Larrivée c. Proteau |
2011 QCCS 1395 |
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JS 1202 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
ST-FRANÇOIS |
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Nº : |
450-17-002611-086 |
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DATE : |
29 mars 2011 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
LINE SAMOISETTE, J.C.S. |
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LINDA LARRIVÉE et RÉJEAN LAMBERT et ESTRIE-MIEL INC. |
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Demandeurs |
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c. |
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RENÉ PROTEAU et PLANIFICATION COPEPCO INC. et SEAN MURPHY, en sa qualité de fondé de pouvoir au Canada pour LES SOUSCRIPTEURS DU LLOYD'S |
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Défendeurs |
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JUGEMENT
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[1] La requête introductive d'instance amendée des demandeurs consiste en une réclamation en dommages de 601 592,00 $ se détaillant comme suit :
- pour la demanderesse, Linda Larrivée: 108 803,00 $
- pour le demandeur, Réjean Lambert: 58 675,00 $
- pour la demanderesse, Estrie-Miel inc.: 434 114,00 $
[2] Dès le début du procès, les demandeurs ont indiqué au tribunal que leur poursuite ne vise maintenant que le défendeur Sean Murphy en sa qualité de fondé de pouvoir au Canada pour les souscripteurs du Lloyd's qui sont l'assureur responsabilité professionnelle des défendeurs René Proteau (Proteau) et Planification Copepco inc.
[3] Les demandeurs se désistent de leur demande à l'égard de la défenderesse Planification Copepco inc.
[4] Un avis de surseoir a été déposé le 21 octobre 2009 et Proteau a fait cession de ses biens le même jour.
LES PARTIES
La demanderesse, Linda Larrivée :
[5] La demanderesse est âgée de 54 ans. Elle a obtenu un diplôme d'études collégiales en assistance sociale en 1977. Plusieurs années plus tard, la demanderesse a obtenu un baccalauréat en service social. Depuis 1979, elle est travailleuse sociale au C.S.S.S. des Sources à Asbestos. Elle bénéficie d'un fonds de pension chez cet employeur.
[6] La demanderesse est mariée au demandeur, Réjean Lambert depuis plus de 30 ans et ils ont deux filles âgées de 28 et 31 ans.
[7] La demanderesse n'a pas de connaissances en matière de placements, finances ou assurances.
Le demandeur, Réjean Lambert :
[8] Le demandeur a 58 ans. Tout comme son épouse, il n'a pas de connaissances en matière de placements, finances ou assurances. Il n'a pas terminé ses études secondaires. Après avoir terminé son secondaire IV, il est parti travailler en Californie où il a appris le métier d'apiculteur pour ensuite aller travailler quelques années en Colombie-Britannique avant de revenir s'installer au Québec.
[9] À son retour au Québec, il veut mettre à profit ses connaissances en apiculture. Avec son frère, il fonde la compagnie Miel Lambert.
[10] En 1985, le demandeur achète les actions de son frère dans Miel Lambert et en devient le seul actionnaire et administrateur. Le nom de la compagnie est alors changé pour Les gestions Sijoprec inc (Sijoprec).
[11] Sijoprec est une entreprise de production et de vente au détail de produits apicoles.
La demanderesse, Estrie-Miel inc. (Estrie-Miel) :
[12] Estrie-Miel a été constituée le 19 juillet 2005[1]. Le demandeur est l'unique actionnaire et administrateur. Estrie-Miel est une compagnie dont les activités visent à promouvoir la mise en marché des produits apicoles.
[13] Le 27 juin 2006, Estrie-Miel acquiert de Sijoprec certains actifs dont des fonds mutuels d'une valeur de 54 687,00 $, et des placements étrangers d'une valeur de 359 058,00 $[2].
[14] Le demandeur évalue Estrie-Miel à 800 000,00 $.
Le défendeur Sean Murphy en sa qualité de fondé de pouvoir au Canada pour les souscripteurs du Lloyd's (Sean Murphy):
[15] Lloyd's a été l'assureur responsabilité professionnelle des défendeurs Proteau et Planification Copepco inc. La police d'assurance a été en vigueur du 4 septembre 2005 au 4 novembre 2006[3].
[16] Les paragraphes pertinents de cette police sont :
« - Sauf exception prévue à la présente police, le bénéfice de l'assurance est restreint à la garantie des seules réclamations présentées à l'Assuré pour la première fois à l'Assureur pendant que la police est en vigueur;
- Article 1
Garantie
L'Assureur paiera pour le compte de l'Assuré ( ... )
a) dans le cas d'un cabinet, découlant de fautes, d'erreurs, de négligences ou d'omissions commises dans l'exercice de ses activités professionnelles ( ... );
d) dans le cas d'un représentant rattaché à un cabinet sans y être employé, découlant de fautes, d'erreurs, de négligences ou d'omissions commises dans l'exercice de ses activités professionnelles ( ... );
- Article 3
Période d'assurance et étendue de la garantie
À moins d'indication contraire aux présentes, cette police s'applique uniquement :
a) aux fautes, erreurs, négligences ou omissions commises par l'Assuré dans l'exercice de ses activités professionnelles ( ... ), desquelles résultent une réclamation ou poursuite au Canada contre l'Assuré et, ( ... ), déclarée à l'Assureur pendant la période d'assurance ou;
b) ( ... ) la couverture offerte continuera d'exister au-delà de la période d'assurance indiquée aux conditions particulières, pendant une durée de 5 ans, pour toutes les activités professionnelles rendues ou qui auraient dû être rendues durant la période d'assurance :
i) du représentant autonome ( ... ) à compter de la date de radiation ou de la suspension de l'inscription du cabinet, du représentant autonome ( ... ), à l'Autorité des marchés financiers.
ii) du représentant qui agit pour le compte d'un cabinet sans y être employé, dès qu'il cesse ses activités professionnelles et ce, qu'il soit vivant ou non;
- Article 5
Définitions
d) : les mots « activités professionnelles» signifient les services qui relèvent des activités d'un représentant qui agit pour le compte d'un cabinet sans y être employé, d'un représentant autonome, d'un cabinet ou d'une société autonome, dans la mesure où ceux-ci sont rendus conformément aux dispositions applicables de la Loi sur la distribution de services financiers, ses modifications et ses règlements, et dans la mesure où l'assuré bénéficie de toutes les habilitations qui y sont requises ( ... ).
- Article 6
Exclusions
Cette police ne s'applique pas aux réclamations fondées ou attribuables ou découlant:
(…)
d) d'actes frauduleux, malhonnêtes ou criminels ou d'une faute intentionnelle (…);
e) de toute garantie expresse ou faite par un assuré en regard des coûts, de l'évaluation de profits ou du rendement sur un investissement;
g) de réclamations dont l'Assuré avait connaissance avant la période d'assurance;
h) de circonstances dont l'Assuré avait connaissance avant la période d'assurance et qui étaient susceptibles de donner lieu à une réclamation;
l) d'une faute lourde, de grossière négligence, d'aveuglement volontaire ou de l'assomption d'un risque calculé; »
CONTEXTE FACTUEL
[17] Proteau est planificateur financier, courtier en assurance vie et courtier en épargne collective.
[18] En 1992, la demanderesse le rencontre au cours d'une soirée d'information tenue à son travail. La même année, la demanderesse communique avec lui pour obtenir des informations relatives à sa planification financière.
[19] La demanderesse présente une faible tolérance au risque et a un profil d'investisseur de type conservateur.
[20] Lorsque Proteau la rencontre, il lui suggère d'emprunter 25 000,00 $ pour réaliser un investissement offrant un effet levier. Proteau affirme qu'il s'agit d'un placement sans risque. Elle décide alors d'investir.
[21] Proteau rend visite à la demanderesse environ deux fois par année. Ces rencontres ont une durée variant entre une heure et une heure trente minutes. Le demandeur était toujours présent lors de ces rencontres et Proteau en profitait pour discuter avec lui.
[22] Vers 1996, la demanderesse et son mari souscrivent une police d'assurance-vie pour leurs filles par l'intermédiaire de l'associé de Proteau.
[23] En 1997, le demandeur décide à son tour de faire affaire avec Proteau. Il investit 25 167,28 $ dans un portefeuille de type R.E.E.R. conjoint[4] et l'année suivante 5 789,00 $ dans un portefeuille de type R.E.E.R. personnel[5].
[24] En 1998, Proteau présente à la demanderesse et au demandeur un document intitulé « Planification de retraite ». Le demandeur souhaite prendre sa retraite à 54 ans et la demanderesse à 55 ans. Ils évaluent leurs besoins financiers annuels de retraite à 80 000,00 $. Leur bilan démontre que la seule dette du couple est l'emprunt de la demanderesse pour son investissement dont le solde est 22 500,00 $[6].
[25] Le 1er août 2000, Proteau conseille à la demanderesse d'investir 30 000,00 $ dans le fonds Balance Return Fund (BRF), ce qu'elle fera[7]. L'attrait de ce fonds résidait dans son taux d'intérêt de 10,5 %. L'émetteur de BRF est Norshield International (Norshield) dont le siège social est situé aux Bahamas.
[26] Ce type de fonds s'adressait à une clientèle sophistiquée telle que décrite au paragraphe 2.2 du "subscription agreement":
« 2.2 Sophisticated Investor. You consider yourself as a sophisticated investor and you confirm that you have a sufficient level of investment experience to take this investment decision. Also, you can afford to consult an accountant, lawyer, broker, banker or other competent professional to obtain their advice. »
[27] À l'audience, la demanderesse souligne qu'elle a de la difficulté à comprendre la langue anglaise, ce que Proteau dit ignorer.
[28] Au fil des ans se tisse une relation de confiance entre la demanderesse, le demandeur et Proteau. Lors de discussions, Proteau démontre beaucoup d'intérêt sur l'évolution de Sijoprec et pose beaucoup de questions.
[29] Sijoprec, dont le demandeur est l'unique actionnaire et administrateur, est une entreprise qui se porte bien financièrement. Toutes ses liquidités sont alors placées dans des dépôts à terme à la Caisse populaire de Wotton.
[30] C'est en 2002 que Sijoprec fera affaire, pour une première fois, avec Proteau. Proteau conseillera uniquement des investissements dans des fonds ayant leur siège social à l'extérieur du Canada.
[31] Sijoprec, la demanderesse et le demandeur investiront tour à tour dans ce que Proteau propose.
Sijoprec:
[32] En 2002, Sijoprec investit les montants suivants :
- le 1er mai 2002: 30 000,00 $ investis dans BRF [8]
- le 1er juin 2002: 50 000,00 $ investis dans BRF[9]
[33] Lorsque Proteau conseille l'achat dans le fonds commun de placement de BRF, le demandeur lui dit trouver ce titre compliqué à comprendre, ce à quoi Proteau lui répond qu'il s'agit d'une compagnie de placements qu'il connaît. Il l'a rassuré en lui affirmant que le capital et le rendement sont garantis. Proteau disait que BRF était sécuritaire et que cela s'insérait bien dans leur planification financière.
[34] L'année suivante, le 1er mars 2003, Sijoprec investit 250 000,00 $ dans Commax Management inc.[10] dont le siège social est à Nassau aux Bahamas. Proteau remplit le formulaire de " Valeurs mobilières iForum inc" pour l'ouverture de ce compte. Il y inscrit un code de courtier et à la rubrique « facteurs de risque » il écrit : élevé 100 %[11]. Le demandeur dit ne pas avoir vu cela lorsqu'il a signé.
[35] Le 1er mai 2005, Sijoprec réinvestit le 250 000,00 $ dans BRF[12].
[36] Le 30 juin 2005, dans le dernier état de compte que Sijoprec recevra, il est indiqué que toutes les liquidités de Sijoprec sont placées dans BRF, soit 369 934,36 $[13].
La demanderesse, Linda Larrivée :
[37] En 2003, Proteau suggère à la demanderesse d'emprunter un montant additionnel de 37 500,00 $ pour l'investir dans un placement avec effet levier[14]. Proteau lui a représenté qu'elle pouvait avoir confiance et que même si cet investissement comportait un petit risque, ce n'était rien d'important d'autant plus que même des membres de sa famille en avaient acheté.
[38] Le 15 octobre 2004, Proteau procède à une ouverture de compte au nom de la demanderesse. Proteau remplit le formulaire et à la question «depuis combien de temps connaissez-vous le client?», il coche « nouveau ». De plus, il inscrit à « facteurs de risque: Élevé 100 %». Toutefois, Proteau reconnaît d'emblée lors de son témoignage à l'audience que le profil d'investisseur de la demanderesse était de type conservateur.
Le demandeur, Réjean Lambert :
[39] Le 18 janvier 2005, Proteau conseille au demandeur de retirer 50 000,00 $ de ses portefeuilles de type R.E.E.R pour investir ces sommes dans MRACS Management Ltd. (MRACS)[15]. Le demandeur liquide donc ses placements pour les diriger vers MRACS qui est liée au groupe Mount Real. Il s'agit de billets à ordre à un taux d'intérêt annuel de 8,5 %.
[40] Au printemps 2005, les difficultés de Norshield deviennent publiques. Rappelons que Norshield est l'émetteur des titres de BRF. La demanderesse et le demandeur sont inquiets. Proteau les rencontre et écrira dans ses notes personnelles[16]:
« (…) très insécurisé par la situation de Norsheild - avisé des perturbations prévues pour 2005. »
[41] Ce n'est que lors de cette dernière rencontre que la demanderesse et le demandeur s'aperçoivent que tous leurs placements étaient au même endroit. Proteau de son côté demeure confiant face aux investissements.
[42] Le 4 octobre 2005, Proteau est toujours confiant que la situation va se replacer.
[43] Deux mois plus tard, MRACS dépose un avis d'intention de déposer une proposition concordataire et au printemps 2006, elle fait faillite[17].
[44] Quant à BRF, elle n'a pas fait faillite et les demandeurs continuent leurs démarches entreprises avec « les amis de BRF » pour tenter de récupérer leurs investissements.
[45] À ce jour, les demandeurs n'ont rien récupéré des investissements qu'ils ont faits.
[46] En 2006, Proteau rencontre à nouveau les demandeurs et, tel qu'indiqué dans ses notes personnelles, il leur propose alors de déposer une plainte contre lui et Planification Copepco inc.[18].
[47] Le 27 juin 2006, Sijoprec vend à Estrie-Miel certains actifs, dont des fonds mutuels d'une valeur de 54 687,00 $ et les placements étrangers d'une valeur de 359 058,00 $.
[48] Le 6 juillet 2007, les demandeurs signifient une mise en demeure à Proteau et Planification Copepco inc. et l'année suivante, ils entreprendront le présent recours.
[49] Dans ce contexte, les demandeurs demandent à Guy Roby, comptable (c.g.a.) de préparer un rapport. Ce dernier travaille depuis plusieurs années dans le domaine des valeurs mobilières. De 1979 à 1983, il a agi à titre de vérificateur à la Bourse de Montréal et de 1980 à 2005, il a occupé la fonction de vice-président du secteur conformité dans une institution financière. Depuis 2005, il agit à titre de conseiller.
[50] Son mandat est de répondre aux questions suivantes :
1- Quels sont les profils d'investisseurs du demandeur, de la demanderesse et Estrie-Miel?
2- Quel type de placements Proteau a-t-il conseillé aux demandeurs dans le cadre de leur planification financière?
3- La répartition du portefeuille des demandeurs après que furent effectués les placements proposés par Proteau était-elle conciliable avec leur profil respectif d'investisseur?
4- Est-ce que Proteau a agi comme l'aurait fait un conseiller en matière de planification financière raisonnablement prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances?
[51] Après analyse, Guy Roby conclut que les demandeurs ont un profil d'investisseurs conservateurs de sorte que les investissements proposés par Proteau ne leur convenaient pas parce que trop risqués. Le portefeuille d'un investisseur de type conservateur devrait plutôt être diversifié de la façon suivante :
- Encaisse: 5 %
- Revenu fixe: 70 %
- Actions Canada: 20 %
- Actions USA: 5 %
[52] Au sujet de la planification de retraite préparée par Proteau en 1998, Guy Roby écrit :
« Ce document, un état de la valeur nette de monsieur Lambert et madame Larrivée, indique que ces derniers détenaient des actifs totaux de 1 370 558 $ et une valeur nette de 1 348 058 $. II n'y avait pas de passif significatif.
Nous avons ici des gens qui ont su jusque-là gérer leurs affaires avec prudence et qui entrevoyaient une retraite simple, mais confortable, dans quelques années.
De fait, 61% de l'actif (840 000 $) représentait l'actionnariat de monsieur Lambert dans son entreprise. Les liquidités et placements (50 600 $) représentaient un maigre 3.7% des actifs.
Il n'y avait rien pour permettre de prendre des paris audacieux dans des placements à haut risque et compromettre l'avenir.
Les autres actifs importants étaient la résidence familiale (100 000 $) et des entrepôts (255 000 $) libres de tout lien. Les entrepôts étaient loués à SIJOPREC. »
[53] Concernant l'investissement fait par Sijoprec dans Commax en mars 2003 au montant de 250 000,00 $, il commente :
« Nous avons ici un placement dans un titre à revenu auprès d'une entreprise dont le siège social est situé dans un paradis fiscal. Cette entreprise opère à l'abri des regards des organismes de réglementation nord-américains. Elle évolue dans un secteur financier à très haut risque. Il n'existe aucune évaluation sur la cote de crédit de cette entreprise. Nous ne connaissons pas la qualité de son bilan ni de son portefeuille de placement lui permettant de donner un rendement élevé de 15 % sur ses titres. »
[54] Il ajoute :
« À cette occasion, une ouverture de compte auprès de iForum Valeurs Mobilières inc. est complétée. Ce document, joint en Annexe 2b, fait état d'un objectif de placement de 100 % revenu avec un facteur de risque élevés, mais souligne aussi que les connaissances en placements de l'investisseur sont limités (sic). »
[55] Roby est d'avis que Proteau a très mal conseillé les demandeurs. Il ajoute que les formulaires d'ouverture de compte complétés par Proteau affichent plusieurs disparités qui ne sont pas expliquées. Proteau n'a pas agi selon lui, comme l'aurait fait un planificateur financier raisonnablement prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances.
[56] Le 15 juin 2009, suite à des plaintes déposées par des investisseurs, autres que les demandeurs, Proteau a plaidé coupable à de nombreuses infractions liées à la Loi sur la distribution des produits et services financiers, au Règlement sur la déontologie dans la discipline des valeurs mobilières et au Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière. Proteau a plaidé coupable d'avoir, entre autres, conseillé et fait souscrire à de nombreux clients des produits, tels BRF et MRACS, alors qu'il n'était pas autorisé à offrir ces placements en vertu de sa certification[19].
[57] Le demandeur déclare à l'audience que malgré tout ce qui est arrivé, il croit que les conseils de Proteau, au temps où il les a donnés, étaient honnêtes. Il n'est toutefois pas content de ce qui est arrivé. Chose certaine, il dit qu'il n'aurait pas investi dans BRF et MRACS, entre autres, s'il avait su que les deux étaient interreliés. Il reproche à Proteau de les avoir mal conseillés et de ne pas avoir diversifié leurs actifs.
[58] Les demandeurs ne savaient pas que Proteau agissait comme courtier. Ils croyaient que Proteau était autorisé à offrir des placements spécifiques.
POSITION DES PARTIES
Les demandeurs :
[59] Les demandeurs plaident que la faute commise par Proteau est couverte par la police d'assurance.
[60] Les demandeurs allèguent que les conseils de Proteau à titre de planificateur financier leur ont causé des dommages qu'ils évaluent à 601 592,00$. Suivant leur profil d'investisseur, leurs investissements auraient dû générer des intérêts au taux de 5% l'an et au 19 octobre 2010, la valeur aurait dû être de :
- pour la demanderesse: 108 803,00 $
- pour le demandeur: 58 675,00 $
- pour Estrie-Miel: 434 114,00 $
Sean Murphy (Lloyd's) :
[61] Sean Murphy allègue que la police d'assurance ne couvre que les actes posés pour les disciplines de l'assurance de personnes, de la planification financière et de l'épargne collective. Selon lui, ce ne sont pas les conseils de Proteau à titre de planificateur financier qui ont causé les dommages, mais bien les transactions qui ont eu lieu. Conséquemment, l'assureur plaide qu'il ne peut être tenu d'indemniser les demandeurs.
[62] De plus, Sean Murphy plaide que Estrie-Miel n'a pas l'intérêt requis pour le poursuivre puisque la réclamation n'est pas basée sur la vente des titres, mais plutôt sur le devoir de conseil. Or, les conseils ont été prodigués à Sijoprec et non à Estrie-Miel. Au moment de la convention d'achat, seule la propriété des actions a été transférée à Estrie-Miel. Au surplus, Estrie-Miel n'a jamais avisé l'assureur qu'elle était dorénavant propriétaire des titres, de sorte que cela ne peut lui être opposable.
[63] Subsidiairement, si le tribunal concluait que la police d'assurance couvre les actes de Proteau, Sean Murphy fait valoir que la couverture les exclut parce qu'il s'agit d'une faute lourde.
[64] Enfin, concernant le montant des dommages réclamés, Sean Murphy fait valoir que les placements n'ont jamais valu ce qui a été investi. Tout au plus, les pertes devraient représenter la somme investie plus les intérêts à compter de la mise en demeure.
QUESTIONS EN LITIGE
[65] Proteau a-t-il commis une faute? Si oui, est-elle couverte par la police d'assurance du défendeur?
[66] Les demandeurs ont-ils droit aux dommages réclamés?
ANALYSE
[67] Proteau a-t-il commis une faute?
[68]
Dans l'accomplissement de son mandat, le planificateur est soumis aux
règles générales de l'article
« 2138. Le mandataire est tenu d'accomplir le mandat qu'il a accepté et il doit, dans l'exécution de son mandat, agir avec prudence et diligence.
Il doit également agir avec honnêteté et loyauté dans le meilleur intérêt du mandant et éviter de se placer dans une situation de conflit entre son intérêt personnel et celui de son mandant. »
[69] Le planificateur financier relève plus spécifiquement de la Loi sur la distribution de produits et services financiers[20]. Proteau était détenteur d'un certificat l'autorisant à agir à titre de planificateur financier. Avant d'obtenir un certificat l'autorisant à utiliser le titre de planificateur financier, ce dernier doit avoir obtenu préalablement un diplôme décerné par l'Institut québécois de planification financière (l'I.Q.P.F.)[21].
[70] Le Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière s'applique aux planificateurs financiers[22]. Quant aux devoirs et obligations envers le client, il y est prévu[23] :
« 12. Le représentant doit agir envers son client ou tout client éventuel avec probité et en conseiller consciencieux, notamment en lui donnant tous les renseignements qui pourraient être nécessaires ou utiles. Il doit accomplir les démarches raisonnables afin de bien conseiller son client.
13. Le représentant doit exposer à son client ou à tout client éventuel, de façon complète et objective, la nature, les avantages et les inconvénients du produit ou du service qu'il lui propose et s'abstenir de donner des renseignements qui seraient inexacts ou incomplets.
14. Le représentant doit fournir à son client ou à tout client éventuel les explications nécessaires à la compréhension et à l'appréciation du produit ou des services qu'il lui propose ou lui rend.
15. Avant de renseigner ou de faire une recommandation à son client ou à tout client éventuel, le représentant doit chercher à avoir une connaissance complète des faits. »
[71] Dans leur volume Les obligations[24], les auteurs Baudouin et Jobin soulignent qu'il ne faut pas confondre l'obligation de renseigner et celle de conseiller. Ils écrivent :
« 321 -Obligation de conseil - Il importe de ne pas confondre l'obligation de renseigner et celle de conseiller. La première vise uniquement la communication au cocontractant éventuel de faits pertinents à sa prise de décision et qui peuvent avoir sur l'adhésion au contrat un impact important. La seconde, qui peut d'ailleurs former l'obligation principale de certains contrats, va plus loin, puisqu'elle oblige son débiteur, non seulement à la communication de l'information, mais aussi à une présentation objective de l'ensemble des renseignements obtenus, à l'évaluation des différentes décisions que le cocontractant peut prendre, et même éventuellement à l'émission d'une opinion sur l'opportunité pour lui de conclure l'engagement. Lorsqu'il existe une relation de mandat, une relation de type professionnel (par exemple, le notaire agissant pour les deux parties), ou semi-professionnel (l'agent, le courtier d'assurances), l'obligation de simple renseignement peut se doubler de cette obligation de conseil. »
(notre soulignement)
[72] Selon les normes professionnelles de la planification financière personnelle élaborées par l'I.Q.P.F., l'exercice de la planification financière personnelle n'inclut pas l'achat ou la vente de produits financiers spécifiques. L'I.Q.P.F. est un organisme dont l'objectif est d'assurer la protection du public en matière de finances personnelles en veillant à la formation des planificateurs financiers.
[73] L'I.Q.P.F. définit la planification financière de la façon suivante :
« La planification financière personnelle intégrée est un processus structuré d'optimisation de la situation financière et du patrimoine d'un consommateur, en fonction des contraintes et des objectifs personnels de celui-ci. Ce processus doit conduire à la présentation de stratégies et de mesures cohérentes.
L'optimisation nécessite une approche intégrée de toutes les étapes de la démarche en planification financière dans la perspective globale des contraintes financières, juridiques, économiques et fiscales actuelles et prévisibles. Cette démarche s'inspire des principes de gestion d'administrateur prudent ne mettant pas en péril la santé financière du consommateur. Cependant, les contraintes et les objectifs personnels doivent être légitimes et réalistes. »
[74] Plusieurs compétences doivent être maîtrisées par le planificateur financier. Il doit tout d'abord être en mesure de déterminer le profil d'investissement de son client[25]. La cueillette de renseignements du client s'avère donc une activité essentielle qui doit être exécutée avec soin afin de bien comprendre sa situation.
[75] Ensuite, le planificateur financier doit connaître et comprendre la relation qui existe entre le risque et le rendement d'un placement et il doit connaître et comprendre les principes de la diversification et ses effets[26].
[76] Enfin, quant au choix du véhicule de placements à utiliser, le planificateur financier doit aider son client à choisir le véhicule qui lui convient davantage.
[77] Selon Guy Roby, la règle « bien connaître son client » est la pierre angulaire de l'industrie de la planification financière. Le planificateur financier doit recommander à son client l'achat de titres correspondant à ses objectifs et sa tolérance au risque. Il doit fournir à son client des conseils d'investissements responsables et il doit en tout temps avoir à l'esprit le meilleur intérêt de son client. Il ne doit pas adopter des pratiques qui sont contraires à l'éthique.
[78] Guy Roby explique que le planificateur financier ne doit pas vendre un produit, mais simplement référer le client vers une maison de courtage, à moins bien sûr qu'il soit lui-même conseiller en placements, ce que Proteau n'est pas. Le courtier en valeurs mobilières est soumis à la Loi sur les valeurs mobilières[27].
[79] La preuve démontre que les clients de Proteau avaient une faible connaissance en matière d'investissement et un profil d'investisseur de type conservateur. Il s'agit ici de profanes qui se fiaient aux conseils de leur planificateur financier pour avoir l'assurance d'une retraite qui leur procurerait un revenu annuel de 80 000,00 $.
[80] Or, le 30 juin 2005, environ 82 % des placements de Sijoprec, de la demanderesse et du demandeur, étaient concentrés dans des titres à haut risque convenant plutôt à des investisseurs de type spéculateur. Selon Guy Roby, le portefeuille de chacun n'était pas suffisamment diversifié pour assurer la protection de leur patrimoine.
[81] Non seulement Proteau a fait fi du profil d'investisseur des demandeurs, mais également, contrairement à ce qu'il prétend, il a servi à titre de représentant de Valeurs Mobilières iForum inc. pour les transactions.
[82] Lors de son interrogatoire hors Cour, Proteau ne reconnaît pas qu'il agissait comme courtier en valeurs mobilières, mais dit plutôt qu'il référait les clients[28]:
« Q. Ce que j'ai compris de votre témoignage c'est qu'au niveau de BRF, Commax, MRACS, vous… vous étiez pas… vous les vendiez pas ces produits-là?
R. Je les référais.
Q. Vous les référiez. Et qui s'occupait de mes clients pendant… de monsieur Lambert et madame Larrivée à ce moment-là?
R. C'est que normalement le courtier aurait dû les appeler, il le faisait pas toujours, donc c'était beaucoup moi quand je les voyais pour leur autre placement en même temps.
Q. À titre de planification, vous regardiez tout ça incluant ceux-là?
R. Oui. C'est qu'à un moment iForum Service Financier mettait sur son rapport les investissements qu'on avait dans MRACS. »
[83] En aucun moment un courtier n'est entré en communication avec les demandeurs, c'est toujours Proteau qui a complété les formulaires. C'est Proteau qui a négocié les taux. Lors de l'ouverture de compte chez iForum, Proteau inscrivait un code de courtier[29].
[84] De plus, Proteau a reçu une rémunération de Norsheild représentant 1% des frais au client.
[85] Le tribunal est d'avis que ces placements ne sont pas conciliables avec un profil d'investisseur conservateur. Les demandeurs se sont retrouvés avec un portefeuille contenant des investissements correspondant à un profil spéculateur.
[86] Proteau a manqué à ses obligations dans l'exercice de son mandat. Il n'a pas donné les renseignements utiles et nécessaires à ses clients. Il s'est éloigné de leurs objectifs d'investissements. Il leur a conseillé d'investir dans un seul fonds hautement risqué alors qu'il leur disait que le capital et le rendement étaient garantis. Les demandeurs voulaient protéger leur capital tout en voulant qu'il fructifie. Jamais ils n'ont consenti à s'éloigner de leur objectif.
[87] Proteau n'a pas informé adéquatement ses clients sur la nature, le rendement et les risques des titres. En plus de mal conseiller ses clients, il a excédé la limite que lui accorde le certificat de planificateur financier en transigeant des valeurs mobilières.
[88] Proteau n'a pas agi comme l'aurait fait un planificateur financier, raisonnablement prudent et diligent, placé dans les mêmes circonstances et conséquemment, il a commis une faute. Ses clients avaient mis toute leur confiance en Proteau et il en a abusé. Non seulement il a fait preuve d'un manque de compétence dans les limites de sa certification, mais au surplus, il a excédé ses limites en participant aux transactions de valeurs mobilières.
[89] Nul doute que les fautes commises par Proteau à l'égard des demandeurs leur ont causé un dommage. Toutefois, Proteau ayant fait cession de ses biens, les demandeurs ne pourront récupérer le montant de leur dommage. Les demandeurs peuvent-ils être indemnisés par l'assureur?
[90] La faute de Proteau est-elle couverte par la police d'assurance?
[91] Les activités professionnelles couvertes par la police d'assurance sont décrites à l'article 5d):
« Les mots "activités professionnelles" signifient les services qui relèvent des activités d'un représentant qui agit pour le compte d'un cabinet sans y être employé, d'un représentant autonome, d'un cabinet ou d'une société autonome, dans la mesure où ceux-ci sont rendus conformément aux dispositions applicables de la Loi sur la distribution des services financiers, ses modifications et ses règlements, et dans la mesure où l'assuré bénéficie de toutes les habilitations qui y sont requises, y compris, mais non limitativement :
(…)
iii) les activités ayant trait à des conseils en matière de planification financière pour individus, de programmes successoraux, de régimes d'avantages sociaux, de régimes d'assurance et rentes collectives, de régimes de retraite, de régimes de participation aux bénéfices, de rentes de retraite, de régimes d'assurance-vie, maladie et invalidité, y compris les fonds accessoires se rapportant à l'un quelconque de ces programmes ou régimes.
Aux fins des présentes, les mots "fonds accessoires", signifient un fonds composé de biens autres que des contrats d'assurance, comme par exemple des titres de placement de banque et de société de fiducie; »
[92] Sean Murphy allègue que la faute ayant causé les dommages ne découle pas des mauvais conseils, mais bien d'avoir transigé des valeurs mobilières. Considérant que les activités et transactions liées à des valeurs mobilières ne sont pas couvertes par la police d'assurance, selon Sean Murphy, il n'y a pas lieu d'indemniser les demandeurs.
[93] Les demandeurs avaient confiance en Proteau et il les a bernés. Proteau a offert des services dans le cadre de la Loi sur la distribution des services financiers et avait une certification pour le faire. Dans le cadre de son mandat de planificateur financier, il a commis des erreurs. Proteau s'est éloigné du profil d'investisseur de ses clients, il ne leur a pas exposé de façon complète et objective la nature, les avantages et les inconvénients du produit qu'il leur proposait. Il leur a fait miroiter que BRF était un titre sécuritaire et que tant le capital que le rendement étaient garantis. Il ne devait pas suggérer un titre en particulier, ce qu'il a fait.
[94] Proteau a commis une faute en conseillant mal ses clients et après les avoir mal conseillés, il a excédé les limites de sa compétence en transigeant des titres.
[95] Quelle est la cause immédiate et directe de l'achat de titres? Est-ce les mauvais conseils prodigués aux demandeurs ou les transactions liées à des valeurs mobilières?
[96] Dans le cas de causes concurrentes, le juge Brossard, dans l'arrêt Sécurité nationale c. Éthier[30], a dû déterminer quelle était la cause immédiate et directe du soulèvement d'une piscine creusée. Était-ce la seule pression de la nappe phréatique ou la faute des intimés de ne pas avoir ouvert le drain avant de procéder au pompage? Dans le premier cas, l'exclusion s'appliquait et dans le second, non. Il s'est donc interrogé sur laquelle des causes devait prévaloir, celle qui est exclue ou celle qui est couverte? Il a conclu que c'est l'intervention humaine fautive qui est l'élément qui est venu activer et déclencher le facteur risque de la nappe phréatique. Il écrit :
« [29] La protection de l'assuré constitue la priorité des réformes apportées en 1974 et 1994. En vertu de cette philosophie, je suis d'avis que, dans le cas de causes concurrentes dont l'une est expressément couverte, et en l'espèce en vertu même du Code civil à son article 2464, la protection doit prévaloir même si l'autre cause concurrente est exclue.
[30] Qu'il me suffise de dire, en terminant, que cette solution est d'ailleurs celle que l'on retrouve en droit français des assurances qui a fortement inspiré les réformes de 1974 et 1994. »
[97] En l'instance, Proteau a commis une faute à l'intérieur du cadre de son mandat à titre de planificateur financier et une seconde en excédant les limites qui lui sont imposées. Sans les conseils de Proteau à titre de planificateur financier, les demandeurs n'auraient pas transigé. Le manque d'objectivité et de neutralité de Proteau lorsqu'il a prodigué ses conseils était guidé par son propre intérêt et les liens qu'il entretenait à l'égard de l'émetteur de titres.
[98] Lorsqu'il y a une faute susceptible de couverture et l'autre non, il y a lieu de retenir la première. Il restera par la suite à déterminer si la garantie doit être écartée en raison des exclusions contenues à la police d'assurance.
[99] Le tribunal est donc d'avis que la faute reliée au devoir de conseil de Proteau à titre de planificateur financier fait partie des activités professionnelles couvertes par la police d'assurance.
[100] Sean Murphy fait valoir que même si les actes de Proteau étaient couverts par la police d'assurance, la couverture est exclue parce qu'il s'agit d'une faute lourde.
[101] Il est reconnu en jurisprudence qu'en matière de police d'assurance, les dispositions concernant les garanties sont d'interprétation large et que les clauses d'exclusion sont d'interprétation restrictive et littérale.
[102] À l'article 6 de la police d'assurance, il est prévu que la police ne s'applique pas aux réclamations fondées ou attribuables ou découlant :
l) d'une faute lourde, de grossière négligence, d'aveuglement volontaire ou de l'assomption d'un risque calculé;
[103] Dans l'arrêt Banque de Montréal c. Manuvie[31], la faute lourde est ainsi définie :
" Le concept de faute lourde a été puisé dans l'oeuvre de Pothier qui le définit comme... «étant celle qui consiste à ne pas apporter aux affaires d'autrui le soin que les personnes les moins soigneuses et les plus stupides ne manquent pas d'apporter à leurs affaires». C'est la définition qu'a retenue la Cour suprême dans R c. Canada Steamship Lines Ltd, [1950] RC.S. 532. Cette définition a toutefois été quelque peu atténuée par des arrêts postérieurs et Jean-Louis Baudouin, maintenant juge à notre Cour, dans son ouvrage sur Les Obligations, mentionne que : «la jurisprudence entend en général la faute particulièrement grossière, inexcusable et qui dénote un complet mépris des intérêts d'autrui». Le professeur Crépeau en donne la définition suivante :
"La faute lourde est celle qui procède d'un comportement anormalement déficient. C'est donc en principe l'ampleur de l'écart constaté entre la conduite suivie par le défendeur et celle à laquelle il aurait dû se conformer qui révèle son existence aussi bien en matière délictuelle que contractuelle".
Pour déterminer si la faute reprochée a été
lourde, il importe d'examiner si le débiteur de l'obligation était un
spécialiste ou un profane (Voir Ceres Stevedoring Co Ltd c. Eisen and Metan
A.G.,
(nos soulignements)
[104] Pour déterminer s'il s'agit d'une faute lourde, le tribunal doit considérer l'ensemble de la situation.
[105] Proteau savait que la demanderesse et le demandeur n'avaient pas de connaissances en matière de placements et que leur tolérance au risque était faible. Malgré cela, il a utilisé la relation de confiance tissée au fil des ans pour les amener à investir la quasi-totalité de leur argent dans des produits hautement risqués. Il les a conseillés en sachant bien que cela ne correspondait pas du tout à leur profil d'investisseur. Il leur a fait croire que leurs placements se retrouveraient dans des titres où le capital et le rendement sont garantis. Il a induit ses clients en erreur et il a de façon grossière fait fi des règles les plus élémentaires en la matière.
[106] Proteau ne pouvait pas ne pas savoir. Il a conseillé le contraire de ce qu'il aurait dû.
[107] Le tribunal est d'avis que Proteau a commis une faute lourde. C'est l'ampleur et la gravité de la négligence et des manquements à l'égard de son devoir de conseil qui représentent une faute lourde. En conséquence, la faute est exclue de la couverture de la police d'assurance.
[108] Étant donné la conclusion à laquelle en arrive le tribunal il n'est pas nécessaire de statuer sur l'intérêt de Estrie-Miel à poursuivre.
Les dépens :
[109] Les fautes commises par Proteau à l'égard des demandeurs leur ont causé des dommages. Proteau ayant fait cession de ses biens, les demandeurs ne pourront pas récupérer le montant de leurs dommages.
[110] Considérant l'ensemble de la situation, le tribunal est d'avis que les demandeurs ne doivent pas être condamnés aux dépens.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[111] REJETTE la requête introductive d'instance amendée des demandeurs;
[112] SANS FRAIS.
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__________________________________ LINE SAMOISETTE, J.C.S. |
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Me Alain Heyne |
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Heenan Blaikie |
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Procureurs des demandeurs |
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Me Éric Oliver |
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La Roche, Rouleau & Associés |
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Procureurs du défendeur Sean Murphy |
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Date d’audience : |
15 et 16 novembre 2010. |
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[1] Pièce P-1 (CIDREQ Estrie-Miel).
[2] Pièce P-2.
[3] Pièce DL-1.
[4] Pièce P-11.
[5] Pièce P-12.
[6] Pièce P-25.
[7] Pièce P-6.
[8] Pièce P-33.
[9] Pièce P-19.
[10] Pièce P-20 (L'entreprise a son siège social à Nassau aux Bahamas).
[11] Pièce P-21.
[12] Pièce P-22.
[13] Pièce P-23.
[14] Pièce P-31(Nom du vendeur René Proteau/Nom du courtier iForum).
[15] Pièce P-13.
[16] Pièce P-30.
[17] Pièces P-17 et P-18.
[18] Pièce P-30.
[19]
Chambre de la sécurité financière c. René Proteau,
[20] L.R.Q., c. D-9.2.
[21] L.R.Q., c. D-9.2, art. 57 .
[22] R.R.Q., c. D-9.2, r. 3, art. 2.
[23] Id., arts 12 à 15.
[24] Jean-Louis BAUDOUIN et Pierre-Gabriel JOBIN, Les obligations, 6e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, no 321, p. 360
[25] Id. p. 49, paragr. 2.5.4.
[26] Guide intitulé "Normes professionnelles, Planification financière personnelle", Institut québécois de planification financière, 2004, p. 48, paragr. 2.5.1.
[27] L.R.Q., chapitre V-1.1.
[28] Interrogatoire après défense de René Proteau, 16 décembre 2008, p. 79-80.
[29] Pièce P-21.
[30]
Sécurité nationale c. Éthier,
[31]
Banque de Montréal c. Manuvie, la compagnie d'assurance-vie Manufacturers
(C.A. 1993-12-09),
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.