Section des affaires sociales
En matière de sécurité ou soutien du revenu, d'aide et d'allocations sociales
Référence neutre : 2014 QCTAQ 04335
Dossier : SAS-M-203780-1210
LOUISE GALARNEAU
LUCIE LE FRANÇOIS
c.
[1] La requérante conteste une décision en révision de la partie intimée, la Régie des rentes du Québec (RRQ), du 18 septembre 2012. Cette décision en révision maintient la décision du 2 février 2012, accordant le supplément pour enfant handicapé à partir de mai 2007.
[2] En début d’audience, la procureure de la partie requérante précise que ce qui est attendu, c’est que la rétroactivité du supplément pour enfant handicapé débute en juillet 2005.
Le contexte
[3] Le 21 mai 2002, une première demande de supplément pour enfant handicapé est déposée, à la RRQ, par les parents de V.(ci-après ‘l’enfant’), née le 20 avril 1995. Cette demande est rejetée car elle ne répond pas aux critères d’enfant handicapé de la RRQ. La révision de cette décision n’est pas demandée.
[4] Le 14 avril 2008, une deuxième demande est présentée à la RRQ. Celle-ci est refusée le 4 juillet 2008. Aucune révision n’est demandée.
[5] Le 21 novembre 2011, une troisième demande de supplément pour enfant handi-capée est faite à la RRQ. Le 2 février 2012, cette demande est acceptée. Les versements doivent débuter en décembre 2010, soit le maximum de rétroactivité alloué selon la loi.
[6] Le 10 février 2012,[1] la requérante demande une révision de cette décision. Selon elle, comme l’enfant souffre de son handicap depuis son plus jeune âge, le supplément devrait être rétroactif à mai 2002. Plusieurs documents médicaux sont déposés.
[7] Dans sa demande de révision, la requérante écrit que la condition de son enfant n’a pas changé depuis toutes ces années. Depuis son jeune âge, l’enfant présente des retards importants dans son développement psychologique et physique, par exemple, pour la motricité fine, l’habillage, etc. Elle commence à marcher vers 17 mois. Elle présente des troubles de langage, de la difficulté à s’intégrer et à s’adapter avec ses pairs. Elle est prise en charge par une équipe TED (trouble envahissant du développement) à l’école qu’elle fréquente. À l’âge de 4 ans, l’enfant est référée en orthophonie pour des problèmes de langage avec « indice de retard de développement ». Madame Louise Bouliane, pathologiste en orthophonie et en audiologie, réfère l’enfant pour un suivi thérapeutique en orthophonie, un soutien à l’intégration sociale, un examen pédiatrique approfondi et un examen de la fonction pharyngée.
[8] En révision, la RRQ, le 18 septembre 2012, modifie sa décision du 2 février 2012 et considère la deuxième demande, soit celle du 14 avril 2008, comme la décision initiale. C’est ainsi que la date de début du versement de supplément est fixée à mai 2007, compte tenu de la rétroactivité, 11 mois avant la demande, tel que prévu par la Loi. La RRQ justifie le choix d’avril 2008 car avant cette date, l’enfant concerné ne remplissait aucun des critères d’admissibilité du Règlement. Ceci donne lieu à la présente contestation.
[9] Le 3 octobre 2012, la requérante écrit[2] :
« […] comme le diagnostic a été rendu le 1er novembre 2011 par l’équipe médicale, il est de son droit que V. reçoive toutes les ressources adaptées et individuelles à son développement. Le DIL[3] peut juste nous expliquer tous les retards au niveau physique et psychologique depuis son enfance. Mais ce n’est qu’en 2002, où j’ai fait parvenir à la régie des rentes du Québec les documents que l’on m’avait remis. Je tentais tant bien que mal de définir la situation à la Régie des rentes du Québec depuis 2002. »
(Transcription conforme)
Historique et résumés des évaluations de l’enfant
[10] Évaluation en psychologie, décembre 1999.[4] Les résultats des tests au non-verbal correspondent à l’intelligence moyenne et à la basse moyenne au verbal.[5] Ces résultats sont compatibles avec un déficit de langage.
[11] Rapport d’évaluation et d’évolution en orthophonie du 1er décembre 1999 au 1er février 2000.[6] Les impressions cliniques vont dans le sens d’un problème de développe-ment et d’acquisition dans la sphère du langage, au niveau modéré. Le trouble est signi-ficativement plus sévère dans les composantes réceptives, sans amélioration, en dépit d’un suivi en orthophonie. Des risques de trouble d’apprentissage sont identifiés. Un syndrome dysphasique mixte est probable. Des indices d’anomalies en matière de socialisation, d’adaptation, de confiance en elle, de présence de maniérismes, de maturité psychoaffec-tive se surajoutent. Un suivi, en orthophonie en milieu scolaire et en ORL est recommandé.
[12] Rapport d’évaluation et d’intervention orthophonique, pour l’année scolaire 2000-2001.[7] « L’enfant a un trouble de langage de la forme phonologique (enfant inintelligible la plupart du temps). » Le trouble est persistant malgré la rééducation. Elle est cotée comme une élève à risque. Un suivi en orthophonie doit se poursuivre. Elle profiterait d’un support individuel.
[13] Rapport d’évaluation orthophonique pour l’année scolaire suivante (2001-2002).[8] Une référence en pédopsychiatrie est recommandée.
[14] Octobre 2002, évaluation en pédopsychiatrie.[9] En conclusion, l’enfant souffre d’un trouble anxieux de type non spécifique, d’un trouble du langage, de type expressif. Elle est décrite comme une enfant immature présentant toutefois des capacités d’apprentissage. Son fonctionnement global est considéré comme moyen à la maison et à l’école.
[15] En 2005, elle est évaluée par une psychologue. Elle recommande un suivi en thérapie individuelle. L’intégration dans un milieu scolaire offrant des services de psychopathologies serait préférable pour l’enfant, d’autant plus qu’elle aura besoin de services d’orthopédagogie. Un Syndrome de Gilles de la Tourette n’est pas exclu.
[16] Rapport d’évaluation en orthophonie, 2007-2008.[10] Des difficultés d’apprentissage sont identifiées, associées à un retard de langage et à un trouble anxieux non spécifié et à de pauvres habiletés sociales, en dépit d’un suivi individualisé en orthophonie et avec un éducateur, depuis quatre ans. Une classe à petit ratio et un encadrement structuré avec un enseignement adapté aux difficultés langagières, affectives et aux habiletés sociales est proposée pour le niveau secondaire.
[17] Rapport d’évaluation en orthophonie, 2011.[11] En conclusion, l’enfant a un trouble primaire du langage s’inscrivant dans un tableau de trouble anxieux et d’un trouble déficitaire de l’attention. La parole, la voix et la résonnance sont affectées par des anomalies de structure et de dysfonction du MOP. Il est recommandé de poursuivre l’orientation scolaire actuelle. Un support individuel en orthopédagogie est recommandé ainsi qu’une évaluation en psychologie/neuropsychologie et une reprise éventuelle de l’intervention en psychiatrie.
[18] Rapport d’évaluation psychologique, 2011.[12] L’enfant présente des difficultés importantes sur le plan cognitif au niveau de la compréhension verbale, de la mémoire de travail, du raisonnement perceptif et de la vitesse de traitement de l’information. L’ampleur des difficultés cognitives ainsi que les comportements adaptatifs fortement perturbés suggèrent la « présence d’une déficience intellectuelle légère ». À l’école, des services adaptés aux besoins s’imposent. Un accompagnement en travail social, adapté aux difficultés de l’enfant, est nécessaire. Une aide en psychoéducation est également requise. L’enfant nécessite aussi une psychothérapie individuelle.
Témoignage de la requérante
[19] Essentiellement, la requérante relate les difficultés à obtenir les services adéquats pour sa fille au cours des années. En effet, dès les premières années à l’école, il était évident que quelque chose n’allait pas. Ce n’est qu’à l'automne 2011 qu’une déficience intellectuelle légère (DIL) est diagnostiquée. L'enfant est alors inscrite dans une école adaptée à sa condition. Elle va beaucoup mieux depuis.
Représentations des procureurs
Représentation de la procureure de la partie requérante
[20] La procureure précise que pour l’année 2002, année de la première demande de supplément, les critères de la RRQ ne sont pas rencontrés.
[21] Un rapport, en juillet 2005 (page 142 et suivante du dossier), situe le potentiel intellectuel de l’enfant dans la basse moyenne. Certaines recommandations sont faites. En 2008, il est noté que l’enfant est très immature.
[22] La RRQ, dans sa décision en révision de septembre 2012, n’explique pas pourquoi on ne peut rétroagir jusqu’en 2005. La RRQ, suivant la Loi, peut proroger en tout temps.
[23] La procureure de la requérante demande de déclarer l’enfant admissible suivant la preuve, soit en juillet 2005.
Représentation du procureur de la partie intimée
[24] Le procureur de la partie intimée précise que les critères n’étaient pas rencontrés auparavant. Lors de l’évaluation psychologique de juillet 2005 (dossier p. 142-143), le quotient intellectuel est évalué au-dessus de 70.
Motifs et décision
[25] La présente contestation relève de l’application des articles de loi suivants :
« Loi sur les impôts[13] :
L’article 1029.8.61.19.
Un enfant à charge admissible auquel le paragraphe b du deuxième alinéa de l'article 1029.8.61.18 fait référence est un enfant qui a, selon les règles prescrites, une déficience ou un trouble du développement qui le limite de façon importante dans les activités de la vie quotidienne pendant une période prévisible d'au moins un an.
Aux fins de prendre en considération un montant au titre du supplément pour enfant handicapé en vertu du paragraphe b du deuxième alinéa de l'article 1029.8.61.18, une demande doit être présentée à la Régie et être accompagnée du rapport d'un expert qui évalue l'état de l'enfant.
Il y a dispense de présenter une nouvelle demande et de fournir un nouveau rapport d'expert aux fins de prendre en considération un montant au titre du supplément pour enfant handicapé en vertu du paragraphe b du deuxième alinéa de l'article 1029.8.61.18, lorsqu'un particulier devient un particulier admissible, à l'égard d'un enfant admissible qui donne déjà droit à un montant au titre du supplément pour enfant handicapé et à l'égard duquel le particulier a présenté ou est réputé avoir présenté une demande visée au premier alinéa de l'article 1029.8.61.24.
[…]
2005, c. 1, a. 257; 2006, c. 13, a. 183.
L’article 1029.8.61.24 :
Un particulier ne peut être considéré comme un particulier admissible, à l'égard d'un enfant à charge admissible, au début d'un mois donné que s'il présente une demande, à l'égard de cet enfant à charge admissible, auprès de la Régie au plus tard 11 mois après la fin du mois donné.
La Régie peut, en tout temps, proroger le délai fixé pour présenter une demande visée au premier alinéa.
Un particulier est réputé avoir présenté une demande, à l'égard d'un enfant à charge admissible, auprès de la Régie dans le délai prévu au premier alinéa lorsque le Directeur de l'état civil communique à la Régie les renseignements nécessaires aux fins d'établir son admissibilité.
[…]
2005, c. 1, a. 257; 2005, c. 38, a. 283; 2006, c. 13, a. 244. »
« Règlement sur les allocations d'aide aux familles[14]
Article 6 :
Est handicapé:
1° […]
2° […]
3° […]
4° l'enfant qui, de façon permanente, est atteint d'une affection psychique grave, ou d'une déficience intellectuelle montrant, lors de l'évaluation à l'aide d'examens standardisés, une performance inférieure à 70 pour le quotient intellectuel ou le quotient de développement et dont l'état nécessite la mise en place de mesures spécialisées en matière de traitement, de réadaptation, de rééducation ou de scolarisation. Le quotient de développement s'établit en multipliant 100 par le rapport que représente l'âge de développement de l'enfant sur son âge chronologique;
5° […]
D. 1498-89, a. 6 et 16; D. 819-91, a. 2; D. 212-95, a. 3.
Article 6.1. (Aux fins de l'article 6) :
1° doivent être considérées comme des mesures spécialisées:
a) […]
b) les traitements professionnels spécialisés en vue d'améliorer les conditions de l'enfant visé et qui doivent lui être donnés au moins une fois par mois pour une période minimale d'un an;
c) […]
2° doit être considéré comme permanent le handicap de longue durée dont la fin ne peut être déterminée à la lumière des renseignements dont dispose la Régie, notamment l'opinion du médecin traitant.
Les dispositions du présent article, relatives à l'allocation pour enfant handicapé continuent de s'appliquer jusqu'à l'entrée en vigueur des dispositions réglementaires prises en vertu du premier alinéa de l'article 11 et dans la mesure où elles sont compatibles avec la Loi sur les prestations familiales (L.Q., 1997, c. 57).
D. 212-95, a. 3., RLRQ, chapitre P-19.1 »
(Les soulignements sont des soussignées)
[26] Rappelons que le fardeau de la preuve, soit de démontrer l’existence d’une situation permettant de proroger le délai, revient à la requérante.
[27] Le Tribunal a pris connaissance de la preuve documentaire au dossier, a entendu le témoignage de la requérante et a pris en considération les représentations des parties. Après avoir délibéré sur le tout, le Tribunal juge que la requérante s’est déchargée de son fardeau de preuve pour les motifs suivants.
[28] Rappelons que chacune des situations doit être appréciée selon le contexte et selon une interprétation large et libérale d’une loi à caractère social. Dans ce cas-ci, l’admissibilité de l’enfant à un supplément pour handicap n’est pas en cause, puisque, comme on l’a vu, la Régie a accepté la demande présentée par la requérante, le 21 novembre 2011 et a rétroagi quant au paiement de onze mois, en conformité avec l’article 1029.8.61.24 de la Loi sur les impôts[15], cité précédemment. En révision, la RRQ modifie sa décision et débute le versement du supplément pour enfant handicapé en mai 2007.
[29] Le litige porte, en l’espèce, sur la date d’admissibilité, et donc sur le pouvoir de prorogation énoncé à l’article 1029.8.61.24 de la Loi sur les impôts. La procureure de la requérante demande à ce que le supplément débute en juillet 2005.
[30] Dans sa décision en révision du 18 septembre 2012, la RRQ justifie dans ces termes la date du début du rétroactif à mai 2007 : « […] Avant cette date, la condition de V. ne remplissait aucun des critères d'admissibilité du Règlement. [...] ».[16] La RRQ s’appuie sur la Loi sur les impôts et sur le Règlement sur l’allocation pour enfant handicapé pour établir l’admissibilité à la subvention pour enfant handicapé. Les soussignées ne sont pas d'accord avec cette affirmation de la RRQ pour les raisons suivantes.
[31] L’enfant est suivie en orthophonie depuis l’âge de trois ans (1999) et en pédopsychiatrie depuis l’âge de 7 ans (été 2002). Lors de l’évaluation en psychologie, en décembre 1999, les résultats des tests au non-verbal correspondent à l’intelligence moyenne et à la basse moyenne au verbal. Ces résultats sont compatibles, lit-on, avec un déficit de langage. L’enfant a nécessité un suivi professionnel spécialisé, dès l’âge de trois ans, et ce, jusqu’à maintenant. En font foi, plusieurs rapports d’évaluation et d’évolution, résumés aux paragraphes 10 à 18.
[32] Force est de constater que cette enfant présente des problèmes plus importants dès l’âge de 4 ans. C’est alors que les investigations et les suivis, particulièrement en orthophonie, débutent.
[33] Plusieurs évaluations ont été réalisées au cours des années, laissant présager un déficit intellectuel léger (DIL) mais sans que le diagnostic soit clairement formulé et présenté aux parents par un(e) professionnel(le) habilité(e) à le faire. En effet, le diagnostic n’a été annoncé de façon officielle qu’en 2011 par la pédopsychiatre. Cependant, de toute évidence, l’enfant présentait des problèmes sérieux depuis plusieurs années déjà, les nombreuses interventions multidisciplinaires à compter de 2002, telles qu’énumérées précédemment, en sont la preuve.
[34] Pour les soussignées, cette enfant répond aux critères d’handicapée, tel que prescrit à l’article 6 et 6.1 du Règlement sur les allocations d’aide aux familles, puisque son état nécessite, de façon permanente, la mise en place de mesures spécialisées en matière de scolarisation. Cette enfant doit être considérée comme handicapée à compter de juillet 2005, alors que le potentiel intellectuel de l’enfant est évalué dans la basse moyenne, qu’un suivi en thérapie individuelle est recommandé, ainsi que l’intégration dans un milieu scolaire offrant des services de psychopathologies et d’orthopédagogie.
[35] Le Tribunal conclut donc que la requérante s’est déchargée de son fardeau de preuve.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
- INFIRME la décision en révision de l'intimée, du 18 septembre 2012;
- ACCUEILLE le recours;
- DÉCLARE l’enfant admissible au supplément pour enfant handicapé à compter de juillet 2005.
Bureau d'aide juridique A
Me Andréanne Beaudry
Procureure de la partie requérante
Arav, Robillard & Laniel
Procureur de la partie intimée
[1] Dossier, p. 88-91.
[2] Dossier, p. 157.
[3] Déficience intellectuelle légère.
[4] Dossier, p. 17-18.
[5] Selon le WAIS-lll (Wechsler, 1997) description system.
[6] Dossier, p. 19-30.
[7] Dossier, p. 31-35.
[8] Dossier, p. 37-41.
[9] Dossier, p. 136-139.
[10] Dossier, p. 46-51.
[11] Dossier, p. 63-69.
[12] Dossier, p. 70-78.
[13] RLRQ, chapitre I-3.
[14] Loi sur les allocations d'aide aux familles, RLRQ, c. A-17, a. 25.
[15]RLRQ, chapitre I-3.
[16] Dossier p. 152.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.