DÉCISION
[1] Le 25 octobre 2002, A.C.F. Transportaide enr. (l’employeur) soumet une requête en révision de la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 13 septembre 2002. Essentiellement, l’employeur allègue « pour des raisons suffisantes » n’avoir pas pu se faire entendre lors de l’audience tenue le 21 août 2002. La requête s’appuie donc sur l’article 429.56, deuxième alinéa, de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
(Notre soulignement)
L'OBJET DE LA REQUÊTE
[2] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles en révision :
- de procéder à la révision de la décision rendue le 13 septembre 2002;
- de lui permettre de présenter sa preuve concernant l’admissibilité de la réclamation du travailleur;
- de rendre la décision qui aurait dû être rendue le 13 septembre 2002.
[3] L’audience prévue pour le 8 janvier 2003 n’aura pas lieu, l'employeur et monsieur André Moquin (le travailleur) s’entendant pour produire des admissions de faits avec les conclusions recherchées. Ces dernières ont été produites par l’employeur le 11 février 2003 et confirmées par le travailleur le 18 février 2003.
[4] Le travailleur est d’accord avec la conclusion recherchée, à savoir qu’il y ait une révision de la décision rendue le 13 septembre 2002 « afin de reconnaître que le travailleur a bel et bien été victime d’une lésion professionnelle mais à titre de rechute, récidive ou aggravation d’un événement original survenu le ou vers le 16 février 2000 ». Cependant, le travailleur demande à Commission des lésions professionnelles de statuer sans qu’il y ait nouvelle audience.
LES FAITS
ADMISSIONS DE FAITS
ATTENDU QUE l’employeur ACF TRANSPORTAIDE ENR. a produit une requête en révision pour cause à l’encontre d’une décision de la Commission des lésions professionnelles rendue le 13 septembre 2002;
ATTENDU QUE les motifs soulevés par l’employeur au soutien de sa requête en révision sont à l’effet que ce dernier n’a pu, pour des raisons suffisantes, se faire entendre;
ATTENDU QUE les faits énoncés ci-après son admis par les deux parties;
ATTENDU QUE l’employeur soumet que ces faits justifient les conclusions qu’il recherche relativement à la décision de la Commission des lésions professionnelles du 13 septembre 2002;
ATTENDU QUE ces conclusions sont à l’effet de réviser la décision du 13 septembre 2002 afin de reconnaître que le travailleur a bel et bien été victime d’une lésion professionnelle, mais à titre de rechute, récidive ou aggravation d’un événement original survenu le ou vers le 16 février 2000;
LES PARTIES DÉSIRENT SOUMETTRE À LA COMISSION LES ADMISSIONS DE FAITS SUIVANTES :
1. Le ou vers le 16 février 2000, M. André Moquin a effectivement subi une lésion professionnelle à titre d’accident du travail alors qu’il exerce un emploi de chauffeur de camion;
2. Il est alors un salarié de l’employeur ACF TRANSPORTAIDE ENR., lequel employeur exerce les activités de locateur de chauffeurs de camion auprès de sa propre clientèle;
3. À l’occasion de cet accident, le travailleur avait été heurté par un camion de déneigement d’un tiers employeur qui circulait dans la cour où le travailleur exerçait son emploi pour l’entreprise CAVALIER ET FILS INC., cliente de l’employeur ACF TRANSPORTAIDE ENR.;
4. Suite à cet événement, le travailleur n’a pu reprendre le travail avant le 30 octobre 2000. Bien qu’il ait été consolidé sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle, le travailleur a conservé une symptomatologie douloureuse qui se manifestait de façon régulière lors de l’exercice de son travail;
5. Ce travail toutefois, compte tenu d’un contexte de ralentissement des activités de l’entreprise où il l’exerçait, s’est avéré moins exigeant et comportait notamment beaucoup moins de manutention de marchandises, ainsi que de nombreuses périodes d’inactivité, le travailleur pouvant ainsi raisonnablement exécuter son travail malgré sa condition;
6. Cependant, le ou vers le 15 juin 2001, alors que les activités de la cliente de l’employeur ont repris en intensité, le travailleur s’est retrouvé devant toutes les contraintes qu’il avait avant accident du 16 février 2000;
7. C’est alors que son état de santé se détériore, que la douleur reprend et que sa force musculaire et ses amplitudes décroissent;
8. En conséquence de cette aggravation de son état de santé alors qu’il est à nouveau confronté avec les contraintes complètes de son travail prélésionnel, le travailleur produit une réclamation pour rechute, récidive ou aggravation à la Commission de la santé et de la sécurité du travail, soumettant qu’il ne peut faire son travail à cause de douleurs persistantes, le tout tel qu’il appert de la réclamation du travailleur au dossier;
9. La CSST refuse cette réclamation, tout comme la révision administrative dans sa décision du 4 décembre 2001;
10. Pendant toute cette période comprise entre le 16 février 2000 et le ou vers le 15 juin 2001, l’employeur ACF TRANSPORTAIDE ENR. a suivi et géré l’accident de travail découlant de l’événement du 16 février 2000;
11. La représentante de l’employeur, Mme Hélène Côté, a constaté personnellement à plusieurs reprises l’état de santé du travailleur. Elle est également en mesure de corroborer la situation d’emploi de celui-ci et corrobore entièrement les allégations du travailleur à l’effet que les exigences de son emploi prélésionnel sont demeurées légères de la période du mois d’octobre 2000 jusqu’à la période du mois de juin 2001;
12. L'employeur a également été surpris du refus de la réclamation du travailleur et a toujours dans ses démarches corroboré la version de celui-ci à l’effet qu’il a continué à ressentir des douleurs et une incapacité périodique au cours de la période du mois d’octobre 2000 au mois de juin 2001;
13. L'employeur est également à même de corroborer la version du travailleur à l’effet que celui-ci s’est vu confronter à nouveau à toutes les exigences de son poste aux alentours du 15 juin 2001, lesquelles se sont avérées incompatibles avec son état de santé qui découlait de l’accident de travail du 16 février 2000;
14. C’est dans ce contexte de faits non contestés que l’employeur a entrepris des discussions avec le conciliateur attitré à son dossier, M. Yvan Côté, convenant avec ce dernier que le travailleur, dans l’esprit de l’employeur, avait vu son état de santé se dégrader lorsque confronté aux exigences normales de son poste et qu’il avait droit aux bénéfices de la loi à titre de rechute, récidive ou aggravation;
15. Dans le cadre de ses discussions dans sa démarche de conciliation, l’employeur s’est également fait représenter, de bonne foi, que l’employeur n’avait aucun élément additionnel à présenter à la Commission et que par conséquent, sa présence à la Commission des lésions professionnelles était inutile lors de l’audition le 21 août 2002;
16. Le ou vers le 17 septembre 2002, l’employeur recevait la décision datée du 13 septembre 2002 rendue par la commissaire Ginette Godin, dans laquelle la Commission des lésions professionnelles accueillait l’appel du travailleur;
17. Toutefois, cette décision acceptait la réclamation du travailleur à titre de nouvel événement, notamment en application de la présomption de l’article 28 de la loi;
18. Les circonstances, la teneur des discussions et le contexte de conciliation dans lequel ces discussions se sont déroulées ont contribué à faire croire à l’employeur de bonne foi qu’aucune prétention autre que celles discutées ne serait abordée lors de l’audition du 21 août 2002;
19. C’est avec grande surprise que l’employeur constatait à la lecture de la Commission des lésions professionnelles que cette dernière avait examiné la demande du travailleur sous l’angle d’un nouvel événement;
20. Ces circonstances font en sorte que pour ces raisons, l’employeur a été empêché de se faire entendre sur la preuve qu’elle estime conforme et non contredite à l’effet que le travailleur était victime d’une lésion professionnelle le 15 juin 2001, à titre de rechute, récidive ou aggravation de l’événement original du 16 février 2000;
21. De plus, l’acceptation à titre de nouvel événement, sans que cette situation n’ait été véritablement discutée ou envisagée avant l’audition du 21 août 2002, a fait en sorte, à nouveau dans le contexte de conciliation et en fonction de la teneur des discussions, que l’employeur n’a pu se faire entendre sur la preuve démontrant qu’il ne s’agissait pas d’un nouvel événement, mais bien d’une rechute, récidive ou aggravation de l’événement original;
22. S’il avait su que cet aspect d’un nouvel événement serait abordé, l’employeur aurait assurément agi différemment, d’autant plus que l’événement original découlait de la faute d’un tiers employeur;
23. L'employeur soumet respectueusement à la Commission des lésions professionnelles que les faits ci-haut mentionnés sont vrais et à leur connaissance personnelle;
24. L'employeur soumet respectueusement que ces faits justifient la Commission de réviser la décision qu’elle a rendue le 13 septembre 2002 au motif que l’employeur n’a pu, pour des raisons suffisantes, se faire entendre sur l’aspect d’une nouvelle lésion professionnelle survenue le 15 juin 2001;
25. L'employeur soumet respectueusement à la Commission des lésions professionnelles que les faits ci-haut mentionnés justifient la Commission de rendre, aux lieu et place de celle du 13 septembre 2002, une décision reconnaissant que le travailleur a été victime d’une lésion professionnelle le 15 juin 2001, à titre de rechute, récidive ou aggravation de l’événement original du 16 février 2000;
[...]
L'AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis d’accueillir la requête de l’employeur en vertu de l’article 429.56 2e alinéa pour les motifs présentés et les admissions au dossier. Quant à la révision sur le fond, il est d’avis qu’il convient de rendre une décision immédiatement et d’accepter la récidive compte tenu de la preuve.
[6] La membre issue des associations syndicales est également d’avis d’accueillir la requête de l’employeur pour les motifs invoqués, compte tenu entre autre que, pour le travailleur, cela revient au même.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[7] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer s’il y a lieu de réviser ou de révoquer la décision qu’elle a rendue le 13 septembre 2002.
Nature exceptionnelle de la requête de l’employeur
[8] L’employeur ne conteste pas que le travailleur ait subi une lésion professionnelle le 15 juin 2001. Il prétend que la lésion professionnelle aurait dû être acceptée pour un autre motif.
[9] L’employeur n’invoque pas non plus de vice de fond ni d’erreur manifeste et déterminante dans la décision; il invoque tout simplement que, s’il avait été présent à l’audience, compte tenu des admissions de faits sur lesquels il s’entend avec le travailleur, la Commission des lésions professionnelles aurait reconnu que le travailleur avait été victime le 15 juin 2001 d’une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle du 16 février 2000.
[10] Généralement, une partie qui décide volontairement de ne pas se présenter à une audience est forclose d’invoquer une atteinte à son droit d’être entendue si la décision qui est rendue en son absence ne fait pas son affaire : elle est présumée avoir renoncé à son droit. Dans la présente affaire, l’employeur a renoncé à son droit d’être entendu à l’audience du 21 août 2002 après une séance de conciliation.
[11] Selon les admissions des parties, le conciliateur, un professionnel, employé du tribunal, aurait, de bonne foi, dans le cadre d’une démarche de conciliation prévue par la loi, expliqué à l’employeur que les éléments contenus au dossier conduisaient à reconnaître l’existence d’une lésion professionnelle à titre de récidive, rechute ou aggravation de l’accident du 16 février 2000.
[12] Comme l’employeur était d’accord avec cette conclusion, sa présence à l’audience n’était plus nécessaire et il se croyait, à juste titre, en droit de s’attendre à ce que la conclusion du tribunal aille dans le sens de l’avis du conciliateur, ou du moins, qu’on l’informe de tout changement susceptible de mener à une conclusion différente pour qu’il soit en mesure de donner son point de vue. Cela n’a pas été fait. Même si la Commission des lésions professionnelles n’est aucunement fautive dans les circonstances, l’employeur s’est retrouvé comme privé de présenter sa preuve sur la rechute.
[13] Parce que la Commission des lésions professionnelles n’a pas pu tenir compte de la preuve sur la rechute, l’employeur soutient que la situation équivaut à avoir été empêché de présenter sa preuve. À ce sujet, le tribunal a déjà reconnu, notamment dans l’affaire Gionet et Construction Ilario Giugovaz inc.[2], qu’un tel empêchement constituait une atteinte à la règle audi alteram partem et donnait ouverture à la révocation telle que prévue à l’article 429.56, deuxième alinéa, de la loi.
Preuve et conciliation
[14] En d’autres circonstances, la référence à ce qui a pu se dire ou être entendu en conciliation ne saurait être un argument à retenir au soutien d’une requête en révision ou révocation, et ce, pour la simple raison que la loi prévoit que « rien de ce qui a été dit ou écrit au cours d’une séance de conciliation n’est recevable en preuve », sauf exception : « à moins que les parties n’y consentent » (article 429.45). Dans la présente affaire, compte tenu des admissions, le tribunal doit conclure que les parties ont volontairement consenti à lever le voile de la confidentialité qui doit entourer les séances de conciliation. Dès lors, le motif invoqué par l’employeur pour demander la révision ou la révocation de la décision du 13 septembre 2002 peut être apprécié. Entre la conciliation, où l’employeur était présent, et l’audition de la cause, d’où il était absent, c’est comme si les règles du jeu avaient changé sans que l’employeur n’ait pu faire valoir son point de vue.
Atteinte au droit à être entendu ?
[15] À ce stade, le tribunal considère que, eu égard à l’audience du 21 août 2002, il y a eu manquement à une règle de justice naturelle, à savoir que l’employeur, dans les circonstances, a été empêché de présenter sa preuve, et ce, même si la Commission des lésions professionnelles n’a, en apparence, commis aucune faute. Dans un tel cas, le tribunal doit généralement révoquer la décision sans spéculer sur le sort de la décision n’eut été ce manquement[3] et remettre la cause au rôle pour une prochaine audience.
Les admissions et la preuve
[16] Dans la présente affaire, toutefois, les parties s’entendent pour demander au tribunal de rendre la décision qui aurait dû être rendue, compte tenu des admissions de faits auxquelles elles ont procédé, et ce, pour éviter une nouvelle audience et de nouveaux frais. Le tribunal ne croit pas que les admissions de faits à elle seule conduisent nécessairement à justifier l’absence d’une audition. Il serait trop facile, en effet, pour des parties, lorsque leurs intérêts convergent de faire des admissions qui ne seraient pas conformes à la preuve au dossier et de demander au tribunal de rendre une décision; décision qui pourrait être contraire à l’ordre public dont le tribunal est gardien, du moins dans l’interprétation de la loi. On ne peut pas priver une partie d’être entendue, pas plus qu’on ne peut priver le tribunal d’exercer son pouvoir d’enquête et de vérifier le fondement de certaines allégations ou admissions.
[17] Ceci étant dit, cependant, la Commission des lésions professionnelles en révision est satisfaite de voir que, dans la présente affaire, les admissions de faits découlent bien de la preuve au dossier et correspondent essentiellement à la preuve retenue dans la décision du 13 septembre 2002. Deux faits, qu’on retrouve dans la preuve au dossier, n’ont toutefois pas été rapportés par la Commission des lésions professionnelles dans la décision du 13 septembre 2002. Ces faits n’avaient alors pas d’importance, compte tenu des motifs de décision retenus, mais ils deviennent ici essentiels au soutien de la requête en révision ou révocation de l’employeur. Ces faits concernent l’imputation des coûts de la lésion et la survenance d’une rechute.
L’imputation des coûts
[18] À l’occasion de l’accident initial, le 16 février 2000, « le travailleur avait été heurté par un camion de déneigement d’un tiers employeur qui circulait dans la cour où le travailleur exerçait son emploi pour l’entreprise CAVALIER & FILS INC., cliente de l’employeur A.C.F. TRANSPORTAIDE ENR. » L’importance de ce fait tient à l’imputation des coûts de la lésion subie par le travailleur le 16 février 2000. En effet, conformément à l’article 326 de la loi, l’imputation des coûts des prestations dues en raison d’un accident du travail peut ne pas être attribuée à l’employeur du travailleur blessé si l’accident est attribuable à un tiers.
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.
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1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
(Notre soulignement)
[19] Si l’accident du travail du 16 février 2000 est imputé à un tiers, la récidive, rechute ou aggravation lui sera, par conséquent, également imputée. Au contraire, si la lésion du 15 juin 2001 est traitée comme un accident du travail, comme en a décidé la Commission des lésions professionnelles le 13 septembre 2002, l’employeur, conformément au premier alinéa de l’article 326 de la loi, sera responsable du coût des prestations dues en raison d’un tel accident. N’eut été de cette question d’imputation des coûts, la contestation de l’employeur n’aurait été qu’académique, puisque d’une façon ou de l’autre il y a eu lésion professionnelle le 16 février 2000. Que ce soit à titre d’accident du travail ou de récidive, rechute ou aggravation, les deux notions sont chacune une composante de la définition de lésion professionnelle :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
[...]
«lésion professionnelle» : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
[...]
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1.
[20] Puisque, dans les circonstances, l’accident était attribuable à un tiers, l’employeur avait donc un intérêt réel à ce que la décision de la Commission des lésions professionnelles retienne que le travailleur avait été victime, le 15 juin 2001, d’une rechute plutôt que d’un accident du travail.
La rechute vs l’accident
[21] Selon les paragraphes 4, 11 et 12 de la requête, la représentante de l’employeur, madame Hélène Côté, a constaté « personnellement » à plusieurs reprises l’état de santé du travailleur après la date de consolidation de la lésion du 16 février 2000 et a pu remarquer que le travailleur « a conservé une symptomatologie douloureuse qui se manifestait de façon régulière lors de l’exercice de son travail ». Elle a également corroboré les allégations du travailleur à l’effet que « les exigences de son emploi prélésionnel sont demeurées légères de la période du mois d’octobre 2000 jusqu’à la période du mois de juin 2001 ». Ces faits sont de peu d’importance lorsque, comme l’a fait la Commission des lésions professionnelles dans sa décision du 13 septembre 2002, on décide qu’il y a eu accident du travail suite à l’application de la présomption prévue à l’article 28 de la loi plutôt que de rechercher s’il y a eu récidive, rechute ou aggravation. Dans le cas contraire, ces faits prennent toute leur importante. Ainsi privée de la présence de l’employeur à l’audience et de la preuve qu’il était en mesure de faire quant à la poursuite de la symptomatologie douloureuse affectant la région dorsale du travailleur, même après la date de consolidation de sa lésion, la Commission des lésions professionnelles a décidé que la lombalgie et la dorsalgie survenues au travail, alors que le travailleur exécutait ses tâches, constituaient une lésion professionnelle sans se demander s’il pouvait s’agir d’une récidive, rechute ou aggravation, et ce, par l’application qu’elle faisait de l’article 28 de la loi :
28. Une blessure qui arrive sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail est présumée une lésion professionnelle.
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1985, c. 6, a. 28.
[22] Ainsi, la Commission des lésions professionnelles concluait : « Le tribunal considère que les faits mis en preuve permettent l’application de l’article 28 de la loi. L’employeur n’a pas renversé cette présomption. En conséquence, la Commission des lésions professionnelles conclut que le travailleur a subi une lésion professionnelle... »
[23] Rappelons que, en première instance, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) avait refusé la réclamation du travailleur pour une récidive, rechute ou aggravation. Il en a été de même avec la révision administrative. Dans sa lettre du 29 juillet 2001 contestant la décision initiale de la CSST et demandant qu’elle soit portée en révision administrative, le travailleur soutient toujours qu’il a été victime d’une rechute. Avant, donc, l’audition du 21 août 2002, il n’avait toujours été question, relativement au 15 juin 2001, que de récidive, rechute ou aggravation.
[24] Enfin, la récidive, rechute ou aggravation a été le seul sujet discuté en conciliation.
[25] C’est dans ce contexte que l’employeur a cru « de bonne foi qu’aucune prétention autre que celle discutée ne serait abordée lors de l’audition du 21 août 2002 ». Quelle ne fut pas sa surprise de constater à la lecture de la décision du 13 septembre 2002 que la Commission des lésions professionnelles « avait examiné la demande du travailleur sous l’angle d’un nouvel événement ».
Révocation
- Compte tenu que « l’employeur a été empêché de se faire entendre sur la preuve qu’[il] estime conforme et non contredite à l’effet que le travailleur était victime d’une lésion professionnelle le 15 juin 2001 à titre de récidive, rechute ou aggravation de l’événement original du 16 février 2000 », et ce, même si la Commission des lésions professionnelles, à l’audience du 21 août 2002, n’en porte aucune responsabilité;
- Compte tenu que la réclamation de l’employeur n’est pas académique considérant l’impact sur l’imputation des coûts des prestations dues au travailleur. L’employeur (madame Hélène Côté) a, d’ailleurs, dans une lettre du 4 avril 2000 que l’on retrouve au dossier, contesté la « décision d’imputation rendue le 31 mars 2000 dans le présent dossier. En effet, Monsieur Moquin ayant été frappé par un tiers, nous demandons un transfert des coûts. »;
- Compte tenu que les faits admis par les parties ne sont pas en contradiction avec la preuve au dossier et sont même corroborés dans une très large proportion, il y a lieu non seulement de révoquer la décision, mais de rendre la décision qui aurait dû être rendue en tenant compte de la preuve présentée par l’employeur et des admissions des parties, éléments que n’avait pas la Commission des lésions professionnelles lors de la première audition.
Y a-t-il eu récidive, rechute ou aggravation le 15 juin 2001 ?
[26] La notion de récidive, rechute ou aggravation est une composante de la définition de lésion professionnelle telle que nous l’avons mentionnée plus avant dans la présente décision. Toutefois, le législateur n’a pas défini ces termes. La jurisprudence en a cependant retenu le sens courant, soit une reprise évolutive, une réapparition ou une recrudescence d’une lésion ou de ses symptômes sans qu’il soit nécessaire qu’un nouveau fait survienne, accidentel ou non. La preuve doit néanmoins établir de façon prépondérante une relation entre la lésion initiale et la lésion présentée à titre de récidive, rechute ou aggravation[4].
[27] Le 16 février 2000, le travailleur, tel qu’il appert du rapport de l’urgence hospitalière, « a été frappé par un camion ce jour ». Le travailleur est souffrant, il est question de lombalgie. Par la suite, on parle de « contusions dorsolombaires », de « douleurs dorsolombaires », d’ « entorse dorsolombaire ». Au gré de l’investigation radiologique, on découvre également une condition de dégénérescence discale à la colonne dorsolombaire. Le travailleur aura des traitements conservateurs : physiothérapie, ergothérapie et médicaments. La lésion sera consolidée par le docteur Robin Dancose, médecin ayant charge, le 18 octobre 2000 avec retour au travail prévu pour le 30 octobre 2000 et poursuite des traitements d’ergothérapie jusqu’à cette date. Le diagnostic retenu au rapport final est celui d’ « entorse dorsolombaire (contusion dorsale) ». Il n’y a pas d’atteinte permanente ni de limitations fonctionnelles.
[28] La reprise du travail s’est faite dans un contexte de ralentissement des activités de l’entreprise. Le travail s’est donc avéré moins exigeant et comportait, comme il est rapporté dans les admissions, « notamment beaucoup moins de manutention de marchandises, ainsi que de nombreuses périodes d’inactivité... ». Le travailleur a, néanmoins, « conservé une symptomatologie douloureuse qui se manifestait de façon régulière lors de l’exercice de son travail », ce qui a été constaté par l’employeur (madame Hélène Côté) entre le mois d’octobre 2000 jusqu’au mois de juin 2001. Vers le milieu de juin 2001, le travailleur, toujours selon les admissions de faits, « s’est vu confronté à nouveau à toutes les exigences de son poste ». Dès le 15 juin, la douleur lombaire l’empêche de continuer son travail de manutention. Sur l’Avis de l’employeur et demande de remboursement à la CSST, il est question de « douleurs persistantes au travail » et du dernier jour de travail comme étant le 15 juin 2001.
[29] Le lendemain, le travailleur voit son médecin, le docteur Dancose, qui pose un diagnostic de « récidive de lombalgie » et souligne que le travailleur est « incapable de soulever ou tirer des charges ». Le médecin fait référence à l’événement accidentel du mois de février 2000 et dirige le travailleur en physiothérapie.
[30] Le 4 juillet 2001, le docteur Dancose parle de « rechute d’entorse lombaire » et fait état d’une radiculopathie D12-L1. Il dirige le travailleur en ostéopathie.
[31] Le 17 juillet 2001, la CSST refuse la réclamation du travailleur pour récidive, rechute ou aggravation au motif que « Il n’y a pas de détérioration objective de [son] état de santé. »
[32] Le 29 juillet 2001, le travailleur demande la révision de cette décision alléguant que le 16 juin 2001 il était retourné « voir le médecin puisque [sa] situation se détériorait » et, d’ajouter le travailleur, « Comme je ne pouvais plus marcher, j’ai consulté le docteur Dancose qui a diagnostiqué les mêmes symptômes, c’est alors il m’a dit que je souffrais d’une rechute suite à mon accident de travail parvenue le 16 Février 2000. » [sic]
[33] Le 4 décembre 2001, la CSST en révision administrative confirme la décision du 17 juillet 2001 au motif que le travailleur « n’a pas démontré, par une preuve prépondérante que sa douleur est une rechute, récidive ou aggravation de l’accident survenue le 16 février 2000. » Cette dernière décision a été portée devant la Commission des lésions professionnelles, laquelle a rendu une décision le 13 septembre 2002, décision qui vient d’être révoquée par la présente, pour les motifs déjà cités.
[34] La Commission des lésions professionnelles, procédant à rendre la décision en révision, suite aux admissions des parties et à la preuve soumise par l’employeur, considère que le 15 juin 2001 le travailleur a été victime d’une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle du 16 février 2000. En effet, on retrouve, le 15 juin 2001, un site lésionnel et des symptômes qui s’apparentent à ceux de l’accident du 16 février 2000 impliquant la région lombaire. Lors de la visite à l’urgence, le 16 février 2000, à la suite de l’accident, il était question de lombalgie. Au rapport médical du docteur Dancose du 16 juin 2001, il est question de récidive de lombalgie. Dans les semaines qui suivent, le docteur Dancose parle de rechute d’entorse lombaire. Les sites lésionnels s’apparentent donc, aussi bien que le diagnostic. La relation entre les deux événements, celui de juin 2001 et celui de février 2000 devient encore plus probante lorsqu’on ajoute que la symptomatologie douloureuse a toujours été présente, même si elle n’était pas incapacitante, après la date de consolidation du 30 octobre 2000 jusqu’au milieu de juin 2001, période autour de laquelle le travailleur recommence à faire du travail de manutention lourd, ce qu’il n’avait pas eu à faire depuis son retour au travail, comme il a été admis par les parties. Considérant, également, que l’entorse dorsolombaire résultant de l’accident du 16 février 2000 était suffisamment importante puisqu’elle a rendu le travailleur incapable d’exercer son emploi pendant plus de sept mois; considérant, de plus, la condition de dégénérescence discale affectant la colonne dorsolombaire du travailleur découverte à l’occasion de l’investigation radiologique faisant suite à l’accident de février 2000, le tribunal retrouve suffisamment d’éléments pour conclure en l’existence d’une récidive, rechute ou aggravation survenue le 15 juin 2001. Compte tenu finalement des admissions de faits auxquelles les parties ont procédé, le tribunal ne voit aucune preuve permettant de remettre en question la relation entre l’accident du travail du 16 février 2000 et la « récidive de lombalgie » ou « rechute d’entorse lombaire » du 15 juin 2001.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de l’employeur, A.C.F. Transportaide enr., du 25 octobre 2002;
RÉVOQUE la décision qu’elle a rendue le 13 septembre 2002;
Et procédant à rendre décision en révision,
DÉCLARE que monsieur André Moquin, a subi une lésion professionnelle le 15 juin 2001 sous la forme d’une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle du 16 février 2000;
RETOURNE le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail pour qu’il y soit donné suite selon les termes de la loi.
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Gilles Robichaud |
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Commissaire |
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TURBIDE, LEFEBVRE, GIGUERE (Me Lucie Lefebvre) |
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Représentant de la partie requérante |
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FLYNN, RIVARD (Me Raymond Gouge) |
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Représentant de la partie intéressée |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Gionet et Construction Ilario Giugovaz inc., [1999] C.L.P. 650 .
[3] Dallaire et Jeno Neuman & Fils inc., [2000] C.L.P. 1146 .
[4] Voir entre autres Lapointe et Compagnie minière Québec Cartier, [1989] C.A.L.P. 38 ; Morel et le Centre routier inc., [1989] C.A.L.P. 1171 et Milette et Communauté urbaine de Montréal, [1994] C.A.L.P. 853 .
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.