Décision

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Lagacé et Asphalte & Pavage RF

2011 QCCLP 3898

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Saint-Jérôme

Le 2 juin 2011

 

Région :

Laurentides

 

Dossiers :

376389-64-0904      401581-64-1002

 

Dossier CSST :

128639721

 

Commissaire :

Daphné Armand, juge administratif

 

Membres :

Conrad Lavoie, associations d’employeurs

 

Réjean Lemire, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

Dany Lagacé

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Asphalte & Pavage RF

 

Partie intéressée

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

Dossier 376389-64-0904

[1]           Le 24 avril 2009, monsieur Dany Lagacé (le travailleur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 21 avril 2009, à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 12 janvier 2009 et déclare que, le 14 août 2008, le travailleur n’a pas subi de récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle initiale du 20 octobre 2005 et n’a donc pas droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la Loi).

Dossier 401581-64-1002

[3]           Le 8 février 2010, le travailleur dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision de la CSST rendue le 28 janvier 2010, à la suite d’une révision administrative.

[4]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 29 septembre 2009 et déclare que, à compter du 20 août 2009, le travailleur n’a pas subi de récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle initiale du 20 octobre 2005. Le travailleur n’a donc pas droit aux prestations prévues par la Loi.

[5]           Une audience est tenue à Saint-Jérôme le 1er février 2011 en présence du travailleur et de son représentant. La représentante de Asphalte & Pavage RF (l’employeur) avait avisé le tribunal de son absence à l’audience. Comme convenu, suite à la réception d’un complément à l’opinion médicale du médecin mandaté par le travailleur et d’un complément à l’argumentation du représentant du travailleur, le tribunal a pris le dossier en délibéré le 2 mars 2011.

 

L'OBJET DE LA CONTESTATION

[6]           Le travailleur demande au tribunal de déclarer qu’il a subi une lésion professionnelle le 14 août 2008 (dossier 376389-64-0904) ainsi que le 20 août 2009 (dossier 401581-64-1002), respectivement pour un diagnostic de gonalgie droite et de déchirure du ménisque du genou droit.

 

L'AVIS DES MEMBRES

[7]           Le membre issu des associations d'employeurs est d’avis de rejeter les requêtes du travailleur. Ce dernier ne travaille pas depuis 2005 et vit seul. Compte tenu des faits au dossier, il n’a pas démontré le lien entre sa lésion au genou droit et la lésion professionnelle initiale qui touchait le genou gauche. Il n’a pas démontré qu’il y avait eu une surutilisation du genou droit. 

[8]           Le membre issu des associations syndicales est d’avis d’accueillir les requêtes du travailleur. Selon lui, le travailleur a démontré qu’il y avait eu une surutilisation du genou droit causé par les conséquences de la lésion professionnelle au genou gauche.

 

LES FAITS ET LES MOTIFS

[9]           La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a subi une lésion professionnelle le 14 août 2008 ainsi que le 20 août 2009, sous la forme d’une récidive, rechute ou aggravation de la lésion professionnelle initiale du 20 octobre 2005.

[10]        Le 20 octobre 2005, le travailleur a subi une lésion professionnelle, lors d’un accident de la route. Son camion a versé sur le côté, et son genou gauche est resté coincé entre la colonne de direction et la portière du véhicule. Un diagnostic de contusion et d’entorse au genou gauche est posé, suivi de celui de déchirure du ligament croisé antérieur du genou gauche.

[11]        Le travailleur subit une première intervention chirurgicale au genou gauche le 26 avril 2006, soit une reconstruction du ligament croisé antérieur gauche avec un tendon rotulien pratiquée par le docteur J. Langevin, chirurgien. Le 12 mai 2006, une radiographie de contrôle révèle la présence d’un épanchement intra-articulaire.

[12]        À la demande de la CSST, le 7 décembre 2006, le docteur J. Toueg, chirurgien orthopédiste, examine le travailleur. Le médecin précise qu’à l’observation, la démarche du travailleur ne montre aucune boiterie. Le travailleur est capable de marcher sur la pointe des pieds ainsi que sur les talons. On note un léger varus aux membres inférieurs ainsi qu’une légère atrophie à la cuisse gauche comparativement à la cuisse droite. Le docteur Toueg estime que l’examen clinique démontre une amplitude articulaire quasi normale sauf pour une légère perte de flexion et considère que le genou gauche est « tout de même stable avec un bon résultat chirurgical ». Il n’y a pas de signe inflammatoire persistant. Cependant, le travailleur a une atrophie persistante et des malaises persistants de façon objective. Il estime donc que le travailleur a conservé une atteinte permanente de 3 %, représentant 1 % pour une perte de 10 degrés de flexion du genou plus 2 % pour une légère laxité ligamentaire symptomatique. 

[13]        Suite à sa lésion professionnelle initiale de 2005, toujours selon le docteur Toueg, le travailleur conserve également des limitations fonctionnelles,

·         Éviter de travailler en position accroupie,

·         Éviter de faire des gestes répétés de flexion ou d’extension du genou;

·         Éviter de soulever des charges de plus de 20 kilogrammes.

 

 

[14]        Le docteur Langevin complète un Rapport final le 22 décembre 2006. Il consolide la lésion professionnelle à compter du 22 décembre 2006. Il se dit « en accord complet » avec l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles établies par le docteur Toueg.

[15]        La lésion professionnelle du 20 octobre 2005 sera donc consolidée le 22 décembre 2006 avec une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles.

[16]        Le tribunal remarque que, dans ses notes cliniques du 21 février 2007, la docteure Maynard indique qu’il y a eu œdème au genou gauche persistant après la reconstruction du ligament croisé antérieur. Bien que certains passages de ces notes soient difficiles à lire, le tribunal parvient à déchiffrer qu’elle fait référence au genou droit et elle précise que le mollet droit est plus gros que le gauche. 

[17]        Un matin d’avril 2007, le travailleur se lève avec le genou droit enflé. Il a de la difficulté à marcher. Le lendemain matin, son état se dégrade si bien qu’il est incapable de marcher et se rend à l’hôpital. En avril 2007, une douleur et un œdème au genou droit sont rapportés par un médecin, puis le diagnostic de synovite au genou gauche postchirurgie est posé.

[18]        Le 20 janvier 2009, dans une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles[2] suite à un accord entre les parties, le tribunal déclarera que le travailleur a subi une récidive, rechute ou aggravation le 22 avril 2007 dont le diagnostic est une synovite et une arthrite septique du genou gauche. Tel qu’expliqué plus loin, cette lésion sera consolidée le 14 décembre 2007 avec une augmentation de l’atteinte permanente de 23 % et une augmentation des limitations fonctionnelles.

[19]        Le 18 mai 2007, le docteur Langevin procède à un débridement de plaie, une exérèse de vis au tibia et une arthroscopie avec débridement et lavage intra-articulaires. En juin, le médecin prescrit des traitements de physiothérapie.

[20]        Interrogé par la docteure A. Magnan du Bureau médical de la CSST sur le sujet, dans un formulaire Information médicale complémentaire écrite, complété le 23 mai 2007, le docteur Langevin indique qu’il croit que la synovite du genou gauche est une aggravation objective de la lésion professionnelle de 2005. Il précise que le travailleur a présenté une arthrite septique au genou gauche, a été opéré le 18 mai 2007, et sera sous antibiotique durant quatre à six semaines. Il ajoute que des modifications au Rapport d’évaluation médicale qu’il a émis devront certainement être apportées.

[21]        Le 15 janvier 2008, le travailleur consulte un médecin, le docteur M. J. Gauthier, qui complète un Rapport final. Il conclut que la lésion, des « séquelles post-chirurgicales avec instabilité », est consolidée depuis le 14 décembre 2007. Il effectue une évaluation en vue de rédiger un Rapport d’évaluation médicale.

[22]        Dans son Rapport d’évaluation médicale du 5 février 2008, faisant suite à un examen clinique du 15 janvier 2008, le docteur Gauthier rapporte les plaintes du travailleur, dont une perte de mobilité du genou gauche et de la difficulté à s’accroupir. À l’examen, les manœuvres d’étirement en valgus et en varus ne sont pas douloureuses et ne démontrent pas d’instabilité. Le médecin souligne que le travailleur a connu des complications infectieuses et a dû être opéré le 18 mai 2007. Le travailleur conserve une augmentation de son déficit anatomophysiologique : dont une ankylose plus sévère au genou gauche, une instabilité complexe nécessitant le port d’une orthèse pour la plupart des activités et une atrophie de quatre centimètres à la cuisse gauche. Le médecin indique que le travailleur présente « une symptomatologie résiduelle relativement importante et une incapacité fonctionnelle » et devra respecter les limitations fonctionnelles suivantes :

·        Ne peut effectuer de flexion prononcée du genou gauche;

·        Éviter de s’accroupir;

·        Éviter de monter ou descendre fréquemment plusieurs escaliers;

·        Éviter de travailler dans des positions instables tels les échelles et les échafauds;

·        Éviter de transporter les charges excédant 10 kilogrammes;

·        Éviter de marcher sur les terrains glissants ou accidentés;

·        Éviter de marcher de façon prolongée (plus de 90 minutes)

·        Éviter de faire de gestes répétés de flexion ou d’extension du genou gauche.

[23]        Dans une décision du 27 février 2008, la CSST déclare que, suite à sa rechute du 22 avril 2007, le travailleur a eu une augmentation de son atteinte permanente de 23 % et a droit à l’indemnité pour préjudice corporel correspondante.

[24]        Suite au Rapport d’évaluation médicale, de février 2008 par le docteur Gauthier, le travailleur consulte la docteure Maynard le 7 mai 2008. Ce médecin pose le diagnostic de gonalgie droite et précise que cette lésion est « sur un LCA G. (ligament croisé antérieur gauche) ayant une atteinte permanente ». Elle prescrit un anti-inflammatoire ainsi qu’une arthrographie. Dans ses notes cliniques, elle indique que le travailleur présente une gonalgie droite depuis deux à trois mois et que « parfois il ressent accrochage, sans qu’il y ait de chute ». 

[25]        L’arthrographie au genou droit est faite le 15 mai 2008. La radiologiste, la docteure D. Marton, en interprète le résultat. Elle note qu’elle a retiré 8 cc de liquide jaune citrin lors de la ponction articulaire. Cependant, l’arthrographie n’a pas démontré d’atteinte des ménisques. Il y a un petit plica médiopatellaire et la présence d’un kyste de Baker. La radiologiste conclut à un genou droit qui « paraît normal ».

 

[26]        Le 14 août 2008, la docteure Maynard pose le diagnostic de gonalgie au genou droit sur une lésion au ligament croisé antérieur du genou gauche. Elle note que l’arthrographie s’est révélée normale, prescrit un anti-inflammatoire et demande une résonance magnétique. Dans ses notes cliniques, elle ajoute qu’il n’y a pas d’atteinte méniscale.

[27]        Le travailleur complète un questionnaire de la CSST le 10 novembre 2008. Il indique que depuis sa lésion initiale de 2005 au genou gauche « c’est mon genou droit qui me supporte car j’ai de la difficulté à marcher (boiterie). J’ai commencé à avoir de la douleur à mon genou droit qui est devenue de plus en plus intense, ce qui m’a amené à consulter le 7 mai 2008. Mon médecin m’a fait part qu’il s’agissait de surutilisation ».

[28]        Dans une décision du 14 janvier 2009, la CSST déclare que le travailleur est capable d’occuper l’emploi convenable de commissionnaire à compter du 13 janvier 2009.

[29]        La résonance magnétique demandée en août 2009 par la docteure Maynard est faite le 6 juillet 2009 et met en évidence une déchirure multidirectionnelle non déplacée, non détachée, de la corne moyenne et postérieure du ménisque interne. Il y a une « entorse de grade I/III du ligament collatéral interne », ainsi qu’un ulcère cartilagineux d’allure traumatique et un épanchement articulaire, sans signe de souris articulaire ou de corps flottant.

[30]        Le 20 août 2009, la docteure Maynard pose le diagnostic de déchirure de la corne moyenne et postérieure du ménisque interne du genou droit et note qu’on retrouve cette lésion chez un patient connu pour avoir eu deux chirurgies au ligament croisé antérieur gauche. Elle dirige le travailleur en orthopédie.

 

[31]        Le présent litige porte sur deux réclamations produites par le travailleur à la CSST pour des récidives, rechutes ou aggravations qui se seraient manifestées le 14 août 2008 et le 20 août 2009. Ces deux réclamations concernent non pas le genou gauche, celui touché par l’événement du 20 octobre 2005, mais bien le genou droit. En août 2008, un diagnostic de gonalgie droite a été posé alors qu’en août 2009 celui de déchirure du ménisque interne du genou droit est posé.

[32]        L’article 2 de la Loi définit la notion d’accident du travail et celle de lésion professionnelle comme suit :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:

 

« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;

 

« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.

 

 

[33]        La notion de récidive, rechute ou aggravation n’étant pas définie par la Loi, c’est le sens courant des termes qu’il faut retenir, soit une reprise évolutive, une réapparition ou une recrudescence d’une lésion ou de ses symptômes[3].

[34]        Toutefois, une aggravation ne peut être entièrement subjective et doit être objectivée. « Un changement significatif » de l’état de santé doit être démontré[4]

[35]        En plus d’une preuve de l’existence d’une détérioration objective, une preuve prépondérante doit aussi être présentée pour établir une relation entre l’événement initial et la récidive, rechute ou aggravation alléguée. Le témoignage d’un travailleur est insuffisant et une preuve médicale est nécessaire pour établir cette relation[5].

[36]        Par ailleurs, même en l’absence de signes d’aggravation de la condition d’un travailleur, une récidive ou une rechute constitue également une lésion professionnelle.

[37]      La jurisprudence a développé des critères qui doivent être pris en considération pour déterminer l’existence d’une relation[6] entre l’événement initial et la récidive, rechute ou aggravation alléguée:

1)    la gravité de la lésion initiale;

2)    la continuité de la symptomatologie;

3)    l’existence ou non d’un suivi médical;

4)    le retour au travail, avec ou sans limitation fonctionnelle;

5)    la présence ou l’absence d’une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique;

6)    la présence ou l’absence de conditions personnelles;

7)    la compatibilité de la symptomatologie alléguée au moment de la récidive, rechute ou aggravation avec la nature de la lésion initiale;

8)    le délai entre la récidive, rechute ou aggravation et la lésion initiale.

[38]        Aucun de ces facteurs n’est décisif à lui seul, mais c’est l’ensemble des facteurs qui peut permettre de déterminer s’il y a ou non une récidive, rechute ou aggravation.

[39]        Le travailleur soutient que sa condition au genou droit est en relation avec sa lésion professionnelle au genou gauche parce que, en raison des conséquences de cette dernière, il y a eu une surutilisation par compensation de son genou droit.

[40]        À l’audience, il soutient d’abord qu’il a eu des douleurs au genou droit, mais de façon occasionnelle, après la deuxième chirurgie de mai 2007. Le travailleur déclare qu’il n’a pas repris le travail depuis 2005. Il s’occupe des tâches ménagères, des repas et de la vaisselle, et prend soin de ses enfants lorsqu’il en a la garde, une semaine sur deux. Avec ses enfants, il affirme marcher beaucoup. Il respecte les limitations fonctionnelles déterminées en 2008 par son médecin, le docteur M. Gauthier. Par exemple, lorsqu’il s’accroupit, il plie seulement la jambe droite, la jambe gauche étant en extension. Le tout afin d’éviter de faire appel au genou gauche.

[41]        Il précise qu’après sa première chirurgie d’avril 2006, il n’avait des douleurs qu’au genou gauche et boitait. D’ailleurs, il présente de telles douleurs jusqu’à présent. 

[42]        Cependant, dans les membres inférieurs, il n’a pas de douleurs ailleurs qu’aux genoux.

[43]        Au sujet des aides à la marche, suite à sa première chirurgie d’avril 2006, il a utilisé des béquilles durant environ un mois, puis une canne durant trois mois. Depuis lors et jusqu’à nos jours, il porte une orthèse à son genou gauche. Lors de la deuxième chirurgie de mai 2007, il a eu recours aux béquilles durant un mois, puis à une canne durant trois mois, et a fait de la physiothérapie. Par la suite, étant donné qu’il marchait en boitant, il a dû faire faire une autre orthèse en raison d’une atrophie musculaire à une cuisse.

[44]        Le travailleur déclare que sa douleur au genou gauche depuis l’événement initial a persisté et est permanente maintenant. Sa boiterie s’est accentuée depuis l’utilisation de la canne après la deuxième chirurgie en 2007. Il boite encore aujourd’hui, malgré le port d’orthèse: pas tous les jours, mais particulièrement par temps humide. Il s’explique : il boite le matin, mais le tout « se replace » et revient à la normale en après-midi. Il ajoute qu’il ne s’appuie plus sur le genou gauche lorsqu’il marche, mais allègue que ce serait son genou droit qui « subit la pression ».

[45]        Après sa deuxième chirurgie, il a revu le docteur Langevin à l’occasion. Il ne se souvient pas avoir consulté un médecin entre la consolidation de la récidive, rechute ou aggravation du 22 avril 2007, en décembre 2007, et le printemps 2008. Il se souvient avoir commencé à consulter son médecin de famille lorsque la douleur au genou droit est apparue, soit environ un an après la deuxième chirurgie de mai 2007.

[46]        Le travailleur déclare que, suite aux résultats de la résonance magnétique, il a produit une deuxième réclamation à la CSST relative à une récidive, rechute ou aggravation. Avant l’événement initial de 2005, il n’a jamais eu à consulter un médecin pour un problème aux genoux. Le travailleur ne prend pas de médication hormis du Tylenol. La nuit, il dort en mettant un oreiller entre ses deux jambes en raison de la condition de ses genoux. Son médecin l’a dirigé en orthopédie.

[47]        Dans une note du 23 juin 2010, la docteure Maynard indique qu’elle suit le travailleur depuis 2004 et qu’elle l’a rencontré à quatre reprises depuis le 7 mai 2008 pour une gonalgie droite. La résonance magnétique a mis en évidence une déchirure du ménisque interne droit. Elle est d’avis que cette lésion au genou droit est « possiblement secondaire à un phénomène de compensation suite à la lésion connue du genou G. » Elle a demandé une opinion en orthopédie à cet effet.

[48]        Le travailleur produit une opinion médicale d’un médecin, le docteur Gauthier, en date du 28 juillet 2010. Il s’agit du médecin à avoir complété, au début de 2008, le Rapport d’évaluation médicale relatif à la récidive, rechute ou aggravation du 22 avril 2007. Le docteur Gauthier est d’avis que, suite aux complications au genou gauche, le travailleur a surutilisé son genou droit. C’est dans ce contexte qu’il a développé une gonalgie droite pour laquelle il a consulté la docteure Maynard le 7 mai 2008. Le travailleur présente une déchirure méniscale dégénérative au genou droit. Il estime qu’il est « probable que la pathologie dégénérative retrouvée au genou droit ait été activée par le surmenage résultant de la blessure au genou gauche ». Selon le docteur Gauthier, « sans l’événement traumatique survenu le 20 octobre 2005 (incluant les complications post-chirurgicales), monsieur Lagacé n’aurait sans doute pas développé de symptomatologies douloureuses au niveau du genou droit ».

[49]        Lors de l’audience du 1er février 2011, le tribunal a demandé une opinion complémentaire au docteur Gauthier. Ce médecin estimant que le travailleur a subi une dégénérescence méniscale et cartilagineuse accélérée par compensation suite à une reconstruction du genou contralatéral, et le travailleur ayant admis avoir respecté les limitations fonctionnelles sévères émises dans le Rapport d’évaluation médicale du docteur Gauthier, le tribunal demande au médecin de produire de la littérature médicale sur la dégénérescence accélérée (méniscale et cartilagineuse) dans le même groupe d’âge du travailleur et apparaissant dans le même laps de temps que celui en l’instance.  

[50]        En réponse à la demande du tribunal, dans une lettre du 7 février 2011, le médecin déclare qu’à sa connaissance il n’existe aucune littérature médicale en ce sens. Il explique que son opinion émise en juillet 2010 s’appuie sur une circonstance particulière, soit le traumatisme initial sévère au genou gauche, et l’ensemble des lésions et des chirurgies subies, y compris les complications. Il conclut que « pendant plusieurs mois, il (le travailleur) n’a pu utiliser son genou gauche, ce qui a amené une sollicitation excessive du côté contralatéral (droit). C’est cette sollicitation excessive qui explique la dégénérescence accélérée du genou droit. »

[51]        Le tribunal constate que le travailleur soutient qu’il a fait une surutilisation ou une sollicitation excessive de son genou droit suite à sa lésion professionnelle au genou gauche et ses conséquences. Il déclare qu’il a présenté une boiterie et qu’il doit utiliser une orthèse au genou gauche afin de pallier à une instabilité de ce genou. La docteure Maynard ainsi que le docteur Gauthier suggèrent aussi une telle surutilisation, ce dernier médecin allant même jusqu’à affirmer, dans sa lettre du 7 février 2011, que, pendant plusieurs mois, le travailleur n’aurait pas même utilisé son genou gauche.

[52]        Cependant, le tribunal souligne qu’il ne suffit pas d’alléger une surutilisation du membre contralatéral. Encore faut-il le démontrer, et ceci, par prépondérance de preuve.

[53]        En effet, le simple fait d’avoir une lésion importante à un genou ne signifie pas, à lui seul, qu’il y ait eu une surutilisation par compensation du genou contralatéral.

[54]        Qu’en est-il en l’instance ? Le travailleur a-t-il pu démontrer que les conséquences de sa lésion professionnelle initiale, y compris les complications et la récidive, rechute ou aggravation de 2007, ont causé une surutilisation de son genou droit? A-t-il seulement pu identifier ces conséquences?

[55]        Lors de la consolidation de la lésion professionnelle initiale, le docteur Toueg ne relevait aucune boiterie. Il est vrai que par la suite, il y a eu des complications si bien qu’une récidive, rechute ou aggravation a été reconnue et a laissé des séquelles importantes, y compris des limitations fonctionnelles sévères au genou gauche. Selon le Rapport d’évaluation médicale de février 2008 fait par le docteur Gauthier, le travailleur demeure avec une instabilité complexe au genou gauche nécessitant le port d’une orthèse qu’il doit maintenant porter lors de ses activités quotidiennes.

[56]        Cependant, malgré les allégations du travailleur sur ce qu’il qualifie de « boiterie », le tribunal constate qu’il n’y a aucune preuve médicale non seulement sur une boiterie réelle et observée par un médecin, mais il n’y a pas eu de preuve médicale sur l’effet du port de l’orthèse. Il s’agit d’une orthèse stabilisatrice. La preuve n’indique pas que cette instabilité du genou gauche n’était pas diminuée, voire corrigée par le port de l’orthèse.

[57]        Or, le travailleur déclare qu’actuellement, il porte toujours une orthèse lors de ses activités et convient qu’il respecte les limitations fonctionnelles sévères émises par le docteur Gauthier suite à sa rechute reconnue du 22 avril 2007. Incidemment, bien que cela ne soit pas automatiquement un obstacle à la reconnaissance d’une récidive, rechute ou aggravation, le travailleur n’a pas repris le travail depuis l’événement initial de 2005.

[58]        En réponse à l’affirmation du docteur Gauthier contenue dans son opinion médicale complémentaire du 7 février 2011, le tribunal constate que la preuve est loin -très loin - de démontrer la non-utilisation du genou droit.

[59]        Le tribunal constate que le travailleur n’a pas fait la preuve médicale à l’effet qu’une lésion au genou contralatéral survient trois ou quatre ans après une lésion initiale, ni n’a pu démontrer que ce type de nouvelle lésion survient après le genre de complications qu’il a eues. 

[60]        Le tribunal estime donc que non seulement la preuve factuelle ne démontre pas qu’il y a eu une surutilisation du genou droit par compensation au point de causer une lésion, de type gonalgie ou une déchirure méniscale à ce même genou, mais la preuve médicale est insuffisante et ne permet pas de conclure dans le sens souhaité par le travailleur.

[61]        Par ailleurs, le tribunal remarque que le rapport de résonance magnétique de juillet 2009 met non seulement en évidence une déchirure au ménisque interne, mais aussi une entorse du ligament collatéral interne. Or, le travailleur n’a nullement indiqué avoir subi un événement imprévu et soudain au moment de la rechute alléguée de 2008 ou de 2009.

[62]        De l’ensemble de la preuve, le tribunal conclut que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle sous la forme d’une récidive, rechute ou aggravation, et ceci, ni le ou vers le 7 mai 2008 (date de la première consultation médicale pour un problème au genou droit) ou le 14 août 2008, ni le 20 août 2009. La lésion au genou droit n’est pas en relation avec la lésion professionnelle initiale du 20 octobre 2005 ou ses conséquences. En ce qui concerne les diagnostics de gonalgie droite ou de déchirure méniscale droite, le travailleur n’a donc pas droit aux prestations prévues par la Loi. 

[63]        Le représentant du travailleur soumet des décisions du tribunal au soutien de ses prétentions[7].

[64]        Dans Plourde et Plaisirs Gastronomiques inc. et Commission de la santé et de la sécurité du travail[8], le travailleur avait développé une arthrose au genou contralatéral. Le tribunal avait relevé et souligné les propos d’un médecin ayant produit une expertise dans le dossier examiné : « la surutilisation fait référence à un patron de marche modifiée avec un temps d’appui prolongé » sur le genou contralatéral, celui qui n’avait pas été touché par la lésion professionnelle initiale. En l’instance, il n’y a pas eu de boiterie prolongée, de mise en charge augmentée et de prolongation du temps d’appui sur le membre inférieur comme mécanisme compensatoire et de protection pour atténuer les douleurs à un genou et par conséquent, le travailleur en l’instance n’a pas objectivé le surmenage ou la surutilisation de son genou contralatéral qu’il allègue.

[65]        Dans Bellemare et Commission scolaire des Navigateurs[9], la preuve avait démontré un désaxage de la rotule aux deux genoux, le relâchement de l’aileron externe de la rotule droite, et un facteur prédisposant chez la travailleuse qui présente des pieds plats. Dès le début, la travailleuse avait une douleur aux facettes médiales (internes) des rotules que le relâchement de l’aileron externe droit a contribué à augmenter par la suite, sans qu’aucune mesure de réadaptation après 16 traitements de physiothérapie n’ait pu corriger ce problème. La preuve était à l’effet que le traumatisme au genou droit a entraîné une incapacité à solliciter de façon habituelle les deux membres inférieurs et ceci, depuis plusieurs années.

[66]        Force est de constater qu’une preuve d’un tel ordre n’a pas été présentée en l’instance.

[67]        Donc, au sujet des décisions produites par le représentant du travailleur, le tribunal constate que le tableau prévalant dans ces affaires est sans aucune commune mesure avec les faits en l’instance. La preuve médicale n’a pas démontré des modifications biomécaniques lors de la marche ou un changement important dans le patron de marche ou d’appui qui aurait contribué de façon significative à un dérangement au genou contralatéral[10].

[68]        En l’instance, le travailleur n’a pu identifier les conséquences de sa lésion professionnelle, incluant la récidive, rechute ou aggravation de 2007, qui ont été responsables d’une boiterie alléguée et qui serait persistante malgré le port quotidien d’une orthèse stabilisatrice au genou gauche. Il n’a pu démontrer l’existence d’une surutilisation véritable de son genou droit : il n’a pu démontrer que ces conséquences au genou gauche, le genou atteint lors de la lésion professionnelle initiale, ont amené une surutilisation du genou droit par compensation des problèmes allégués au genou gauche.

[69]        Le tribunal rejette les requêtes du travailleur.

 

POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

Dossier 376389-64-0904

REJETTE la requête de monsieur Dany Lagacé, le travailleur;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 21 avril 2009, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que, le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle le ou vers le 7 mai 2008 ou vers le 14 août 2008, et n’a pas droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

 

 

Dossier 401581-64-1002

REJETTE la requête du travailleur;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 28 janvier 2010, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que, le 20 août 2009, le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle et n’a donc pas droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

 

 

 

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Daphné Armand

 

Monsieur Sylvain Lussier

Expert Conseil

Représentant de la partie requérante

 

 

Madame Anne Fischer

Aon Hewitt

Représentante de la partie intéressée

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           Asphalte & Pavage RF et Dany Lagacé, 336867-64-0712, 20 janvier 2009, R. Daniel.

[3]           Lapointe et Compagnie Minière Québec-Cartier [1989] C.A.L.P. 38 ; Maheu et Ville de Montréal, C.L.P. 160642-71-0104, 20 novembre 2001, A. Vaillancourt (rectifiée le 5 février 2002).

[4]           Lafontaine et C.H.-C.H.S.L.D. de Papineau, C.L.P. 170168-07-0110, 27 août 2003, N. Lacroix, (03LP-139) (décision accueillant la requête en révision et rectifiée le 1er octobre 2003).

[5]           Boisvert et Halco inc., [1995] C.A.L.P. 19 , Hervieux et Régie intermunicipale de police de Saint-Jérôme, C.L.P. 218468-64-0310, 2 novembre 2006, M. Montplaisir.

[6]           Boisvert et Halco inc., précitée, note 5.

[7]           Bellemare et Commission scolaire des Navigateurs, C.L.P. 213826-03B-0308, 30 novembre 2006, G. Marquis; Plourde et Plaisirs Gastronomiques inc. et Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), C.L.P. 344943-61-0804, 16 décembre 2008, S. Di Pasquale; Samuel et Emballage Performant inc. et Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) C.L.P. 378653-62A-0905, 16 juin 2010, C. Burdett.

[8]           Précitée, note 7.

[9]           Précitée, note 7.

[10]         Samuel et Emballage Performant inc. et Commission de la santé et de la sécurité du travail, précitée, note 7.

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