Décision

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Beausoleil c. CSSS Lucille-Teasdale

2016 QCCA 25

 

COUR D'APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE MONTRÉAL

 

N:

500-09-024543-142

 

(500-17-079055-136)

 

 

PROCÈS-VERBAL D'AUDIENCE

 

 

DATE :

Le 14 janvier 2016

 

CORAM : LES HONORABLES

MARIE-France BICH, J.C.A.

MARtin vauclair, J.C.A.

JEAN-FRANÇOIS ÉMOND, J.C.A.

 

APPELANT

 

 

JEAN-MARC BEAUSOLEIL

 

 

Personnellement (absent)

INTIMÉ

AVOCATS

 

CSSS LUCILLE-TEASDALE

 

 

Me PATRICK TRENT (présent)

Me MARIA DE ST-JOAO VALENTE-FERNANDES

(Borden Ladner Gervais, s.e.n.c.r.l., s.r.l.)

 

 

En appel d'un jugement rendu le 3 juin 2014 par l'honorable Chantal Corriveau, de la Cour supérieure, district de Montréal.

 

 

NATURE DE L'APPEL :

 
Procédure civile - exception déclinatoire

 

Greffière d’audience : Marcelle Desmarais

Salle : Antonio-Lamer


 

 

AUDITION

 

 

9 h 30

Suite de l'audition du 13 janvier 2016.

 

Arrêt déposé ce jour - voir page 3.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Marcelle Desmarais

Greffière d’audience

 


PAR LA COUR

 

 

ARRÊT

 

[1]          L’appelant se pourvoit contre un jugement du 3 juin 2014 qui accueille le moyen déclinatoire de l’intimé et déclare la Cour supérieure sans compétence sur l'action instituée devant elle, qui relèverait plutôt de l'arbitre de grief.

[2]          À l’audience devant notre cour, l’appelant soutient que l’essence du litige est le suivant : l’intimé, par l'intermédiaire de ses représentants, a tenu des propos diffamatoires à son endroit en donnant de mauvaises références à des employeurs auprès de qui il avait postulé un emploi (l'appelant fonde principalement sa position sur la pièce P-46, soit la transcription d’une conversation téléphonique entre un représentant de l’intimé et une personne qui s’est fait passer pour un tiers employeur dans le cadre d’un subterfuge qu’il a mis sur pied pour piéger l’intimé), ne relève pas de la compétence d’un arbitre de grief.

[3]          En ce sens, le fait générateur de la réclamation qu’il entend soumettre à la Cour supérieure se trouve aux sous-paragraphes 257 j) et o) de sa requête introductive d’instance amendée du 4 février 2014 :

j)          Transmission de référence verbale erronée et diffamatoire pour empêcher le demandeur de trouver un travail dans une autre organisation, pièce P-46;

            [...]

o)        Transmission encore en 2012 de référence verbale erronée et diffamatoire pour empêcher le demandeur de trouver un travail dans une autre organisation, pièce P-46; »

[Citation intégrale]

[4]          Par le fait même, il reconnaît à l'audience devant notre cour que tous les autres reproches dont sa procédure fait état, lesquels sont plus amplement décrits aux sous-paragraphes 257 a) à i) et k) à n), relèvent quant à eux d’un arbitre de grief.

[5]          Considérant ce qui précède, force est de constater que le recours de l’appelant renferme deux causes d’action distinctes : l’une découlant du contrat de travail, l’autre des prétendues représentations diffamatoires de l'intimé. En cas de causes d'action distinctes, il n'est pas impossible que le déclinatoire ne concerne que l'une d'elles[1] - et c'est ici le cas.

[6]          Comme le rappelle la Cour suprême dans l’arrêt Weber[2], malgré la compétence exclusive des arbitres de grief à l’égard des litiges résultant expressément ou implicitement de la convention collective, il demeure des situations particulières et d’exception à l’égard desquelles les tribunaux de droit commun doivent être saisis d’un litige opposant l’employé à l’employeur, lorsqu'il ne découle pas de la convention collective :

53  Comme la nature du litige et le champ d'application de la convention collective varient d'un cas à l'autre, on ne peut établir une catégorie de cas qui relèveront de la compétence exclusive de l'arbitre.  Toutefois, une revue des décisions rendues ces dernières années permet de constater que les demandes suivantes ont été classées parmi celles à l'égard desquelles les tribunaux n'avaient pas compétence:  congédiement injustifié, mauvaise foi de la part du syndicat, coalition et congédiement déguisé, et préjudice à la réputation (Bartello c. Canada Post Corp. (1987), 1987 CanLII 177 (ON SC) , 46 D.L.R. (4th) 129 (H.C. Ont.); Bourne c. Otis Elevator Co. (1984), 45 O.R. (2d) 321 (H.C.); Butt c. United Steelworkers of America (1993), 1993 CanLII 3352 (NL SCTD), 106 Nfld. & P.E.I.R. 181 (1re inst. T. - N.); Forster c. Canadian Airlines International Ltd. (1993), 1993 CanLII 1670 (BC SC), 3 C.C.E.L. (2d) 272 (C.S.C.-B.); Bell Canada c. Foisy (1989), 1989 CanLII 452 (QC CA), 26 C.C.E.L. 234 (C.A. Qué.); Ne-Nsoko Ndungidi c. Centre Hospitalier Douglas, 1992 CanLII 4104 (QC CS), [1993] R.J.Q. 536).

54   Ce modèle ne ferme pas la porte à toutes les actions en justice mettant en cause l'employeur et l'employé.  Seuls les litiges qui résultent expressément ou implicitement de la convention collective échappent aux tribunauxElliott c. De Havilland Aircraft Co. of Canada Ltd. (1989), 32 O.A.C. 250 (C. div.), à la p. 258, le juge Osler; Butt c. United Steelworkers of America, précité; Bourne c. Otis Elevator Co., précité, à la p. 326. 

[…]

67 Je suis d'avis que les clauses d'arbitrage obligatoire comme le par. 45(1) de la Loi sur les relations de travail de l'Ontario confèrent en général une compétence exclusive aux tribunaux du travail pour entendre tous les litiges qui résultent de la convention collective.  Dans chaque cas, il s'agit de déterminer si le litige, considéré dans son essence, résulte de la convention collective.  […]

[7]          En l’espèce, le recours en diffamation exercé par l’appelant constitue un tel cas particulier. Bien qu’il oppose l’employé à son employeur (quoiqu’il ne soit pas acquis qu’au moment où les propos diffamatoires ont été tenus, une telle relation existait toujours), ce différend ne résulte ni expressément ni implicitement de la convention collective. Du moins, l’intimé n’est pas en mesure d’identifier un lien avec celle-ci, ne serait-ce qu’implicitement. Le différend ne s'inscrit pas non plus dans le cadre de la relation de travail entre les parties en ce qu'il ne touche pas ni n'affecte les termes ou le déroulement de celle-ci et ne se rapporte aucunement aux conditions de travail[3].

[8]          Pour ces raisons, la Cour supérieure est compétente à se saisir de la réclamation découlant des gestes reprochés à l’intimé aux sous-paragraphes 257 j) et o) de la requête introductive d’instance amendée du 4 février 2014 (et qui sont détaillés ailleurs dans cette requête introductive).

[9]          Cela étant, aux fins de préciser la réclamation dont la Cour supérieure demeure saisie, la Cour croit utile d'identifier expressément les conclusions de la requête introductive d’instance amendée du 4 février 2014 qui ne lui seront pas soumises parce qu’elles relèvent d’un arbitre de grief. Il s’agit des conclusions suivantes, qui ne peuvent relever de la compétence de la Cour supérieure :

CONDAMNER la partie défenderesse, la CSSS Lucille-Teasdale, à payer à la partie demanderesse la somme de 101,214.72 $ en salaire couvrant la période du 1er juin 2011 au 30 septembre 2013 avec intérêts au taux légal, plus l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, et ce depuis la date de l’assignation et tous les bénéfices et avantages reliés au poste de travail plus les sommes qui s’additionneront du 30 septembre 2013 jusqu’au règlement du présent litige.

CONDAMNER la partie défenderesse, le CSSS Lucille-Teasdale, à payer à la partie demanderesse, la somme de 57 709.50 $ en indemnité due d’assurance salaire pour la période du 1er novembre 2012 au 30 août 2013 avec intérêts au taux légal, plus l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, et ce depuis la date de l’assignation. Plus les sommes qui s’additionneront jusqu’à la fin de sa maladie.

CONDAMNER la partie défenderesse, le CSSS Lucille-Teasdale, à réactiver immédiatement le Régime de retraite des employés du gouvernement du Québec (RREGOP) du demandeur et de couvrir immédiatement les années soit à partir du 1er juin 2011 jusqu’à la fin du règlement du présent litige avec intérêts au taux légal, plus l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, et ce depuis la date de l’assignation;

CONDAMNER la partie défenderesse, le CSSS Lucille-Teasdale, à payer les vacances que le demandeur aurait dû accumuler durant les années 2011-2012-2013 et jusqu’au règlement du litige avec intérêts au taux légal, plus l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, et ce depuis la date de l’assignation;

CONDAMNER la partie défenderesse, le CSSS Lucille-Teasdale, à créditer immédiatement au demandeur l’ancienneté générale que le CSSS Lucille-Teasdale a fait perdre au demandeur depuis le 1er juin 2011 jusqu’au règlement du présent litige;

CONDAMNER la partie défenderesse, le CSSS Lucille-Teasdale, à créditer immédiatement au demandeur l’ancienneté au niveau 12 de technicien diététique depuis le 1er juin 2011 jusqu’au règlement du présent litige;

[10]       Notons qu'à l'audience, l'appelant, à la demande de la Cour, a lui-même identifié les conclusions qui, à son avis, relèvent du champ de compétence de l'arbitre de grief. Les conclusions ainsi identifiées sont comprises dans la liste du paragraphe [9] ci-dessus. Par ailleurs, la Cour ajoute aux conclusions identifiées par l'appelant deux autres conclusions qui, à son avis, ne se rattachent pas à l'aspect « diffamation » de la réclamation et relèveraient plutôt de l'arbitre de grief.

[11]       Il est entendu que toutes les conclusions qui demeurent et les réclamations faites à l'endroit de l'intimé se rattachent à la diffamation alléguée et ne peuvent se rapporter  qu'à cette diffamation alléguée, et non aux emplois que l'appelant a recherchés chez l'intimé ou auxquels il peut prétendre ou aux droits qu'il pourrait vouloir réclamer à l'encontre de l'intimé à titre de salarié ou encore au congédiement déguisé dont il estime avoir été l'objet.

[12]       Enfin, il est important de souligner ce qui suit : le fait que la Cour reconnaisse la compétence de la Cour supérieure sur la portion de l'action de l'appelant qui concerne la diffamation prétendument issue des mauvaises références données par l'employeur à des tiers ne signifie pas que l'appelant aura gain de cause sur le fond. Non seulement lui faudra-t-il, en effet, prouver la faute commise à son endroit, mais aussi le préjudice. Il lui faudra également établir le lien de causalité entre faute et préjudice et donc montrer, par exemple, que son incapacité à se trouver un emploi ailleurs découle des propos diffamatoires tenus à son endroit par l'intimé, ou que les dommages moraux qu'il allègue sont bien dus à cette diffamation, et ainsi de suite. Il y a donc loin de la coupe aux lèvres. On ne saurait sous-estimer, ici, l’aide que pourrait apporter un avocat à la présentation de la demande.

[13]       Par ailleurs, dans la foulée de l'entrée en vigueur du nouveau Code de procédure civile[4], la Cour souligne aux parties que cette loi les enjoint de considérer sérieusement les modes alternatifs de règlement de leur différend.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[14]       ACCUEILLE l’appel en partie;

[15]       REJETTE le moyen déclinatoire en ce qui a trait au recours en diffamation entrepris par l’appelant;

[16]       RENVOIE le dossier à la Cour supérieure, pour que l'instance, telle que limitée par le présent arrêt, reprenne son cours;

[17]       Sans frais de justice, tant en première instance qu'en appel, vu l'issue partagée du pourvoi.

 

 

MARIE-France BICH,     J.C.A.

 

                                                                  

 

MARtin vauclair,     J.C.A.

 

 

 

JEAN-FRANÇOIS ÉMOND,     J.C.A.

 



[1]     Delarosbil c. Commission scolaire du Val-des-Cerfs, 2013 QCCA 2060.

[2]     [1995] 2 R.C.S. paragr. 53 et 54.

[3]     Dans ce sens, voir par analogie : Piko v. Hudson's Bay Co., 1998 CanLII 6874; 41 OR (3d) 729; 167 DLR (4th) 479; [1998] OJ No 4714 (QL); 116 OAC 92; 39 CCEL (2d) 46 (C.A. Ont.), requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejeté, 1999-09-16, 27087.

[4]     RLRQ, c. C-25.01.

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