalie Normandeau

 

Me Olivier Desjardins

Procureur du requérant Bruno Lortie

 

Me Olivier Desjardins

Procureur du requérant François Roussy

 

Bruno Lortie

Requérant

 

François Roussy

Requérant

 

Me Robert Rouleau

Me Édith Lafontaine

Me Catherine Dumais

Me Justin Tremblay

Directeur des poursuites criminelles et pénales

 

Me Michel Deom

Procureur du mis en cause le Procureur général du Québec

 

 

 



[1]     Loi sur la protection des sources journalistiques, LC 2017, c. 22.

[2]     Loi sur la preuve au Canada, LRC 1985, c C-5.

[3]     R. c. National Post, 2010 CSC 16.

[4]     R. c. National Post, 2010 CSC 16, par. 26.

[5]     R. c. National Post, 2010 CSC 16, par. 28.

[6]     R. c. National Post, 2010 CSC 16, par. 33.

[7]     Globe and Mail c. Canada (Procureur général), 2010 CSC 41.

[8]     Globe and Mail c. Canada (Procureur général), 2010 CSC 41, par. 53.

[9]     Globe and Mail c. Canada (Procureur général), 2010 CSC 41, par. 51.

[10]    Globe and Mail c. Canada (Procureur général), 2010 CSC 41, par. 60-65.

[11]    R. c. National Post, 2010 CSC 16, par. 47-49.

[12]    R. c. National Post, 2010 CSC 16, par. 53.

[13]    Globe and Mail c. Canada (Procureur général), 2010 CSC 41, par. 62-63.

[14]    Globe and Mail c. Canada (Procureur général), 2010 CSC 41, par. 65.

[15]    Globe and Mail c. Canada (Procureur général), 2010 CSC 41, par. 63.

[16]    Commission d’enquête de la protection de la confidentialité des sources journalistiques, Rapport, Québec, Les Publications du Québec, 2017, p. 176.

[17]    Globe and Mail c. Canada (Procureur général), 2010 CSC 41, par. 64.

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