COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL |
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(Division des relations du travail) |
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Dossier: |
256986 |
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Cas : |
CM-2009-6439 et CM-2010-0384 |
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Référence : |
2012 QCCRT 0150 |
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Montréal, le |
19 mars 2012 |
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DEVANT LA COMMISSAIRE : |
France Giroux, juge administrative |
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A
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Plaignante |
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c. |
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[Compagnie A] |
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Intimée |
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DÉCISION |
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[1] Le 2 août 2009, A, (la plaignante) dépose une plainte selon l’article 124 de la Loi sur les normes du travail, L.R.Q., c. N-1.1 (la Loi), alléguant avoir été congédiée sans cause juste et suffisante le 16 juillet 2009. Elle dépose également une plainte selon l’article 123.6 de la Loi. Elle soumet avoir été victime de harcèlement psychologique et plus spécifiquement à caractère sexuel dans son milieu de travail.
[2] [La Compagnie A] (l’employeur) prétend que la plaignante a démissionné de façon libre et volontaire et nie toutes les allégations de harcèlement.
[3] Les audiences se sont échelonnées sur plus de 18 mois. L’interrogatoire de la plaignante débute en mai 2010 alors que son contre-interrogatoire commence en juin 2011, en raison notamment de l’absence pour maladie de l’un des procureurs au dossier. Les audiences se terminent en octobre 2011 et après la prise en délibéré, une réouverture d’enquête est acceptée par la Commission et entendue le 21 décembre 2011. Ce volet sera traité dans la présente décision.
[4] Compte tenu de la nature sexuelle des faits mis en preuve, la Commission identifiera plusieurs témoins que par leur prénom.
[5] Les parties conviennent que la Commission statuera d’abord sur le bien-fondé des plaintes et réservera sa compétence sur toutes mesures de réparation, le cas échéant.
[6] L’employeur offre des services de courtage et de dédouanement à des importateurs. Il emploie une douzaine d’employés. La plaignante, d’origine [...] et aujourd’hui âgée de 47 ans, y travaille une première fois, entre 2000 et 2002 et quitte volontairement. Au cours de cette période, rien de particulier n’est signalé. Elle revient en septembre 2004 pour occuper un poste aux comptes clients qui relève de J....
[7] Au cours de l’emploi de la plaignante, l’employeur déménagera ses bureaux de la rue A à la rue B. Les incidents relatés se déroulent donc à deux endroits distincts selon la période considérée.
[8] La plaignante affirme avoir été victime de harcèlement sexuel répété de la part du président monsieur D... L... (L...), âgé maintenant de soixante ans, pour la période allant de décembre 2004 jusqu’à la fin de son emploi en juillet 2009. Cette conduite a persisté pendant plus de quatre ans malgré, dit-elle, ses protestations claires et répétées.
[9] Les premières manifestations surviennent sur la rue A où l’espace de travail est réparti sur deux étages. L... et le personnel administratif, dont la plaignante, disposent d’un bureau fermé au 2e étage. Les murs séparant chaque bureau sont dotés d’une fenêtre permettant de voir l’intérieur des autres bureaux. Le bureau de L... comporte également une fenêtre adjacente au bureau de son fils. Environ six personnes, dont quatre filles, travaillent au 2e étage et une porte ferme le haut de l’escalier. La réception et le service de dédouanement sont situés au 1er étage.
[10] À cette période, la plaignante termine son travail à 17 h 30 alors que les autres employés du 2e étage partent vers 17 h. Elle doit rester plus tard pour fournir de l’information aux employés qui s’occupent du dédouanement, dont son frère. Elle conserve cet horaire jusqu’en juillet 2005. Elle terminera par la suite à 17 h.
[11] Une fin d’après-midi de décembre 2004, alors qu’elle est seule au 2e étage, L... l’appelle à son bureau. En y entrant, la plaignante constate qu’il a sorti son pénis de son pantalon.
[12] La plaignante, chamboulée, sort du bureau en courant. L... n’a jamais été incorrect avec elle et il est, dit-elle, le « grand patron ». Elle ne lui a donné aucune raison d’agir de la sorte. Elle quitte sur-le-champ le bureau et ne parle à personne de cet incident, car elle vient de reprendre son travail.
[13] À partir de ce moment-là, L... continue le harcèlement sexuel qui, selon la plaignante, prendra diverses formes allant des insinuations aux attouchements sexuels. Lorsqu’il est seul avec la plaignante, il lui demande souvent : « Aimes-tu faire ça par en avant ou par en arrière? » ou subrepticement, il lui fait des gestes à connotation sexuelle. Par exemple, il forme un cercle avec ses doigts et y entre un doigt ou encore il frappe ses poings ensemble. Il le fait à n’importe quelle heure de la journée, quand personne ne le voit.
[14] En janvier 2005, encore après 17 h, un autre incident se produit dans le bureau de la plaignante. L..., debout derrière elle, lui saisit les seins et glisse sa main dans son soutien-gorge. Elle se débat pour la retirer, lui dit d’arrêter et de la laisser tranquille. Il l’égratigne assez pour qu’elle saigne et après l’avoir relâchée, L... fait montre de remonter son pantalon. La scène dure quelques secondes et la plaignante quitte le travail en pleurant. La plaignante était seule au 2e étage avec lui, les autres employés étant partis. La porte du 2e étage était fermée et les employés qui travaillaient au 1er étage ne pouvaient ni les voir ni les entendre.
[15] Les gestes, les insinuations ou les attouchements se poursuivent par la suite, dit-elle, dès qu’il a la chance de le faire, parfois tous les jours, surtout après 17 h.
[16] Au cours du mois de janvier, la plaignante se confie à la réceptionniste, T..., qui travaille au 1er étage. T... est beaucoup plus jeune que la plaignante. T... lui avoue alors que L... la touche également, sans donner de détails, mais qu’elle a besoin de ce travail pour vivre. Elle lui dit qu’elle n’a pas fait d’études, qu’elle ne parle pas français et ne peut pas trouver un emploi ailleurs. À l’audience, T... nie avoir subi des attouchements sexuels de la part de L....
[17] Le fils de L... travaille également dans l’entreprise à temps plein à partir de mai 2005. Il affirme être au bureau à 17 h 30 et partir souvent le dernier. Selon la plaignante, le fils n’est pas toujours au bureau. Il quitte parfois plus tôt surtout qu’il habite dans le même immeuble sur un autre étage.
[18] Selon le fils, son père entretient des relations cordiales avec les employés et s’enquiert de leur vie familiale. Il a aidé le mari de la plaignante à trouver un emploi en le recommandant à un client. Jamais il n’a vu son père harceler une employée. Il l’a vu toucher l’épaule d’une employée, jamais l’estomac. Il a vu la plaignante toucher au ventre de son père en blaguant et en riant, mais jamais l’inverse. Il l’a entendue dire à son père : « Je voudrais te dire quelque chose, mais ton fils est ici ». Selon lui, il s’agissait vraisemblablement « d’une blague à caractère sexuel ».
[19] Dans son témoignage, le fils déclare tout de go qu’il s’agit de son père, du mari de sa mère, du grand-père de ses enfants. Son père l’a aidé à trouver sa voie.
[20] En juillet 2005, la plaignante sort de la salle de bain située au 2e étage. L... se tient debout devant elle et saisit ses seins avec ses mains. L... tire si fort qu’il arrache le fermoir de son soutien-gorge. La plaignante le mord à l’avant-bras et l’égratigne en lui disant : « Va montrer ça à ta femme ». L... la regarde en riant et fait semblant de remonter son pantalon.
[21] Lors de cet incident, la plaignante explique qu’il n’y a personne au 2e étage, ni le fils de L... ni J... qui est en bas, là où sont les filières des clients.
[22] Selon la plaignante, L... glisse ses doigts sur ses fesses ou « en avant sur ses parties intimes » lorsqu’elle monte l’escalier avec des dossiers ou un café et qu’elle ne peut pas se défendre. Si elle monte de côté pour éviter qu’il ne la touche, il lui fait alors des gestes sexuels avec ses doigts. La plaignante portera uniquement le pantalon tout au long de son emploi.
[23] De son poste, T... affirme avoir une vue sur l’escalier conduisant au 2e étage et n’avoir jamais vu de tels attouchements. Par la suite, elle admet que son angle de vision ne lui permet pas de voir l’escalier si elle est assise à la réception.
[24] Selon la plaignante, d’autres filles du bureau lui disent subir le même traitement dans l’escalier, dont T... qui aurait traité L... de « pig ». Elle a également entendu T... crier dans la salle de bain alors qu’elle y était enfermée avec L.... Enfin, elle a vu L... toucher les fesses de T... alors que celle-ci se tenait debout à la photocopieuse. La plaignante l’a regardée alors d’un air interrogateur, mais T... a détourné la tête sans réagir.
[25] Ly... est une autre collègue de la plaignante qui a travailllé sur la rue A au 2e étage pendant environ deux ans. Elle décrit ce milieu de travail comme étant intense et où les patrons et les employés crient facilement les uns après les autres.
[26] Interrogée sur les relations qu’entretient L... avec les filles qui travaillent sur la rue A, Ly... affirme qu’il essaie de toucher les seins de certaines d’entre elles ou de les enfermer avec lui dans la salle de bain du 2e étage que Ly... voyait de son bureau. Selon elle, il enfermait T... dans la salle de bain et cette dernière protestait en criant. Il la prenait aussi par les poignets sans qu’elle ne s’oppose. Il lui offrait des choses ou l’amenait manger. T... précise que Ly... et elle ne s’aimaient pas et ne se parlaient pas lorsqu’elles travaillaient ensemble.
[27] Selon Ly..., L... touchait aussi une autre employée d’origine [...], sans être aussi insistant qu’avec les autres filles. Il tentait de l’enfermer dans son bureau ou les toilettes. Elle n’est pas restée longtemps à l’emploi. La plaignante affirme également ces faits.
[28] Occupant le bureau à côté de celui de la plaignante, Ly... a vu L... toucher les seins ou le corps de la plaignante dans son bureau. Cette dernière essayait de résister et de se protéger notamment en mettant des boîtes autour de son bureau pour ne pas qu’il l’approche. La plaignante s’est confiée à elle pour se plaindre de son comportement. Ly... se rappelle qu’elle était très nerveuse et se tirait les cheveux en disant : «Qu’est-ce que Jo... — son mari — va penser? »
[29] Ly... a vu L... enfermer la plaignante avec lui et entendu les cris de colère de la plaignante qui voulait sortir de la salle de bain et qui disait : « L... stop it ». Elle n’est pas intervenue. La plaignante explique qu’il se mettait derrière elle et lui saisissait les seins de force dans la salle de bain.
[30] Enfin, Ly... admet avoir eu des relations sexuelles consentantes avec L... au cours de ses deux années d’emploi. À son arrivée, elle remarque rapidement qu’il aime rire avec les filles et elle y participe. Ensuite, elle comprend ce qu’il veut, dit-elle, et accepte d’avoir une relation avec lui. Il la raccompagne chez elle à quelques reprises pour avoir des relations sexuelles et il la touche parfois dans son bureau. Elle croit ainsi pouvoir le calmer lorsqu’il est en colère et améliorer l’ambiance au bureau.
[31] Interrogée sur ce qu’il représentait pour elle, Ly..., beaucoup plus jeune que L..., affirme qu’il n’était ni son ami ni son amant, mais qu’elle lui y était émotionnellement attachée. En quelque sorte, dit-elle, sa relation avec lui faisait partie de son travail.
[32] La plaignante et Ly... étaient plus collègues qu’amies. Après sa fin d’emploi, la plaignante l’a rencontrée pour lui expliquer vouloir porter plainte contre L.... Ly... lui a alors offert de témoigner de ce qu’elle avait vu et vécu au sein de l’entreprise, car elle a compris que cet environnement de travail était inacceptable. Elle admet avoir pensé à porter plainte contre L..., mais se sentait incapable de le faire.
[33] T... travaille chez l’employeur depuis 14 ans. Elle décrit l’ambiance au travail comme stressante, selon les pics d’activités, mais sans tension. Elle admet que L... l’a enfermée dans la salle de bain après qu’elle l’ait contrarié, mais c’était pour blaguer. Jamais elle n’a eu peur. D’ailleurs, elle aussi l’a enfermé dans la cuisine sur la rue A, toujours pour rigoler. Elle affirme que L... aime faire des blagues avec les employés et qu’il est très tolérant, tant que le travail est fait. Elle ajoute que son fils est plus sérieux et trop occupé pour blaguer. Il faut noter qu’à l’audience, T... témoigne en regardant fréquemment L....
[34] T... nie tous gestes sexuels de L... à son égard. Elle pouvait toucher son dos ou son ventre avec son doigt, seulement pour rigoler. Elle ne se souvient pas de l’avoir traité de « pig or dirty old man ». Pour rire, elle l’a appelé « looser », une fois en lui touchant l’estomac. Elle ne l’a jamais vu harceler sexuellement les autres filles.
[35] T... admet que son cellulaire personnel est payé par l’employeur. Elle précise que L... peut la joindre même si elle n’est pas à la réception et que c’est aussi un « cellulaire de compagnie ». Sa situation financière ne lui permettait pas, seule, de se qualifier pour obtenir un téléphone cellulaire.
[36] T... admet que la plaignante lui a confié avoir été harcelée sexuellement par L... sur la rue A et qu’elle l’a fait ensuite sur la rue B. T... n’a rien dit à personne et crut que la plaignante interprétait mal les blagues de L.... Aucune autre fille ne lui a fait cette confidence. Elle se rappelle que la plaignante discutait avec elle des relations sexuelles qu’elle avait avec son mari et pouvait, comme les autres, faire des blagues de nature sexuelle lorsqu’elles étaient dans la cuisine.
[37] En juillet 2007, l’entreprise déménage sur la rue B. La plaignante met les boîtes de déménagement autour de son bureau pour se protéger et éviter que L... se glisse derrière elle, ce dont J..., T..., L... et son fils ne se souviennent pas.
[38] La plaignante espère un changement après le déménagement. Elle sait que les employés seront tous sur le même étage et plus près les uns des autres. Elle affirme avoir eu tort.
[39] Sur la rue B, l’employeur partage ses locaux avec une autre entreprise, [Compagnie B] comptant une douzaine d’employés. Au total, environ 24 employés travaillent donc dans les bureaux de la rue B.
[40] Sur la rue B, les employés administratifs de l’employeur, dont la plaignante, disposent toujours d’un bureau fermé comportant une fenêtre adjacente à la porte et une autre sur le mur intérieur permettant de voir les autres bureaux. Les bureaux ouvrent sur un espace commun, la salle de bain et la cuisine. Le bureau de L... est retiré dans un coin, derrière la réception. Chez l’employeur, trois femmes travaillent sur la rue B, T..., J... et la plaignante.
[41] Les employés qui travaillent au dédouanement, dont le frère de la plaignante, sont regroupés dans un espace ouvert, à une distance ne leur permettant pas de voir les bureaux fermés. Les gens de l’autre entreprise sont situés plus loin, sur le même étage, mais ne voient pas les bureaux fermés. Tous partagent les espaces communs.
[42] Selon la plaignante, les insinuations ou attouchements furtifs se poursuivent sur la rue B, mais leur fréquence diminue néanmoins puisqu’ils ont lieu sur une base hebdomadaire. Par exemple, à l’insu des autres et à chaque fois qu’il en a la chance, L... entre dans son bureau et lui demande si elle aime avoir une relation sexuelle « doggie style ».
[43] À l’automne 2007, la plaignante se rappelle que L... l’appelait ou qu’elle-même l’appelait sur son cellulaire pour qu’il récupère des chèques chez des clients pendant ses visites du matin. Il en profitait souvent pour lui demander : « Est-ce la bonne journée pour le faire?... » et il riait.
[44] À l’automne 2007, un autre attouchement plus flagrant se produit et se répètera à quatre reprises entre 2007 et 2009. L... saisit la main de la plaignante pour la forcer à l’introduire dans son pantalon et toucher son pénis. Le premier incident a lieu dans le bureau de la plaignante alors que les autres sont sortis dîner, fumer ou se promener dehors.
[45] En août 2008, la plaignante demande à L... une avance d’argent sur son salaire. Ce dernier lui dit qu’il faudra lui faire une faveur en échange. La plaignante refuse et sort de son bureau. L... reviendra ensuite voir la plaignante pour lui remettre le chèque demandé.
[46] L... la force à nouveau à toucher son pénis en 2008, à deux reprises, et elle résiste si énergiquement que son bras lui fait mal. Elle ne se souvient pas si son fils est assis ou non dans son bureau, car elle est trop occupée à se défendre. Elle explique qu’elle criait pour qu’il arrête et non pas pour alerter quelqu’un.
[47] À l’automne 2008, L... continue de toucher ses seins ou ses fesses avec ses doigts lorsque l’occasion se présente. Juste avant les fêtes de 2008, il la force à mettre sa main dans son pantalon pour toucher son pénis. La plaignante refuse de participer au « party » de Noël 2008. Le même jour, L... passe son doigt « en avant sur ses parties intimes ».
[48] En février 2009, alors que L... lui saisit les seins et l’égratigne, la plaignante se défend et l’égratigne à son tour sur le bras au point où il saigne. À cette occasion, la plaignante se confie à nouveau à T... pour dénoncer le harcèlement sexuel qu’elle a subi, cette dernière lui répond : « Tu as bien fait ».
[49] T... admet que la plaignante lui a fait cette confidence, mais dit n’avoir vu aucune égratignure sur le bras de L... le jour même. Elle ne revient pas le dire à la plaignante et ne rapporte l’incident à personne, car elle refuse de s’immiscer dans ce qui ne la concerne pas. À un autre moment, elle soutient servir d’intermédiaire entre les employés et L... pour transmettre leurs demandes.
[50] En mars 2009, L... saisit de force la main de la plaignante pour qu’elle la frotte sur le devant de son pantalon où la plaignante sent son pénis en érection.
[51] Selon la plaignante, le climat de travail est si licencieux qu’un employé masculin a dit : « … Un jour, L... va avoir des problèmes, il ne devrait pas faire cela aux filles ». À une occasion, elle se rappelle avoir dû se réfugier derrière le fils de L..., assis à son bureau, pour se protéger de L....
[52] De 2008 à juin 2009, L... lui envoie quelques vidéos érotiques où des femmes se masturbent ou se déshabillent. Elle les efface sur-le-champ. Il lui demande si elle les a vus ou si elle a aimé. L’un d’eux provenait d’une personne qu’elle connaissait chez son employeur précédent. Selon L..., un client lui a envoyé le vidéo (« a dirty piece ») et à la demande de la plaignante, il lui a retransmis le vidéo, ce que nie la plaignante. Ce client était un ancien collègue de la plaignante. L... n’a pas retracé ce courriel sur le serveur, malgré qu’il ait demandé à une firme externe de retrouver les courriels envoyés ou reçus sur l’ordinateur de la plaignante. Il nie avoir envoyé d’autres vidéos.
[53] Enfin, à l’occasion de la remise des diplômes de l’un de ses fils, L... montre la bague en diamant appartenant à sa femme en disant à la plaignante « qu’elle pourrait en avoir une si seulement… »
[54] En avril 2009, L... saisit à nouveau les seins de la plaignante qui se fait mal à l’épaule en se défendant. Elle consulte un médecin qui lui prescrit des anti-inflammatoires. Elle ment à J... en disant consulter un médecin pour un kyste. Elle a si mal que le fils de L... doit lui ouvrir la porte.
[55] Par ailleurs, L... souligne que dans l’un des courriels envoyés à son mari, le 29 juin 2009, la plaignante se plaint d’un mal de bras en raison d’une chute à la maison. Ce courriel a été retrouvé par L... sur l’ordinateur de la plaignante après son départ.
[56] L... poursuit également ses questions de nature sexuelle auprès de la plaignante. Il lui demande plusieurs fois si son mari et elle aiment mieux faire l’amour « par en avant ou en arrière ». Selon la plaignante, cette question devient si naturelle pour lui qu’il la pose comme s’il lui demandait ce qu’elle mange pour dîner. Lorsque son mari vient la voir le midi à l’heure du lunch, L... demande à son mari plus d’une fois, en blaguant : « Are you here for a quick one? » La plaignante hausse les épaules.
[57] En juillet 2009, environ une semaine avant la fin de son emploi, la plaignante est debout devant la porte du bureau de J..., qui est assise à l’intérieur. L... circule alors derrière la plaignante et lui passe les doigts sur les fesses alors qu’elle parle avec J.... La plaignante lui crie d’arrêter de faire ça. Selon la plaignante, J... a été témoin du geste posé, mais elle a baissé la tête et n’a rien dit, comme si ce geste ne la concernait pas.
[58] Pendant presque tout le témoignage de la plaignante, L... la fixe intensément du regard et d’une manière insistante.
[59] Interrogée sur les raisons pour lesquelles la plaignante a enduré si longtemps le harcèlement sexuel allégué, soit plus de quatre ans, la plaignante rappelle qu’en 2004, elle vient tout juste de reprendre son emploi et qu’elle en a besoin pour vivre. Elle demeure intimidée par l’image, voire l’autorité du patron, et croit que si elle parle, personne ne la croira ou qu’on lui imputera la faute.
[60] De plus, la plaignante craint de parler en raison de la présence de son frère dans son milieu de travail. Elle sait qu’il aurait appelé la police et elle ne voulait pas qu’il soit mêlé à cette affaire. Enfin, elle ne voulait pas bouleverser son mari, qui était malade.
[61] Ensuite, en 2007, la plaignante contracte une lourde hypothèque après l’achat d’une maison et d’une voiture. Son mari a une santé fragile, dit-elle, et elle doit continuer à travailler malgré l’enfer qu’elle vit au travail. Après le déménagement sur la rue B, son mari constate un tel changement dans son humeur qu’il lui suggère de laisser son travail, attribuant ses problèmes à sa relation souvent conflictuelle avec J.... Il insiste pour trouver un deuxième emploi, mais la plaignante sait très bien que sa santé ne lui permet pas. Elle persiste donc.
[62] La plaignante explique poursuivre une recherche intensive d’emploi en 2007 et en 2008 comme le démontrent de nombreux courriels et les alertes d’emplois reçues sur son ordinateur. Cependant, sa condition physique et morale l’empêche d’aller de l’avant. Elle doute, dit-elle, de ses capacités, éprouve des problèmes de concentration l’obligeant à mettre des Post-it partout, fait des erreurs dans son travail et n’a aucune résistance au stress. Elle a même dû interrompre une entrevue, tellement elle ne se sentait pas bien.
[63] T... la supporte également dans sa recherche d’emploi et lui envoie des courriels traitant d’emplois pouvant intéresser la plaignante. T... lui confie vouloir retourner aux études, ce qu’elle fera par la suite pour devenir aide-infirmière à partir de 2011. Elle travaille à ce titre le week-end.
[64] Sans revenir sur chacun des incidents allégués par la plaignante, L... nie toutes les allégations de harcèlement sexuel à l’égard de la plaignante ou des autres filles du bureau.
[65] L... n’a jamais touché les seins de la plaignante ni dans son bureau ni dans la salle de bain. Il n’a pas touché ses fesses ou ses parties intimes ni dans l’escalier ou ailleurs, ni montré son pénis ou forcé la plaignante à mettre sa main dans ou sur son pantalon. Par ailleurs, L... souligne que sa condition médicale ne lui permet plus d’être en érection comme le prétend avoir senti la plaignante. Il a d’ailleurs consulté un médecin qui pourrait venir en témoigner.
[66] L... nie également avoir eu une relation sexuelle avec Ly.... Il affirme être marié et souper tous les soirs avec sa femme. Selon lui, Ly... a quitté l’entreprise après qu’elle lui ait déclaré son amour et qu’il ait refusé ses avances en disant être marié et n’avoir aucun penchant pour elle. Selon L..., Ly... a eu une vie très difficile et il voulait lui donner une chance en l’embauchant.
[67] L... explique qu’il a peu de temps pour socialiser avec les employés. Il arrive généralement au bureau vers 10 h après la visite des clients et part après 17 h 30. Il discute avec les employés de 20 à 25 minutes par jour, soit le matin ou le soir et lorsqu’il mange en 10 minutes. Il fume dehors et n’entend pas de blagues de nature sexuelle. Il arrive que les employés lui parlent de leurs problèmes personnels. Il est intervenu deux fois pour aider le mari de la plaignante à se trouver un emploi.
[68] L... souligne que l’aménagement des bureaux que ce soit sur la rue A ou la rue B ne permet aucune intimité. D’une part, il y a des fenêtres aux murs intérieurs des bureaux et, d’autre part, il y a toujours quelqu’un d’autre au bureau lorsqu’il est là avec la plaignante. Si J... est partie, son fils est encore au bureau, car il part le dernier. Selon la plaignante, sur la rue B, son fils a des obligations familiales et peut partir plus tôt certains jours. L... rappelle également que le frère de la plaignante est intervenu sur la rue B lorsqu’il entendait une altercation entre sa sœur et J....
[69] Quant aux attouchements dans l’escalier sur la rue A, L... affirme que les chances de croiser la plaignante dans l’escalier sont quasi inexistantes et qu’il lui est facile d’alerter son frère ou quelqu’un d’autre.
[70] À l’opposé des allégations de la plaignante, L... dénonce la conduite de celle-ci à son égard. Il affirme qu’elle passait son doigt le long de son dos, car il est chatouilleux. Elle lui frottait le ventre en disant qu’il était trop gros ou le touchait avec son doigt (« poke him ») pour obtenir son attention.
[71] Selon L..., la plaignante est même provocatrice. Elle a touché ses fesses au moins 10 fois alors qu’il lui disait d’arrêter, ce que nie la plaignante. C’est lorsqu’il se rendait à son bureau pour déposer les reçus des clients qu’elle lui touchait les fesses, surtout entre 2005 et 2008, sans qu’il en fasse un enjeu (« big issue »). La plaignante a cessé de le toucher à la fin de 2008, mais il se tenait loin d’elle.
[72] L... dit n’avoir aucune discussion de nature sexuelle avec la plaignante. C’est elle qui, dans la cuisine, affirmait avoir eu « a doggie style relation » avec son mari entre 2007 et 2009. Elle l’a dit au moins sept fois et mentionnait différentes positions en donnant son appréciation.
[73] La plaignante lui a montré une photo alors qu’elle avait 18 ans en lui disant qu’elle rendait les gars fous. J... confirme avoir vu cette photo. L... affirme qu’il ne discute pas de sexe avec les employés. Peut-être la plaignante en parle-t-elle avec T..., mais certainement pas avec J... qui est plus stricte et pratiquante.
[74] L... dépose un courriel que lui a transmis la plaignante en décembre 2008 où elle se plaint qu’il fait trop froid dans le bureau et dans lequel elle ajoute : « ... tell the others to get naked if they’re warm. That’s a solution I will have something to look at». Il n’a reçu aucun courriel de la plaignante lui reprochant le harcèlement sexuel.
[75] L... souligne que la plaignante insiste à plus d’une reprise pour recevoir une augmentation de salaire en 2008 alors que personne n’en a eu en raison de difficultés financières. Elle le fait en décembre 2008, puis au printemps 2009 comme le démontrent leurs échanges de courriels à ce sujet. Par ailleurs, dans le courriel de février 2009, la plaignante lui mentionne qu’elle n’a pas le choix de travailler pour vivre.
[76] Selon L..., les allégations de la plaignante pour la période de janvier à mars 2009 sont non fondées, car il était en Floride au cours de cette période, sauf pour une semaine. Il tentait d’amorcer une retraite progressive. Durant ces trois mois, il estime être revenu au bureau pour 5 à 6 jours puis corrige pour 8 à 10 jours. Il dépose le relevé de ses dépenses aux États-Unis pour cette période et soutient être le seul à utiliser la carte de crédit américaine. Or, alors qu’il témoigne être à Montréal le 17, 19 et 23 février, son relevé indique des dépenses faites aux États-Unis à ces dates. L... convient qu’il a pu en laisser l’utilisation à sa femme.
[77] L... note également que le mari de la plaignante vient souvent dîner avec elle ou la chercher au bureau sur la rue B, beaucoup plus souvent que six à sept fois comme son mari le prétend, peut-être une vingtaine de fois. T... et le fils de L... le confirment.
[78] En juillet 2009, L... se rappelle que la plaignante était fatiguée, mais sans plus. Toutefois, après avoir retrouvé un des courriels envoyés à son mari en juin 2009, il constate qu’elle éprouvait des problèmes de somnolence au travail en raison de la prise d’un médicament. Interrogée sur le médicament qu’elle prenait, la plaignante répond qu’il s’agissait d’un somnifère. Pourtant, dans son courriel à son mari, elle affirme avoir pris ce médicament le matin après le déjeuner.
[79] L... savait que la plaignante prenait un médicament pour le cœur en raison de palpitations cardiaques. Lorsqu’elle s’énervait, il fallait la laisser revenir doucement en raison de sa condition. Il en a été informé en avril 2008 et la plaignante s’est même évanouie une fois dans la cuisine. La plaignante était une personne anxieuse et dont les réactions pouvaient être excessives («over reacted ») dans certaines situations.
[80] L... affirme n’avoir entretenu aucune relation avec Ly... après son départ vers la fin de 2006. Il lui a transmis une lettre de recommandation en mai 2008. Il croit n’avoir eu aucun contact avec elle depuis.
[81] Un courriel daté du 30 mars 2010 envoyé par L... à Ly... est déposé par la plaignante. L... lui écrit: « How are you. Hope all is well. Just saying hello ». Il explique, comme indiqué à l’objet du courriel : « I was typing and your name poped up », que voir son nom l’a incité à lui écrire, sans autre besoin particulier. À la question : « Saviez-vous qu’elle allait témoigner? », il répond qu’il ne demande aucunement à Ly... dans son courriel de l’appeler ou de faire quelque chose. Il ne se souvient pas si elle a répondu. L’avis de convocation pour la première journée d’audience prévue en mai 2010 a été envoyé en février 2010.
[82] La plaignante soutient également avoir été dénigrée et critiquée de façon vexatoire par L... et J..., sa superviseure. L... lui reproche de parler espagnol et de ne pas être bien comprise par les clients en anglais ou en français, d’être incapable de bien leur expliquer les problèmes et de ne pas utiliser suffisamment son cerveau pour mieux collecter l’argent. Il lui fait des commentaires négatifs sur son physique, disant que ses seins sont trop gros et qu’elle devrait les faire diminuer comme l’a fait sa femme.
[83] En avril ou mai 2009, la plaignante explique que L... n’est pas intervenu alors qu’un client lui disait avec arrogance, devant L..., qu’elle ne détenait aucun pouvoir. Ce commentaire était fait alors que la veille, la plaignante avait refusé « un crédit » à ce client en suivant les instructions données par L....
[84] Pour sa part, J... lui disait qu’en raison de son âge, la plaignante ne pourrait jamais trouver un autre emploi. De plus, elle criait souvent après elle pour critiquer son travail ou lui reprocher des erreurs amenant parfois la plaignante à répliquer de la même façon. La plaignante s’est pourtant plainte du comportement de J... à L... par courriel, mais ce dernier n’est jamais intervenu.
[85] J... est plus âgée que la plaignante. Elle travaille avec L... depuis près de 30 ans. Ils n’ont pas de relation en dehors du bureau bien qu’il y a longtemps, alors que sa femme était partie, L... lui ait demandé de rester avec sa mère et son fils encore jeune pour un week-end. Elle connaît la femme de L..., car elle vient à l’occasion au bureau. Elle décrit le milieu de travail comme étant une petite famille.
[86] J... affirme qu’elle ne crie pas après la plaignante, mais que son ton de voix est naturellement fort. Ainsi, elle peut élever la voix quand la plaignante refuse de faire ce qu’elle veut. Cette dernière lui répond de la même façon. Outre cela, leurs relations sont bonnes, mais la plaignante est peu ouverte aux changements ou à l’ajout de nouvelles tâches. Elle commet des erreurs en raison de son manque de connaissances en comptabilité. Quand J... essaie de l’aider ou de lui expliquer les tâches à accomplir, la plaignante s’énerve et J... préfère souvent accomplir le travail elle-même.
[87] J... part vers 16 h 45 ou 17 h. De son bureau, elle a toujours pu voir la plaignante assise au sien. Sur la rue B, elle part souvent avec la plaignante, sauf le lundi où J... part plus tôt.
[88] Ly... affirme avoir été témoin des relations conflictuelles entre J... et la plaignante alors qu’elles criaient l’une envers l’autre. J... lui mettait de la pression lorsque la plaignante demandait de l’aide.
[89] J... nie le fait que les gens se touchent entre eux au bureau ou que L... touche les filles de façon inappropriée. La Commission note sa grande nervosité lorsqu’elle répond aux questions concernant le harcèlement sexuel. Elle ajoute avoir enfermé L... dans la cuisine sur la rue A pour blaguer et qu’il l’a enfermée une fois dans la salle de bain sur la rue A pour la même raison il y a longtemps.
[90] Le frère de la plaignante travaille encore chez l’employeur. Au départ, il refusait de venir témoigner, car il a besoin de son travail pour vivre. Toutefois, après avoir été assigné à comparaître par L..., il décide de venir également pour sa sœur. Cette dernière l’a informé après la fin de son emploi avoir subi des attouchements sexuels et il se sent coupable puisque c’est lui qui l’a recommandée pour cet emploi.
[91] Son frère explique avoir entendu J... et sa sœur crier l’une envers l’autre. Il est venu à deux reprises s’interposer entre elles en mai et en juillet 2009. Il a déjà dit à J... que si elle ne voulait plus de sa sœur, de lui dire, mais de cesser de crier après elle.
[92] Le frère de la plaignante ajoute que les gens ont pris l’habitude de crier et de claquer les portes dans ce milieu. Il a entendu L... crier après sa sœur une ou deux fois et réciproquement. T... admet également hausser le ton parfois envers L... et vice-versa.
[93] Le frère de la plaignante a vu L... jouer et blaguer avec les filles du bureau. Il dénonce sa conduite en disant qu’il devrait y avoir une limite dans les relations qu’il entretient avec les filles et fait valoir la nécessité d’un code d’éthique. Il a vu L... tenir une employée par les poignets pour jouer, ce qui, dit-il, est incorrect de la part d’un patron. Il a vu L... pincer les côtes de sa sœur.
[94] Son frère se rappelle avoir entendu T... traiter L... de « pig » et une autre employée le traiter de «dirty old man ». Il en ignore cependant les raisons. Il se rappelle que sur la rue A, la plaignante mettait des boîtes à côté de son bureau. Il a très peur de perdre son travail, mais il accepte de témoigner, car il aime sa sœur.
[95] Le 28 juin 2009, la plaignante informe L... par courriel qu’elle veut prendre une semaine de vacances. J... l’a déjà approuvée, mais la plaignante ne l’a pas demandé par courriel à L.... Ce dernier refuse, car un autre employé est aussi en vacances. La plaignante est fatiguée et décide de partir pour son voyage planifié avec sa famille. Les bureaux sont fermés le 1er juillet et elle s’absente du jeudi 2 juillet au mardi 7 juillet. Elle revient le 8 juillet.
[96] Le 9 juillet 2009, L... lui écrit par courriel qu’elle est partie sans son accord et qu’elle doit le prévenir à l’avenir. La plaignante est en colère et écrit à son mari que L... vient de lui envoyer un « nasty email saying that for now on he will decided when I can take vacations ».
[97] J... affirme être venue voir la plaignante pour lui dire de se calmer, car elle pourrait être congédiée pour cette raison. Le ton a monté entre les deux et le frère de la plaignante est intervenu. La plaignante vérifie ses droits à la Commission des normes du travail concernant la prise de vacances. J... et T... préviennent L... de cet appel.
[98] Le vendredi 10 juillet, la plaignante ne vient pas travailler. L... demande de ses nouvelles à son frère qui lui dit que sa sœur a des douleurs à la poitrine. Elle revient travailler le lundi 13 juillet, sans que l’employeur lui fasse des reproches.
[99] L... souligne que la plaignante lui a déjà demandé de prendre l’été en congé afin de rester avec son fils de 10 ans qui était en vacances et l’appelait plusieurs fois par jour. Elle lui avait également proposé d’être payée au noir pour recevoir de l’assurance-emploi pendant l’été. Il a refusé. Ses demandes traduisaient, dit-il, sa volonté à ne plus travailler et expliqueraient les circonstances de son départ.
[100] Le 15 juillet 2009, T... transfère à la plaignante un courriel qu’elle envoie à L... pour se plaindre d’irritants liés à ses conditions de travail et du comportement de L.... Elle lui écrit notamment :
(…)
« your comments about me to other people in the office need to stop also. What I have agreed to you or owe you is between me and you. Not you and the whole office. To be honest I can’t wait to have the loan paid off, so I don’t have to hear you bad mouth or speak about me to other including (prénom de son fils). So that can stop any time also. I am going to call Rogers and see how much it is to cancell my cell phone contract as I don’t want it anymore. I will go and get my own pay as you go for the amount of time I spend on it or I will go with Telus through my mother».
(…)
(Reproduit tel quel, soulignement ajouté)
[101] T... admet utiliser des mots durs envers L..., mais ne pas avoir peur. Elle a transmis le courriel à la plaignante qui était au courant de son insatisfaction et qui voulait savoir comment T... s’adressait à L.... À ce moment, la plaignante soutient que T... la supportait et devait venir à l’anniversaire de son fils au cours de l’été. Peu après sa fin d’emploi, elles n’auront plus aucune communication entre elles et T... lui coupera l’accès à sa page Facebook.
[102] Le 16 juillet en après-midi, la plaignante éprouve des difficultés avec un outil de travail sur son ordinateur. Il s’agit d’un problème récurrent qui la retarde beaucoup dans l’accomplissement de ses tâches. Les versions de L... et de la plaignante diffèrent sur l’altercation qui s’ensuivra.
[103] Selon L..., alors qu’il est au téléphone avec un client, la plaignante apparaît à la porte de son bureau et lui demande d’un ton énervé, voire hystérique : « Je dois te parler, j’ai besoin de toi pour mon ordinateur ». Il lui demande d’attendre un peu et de quitter son bureau. Elle lui crie alors : « You fired me ». Ensuite, elle le pointe du doigt et le menace d’un air sérieux : « I gonna teach you a lesson ».
[104] L... affirme saisir l’urgence de la situation. Il interrompt son appel et se dirige à la réception pour dire à la plaignante, devant les autres employés, qu’elle n’est pas congédiée. La plaignante retourne ensuite dans son bureau et lui dans le sien. Toutefois L..., qui reste inconfortable avec la menace de la plaignante, décide d’aller la voir vers 17 h, mais elle est partie.
[105] À 4 h du matin, L... lui transmet un courriel de chez lui. Il sait qu’il sera absent du bureau le lendemain. Dans son courriel, il lui explique avoir un emploi du temps chargé et être souvent interrompu. Il revient sur l’incident de l’après-midi et admet avoir élevé la voix envers la plaignante parce qu’écrit-il, cette dernière l‘a provoqué. La plaignante ne recevra pas ce courriel. Quant au congédiement, il écrit notamment :
…I asked you to leave the office, only because of you attitude. I did not fire you. I asked you to leave because of your rude attitude. Then you stand in front of my office and demand your papers immediately. Again demanding I stop everything for you. Then you threaten me that I will be in big trouble. How do you think I feel when you threaten. It made me even more mad and I told you and you would not listen, I was not firing you, are you quitting … I never said you are fired. You were hot, it was near the end of the day, I ask you to leave…
(Reproduit tel quel, soulignement ajouté)
[106] Essentiellement, T... et le fils de L... confirment cette version, bien que le fils affirme que seule la plaignante criait lors de cette altercation. Quant à J..., elle ne se rappelle pas ce qui est arrivé ce jour-là.
[107] Selon la plaignante, elle se rend au bureau de L... pour lui parler de son problème avec ses outils de travail, mais ce dernier est occupé à l’ordinateur et lui demande de revenir. Elle sort alors de son bureau. Quand ils se parlent par la suite, L... se fâche, lui dit qu’il ne veut plus l’écouter, car elle ne lui apporte que des problèmes. La plaignante lui répond que ce n’est pas de sa faute, mais celle du système qui ne fonctionne pas. L... lui crie alors de s’en aller (« get out of my office »), qu’il ne veut plus rien avoir à faire avec elle. Il lui dit que si elle ne part pas, quelqu’un l’escortera à la porte. La plaignante comprend qu’il lui dit de quitter l’entreprise et non seulement son bureau.
[108] La plaignante se dirige énervée vers la réception et dit à T... qu’elle s’en va, qu’elle va récupérer ses affaires. T... lui suggère plutôt d’aller respirer dehors. La plaignante va voir son frère et l’informe avoir été congédiée. Ce dernier lui conseille de partir. Il lui recommande d’exiger son relevé d’emploi de peur que L... prétende qu’elle a quitté volontairement.
[109] La plaignante, très stressée, retourne à son bureau. Elle efface ou transfère certains courriels à la maison dans le but de se protéger.
[110] La plaignante demande à son mari de venir la chercher. Lorsqu’il arrive vers 17 h, L... fume dehors. La plaignante, qui craint une bataille entre les deux hommes, rassure son mari que tout va bien et lui demande de partir immédiatement.
[111] En fait, son mari l’amène à l’urgence le 16 juillet et elle y restera, dit-elle, de 17 h à 3 h. Elle dévoile tout au médecin qui indique dans son rapport : « anxiété et stress relié au travail ». Il inscrit notamment : « patron l’engueule lui aurait fait attouchements… » et « références données si désire porter plainte ». Selon la plaignante, le médecin lui conseille de consulter un psychologue et d’alerter la police.
[112] Le lendemain, la plaignante se présente au bureau avec son fils et son mari. Elle remet une note médicale autorisant un arrêt de travail. Elle demande son relevé de fin d’emploi au fils, car L... est absent pour quelques jours. Il lui explique qu’il doit attendre le retour de son père.
[113] Le 19 juillet 2009, la plaignante transmet le courriel suivant à T..., dans lequel elle fait référence au harcèlement sexuel qu’elle a subi :
hi T... i hope you're at work , i'm not doing to good i still have pain chest and have to take the medication, but i hope it goes away.
thank god i'm out of there , now is your turn i hope you do it in december, is not worht it to be in a place where you are being treated so bad emotionally and healthy wise it will really hurt your health eventually, after all the sexual harrassement too that you and i we had been going trough for so long i really don't know how i did it , i guess because i need it the job but now look at me my health is bad. i need to do a lot of test to see what’s going in what my heart, i had 3 attacks over the weekend i cannot stop crying and joe don't know what to do with me he blames himself for not doing nothing about it but i told him is not his fault he never knew about all the time (L...) was touching me and doing other things, i feel disgusted only buy thingking of it. anyways i don't really want to talk about it anymore. because i start crying and get the crises again i'm taking medication for it.
how are you? and your school push it hard T... , so you can get out of there.
p.s i will let you know about R.'s b-day ok if you still want to come you'r very welcome.
(Reproduit tel quel, soulignement ajouté)
[114] Le lendemain, T... lui répond de tout oublier et espère partir de l’entreprise au plus tard en janvier 2010 :
Hi!!
A, just relax and enjoy your time off. Your health comes first... Just try to forget about all the bullshit from this place.
I am actually going to take my course in Sept on the weekends. I can't afford to just go on EU. I have too many bills to pay right now. So either way I should be out of here by Jan the latest.
Call my cell …
Take Care and let me know about R.'s party. T...
(Reproduit tel quel, soulignement ajouté)
[115] Interrogée sur son commentaire « forget about all the bullshit from this place », T... explique faire référence aux pics d’activités et au stress reliés au travail et non pas au harcèlement sexuel.
[116] Le 21 juillet 2009, à son retour au bureau, L... apprend par T... que la plaignante ne reviendra pas. T... lui écrit que la plaignante est très stressée, qu’elle doit passer des tests pour le cœur et voir un psychologue « bc the way she was treated in here has affected her a lot ».
[117] L... tente deux fois de joindre la plaignante chez elle sans succès. Son mari lui dit qu’elle ne va pas bien. L... se rappelle que la plaignante voulait prendre congé pendant l’été et pense qu’elle obtient finalement ce qu’elle voulait, en simulant une crise et en tentant de lui en faire porter la responsabilité.
[118] T... témoigne avoir parlé au téléphone à la plaignante qui était, selon elle, au bord de sa piscine avec un verre de vin, ce que nie la plaignante car elle n’avait pas assez d’argent pour la faire réparer.
[119] La plaignante dépose un courriel daté du 3 août 2009 que T... adresse à L.... Contre-interrogée, T... ne comprend pas que la plaignante puisse l’avoir en sa possession et nie l’avoir transféré au frère de la plaignante. Elle manifeste son mécontentement à l’audience. Dans ce courriel, T... sermonne L... en lui disant qu’il n’a aucun reproche à lui faire concernant sa journée d’absence en raison de la maladie d’un membre de sa famille. Le ton du courriel est encore très direct, même étonnant si l’on considère que la réceptionniste écrit au président. Il se lit comme suit :
D.,
You really need to change certain things and how you are and speak to me. I am no longer going to be the one who speaks to you for the office but i am going to say this for myself..
You can not treat me and speak to me the way you have in the past 2 e-mails bc you are mad that I chose to take Friday off…He..(parlant d’un autre patron) would’nt send them an nasty email saying things about being fired, or making decisions between that and work. I had and emergency and I don’t regret taking time off….
(…)
(Reproduit tel quel, soulignement ajouté)
[120] Le 3 août 2009, la plaignante dépose une réclamation auprès de la CSST alléguant avoir subi une lésion professionnelle à la suite de harcèlement psychologique. Sa réclamation sera refusée. Elle dépose également une plainte auprès de la police.
[121] La plaignante est mariée depuis 19 ans. Son mari n’était pas au courant de la situation que vivait sa femme au travail, mais il l’a su après sa fin d’emploi. En 2008, il se rappelle cependant qu’elle lui a montré une photo de femme envoyée par L.... De plus, lorsqu’il allait la voir parfois à l’heure du lunch, L... lui a dit à quelques occasions : « You are here for a quicky ».
[122] Il estime avoir rendu visite à sa femme sur la rue B environ six ou sept fois, mais avoue ne pas les avoir comptées. Il allait aussi la récupérer le soir lorsque son lieu de travail était à côté du sien.
[123] Le mari de la plaignante affirme que sa femme était agitée à son retour du travail, pas tous les jours, mais souvent. Elle prenait de longues douches et pleurait régulièrement. Elle se plaignait des conflits avec J... ou des problèmes avec son ordinateur. Il a remarqué un « bleu » sur son bras et sa femme lui disait s’être frappée par accident. Elle ne donnait aucun détail sur ce qui se passait au travail.
[124] Son mari a constaté son changement d’humeur en cours d’emploi sans en comprendre la cause. Il affirme ne pas avoir eu de rapports sexuels depuis des années avec sa femme, ce que confirme la plaignante. Il s’agissait d’un problème pour le couple, mais il ne voulait pas la forcer. Il dit en avoir trouvé la raison en 2009 quand elle lui a confié avoir subi du harcèlement sexuel.
[125] Or, un courriel de juin 2009 retrouvé par l’employeur après le départ de la plaignante fait référence à une relation sexuelle que la plaignante et son mari auraient eue la veille. Bien que gênée, la plaignante explique qu’ils n’ont pas eu de rapport sexuel complet depuis des années, mais qu’ils ont eu du « sexe oral ».
[126] La plaignante affirme prendre des somnifères pour dormir depuis 2005. Elle a pris des pilules contre l’anxiété pendant son emploi. Elle avait des palpitations cardiaques et a consulté un médecin alors qu’elle était à l’emploi, sans arrêter de travailler. Le 16 juillet 2009, le rapport du médecin indique qu’elle prend déjà des antidépresseurs « Effexor ». Son moral s’est détérioré au point d’affecter sa vie de couple et sa relation avec son fils qui remarquait qu’elle n’était plus la même. Elle se sent soulagée d’être sortie de ce milieu.
[127] Après la fin de son emploi, elle a encore fait des crises de panique et d’anxiété et elle a dû consulter un psychologue. La note médicale rapportée à l’employeur le 17 juillet 2009 mentionnait « épisode dépressif et trouble de l’adaptation ». Elle se sent encore incapable de travailler dans un bureau. Elle préfère faire des ménages ou garder des enfants avec qui elle se sent mieux. Elle commence à peine à s’en remettre et pleure encore souvent. Elle pleure à plusieurs reprises lorsqu’elle rend son témoignage.
[128] Après la prise en délibéré, l’employeur demande à la Commission de rouvrir l’enquête. Il a pris connaissance d’un échange de courriel entre Ly... et la plaignante sur la page Facebook de cette dernière. Ce courriel fait mention d’une compensation monétaire offerte par la plaignante au témoin et l’employeur soutient qu’il s’agit d’un fait déterminant pour apprécier la crédibilité et le témoignage de Ly.... Cette information a été fournie à L... par T..., après la prise en délibéré. La plaignante s’oppose à la réouverture.
[129] La jurisprudence a précisé les critères à retenir lorsqu’il s’agit de décider d’une demande de réouverture d’enquête. Dans l’affaire Symons General Insurance Co. c. Rochon, J.E. 95-602 , la Cour d’appel les énumère, aux paragraphes 4, 5 et 6 :
[…] les critères à étudier lorsqu’un juge est saisi d’une telle demande : a) les nouveaux éléments de preuve découverts étaient inconnus du requérant au moment du procès, b) il lui était impossible, malgré sa diligence, de les connaître avant le procès, c) ces nouveaux éléments de preuve pourront avoir une influence déterminante sur la décision à rendre […];
[…] tous ces critères doivent être évalués les uns par rapport aux autres, à la lumière de toutes les circonstances de l’espèce;
[…] cette évaluation doit se faire de façon à permettre que la preuve, sur la foi de laquelle le jugement sera prononcé, soit la plus complète possible, et ce, dans l’intérêt de la justice […];
[Référence omise]
[130] Or, il s’agit ici d’une affaire de harcèlement sexuel délicate dans la mesure où les incidents allégués par la plaignante se produisent dans leur quasi-totalité en l’absence de témoin, alors que les protagonistes sont seuls. De plus, la Commission devra trancher entre deux versions contradictoires et Ly... est le principal, sinon le seul témoin, corroborant en partie le témoignage de la plaignante. L’appréciation de la crédibilité de ce témoin est donc déterminante dans cette affaire. La Commission exerce alors la discrétion dont elle dispose, notamment tel que le prévoit l’article 37 des Règles de preuve et de procédure de la Commission des relations du travail, pour vérifier si les allégations de l’employeur sont fondées, et ce, dans l’intérêt de la justice.
[131] T... explique avoir été choquée que l’un de ses courriels ait été transféré à la plaignante à son insu. Elle soupçonne son frère d’avoir fait cet envoi à partir de son poste à la réception. Elle cherchait aussi un autre courriel de la plaignante concernant des erreurs commises au travail.
[132] Or, à ce moment, dit-elle, elle se rappelle avoir déjà ouvert un compte Facebook pour la plaignante et choisi son mot de passe avec elle. L... lui demande alors d’y accéder et elle constate que le mot de passe est inchangé. Elle regarde les courriels de la plaignante et en transmet à L....
[133] T... affirme ne pas avoir été payée pour aller chercher les courriels sur Facebook, ni demander l’autorisation de la plaignante pour y accéder. Elle admet qu’elle était très fâchée.
[134] La preuve documentaire révèle ce qui suit. Le 25 juin 2011, Ly... écrit à la plaignante dans la section courriel de sa page Facebook :
Hi A, thank you for calling and for your concern, it was thoughtfull. I am unconfortable with requesting the offer you proposed to me with regards of a monatary compensation for my testamony, however if you are still ok with this offer, I would appreciate it. If not it is ok. I was happy to help. Again I appologise if I offended you and wish you the best no matter what. Take car Ly....
[135] Le 26 juin 2011, la plaignante répond :
Hi Ly... I will call u one of this day ok to talk about the situation and u have not offended me at all don’t worried. And please take care of your self if anything I can do for u I will thank you for telling the truth and for helping so many womens that don’t have the courage to talk because we r being intimidated, or just to scare to talk when we are being abuse that was me…take car too
[136] Ly... répond :
You’re right, we were abuses, you had a lot of courage and strength to take a stand- you should be proud of yourself. Take care
(Reproduit tel quel, soulignement ajouté)
[137] Ly... explique que la compensation offerte était pour la dédommager de la perte d’une journée de travail, d’autant plus qu’elle avait déjà perdu une journée à attendre sans témoigner et qu’elle était revenue une deuxième fois. Elle gagne 12 $ l’heure. Elle n’a pas témoigné en échange d’un montant d’argent. En fait, elle n’a jamais reçu d’argent de la plaignante, car elle sait qu’elle n’en a pas beaucoup. La plaignante confirme le témoignage de Ly....
[138] La preuve est sans équivoque. Ly... discutait uniquement d’une indemnité compensatoire pour la perte de sa journée de travail, ce qui est par ailleurs prévu à l’article 137.7 du Code du travail. En effet, toute personne assignée à témoigner devant la Commission a droit à la même indemnité que les témoins de la Cour supérieure ainsi qu’au remboursement de leur frais.
[139] Il y a donc une différence majeure entre le fait de compenser un témoin et le fait de l’acheter. Cette dernière option n’est aucunement en cause dans notre affaire. La crédibilité de Ly... n’est pas affectée.
[140] Par ailleurs, cette preuve fait ressortir un échange a priori privé entre la plaignante et Ly... puisqu’il a lieu dans la section « messages » de Facebook et non sur le babillard. Nous reviendrons sur cet échange dans l’analyse du litige.
[141] Enfin, la Commission ne peut conclure que cette preuve a été obtenue de façon illégale puisque la plaignante avait confié son mot de passe à T.... Bien que la plaignante ait été négligente en ne changeant pas son mot de passe et que T... ait abusé de sa confiance en y accédant sans autorisation à un moment où elles avaient cessé toutes relations, cette preuve n’apparaît pas irrecevable dans les circonstances.
[142] Deux questions sont ici en litige : 1) la plaignante a-t-elle été victime de harcèlement psychologique et plus particulièrement de harcèlement sexuel dans son milieu de travail? 2) A-t-elle démissionné de façon libre et volontaire ou fait l’objet d’un congédiement déguisé?
[143] Dans le cadre d’une plainte pour harcèlement psychologique déposée selon l’article 123.6 de la Loi, la plaignante doit établir la présence de tous les éléments de la définition retenue par le législateur à l’article 81.18 de la Loi, soit :
81.18 (…) une conduite vexatoire se manifestant par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés, qui sont hostiles ou non désirés, laquelle porte atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychologique ou physique du salarié et qui entraîne pour celui-ci, un milieu de travail néfaste.
Une seule conduite grave peut aussi constituer du harcèlement si elle porte une telle atteinte et produit un effet nocif continu pour le salarié.
(Soulignement ajouté)
[144] Selon l’article 81.19 de la Loi, l’employeur doit prendre les moyens raisonnables pour faire cesser le harcèlement lorsqu’il est porté à sa connaissance, mais ceci ne s’applique pas en l’espèce puisque le harceleur allégué est celui qui détient le plus haut niveau hiérarchique dans l’entreprise. Enfin, selon l’article 123.7 de la Loi, elle doit déposer sa plainte dans les 90 jours suivant la dernière manifestation de cette conduite.
[145] Dans son appréciation des faits, la Commission doit considérer le point de vue de la victime raisonnable, c’est-à-dire, celui d’une personne normalement diligente et prudente qui, placée dans les mêmes circonstances que la victime, estimerait que le présumé harceleur a commis des conduites vexatoires à son endroit. Dans cette perspective, la perception de la plaignante est essentielle, mais non déterminante (Breton c. Compagnie d’échantillons « National » ltée, 2006 QCCRT 0601 ).
[146] Selon ce recours, c’est la plaignante qui a le fardeau de prouver qu’elle a été victime de harcèlement. Elle doit donc établir, par prépondérance de preuve, qu’elle a été victime de harcèlement sexuel reconnu comme une forme de harcèlement psychologique. Autrement dit, bien qu’il ne soit pas requis que la preuve conduise à une certitude absolue, la plaignante doit démontrer que l’existence de ce fait est plus probable que son inexistence.
[147] En présence de versions contradictoires, la Commission doit déterminer laquelle est la plus probante ce qui nécessite d’apprécier les témoignages et la crédibilité des témoins (voir notamment Allard c. Industries Mailhot inc,. 2011 QCCRT 0411 ).
[148] Pour évaluer la crédibilité d’un témoin, la Commission retient les critères présentés par Léo DUCHARME dans son ouvrage, Précis de la preuve, 6e éd., Montréal, Wilson Lafleur ltée, 2005, p. 537 à 540. Ces critères sont les suivants :
· les moyens par lesquels le témoin a connaissance des faits;
· son sens d’observation;
· la fidélité de sa mémoire;
· les raisons qu’il a de s’en souvenir;
· son indépendance par rapport aux parties en cause.
[149] Selon l’auteur, il faut également tenir compte de sa manière de témoigner, soit son comportement, sa manière de répondre et ses sentiments manifestés durant l’instance. Enfin, un témoignage considéré faux sur un point ne doit pas être nécessairement rejeté en entier.
[150] Pour apprécier leur témoignage, la Commission tiendra compte également des critères suivants :
· la vraisemblance d’une version, en présence de versions contradictoires;
· la constance et la cohérence des déclarations, bien qu’une cohérence parfaite ne soit pas un facteur de garantie absolue surtout si les faits sont survenus il y a longtemps;
· la corroboration, particulièrement en présence de deux versions, sans toutefois que cela soit une garantie d’authenticité ou que la Commission soit tenue de croire un témoin qui n’est pas contredit;
· l’absence de contradiction sur les points essentiels, même s’il est possible de retrouver des variations sinon des contradictions lorsque plusieurs témoins racontent un même fait.
[151] Sur ce dernier critère, la Cour d’appel dans l’arrêt Lévesque c. La Reine, [1986] R.J.Q. 1586 , p. 10, écrit :
Il ne faut pas porter une attention trop grande aux contradictions qui ne portent pas sur les faits essentiels d’une cause ou sur des détails qui sont ou qui seraient dans votre appréciation peu ou pas importants.
(Soulignement ajouté)
[152] Finalement, un témoignage s’apprécie en fonction de l’ensemble de la preuve et non isolément. Bref, ces critères servent de guide à la Commission dans son appréciation de la preuve.
[153] Avant l’adoption en 2004 des dispositions contre le harcèlement psychologique, le harcèlement sexuel en milieu de travail a fait l’objet d’une jurisprudence abondante fondée notamment sur les législations en matière de droits de la personne et à laquelle il demeure utile de se référer dans le cadre de ce recours. (Dhawan c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, D.T.E. 2000T-633 (C.A); Habachi c. Commission des droits de la personne du Québec, [1999] R.J.Q. 2522 (C.A.); Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Québec (Procureur général), [1998] R.J.Q, 3397; Janzen c. Platy Enterprises ltée, [1989] 1 R.C.S. 1252 ; Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84 ).
[154] Ainsi, la Commission retient la définition de la Cour suprême dans l’affaire Janzen précitée qui décrit les diverses formes que peut prendre le harcèlement sexuel et ses conséquences dans un milieu de travail (p. 44 et 45) :
Le harcèlement sexuel est une pratique de nature sexuelle qui compromet l’emploi d’un individu, a des effets négatifs sur l’exécution de son travail ou porte atteinte à sa dignité personnelle. Le harcèlement sexuel peut être flagrant comme les regards concupiscents, les attouchements ou même l’agression sexuelle. Il peut être plus subtil et comprendre des insinuations sexuelles, des propositions de rendez-vous ou des faveurs sexuelles.
(…)
Le dénominateur commun de toutes ces descriptions du harcèlement sexuel est l’utilisation d’une situation de pouvoir pour imposer des exigences sexuelles dans un milieu de travail et de modifier de façon négative les conditions de travail d’employés qui doivent lutter contre ces demandes sexuelles.
[155] Quant aux effets du harcèlement sexuel sur l’atteinte à la dignité, l’un des éléments essentiels de la définition du harcèlement psychologique, la Cour suprême écrit ce qui suit (p. 50) :
Le harcèlement sexuel est une pratique dégradante, qui inflige un grave affront à la dignité des employés forcés de le subir. En imposant à un employé de faire face à des gestes sexuels importuns ou à des demandes sexuelles explicites, le harcèlement sexuel sur le lieu de travail est une atteinte à la dignité de la victime et à son respect de soi, à la fois comme employé et comme être humain.
(Soulignement ajouté)
[156] Enfin, il est clairement établi par la jurisprudence que le harcèlement sexuel constitue une forme de harcèlement psychologique (voir Savard c. Fortin, 2007 QCCRT 0295 ; A c. Restaurant A, 2007 QCCRT 0028 ; Houle c. 9022-3363 Québec inc. (Le Pub St-Donat enr.), 2007 QCCRT 0348 et Syndicat des salariés de manufacture de Lambton (CSD) c. Manufacture de Lambton ltée, R.J.D.T. 2004-9096 (T.A.)).
[157] Qu’en est-il en l'espèce?
[158] La Commission fait face à des versions contradictoires. Tenant compte de l’appréciation de l’ensemble des témoignages et de l’existence d’une preuve documentaire, elle conclut que la version de la plaignante est plus crédible et probante que celle de L....
[159] En effet, dans son témoignage, la plaignante a toujours livré une même version des faits à la fois cohérente et constante. Elle est crédible par la nature des détails qu’elle fournit et par son comportement au moment de témoigner. C’est avec conviction et une intensité soutenue qu’elle décrit le harcèlement sexuel subi et sur lequel nous reviendrons. Mais surtout, ce sont les dénégations de L... qui sont peu crédibles ainsi que son témoignage rempli de contradictions voire d’invraisemblances sur certains aspects.
[160] Mais résumons d’abord les conduites vexatoires à caractère sexuel que retient la Commission. Outre l’épisode déclencheur qui survient en décembre 2004, alors que L... lui exhibe son pénis dans son bureau, les autres conduites vexatoires sont les suivantes :
· Il lui a saisi les seins à plus d’une reprise et il l’a égratignée;
· Il lui a pris la main de force pour la mettre dans ou sur son pantalon à quatre reprises;
· Il lui a touché les seins, les fesses ou « les parties intimes » à plusieurs occasions;
· Il lui a fait des propositions sexuelles;
· Il lui a posé des questions à caractère sexuel;
· Il lui a fait des gestes à connotation sexuelle.
[161] Ces actes de harcèlement de nature sexuelle se sont produits durant plus de quatre ans, soit de décembre 2004 à juillet 2009, et ce, malgré le refus de la plaignante. En effet, soit elle refusait catégoriquement les attouchements flagrants, soit elle ignorait les sollicitations plus discrètes, tels les questions ou les gestes sexuels, ce qui constitue tout de même un refus implicite (voir l’affaire Dhawan, précitée).
[162] La longue période de harcèlement nécessite néanmoins de scruter les raisons expliquant le silence de la plaignante. Or, la Commission conclut qu’elles sont vraisemblables. Son besoin d’argent intensifié en 2007, la santé fragile de son mari, la peur de ne pas être crue et la présence de son frère dans son milieu de travail ont fait en sorte qu’elle se taise. Elle a fait des efforts considérables pour se trouver un autre emploi, mais sans succès. Outre ces facteurs, sa vulnérabilité est renforcée par sa difficulté à maîtriser le français, la rendant plus captive à ce milieu.
[163] Enfin, la Commission conclut que des conduites vexatoires sont survenues dans les 90 jours précédant le dépôt de la plainte, notamment en juin et en juillet 2009. En effet, bien que le dernier attouchement plus grave se produit en avril 2009 lorsque L... lui saisit les seins, d’autres incidents de nature sexuelle surviennent en juin et juillet 2009, auxquels s’ajoutent les questions ou insinuations à caractère sexuel qui se répètent sur une base régulière, voire hebdomadaire. Il y a également les cris et les paroles vexatoires prononcées par L... le 16 juillet 2009, tel qu’il sera traité plus avant.
[164] Alors que L... nie toutes les allégations de harcèlement, la plaignante décrit avec précision les conduites vexatoires survenues sur une longue période.
[165] Pour ce qui est des attouchements plus graves, tels lui exhiber son pénis, saisir ses seins, l’enfermer dans la salle de bain pour le faire, la forcer à mettre sa main dans ou sur son pantalon, la plaignante les situe dans le temps, indique le nombre de fois où ils se sont produits, précise avec détails les conditions dans lesquelles ils sont survenus et pourquoi ils ont lieu sans témoin. Certes, elle ne peut les dater précisément compte tenu des années écoulées et elle fait quelques allers-retours dans le temps sans toujours suivre une chronologie parfaite, mais sur les éléments essentiels, elle a maintenu sa position malgré de multiples questions.
[166] Quant aux attouchements avec les doigts, aux insinuations et aux propositions sexuelles plus subtiles ou furtives, la plaignante est crédible lorsqu’elle explique leur fréquence presque journalière ou hebdomadaire, selon qu’il s’agisse de la période sur les rues A ou B. Il est vrai que les bureaux avaient des fenêtres, mais il est également vraisemblable que la plaignante se soit retrouvée sans témoin à un moment de la journée où L... a pu agir comme la plaignante l’a décrit. D’autre part, et nous y reviendrons, il appert également que le milieu fermait les yeux sur les comportements de L....
[167] Sa version est corroborée par le témoignage de Ly..., qui sur la rue A, confirme avoir vu L... toucher les seins de la plaignante dans son bureau ou l’enfermer de force dans la salle de bain avec lui, alors qu’elle protestait.
[168] Ly... évoque également le climat licencieux ou libertin qui prévaut en décrivant l’attitude de L... envers elle et d’autres filles du bureau. Elle décrit sobrement ce qu’elle a vécu et vu dans ce milieu de travail. Elle a également vu L... enfermer de force T... ou une autre employée asiatique dans la salle de bain et entendu leurs protestations. La plaignante a vu L... toucher les fesses de T... alors qu’elle était à la photocopieuse.
[169] À cet égard, il est utile de rappeler qu’en matière sexuelle, la preuve d’actes similaires est permise du fait que les incidents surviennent souvent sans témoin. Cette preuve est ainsi admise afin de pallier l’absence de preuve directe, pour tester la crédibilité d’un témoin ou renforcer la valeur probante des allégations de la victime (voir sur l’admissibilité de cette preuve : Fraternité des policières et policiers de St-Jean-sur-Richelieu inc. c. Ville de St-Jean-sur-Richelieu (Robert St-Martin), [2009] R.J.D.T. 1542 (T.A.), Pelletier c. Securitas Canada ltée, 2004 QCCRT 0554 et Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Caisse populaire Desjardins d'Amqui, [2004] R.J.Q. 355 (T.D.P.Q.)).
[170] Ainsi, la Commission doit déterminer qui dit vrai quant à l’existence de la relation sexuelle entre Ly... et L.... Non pas parce qu’il s’agit de harcèlement sexuel, puisque la relation était consentante. Plutôt parce que l’existence ou non de cette relation constitue un élément dans l’appréciation du contexte et de la crédibilité de L....
[171] Or, la version de Ly... est plus probante que celle de L... quant à son existence. En raison notamment du climat de travail licencieux qui prévalait, de la différence d’âge marquée entre Ly... et L... et de la constance avec laquelle Ly... s’est exprimée à cet égard. Elle a témoigné de façon convaincante et directe sur cette relation avec L..., expliqué avoir d’abord participé aux blagues et puis compris ce qu’il cherchait, admis son amertume et reconnu avoir songé à porter plainte contre lui. Interrogée sur la nature de sa relation avec L..., elle a conclu : « qu’elle faisait partie intégrante de mon travail ». Comment sinon expliquer autrement son commentaire sur Facebook, lorsque Ly... écrit à la plaignante : « We were abused ». Se croyant seule, ni l’une ni l’autre ne tentait de convaincre qui que ce soit.
[172] À l’inverse, il est moins vraisemblable que Ly... ait déclaré son amour à L..., qu’il l’ait repoussée et qu’elle ait décidé de quitter cet emploi en raison de cette déception amoureuse, d’autant plus que L... affirme avoir embauché Ly... pour lui donner une chance vu sa vie difficile. Enfin, compte tenu de cette relation, le courriel de L... à Ly... envoyé en mars 2010 avant la tenue des audiences, apparaît être moins le fait du hasard qu’un désir de communiquer avec un témoin potentiel.
[173] Mais il y a plus.
[174] Le témoignage de la plaignante est également corroboré par une preuve documentaire qui fait référence au harcèlement sexuel subi, et ce, avec constance et à plus d’une reprise : le rapport du médecin daté du 16 juillet 2009, le courriel du 19 juillet 2009 envoyé par la plaignante à T... et le courriel du 25 juin 2011 sur Facebook avec Ly..., alors que les deux croient échanger privément. Ainsi, dans ce dernier courriel, la Commission constate que la plaignante remercie sa collègue Ly... d’avoir dit la vérité et déclare encore avoir été elle-même abusée.
[175] Enfin, deux témoins confirment avoir reçu les confidences de la plaignante sur le harcèlement sexuel subi pendant qu’elle était à l’emploi, Ly... et T..., sans que cette dernière admette qu’il s’agissait de harcèlement sexuel. Nous y reviendrons.
[176] Il y a quelques contradictions dans le témoignage de la plaignante, mais celles-ci ne portent pas sur des faits essentiels. À l’inverse de ce qu’elle affirme, la plaignante ne prenait certainement pas de somnifères le matin après son petit déjeuner et elle a vraisemblablement eu des rapports sexuels avec son mari, quelle qu’en soit la nature exacte, sur une période de quatre ans. Ces éléments demeurent cependant accessoires, lorsqu’on tient compte de l’ensemble de la preuve. Enfin, le courriel où elle demande à L... d’augmenter le chauffage et suggère que ceux qui ont chaud n’ont qu’à se déshabiller ne permet pas en soi de remettre en doute sa crédibilité, ni la vraisemblance de sa version, compte tenu des faits et de toute la période considérée.
[177] Il en va autrement de la version de L... qui est contradictoire sur des faits essentiels de son témoignage. D'abord, il se présente comme un patron trop occupé par son travail pour socialiser avec les employés, bien que cordial et attentif à leurs problèmes. Il ne passe qu’environ 25 minutes par jour en dehors de son bureau.
[178] Ensuite, non seulement il admet enfermer T... ou J... dans la salle de bain pour blaguer, mais étonnamment il affirme s’être laissé toucher les fesses par la plaignante une dizaine de fois sur trois ans sans qu’il s’agisse, dit-il, d’un enjeu (« big issue »). Après 2008, il se tenait loin d’elle pour éviter toute récidive.
[179] Cette version est invraisemblable compte tenu du lien de subordination qui existe et de sa position hiérarchique dans l’entreprise. L... est le seul qui peut exercer l’autorité requise pour assurer un milieu de travail exempt de harcèlement et il aurait toléré ces gestes de la part de la plaignante pendant trois ans. Ce reproche n’a pas l’apparence de la réalité. L’insistance de son regard sur la plaignante pendant qu’elle témoignait dénote par ailleurs sa volonté d’exercer une autorité sur cette dernière.
[180] De plus, L... admet avoir envoyé une vidéo érotique à la demande de la plaignante, ce que la Commission ne retient pas. En effet, ce courriel n’a pas été retrouvé malgré l’intervention d’une firme spécialisée dans la récupération de courriels effacés, alors que ceux de la plaignante l’ont été. La Commission retient qu’il lui a envoyé des vidéos érotiques jusqu’en juin 2009.
[181] L... affirme ne pas entendre de blague sexuelle ni parler de sexe au travail bien que T... et la plaignante puissent peut-être, dit-il, en parler entre elles. À un autre moment, il dit avoir entendu la plaignante six à sept fois affirmer qu’elle avait une relation sexuelle « doggie style » avec son mari ou commenter diverses positions sexuelles dans la cuisine.
[182] En fait, L... nie les allégations de harcèlement sexuel essentiellement en affirmant qu’il n’était jamais seul avec la plaignante ce qui est inexact surtout en fin de journée sur la rue A, ou sur la rue B à l’heure du lunch, où l’intérieur du bureau de la plaignante n’est pas visible de la cuisine et que les autres sont sortis. Il affirme que jamais il ne l’a touchée dans l’escalier, car les chances de la croiser étaient quasi inexistantes sur la rue A. Pourtant, il n’y avait qu’une dizaine d’employés et L... devait prendre l’escalier pour accéder à son bureau. Par ailleurs, la preuve révèle que des attouchements étaient faits à la plaignante même si Ly... ou J... étaient là.
[183] Le témoignage de L... fait ressortir d’autres contradictions. D'abord, il affirme être le seul utilisateur de sa carte de crédit aux États-Unis pour déterminer sa période d’absence du bureau en 2009, mais confronté à une preuve documentaire, il admet avoir pu la laisser à sa femme. Ensuite, il dit ne pas avoir communiqué avec Ly... depuis 2008, mais face au courriel de mars 2010, il admet l’avoir fait.
[184] Enfin, que penser du long courriel de L... envoyé à la plaignante à 4 h du matin le 17 juillet 2009. Certes, il n’était pas au bureau le lendemain. Mais l’urgence de lui écrire vise moins à confirmer qu’il ne l’a pas congédiée qu’à contrer l’inconfort qu’il ressent à la suite de la menace de « leçon » faite par la plaignante. Il admet cet inconfort lorsqu’il tente de la voir à 17 h le 16 juillet alors qu’elle a quitté. Cette crainte de dénonciation est d’autant plus sérieuse que L... sait que la plaignante a appelé la Commission des normes du travail la semaine précédente.
[185] Finalement, la Commission ne peut retenir les prétentions de L... selon lesquelles la plaignante aurait inventé toute cette histoire pour pouvoir profiter de son été sans travailler, comme elle le lui aurait demandé. En quoi cela pourrait-il expliquer qu’elle invente tous ces faits sur quatre ans, avec toutes les conséquences qui en découlent sur sa vie personnelle.
[186] La vraisemblance du témoignage de la plaignante ressort également lorsque la Commission le compare aux autres témoignages et qu’elle relie les faits les uns aux autres.
[187] Notons d’abord qu’il est admis par T... et J... que L... les enfermait dans la salle de bain pour blaguer. Elles nient cependant tout harcèlement sexuel. Or, leur crédibilité est minée par leur intérêt à témoigner. D’abord, il faut noter que T... travaille avec L... depuis 14 ans, qu’elle est toujours à l’emploi et que sa relation avec lui soulève à tout le moins un certain questionnement.
[188] D’une part, elle bénéficie d’un privilège en ce qui a trait à son téléphone cellulaire personnel. D’autre part, tenant compte de son niveau hiérarchique, T... adopte un ton familier et audacieux dans ses communications avec L..., inhabituel entre une réceptionniste et un président. De plus, elle dit obéir à la demande de L... lorsqu’elle consulte la page Facebook de la plaignante.
[189] Enfin, le lien de connivence qui existe entre T... et la plaignante pendant l’emploi, en raison notamment des confidences ou du support fourni, est non seulement rompu après que T... l’ait coupé de sa page Facebook, mais se transforme en une relation a priori nuisible pour la plaignante. En effet, T... s’introduit dans la page Facebook de la plaignante et transmet ses courriels à L..., alors que cet aspect ne relève pas de son travail. Sa démarche donnera lieu à une réouverture d’enquête. D’ailleurs, c’est en se référant constamment à L... que T... a livré son témoignage. Tous ces facteurs affaiblissent la valeur probante de son témoignage.
[190] Finalement, d’autres contradictions sur des faits essentiels entachent la crédibilité de T.... Contre-interrogée sur la nature des confidences qui lui sont faites par la plaignante sur le harcèlement sexuel subi, T... les banalise et soutient que la plaignante interprétait mal le caractère blagueur de L....
[191] Or, s’il s’agissait de blaguer, pourquoi T... ne dément-elle pas les propos tenus par la plaignante dans son courriel du 19 juillet 2009 où elle se plaint d’avoir subi du harcèlement sexuel et laisse entendre clairement que T... le subissait également? Pourtant, T... n’hésite pas à exprimer son désaccord lorsque nécessaire, notamment dans ses courriels à L.... En réponse au courriel de la plaignante, T... écrit pourtant : « Just try to forget about all the bullshit from this place ».
[192] Selon T..., ce dernier commentaire ferait non pas référence au harcèlement sexuel subi par la plaignante, mais au stress découlant des pics d’activités du bureau. Cette version n’est tout simplement pas crédible compte tenu du contexte et du caractère explicite du courriel qui réfère exclusivement au harcèlement sexuel.
[193] Ainsi, à la suite des dénonciations faites à T... et à Ly..., la Commission constate que la plaignante n’est pas confrontée à l’incrédulité de son milieu de travail, mais à l’acceptation par celui-ci d’un climat sexuel au travail, qui, dans le cas de la plaignante, va bien au-delà du mauvais goût ou des blagues.
[194] Quant à J..., elle est toujours à l’emploi de L..., et ce, depuis 30 ans. Dans son témoignage livré avec une nervosité manifeste, surtout lors des questions portant sur le harcèlement sexuel, sa mémoire est non seulement sélective, mais elle lui fait également défaut. Elle supervise la plaignante tous les jours depuis plus de quatre ans, mais ne garde aucun souvenir des évènements conduisant à sa fin d’emploi du 16 juillet 2009. Pourtant, L... a clamé haut et fort devant les employés qu’elle n’était pas congédiée.
[195] À l’inverse, elle se souvient d’une photo de la plaignante à 18 ans ou d’évènements survenus il y a longtemps. Enfin, bien qu’elle soit catégorique sur le fait que L... ne touche jamais aux filles, son témoignage ne contredit pas spécifiquement ce que la plaignante affirme avoir subi sous ses yeux en juillet 2009, alors que L... lui touche les fesses avec ses doigts.
[196] Le fils de L... corrobore la version de son père, mais la valeur probante de son témoignage est affectée par son intérêt à témoigner en faveur de ce dernier. Il l’exprime d’ailleurs candidement en déclinant tout ce que L... représente pour lui sur le plan filial. Son père est si gentil que les employés en prennent avantage. Selon le fils, c’est la plaignante qui provoque son père et le touche au ventre, sans fournir aucun détail de temps ou de contexte. Jamais il n’a entendu la plaignante vouloir attirer son attention. Ni le père ni le fils ne contredisent l’affirmation de la plaignante voulant qu’elle se soit réfugiée derrière le fils dans son bureau pour se protéger de L....
[197] Le frère de la plaignante témoigne quant à lui sobrement, tiraillé par la peur de perdre l’emploi qu’il occupe toujours et le lien qui l’unit à sa sœur. Par exemple, il dénonce, d’une part, le milieu licencieux où il n’y a pas de limite dans les relations que L... entretient avec les filles formulant même l’idée d’avoir un code d’éthique, mais d’autre part, il reconnaît sans détour que sa sœur criait également après J.... Enfin, bien qu’il confirme avoir entendu les qualificatifs de « pig ou dirty old man » sur L..., il admet en ignorer les raisons.
[198] Bref, un climat de sexualité dans l’environnement de travail ressort donc des témoignages du frère de la plaignante, de Ly... et dans une moindre mesure de T..., quand elle dit avoir été enfermée dans la salle de bain par L... pour l’avoir contrarié. Ce climat de sexualité constitue un autre élément important dans la démonstration prépondérante de l’existence du harcèlement sexuel. De plus, les attributs et les faits relatés quant au comportement de L... ne sont pas cohérents avec l’image du patron réservé qu’il dépeint.
[199] Qu’en est-il des autres allégations de harcèlement psychologique soit le dénigrement de la plaignante par L... et J... et le fait qu’ils criaient après elle?
[200] Sur ce point, la Commission croit que la plaignante a avisé L... de son insatisfaction quant à la conduite de J... qui criait après elle. En effet, tous les témoins sauf le fils ont noté que J... criait et cette dernière est non crédible quand elle affirme avoir seulement « élevé le ton ».
[201] Pris isolément, le dénigrement et les cris de L... et J... envers la plaignante n’atteindraient pas l’aspect vexatoire que la Commission leur attribue, notamment parce que la plaignante répliquait parfois en criant. Mais il faut garder à l’esprit que L... et J... sont en position d’autorité et que L... n’est jamais intervenu pour corriger la situation. Ces circonstances, jumelées au harcèlement sexuel subi, permettent d’expliquer la réaction émotive de la plaignante.
[202] Par conséquent, la Commission conclut que les propos dénigrants, ceux notamment selon lesquels la plaignante serait trop âgée pour se trouver un autre emploi, qu’elle n’apporte que des problèmes à L... ou qu’elle sera escortée à la porte, tout comme le dénigrement physique sur la taille de ses seins et les cris répétés à son égard s’inscrivent dans une continuité et s’ajoutent aux conduites vexatoires, Ces conduites constituent un exercice abusif de l’autorité et du pouvoir.
[203] Les effets nocifs du harcèlement sur la plaignante sont manifestes. Pendant son emploi, elle perd déjà sa concentration, l’estime d’elle-même ainsi que sa confiance dans ses capacités. Elle n’arrive pas à trouver un autre emploi et doit quitter une entrevue en raison de son état psychologique. Elle éprouve des palpitations au cœur.
[204] Ce harcèlement lui a occasionné des souffrances et des inconvénients dont les stigmates sont encore perceptibles aujourd’hui. Il a affecté sa relation de couple et familiale en raison de son changement d’humeur, de ses pleurs répétés et du secret qu’elle portait. Elle prend des somnifères pour dormir depuis 2005 et selon le rapport du médecin, des antidépresseurs avant la fin de son emploi. Le 16 juillet 2009, elle se rend d’ailleurs directement à l’urgence pour consulter un médecin.
[205] Après la fin de son emploi, le harcèlement sexuel subi laisse des séquelles psychologiques qui se manifestent par des crises d’anxiété et de panique. Des antidépresseurs et un suivi psychologique lui sont nécessaires.
[206] Pour conclure à une atteinte à l’intégrité psychologique ou physique, la Cour suprême, dans l’affaire Syndicat national des employés de l’Hôpital St-Ferdinand (CSN) c. Procureur général du Québec, [1996] 3 R.C.S. 211 , écrit :
97. (…) Le sens courant du mot « intégrité » laisse sous-entendre que l’atteinte à ce droit doit laisser des marques, des séquelles qui, sans nécessairement être physiques ou permanentes, dépassent un certain seuil. L’atteinte doit affecter de façon plus que fugace l’équilibre physique, psychologique ou émotif de la victime. D’ailleurs, l’objectif de l’art. 1, tel que formulé, le rapproche plutôt d’une garantie d’inviolabilité de la personne et, par conséquent, d’une protection à l’endroit des conséquences définitives de la violation.
(Soulignement ajouté)
[207] Suivant cet enseignement, la Commission conclut que dans cette affaire, il y a atteinte à la dignité et à l’intégrité psychologique de la plaignante en tant qu’employée et être humain. Son équilibre psychologique et émotif est affecté de façon plus que fugace et même si les séquelles ne sont pas permanentes, elles dépassent un certain seuil si on tient compte de la persistance des effets sur une si longue période. D’abord, le harcèlement a duré plus de quatre ans, de décembre 2004 à juillet 2009, et plus de deux ans après, en 2011, la plaignante éprouve encore de l’anxiété au point où elle relate les faits encore avec des sanglots et ne peut toujours pas travailler dans un bureau.
[208] La Commission accueille la plainte de harcèlement psychologique.
[209] La plaignante a-t-elle démissionné comme le prétend L... ou son départ a-t-il été forcé en raison du harcèlement sexuel subi de la part de l’employeur?
[210] Pour la Commission, la fin d’emploi de la plaignante résulte du harcèlement sexuel qu’elle a subi pendant plus de quatre ans de la part de la personne détenant le plus haut niveau d’autorité dans l’entreprise.
[211] Déjà, le 9 juillet 2009, notons que la plaignante réagit au courriel de L... concernant la prise de vacances, au point où elle s’absente le lendemain. Aucun reproche ne lui est fait à cet égard.
[212] Le 16 juillet, rien ne permet de croire que la plaignante veut démissionner quand elle rentre au travail. L’incident qui survient en après-midi lorsqu’elle se plaint de ses outils de travail modifie toutefois le cours des choses. L... se met en colère, crie après elle, lui dit de quitter le bureau et la menace d’être escortée à la porte. Certes, L... se ravise immédiatement devant les autres, pour lui dire qu’elle n’est pas congédiée. La plaignante retourne alors à son bureau et quitte vers 17 h. Qui plus est, L... le lui réitère dans son courriel envoyé à 4 h du matin.
[213] Mais il est trop tard. L’altercation du 16 juillet provoque la réaction de la plaignante qui ne reviendra plus au travail. Cette journée-là, un motif lui est donné pour mettre fin au harcèlement sexuel et psychologique qu’elle subissait depuis des années et quitter définitivement ce milieu de travail néfaste. C’est accompagnée de son mari et son fils qu’elle se présente le lendemain pour remettre un certificat médical et demander son relevé d’emploi.
[214] En utilisant sa situation de pouvoir, le harceleur a imposé à la plaignante des exigences sexuelles dans son milieu de travail et a modifié de façon substantielle et négative ses conditions de travail puisqu’elle a dû lutter contre ces demandes sexuelles. C’est en raison de ce harcèlement sexuel que la plaignante a été forcée de quitter son emploi. Il ne s’agit pas d’une démission libre et volontaire, mais d’une démission forcée qui constitue un congédiement déguisé (Farber c. Cie Trust Royal, [1997] 1 R.C.S. 846 , affaire Janzen, précitée).
[215] Ce départ donne le feu vert à un comportement conséquent de la part de la plaignante : elle se rend directement à l’urgence le 16 juillet 2009 et dévoile tout au médecin. Ensuite, non seulement elle informe son mari et son frère, mais écrit à T... dès le 19 juillet en nommant le harcèlement sexuel subi. Finalement, elle porte plainte à la CNT, à la CSST et à la police.
[216] La Commission conclut donc que le harcèlement psychologique à caractère sexuel subi par la plaignante a porté atteinte au droit de la plaignante, à sa dignité et à son intégrité psychologique. Elle a été forcée de quitter ce milieu de travail rendu néfaste et dans ces circonstances, sa démission forcée est assimilable à un congédiement déguisé.
EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail
ACCUEILLE la plainte en vertu de l’article 123.6;
ACCUEILLE la plainte en vertu de l’article 124;
ANNULE le congédiement survenu le 16 juillet 2009;
RÉSERVE sa compétence pour déterminer les mesures de réparation.
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__________________________________ France Giroux |
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Me Anne-Isabelle Bilodeau RIVEST, FRADETTE, TELLIER Représentante de la plaignante |
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Me François Demers |
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SPIEGEL SOHMER AVOCATS |
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Représentant de l’intimée
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Date de la dernière audience : |
21 décembre 2011 |
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/sc
AVIS :
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