Décision

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Gabarit CFP

Québec (Ministère de la Santé et des Services sociaux) et Paquette

2015 QCCFP 13

COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

DOSSIER N° :

1301223

 

DATE :

9 juillet 2015

______________________________________________________________________

 

DEVANT LA COMMISSAIRE :

Me Nour Salah

______________________________________________________________________

 

 

Ministère de la santé et des services sociaux

Appelant

Et

 

Élise Paquette

Intimée

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

REQUÊTE EN RÉVISION

(Article 123, Loi sur la fonction publique, RLRQ, c. F-3.1.1)

______________________________________________________________________

 

L’APPEL

[1]   Le 15 janvier 2014, le requérant, soit le ministère de la Santé et des Services sociaux, introduit une requête en révision de la décision[1] rendue par le commissaire Robert Hardy le 10 décembre 2014. Ce dernier accueille en partie l’appel de l’intimée, Mme Élise Paquette. Voici ce que le commissaire Hardy conclut dans ses motifs :

DÉCIDE que l’affectation, par le ministère de la Santé et des Services sociaux, de Mme Paquette à un nouvel emploi au ministère n’a pas été en soi une mesure disciplinaire déguisée;

DÉCIDE que la façon dont le MSSS a retiré Mme Paquette de son emploi de directrice au Secrétariat aux aînés constitue une mesure disciplinaire déguisée, de la nature d’une réprimande administrée de façon non conforme au droit applicable;

ANNULE cette mesure disciplinaire déguisée;

RÉSERVE SA COMPÉTENCE pour entendre les parties sur l’étendue des préjudices allégués dans l’appel de Mme Paquette et sur les mesures de réparation à établir, le cas échéant.

[2]   Cette décision du commissaire Hardy est le résultat d’un appel que dépose l’intimée, Mme Élise Paquette, le 17 octobre 2013, en vertu de l’article 33 de la Loi sur la fonction publique (ci-après nommée la Loi) à l’encontre de la décision du requérant de l’affecter dans une autre de ses directions.

CONTEXTE ET DÉCISION CONTESTÉE

[3]   La Commission en révision résume succinctement les faits de cette affaire en exposant la décision du commissaire Hardy.

[4]   Dans son appel du 17 octobre 2013, Mme Élise Paquette se plaint notamment d’avoir été l’objet d’une mesure disciplinaire déguisée au moment d’une rencontre tenue un peu moins d’un mois auparavant. À cette occasion, lui a été communiquée la décision du ministère de la Santé et des Services sociaux (ci-après le « MSSS »), de l’évincer de ses fonctions de directrice, un poste de cadre, classe 3, à la Direction du développement stratégique et des innovations Aînés (ci-après la « DDSIA »), du Secrétariat aux aînés (ci-après le « SA »).

[5]   Plus précisément, elle se plaint que lors d’une rencontre tenue le 23 septembre 2013, dont l’objet devait être la mise en œuvre des recommandations d’un diagnostic organisationnel, la sous-ministre adjointe, Mme Catherine Ferembach, l’informe de sa décision de l’évincer de ses fonctions de directrice et lui indique également qu’elle n’occupera plus aucun poste au SA. Cette décision de la sous-ministre adjointe lui a été communiquée verbalement.

[6]   Elle doit remettre sur-le-champ son BlackBerry ainsi que sa carte d’accès à l’édifice, et ne prendre aucun dossier qui concerne le Secrétariat aux aînés. Elle considère donc cette décision abusive et elle constitue, selon elle, une mesure disciplinaire déguisée voire même un congédiement déguisé. De plus, elle ajoute que la façon dont elle a été traitée par Madame Ferembach porte une atteinte à sa réputation.

[7]   Le commissaire Hardy, après avoir entendu le témoignage des personnes présentes lors de la rencontre du 23 septembre 2013, soit Élise Paquette, Catherine Ferembach, Sonia Normand et Jean-Luc Boudreau, détermine dans sa décision que c’est ce moment qui a mené à la décision d’affecter l’intimée dans une autre direction.

[8]   En effet, dans sa décision[2] le commissaire Hardy reprend l’intégral de la version dactylographiée d’une page et demie des notes de Mme Sonia Normand du service des ressources humaines et indique que c’est cette rencontre qui a été le point culminant du litige. De ce fait, le requérant ayant constaté le manque de confiance de l’intimée envers la direction a alors annoncé qu’elle était affectée dans une autre direction, sans perte de salaire et dans un poste équivalent.

[9]   Également, dans sa décision[3], le commissaire Hardy note que l’enjeu de confiance est le trait principal de ce qui a mené au transfert de Mme Paquette et que la trame de cette décision s’est tissée du mois de mai jusqu’au 23 septembre 2013. Le Commissaire Hardy conclut alors que l’affectation de Mme Paquette est une mesure de nature administrative.

[10]        En effet, le commissaire Hardy note en analysant la preuve que la mesure ne sert pas à punir Mme Paquette. Il s’exprime ainsi au paragraphe 301 de sa décision : « de ce qui s’est passé jusqu’au 19 septembre 2013, la Commission ne peut conclure qu’il était déjà décidé que Mme Paquette allait être affectée à un autre emploi. Elle ne peut donc pas conclure qu’à la même date le MSSS voulait punir Mme Paquette en la déplaçant d’emploi ».

[11]        Avant d’examiner les différents motifs avancés par le requérant dans sa requête en révision, il convient de préciser les critères de révision applicables en l’espèce.

CONTEXTE D’INTERVENTION EN RÉVISION

[12]        L’article 123 de la Loi permet la révision des décisions rendues par la Commission. Cet article se lit comme suit :

123. Une décision de la Commission doit être rendue par écrit et motivée. Elle fait partie des archives de la Commission.

La Commission peut, sur demande, réviser ou révoquer toute décision qu'elle a rendue:

1      lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

2      lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

3      lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

Dans le cas visé au paragraphe 3° du deuxième alinéa, la décision ne peut être révisée ou révoquée par le membre qui l'a rendue.

[13]        Au sujet du vice de fond ou de procédure de nature à invalider une décision, les tribunaux supérieurs ont établi que le pouvoir du tribunal à cet égard n’équivaut pas à un droit d’appel et qu’il ne saurait être une invitation à substituer son opinion ou son appréciation de la preuve à celle du premier décideur, ou encore une occasion pour une partie d’ajouter de nouveaux arguments[4]. Le pouvoir de révision interne est un pouvoir de redressement ou de réparation de certaines irrégularités ou d’erreurs commises à l’égard d’une première décision afin qu’elle soit conforme à la loi. L’erreur identifiée dans la première décision doit être suffisamment fondamentale et sérieuse pour invalider la décision.

[14]        Dans une décision de 2012 sur le pouvoir de révision de la Commission des lésions professionnelles, la Cour supérieure a indiqué que ce tribunal administratif avait correctement analysé son pouvoir de révision en exprimant qu’« il y a une erreur manifeste et déterminante lorsqu’une conclusion n’est pas supportée par la preuve et repose plutôt sur des hypothèses, lorsqu’elle s’appuie sur de fausses prémisses, fait une appréciation manifestement erronée de la preuve ou adopte une méthode qui crée une injustice certaine[5] ».

[15]         La Commission a souligné à quelques reprises que le vice de fond, assimilé à l’erreur de droit ou de fait, doit être déterminant et présenter des caractéristiques de gravité et d’évidence[6].

[16]        La Commission précise, de plus, qu’une requête en révision ne doit pas constituer un appel déguisé et que la Commission en révision ne peut procéder à une nouvelle appréciation des faits mis en preuve à l’audience.

REQUÊTE EN RÉVISION

Position du MSSS

[17]        Dans sa requête, le requérant demande la révision de la décision du commissaire Hardy au motif qu’un vice de fond est de nature à invalider la décision, conformément au paragraphe 3 du deuxièeme alinéa de l’article 123 (3) de la Loi.

[18]        Le requérant cite pour illuster cela la Cour d’appel dans l’arrêt CSST c. Fontaine[7] qui définit ainsi la notion de vice de fond :

En ce qui concerne les caractéristiques inhérentes d’une irrégularité susceptible de constituer un vice de fond, le juge Fish note qu’il doit s’agir [...] Une décision présentant une telle faiblesse, note-t-on dans l’arrêt Bourassa, est « entachée d’une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige. » […] On voit donc que la gravité, l’évidence et le caractère déterminant d’une erreur sont des traits distinctifs susceptibles d’en faire un vice de fond de nature à invalider une décision.

[19]        Ainsi, les trois erreurs commises selon le requérant par le commissaire sont les suivantes :

1-    Le commissaire ne peut scinder, d’une part, la décision d’affecter l’intimée et, d’autre part, l’annonce de cette affectation à l’intimée.

2-    La compétence de la Commission est épuisée lorsqu’elle décide que la décision d’affecter l’intimée est une mesure administrative.

3-    La Commission ne peut se prononcer sur la notion de l’abus de droit en l’absence de compétence.

[20]        À l’appui de sa position, le requérant renvoie la Commission en révision à sa liste de doctrine et de jurisprudence[8].

Position de Mme Paquette

[21]        Pour sa part, l’intimée fonde sa position sur le fait que le requérant a failli à s’acquitter de son fardeau de preuve, car pour ce faire, celui-ci doit démontrer que la décision rendue par le commissaire Hardy est entachée d’un vice de fond et constitue une erreur manifeste de droit et de fait qui a un effet déterminant sur le litige. De plus, elle doit présenter des caractéristiques déterminantes de gravité et d’évidence invalidant ladite décision. Finalement, elle ajoute que c’est à bon droit que le commissaire Hardy a conclu à l’abus de droit assimilable à une mesure disciplinaire déguisée et souhaite que l’on confirme la réserve de compétence du commissaire Hardy à l’égard des dommages allégués.

[22]        À son tour et afin d’appuyer sa position, l’intimée renvoie la Commission en révision à sa liste de doctrine et de jurisprudence[9].

ANALYSE DE LA COMMISSION EN RÉVISION

1-    Le commissaire ne peut scinder d’une part, la décision d’affecter l’intimée et d’autre part, l’annonce de cette affectation à l’intimée 

[23]        Le MSSS estime que le but recherché de l’appel de l’intimée était d’abord de casser la décision d’affecter l’intimée dans une autre direction. L’intimée invoque dans son appel qu’elle a été victime d’un congédiement déguisé et qu’elle a subi des préjudices au niveau de sa réputation, de son statut et de son prestige. Ainsi, les atteintes invoquées par l’intimée dans sa plainte sont intimement reliées à la notion de congédiement déguisé tel que l’enseigne la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Farber c. Royal trust[10]. Or, le commissaire Hardy a décidé que l’affectation ne constituait pas une mesure disciplinaire déguisée, mais une mesure administrative. Cette conclusion du commissaire Hardy ne fait d’ailleurs pas l’objet de la requête en révision.

[24]        Conséquemment, en qualifiant la mesure d’administrative, le commissaire Hardy ne peut alors déterminer que l’annonce de l’affectation était de la nature d’une mesure disciplinaire du type d’une réprimande administrée de façon non conforme. Il ne base ses affirmations sur aucun fondement juridique et n’explique nullement l’étonnante logique d’un tel raisonnement. Cette qualification apparaît à la Commission en révision totalement arbitraire et déraisonnable. En effet, le commissaire Hardy va jusqu’à annuler pour la forme la mesure disciplinaire déguisée, puisqu’aucune pièce en témoignant n’a été versée dans le dossier d’employée de Mme Paquette.

[25]        La Commission en révision saisit mal le raisonnement du commissaire Hardy et note des contradictions entre ses conclusions et certains paragraphes de sa décision. Ainsi tout au long du texte, le commissaire Hardy laisse insinuer que la mesure en est une disciplinaire déguisée. Cependant, les conclusions et le paragraphe 317 démontrent que la mesure administrée à Mme Paquette en est au final une administrative. Or, puisque la Commission n’a pas compétence pour s’immiscer dans le choix de cette mesure administrative, soit une affectation suivant l’article 33 de la Loi, comment peut-il être déraisonnable pour Mme Ferembach d’affecter Mme Paquette à un autre emploi et de décider de demander qu’elle soit affectée ailleurs qu’au SA.

[26]        Aussi, la Commission en révision abonde dans le même sens que le requérant et se demande pourquoi le MSSS aurait voulu réprimander verbalement l’intimée si l’affectation n’a pas été jugée comme étant une punition ou une mesure disciplinaire déguisée. De ce fait, il ne fait aucun doute pour la Commission en révision, que le commissaire Hardy a commis une erreur manifeste et déterminante qui est de nature à invalider en partie sa décision.

[27]        De plus, la Commission en révision ne voit pas comment le commissaire Hardy a pu scinder la nouvelle affectation et l’annonce de cette mesure. En effet, le commissaire Hardy, dès le début de son analyse, s’oriente mal et émet une mauvaise prémisse en considérant que l’appel de l’intimée comporte deux volets : celui de l’affecter à un autre emploi qu’au SA et celui concernant la manière de le lui faire savoir.

[28]        Le commissaire Hardy distingue la mesure d’affectation et l’annonce de cette mesure dans ces termes :

[306]     La Commission ne comprend pas que la prudence habituelle aussi marquée ait laissé place à une attitude incompatible avec ce qui aurait dû être une mesure administrative.

[307]     L’analyse par la Commission des faits mis en preuve et son interprétation des gestes posés à l’endroit de Mme Paquette mènent à conclure que l’annonce qu’elle était déplacée de son poste et qu’elle devait quitter son emploi sur-le-champ, tel qu’elle lui a été présentée, comportait quelque chose de malvenu dans la façon d’exécuter l’intention première du ministère qui devait être simplement de l’affecter à d’autres fonctions.

[29]        Le requérant estime que l’annonce d’une nouvelle affectation n’est pas une mesure en soi, c’est la décision d’affecter l’intimée dans une nouvelle direction qui constitue la mesure du requérant.

[30]        Le requérant est d’avis que l’annonce d’une mesure est liée à la mesure elle-même. Pour lui, les atteintes alléguées par l’intimée ne sont que les effets de la décision de l’affecter et ne découlent pas d’une autre décision prise par le requérant.

[31]        La Commission en révision approuve le raisonnement du requérant, car pour elle la mesure et l’annonce forment un tout indissociable. D’ailleurs, comme rapporté par la Cour d’appel dans la décision Standard Broadcasting corporation ltd c. Stewart[11], un congédiement entraîne des conséquences inhérentes à son annonce :

« Ceci dit tout congédiement, même celui réalisé dans les meilleures conditions, provoque chez celui qui en est éprouvé un véritable effet traumatisant souvent marqué par l’inquiétude, l’anxiété et le stress. Ce préjudice moral dérive de la cessation d’emploi elle-même. Il ne sera pas indemnisé comme tel parce qu’il découle nécessairement de l’exercice d’un droit. Au surplus, dans les faits, ce dommage est, tout au moins partiellement, indemnisé par l’avis-congé puisque sa durée est fonction d’une multitude de facteurs, dont l’ancienneté chez l’employeur et le temps nécessaire à retrouver une situation comparable. »

[32]        Donc, cela démontre qu’une mesure d’un employeur, comme une nouvelle affectation et l’annonce de cette mesure, ne forment pas deux mesures distinctes, mais plutôt une seule mesure.

[33]        Ainsi, le commissaire Hardy, dans une logique que la Commission en révision ne peut approuver, a erré en distinguant les deux mesures et commet donc une erreur manifeste et déterminante de nature à invalider sa décision à cet égard.

2-   La compétence de la Commission est épuisée lorsqu’elle décide que la décision d’affecter l’intimée est une mesure administrative

[34]        Le requérant allègue que la Commission n’avait pas la compétence juridique pour trancher le litige soulevé par l’appel de l’intimée, puisque le commissaire a déterminé que la décision du requérant, en date du 23 septembre 2014, était une mesure administrative. Ce faisant, il ne peut se prononcer sur l’annonce de cette mesure.

[35]        En effet, l’annonce de la décision d’affecter l’intimée ne peut d’une part faire revivre la compétence de la Commission, ni constituer une mesure disciplinaire déguisée sous forme verbale.

[36]        La Commission en révision est entièrement en accord avec l’argumentation du requérant, elle estime que le commissaire Hardy a trouvé un moyen de se donner une compétence que ne lui attribuait pas la loi ni le droit, en scindant les mesures et en créant une nouvelle fiction juridique. Du moment où le commissaire Hardy qualifie l’affectation comme étant une mesure administrative, il a épuisé sa compétence au sens de l’article 33 de la Loi:

33. À moins qu’une convention collective de travail n’attribue en ces matières une compétence à une autre instance, un fonctionnaire peut interjeter appel devant la Commission de la fonction publique de la décision l’informant :

1° de son classement lors de son intégration à une classe d’emploi nouvelle ou modifiée;

2°  de sa rétrogradation;

3° de son congédiement;

4° d’une mesure disciplinaire;

5° qu’il est relevé provisoirement de ses fonctions.

[…]

[37]        Une mesure disciplinaire relève du Règlement sur l'éthique et la discipline dans la fonction publique[12], dont l’article 18 prévoit qu’elle « peut consister en une réprimande, une suspension ou un congédiement selon la nature de la gravité de la faute qu’elle vise à réprimer ». Et l’article qui suit dispose que la « mesure disciplinaire doit être communiquée par écrit au fonctionnaire concerné ».

[38]        Ainsi, on comprend qu’une mesure d’affectation peut équivaloir à une mesure disciplinaire déguisée si le but de l’employeur était de punir l’employé; or, en décrétant que l’affectation était une mesure administrative après son analyse, le Commissaire Hardy exclut donc cette affectation du champ de compétence de l’article 33 de la Loi.

[39]        La Commission en révision ajoute que c’est la Cour suprême du Canada dans sa décision Langlois c. Ministère de la Justice du Québec[13] qui a décrété que la Commission a compétence pour entendre et décider d’un recours exercé par un fonctionnaire à qui est imposée une sanction disciplinaire autre que la destitution ou la suspension. L’expression «sanction disciplinaire» est large, aucunement limitée et doit s’entendre de toute mesure qui constitue une véritable sanction disciplinaire, quelle qu’elle soit. Lorsqu’on allègue qu’une affectation constitue une sanction disciplinaire, il est donc essentiel que la Commission entende la preuve et détermine si une telle mesure constitue en fait une mesure disciplinaire, auquel cas la Commission a compétence pour entendre l’appel au fond, ou si elle constitue une simple mesure administrative, auquel cas la Commission n’a pas compétence pour procéder. Un employeur ne peut en effet priver un fonctionnaire de son droit d’appel en baptisant une sanction disciplinaire d’affectation ou de mutation.

[40]        D’un autre coté, tel que rapporté dans la décision Lavoie[14]: « Si par contre, elle est considérée comme une mesure administrative, la Commission ne peut non plus avoir compétence puisque dans ce cas, c’est l’employeur qui exerce son droit de gérance […] ».

[41]        Conséquemment, on ne peut déduire autrement des conclusions du Commissaire Hardy et de la jurisprudence citée que dans le cas de Mme Paquette, la décision de l’affecter  est un droit de gérance propre au requérant.

[42]        Ainsi, la Commission en révision considère que la décision du commissaire Hardy comporte des erreurs manifestes et déterminantes qui sont de nature à invalider en partie sa décision.

3-   La Commission ne peut se prononcer sur la notion de l’abus de droit en l’absence de compétence

[43]        Le requérant souligne qu’il n’a commis aucun abus de droit à l’égard de l’intimée. Il soutient que l’intimée n’a jamais été mise dans une situation pour se sentir humiliée ou diminuée. De plus, il ajoute que l’ensemble des témoignages entendus à l’audience concorde et converge vers ce constat.

[44]        La récupération des effets personnels a été faite à la fin d’une journée de travail alors qu’il ne restait plus de collègues. Il conclut que les atteintes alléguées par l’intimée sont uniquement les conséquences de sa réaction personnelle à la suite de la décision du requérant de l’affecter dans une nouvelle direction.

[45]        Aussi, même si le commissaire Hardy s’estime sans compétence par rapport à la décision de l’employeur d’affecter l’intimée, il conclut tout de même, aux paragraphes 328 à 330 de la décision, que les modalités d’accomplissement de l’annonce de la nouvelle affectation constituent un abus de droit :

[328]     La Commission est d’avis que ces principes relatifs à la théorie de l’abus de droit en matière de congédiement peuvent trouver application également dans les cas où une personne perd son emploi par une nouvelle affectation.

[329]     Pour paraphraser la Cour suprême dans l’affaire Barreau du Québec, les modalités d’accomplissement de l’annonce de la nouvelle affectation à Mme Paquette sont inexplicables et incompréhensibles, au point qu’elles peuvent être considérées comme un véritable abus de pouvoir par rapport à leurs fins.

[330]     De plus, la Commission considère que Mme Paquette a repoussé le fardeau de la preuve qui lui revenait : elle a démontré que les conditions dans lesquelles elle a été placée, lors de l’annonce qu’elle serait affectée ailleurs, dépassaient largement le seuil du raisonnable, signifiaient des reproches et visaient à la punir. D’où la conclusion de la Commission qu’il s’est agi d’une mesure disciplinaire déguisée, qui doit être annulée pour la forme puisqu’aucune pièce en témoignant n’a, il va de soi, été versée dans son dossier d’employée.

[46]        La Commission en révision est en accord avec la position du requérant. Elle estime que le commissaire Hardy a erré dans sa décision en considérant que l’annonce de l’affectation à l’intimée par la représentante du requérant a été inexplicable ou incompréhensible. La Commission en révision ajoute que le jugement de la Cour suprême que cite le commissaire Hardy soit l’arrêt Soucisse c. Banque Nationale[15], ne trouve pas application dans le cas en présence. Ce jugement qui reconnaît que « la théorie de l’abus de droit en matière contractuelle fait désormais partie du droit jurisprudentiel, que l’article 2092 (du Code civil du Québec), en matière de congédiement[16] le reconnaît aussi explicitement et que n’est plus seulement sanctionné l’acte intentionnel ou de mauvaise foi, mais aussi l’exercice déraisonnable du droit ».

[47]        La Commission en révision déclare même que le commissaire Hardy n’aurait pas dû analyser ce point. En effet, une fois qu’il a statué que l’affectation de l’intimée constitue une mesure administrative, la Commission perd compétence et le commissaire Hardy ne peut appliquer la théorie de l’abus de droit pour se donner une compétence par un moyen détourné, à l’égard de la manière d’annoncer cette mesure administrative. Il s’agit selon la Commission en révision d’une grave erreur, car il s’est arrogé une compétence qu’il ne possédait guère, afin d’appliquer une théorie qui ne s’appliquait guère.

[48]        De plus, le commissaire Hardy va à l’encontre de la jurisprudence de la Commission. De ce fait, la Commission s’est déjà penchée sur un cas semblable d’affectation dans la décision Bérubé[17] où avait été accueillie l’objection préliminaire et décliné compétence. La Commission en révision, pour une meilleure compréhension du lecteur, tient à en reproduire les passages pertinents :

[57]       Par ailleurs, Mme Bérubé invite la Commission a examiné son affectation sous l’angle de la théorie de l’abus de droit. Cette notion d’ordre public, codifiée dans Code civil du Québec[15], interdit l’exercice d’un droit dans l’intention de nuire à autrui ou d’une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l’encontre des exigences de la bonne foi. Toutefois, si la Commission conclut que l’affectation de Mme Bérubé constitue une mesure administrative, elle ne peut rattacher expressément ou implicitement cette mesure à une matière sur laquelle elle possède une compétence[16]. Ainsi, elle ne peut recourir à l’application de cette théorie pour se donner une compétence qu’elle n’a pas.

[58]       En résumé, c’est uniquement si l’affectation de Mme Bérubé constitue une mesure disciplinaire que la Commission peut intervenir. Pour démontrer le caractère disciplinaire de son affectation, le fardeau de la preuve appartient à Mme Bérubé. Il ne lui suffit pas de l’alléguer, elle doit le prouver[17].

[références omises]

[49]        Cela étant dit, la Commission en révision pourrait terminer son analyse ici, car elle juge que l’ensemble des erreurs commises par le commissaire Hardy sont toutes  des erreurs de droit manifestes constituant des vices de fond de nature à invalider sa décision et à accueillir la requête en révision du requérant. Cependant, elle aimerait dire quelques mots sur les mesures de réparation sur lesquelles le commissaire Hardy a réservé la compétence de la Commission.           

[50]        Ainsi, le commissaire Hardy  juge qu’il n’y a pas lieu d’analyser immédiatement la portée des différents gestes posés à l’endroit de Mme Paquette pour déterminer l’ampleur du préjudice qu’elle estime avoir subi. Il estime qu’il suffit de constater que la façon dont le MSSS a retiré Mme Paquette de son emploi constitue une mesure disciplinaire déguisée.

[51]        Or, la Commission en révision a statué que la mesure était administrative et non une mesure disciplinaire déguisée. D’ailleurs à ce sujet, le requérant cite la décision rendue par la Cour supérieure Gervais c. Agence de sécurité ltée[18] : « Le commissaire du travail a un pouvoir de réparation limité. Il peut accorder des dommages en raison de son pouvoir de rendre toute autre décision qui lui paraît juste et raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire », mais ce pouvoir de réparation n’existe que si le commissaire juge d’abord qu’un salarié a été congédié sans cause juste et suffisante.

[52]        Ainsi, on comprend bien de cela qu’il ne peut y avoir de dommages octroyés sur la base de préjudice allégué découlant de la décision d’être congédié si l’employeur a agi avec une cause juste et suffisante.

[53]        Le requérant fait le parallèle entre cette situation et le fait que la Commission ne peut accorder de dommages découlant d’une mesure administrative. Ainsi, pour lui, et la Commission en révision abonde dans son sens, l’annonce d’une mesure administrative ne peut être assimilée à une mesure disciplinaire, tout comme les circonstances entourant l’annonce d’un congédiement avec cause juste et suffisante ne peuvent rendre ce congédiement sans cause juste et suffisante. Ainsi, le commissaire Hardy ne peut avoir compétence afin de réparer les effets d’une décision pour laquelle il n’avait aucune compétence initiale de redressement, et ce, qu’il y ait abus de droit ou non.

[54]        En conclusion, la Commission en révision statue que les erreurs de faits et de droit commises par le commissaire Hardy sont déterminantes, car elles vont à l’encontre de la compétence de la Commission prévue aux articles 33 et 34 de la Loi.

[55]        POUR CES MOTIFS, la Commission en révision :

Accueille la requête en révision du Ministère de la santé et des services sociaux;

Annule la conclusion du commissaire Hardy rendue le 10 décembre 2014 en ce qui concerne l’annonce de l’affectation à Mme Paquette à une autre direction qui constitue une mesure disciplinaire déguisée;

Annule la réserve de compétence à l’égard des préjudices allégués et des mesures de réparation;

Déclare que la Commission n’a pas compétence pour entendre l’appel de Mme Élise Paquette.

 

 

 

__________________________________

Nour Salah, avocate

Commissaire

 

Me Jean-François Dolbec

Procureur pour le Ministère de la santé et des services sociaux

REQUÉRANT

 

Me Pascale Racicot

Procureure pour Mme Élise Paquette

INTIMÉE

 

Requête prise en délibéré : 10 mars 2015

 

 



[1]     Paquette et Québec (Ministère de la Santé et des Services sociaux), 2014 QCCFP 25.

[2]     Ibid.

[3]     Ibid.

[4]     Tribunal administratif du Québec c. Godin, [2003] R.J.Q. 2490 (C.A.), par. 136; Bourassa c. Commission des lésions professionnelles, [2003] R.J.Q. 2411 (C.A.), par. 22.

[5]     Rona inc. c. Commission des lésions professionnelles, 2012 QCCS 3949, par. 94.

[6]     Voir notamment Ministère des Transports c. Bérubé, 2011 CanLII 18157 (QC CFP), par. 20 et Centre de services partagés du Québec c. Dussault, 2012 CanLII 77356 (QC CFP), par. 27.

[7]     Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Fontaine 2005 QCCA 775, par. 50.

[8]     Linda BERNIER et al., Les mesures disciplinaires et non disciplinaires dans les rapports collectifs du travail, 2e éd., Éditions Yvon Blais, 2014; Marc-André LAROCHE et Francis DEMERS, Conclure une fin d’emploi : comment et à quel prix?, Éditions Yvon Blais, 1999; Paquette et Québec (Ministère de la Santé et des Services sociaux), 2014 QCCFP 25; Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Fontaine, 2005 QCCA 775; Standard Broadcasting Corporation Ltd. c. Stewart, 1994 CanLII 5837; Bérubé et Ministère de la Sécurité publique, 2012 CanLII 43574; Gervais c. Agence de sécurité de Montréal ltée, AZ-97021862.

[9]     Paquette et Québec (Ministère de la Santé et des Services sociaux), 2014 CanLII 74362 (QC CFP); Brodeur et Centre de services partagés du Québec, 2014 CanLII 30891 (QC CFP); Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Fontaine, 2005 QCCA 775; Société de l’assurance automobile du Québec c. Commission de la fonction publique, D.T.E. 99T-919 (C.S.), désistement d’appel (C.A., 2002-08-13), 200-09-002781-992; Flamand c. Roberge, 2009 QCCS 933; Barcelo c. Québec (Commission de la santé et de la sécurité de travail), 1997 CanLII 10709 (QC CA); MORIN, Fernand, BLOUIN, Rodrigue. Droit de l’arbitrage de grief, 6e édition, Éditions Yvon Blais, Cowansville, 2012, p. 573-574; Langlois c. Ministère de la Justice du Québec, [1984] 1 RCS 472; CANTIN, Christiane et Anne GOSSELIN. La Commission de la fonction publique du Québec : un interlocuteur incontournable en matière de gestion des ressources humaines et de droit du travail, dans Développements récents en droit du travail, Éd. Yvon Blais, vol. 348, 2012, p. 77, 91-92; Houle c. Banque canadienne nationale, [1990] 3 RCS 122; Code civil du Québec, RLRQ c. C-1991; Syndicat de l’enseignement de la région de Québec c. Ménard, 2005 QCCA 400; Chevrier et Commission de la santé et de la sécurité du travail, 2014 CanLII 17341 (QC CFP); Georges AUDET, Robert BONHOMME, Clément GASCON, Chantal LAMARCHE, Laurent LESAGE, Le congédiement en droit québécois en matière de contrat individuel de travail, 3e éd., vol. 1, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1991, édition feuilles mobiles, mise à jour 23 :1, n  2.1.22, p. 2-10, 2-23 et 2-24; Standard Broadcasting Corporation Ltd. c. Stewart, 1994 CanLII 5837 (QC CA); Harrisson et Québec (Ministère de la Sécurité publique), 2010 QCCFP 5; Bouchard et Québec (Ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles), 2015 QCCFP 3.

[10]    Farber c. Cie Trust Royal, [1997] 1 RCS 846.

[11]    Précitée, note 8.

[12]    Chapitre F-3.1.1, r. 3.

[13]    Précitée, note 9.

[14]    Lavoie et Québec (Ministère de la Sécurité publique) 2012 QCCFP 20.

[15]    Banque nationale c. Soucisse, 1981 CanLII 31 (CSC).

[16]    Si présence d’un contrat de travail.

[17]    Précitée, note 8.

[18]    Précitée, note 8.

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