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Barreau du Québec |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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N° : |
06-10-02558 |
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DATE : |
10 septembre 2014 |
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LE CONSEIL : |
Me JEAN PÂQUET |
Président |
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Me NORMAND AUCLAIR |
Membre |
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Me GUY SAINT-AUBIN |
Membre * |
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M. Sarto Landry |
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Partie plaignante |
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c. |
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M. le juge James Rondeau |
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Partie intimée |
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DÉCISION SUR CULPABILITÉ |
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Le plaignant agit pour lui-même.
Me Magali Lepage, assistée de Me Chloé De Ladurantaye, représente l’intimé.
Me Raymond Doré représente le Conseil de la magistrature.
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LA PLAINTE
[1] L’intimé fait l’objet d’une plainte disciplinaire portée en vertu du deuxième alinéa de cette disposition du Code des professions :
* En raison de sa retraite, le membre Guy Saint-Aubin a démissionné du tableau de l’Ordre des avocats le 1er avril 2014. Il n’est plus en mesure d’agir dans la présente affaire depuis cette date.
« 128. Un syndic doit, à la demande du Conseil d'administration, porter contre un professionnel toute plainte qui paraît justifiée; il peut aussi, de sa propre initiative, agir à cet égard.
Une plainte peut être portée, par ailleurs, par toute autre personne. Cette personne ne peut être poursuivie en justice en raison d'actes accomplis de bonne foi dans l'exercice de ce pouvoir. »
[2] Cette plainte disciplinaire est ainsi libellée :
« Je, soussigné, SARTO LANDRY, agronome, régulièrement inscrit au Tableau de l’Ordre des agronomes, déclare que :
Me James Rondeau, avocat de Rimouski, régulièrement inscrit au Tableau de l’Ordre, a commis des actes dérogatoires, entre autres, à l’honneur et à la dignité du Barreau du Québec, à savoir qu’il :
1. a, à Mont-Joli, le ou vers le 19 juin 2001, à la fin de l’audition dans le dossier de M. Michel Labillois devant l’Honorable Juge Jean Bécu, fait défaut d’agir avec honneur, dignité, intégrité, modération et courtoisie en tenant des propos déplacés, mensongers d’une façon arrogante contrevenant ainsi à l’article 2.00.01 du Code de déontologie des avocats, tel qu’il appert entre autres des éléments suivants :
« tu fais conter des menteries à tes témoins »;
« c’est tous des menteurs tes témoins »;
« Mireille Darly c’était une menteuse »;
- Il avait un comportement arrogant et menaçant. Il était fâché;
« Que Sarto gagnait ses causes en faisant mentir ses témoins »;
- Il a fait mention qu’il allait reprendre le procès de Michel Labillois après qu’il eu parlé à Me Jules Berthelot;
- Reproche à Sarto Landry relié à sa voiture Porche.
2. a, à Montréal, le ou vers le 19 juin 2001, à la fin de l’audition dans le dossier de M. Michel Labillois après la décision rendue par l’Honorable Juge Jean Bécu, tenu des propos faux à l’encontre de la décision du tribunal, et ce, en contravention à l’article 2.08 du Code de déontologie des avocats, tel qu’il appert entre autres des éléments cité ci-haut;
3. a, à Mont Joli, le ou vers le 19 juin 2001, à la fin de l’audition dans le dossier de M. Michel Labillois devant l’Honorable Juge Jean Bécu, utilisé des procédés déloyaux plus particulièrement des propos mensongers et des menaces contrevenant ainsi à l’article 4.03.03 du Code de déontologie des avocats, tel qu’il appert entre autres des éléments cité ci-haut;
se rendant ainsi passible des sanctions prévues à l’article 156 du Code des professions.
Et le plaignant demande justice.
À Québec, le 18 mars 2010
(s) Sarto Landry
SARTO LANDRY »
(Reproduction intégrale de la plainte)
[3] Cette plainte disciplinaire porte la date du 18 mars 2010 et a été déposée au greffe du Conseil de discipline du Barreau le 26 mars 2010.
[4] Le 26 avril 2010, l’intimé dépose une requête en rejet de plainte en vertu de l’article 143.1 du Code des professions, fondée sur le caractère abusif, frivole et manifestement mal fondé de cette plainte disciplinaire.
[5] Un appel provisoire est tenu le 25 mai 2010 et une audition est fixée le 28 octobre 2010 à Montréal.
[6] Le 18 octobre 2010, le plaignant demande une remise de cette audition qui lui est accordée le 20 octobre 2010.
[7] Le 1er novembre 2010, un nouvel avis d’audition convoque les parties pour une audition le 8 février 2011 à Montréal.
[8] Le 1er février 2011, Me Irving Gaul était désigné à titre de président suppléant pour disposer de cette affaire.
[9] Or, le 3 novembre 2010, le plaignant, par lettre au président du Conseil de discipline, avait demandé la tenue d’une audition à Rimouski ou à Mont-Joli.
[10] À la suite de sa nomination au titre de président suppléant, Me Irving Gaul refuse, le 4 février 2011, la demande formulée par le plaignant pour une audition à Rimouski ou Mont-Joli.
[11] Le 6 février 2011, le plaignant dépose une requête pour changement de district présentable le 8 février 2011, laquelle était rejetée, séance tenante, le même jour; il fut alors procédé à l’audition de la requête en rejet de plainte de l’intimé.
[12] Le 4 mars 2011, le président suppléant du Conseil rejette la plainte du plaignant et acquitte l’intimé de tous les chefs d’infraction qui lui étaient reprochés dans cette plainte disciplinaire.
[13] Le plaignant s’est pourvu contre cette décision rendue par le président suppléant devant le Tribunal des professions.
[14] Le Tribunal des professions a tenu audience le 19 avril 2012 et le 5 septembre 2012, rendait sa décision.
[15] Cette décision du Tribunal des professions accueillait l’appel du plaignant, infirmait la décision du président suppléant et retournait le dossier au Conseil de discipline du Barreau pour entendre la plainte en son mérite.
[16] À la suite de la décision du Tribunal des professions, des conférences de gestion ont été tenues par voie téléphonique par le président soussigné les 28 septembre 2012, 30 octobre 2012 et 14 décembre 2012.
[17] C’est à l’occasion de la conférence téléphonique du 14 décembre 2012 que les dates des 16 et 17 avril 2013 ont été retenues pour l’instruction et l’audition à Rimouski de cette plainte disciplinaire en son mérite.
[18] Le plaignant déposait cependant une plainte amendée le 14 avril 2013.
[19] Dès le début de l’instruction et de l’audition de cette plainte disciplinaire en son mérite, le 16 avril 2013, les amendements à la plainte déposés par le plaignant ont fait l’objet d’un débat entre les parties, qui s’est finalement conclu le 17 avril 2013 par le consentement de la procureure de l’intimé au dépôt de semblables amendements.
[20] Le Conseil a alors, séance tenante et unanimement, autorisé les amendements à la plainte, de telle sorte que celle-ci doit dorénavant se lire ainsi :
« Je, soussigné, SARTO LANDRY, agronome, régulièrement inscrit au Tableau de l’Ordre des agronomes, déclare que :
Me James Rondeau, avocat de Rimouski, régulièrement inscrit au Tableau de l’Ordre, a commis des actes dérogatoires, entre autres, à l’honneur et à la dignité du Barreau du Québec, à savoir qu’il :
1. a, à Mont-Joli, le ou vers le 19 juin 2001, à la fin de l’audition dans le dossier de M. Michel Labillois devant l’Honorable Juge Jean Bécu, fait défaut d’agir avec honneur, dignité, intégrité, modération et courtoisie en tenant des propos déplacés, mensongers d’une façon arrogante contrevenant ainsi à l’article 2.00.01 du Code de déontologie des avocats, et subsidiairement à l’article 59.2 du Code des professions, tel qu’il appert entre autres des éléments suivants :
« tu fais conter des menteries à tes témoins »;
« c’est tous des menteurs tes témoins »;
« Mireille […] Carli c’était une menteuse »;
- Il avait un comportement arrogant et menaçant. Il était fâché;
« Que Sarto gagnait ses causes en faisant mentir ses témoins »;
- Il a fait mention qu’il allait reprendre le procès de Michel Labillois après qu’il eu parlé à Me Jules Berthelot;
- Reproche à Sarto Landry relié à sa voiture Porche.
2. a, à Montréal, le ou vers le 19 juin 2001, à la fin de l’audition dans le dossier de M. Michel Labillois après la décision rendue par l’Honorable Juge Jean Bécu, tenu des propos faux à l’encontre de la décision du tribunal, et ce, en contravention des articles 2.01.01, 2.05 et 2.08 du Code de déontologie des avocats et subsidiairement à l’article 59.2 du Code des professions, tel qu’il appert entre autres des éléments cité ci-haut;
3. a, à Mont Joli, le ou vers le 19 juin 2001, à la fin de l’audition dans le dossier de M. Michel Labillois devant l’Honorable Juge Jean Bécu, utilisé des procédés déloyaux plus particulièrement des propos mensongers et des menaces contrevenant ainsi à l’article 4.03.03 du Code de déontologie des avocats et subsidiairement à l’article 59.2 du Code des professions, tel qu’il appert entre autres des éléments cité ci-haut;
se rendant ainsi passible des sanctions prévues à l’article 156 du Code des professions.
Et le plaignant demande justice.
À Québec, le 14 avril 2013
(s) Sarto Landry
SARTO LANDRY »
(Reproduction intégrale de la plainte amendée)
[21] On constate que les amendements autorisés ont essentiellement pour but sous les premier et troisième chefs d’infraction d’ajouter un renvoi à l’article 59.2 du Code des professions et sous le deuxième chef d’infraction, un semblable renvoi à l’article 59.2 précité du Code des professions de même qu’aux articles 2.01.01, 2.05 et 2.08 du Code de déontologie des avocats.
[22] Par ailleurs, il y a lieu de noter que le plaignant a renoncé le 16 avril 2013, après des échanges constructifs avec le procureur du Conseil de la magistrature, à faire entendre un représentant de ce Conseil.
[23] C’est donc dans ce contexte que l’instruction et l’audition de cette plainte disciplinaire ont été tenues dans un premier temps les 16 et 17 avril 2013, les travaux du Conseil s’étant poursuivi les 9 et 10 décembre 2013 pour leur complètement.
LA PREUVE
[24] Le Conseil a entendu successivement les témoignages de Michel Labillois, client du plaignant, de Kevin Castonguay, fils de Jocelyn Castonguay, de Jocelyn Castonguay, client du plaignant, de l’intimé, et finalement du plaignant.
[25] Les témoignages de ceux-ci associés à une importante preuve documentaire (pièces R(P)-1 à P-11 et I-1 à I-27) constituent l’essentiel de la preuve dans le présent dossier.
[26] De l’ensemble de la preuve, le Conseil retient plus particulièrement ce qui suit.
[27] En tout temps utile aux gestes reprochés à l’intimé, ce dernier est membre en règle du Barreau du Québec et dûment inscrit au tableau de l’Ordre des avocats.
[28] L’intimé devait cependant plus tard accéder à la magistrature et est aujourd’hui juge à la Cour du Québec, chambre criminelle.
[29] Le 19 juin 2001, se tenait à Mont-Joli le procès de Michel Labillois qui faisait face à des accusations après avoir échoué un test d’ivressomètre.
[30] Michel Labillois était alors représenté par le plaignant.
[31] L’honorable Jean Bécu, j.c.q., présidait le Tribunal et l’intimé représentait le Procureur général.
[32] À la fin du procès, l’honorable Jean Bécu, j.c.q., acquitte Michel Labillois et quitte la salle d’audience pour une courte pause avant de reprendre les travaux du Tribunal.
[33] Un seul autre dossier restait alors au rôle; il s’agissait d’une requête pour expertise sur un véhicule saisi dans ce qui allait devenir une affaire de recel où Jocelyn Castonguay, un autre client du plaignant, serait accusé formellement le 23 juillet 2001.
[34] Jocelyn Castonguay, accompagné de son fils Kevin, « attendait son tour » pour la présentation de la requête pour expertise sur un véhicule saisi.
[35] Nous y reviendrons.
[36] Pendant la pause, le plaignant prétend avoir été l’objet de propos inappropriés, tout comme ses clients Michel Labillois, Jocelyn Castonguay et son fils Kevin.
[37] Les propos reprochés apparaissent dans le libellé du premier chef d’infraction de cette plainte disciplinaire amendée.
[38] Le Conseil a entendu les témoignages des clients du plaignant et de l’intimé.
[39] Le plaignant a de plus offert son propre témoignage.
[40] Résumons d’abord le témoignage de l’intimé.
[41] Celui-ci affirme n’avoir aucun souvenir de l’incident rapporté par le plaignant et ses clients.
[42] Ce jour-là, le 19 juin 2001, il remplaçait à pied levé l’un de ses collègues et rien dans sa mémoire, tout comme dans les dossiers ou ses notes personnelles, ne lui rappelle un quelconque incident.
[43] C’est pourquoi il conclut en mettant en doute la véracité des propos qui lui sont prêtés et l’incident lui-même, arguant que si tel avait été le cas, il en aurait certainement souvenir.
LE TÉMOIGNAGE DE MICHEL LABILLOIS
[44] Son témoignage, en lien avec les reproches formulés, se résume en deux (2) éléments que la procureure de l’intimé rapporte ainsi lors du contre-interrogatoire de ce témoin :
« (…)
Q. O.K. Donc, la première chose, c’est ce que vous avez dit par rapport au fait que, on vous aurait dit quoi dire.
La deuxième chose…Puis corrigez-moi. S’il y a d’autres choses - hein ? - vous le direz. Et la deuxième chose que vous entendez, c’est que madame Carli aurait pas pu témoigner parce que, peut-être, elle était sous probation. Et qu’il allait s’informer à Jules Berthelot. C’est ça?
(…)
R. Oui.
(…) »[1]
[45] Or, le témoignage de Michel Labillois a été fort laborieux; il a eu beaucoup de difficulté et d’hésitation à rapporter les propos précis qu’aurait tenus l’intimé.
[46] Il utilise des formules comme celles-ci lorsqu’interrogé par le plaignant:
« (…)
Q. Qu’est-ce qu’il disait?
R. Bien. Comme de quoi qu’on aurait été brieftés, mois (sic) puis Mireille, puis que Mireille, elle a menti.
(…)[2]
R. (….) C’était comme… Bien pour moi, dans mes…c’était comme s’il nous aurait traités de menteurs, toute la gang. (…)
(…)[3]
Q. (…) Expliquez au Tribunal qu’est-ce qu’il dit, Maître Rondeau, exactement.
R. Bien, c’est… Dans ses mots, bien, comme…comme que, on aurait, comme si, toi, Maître Landry, tu nous aurais comme dit quoi…quoi dire par rapport aux questions, genre, ou… Tu sais, c’était comme ci, c’était comme ça. C’était… Pour moi, c’est comme je vous dis, c’est comme si on avait été là conter des menteries, là. Pour se défendre, pour… pour ça.
(…)[4]
Q. Monsieur… Maître Rondeau, là. Les… les termes que lui a utilisés.
R. Là, c’est… J’ai un petit manque dans ma mémoire, là. Je…
(…)[5] »
[47] Michel Labillois explique qu’au moment où l’intimé aurait tenu les propos reprochés, il était « sur le bord de quitter la salle d’audience », tout en jasant à cet endroit avec Jocelyn Castonguay et son fils Kevin, de même que le témoin Mireille Carli.
[48] Il ajoute, toujours lorsqu’interrogé par le plaignant:
« (…)
R. Ils étaient à côté de moi. Ils étaient pas bien, bien loin de moi parce que, il y a…je venais…je venais juste de leur parler, comme. Ça fait que, ils étaient là. Ils étaient…ils étaient sur place. On était toutes là dans le même rond, là.
Q. Dans…Vous étiez où par rapport à la salle d’audience?
R. Bien, comme…Il y a…il y a la grande porte, là, à Mont-Joli, là, puis t’as…t’avais deux (2) petits bureaux puis on était là, là, entre la porte puis les deux (2) petits bureaux, là.
Q. Près des bureaux.
R. Près des bureaux.
(…) »[6]
[49] Michel Labillois explique par ailleurs que la remise en question du témoignage de Mireille Carli et éventuellement la reprise du procès l’ont rendu nerveux.
[50] Et s’exprime ainsi lorsque contre-interrogé par la procureure de l’intimé :
« (…)
R. (…) ça m’a tenu sur le gros nerf même…
Q. O.K.
R. …comme deux (2), trois (3) jours après, chez nous, j’étais sur le gros nerf de ça.
(…) »[7]
[51] La preuve révèle cependant qu’après l’acquittement de Michel Labillois et malgré les craintes exprimées par ce dernier, aucune procédure d’appel n’a été déposée.
LE TÉMOIGNAGE DE KEVIN CASTONGUAY
[52] Le témoignage de Kevin Castonguay se veut plus précis; il est très affirmatif.
[53] Il contredit cependant celui de Michel Labillois lorsqu’il situe celui-ci assis près du plaignant au moment des propos prêtés à l’intimé, alors qu’il est lui-même dans la salle d’audience avec son père sur la deuxième rangée.
[54] Sous cet aspect, il ignore complètement le témoin Mireille Carli.
[55] Il s’exprime ainsi lorsqu’interrogé par le plaignant:
« (…)
Q. O.K. Là, vous me corrigerez mais, quand on suspend l’audience, d’habitude, tout le monde se lève.
R. Oui.
Q. Exact?
R. Oui.
Q. Donc, tout le monde s’est levé. Vous vous souvenez de ça.
R. Oui.
Q. En temps normal, quand le juge quitte, les gens sont invités à quitter la salle de cour. Est-ce que vous-même avez été invité à quitter la salle…
R. Non.
Q. …de cour? Non. Vous, vous restez dans la salle de cour…
R. Parce que même la greffière est restée à sa place.
Q. La greffière est restée à sa place. Et vous-même n’êtes pas invité à quitter la salle de cour.
R. Non.
Q. Non. Et, donc, le juge est parti. Les avocats ramassent leurs affaires. C’est exact?
R. Oui.
Q. O.K. Et, là, vous-même, une fois que le juge sort, vous vous rassoyez à votre place. C’est ça?
R. C’est ça.
Q. O.K. Et quand la… la discussion ou, enfin, le… les propos que vous attribuez à maître Rondeau sont dits, vous êtes donc assis en avant, dans la salle d’audience. C’est exact?
R. Oui.
Q. Avec votre père.
R. Oui.
Q. Assis à côté de vous.
R. Oui.
Q. Et monsieur Labillois, vous avez dit tantôt, était assis avec maître Landry. C’est exact?
R. Oui.
Q. O.K. Donc, pendant qu’il va y avoir cet… ces propos-là, est-ce que c’est clair, dans votre esprit, que monsieur Labillois est assis à côté de maître Landry?
R. Oui
(…) »[8]
[56] Kevin Castonguay explique que pendant le procès de Michel Labillois, l’intimé est devenu déstabilisé lorsque le plaignant a déposé un rapport d’expertise.
[57] Il est cependant le seul à témoigner en ce sens.
[58] Il s’exprime ainsi lorsqu’interrogé par le plaignant :
« (…)
Q. (…) un rapport d’expertise, où vous avez senti, là, que maître Rondeau était déstabilisé.
R. Oui.
Q. C’est exact?
R. Oui.
Q. Ça, est-ce que c’est très clair dans votre esprit? Vous avez vu une manifestation, là, de son état…
R. Oui. Oui, oui.
Q. … d’instabilité.
(…)
Q. (…) c’était un…un point tournant dans ce procès-là.
(…)[9]»
[59] Il est tout aussi affirmatif lorsqu’il ajoute que l’intimé serait devenu, à compter du dépôt de ce rapport d’expertise, « pas content » :
(…)
Q. … de James Rondeau qui vous a fait penser qu’il était vraiment, là, pas content…
R. Oui.
(…)[10]»
[60] La table était ainsi mise pour la suite : après l’acquittement de Michel Labillois, Kevin Castonguay décrit ainsi l’intimé lorsqu’interrogé par le plaignant :
« (…)
R. (…) il avait une certaine amertume, agressivité, frustration qu’il a montrées.
(...)[11]
Q. (…) Parce que, là, tout d’un coup, là, il devenait…il devenait agressif. C’est ça?
R. Oui.
(…)[12]
[61] C’est alors que l’intimé, en se dirigeant « d’un pas ferme » vers le plaignant, lui aurait formulé les reproches suivants :
« (…)
R. (…) «Tu peux bien gagner tes causes - il dit - tu les briefes, tu les prépares, tu leur dis quoi dire.»
(…)
Q. Je veux juste être sûr. Alors, vous avez dit : « Tu peux bien gagner tes causes, tes témoins, c’est tous des menteurs. » C’est ça?
R. C’est ça.
(…)
R. (…) Par la suite… par la suite, il dit… il dit : « C’est pour ces raisons-là, tu peux bien rouler en Porsche. » (…)
(...)»[13]
[62] Et d’ajouter ensuite, toujours lorsqu’interrogé par le plaignant :
« (…)
Q. Est-ce qu’il est pas exact de dire, Monsieur Castonguay, que ce que vous avez entendu, là, en lien avec le véhicule, je vous suggère, là que c’est la phrase suivante : «Tu peux bien rouler en Porsche et te payer toutes ces chars-là?» Est-ce que c’est ça que vous l’avez entendu dire?
R. Oui.
(…)
Q. Monsieur Castonguay? Donc, la référence aux véhicules, c’était pas uniquement une référence au véhicule Porsche. C’était aussi une référence à plusieurs autres véhicules. C’est comme ça que vous l’avez compris?
R. Oui.
(…) »[14]
[63] De l’avis de Kevin Castonguay, l’intimé était jaloux du plaignant.
[64] À ce chapitre, il s’exprime ainsi lorsqu’interrogé par le plaignant:
« (…)
Q. O.K. Donc, vous, votre perception, aujourd’hui, c’est que maître Rondeau était jaloux de maître Landry. Exact?
R. Jaloux.
Q. O.K. Jaloux, est-ce que vous reliez ça au fait que maître Landry a un véhicule Porsche?
Est-ce que c’est en fonction des autos, là?
R. C’était en fonction des autos.
(…) [15] »
[65] L’intimé aurait de plus fait référence au témoignage de Mireille Carli, toujours lorsqu’interrogé par le plaignant:
« (…)
R. (…) Puis il dit : «La madame…» il dit - je crois qu’il avait de quoi contre elle - il dit : «Peut-être de quoi de criminel.» Il dit : «Je vais fouiller puis - il dit - je vais faire rouvrir le dossier.»
(…) [16]»
[66] Kevin Castonguay conclut son témoignage en faisant référence dans son ré - interrogatoire à des événements ayant impliqué sa conjointe et deux policiers.
[67] Il prétend que ces derniers auraient tenté de convaincre sa conjointe de se tenir loin des Castonguay père et fils, une famille de voleurs.
[68] Il prétend de plus que ces derniers auraient suggéré à sa conjointe de rencontrer l’un de leurs collègues, qu’ils pourraient lui présenter agissant ainsi comme une agence de rencontres.
[69] Il prétend que ces policiers auraient tenté de faire signer à sa conjointe une déclaration incriminante.
[70] Il prétend enfin et surtout, que ces policiers avaient pour responsable l’intimé et que celui-ci ne pouvait ignorer leurs agissements.
[71] Nous y reviendrons.
[72] Enfin, il y a lieu de noter qu’au moment où l’intimé formule ses reproches, Kevin Castonguay s’est senti interpelé par la conduite de l’intimé, ce dernier l’ayant fixé du regard lui et son père au moment de formuler ses propos.
[73] Il s’exprime ainsi :
« (…)
R. Bien, au moment où ce qu’il a dit : « Tes témoins, c’est tous des menteurs », il s’est viré de bord puis il nous a regardés, tu sais, d’un ton incis… bien, d’une façon incisive puis en voulant un peu comme - je sais pas - nous effrayer ou nous déstabiliser.
(…) »[17]
LE TÉMOIGNAGE DE JOCELYN CASTONGUAY
[74] Jocelyn Castonguay fait d’abord état des circonstances entourant les accusations dont il a fait l’objet, la perquisition de sa résidence, son arrestation et sa détention.
[75] Il affirme qu’il ignorait que le véhicule acheté avait été volé.
[76] Il considère qu’il a été ainsi victime de procédures abusives dont il impute la responsabilité à l’intimé.
[77] Cependant, après avoir été déclaré coupable, il a fait l’objet d’une absolution conditionnelle au paiement d’une somme de cinq mille dollars (5 000 $) à une œuvre caritative.
[78] À l’instar de son fils Kevin, Jocelyn Castonguay ignore le témoin Mireille Carli et contredit Michel Labillois en le situant assis à côté du plaignant plutôt qu’à la sortie de la salle d’audience au moment des reproches formulés par l’intimé.
[79] Jocelyn Castonguay exprime les reproches formulés par l’intimé de la façon suivante lorsqu’interrogé par le plaignant :
« (…)
R. «Toi - Maître Landry - tes témoins, c’est toutes des menteurs. Tu leur contes des… des histoires puis des bateaux. » (…)
(…) »[18]
[80] Il ajoute de plus ce qui suit :
« (…)
R. (…) « Tu contes des histoires puis tu leur montes un bateau, à tes… à tes clients », puis il dit… puis il finit par la phrase en disant : « C’est… c’est pour ça… C’est bien pour ça que tu te promènes en Porsche.» (…)
(…) »[19]
[81] Et de conclure ainsi :
« (…)
R. (…) « Franchement - il dit - ce procès-là, il faut qu’il soit repris. » Il dit : « Je vais consulter maître Berthelot. » C’était maître Berthelot… Il dit : « Je vais consulter pour reprendre, ces… ce dossier-là. (…)
(…) »[20]
[82] Cependant, lorsque contre-interrogé par la procureure de l’intimé, il situe ces derniers propos au tout début de l’intervention de l’intimé auprès du plaignant plutôt qu’à la fin.
[83] À l’instar de son fils Kevin, Jocelyn Castonguay se plaint des policiers qui ont agi dans son dossier.
[84] Il prétend que ces derniers auraient fait du chantage et du harcèlement auprès de sa conjointe lorsqu’ils lui ont fait signer une déclaration par laquelle elle reconnaissait qu’il savait avoir acheté un véhicule volé.
[85] Il ajoute de plus, que l’intimé était au courant de ces agissements et qu’il a «endossé» ceux-ci à titre de responsable de son dossier.
[86] Enfin, Jocelyn Castonguay affirme avoir été affecté par la conduite de l’intimé au moment où ce dernier a formulé ses reproches au plaignant, particulièrement lorsque l’intimé l’a regardé dans la salle d’audience en prononçant les paroles rapportées précédemment.
[87] A ce chapitre, il partage les mêmes impressions que son fils Kevin.
[88] Nous y reviendrons.
LE TÉMOIGNAGE DU PLAIGNANT
[89] Le plaignant a offert son témoignage après avoir fait entendre Michel Labillois, le père et le fils Castonguay et l’intimé.
[90] Il valide et corrobore leurs propos en reprenant le même message, sans pouvoir cependant tout comme eux rapporter précisément les propos reprochés à l’intimé.
[91] Il s’exprime ainsi :
« (…)
R. Je m’aperçois qu’il s’approche et, là, il me fait la mention… - et je peux pas vous dire textuellement les… les mots qu’il a utilisés, là, mais - il a dit que mes témoins, c’était des menteurs; que madame Carli, elle avait… elle était en probation ou elle était dans une situation où elle pouvait pas témoigner, qu’elle avait menti devant le Tribunal; que, il allait faire rouvrir le dossier. Rouvrir, il m’a pas dit comment, mais il acceptait pas la décision du juge. Et il m’a dit que l’exercice que je faisais, c’est que je préparais les témoins pour les faire mentir au tribunal, de façon telle à faire en sorte, là, que je puisse gagner ma cause.
Donc, les paroles qu’il a utilisées, c’est que je confectionnais de la preuve, je… j’utilisais… je leur disais quoi dire pour éventuellement instruire le tribunal pour essayer de gagner à la cour. Et qu’il communiquerait avec Jules Berthelot. Je connaissais bien Jules parce que Jules était procureur de la Couronne à New Carlisle, à l’époque. Que, il communiquerait avec lui pour avoir de l’information à l’égard de madame Carli.
Puis que… qu’il comprenait ou qu’il… Il a fait allusion à ma Porsche (…)
(…)
Il a fait allusion que mon… le fait, là de faire une démarche qui était pour lui inappropriée - hein? - avec mes clients me permettait de gagner la cause et de pouvoir rouler en Porsche.
(…) »[21]
LES AUTRES PROCÉDURES MUES ENTRE LES PARTIES ET LES CLIENTS DU PLAIGNANT
LE RECOURS EN DOMMAGES-INTÉRÊTS DES CASTONGUAY À L’ENCONTRE DES POLICIERS ET DE L’INTIMÉ
[92] La preuve révèle que Jocelyn Castonguay et son fils Kevin sont restés très amers à la suite des accusations criminelles dont le premier a fait l’objet.
[93] À telle enseigne, qu’ils ont décidé d’entamer des procédures en dommages-intérêts contre l’intimé et les policiers impliqués au dossier.
[94] Il y eut d’abord une mise en demeure le 10 juillet 2002 (pièce I-5).
[95] Jocelyn et Kevin Castonguay, représentés par le plaignant, réclament 150 000 $ conjointement et solidairement contre les deux policiers pour « l’utilisation de vos pouvoirs et fonctions et l’abus flagrant que vous en faites » et dans le cas de l’intimé pour « une faute lourde s’apparentant à malversation » (pièce I-5).
[96] Et le plaignant d’ajouter dans cette mise en demeure « que penser des agissements de Me Rondeau qui est un procureur de la Couronne supposément expérimenté? Vos agissements ont causé des dommages inestimables à nos clients …» (pièce I-5).
[97] La mise en demeure étant demeuré sans réponse, des procédures formelles en dommages ont été entamées par Jocelyn et Kevin Castonguay le 6 août 2002 à l’encontre des policiers et de l’intimé.
[98] Kevin Castonguay, lorsqu’interrogé par le plaignant, s’exprime ainsi quant aux motifs militant en faveur de ses procédures :
« (…)
Q. O.K. Et est-ce qu’il est pas exact de dire que, lorsque vous allez entreprendre, avec votre père, la poursuite civile, vous allez l’entreprendre sur la base que, selon vous, maître James Rondeau a été négligent et de mauvaise foi dans la poursuite contre votre père pour les accusations criminelles? C’est exact?
R. Oui.
Q. Donc, au départ, la base de l’action civile, c’est le fait que vous et votre père considérez que James Rondeau a mal agi en poursuivant votre père pour recel. C’est exact?
R. Oui.
Q. Et, donc, vous avez tous les deux (2) pris une requête pour atteinte à votre réputation respective. C’est exact?
R. Oui.
(…)»[22]
[99] Jocelyn Castonguay, lorsqu’interrogé par le plaignant, quant à lui s’exprime ainsi:
« (…)
Q. (…) Quels sont les reproches que vous formulez à l’égard des policiers et de maître Rondeau, de par cette requête-là?
R. Bien, c’et… c’est d’avoir endossé les deux (2)… d’avoir endossé les deux (2) policiers d’avoir fait de pareils agissements.
Q. O.K.
R. Oui.
(…)
Q. Quel genre de comportement qu’ils ont eu à l’égard de votre dame, ces policiers-là?
R. Ah! C’était du chantage, du harcèlement.
(…) »[23]
[100] Or, ces procédures furent amendées le 29 octobre 2003, pour y ajouter l’incident du 19 juin 2001 (pièce P-3). Les amendements décrivent les incidents du 19 juin 2001 tels que rapportés par les témoins dans le présent dossier.
[101] Contre-interrogé par la procureure de l’intimé à ce sujet, Jocelyn Castonguay explique ainsi les amendements :
« (…)
R. (…) On l’a fait parce que… C’était un besoin, là. En tout cas. Moi, je pense que… quand j’en avais discuté avec maître Landry, qu’il fallait que ça soit là parce que ça renforçait réellement l’impact qu’on voulait.
(…) »[24]
[102] Le 14 novembre 2003, l’honorable Jean Lemelin, j.c.s., accueille une requête en irrecevabilité et rejette l’action des Castonguay (pièce I-2). Dans son jugement, l’honorable Jean Lemelin, j.c.s., s’exprime ainsi :
« 1. L’intimé, Me James Rondeau, est substitut du Procureur général à Rimouski. En cette qualité, il est poursuivi par les requérants en dommages-intérêts pour atteinte à la réputation et diffamation. L’intimé Rondeau demande que l’action contre lui soit rejetée pour le motif qu’elle serait irrecevable en droit (165.4 C.p.c.) et qu’elle est frivole et non fondée (75.1 C.p.c.).
(…)
6. Il est admis qu’aucune procédure n’a été intentée à ce jour contre le requérant Kevin Castonguay. La poursuite de ce dernier contre Me Rondeau est donc irrecevable.
(…) »
[103] Après avoir ainsi exclu Kevin Castonguay, l’honorable Jean Lemelin, j.c.s., ajoute :
« (…)
10. Au paragraphe 46 de leur requête introductive, les requérants alléguent que l’intimé Rondeau aurait agi de mauvaise foi et fait preuve d’insouciance, de négligence et de témérité dans l’administration de la preuve de la preuve destinée à porter des accusations criminelles contre Jocelyn Castonguay. Il aurait tenu des propos hautement diffamatoires qui sont décrit comme suit aux allégations ajoutées par amendement à la requête introductive :
48.1 De plus, Me James Rondeau a lui-même tenu des propos hautement diffamatoires à l’égard des requérants et ce, alors que ceux-ci étaient au Palais de justice de Rimouski et devait rendre témoignage dans un autre dossier, à savoir le dossier portant le numéro 135-01-001955-006, tel qu’il sera démontré lors de l’audition;
48.2 En effet, Me James Rondeau a mentionné aux requérants qu’ils étaient des « menteurs » faisant ainsi référence au dossier 135-01-002146-019 qui implique les requérants, tel qu’il sera démontré lors de l’audition;
48.3 Me James Rondeau, qui a prononcé des propos clairement diffamatoires à l’égard des requérants, à chaque fois qu’il les apercevait, les pointait du regard et adoptait un comportement extrêmement arrogant;
48. En conséquence, les requérants se sont sentis directement visés, intimidés, humiliés et extrêmement déçu de constater qu’un substitut du procureur général, qui est un officier de justice puisse avoir un tel comportement et tenir de tels propos;
48.5 Les agissements de Me James Rondeau ainsi que les paroles qu’il a prononcées à l’égard des requérants ne cadre aucunement dans son mandat de Substitut du procureur général et ne doivent être tolérés;
48.6 Les agissements de Me James Rondeau sont abusifs;»
11. Dans le cadre de l’examen de la demande d’irrecevabilité, ces allégations doivent être tenues pour avérés. (…)
(…)
13. Les tribunaux doivent être prudents lorsqu’ils ont à décider d’une demande de rejet d’action en vertu de l’article 75.1 du Code de procédure civile de crainte de faire perdre des droits à une partie. La frivolité et l’absence de chance de succès doivent être claires.
14. Mais si un tribunal est convaincu que la demande est frivole et n’a aucune chance de succès, elle pourra être rejetée à la demande de la partie poursuivie, évitant à cette dernière de subir les coûts et les inconvénients d’une poursuite non fondée.
15. Dans le présent cas, les deux requérants furent interrogés au préalable. Ces interrogatoires font voir que les témoins supposent que l’intimé Rondeau a été impliqué dans l’enquête policière à leur sujet, sans pouvoir être plus affirmatifs. Ils croient qu’il y aurait participé directement et l’aurait même dirigée et présument que cette enquête aurait mené à la poursuite contre Jocelyn Castonguay.
16. Cette supposition des requérants repose sur deux faits qui sont fidèlement décrit à la requête de l’intimé Rondeau comme suit, avec des références spécifiques à la transcription :
« a) Après que le requérant Jocelyn Castonguay eut été mis en état d’arrestation, ce dernier a été questionné par les policiers enquêteurs qui désiraient notamment connaître l’identité de son « boss ». L’intimé Dany Samson lui aurait alors cité l’exemple des policiers qui travaillaient eux aussi sous l’autorité d’un « boss » : « (…) il dit, nous on en a bien un « boss »; nous autres, on a le procureur de la Couronne, entre autres, monsieur Rondeau. (Transcription sténographique de l’interrogatoire de Jocelyn Castonguay, p. 12)»
b) À une date qu’il situe en juin 2001, alors qu’il était au Palais de justice de Mont-Joli, le requérant Jocelyn Castonguay affirme avoir entendu certains propos que Me James Rondeau adressait vraisemblablement à Me Sarto Landry au sujet d’un dossier qui ne concernait en rien, par ailleurs, le requérant Jocelyn Castonguay. Me James Rondeau aurait alors dit, tout en jetant un regard « arrogant » sur le requérant Jocelyn Castonguay et son fils : « (…) toi …tes témoins… c’est tous des menteurs. » (Transcription sténographique de l’interrogatoire de Jocelyn Castonguay, p. 15-16). »
17. Il appert aussi des interrogatoires que les requérants n’ont mentionné aucun autre fait qui pourrait soutenir leur prétention que l’intimé Rondeau, ès qualités de substitut du Procureur général, aurait été impliqué dans la poursuite contre Jocelyn Rondeau, qu’il aurait engagé sa responsabilité civile pour atteinte à la réputation ou diffamation ou même qu’il aurait agi de manière malveillante ou de mauvaise foi.
18. Même en faisant preuve de la plus grande prudence, il n’est pas possible de soutenir juridiquement que la poursuite dirigée contre l’intimé Rondeau a quelque chance de réussir. La référence, par les policiers, à un « boss » en parlant des procureurs de la Couronne, dont Me Rondeau, est complètement étrangère aux faits ou gestes qu’on pourrait imputer à l’intimé Rondeau. De même, la référence qu’aurait faite Me Rondeau à des témoins qui sont des « menteurs », même si elle était vraie et prouvée, son fondement est beaucoup trop fragile pour porter quelque espoir de réussir sur la poursuite en diffamation dans l’exécution de ses fonctions comme substitut.
19. D’abord, les allégations ajoutées à la requête introductive sont à l’effet que les paroles diffamatoires ont été prononcées alors que les requérants étaient présents au Palais de justice de Rimouski pour un autre dossier. Une erreur cléricale explique peut-être le fait que l’allégation ajoutée réfère au Palais de Rimouski alors que la transcription de l’interrogatoire réfère au Palais de justice de Mont-Joli. De plus, l’interrogatoire de monsieur Jocelyn Castonguay fait voir que le dossier au sujet duquel Me Rondeau aurait fait référence à des témoins « menteurs » n’était par le dossier du requérant Jocelyn Castonguay. (…)
(…)
20. Tout au plus peut-on retenir qu’au moment où l’intimé Rondeau aurait prononcé ces paroles, il aurait, comme le dit Jocelyn Castonguay, balayé la salle de son regard. Voir dans cela un fondement, si mince soit-il à une poursuite en diffamation tient de la fabulation ou de l’invraisemblable. La requête introductive d’instance des requérants ne fait état d’aucun fait concret susceptible de mener objectivement à la conclusion que l’intimé Rondeau aurait engagé sa responsabilité à titre de substitut du Procureur général pour atteinte à la réputation ou diffamation.
(…) »
[104] Or, malgré la décision de l’honorable Jean Lemelin, j.c.s., du 14 novembre 2003, Kevin Castonguay demeure toujours convaincu à l’occasion de son témoignage dans le présent dossier, que l’intimé était le maître d’œuvre des accusations de recel portées à l’encontre de son père.
[105] À ce sujet, lorsqu’interrogé par le plaignant, s’exprime ainsi :
« (…)
Q. (…) Alors, malgré ces conclusions-là, là, vous en venez encore à la conclusion, dans votre esprit, à vous, que celui qui a poursuivi votre père, c’est James Rondeau. C’est ça?
R. Oui.
(…)»[25]
[106] Les témoignages de Jocelyn et Kevin Castonguay nous révèlent de plus que ces derniers ont porté plainte au syndic du Barreau, demandant à ce qu’une enquête soit faite sur la conduite professionnelle de l’intimé.
[107] Kevin Castonguay s’exprime ainsi à ce sujet, lorsqu’interrogé par le plaignant :
« (…)
Q. Oui? Vous avez… Est-ce que vous avez porté plainte au Barreau contre maître Rondeau?
R. Oui.
Q. Oui? Et, ça a pas été retenu.
R. Non.
Q. C’est exact? Non ? Votre père aussi a porté plainte contre maître Rondeau au Barreau?
R. Oui.
(…) »[26]
LE RECOURS EN DOMMAGES-INTÉRÊTS DU PLAIGNANT À L’ENCONTRE DE L’INTIMÉ EN LIEN AVEC L’AFFAIRE BEAULIEU
[108] Le 21 août 2003 le plaignant entame des procédures en dommages pour diffamation contre l’intimé.
[109] Il lui réclame alors la somme de 111 335,68 $.
[110] L’honorable Michel Richard, j.c.s., entend la cause le 31 mars 2005 et le 4 mai 2006, rejette l’action du plaignant (pièce I-1).
[111] Pour bien situer le débat, il convient de rappeler le contexte factuel ayant mené à ces procédures.
[112] Dans son jugement du 4 mai 2006, l’honorable Michel Richard, j.c.s., le résume ainsi : (Pièce I-1)
« (…)
7. Le 4 août 2001, le demandeur se présente chez son garagiste, M. Beaulieu, en compagnie d’un de ses clients. Il y allait récupérer certaines pièces manquantes de son camion Jeep qu’il avait auparavant confié à M. Beaulieu pour travaux de carrosserie et de peinture. Me Landry prétend qu’il y était attendu et que le garagiste Beaulieu l’avait expressément autorisé à quérir ses pièces.
8. Le mandat confié au garagiste Beaulieu avait été retiré peu de temps avant. La qualité des travaux jusqu’alors exécutés ne satisfaisait pas le demandeur. Il semble bien qu’un solde impayé soit à l’origine des discussions tenues sur place.
9. Le demandeur, qui prétend ne rien devoir à M. Beaulieu, veut récupérer ses pièces. Il essuie un refus du garagiste qui entre-temps avait consulté un avocat. Une altercation s’ensuit. Pour le demandeur, il n’a pas frappé en premier et il n’a fait que se défendre. La version du garagiste est toute autre, qui soutient avoir été victime de voies de fait de la part du demandeur.
10. Pour le demandeur, c’est d’abord lui qui appelle la police pour dénoncer le comportement violent de Beaulieu qui l’aurait même menacé de mort. Le garagiste porte aussi plainte contre le demandeur, aux policiers. Différentes dispositions sont recueillies par le policier dépêché sur les lieux. On se retrouve en présence de « plaintes croisées » qui émanent de chacune des parties impliquées dans la dispute.
(…) »
[113] Le 5 décembre 2001, des accusations de voies de fait sont portées à l’encontre du plaignant.
[114] Ce dernier « riposte » le 10 janvier 2002, en déposant de semblables accusations à l’encontre du garagiste Beaulieu.
[115] Le procès du plaignant est tenu le 5 juillet 2002 et sur la base du doute raisonnable, il est acquitté.
[116] C’est l’intimé qui agissait ce jour-là comme procureur de la Couronne.
[117] Or, c’est un autre substitut du procureur général qui avait autorisé la plainte.
[118] Mais il y a plus.
[119] Un troisième substitut du procureur général déposait des ordonnances d’arrêt de procédure selon l’article 579 du Code criminel (nolle prosequi) des accusations portées par le plaignant à l’encontre du garagiste Beaulieu.
[120] Le plaignant a contesté ces ordonnances jusqu’à la Cour d’appel qui a rejeté son pourvoi.
[121] Le plaignant a alors intenté des procédures civiles contre le garagiste Beaulieu, notamment pour avoir incité la Couronne à porter des accusations criminelles contre lui.
[122] Non seulement sa demande a été rejetée, mais la demande reconventionnelle du garagiste Beaulieu est accueillie pour une somme de 4 545,64 $, alors qu’il en réclamait 5 000,00 $.
[123] L’honorable Maurice Abud, j.c.q., saisi de l’affaire, n’a pas cru le plaignant et jugé sa conduite de « répréhensible et vindicative ».
[124] Le plaignant a vu son action contre l’intimé et son amendement contre le substitut du procureur général, qui avait autorisé la plainte déposée à son encontre, rejetés dans le contexte décrit précédemment par l’honorable Michel Richard, j.c.s., le 4 mai 2006.
[125] Dans son jugement, l’honorable Michel Richard, j.c.s., s’exprime ainsi :
« (…)
48. Initialement, c’était le seul défendeur qui était poursuivi par le demandeur. Ce n’est que par suite des amendements survenus en cours de procès que le Procureur général du Québec et Me Simard ont été joints à la procédure, respectivement à titre de co-défendeur et de mis en cause.
49. Le demandeur reproche à Me Rondeau de s’être livré à une forme d’acharnement abusive « en faisant suivre une plainte criminelle dont il aurait dû savoir qu’elle n’était aucunement fondée puis ultérieurement en ne procédant pas au retrait de l’accusation dans une cause qui aurait dû lui apparaître vouée à l’échec ». Ce reproche n’a aucunement été prouvé.
50. Bien au contraire, il est bien établi, et c’est pourquoi Me Simard a été mis en cause, que c’est Me Simard qui a autorisé la plainte contre le demandeur et non pas Me Rondeau, lequel n’a agi qu’à titre de procureur au dossier dans des circonstances tout à fait précises et bien expliquées et qui n’engagent aucunement sa responsabilité de substitut du Procureur général.
51. C’est sans raison que Me Rondeau a été poursuivi par le demandeur en dommages-intérêts. Comme il le déclare lui-même à la page 813 des notes sténographiques du 1er juin 2005, le demandeur ne fait que présumer que Me Rouleau (sic) est fautif.
52. N’est pas fondé le reproche formulé que Me Rondeau a persisté dans la poursuite du dossier qu’on lui avait confié. Le demandeur laisse entendre que Me Rondeau aurait dû se rendre compte de la faiblesse de son dossier et aussi retirer la plainte contre le demandeur.
53. Rien dans la preuve ne conduit à cette conclusion. M. Beaulieu, que Me Rouleau (sic) avait rencontré avant le procès, a raconté sa version des faits et c’est en bénéficiant du doute raisonnable que le demandeur a été acquitté.
54. Le Tribunal estime que Me Rondeau a agi selon son code d’éthique et en toute bonne foi.
55. Enfin, le Tribunal écarte l’interprétation que fait le demandeur d’un incident qui serait survenu dans une cause impliquant un M. LaBillois. Le demandeur se sert de cet incident pour étayer ses prétentions d’intentions malveillantes de Me Rondeau à son endroit.
56. Me Landry, appuyé en cela par M. LaBillois, relate avoir été interpellé publiquement par Me Rondeau qui reprochait en quelque sorte d’inciter ses témoins à mentir, et qu’il ferait certaines vérifications à propos du témoignage alors rendu dans ce procès LaBillois.
57. Me Landry a été incapable de préciser la nature de l’information que Me Rondeau voulait ainsi vérifier. De plus, Me Landry n’a fait entendre aucun des témoins indépendants qui auraient entendu les propos et menaces de Me Rondeau à son endroit. De facto, les menaces proférées ne se sont jamais concrétisées dans le dossier LaBillois, puisque le jugement rendu n’a pas été attaqué. Même si cet événement s’était produit, il n’a pas la portée que lui attribue le demandeur qui l’amplifie à dessein pour soutenir des prétentions qui manquent d’assises.
(…) »
DEMANDE D’ENQUÊTE DU PLAIGNANT AU SYNDIC DU BARREAU
[126] Le 28 mai 2005, le plaignant transmet au bureau du syndic du Barreau une demande pour qu’une enquête soit faite sur la conduite professionnelle de l’intimé en lien avec l’incident du 19 juin 2001.
[127] C’est d’abord le syndic adjoint, Me Patrick Richard, qui est saisi de la demande et remplacé plus tard par le syndic adjoint, Me Guy Bilodeau, devenu depuis syndic du Barreau.
[128] Cette substitution avait été souhaitée par le plaignant en raison de plaintes qu’il avait portées à l’encontre de ce syndic adjoint et de ses collègues de bureau.
[129] Ce n’est que le 16 décembre 2009, que le syndic Me Guy Bilodeau informe, par lettre, le plaignant de son refus de déposer une plainte disciplinaire à l’encontre de l’intimé en lien avec l’incident du 19 juin 2001 (pièce P-6). Dans sa lettre du 16 décembre 2009, le syndic Me Guy Bilodeau s’exprime ainsi après avoir relaté l’ensemble des procédures inventoriées précédemment :
« (…)
(…) Vous aviez représenté M. Labillois pour une cause d’alcool au volant. Vous aviez obtenu son acquittement. Me Rondeau agissait pour la poursuite. Au sortir de la salle d’audience, Me Rondeau aurait prétendu que M. Labillois et les témoins Castonguay avaient menti. Il aurait ajouté que vous gagniez vos causes de cette façon et pouviez ainsi vous payer des autos comme des Porsche.
(…)
(…) Nous avons communiqué avec d’autres personnes qui étaient présentes lors de cette journée, dont la greffière-audiencière. Aucune n’avait souvenir que Me Rondeau aurait traité de menteurs M. Labillois et ses témoins. Ces personnes n’avaient également pas souvenir que Me Rondeau aurait prétendu que vous aviez l’habitude d’inciter vos témoins à mentir.
(…) »
[130] On connaît la suite.
[131] Le 18 mars 2010, cette plainte disciplinaire était déposée par le plaignant à l’encontre de l’intimé.
[132] C’est dans ce contexte que cette plainte disciplinaire a été déposée à l’encontre de l’intimé.
DISCUSSION
[133] Le plaignant argue que les gestes reprochés à l’intimé contreviennent à ces dispositions du Code de déontologie des avocats et du Code des professions.
Code de déontologie des avocats
« 2.00.01. L’avocat doit agir avec dignité, intégrité, honneur, respect, modération et courtoisie. »
« 2.01.01. L’avocat doit servir la justice.
Il doit soutenir l’autorité des tribunaux. Il ne peut agir de façon à porter préjudice à l’administration de la justice. Il ne peut notamment faire une déclaration publique de nature à nuire à une affaire pendante devant un tribunal. »
« 2.05. L’avocat doit éviter tout procédé purement dilatoire et coopérer avec les autres avocats pour assurer la bonne administration de la justice. »
« 2.08. L’avocat ne doit pas, directement ou indirectement, publier ou diffuser un rapport ou des commentaires qu’il sait faux ou qui sont manifestement faux à l’égard d’un tribunal ou de l’un de ses membres. »
« 4.03.03. L’avocat ne doit pas surprendre la bonne foi d’un autre avocat ou se rendre coupable envers lui d’un abus de confiance ou de procédés déloyaux. »
Code des professions
« 59.2. Nul professionnel ne peut poser un acte dérogatoire à l’honneur ou à la dignité de sa profession ou à la discipline des membres de l’ordre, ni exercer une profession, un métier, une industrie, un commerce, une charge ou une fonction qui est incompatible avec l’honneur, la dignité ou l’exercice de sa profession.»
[134] L’ensemble des procédures et demandes d’enquête auprès du bureau du syndic du Barreau inventoriées précédemment permettent d’établir un premier constat.
[135] Ce n’est pas d’hier que le plaignant et ses clients se plaignent de la conduite de l’intimé.
[136] À chaque fois cependant, ils ont échoué.
[137] Le recours du plaignant en dommages-intérêts pour diffamation en raison des propos allégués lors de l’incident du 19 juin 2001 a été rejeté.
[138] Les Castonguay, qui poursuivaient aussi l’intimé en dommages-intérêts d’abord pour des accusations abusives ont vu l’incident du 19 juin 2001, ajouté par amendement à leurs recours pour le « renforcer », écarté sommairement par le tribunal.
[139] Les demandes d’enquête des Castonguay auprès du bureau du syndic du Barreau n’ont pas mené au dépôt de plainte disciplinaire à l’encontre de l’intimé.
[140] À ce chapitre et malgré le témoignage des Castonguay, on peut penser que leurs demandes d’enquête et celle du plaignant ne font qu’une, rien dans la preuve ne permettant de constater que les Castonguay auraient présenté des demandes d’enquête distinctes de celle du plaignant auprès du bureau du syndic du Barreau.
[141] La demande d’enquête du plaignant n’a pas mené au dépôt d’une plainte disciplinaire à l’encontre de l’intimé.
[142] L’ensemble de ces autres procédures s’étendent sur une période de plusieurs années, la mise en demeure des Castonguay par le plaignant datant du 10 juillet 2002, quelques cinq jours seulement après qu’il eut été acquitté des accusations criminelles portées à son encontre dans l’affaire Beaulieu.
[143] Les échecs successifs du plaignant et de ses clients ne peuvent pour cette seule raison emporter le rejet de cette plainte disciplinaire.
[144] L’incident du 19 juin 2001 a été discuté par les tribunaux dans le contexte de recours en dommages-intérêts pour diffamation ce qui se distingue de cette plainte disciplinaire.
[145] L’analyse du syndic du Barreau diffère de ces autres recours en ce qu’elle discute de la conduite de l’intimé à l’occasion de l’incident du 19 juin 2001.
[146] On connaît la conclusion du syndic à ce chapitre.
[147] Le conseil entend toutefois procéder à sa propre analyse des faits reprochés.
[148] Pour ce faire, le conseil a pu entendre de nombreux témoignages en l’occurrence ceux inventoriés précédemment et prendre connaissance de l’importante preuve documentaire.
[149] On peut aisément reconnaître que la crédibilité, la fiabilité et la force probante de ces témoignages sont déterminantes pour permettre au Conseil de disposer de cette plainte disciplinaire.
[150] En matière de droit disciplinaire, il est de jurisprudence constante que la preuve requise pour mener à la culpabilité d’un professionnel doit être claire, convaincante et de haute qualité.
[151] À ce chapitre, le conseil fait siens les propos du Tribunal des professions dans l’affaire Médecins c. Lisanu, 1998, q.c.t.p. 1719 à la page 10 :
« Le fardeau qui incombe à l’appelant n’en est pas un «hors de tout doute raisonnable» mais bien de «prépondérance». Il faut préciser à l’égard de cette preuve que, compte tenu de la nature du droit, de la gravité de l’infraction et des conséquences que peut avoir la condamnation non seulement sur la carrière de l’intimé mais sur la crédibilité de tout professionnel auprès du public, celle-ci doit être de haute qualité, claire et convaincante. Il s’agit d’un autre principe déjà établi par la jurisprudence.»
[152] Qu’en est-il dans le présent dossier?
[153] Rien dans la preuve ne permet de conclure à la culpabilité de l’intimé pour les reproches formulés à son encontre sous les deuxième et troisième chefs d’infraction de cette plainte disciplinaire.
[154] Rien dans la preuve ne permet de conclure en ce que l’intimé aurait tenu des propos faux à l’encontre de la décision du Tribunal ni utiliser des procédés déloyaux à l’encontre de son confrère.
[155] Il y a lieu par ailleurs de noter qu’à l’époque des faits reprochés, l’article 2.01.01 précité du Code de déontologie des avocats n’existait pas.
[156] Cette disposition n’est entrée en vigueur que le 7 avril 2004.
[157] Les articles 2.05, 2.08 et 4.03.03 précités du Code de déontologie des avocats existaient à l’époque des faits reprochés à l’intimé et ont fait l’objet de modifications mineures qui n’en changent pas la portée le 7 avril 2004.
[158] L’intimé sera donc acquitté de tous les reproches formulés à son encontre sous les deuxième et troisième chefs d’infraction de cette plainte disciplinaire.
[159] Demeure cependant le premier chef d’infraction.
[160] Il ne fait aucun doute que les propos imputés à l’intimé sont inappropriés et contreviennent à ses obligations d’agir avec dignité, honneur, respect, modération et courtoisie comme le lui imposent les dispositions de l’article 2.00.01 précité du Code de déontologie des avocats.
[161] Or, cette disposition du Code de déontologie des avocats n’existait pas à l’époque des faits reprochés à l’intimé.
[162] L’article 2.00.01 précité du Code de déontologie des avocats n’est entré en vigueur que le 7 avril 2004.
[163] Le Conseil est cependant d’avis que ces propos contreviennent au dispositif de l’article 59.2 précité du Code des professions, ajoutés par amendement sous ce premier chef d’infraction, les propos imputés à l’intimé constituant un acte dérogatoire à l’honneur et la dignité de la profession.
[164] Or, la preuve offerte à ce chapitre est loin de rencontrer les critères établis par la jurisprudence.
[165] À commencer par le témoignage de Michel Labillois.
[166] Ce témoignage, nous le réitérons, a été laborieux, hésitant et constamment fondé sur des impressions.
[167] On ne peut certes conclure à la culpabilité de l’intimé sur la foi de « c’était comme »… ou de : « comme de quoi » ou de : « comme que ou comme si… ».
[168] Ce témoignage doit être écarté.
[169] Ce faisant, le Conseil ne remet nullement en question la bonne foi de ce témoin mais son témoignage n’offre pas la fiabilité nécessaire pour être retenu.
[170] Les témoignages des Castonguay sont des témoignages intéressés.
[171] Amers depuis les accusations criminelles portées à l’encontre du père, qu’ils considèrent non fondées et abusives malgré la culpabilité de ce dernier, les Castonguay n’ont pas cessé depuis avec l’aide du plaignant, de tenter d’obtenir condamnation et réparation de l’intimé.
[172] Ils tiennent ce dernier responsable de leurs maux y incluant ceux causés par les policiers.
[173] Leurs témoignages ajoutent des éléments non rapportés par Michel Labillois en plus de contredire ce dernier sur des aspects importants.
[174] Ils se sont sentis, disent-ils, intimidés par le regard de l’intimé qui s’adressait pourtant au plaignant dans le cadre d’un dossier qui ne les concernait aucunement.
[175] Ce jour-là, le 19 juin 2001, ni le père ni le fils n’avaient à témoigner sans compter que la requête n’a pas été entendue et plutôt reportée.
[176] Il est par ailleurs étonnant que Kevin Castonguay ait pu constater que l’intimé avait été déstabilisé par le dépôt d’un rapport d’expertise, « un point tournant dans ce procès », alors que le plaignant n’a pas souvenir de ce rapport d’expertise et qu’au surplus, le dépôt de semblable rapport d’expertise est affaire courante dans ce genre de dossier.
[177] Il est tout aussi étonnant que Kevin Castonguay ait pu conclure à de la jalousie de la part de l’intimé en lien avec un ou des véhicules du plaignant alors que l’intimé affirme qu’il ignorait que le plaignant était propriétaire de ce ou ces véhicules.
[178] Ces témoignages ne rencontrent pas pour ces raisons les critères auxquels il est fait référence précédemment.
[179] Il en est ainsi du témoignage du plaignant qui à l’instar des précédents, n’a pu rapporter plus précisément les propos de l’intimé, se limitant plutôt à reprendre ceux de ses témoins.
[180] Si tant est que les témoignages des Castonguay faisaient clairement état à tout le moins de leur animosité envers l’intimé, celui du plaignant révèle de l’irritation et de l’agressivité envers ce dernier.
[181] Cet extrait de son témoignage alors qu’il est contre-interrogé par la procureure de l’intimé est particulièrement révélateur.
« (…)
R. Par contre, comme je vous ai dit, lorsqu’on représente des gens et que ça fait pas l’affaire des procureurs de la Couronne, bien, c’est des comportements comme maître Rondeau (…)
(…)
R. Moi, je me suis présenté dans le dossier de monsieur Labillois. Et, quand je me suis présenté dans le dossier de monsieur Labillois, j’avais aucun conflit, moi, avec maître Rondeau. Il a eu ce comportement-là après le départ de l’honorable juge Bécu et, là, à ce moment-là, je l’ai cartographié, je l’ai… je l’ai enlevé, là, sur ma… ma liste d’invités. O.K.? Parce que là, manifestement - je vous l’ai dit tout à l’heure - un comportement semblable, on voit moins pire que ça dans les hôpitaux. Hein?
(…)
Donc, le représentant du Procureur général a des obligations. Hein? C’est des procureurs de la Couronne, c’est des officiers de justice, c’est des confrères de travail, puis ils doivent… ils doivent faire le nécessaire pour qu’on puisse continuer à faire notre travail. O.K.? Si ces gens-là commencent à abuser des avocats de défense, ça crée un problème.
Et, dans le cas de Labillois, c’est un cas patent - O.K.? - d’un homme qui a le droit à sa défense pleine et entière, et qui est ina… et, manifestement, le procureur de la Couronne ne l’accepte pas. Puis, aujourd’hui, ce monsieur-là est juge à la Cour du Québec.
Q. Ça, c’est problématique, dans votre esprit, j’imagine?
R. Moi, c’est pas problématique du tout, Monsieur le président, parce que, moi, il siégera jamais dans un de mes dossiers. Ça. C’est clair. Et lui-même le sait aussi .
(…) »[27]
[182] En ce sens, le témoignage du plaignant est aussi un témoignage intéressé.
[183] C’est pourquoi ce témoignage ne rencontre pas les critères identifiés précédemment.
[184] En d’autres termes, le Conseil est d’avis que la preuve offerte, et plus particulièrement les témoignages entendus, ne présentent pas les critères d’une preuve claire, convaincante et de haute qualité.
[185] Cette preuve n’a pas la fiabilité nécessaire pour permettre de conclure à la culpabilité de l’intimé.
[186] Le plaignant a bien tenté d’ajouter du poids à sa preuve en invitant ses témoins à affirmer qu’ils étaient favorables à se prêter au test du polygraphe, ce qui, de l’avis du Conseil, n’ajoute rien à son analyse et appréciation des témoignages entendus.
[187] Le Conseil est, au chapitre de la crédibilité et de la fiabilité d’une preuve, parfaitement compétent pour en évaluer la qualité.
[188] Aucun témoin indépendant n’a été entendu au cours des quatre journées d’audience qu’ont nécessitées l’instruction et audition de cette plainte disciplinaire.
[189] Pourtant, il a été question de Me Jules Berthelot qui aurait pu témoigner du rôle qu’on lui a prêté.
[190] Il en est ainsi du témoignage de la greffière audiencière, présente «à son poste» à l’audience et à laquelle Kevin Castonguay prête les propos suivants :
« (…)
… «Chut, chut, chut, chut, chut ! Baissez le ton un petit peu. »
(…) »[28]
laissant ainsi entendre que la greffière audiencière était intervenue à l’occasion de l’incident du 19 juin 2001.
[191] Pourtant, le syndic Guy Bilodeau, dans la lettre transmise à l’intimé le 16 décembre 2009, affirme avoir communiqué avec la greffière audiencière et « d’autres personnes » présentes à la Cour le 19 juin 2001 qui n’ont aucun souvenir à l’instar de l’intimé de l’incident rapporté et des propos reprochés à ce dernier.
[192] Ce qui explique sans doute, le fait que le syndic Guy Bilodeau n’a pas témoigné alors que le plaignant avait pourtant annoncé son témoignage dans une lettre transmise le 27 avril 2010 à la Direction des poursuites criminelles et pénales.
[193] Prenant en compte l’ensemble de ce qui précède, le Conseil est d’avis que l’intimé doit être acquitté de tous les reproches formulés à son encontre sous tous les chefs d’infraction de cette plainte disciplinaire amendée.
[194] Cette plainte disciplinaire ne revêt cependant pas le caractère abusif et frivole auquel renvoie l’article 151 Code des professions, à telle enseigne que le plaignant ne sera pas condamné au paiement des débours.
DÉCISION
EN CONSÉQUENCE, LE CONSEIL, UNANIMEMENT :
Sous le premier chef d’infraction
ACQUITTE l’intimé.
Sous le deuxième chef d’infraction
ACQUITTE l’intimé.
Sous le troisième chef d’infraction
ACQUITTE l’intimé.
Le tout sans frais.
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__________________________________ Me JEAN PÂQUET, président
__________________________________ Me NORMAND AUCLAIR, membre |
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M. Sarto Landry |
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Plaignant |
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Me Magali Lepage, assistée de Me Chloé De Ladurantaye Procureure de l’intimé |
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Dates d’audience : |
16 et 17 avril 2013 et 9 et 10 décembre 2013 |
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AUTORITÉS CITÉES
- Me Charles-Henri Desrosiers c. Me Pierre-Gabriel Guimont, 2004- QCTP 055, 8 juin 2004;
- Me Brigitte Nadeau c. Me Anne-France Goldwater, 2012 QCCDBQ 100, 12 octobre 2012;
- Me Patrick Richard c. Me Louis Belliard, 2008 QCCDBQ 124, 19 novembre 2008;
- Sarto Landry c. Pierre-Gabriel Guimont et Nancy J. Trudel et Procureur général du Québec, Tribunal des professions, 200-07-000135-088, 7 novembre 2011;
- Me Hélène Danais c. Me Daniel Mandron et Secrétaire du Comité de discipline du Barreau du Québec, 200 9QCTP 34, 16 avril 2009;
- Mar4io M. Duperron c. le Comité de discipline de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec et Louise Deschênes, 2007 QCTP 28, 9 mars 2007;
- Docteur Paul Morin c. Docteur Daniel Forget, 2001 QCTP 060, 18 juillet 2001;
- Dr. Marc Bissonnette c. Dre Suzanne Richer et Me Christian Gauvin, 2009 QCTP 32, 16 avril 2009
- Loi sur le casier judiciaire, LRC 1983, C c-47;
- Extrait de F.H. c. McDougall, [2008] 3 R.C.S. 41;
- Barreau du Québec (syndic adjoint) c. Carignant, (2013) QCCDBQ 021;
- Médecins c. Lisanu, (19989) ACTP 1719,
- Osman c. Médecins, [1994] DDCP 257 (TP);
- R. c. Béland, [1987] 2 R.C.S. 398;
- Barreau du Québec (syndique adjointe) c. Bazin, (2011) QCCDBQ 100;
- R. v. Pollock, [2004] O.J. No. 2652;
- R. v. Jones, [1999] O.J. No. 5832;
- R. v. York, [1994] O.J. No. 149;
- Solomon c. Québec (Procureur général), (2008) QCCA 1832 (CanLII).
[1] Lignes 16 à 25 de la page 79 et ligne 1 de la page 80 des notes sténographiques de l’audience tenue le 16 avril 2013
[2] Lignes 5, 6, 7 et 8 de la page 17 des notes sténographiques de l’audience tenue le 16 avril 2013
[3] Lignes 13, 14 et 15 de la page 17 des notes sténographiques de l’audience tenue le 16 avril 2013
[4] Lignes 19 à 25 de la page 18 et lignes 1 à 4 de la page 19 des notes sténographiques de l’audience tenue le 16 avril 2013
[5] Lignes 7, 8, 9 et 10 de la page 19 des notes sténographiques de l’audience tenue le 16 avril 2013
[6] Lignes 9 à 23 de la page 30 des notes sténographiques de l’audience tenue le 16 avril 2013
[7] Lignes 11, 12, 13, 14 et 15 de la page 89 des notes sténographiques de l’audience tenue le 16 avril 2013
[8] Lignes 10 à 25 de la page 175, lignes 1 à 25 de la page 176 et lignes 1 à 7 de la page 177 des notes sténographiques de l’audience tenue le 16 avril 2013
[9] Lignes 11 à 20 de la page 171 et les lignes 1 et 2 de la page 174 des notes sténographiques de l’audience tenue le 16 avril 2013
[10] Lignes 19 à 21 de la page 172 des notes sténographiques de l’audience tenue le 16 avril 2013
[11] Lignes 4 et 5 de la page 182 des notes sténographiques de l’audience tenue le 16 avril 2013
[12] Lignes 9 à 12 de la page 183 des notes sténographiques de l’audience tenue le 16 avril 2013
[13] Lignes 16 à 18 de la page 105, les lignes 21 à 25 à la page 106 et les lignes 16 à 18 de la page 107 des notes sténographiques de l’audience tenue le 16 avril 2013
[14] Lignes 5 à 12 de la page 190, la ligne 25 de la page 191 et les lignes 1 à 6 de la page 192 des notes sténographiques de l’audition tenue le 16 avril 2013
[15] Lignes 14 à 23 de la page 203 des notes sténographiques de l’audition tenue le 16 avril 2013
[16] Lignes 7 à 12 de la page 108 des notes sténographiques de l’audition tenue le 16 avril 2013
[17] Ligne 25 de la page 183 et les lignes 1 à 6 de la page 184 des notes sténographiques de l’audition tenue le 16 avril 2013
[18] Lignes 11 à 13 de la page 254 des notes sténographiques de l’audition tenue le 16 avril 2013
[19] Lignes 5 à 10 de la page 256 des notes sténographiques de l’audition tenue le 16 avril 2013
[20] Lignes 9 à 14 de la page 260 des notes sténographiques de l’audition tenue le 16 avril 2013
[21] Lignes 7 à 25 de la page 521, les lignes 1 à 10 et 21 à 25 de la page 522 des notes sténographiques de l’audition tenue le 17 avril 2013
[22] Lignes 12 à 25 de la page 125 et les lignes 1 à 4 de la page 126 des notes sténographiques de l’audition tenue le 16 avril 2013
[23] Lignes 4 à 12 et 22 à 24 de la page 375 des notes sténographiques de l’audition tenue le 16 avril 2013
[24] Lignes 19 à 24 de la page 282 des notes sténographiques de l’audition tenue le 16 avril 2013
[25] Lignes 16 à 21 de la page 165 des notes sténographiques de l’audition tenue le 16 avril 2013
[26] Lignes 10 à 19 de la page 162 des notes sténographiques de l’audition tenue le 16 avril 2013
[27] Les lignes 22 à 25 de la page 677, ligne 1 de la page 678, 16 à 25 de la page 678, lignes 1 à 3 et 23 à 25 de la page 679 et les lignes 1 à 19 de la page 680 des notes sténographiques de l’audition tenue le 17 avril 2013
[28] Les lignes 11 et 12 de la page 109 des notes sténographiques de l’audition tenue le 16 avril 2013
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