DÉCISION
[1] Le 26 juillet 2001 madame Jacqueline Deslauriers (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 12 juillet 2001 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme la décision qu’elle a initialement rendue le 26 avril 2001, décision qui fait suite à l’avis rendu par un membre du bureau d’évaluation médicale qui porte sur le diagnostic, la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion, l’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique et les limitations fonctionnelles; la CSST déclare également que la travailleuse est capable d’exercer son emploi depuis le 13 décembre 2000.
[3] La travailleuse et I.C.S. (l’employeur) ne sont pas présents à l’audience tenue le 23 avril 2002 à Salaberry-de-Valleyfield mais ils sont respectivement représentés par Me Daniel Thimineur et Me Réjean Côté.
L'OBJET DE LA CONTESTATION
[4] La travailleuse demande de reconnaître que le diagnostic de la lésion professionnelle est celui de hernie discale lombaire, que cette lésion a entraîné des limitations fonctionnelles et que le déficit anatomo-physiologique doit être évalué à 5%.
LES FAITS
[5] Le 14 février 2000 la travailleuse signe le formulaire «Réclamation du travailleur» et décrit ainsi un événement survenu le 25 janvier 2000 :
«En allant chercher un des sacs de chez mon client j’ai tombée sur le trottoir sur le dos il y avait un morceau de glace sous moi. J’ai ressentie un mal dans le dos et ça descendais jusqu’au genou.» [sic]
[6] Le 25 janvier 2000 le docteur Boisvert signe une attestation médicale et pose le diagnostic de contusion lombaire avec lombosciatalgie droite. Le 2 février 2000 le docteur Primeau mentionne une contusion lombaire et une entorse acromio-claviculaire droite. Le 15 mars 2000 le docteur Caron rapporte une entorse et contusion lombaire avec irradiation au membre inférieur droit; la travailleuse est référée en orthopédie. Le 26 avril 2000 le docteur Tran, orthopédiste, pose le diagnostic de hernie discale lombaire. Le 31 juillet 2000 un électromyogramme devait être fait à la demande du docteur Tran. Cet examen n’a pu s’effectuer «because of patient anxiety» et de l’examen neurologique normal.
[7] Un nouvel électromyogramme est demandé par le docteur Tran; cet examen a lieu le 27 octobre 2000 et les conclusions sont les suivantes :
«The nerve conduction study was normal from both lower extremities including F-waves. On EMG the study shows evidence for mild neurogenic finding corresponding to S1 radiculopathy from the right with minimal changes over the L5 region. Pain distribution is more over the S1 dermatome without any objective motor or sensory deficit. To correlate with the radiological findings and to continue with conservative management.»
[8] Le 4 décembre 2000 le docteur Timothy Heron, orthopédiste, examine la travailleuse à la demande de la CSST. Dans son rapport qu’il date du 12 février 2001 seulement, le docteur Heron retient le diagnostic d’entorse lombaire; il est d’avis que la lésion est consolidée à la date de son examen et qu’elle n’a entraîné aucune atteinte permanente ni aucune limitation fonctionnelle.
[9] Le docteur Tran consolide la lésion de la travailleuse au 13 décembre 2000. Dans son rapport d’évaluation médicale du 14 décembre 2000 le docteur Tran pose les diagnostics de hernie discale lombaire et de radiculopathie lombaire. Le docteur Tran recommande un déficit anatomo-physiologique de 5% et des limitations fonctionnelles. Le docteur Tran mentionne cependant que la travailleuse n’a «aucun antécédent pertinent à la lésion professionnelle».
[10] Le 12 avril 2001 le docteur Pierre Bourgeau, neurologue et membre du bureau d’évaluation médicale, examine la travailleuse. Cette dernière rapporte des douleurs lombaires intermittentes et des engourdissements intermittents au niveau des trois (3) derniers orteils du pied droit. Puisque son examen objectif est normal, le docteur Bourgeau est d’avis de retenir le diagnostic d’entorse lombaire, cette lésion étant consolidée depuis le 13 décembre 2000. Le docteur Bourgeau est également d’avis que la lésion n’a entraîné aucune atteinte permanente ni aucune limitation fonctionnelle.
[11] Liée par cet avis du bureau d’évaluation médicale, la CSST rend une décision en conséquence le 26 avril 2001 et déclare que la travailleuse est capable d’exercer son emploi. La travailleuse demande la révision de cette décision le 24 mai 2001. Le 12 juillet 2001, à la suite d’une révision administrative, la CSST maintient sa décision initiale du 26 avril 2001. Le 26 juillet 2001 la travailleuse conteste à la Commission des lésions professionnelles la décision du 12 juillet 2001.
[12] Au dossier de la CSST, nous retrouvons les informations suivantes, qui peuvent être pertinentes au présent litige :
- mis à part le présent dossier, la travailleuse a fait cinq (5) autres réclamations à la CSST pour des lésions impliquant la région lombaire, le dos ou la région cervico-dorsale; la dernière lésion est subie le 8 septembre 1998 et a été consolidée le 18 octobre 1999; sans qu’elle ait entraîné une atteinte permanente ou des limitations fonctionnelles;
- un électromyogramme effectué le 23 mars 1999 montre des irrégularités au tracé d’effort au niveau du jambier antérieur, ce qui «jette un doute sur l’intégrité de la racine L5 droite»; un examen par résonance magnétique de la colonne lombo-sacrée, effectué le 29 juillet 1999, montre de «légères manifestations de dégénérescence discale avec bombement circonférentiel et petite hernie postéro-latérale gauche non compressive à L4-L5»;
- selon les notes évolutives contenues au dossier, la CSST s’est interrogée sur la relation entre le diagnostic de hernie discale et la lésion du 25 janvier 2000 et ce, en date du 4 juillet 2000, du 13 octobre 2000, du 29 novembre 2000 et du 21 février 2001, sans rendre de décision écrite sur la question.
[13] La travailleuse dépose à la Commission des lésions professionnelles le rapport d’une expertise médicale effectuée le 21 février 2002 par le docteur Gilles Roger Tremblay, chirurgien orthopédiste. Le docteur Tremblay rapporte une mobilité complète du rachis lombaire et «une très nette hypoesthésie à la face dorsale du pied droit». Le docteur Tremblay est d’avis que la travailleuse, cliniquement, ne présente pas de hernie discale avec une imagerie qui démontre une discopathie lombaire dégénérative en L4-L5. Le docteur Tremblay ne recommande aucune atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique mais, pour éviter une aggravation de la condition de la travailleuse, il recommande les limitations fonctionnelles suivantes :
- éviter les efforts de plus de 10 kilogrammes pour tirer, soulever ou pousser;
- éviter les mouvements répétitifs ou à grande amplitude du rachis lombaire;
- éviter les positions inconfortables en flexion ou en inclinaison latérale pour le rachis lombaire;
- avoir la possibilité de varier les positions à volonté.
[14] À l’audience tenue devant la Commission des lésions professionnelles, les représentants des parties mentionnent que la travailleuse a repris son travail régulier en janvier 2000, suite à la lésion professionnelle du 8 septembre 1998.
L'AVIS DES MEMBRES
[15] Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs sont d’avis que l’avis rendu par le membre du bureau d’évaluation médicale est régulier, la CSST n’ayant jamais accepté, même implicitement, la relation entre le diagnostic de hernie discale lombaire et la lésion professionnelle subie par la travailleuse le 25 janvier 2000. La preuve prépondérante indique que le diagnostic à retenir est entorse lombaire sur une condition dégénérative de discopathie lombaire. La lésion du 25 janvier 2000 est consolidée depuis le 13 décembre 2000 et n’a entraîné aucune atteinte permanente.
[16] Le membre issu des associations patronales est d’avis qu’aucune limitation fonctionnelle ne doit être reconnue. Les examens effectués de façon contemporaine à la consolidation de la lésion sont normaux, ce qui démontre que la condition dégénérative de la travailleuse s’est détériorée après cette consolidation. Les limitations fonctionnelles recommandées par le docteur Tremblay découlent uniquement de la condition dégénérative présentée par la travailleuse.
[17] Le membre issu des associations syndicales est d’avis que l’opinion du docteur Tremblay doit être retenue quant à la question des limitations fonctionnelles. La preuve médicale démontre que la condition dégénérative de la travailleuse a été aggravée de façon permanente par l’entorse lombaire du 25 janvier 2000 et, pour éviter une nouvelle détérioration, des limitations fonctionnelles doivent être reconnues.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[18] La Commission des lésions professionnelles doit décider du diagnostic relié à la lésion professionnelle subie par la travailleuse le 25 janvier 2000, de la date de consolidation de la lésion et si cette lésion a entraîné une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique et des limitations fonctionnelles.
[19]
Me Thimineur, représentant la travailleuse, soulève
l’irrégularité de l’avis rendu par le membre du bureau d’évaluation médicale
parce que le diagnostic de hernie discale lombaire a été posé dès le 26 avril
2000 par le docteur Tran et que la CSST n’a pas remis en question ce
diagnostic; la CSST a implicitement accepté le diagnostic de hernie discale
lombaire et, même si aucun délai n’est prévu à l’article
[20] Me Côté, représentant l’employeur, soumet que les notes évolutives du dossier montrent clairement que la CSST n’a pas accepté implicitement de reconnaître la relation entre la hernie discale lombaire et la lésion professionnelle subie par la travailleuse le 25 janvier 2000. La CSST, avant de demander à un médecin désigné par elle d’examiner la travailleuse, devait attendre que le dossier soit complet. Dans le cas présent, la CSST attendait les résultats de l’électromyogramme avant de procéder. La CSST, compte tenu que l’entorse lombaire du 25 janvier 2000 n’était pas encore consolidée, devait continuer de verser des indemnités à la travailleuse et ce fait ne peut servir à démontrer que le diagnostic de hernie discale a été accepté.
[21]
La Commission des lésions professionnelles retient que
l’article
[22] La Commission des lésions professionnelles doit quand même se demander si la CSST a, expressément ou implicitement, accepté de reconnaître la relation entre le diagnostic de hernie discale lombaire et la lésion professionnelle subie par la travailleuse le 25 janvier 2000. Les faits du présent dossier diffèrent de ceux exposés dans la décision déposée par Me Thimineur[3] puisque, dans cette affaire, la CSST ne soumet pas au bureau d’évaluation médicale la question du diagnostic alors que le membre de ce bureau rend un avis, sur d’autres questions de nature médicale, sans tenir compte du diagnostic posé par les médecins du travailleur.
[23] La Commission des lésions professionnelles constate que la CSST ne s’est pas prononcée sur la relation entre le diagnostic de hernie discale lombaire et la lésion du 25 janvier 2000. Elle attendait que le dossier soit plus complet avant de demander à un médecin qu’elle désigne son opinion sur la question du diagnostic. L’avis rendu par le membre du bureau d’évaluation médicale sur la question du diagnostic est régulier et le moyen préliminaire soulevé par Me Thimineur est rejeté.
[24] Tous les médecins s’entendent pour dire que la travailleuse a, le 25 janvier 2000, subi une entorse ou une contusion lombaire. La preuve non contredite indique également que la travailleuse présente une condition de discopathie dégénérative au niveau de la colonne lombaire. Avant le 25 janvier 2000, la travailleuse a subi des lésions qui ont impliqué la colonne vertébrale, dont la dernière, concernant la région lombaire, qui a été consolidée après plus d’un an.
[25] Le représentant de la travailleuse est d’avis que le diagnostic de hernie discale doit être retenu; ce n’est pas incompatible avec un diagnostic de contusion ou d’entorse lombaire; les deux (2) diagnostics ne sont pas exclusifs, comme il a été décidé par la Commission des lésions professionnelles dans Huot et JBR La maison du papier[4]. La preuve médicale au dossier contient suffisamment d’éléments qui montrent que la travailleuse a présenté les signes neurologiques d’une hernie discale et l’évaluation du docteur Tran doit être retenue. Subsidiairement, l’avis du docteur Tremblay peut être retenu quant à la question des limitations fonctionnelles en ajoutant toutefois un déficit anatomo-physiologique de 2% pour entorse lombaire.
[26] Le représentant de l’employeur soumet que la travailleuse, en septembre 1998, a subi une lésion professionnelle qui a entraîné un arrêt de travail de plus de 400 jours. Dès juillet 1999, un examen par résonance magnétique démontre que la travailleuse est porteuse d’une condition dégénérative au niveau de la colonne lombaire. Il n’est pas d’avis que la lésion de janvier 2000 a aggravé ou rendu symptomatique la condition dégénérative de la travailleuse puisque cette condition était symptomatique bien avant. Le docteur Tran ne tient aucunement compte de la condition antérieure de la travailleuse et son opinion ne doit pas être considérée. Les docteurs Heron, Bourgeau et Tremblay n’ont trouvé aucun signe clinique de hernie discale lombaire et ce diagnostic ne doit pas être retenu. De plus, nous ne retrouvons pas le mécanisme de production d’une hernie discale, mécanisme expliqué par la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles dans Martel et Placages St-Raymond Inc.[5] Me Côté soumet que la Commission des lésions professionnelles doit retenir le seul diagnostic d’entorse lombaire, lésion qui n’a entraîné aucune atteinte permanente ni aucune limitation fonctionnelle. À la limite, les seules limitations fonctionnelles recommandées par le docteur Tremblay peuvent être reconnues en considérant la fragilisation d’une condition personnelle.
[27] La Commission des lésions professionnelles retient que la preuve médicale nettement prépondérante démontre que la travailleuse ne présente pas les signes cliniques d’une hernie discale lombaire. L’opinion du docteur Tran ne peut être considérée puisqu’il ne tient aucunement compte de la condition antérieure de la travailleuse. Le diagnostic à retenir est donc celui d’entorse lombaire sur une condition dégénérative de discopathie lombaire. La Commission des lésions professionnelles est d’avis que la lésion est consolidée depuis le 13 décembre 2000 et que l’entorse lombaire n’a entraîné aucune atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique de la travailleuse puisque les docteurs Heron, Bourgeau et Tremblay ont rapporté une mobilité complète du rachis lombaire.
[28] La Commission des lésions professionnelles croit que des limitations fonctionnelles doivent être retenues en relation à la fois avec la lésion professionnelle du 25 janvier 2000 et la condition dégénérative présentée par la travailleuse. La Commission des lésions professionnelles note que l’examen par résonance magnétique du 29 juillet 1999 montre des signes de dégénérescence discale avec une petite hernie discale postéro-latérale gauche. Suite à la lésion du 25 janvier 2000, la symptomatologie présentée par la travailleuse se situe du côté droit, ce qui tend à démontrer que la condition dégénérative de la travailleuse a été quelque peu aggravée.
[29] La condition de la travailleuse continuera probablement de se détériorer mais pour en limiter l’étendue, il y a lieu de reconnaître des limitations fonctionnelles. Les périodes de consolidation des deux (2) dernières lésions subies par la travailleuse ont été de plus ou moins un an et ces lésions ont certes joué un rôle sur l’évolution de la condition dégénérative présentée par la travailleuse. C’est la raison pour laquelle, en relation avec la dernière lésion du 25 janvier 2000, il faut reconnaître des limitations fonctionnelles qui sont ainsi décrites par le docteur Tremblay :
- éviter les efforts de plus de 10 kilogrammes pour tirer, soulever ou pousser;
- éviter les mouvements répétitifs ou à grande amplitude du rachis lombaire;
- éviter les positions inconfortables en flexion ou en inclinaison latérale pour le rachis lombaire;
- avoir la possibilité de varier les positions à volonté.
[30] En tenant compte de ces limitations fonctionnelles, la CSST devra se prononcer sur la capacité de la travailleuse à exercer l’emploi qu’elle exerçait lors de la survenance de la lésion professionnelle du 25 janvier 2000.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE, en partie, la requête déposée par madame Jacqueline Deslauriers le 26 juillet 2001;
MODIFIE la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 12 juillet 2001 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que :
- le diagnostic relié à la lésion professionnelle du 25 janvier 2000 est entorse lombaire sur une condition dégénérative de discopathie lombaire;
- la lésion professionnelle du 25 janvier 2000 est consolidée depuis le 13 décembre 2000;
- la lésion professionnelle du 25 janvier 2000 n’a entraîné aucune atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique;
- la lésion professionnelle a entraîné les limitations fonctionnelles décrites par le docteur Gilles Roger Tremblay dans son rapport d’expertise médicale daté du 28 février 2002;
RETOURNE le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail pour qu’elle décide de la capacité de madame Deslauriers à exercer son emploi, en tenant compte des limitations fonctionnelles retenues.
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Richard Hudon |
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Commissaire |
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Teamsters Québec (Conseil conjoint 91) (Me Daniel Thimineur) |
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Représentant de la partie requérante |
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Groupe-conseil Aon Inc. (Me Réjean Côté) |
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Représentant de la partie intéressée |
AVIS :
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appel; la consultation
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