Décision

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Modèle de décision CLP - juin 2011

Doucet et Entrepreneur forestier François Boudreau inc.

2012 QCCLP 4109

 

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

 

 

 

Montréal

29 juin 2012

 

 

 

Région :

Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine, Bas-Saint-Laurent et Côte-Nord

 

 

 

Dossier :

316599-01B-0704-R3

 

 

 

Dossier CSST :

115994683

 

 

 

Commissaire :

Claude-André Ducharme, juge administratif

 

 

 

Membres :

Gilles Cyr, associations d’employeurs

 

 

Rémi Dion, associations syndicales

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

 

 

 

Jacqueline Doucet

 

 

Partie requérante

 

 

 

 

 

et

 

 

 

 

 

Entrepreneur forestier François Boudreau inc.

Price Waterhouse Coopers (Syndic)

Sylvio Landry (Succession)

 

Parties intéressées

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À DES REQUÊTES EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Monsieur Sylvio Landry subit une lésion professionnelle le 13 janvier 1999. Le 15 août 2006, il décède des suites d'une maladie personnelle alors qu'il reçoit une indemnité de remplacement du revenu réduite.

[2]           À la suite de son décès, madame Jacqueline Doucet demande à la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) de lui verser l'indemnité de remplacement du revenu que recevait monsieur Landry parce qu'elle prétend être sa conjointe.

[3]           Sa demande est fondée sur l'article 58 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), lequel se lit comme suit :

58.  Malgré le paragraphe 2° de l'article 57, lorsqu'un travailleur qui reçoit une indemnité de remplacement du revenu décède d'une cause étrangère à sa lésion professionnelle, cette indemnité continue d'être versée à son conjoint pendant les trois mois qui suivent le décès.

__________

1985, c. 6, a. 58.

 

 

[4]           Le 15 janvier 2007, la CSST refuse la demande de madame Doucet parce qu'elle estime qu'elle ne répond pas à la définition suivante de conjoint qui est prévue à l'article 2 de la loi :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :

 

« conjoint » : la personne qui, à la date du décès du travailleur:

 

1° est liée par un mariage ou une union civile au travailleur et cohabite avec lui; ou

 

2° vit maritalement avec le travailleur, qu'elle soit de sexe différent ou de même sexe, et :

 

a) réside avec lui depuis au moins trois ans ou depuis un an si un enfant est né ou à naître de leur union; et

 

b) est publiquement représentée comme son conjoint;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.

 

 

[5]           La CSST retient que monsieur Landry et madame Doucet n'étaient pas mariés et que celle-ci ne résidait avec monsieur Landry depuis au moins trois ans à la date de son décès.

[6]           Le 19 avril 2007, la CSST confirme sa décision du 15 janvier 2007 à la suite d'une révision administrative. Madame Doucet en appelle à la Commission des lésions professionnelles.

[7]           Le 27 août 2007, la Commission des lésions professionnelles tient une audience en présence de madame Doucet, de son représentant et de monsieur François Boudreau, président de l'entreprise Entrepreneur Forestier François Boudreau inc. (l'employeur). La succession de monsieur Sylvio Landry (la succession) n'est pas représentée à cette audience.

[8]           Le 4 septembre 2007, la Commission des lésions professionnelles accueille l'appel de madame Doucet. Elle déclare qu'elle était la conjointe de monsieur Sylvio Landry à la date de son décès et qu'elle a droit à l'indemnité prévue à l'article 58 de la loi.

[9]           Le 3 octobre 2007, la succession, représentée par monsieur Eldège Landry qui est le frère de monsieur Mario Landry et le liquidateur de la succession, dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle demande la révocation de la décision rendue le 4 septembre 2007.

[10]        Au soutien de sa requête, la succession invoque deux motifs : premièrement, qu'elle n'a pu se faire entendre à l'audience du 27 août 2007 et deuxièmement, que la décision comporte un vice de fond qui est de nature à l'invalider.

[11]        Le 31 août 2009, la Commission des lésions professionnelles tient une audience en présence de madame Doucet, du liquidateur de la succession, monsieur Eldège Landry, et de leurs représentants respectifs. Il est convenu de procéder uniquement sur le premier motif invoqué au soutien de la requête en révocation, soit celui voulant que la succession n'ait pas pu se faire entendre.

[12]        Le 11 janvier 2010, la Commission des lésions professionnelles rejette la requête de la succession en ce qui concerne ce premier motif de révocation. Elle indique aux parties qu'elles seront convoquées à une audience portant sur le second motif invoqué au soutien de la requête de la succession.

[13]        Le 24 février 2010, la succession dépose une requête par laquelle elle demande la révision de la décision rendue le 11 janvier 2010. Elle soumet que cette décision comporte un vice de fond qui est de nature à l'invalider.

[14]        Le 5 avril 2011, la Commission des lésions professionnelles tient une audience portant sur le deuxième motif de la requête en révocation, soit celui voulant que la décision du 4 septembre 2007 comporte un vice de fond qui est de nature à l'invalider. Lors d'une conférence préalable, la juge administratif a refusé à la succession l'autorisation de déposer une preuve documentaire et testimoniale additionnelle pour établir l'adresse de résidence de monsieur Sylvio Landry avant son décès

[15]        Le 5 octobre 2011, la Commission des lésions professionnelles sa décision. La juge administratif mentionne dans la décision qu'elle a refusé à la succession l'autorisation de déposer une preuve documentaire et testimoniale additionnelle et elle rejette la requête en révocation en ce qui concerne le second motif invoqué.

[16]        Le 6 octobre 2011, la succession dépose une requête en révision de la décision rendue le 5 octobre 2011 au motif qu'elle comporte un vice de fond qui est de nature à l'invalider.

[17]        Le 31 mai 2012, la Commission des lésions professionnelles tient une audience à Rimouski en présence du liquidateur de la succession, monsieur Eldège Landry, et de son représentant. Les autres parties ne sont pas présentes ni représentées. L'audience a porté sur les deux requêtes en révision des décisions qui ont été rendues le 11 janvier 2010 et le 5 octobre 2011 et la présente décision concerne ces deux requêtes.

L’OBJET DES REQUÊTES

[18]        La succession demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser la décision rendue le 11 janvier 2010 et/ou celle rendue le 5 octobre 2011 et de lui permettre de déposer une preuve documentaire et testimoniale additionnelle pour établir l'adresse de résidence de monsieur Sylvio Landry au cours des trois dernières années de sa vie.

L’AVIS DES MEMBRES

[19]        Le membre issu des associations d'employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d'avis que les requêtes de la succession des 24 février 2010 et 6 octobre 2011 doivent être rejetées.

[20]        Ils considèrent que la succession n'a pas démontré que les décisions rendues les 11 janvier 2010 et 5 octobre 2011 comportent des vices de fond qui justifient leur révision.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[21]        La Commission des lésions professionnelles doit décider s'il y a lieu de réviser les décisions rendues les 11 janvier 2010 et 5 octobre 2011.

[22]       Le pouvoir de la Commission des lésions professionnelles de réviser ou de révoquer une décision qu'elle a rendue est prévu par l'article 429.56 de la loi, lequel se lit comme suit :

429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :

 

1°   lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 

2°   lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 

3°   lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

 

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[23]       Cet article apporte une dérogation au principe général énoncé par l'article 429.49 de la loi voulant qu’une décision de la Commission des lésions professionnelles soit finale et sans appel. Une décision ne peut être révisée ou révoquée que si l’un des motifs prévus par l’article 429.56 est établi.

[24]       Dans les deux requêtes qu'elle a déposées, la succession invoque que les décisions des 11 janvier 2010 et le 5 octobre 2011 comportent un vice de fond qui est de nature à les invalider.

[25]        La jurisprudence assimile la notion de « vice de fond qui est de nature à invalider une décision » à une erreur manifeste de fait ou de droit qui a un effet déterminant sur le sort du litige[2]. Elle précise par ailleurs qu’il ne peut s'agir d'une question d'appréciation de la preuve ni d'interprétation des règles de droit parce que le recours en révision n'est pas un second appel[3].

[26]       Dans l'arrêt Bourassa c. Commission des lésions professionnelles[4], la Cour d'appel rappelle ces règles comme suit :

[21]      La notion (de vice de fond de nature à invalider une décision) est suffisamment large pour permettre la révocation de toute décision entachée d'une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige. Ainsi, une décision qui ne rencontre pas les conditions de fond requises par la loi peut constituer un vice de fond.

 

[22]      Sous prétexte d'un vice de fond, le recours en révision ne doit cependant pas être un appel sur la base des mêmes faits. Il ne saurait non plus être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation ou encore une occasion pour une partie d'ajouter de nouveaux arguments1.

_______________

1.     Voir: Y. OUELLETTE, Les tribunaux administratifs au Canada, Procédure et Preuve, Montréal, Les Éditions Thémis, 1997, p. 506-508.  J.P. VILLAGI, dans Droit public et administratif, Vol. 7, Collection de droit 2002-2003, Éditions Yvon Blais, 2002, p. 127-129.

 

 

[27]        La Cour d'appel a réitéré cette position dans les arrêts Commission de la santé et de la sécurité du travail et Fontaine[5] et CSST c. Toulimi[6].

[28]        Comme elle l'a indiqué dans Savoie et Camille Dubois (fermé)[7], ces décisions de la cour d'appel invitent la Commission des lésions professionnelles à faire preuve d'une très grande retenue dans l'exercice de son pouvoir de révision.

[29]        Après avoir rappelé ces principes, il convient maintenant d'examiner le bien-fondé des requêtes de la succession.

La décision du 11 janvier 2010

[30]        Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles rejette la requête en révocation de la décision rendue le 4 septembre 2007 en ce qui concerne le premier motif invoqué. La succession prétendait qu'elle n'a pas pu se faire entendre pour une raison jugée suffisante, soit parce que monsieur Eldège Landry ne s'est pas présenté à l'audience en raison des propos que lui ont tenus madame Doucet et son cousin, monsieur Jean-Roch Landry.

[31]        Dans la décision du 11 janvier 2010, le juge administratif résume comme suit le témoignage de monsieur Eldège Landry :

[20]      À l’audience, monsieur Eldège Landry déclare qu’après le décès de son frère, il a communiqué avec la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), parce qu’à titre de liquidateur, il avait reçu un chèque au nom de son frère décédé. Les notes évolutives du dossier daté du 19 septembre 2006, confirment cette communication. Il y est également indiqué que monsieur Eldège Landry « informe l’agente de la CSST que son frère était en union de fait avec madame Jacqueline Doucet ». Monsieur Landry déclare ne pas avoir eu d’autre communication avec la CSST.

 

[21]      Monsieur Landry ajoute avoir reçu de la Commission des lésions professionnelles, un document daté du 8 mai 2007 et qui s’intitule « réception d’une contestation » (page 358 du dossier). Monsieur Landry indique que de ce document, « il comprend que madame Doucet conteste parce qu’elle n’a pas reçu la rente qui était versée à son frère par la CSST ». Pourtant, plus loin dans son témoignage, il déclare que lorsqu’il a reçu l’avis de contestation, « il en ignorait l’objet ».

 

[22]      Par la suite, il a reçu un avis d’enquête et d’audition daté du 18 mai 2007, et qui faisait état de la contestation de madame Doucet et du fait qu’une audition aurait lieu le 27 août 2007 à 9 h 30 (pièce S-1). Le document précise que « votre présence est requise afin de faire valoir votre point de vue (et que) la Commission des lésions professionnelles pourra procéder en votre absence si celle-ci n’est pas expliquée par un motif valable ».

 

[23]      Monsieur Landry déclare que deux semaines avant le 18 mai 2007, madame Doucet l’aurait appelé « pour lui demander de dire que son frère Sylvio demeurait avec elle au Nouveau-Brunswick ». Il déclare qu’il aurait répondu à madame Doucet par la négative, « parce que son frère vivait au Québec ».

 

[24]      C’est ainsi que pour être présent à l’audition prévue le 27 août 2007, monsieur Landry s’est fait libérer de son travail. Il dépose à cet effet un affidavit (pièce S-2) signé par monsieur Carol Castonguay, directeur adjoint du Centre de formation professionnelle de Rimouski où il travaillait.

 

[25]      Deux jours avant l’audience prévue le 27 août à New Richmond, monsieur Landry s’est rendu à Nouvelle, en Gaspésie, pour l’anniversaire d’un autre de ses frères. Madame Doucet était également là. Une discussion aurait eu lieu entre lui et madame Doucet. Il déclare qu’après la messe, madame Doucet lui aurait dit que son avocat lui a dit « que ce n’était pas nécessaire pour lui de se présenter à l’audience ».

 

[26]      Après la messe, il y a eu une réunion chez son frère et vers 20 h 30, il a rencontré son cousin, monsieur Jean-Roch Landry, juge à la Cour supérieure de Rimouski. Il aurait fait part au juge Landry de sa convocation à la Commission des lésions professionnelles deux jours plus tard, soit le 27 août 2007. Il lui aurait demandé son opinion par rapport à cette convocation. Ce dernier lui aurait dit qu’il n’était pas obligé de se présenter, parce que c’était un avis de convocation et non un subpoena. Ils n’auraient cependant pas discuté de l’objet de la convocation.

 

[27]      Un affidavit signé par le juge Landry le 25 août 2009 (pièce T-1), confirme le témoignage de monsieur Landry à cet effet.

 

[28]      Ce dernier déclare que « comme lui il ne revendiquait rien, il a décidé qu’il n’avait rien à faire là ».

 

[29]      Lorsqu’il a reçu la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 4 septembre 2007, il déclare « être tombé à terre ».

 

[30]      Contre interrogé par la procureure de madame Doucet, monsieur Landry confirme avoir bien été informé de l’audience, qu’il s’était même fait libérer par son employeur mais qu’il a décidé de ne pas y aller.

 

[31]      Il confirme que c’est bien lui qui a pris cette décision, mais « qu’il s’est beaucoup fié à son cousin le juge parce que pour lui, ce dernier est le maître après Dieu ».

 

[32]      En ré-interrogatoire, le procureur de monsieur Landry fait état d’un autre affidavit signé par le juge Landry le 23 juillet 2007, soit un mois avant qu’il ne le rencontre à Nouvelle (page 362 du dossier). Le juge Landry y indique être le parrain du travailleur, monsieur Sylvio Landry. Il précise qu’avant l’été 2001, il le voyait régulièrement à Nouvelle, compte tenu que la résidence de monsieur Landry était voisine de celle de ses parents, qu’il visitait régulièrement. Il indique aussi que par la suite, ses rencontres avec monsieur Landry se sont distanciées en raison du fait que ce dernier passait beaucoup de temps avec une « blonde » qui demeurait au Nouveau-Brunswick. Le juge Landry précise qu’il a par la suite connu madame Doucet qui pour lui, était à compter de 2002, la conjointe de Sylvio Landry. Il conclut son affidavit en précisant qu’« en ce qui le concerne, Sylvio Landry faisait vie commune avec madame Jacqueline Doucet, et ce, depuis plusieurs années ».

 

 

[32]        L'épouse de monsieur Landry et madame Doucet ont également été appelées à témoigner. Concernant le témoignage de cette dernière, le juge administratif écrit ce qui suit :

[42]      Elle confirme qu’elle a dit à monsieur Eldège Landry « que son avocat lui a dit que ce n’était pas nécessaire pour lui de se présenter à l’audience, mais jamais elle n’a tenté de l’influencer ».

 

[43]      Interrogée par le Tribunal, madame Doucet déclare que « monsieur Eldège Landry savait très bien ce sur quoi porterait l’audience du 27 août 2007 ».

 

 

[33]        Le juge administratif résume les arguments soumis par le représentant de la succession et par celui de madame Doucet dans les termes suivants :

[44]      Dans son argumentation, le procureur de la succession soumet que « pour des motifs suffisants, sa cliente ne s’est pas présenté à l’audience qui est à l’origine de la décision rendue le 4 septembre 2007 ». Le procureur soumet ainsi que cette décision doit être révoquée, parce que conformément au paragraphe 2 de l’article 429.56 de la loi, sa cliente n’a pu se faire entendre et que si tel avait été le cas, la décision aurait été différente.

 

[45]      Le procureur soumet que contrairement à la succession, « madame Doucet avait un intérêt à suggérer ainsi à Eldège Landry de ne pas se présenter à l’audience ».

 

[46]      Le procureur soumet également que monsieur Eldège Landry s’en est remis aux informations fournies par le juge Jean-Roch Landry, qui lui aurait dit : « qu’est ce que tu peux aller faire là …? ».

 

[47]      Le procureur soumet donc que pour des motifs justifiants son absence, « la succession, représentée par monsieur Eldège Landry, n’a pas été entendue à l’audience à l’origine de la décision rendue le 4 septembre 2007. La règle « audi alteram partem » n’ayant pas été respectée, il y aurait lieu de révoquer  la décision rendue le 4 septembre 2007 et de procéder à une nouvelle audition sur le fond du litige.

 

[48]      La procureure de madame Doucet rappelle d’abord que la succession a été formellement convoquée à l’audience qui est à l’origine de la décision rendue le 4 septembre 2007. La procureure rappelle également que monsieur Eldège Landry avait même demandé à son employeur d’être libéré pour être présent à cette audience.

 

[49]      Au surplus, la procureure soumet que madame Doucet n’avait pas de motif pour tenter d’influencer monsieur Landry à agir de quelque façon que ce soit, compte tenu que toute la famille la reconnaissait comme étant la conjointe de Sylvio Landry. Elle n’avait donc aucune raison de croire que quelqu’un allait s’objecter à sa demande d’être reconnue à cet effet.

 

[50]      La procureure soumet donc que monsieur Eldège Landry n’a démontré aucun motif sérieux pour s’être absenté de l’audience qui est à l’origine de la décision rendue le 4 septembre 2007.

 

 

[34]        Le juge administratif ne retient pas la prétention de la succession pour les raisons suivantes :

[52]      La jurisprudence constante du présent Tribunal indique que lorsque le deuxième paragraphe de l’article 429.56 est soulevé au sujet d’une requête en révision ou en révocation, il appartient au Tribunal d’évaluer la preuve pour décider si des raisons suffisantes ont été démontrées pour expliquer qu’une partie n’ait pu se faire entendre.2

 

[53]      Cette même jurisprudence précise de plus que pour être suffisantes, les raisons invoquées doivent être sérieuses et il ne doit pas y avoir eu négligence de la part de la partie qui prétend n’avoir pu se faire entendre. La jurisprudence précise également que « bien que le droit d’une partie à être entendue doit primer dans l’appréciation des raisons qui font qu’elle n’a pu se faire entendre, encore faut-il que celle-ci ne soit pas elle-même l’artisan de la privation du droit qu’elle réclame ».3

 

[54]      Dans le présent cas, la preuve indique clairement que monsieur Eldège Landry, qui agissait à titre de liquidateur pour la succession de son frère Sylvio Landry, a bien reçu l’avis de convocation pour l’audience à être tenue le 27 août 2007. Il a même demandé à son employeur d’être libéré pour cette date. Un affidavit à cet effet a été déposé à l’audience (pièce S-2).

 

[55]      Le Tribunal est également surpris du témoignage de monsieur Eldège Landry, qui indique que « lui (à titre de liquidateur de la succession), il ne revendiquait rien dans cette affaire-là ». C’est pourtant lui qui demande la révision de la décision rendue le 4 septembre 2007. Au surplus, les notes évolutives du dossier daté du 19 septembre 2006, indiquent qu’il a lui-même informé l’agente de la CSST que « le travailleur était en union de fait avec madame Doucet ». Tel est d’ailleurs le sens de l’affidavit complété par le juge Landry le 23 juillet 2007, soit un mois avant l’audience qui est à l’origine de la décision rendue le 4 septembre 2007.

 

[56]      Enfin et surtout, le Tribunal ne peut retenir le témoignage de monsieur Eldège Landry, qui indique qu’il ne connaissait pas l’objet de l’audience tenue le 27 août 2007. Toute la preuve, tant documentaire que testimoniale, démontre le contraire. En effet, le Tribunal est d’avis qu’il n’est pas plausible qu’entre autres, monsieur Eldège Landry n’ait pas discuté de l’objet de cette audience, alors qu’il a discuté de l’avis de convocation avec le juge Landry deux jours avant l’audience. Il en est de même de la réponse spontanée de l’épouse de monsieur Eldège Landry, madame Ruet, alors qu’elle était interrogée par le Tribunal à l’audience. Elle a clairement déclaré qu’elle et son mari savaient que « l’audience portait sur le droit pour madame Doucet de recevoir les indemnités de la CSST ». Cette réponse de madame Ruet est non seulement crédible, mais tout à fait compatible avec l’ensemble des circonstances mises en preuve devant le présent Tribunal.

__________

2      Imbeault et S.E.C.A.L., C.L.P. 84137-02-9611, 99-09-24, M. Carignan.

3      Gaggiotti et Domaine de la forêt, C.L.P. 86666-71-9703, 99-01-22, M. Duranceau.

 

 

[35]        Au soutien de la requête en révision de cette décision, le représentant de la succession soumet que celle-ci n'est pas motivée. Il écrit ce qui suit :

21.        Il est manifeste que le paragraphe 56 tel que rédigé démontre que la décision rendue le 11 janvier 2010 est entachée d'un vice de fond ou de procédure de nature à l'invalider;

 

22.        En effet, de la manière dont ce paragraphe est rédigé, on ne peut comprendre pour quel motif la requête de la succession de monsieur Landry a été rejeté sur son premier volet;

 

23.        À partir du moment où on ne peut comprendre le raisonnement à la base des motifs de la décision de la C.L.P., il s'ensuit que celle-ci est entachée d'un vice de fond ou de procédure de nature à l'invalider;

 

24.        De plus, la C.L.P. a complètement omis d'apprécier deux (2) éléments de preuve déterminants dans cette affaire;

 

25.        En effet, lors de l'audience du 31 août 2009, le représentant de la succession de monsieur Sylvio Landry a témoigné à l'effet qu'il avait été influencé par madame Jacqueline Doucet pour expliquer son absence lors de l'audience du 27 août 2007;

 

26.        Aux paragraphes 25, 37 et 42, de la décision en litige, on retrouve de quelle manière monsieur Eldège Landry a été influencé lorsqu'il est indiqué que madame Doucet lui aurait dit que son avocat lui a dit "que ce n'était pas nécessaire pour lui de se présenter à l'audience";

 

27.        De plus, lors de l'audience, le représentant de la succession a également témoigné à l'effet qu'il avait été influencé par les propos de monsieur Jean-Roch Landry;

 

28.        On retrouve aux paragraphes 26, 31 et 38 de quelle manière le représentant aurait été influencé lorsqu'il est indiqué que monsieur jean-Roch Landry, juge à la cour supérieure lui aurait dit "qu'il n'était pas obligé de se présenter, parce que c'était un avis de convocation et non un subpoena".

 

29.        Or, comment la C.L.P. a-t-elle apprécié cette preuve et pour quel motif a-t-elle écarté ces éléments, la décision du 11 janvier 2010 n'en fait aucune mention. [sic]

 

 

[36]        La jurisprudence a établi que l'absence de motivation d'une décision constitue un vice de fond qui donne ouverture à sa révision[8].

[37]        Encore faut-il cependant qu'on soit en présence d'une absence totale de motivation et non pas d'une motivation succincte ou abrégée. Le test de la décision suffisamment motivée est son intelligibilité, c'est-à-dire qu'à sa lecture, il est possible d'en comprendre les fondements[9] et à cette fin, on doit lire la décision dans son ensemble et prendre en compte les motifs implicites qu'elle comporte et les déductions qu'on doit tirer de son libellé.

[38]        Dans la décision Regulvar inc. et Commission de la santé et de la sécurité du travail[10], la Commission des lésions professionnelles expose à ce sujet ce qui suit :

[27]      Quant à l’obligation de motiver une décision, bien qu’un manquement à cette obligation puisse constituer un vice de fond, il faut considérer l’ensemble de la décision et parfois en tirer certaines déductions comme c’est le cas. Il aurait pu être plus clair d’en faire mention brièvement, mais de l’avis de la soussignée cela n’en fait pas un manquement à l’obligation de motiver la décision, puisqu’il s’agit d’un motif implicite qui a déjà été plus amplement développé dans la première partie de la décision.

 

[28]      C’est ce que la Commission des lésions professionnelles concluait dans l’affaire Drouin et Goodyear Canada Inc. et C.S.S.T.6 en rappelant les principes suivant quant à l’obligation de motiver :

 

[21]        La jurisprudence rappelle que lorsqu’une disposition législative oblige un tribunal administratif à motiver sa décision, les motifs doivent être suffisants. L’absence de motivation constitue un vice de fond ou de procédure de nature à invalider une décision puisqu’elle contrevient à l’obligation légale de motiver mais constitue également une erreur de droit dans l’exercice de la compétence du tribunal qui n’aurait pas vidé une question6.

 

[22]        Cependant, il suffit en cette matière qu’une décision soit suffisamment détaillée pour que le justiciable comprenne les raisons qui ont motivé les conclusions. Il faut prendre en compte les motifs implicites d’une décision et les déductions qu’on doit tirer de l’examen de son libellé7.

 

[23]        Le tribunal n’a donc pas besoin de commenter tous les faits mis en preuve devant lui ni de trancher tous les arguments que les parties lui ont présentés, tout comme il n’est pas tenu de s’expliquer en grand détail pourvu qu’une lecture de la décision permette qu’on comprenne son raisonnement8.

 

[24]        La jurisprudence nous rappelle également qu’il y a lieu de distinguer entre l’absence totale de motivation et une décision abrégée sur un point donné.

 

[25]        C’est la décision dans son intégralité et pas seulement la section intitulée « Motifs de la décision » qu’il faut examiner pour vérifier si la Commission des lésions professionnelles a tenu compte de l’ensemble de la preuve dans son appréciation des faits9.

 

[26]        Le caractère bref d’une décision ou d’une de ses composantes n’est donc pas nécessairement un défaut si toutes les questions en litige ont été décidées et qu’il n’y a pas d’erreur de fait ou de droit. Il faut distinguer entre l’absence totale de motivation et une décision abrégée qui sera valide en autant que les motifs soient intelligibles et permettent de comprendre ses fondements disposant de la question soumise de manière rationnelle et compréhensible10.

___________________

6       Cité de la Santé de Laval et Heynemand, C.A.L.P. 69547-64-9505, 26 octobre 1999, A. Vaillancourt.

7       Boulanger c. Commission des Affaires sociales, Cour supérieure Québec, 200-05-002317-902, 11 octobre 1990, j. Moisan; Durand et Couvoir Scott ltée, C.A.L.P. 94101-03-9802, 9 mars 1999, M. Beaudoin.

8       Brasserie Molson O’Keefe ltée c. Boucher, Cour supérieure Montréal 500-05-009440-932, 29 septembre 1993, j. Gomery; DTE 93 T-79; Morin et Fils spécialisés Cavalier inc., [2001] C.L.P. 288 .

9       Mitchell inc. c. CLP, Cour supérieure Montréal, 500-05-046143-986, 21 juin 1999, j. Courville, DTE 99T-711 ; Beaudin et Automobiles JPL Fortier inc,, [1999] C.L.P. 1065 , requête en révision judiciaire rejetée, [2000] C.L.P. 700 (C.S.); Manufacture Lingerie Château c. CLP, Cour supérieure Montréal, 500-05-065039-016,  octobre 2001, j. Poulin.

10     Beaudin et Automobiles JPL Fortier inc., déjà citée.

__________

6      C.L.P. 295637-62C-0608, 22 novembre 2007, J.F. Clément;

 

 

[39]        Dans le présent cas, il est vrai que le juge administratif n'expose pas expressément les raisons pour lesquelles il ne retient pas la prétention de monsieur Eldège Landry, voulant qu'il ne soit pas présenté à l'audience parce qu'il a été influencé par les propos de madame Doucet et de monsieur Jean-Roch Landry.

[40]        S'il eût été préférable qu'il le fasse, cette omission ne constitue toutefois pas un vice de fond qui justifie la révision de la décision. En effet, il faut lire la décision dans son ensemble.

[41]        À sa lecture, on constate que le juge administratif retient de la preuve que monsieur Landry, à titre de liquidateur de la succession, a reçu l'avis de convocation à l'audience du 27 août 2007 et connaissait l'objet du litige sur lequel devait porter cette audience.

[42]        Par ailleurs, il rapporte ses explications voulant qu'il ait été influencé par les propos de madame Doucet et de monsieur Jean-Roch Landry, non seulement lorsqu'il résume son témoignage mais également dans son résumé de l'argumentation du représentant de la succession.

[43]         De plus, il rapporte les propos que ces deux personnes ont tenus à monsieur Landry, à savoir de la part de madame Doucet, que ce n'était pas nécessaire qu'il se présente à l'audience, et de la part de monsieur Jean-Rock Landry, qu'il n'avait pas l'obligation de s'y présenter parce que l'avis de convocation n'était pas une citation à comparaître (un subpoena).

[44]        Dans son résumé du témoignage de monsieur Landry, le juge administratif rapporte également que c'est lui-même qui a pris la décision de ne pas se présenter à l'audience.

[45]        Enfin, dans l'exposé de ses motifs, il rappelle la position de la jurisprudence qui veut que les raisons de l'absence à l'audience doivent être sérieuses et que la partie qui ne s'y est pas présentée ne doit pas elle-même être l'artisan de la privation de son droit d'être entendue.

[46]        Même s'il ne l'écrit pas expressément, on comprend que ces éléments de la décision ont amené le juge administratif à conclure que monsieur Landry n'avait pas établi une raison suffisante pour ne pas s'être présenté à l'audience et qu'il était lui-même responsable du fait que la succession n'avait pu se faire entendre.

[47]        Cela dit, le tribunal tient à préciser que s'il avait estimé que la décision n'était pas suffisamment motivée, il en serait venu à la conclusion qu'il n'y avait pas lieu de la réviser pour autant, parce que les explications de monsieur Landry ne démontrent pas que la succession n'a pas été entendue pour une raison suffisante.

[48]        En effet, il apparaît difficile de concevoir que monsieur Landry ne se soit pas présenté à l'audience en raison de la seule influence indue qu'auraient exercée sur lui madame Doucet et monsieur Jean-Roch Landry en lui indiquant simplement que sa présence à l'audience n'était pas nécessaire et qu'il n'avait pas l'obligation de s'y présenter.

[49]        Le tribunal ne voit pas en quoi le fait de fournir une telle information ait pu constituer une influence indue de la part de ces deux personnes ayant amené monsieur Landry à ne pas se présenter à l'audience. Il existe une différence entre savoir qu'on n'a pas l'obligation de se présenter à une audience et décider de ne pas s'y présenter.

[50]        Comme le rapporte le juge administratif dans le résumé de son témoignage (paragraphe 23 de la décision), monsieur Landry n'était pas sans savoir que madame Doucet prétendrait lors de l'audience que monsieur Sylvio Landry demeurait avec elle au Nouveau-Brunswick alors que lui-même estimait que c'était faux.

[51]        Monsieur Landry avait déjà obtenu de son employeur la permission de s'absenter de son travail pour pouvoir assister à l'audience du 27 août 2007. Que s'est-il passé pour qu'il décide de ne pas s'y présenter?

[52]        Était-ce parce qu'il était convaincu que la prétention de madame Doucet ne serait pas retenue par la Commission des lésions professionnelles, ce qui expliquerait qu'il soit « tombé à terre » lorsqu'il a reçu la décision du 4 septembre 2007, ou était-ce plutôt pour une autre raison qui n'a pas été exposée lors de l'audience du 31 août 2009?

[53]        Quoi qu'il en soit du véritable motif qui l'a amené à ne pas s'y présenter, le tribunal estime que les explications que monsieur Landry a données ne démontrent pas que la succession n'a pu être entendue à l'audience du 27 août 2007 pour une raison suffisante au sens de l'article 429,56 de la loi.

[54]        Après considération des arguments soumis, la Commission des lésions professionnelles en vient donc à la conclusion que la succession n'a pas démontré que la décision du 11 janvier 2010 comporte un vice de fond qui est de nature à l'invalider et que sa requête en révision du 24 février 2010 doit être rejetée.

La décision du 5 octobre 2011

[55]        Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles rejette la requête en révocation de la décision rendue le 4 septembre 2007 en ce qui concerne le second motif invoqué. La succession prétendait que la décision comportait un vice de fond qui était de nature à l'invalider pour les raisons suivantes :

10.        Dans un deuxième temps, la décision rendue le 4 septembre 2007 est entachée d'un vice de fond ou de procédure de nature à l'invalider;

 

11.        En effet, la décision rendue le 4 septembre dernier repose sur une preuve documentaire qui a été mal interprétée par la C.L.P. et sur la foi du témoignage de Jacqueline Doucet, témoignage faux et mensonger;

 

[…]

 

14.        Or, la C.L.P. a erré en concluant que Jacqueline Doucet vivait maritalement avec feu Sylvio Landry lors de son décès et qu'elle résidait avec lui depuis au moins trois (3) ans;

 

15.        La C.L.P. a erré en raison du témoignage faux et mensonger de Jacqueline Doucet et des déclarations écrites incomplètes qui ont été illégalement introduites en preuve;

 

16.        Lors de l'enquête et audition de la présente requête, il sera démontré que feu Sylvio Landry était bel et bien résident de Nouvelle au Québec, en raison notamment des faits suivants :

 

            […]

 

17.        De plus, il semble évident que le commissaire et les deux (2) membres ayant constitué le banc lors de l'audition du 27 août dernier, n'ont pas pris en considération tous les éléments contenus au dossier de la C.L.P.;

 

            […]

 

 

[56]        Tel qu'indiqué précédemment, lors d'une conférence tenue avant l'audience du 5 avril 2011, la juge administratif a refusé à la succession l'autorisation de déposer une preuve documentaire et testimoniale additionnelle. Dans la décision rendue le 5 octobre 2011, elle explique ce qui suit :

[11]      En conférence préalable, le procureur de la succession précise au tribunal que l’audience du 5 avril 2011 porte sur le second motif de sa requête en révision ou révocation du 3 octobre 2007, concernant la décision de la Commission des lésions professionnelles du 4 septembre 2007. La seconde requête en révision ou révocation à l’encontre de la décision du 11 janvier 2010 n’est pas en cause.

 

[12]      Par contre, le procureur indique au tribunal qu’il entend procéder au dépôt d’une preuve documentaire et testimoniale additionnelle. Cette preuve est nécessaire afin d’établir l’adresse de résidence du travailleur, lors de son vivant.

 

[13]      Le tribunal mentionne alors au procureur que la succession était absente à l’audience du 27 août 2007 et d’autre part, le motif invoqué (n’a pu se faire entendre) avait été rejeté par la Commission des lésions professionnelles dans sa décision du 11 janvier 2010. Jusqu’à preuve du contraire, cette décision est toujours d’actualité malgré la demande de révision ou révocation déposée par la succession.

 

[14]      Ainsi, le dépôt d’une preuve documentaire et testimoniale additionnelle permettrait à la succession de faire indirectement ce qu’elle ne peut faire directement.

 

[15]      Le tribunal a donc refusé le dépôt de cette preuve additionnelle aux fins de l’audience portant sur le motif de vice de fond de nature à invalider la décision du 4 septembre 2007. Il a par ailleurs offert au procureur de suspendre cette audience en attendant que soit connue l’issue de sa requête en révision de la décision du 11 janvier 2010, rejetant le motif qu’il n’a pu se faire entendre pour des raisons jugées suffisantes. Le procureur a décliné cette offre.

 

[16]      Le tribunal a donc demandé au procureur de la succession de soumettre ses arguments, quant à l’existence d’un vice de fond, au regard du dossier tel que constitué à la suite de l’audience du 27 août 2007 afin que le premier juge administratif puisse rendre sa décision.

 

 

[57]        Lors de l'audience du 5 avril 2011, le représentant de la succession a repris les arguments invoqués dans la requête, soit que la conclusion voulant que madame Doucet était la conjointe de monsieur Sylvio Landry au moment de son décès découle d'une mauvaise interprétation de la preuve et du faux témoignage de madame Doucet. La juge administratif résume comme suit son argumentation :

[73]      Il passe en revue le dossier constitué et attire l’attention du tribunal sur plusieurs documents, dont plusieurs sont relevés dans le résumé des faits du tribunal. Ceux-ci, selon le procureur, démontrent que le travailleur résidait à Nouvelle au Québec et non à Nigadoo au Nouveau-Brunswick.

 

[74]      C’est dans le cadre de son témoignage devant le premier juge administratif que madame Doucet introduit le fait que le travailleur résidait avec elle à Nigadoo au Nouveau-Brunswick. Il s’agit d’un témoignage faux et mensonger.

 

[75]      Or, ce témoignage a été le point central de la décision du premier juge administratif.

 

[76]      Le procureur de la succession revient également sur les déclarations fournies par monsieur Ghislain Landry, frère du travailleur, et du juge Landry, parrain du travailleur. Le procureur qualifie de telles déclarations d’incomplètes et d’imprécises.

 

[77]      Il plaide que le dossier, tel que constitué au moment de l’audience devant le premier juge administratif, démontrait clairement, voire hors de tout doute, que le travailleur résidait à Nouvelle au Québec plutôt qu’à Nigadoo au Nouveau-Brunswick.

 

[78]      Le premier juge administratif a donc commis une erreur manifestement déraisonnable en concluant que madame Doucet était la conjointe du travailleur, au sens de la loi.

 

 

[58]        Elle conclut que la prétention de la succession ne peut pas être retenue pour les raisons suivantes :

[79]      Avec respect, le tribunal ne peut souscrire à de tels arguments pour procéder à une révision de la décision de la Commission des lésions professionnelles du 4 septembre 2007.

 

[80]      Le procureur de la succession réfère clairement à l’appréciation qu’a faite le premier juge administratif de la preuve disponible au dossier. Il demande ni plus ni moins au tribunal de procéder à sa propre appréciation de cette preuve et de la substituer à celle du premier juge administratif.

 

[81]      Or, tel qu’indiqué, le recours en révision ne peut servir à cette fin. Seule une erreur grave, évidente et déterminante sur l’issue de la contestation peut commander une intervention du tribunal.

 

[82]      Tel n’est pas le cas en l’espèce.

 

[83]      Dans le cadre de sa décision du 4 septembre 2007, le premier juge administratif expose l’objet de la contestation, résume la preuve jugée pertinente et rappelle le cadre légal applicable en semblable matière.

 

[84]      En fonction de ce cadre légal, il analyse la preuve documentaire et testimoniale. Bien que le témoignage de madame Doucet semble contrastant, voire contradictoire avec certains éléments factuels au dossier, il n’en demeure pas moins que le premier juge administratif retient ce témoignage qu’il considère corroboré par d’autres éléments de preuve:

 

[31]        CONSIDÉRANT que le témoignage de la travailleuse [sic] paraît crédible et qu'il est corroboré par l'employeur, par le parrain et le frère du travailleur, et par l'exécuteur testamentaire de la succession;

 

[85]      En ce sens, le premier juge administratif considère que la preuve prépondérante démontre que madame Doucet vivait maritalement avec le travailleur lors de son décès, qu'elle résidait avec lui depuis au moins trois ans et était publiquement représentée comme sa conjointe.

 

[86]      Encore une fois, il s’agit de l’appréciation que fait le premier juge administratif de la preuve disponible au moment de rendre sa décision du 4 septembre 2007.

 

 

[59]        En terminant, la juge administratif cite l'extrait précédemment cité de l'arrêt Bourassa[11] de la Cour d'appel.

[60]        La requête en révision de la succession concerne essentiellement la décision de la juge administratif de refuser le dépôt d'une preuve documentaire et testimoniale additionnelle. Le représentant de la succession soumet ce qui suit :

20.        Ainsi, à la lecture de celle-ci, il est manifeste que la C.L.P. a commis une erreur qui constitue dans les circonstances un vice de fond ou de procédure de nature à l'invalider;

 

21.        En effet, en refusant à la partie intéressée, la succession de Sylvio Landry, le droit de déposer une preuve documentaire et testimoniale additionnelle, elle l'a privée par le fait même de la possibilité de faire la preuve que madame Jacqueline Doucet avait rendu un faux témoignage;

 

22.        Ce qui est important de comprendre, c'est que la décision du 4 septembre 2007 peut paraître bien fondée, eu égard à la preuve présentée lors de l'audience du 27 août 2007, mais qu'en réalité, celle-ci est mal fondée en faits et en droit puisqu'elle s'appuie sur des éléments mensongers et incomplets;

 

23.        Ainsi, refuser à la partie intéressée, la succession de Sylvio Landry, de faire la preuve de ces éléments mensongers et incomplets, revient à l'empêcher de faire la démonstration que la décision du 4 septembre 2007 est entachée d'un vice de fond ou de procédure de nature à l'invalider;

 

24.        En d'autres termes, en refusant le dépôt d'une preuve documentaire et testimoniale additionnelle, la C.L.P. se place dans une position où elle n'est pas en mesure d'apprécier que la décision rendue le 4 septembre 2007 est entachée d'un vice de fond ou de procédure de nature à l'invalider;

 

25.        La C.L.P. avait le pouvoir d'accorder la permission de déposer cette preuve documentaire et testimoniale additionnelle à l'appui de la requête en révision/révocation et ce, dans le cadre son objectif de rechercher la vérité;

 

26.        En refusant le dépôt de cette preuve documentaire et testimoniale additionnelle, la C.L.P. a abdiqué et renoncé à son objectif.

 

 

[61]        Le tribunal estime que ces arguments ne peuvent donner ouverture à la révision de la décision rendue le 5 octobre 2011.

[62]        Les décisions que rend la Commission des lésions professionnelles sont finales et sans appel. Le fait qu'en vertu de l'article 378 de la loi, la Commission des lésions professionnelles soit investie des pouvoirs des commissaires nommés en vertu de la Loi sur les commissions d'enquête[12] ne l'autorise pas à revoir ses décisions à la lumière de nouvelles preuves et ce, au nom de la recherche de la vérité, comme le prétend le représentant de la succession.

[63]        Si ses décisions demeurent susceptibles de révision ou de révocation pour un des motifs énoncés à l'article 429,56 de la loi, l'exercice de ce recours ne permet pas à une partie de bonifier sa preuve ou de présenter une nouvelle preuve, comme l'a décidé la juge administratif en référant à l'arrêt Bourassa[13] de la Cour d'appel.

[64]        Les seuls cas où une nouvelle preuve peut être apportée sont lorsque cette preuve est nécessaire pour établir la découverte d'un fait nouveau ou lorsque la partie n'a pu se faire entendre pour une raison jugée suffisante.

[65]        Dans le présent cas, il ne peut certainement pas être question de la découverte d'un fait nouveau puisque monsieur Landry savait, avant la tenue de l'audience du 27 août 2007, que madame Doucet prétendrait que monsieur Sylvio Landry demeurait avec elle au Nouveau-Brunswick, tel qu'il ressort de la décision du 11 janvier 2010.

[66]        Par ailleurs, la preuve documentaire et testimoniale additionnelle que la succession veut présenter ne répond pas à la notion de fait nouveau puisqu'il s'agit d'éléments de preuve qui étaient disponibles et qui auraient pu être présentés lors de l'audience du 27 août 2007.

[67]        Quant à l'autre situation qui permet le dépôt d'une nouvelle preuve, il a été décidé que la succession n'avait pas démontré qu'elle n'avait pu se faire entendre lors de l'audience du 27 août 2007 pour une raison jugée suffisante.

[68]        Comme l'a indiqué la juge administratif, autoriser la succession à déposer une preuve documentaire et testimoniale additionnelle pour démontrer que la décision du 4 septembre 2007 comporte un vice de fond qui est de nature à l'invalider, comme elle le réclame, équivaudrait à lui permettre de faire indirectement ce qu’elle ne peut pas faire directement.

[69]        Après considération des arguments soumis par le représentant de la succession, la Commission des lésions professionnelles en vient donc à la conclusion que le refus de la juge administratif d'autoriser le dépôt d'une preuve documentaire et testimoniale additionnelle ne constitue pas un vice de fond qui est de nature à invalider la décision du 5 octobre 2011 et que la requête en révision de la succession du 6 octobre 2011 doit être rejetée.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête en révision du 24 février 2010 concernant la décision rendue le 11 janvier 2010;

REJETTE la requête en révision du 6 octobre 2011 concernant la décision rendue le 5 octobre 2011.

 

 

__________________________________

 

Claude-André Ducharme

 

 

 

 

Me Marie-Christine Gagnon

St-Onge Assels, avocats inc.

Représentante de madame Jacqueline Doucet

 

 

Me Édouard Côté

Guay, Côté, avocats

Représentant de Sylvio Landry (Succession)

 



[1]           L.R.Q. c. A-3.001.

[2]           Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733 ; Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783 .

[3]           Sivaco et C.A.L.P., [1998] C.L.P. 180 ; Charrette et Jeno Neuman & fils inc., C.L.P. 87190-71-9703, 26 mars 1999, N. Lacroix.

[4]           [2003] C.L.P. 601 (C.A.).

[5]           [2005] C.L.P. 626 (C.A.)

[6]           C.A. 500-09-015132-046, 6 octobre 2005, jj. Robert, Morissette, Bich, 05LP-159

[7]           C.L.P. 224235-63-0401, 12 janvier 2006, L. Nadeau

[8]           Cité de la santé de Laval et Heynemand, C.L.P. 69547-64-9505, 26 octobre 1999, A. Vaillancourt.

[9]           Mitchell inc. c. CLP, C.S. Montréal, 500-05-046143-986, 21 juin 1999, j. Courville, D.T.E. 99T-711 ; Manufacture Lingerie Château inc. c. CLP, C.S. Montréal, 500-05-065039-016, 01-10-01, j. Poulin, (01LP-92); Hébert et Groupe ADF inc., 2011 QCCLP 6065

[10]         2011 QCCLP 2390

[11]         Précité, note 4.

[12]         L.R.Q. c. C-37

[13]         Précité, note 4

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.