Décision

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Nobert et Norton Céramiques Avancées (fermé)

2007 QCCLP 5417

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Laval

25 septembre 2007

 

Région :

Mauricie-Centre-du-Québec

 

Dossier :

284199-04-0603

 

Dossier CSST :

121985444

 

Commissaire :

Me Lucie Nadeau

 

Membres :

Jean-Guy Verreault, associations d’employeurs

 

Jean-Pierre Périgny, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Claude Nobert

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Norton Céramiques Avancées (fermé)

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 7 mars 2006, M. Claude Nobert (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 17 février 2006 à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 28 décembre 2005[1] et confirme en partie celle qu’elle a rendue le 30 novembre 2005. Elle déclare que le travailleur n’est pas atteint d’une maladie professionnelle, les éléments étant actuellement insuffisants pour considérer qu’il a développé une pneumoconiose en rapport avec le carbure de silicium.

[3]                L’audience s’est tenue à Trois-Rivières le 14 septembre 2007 en présence du travailleur et de son procureur. La compagnie Norton Céramiques Avancées (l’employeur) n’est plus en activité.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]                Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître qu’il est atteint d’une maladie professionnelle, soit une pneumoconiose du carborundum tel que reconnu par le Comité des maladies professionnelles dans son avis du 4 mars 2005.

L’AVIS DES MEMBRES

[5]                Les membres issus des associations syndicales et des associations d’employeurs sont d’avis de rejeter la requête du travailleur. La preuve prépondérante au dossier ne permet pas de reconnaître une maladie professionnelle compte tenu plus particulièrement de l’avis du Comité spécial des présidents qui a été rendu à la suite d’examens supplémentaires que le premier comité n’avait pas en main.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[6]                Le travailleur est présentement âgé de 61 ans. Il a travaillé comme journalier chez l’employeur pendant environ 35 ans, soit de juin 1966 jusqu’à la fermeture de l’entreprise en 2001. L’entreprise fabrique différents produits au carbure de silicium.

[7]                Le carbure de silicium ou carborundum est un abrasif provenant de la silice et du carbone, traité à haute température au four électrique et employé pour le ponçage des parquets, des apprêts, des laques et des vernis[2].

[8]                À l’audience, le travailleur décrit les différentes tâches qu’il a exécutées chez l’employeur et la façon dont il a été en contact avec les poussières et gaz émanant du carbure de silicium. Dans les premières années, il n’y avait aucun moyen de protection à la disposition des travailleurs. Au début des années 1970, il y a eu des essais de différents types de masques et c’est uniquement à la fin des années 1970 que le port du masque est devenu obligatoire.

[9]                Le travailleur prétend qu’il est atteint d’une pneumoconiose du carborundum reliée à son exposition professionnelle. Le terme pneumoconiose est un terme générique pour décrire les altérations respiratoires dues à l’inhalation et à la fixation de particules solides répandues dans l’atmosphère[3].

[10]           La réclamation du travailleur vise donc la reconnaissance d’une maladie professionnelle pulmonaire. La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[4] (la loi) prévoit des dispositions spécifiques dans le cas de ce type de maladie. Ces réclamations sont en effet examinées par deux comités distincts, composé chacun de trois pneumologues, le Comité des maladies pulmonaires professionnelles (CMPP) et le Comité spécial des présidents (CSP).

[11]           Les articles 226, 227, 230 et 231 de la loi prévoient la formation de ces comités :

226. Lorsqu'un travailleur produit une réclamation à la Commission alléguant qu'il est atteint d'une maladie professionnelle pulmonaire, la Commission le réfère, dans les 10 jours, à un comité des maladies professionnelles pulmonaires.

__________

1985, c. 6, a. 226.

 

 

227. Le ministre forme au moins quatre comités des maladies professionnelles pulmonaires qui ont pour fonction de déterminer si un travailleur est atteint d'une maladie professionnelle pulmonaire.

 

Un comité des maladies professionnelles pulmonaires est composé de trois pneumologues, dont un président qui est professeur agrégé ou titulaire dans une université québécoise.

__________

1985, c. 6, a. 227.

 

 

230. Le Comité des maladies professionnelles pulmonaires à qui la Commission réfère un travailleur examine celui-ci dans les 20 jours de la demande de la Commission.

 

Il fait rapport par écrit à la Commission de son diagnostic dans les 20 jours de l'examen et, si son diagnostic est positif, il fait en outre état dans son rapport de ses constatations quant aux limitations fonctionnelles, au pourcentage d'atteinte à l'intégrité physique et à la tolérance du travailleur à un contaminant au sens de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1) qui a provoqué sa maladie ou qui risque de l'exposer à une récidive, une rechute ou une aggravation.

__________

1985, c. 6, a. 230.

 

 

 

231. Sur réception de ce rapport, la Commission soumet le dossier du travailleur à un comité spécial composé de trois personnes qu'elle désigne parmi les présidents des comités des maladies professionnelles pulmonaires, à l'exception du président du comité qui a fait le rapport faisant l'objet de l'examen par le comité spécial.

 

Le dossier du travailleur comprend le rapport du comité des maladies professionnelles pulmonaires et toutes les pièces qui ont servi à ce comité à établir son diagnostic et ses autres constatations.

 

Le comité spécial infirme ou confirme le diagnostic et les autres constatations du comité des maladies professionnelles pulmonaires faites en vertu du deuxième alinéa de l'article 230 et y substitue les siens, s'il y a lieu; il motive son avis et le transmet à la Commission dans les 20 jours de la date où la Commission lui a soumis le dossier.

__________

1985, c. 6, a. 231.

 

 

[12]           L’article 233 de la loi prévoit que la CSST est liée par le diagnostic posé par le Comité spécial des présidents :

233. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi sur les droits du travailleur qui lui produit une réclamation alléguant qu'il est atteint d'une maladie professionnelle pulmonaire, la Commission est liée par le diagnostic et les autres constatations établis par le comité spécial en vertu du troisième alinéa de l'article 231.

__________

1985, c. 6, a. 233.

 

 

[13]           La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur est atteint d’une pneumoconiose du carbure de silicium. En l’espèce il n’est pas contesté que le travailleur a été exposé pendant de nombreuses années à ce contaminant. C’est la question diagnostique qui soulève des difficultés.

[14]           Le travailleur fait l’objet d’un suivi par la CSST depuis plusieurs années. Des radiographies pulmonaires ont été faites de façon régulière depuis le début des années 1970 et des anomalies ont été détectées au cours des années 1980.

[15]           En 2002, la Dre Sylvie Ferland, radiologiste, notait en outre de plaques pleurales, des «opacités linéaires sous-pleurales discrètes aux deux lobes inférieurs représentant une manifestation de fibrose». Elle concluait d’ailleurs à un «aspect compatible avec une exposition aux fibres d’amiante», ajoutant qu’il y avait lieu de corréler l’imagerie avec le «contexte».

[16]           Toujours en 2002, le dossier du travailleur est soumis au CMPP et au CSP. Le CMPP interprétant les films selon la classification du Bureau international du travail (BIT), faisait état de «suspicion de quelques petites opacifications arrondies» et classifiait ces opacités comme étant q/q, 0/1. Il croyait donc à une sérieuse possibilité d’opacités rondes aux bases. Le comité concluait que les radiographies simples ne permettaient pas d’affirmer la présence d’infiltration pulmonaire et que, malgré un «doute soulevé» par la tomographie axiale, il n’y avait «pas suffisamment de lésions» pour conclure à une maladie pulmonaire professionnelle. Le CSP concluait au même effet.

[17]           Toutefois compte tenu des anomalies pleurales observées et des antécédents de travail dans l’industrie du carborundum, les deux comités recommandaient une réévaluation du patient dans trois ans. 

[18]           Les deux comités notaient également que le travailleur présente un syndrome obstructif léger rattachable à des antécédents de tabagisme chronique très important.

[19]           En 2005, le dossier du travailleur est de nouveau soumis aux deux comités pour évaluation. Le 4 mars, le CMPP rend son rapport et émet l’avis qu’il y a eu une certaine évolution des lésions en rapport avec l’exposition au carbure de silicium. Il recommande de reconnaître le travailleur porteur d’une pneumoconiose du carborundum et il évalue les séquelles à 15 %.

[20]           Le CMPP interprète les radiographies comme révélant une «infiltration douteuse interstitielle», qu’il classifie s/t, 1/0, c’est-à-dire présence probable de petites opacités irrégulières qu’ils localisent à la base gauche, selon le rapport de radiographie (BIT) du 4 mars 2005. Une tomodensitométrie thoracique en haute résolution a été faite en 2004 mais le rapport d’interprétation de cet examen n’apparaît pas au dossier. Cependant, le CMPP souligne que sur cette tomodensitométrie apparaissent «à certains endroits quelques petites zones de fibrose adjacentes à des plaques pleurales». Il note également dans les bases pulmonaires «quelques zones un peu infiltrées dans des zones orthostatiques». Le comité s’interroge sur la nature, fibrose ou stase, de ces infiltrations. Les membres du comité font remarquer que des films «en pronation» ne sont pas disponibles pour établir le diagnostic différentiel mais concluent tout de même à une «pneumoconiose du carborundum».

[21]           Le dossier est comme prévu à la loi soumis au CSP. Les présidents s’interrogent sur la présence des lésions à la tomographie axiale et ils demandent que le travailleur subisse une tomodensitométrie en haute résolution en position de décubitus ventral (le corps reposant sur le ventre).

[22]           Cet examen est fait le 14 avril 2005 et le Dr Chapuis, radiologiste, retrouve «inchangées les opacités linéaires sous-pleurales adjacentes aux plaques pleurales lobaires inférieures précédemment décrites». Le rapport de cette tomodensitométrie est transmis au CSP qui demande cependant à voir les clichés.

[23]           Le CSP examine ces films et indique ne retrouver «aucune des images périphériques pleurales dans les zones décrites initialement et qui soulevaient la possibilité d’une fibrose pulmonaire». Dans son rapport du 3 novembre 2005, le CSP émet l’avis qu’il ne dispose pas d’éléments suffisants actuellement pour considérer que le travailleur a développé une pneumoconiose en rapport avec le carbure de silicium.

[24]           De cette revue du dossier, il est évident qu’en 2005, il y avait présence probable, sinon indiscutable, d’opacités aux bases pulmonaires et que la seule question qui demeure consiste à déterminer si, comme le croit le radiologiste Chapuis, ces images radiologiques ne se modifient pas au changement de position, ce qui orienterait vers des lésions fibrotiques, ou si, comme l’estime les présidents, ces opacités disparaissent en décubitus ventral, donc qu’il s’agit de phénomènes de stase c’est-à-dire d’accumulation liquidienne.

[25]           La Commission des lésions professionnelles accorde une plus grande valeur probante à l’opinion du CSP qu’à celle du radiologiste. Trois pneumologues ont revu les clichés et en sont arrivés à cette interprétation.

[26]           Le procureur du travailleur demande de retenir l’opinion des trois pneumologues du CMPP qui s’est prononcé le 4 mars 2005. Il signale que ce comité était formé des trois mêmes pneumologues qui avaient déjà évalué le travailleur en 2002 et qui ont pu comparer l’évolution de sa condition. Il signale que ceux-ci ont identifié deux sites où il y avait des zones de fibrose. Il fait valoir que le rapport du CSP est moins documenté et qu’il ne discute pas de ces deux sites.

[27]           La Commission des lésions professionnelles ne peut retenir ces arguments. Le CMPP signalait qu’il avait un doute pour décider s’il s’agissait de fibrose ou de stase et il n’avait  pas en main de films permettant de le vérifier. Le CSP a obtenu cet examen et l’a interprété en indiquant que «ces images qui disparaissent selon la position du réclamant correspondent à des manifestations d’orthostatisme mais ne peuvent pas constituer une base pour reconnaître une fibrose pulmonaire».

[28]           Le Tribunal retient que le CSP a poursuivi l’investigation et a répondu à la question soulevée par le CMPP. Son opinion doit donc prévaloir.

[29]           La Commission des lésions professionnelles retient l’opinion du CSP et conclut que les éléments sont actuellement insuffisants pour considérer que le travailleur a développé une pneumoconiose en rapport avec le carbure de silicium.

[30]           Toutefois un doute subsiste sur la nature des anomalies observées et compte tenu du caractère évolutif de ce type de maladie, la Commission des lésions professionnelles estime que le travailleur devra être de nouveau évalué en 2008, soit trois ans après la dernière évaluation.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête de M. Claude Nobert, le travailleur;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 17 février 2006 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que les éléments sont actuellement insuffisants pour considérer que le travailleur a développé une pneumoconiose en rapport avec le carbure de silicium;

RETOURNE le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail pour que le travailleur soit soumis à une nouvelle évaluation trois ans après la dernière.

 

 

 

__________________________________

 

Lucie Nadeau

 

Commissaire

 

 

 

 

Me Denis Mailloux

C.S.N.

Représentant de la partie requérante

 



[1]           La décision du 28 décembre reconsidère celle du 30 novembre en raison d’une erreur de libellé mais elle maintient le refus de la réclamation.

[2]           [En ligne] «http://www.granddictionnaire.com»

[3]           Id.

[4]           L.R.Q., c. A-3.001

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