Laplante et Lauzon Planchers de bois exclusifs |
2009 QCCLP 1086 |
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[1] Le 17 septembre 2007, monsieur Martin Laplante (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue le 5 septembre 2007 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme une décision qu’elle a initialement rendue le 16 mai 2007 et déclarait qu’il y avait lieu de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu du travailleur en date du 12 mai 2007 au motif que ce dernier a quitté son emploi alors qu’il était apte à effectuer une assignation temporaire suite à une lésion professionnelle survenue le 22 février 2007.
[3] Une audience a lieu à Gatineau le 8 avril 2008, à laquelle le travailleur est présent et où Lauzon Planchers de bois exclusifs (l’employeur) est représenté par procureur.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il avait droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 12 mai 2007 suite à sa lésion professionnelle survenue le 22 février 2007 et qui le rendait toujours incapable d’exercer son emploi.
LES FAITS
[5] Le 6 mars 2007, le travailleur produit un formulaire de réclamation auprès de la CSST en regard d’une lésion professionnelle qu’il aurait subie le 22 février 2007 alors qu’il a été heurté par un convoyeur transportant des planches de bois. Le même jour, il consulte le docteur J. Nadon qui pose un diagnostic d’entorse et de contusion lombaire. Le médecin recommande par ailleurs une assignation temporaire à des tâches modifiées tel que suggérée par l’employeur.
[6] Le 12 mai 2007, le travailleur informe l’employeur qu’il quitte son emploi.
[7] Le 16 mai 2007, la CSST informe le travailleur qu’elle suspend le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 12 mai 2007 en application des dispositions de l’article 142 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) en précisant que le travailleur a quitté son emploi à cette date alors qu’il était apte à effectuer une assignation de travail temporaire, par ailleurs autorisée par son médecin.
[8] À l’audience, le travailleur précise que suite à sa lésion professionnelle, il a été en assignation temporaire du 26 février au 1er mars 2007 chez l’employeur. Cette assignation a été interrompue du 2 mars au 12 mars 2007 par son médecin traitant et reprise le 13 mars jusqu’au 12 mai 2007, après quoi il a remis sa démission à l’employeur.
[9] En ce qui a trait à son indemnité de remplacement du revenu, le travailleur souligne qu’il a demandé à deux occasions à une préposée de la CSST si le montant de son indemnité de remplacement (l’IRR) du revenu serait due au cas où il changerait d’emploi. Il affirme qu’on aurait confirmé la poursuite du versement de l’indemnité de remplacement du revenu à la suite de sa démission. Le travailleur ajoute qu’il était à la recherche d’un autre emploi environ une semaine avant la date du 12 mai 2007.
[10] Le tribunal a par ailleurs entendu madame Mélanie Boisselle, conseillère en ressources humaines chez l’employeur relativement aux démarches ayant entouré l’assignation temporaire du travailleur dans un emploi chez l’employeur.
[11] Monsieur Vital Leblanc, coordonnateur des expéditions chez l’employeur a témoigné à l’audience. Il souligne que le travailleur lui a fait part de démarches en vue d’occuper un autre emploi vers la mi-avril 2007, pour informer ultérieurement qu’il quitterait son emploi le 27 avril 2007, date qu’il a retardée au 12 mai 2007 par la suite.
L’ARGUMENTATION DES PARTIES
[12] Dans son argumentation, le travailleur soutient qu’il a été mal informé par la CSST qui a suspendu le versement de son indemnité de remplacement du revenu, alors que le travailleur se serait renseigné à deux reprises auprès de la CSST pour s’enquérir de son droit au maintien du versement de l’IRR dans le cas d’une démission chez l’employeur.
[13] Pour sa part, le procureur de l’employeur précise dans un premier temps que l’application des dispositions de l’article 142 de la loi était justifiée dans le présent cas et que le travailleur devait exécuter l’assignation de travail temporaire autorisée par son médecin ou la contester en vertu des dispositions des articles 179 et suivants de la loi.
[14] Quant aux demandes de renseignements qu’aurait formulées le travailleur auprès de la CSST quant au maintien possible du versement de l’indemnité de remplacement du revenu après une démission, il appert que si le travailleur a véritablement été mal informé par une préposée de la CSST quant au droit au maintien du versement de l’indemnité de remplacement du revenu suite à une démission, il s’agit là d’une erreur administrative qui ne peut en aucun cas modifier les termes de la loi, surtout dans la mesure où le travailleur n’a pas fourni de preuve prépondérante à l’effet qu’il aurait été mal renseigné par la CSST.
L’AVIS DES MEMBRES
[15] Le membre issu des associations syndicales est d’avis de faire droit à la requête du travailleur et de déclarer que ce dernier avait droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu en raison de sa lésion professionnelle, après avoir cessé son emploi chez l’employeur. En quittant son emploi, le lien d’emploi était rompu avec l’employeur et l’assignation à un travail temporaire chez l’employeur n’était plus possible. Toutefois, cette situation ne permettait pas à la CSST de mettre fin au versement de l’IRR du travailleur, la lésion professionnelle n’étant pas consolidée et le travailleur n’étant pas apte à reprendre son emploi habituel. Dans ce contexte, les dispositions de l’article 142 de la loi n’étaient pas applicables au travailleur.
[16] Pour sa part, le membre issu des associations d’employeurs considère que la requête du travailleur devrait être rejetée et le versement de l’indemnité de remplacement du revenu interrompue, en raison de la démission du travailleur chez son employeur. À compter de ce moment, l’employeur n’était plus en mesure de continuer à offrir au travailleur une assignation à un travail temporaire dans l’entreprise suite à une décision unilatérale du travailleur de rompre le lien d’emploi avec l’employeur. Par ailleurs, le travailleur n’a fait valoir aucune raison valable justifiant sa démission, au sens des dispositions de l’article 142, afin de lui permettre de continuer à recevoir son indemnité.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[17] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision que la CSST a rendue le 5 septembre 2007 à la suite d’une révision administrative et de déclarer qu’il avait droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu après le 12 mai 2007 suite à la démission de son emploi chez l’employeur.
[18] En ce qui a trait au présent litige, les dispositions de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles incidentes sont les suivantes.
[19] L’article 44 de la loi prévoit le droit à une indemnité de remplacement du revenu pour un travailleur ayant subi une lésion professionnelle, dans les cas suivants :
44. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à une indemnité de remplacement du revenu s'il devient incapable d'exercer son emploi en raison de cette lésion.
Le travailleur qui n'a plus d'emploi lorsque se manifeste sa lésion professionnelle a droit à cette indemnité s'il devient incapable d'exercer l'emploi qu'il occupait habituellement.
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1985, c. 6, a. 44.
[20] D’autre part, l’article 57 de la loi prévoit des cas d’extinction du droit à l’indemnité de remplacement du revenu dans les termes suivants :
57. Le droit à l'indemnité de remplacement du revenu s'éteint au premier des événements suivants :
1° lorsque le travailleur redevient capable d'exercer son emploi, sous réserve de l'article 48 ;
2° au décès du travailleur; ou
3° au soixante-huitième anniversaire de naissance du travailleur ou, si celui-ci est victime d'une lésion professionnelle alors qu'il est âgé d'au moins 64 ans, quatre ans après la date du début de son incapacité d'exercer son emploi.
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1985, c. 6, a. 57.
[21] Par ailleurs, l’article 142 de la loi prescrit une situation où la CSST peut réduire ou suspendre le paiement d’une indemnité pour les motifs suivants :
142. La Commission peut réduire ou suspendre le paiement d'une indemnité :
1° si le bénéficiaire :
a) fournit des renseignements inexacts;
b) refuse ou néglige de fournir les renseignements qu'elle requiert ou de donner l'autorisation nécessaire pour leur obtention;
2° si le travailleur, sans raison valable :
a) entrave un examen médical prévu par la présente loi ou omet ou refuse de se soumettre à un tel examen, sauf s'il s'agit d'un examen qui, de l'avis du médecin qui en a charge, présente habituellement un danger grave;
b) pose un acte qui, selon le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, selon un membre du Bureau d'évaluation médicale, empêche ou retarde sa guérison;
c) omet ou refuse de se soumettre à un traitement médical reconnu, autre qu'une intervention chirurgicale, que le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, un membre du Bureau d'évaluation médicale, estime nécessaire dans l'intérêt du travailleur;
d) omet ou refuse de se prévaloir des mesures de réadaptation que prévoit son plan individualisé de réadaptation;
e) omet ou refuse de faire le travail que son employeur lui assigne temporairement et qu'il est tenu de faire conformément à l'article 179, alors que son employeur lui verse ou offre de lui verser le salaire et les avantages visés dans l'article 180 ;
f) omet ou refuse d'informer son employeur conformément à l'article 274 .
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1985, c. 6, a. 142; 1992, c. 11, a. 7.
[22] L’article 179 de la loi prévoit l’assignation temporaire d’un travail à un travailleur victime d’une lésion professionnelle de la façon suivante :
179. L'employeur d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle peut assigner temporairement un travail à ce dernier, en attendant qu'il redevienne capable d'exercer son emploi ou devienne capable d'exercer un emploi convenable, même si sa lésion n'est pas consolidée, si le médecin qui a charge du travailleur croit que :
1° le travailleur est raisonnablement en mesure d'accomplir ce travail;
2° ce travail ne comporte pas de danger pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion; et
3° ce travail est favorable à la réadaptation du travailleur.
Si le travailleur n'est pas d'accord avec le médecin, il peut se prévaloir de la procédure prévue par les articles 37 à 37.3 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1), mais dans ce cas, il n'est pas tenu de faire le travail que lui assigne son employeur tant que le rapport du médecin n'est pas confirmé par une décision finale.
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1985, c. 6, a. 179.
[23] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur avait droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu en raison de sa lésion professionnelle du 22 février 2007, après avoir quitté son emploi chez l’employeur le 12 mai 2007.
[24] L’article 44 de la loi prévoit qu’un travailleur a droit à une indemnité de remplacement du revenu suite à une lésion professionnelle.
44. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à une indemnité de remplacement du revenu s'il devient incapable d'exercer son emploi en raison de cette lésion.
Le travailleur qui n'a plus d'emploi lorsque se manifeste sa lésion professionnelle a droit à cette indemnité s'il devient incapable d'exercer l'emploi qu'il occupait habituellement.
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1985, c. 6, a. 44.
[25] L’article 46 de la loi traite pour sa part de la durée de l’incapacité.
46. Le travailleur est présumé incapable d'exercer son emploi tant que la lésion professionnelle dont il a été victime n'est pas consolidée.
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1985, c. 6, a. 46.
[26] La fin du droit à l’indemnité est déterminée par les dispositions de l’article 57 de la loi.
57. Le droit à l'indemnité de remplacement du revenu s'éteint au premier des événements suivants :
1° lorsque le travailleur redevient capable d'exercer son emploi, sous réserve de l'article 48 ;
2° au décès du travailleur; ou
3° au soixante-huitième anniversaire de naissance du travailleur ou, si celui-ci est victime d'une lésion professionnelle alors qu'il est âgé d'au moins 64 ans, quatre ans après la date du début de son incapacité d'exercer son emploi.
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1985, c. 6, a. 57.
[27] La loi prévoit par ailleurs des situations pour lesquelles la CSST peut réduire ou suspendre le paiement d’une indemnité.
142. La Commission peut réduire ou suspendre le paiement d'une indemnité :
1° si le bénéficiaire :
a) fournit des renseignements inexacts;
b) refuse ou néglige de fournir les renseignements qu'elle requiert ou de donner l'autorisation nécessaire pour leur obtention;
2° si le travailleur, sans raison valable :
a) entrave un examen médical prévu par la présente loi ou omet ou refuse de se soumettre à un tel examen, sauf s'il s'agit d'un examen qui, de l'avis du médecin qui en a charge, présente habituellement un danger grave;
b) pose un acte qui, selon le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, selon un membre du Bureau d'évaluation médicale, empêche ou retarde sa guérison;
c) omet ou refuse de se soumettre à un traitement médical reconnu, autre qu'une intervention chirurgicale, que le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, un membre du Bureau d'évaluation médicale, estime nécessaire dans l'intérêt du travailleur;
d) omet ou refuse de se prévaloir des mesures de réadaptation que prévoit son plan individualisé de réadaptation;
e) omet ou refuse de faire le travail que son employeur lui assigne temporairement et qu'il est tenu de faire conformément à l'article 179, alors que son employeur lui verse ou offre de lui verser le salaire et les avantages visés dans l'article 180 ;
f) omet ou refuse d'informer son employeur conformément à l'article 274 .
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1985, c. 6, a. 142; 1992, c. 11, a. 7.
[28] Suite à une lésion professionnelle, des mesures de réadaptation peuvent être appliquées pour faciliter le retour au travail d’un travailleur. L’assignation temporaire d’un travail par l’employeur constitue l’une de ces mesures.
179. L'employeur d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle peut assigner temporairement un travail à ce dernier, en attendant qu'il redevienne capable d'exercer son emploi ou devienne capable d'exercer un emploi convenable, même si sa lésion n'est pas consolidée, si le médecin qui a charge du travailleur croit que :
1° le travailleur est raisonnablement en mesure d'accomplir ce travail;
2° ce travail ne comporte pas de danger pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion; et
3° ce travail est favorable à la réadaptation du travailleur.
Si le travailleur n'est pas d'accord avec le médecin, il peut se prévaloir de la procédure prévue par les articles 37 à 37.3 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1), mais dans ce cas, il n'est pas tenu de faire le travail que lui assigne son employeur tant que le rapport du médecin n'est pas confirmé par une décision finale.
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1985, c. 6, a. 179.
[29] L’objet du présent litige repose essentiellement sur la question de l’application de l’article 179 au travailleur et du maintien ou non du versement de l’indemnité de remplacement du revenu au travailleur suite à la cessation de ses fonctions chez l’employeur.
[30] La question a été abordée à quelques occasions par la jurisprudence qui a proposé certains jalons à l’interprétation des articles 179 et 142 de la loi en regard de situations reliées particulièrement à la retraite ou la démission d’un travailleur alors que ce dernier reçoit une indemnité de remplacement du revenu suite à une lésion professionnelle.
[31] La Commission des lésions professionnelles a déjà considéré qu’un travailleur n’avait pas droit au versement de l’IRR après avoir démissionné de ses fonctions chez l’employeur parce qu’il refusait d’exécuter les tâches assignées temporairement conformément aux dispositions de l’article 179 de la loi[2], de crainte d’aggraver sa condition médicale. On a alors souligné que le travailleur avait eu recours à la démission plutôt que d’utiliser les dispositions prévues à l’article 179 de la loi en vue de manifester son désaccord avec la recommandation de son médecin.
[32] Dans l’affaire Boudreault et Michael Rossy Ltée,[3] la Commission des lésions professionnelles a conclu que la suspension de l’IRR de la travailleuse était bien fondée puisque sa décision de démissionner pour des raisons personnelles avait rendu impossible l’assignation à un travail temporaire proposé par l’employeur. On y précise que l’article 179 de la loi exige l’existence d’un lien contractuel entre le travailleur et l’employeur et que la rupture de ce lien était due exclusivement de la décision de la travailleuse. Le commissaire ajoute que l’article 57 de la loi n’était pas remis en cause et que la travailleuse avait droit à l’indemnité de remplacement du revenu, mais que le versement de cette indemnité avait à bon droit été suspendu.
[33] Dans Provigo Distribution inc. et Elbenord[4], la Commission des lésions professionnelles estime que la démission du travailleur équivaut à un refus d’exécuter une assignation temporaire chez l’employeur sans avoir recouru aux dispositions de la loi pour contester l’opinion de son médecin. Cette démission volontaire constitue une rupture du lien d’emploi avec l’employeur et justifie la suspension du versement de l’indemnité de remplacement du revenu.
[34] Certaines décisions font par ailleurs état du droit au maintien du versement de l’indemnité de remplacement du revenu suite à la démission du travailleur jusqu’alors assigné à un travail temporaire au sens des dispositions de l’article 179 de la loi. Dans l’affaire SGT 2000 inc. et Tyutyunnikov[5], la commissaire estime que rien dans la loi ne prévoit qu’un travailleur doive conserver son lien d’emploi pour bénéficier des versements d’IRR et de la réadaptation. La démission a entraîné l’absence du lien d’emploi et à partir de ce moment, l’assignation temporaire devenait impossible.
[35] La Commission des lésions professionnelles a ainsi reconnu le maintien du versement de l’IRR pour une travailleuse ayant démissionné de son emploi alors qu’elle était en assignation temporaire chez l’employeur, ayant dû déménager dans une autre région[6]. On allègue qu’en l’absence du lien d’emploi, l’assignation s’avère impossible.
[36] Dans l’affaire Hôpital Rivière-des-Prairies et Charest[7], la Commission des lésions professionnelles considère que, vu le caractère prospectif de la mesure prévue à l’article 142 de la loi, il importe de déterminer la présence ou non d’une raison valable pour le travailleur d’avoir démissionné de son emploi. Dans le cas en espèce, la commissaire refuse de suspendre le versement de l’IRR, malgré la rupture du lien d’emploi.
[37] Après avoir analysé la jurisprudence et les faits pertinents au dossier sous étude, il y a lieu de constater que la démission du travailleur en cause a mis fin au lien d’emploi avec son employeur et que l’assignation temporaire proposée par ce dernier est devenue caduque lors de ladite démission.
[38] Le soussigné est d’avis que la démission du travailleur constitue une décision qui lui est personnelle et qui par ailleurs, entraîne pour lui des conséquences importantes, dont la perte des droits qui étaient rattachés à son emploi chez l’employeur. Le fait de démissionner n’est soumis à aucune condition particulière et il s’agit là d’un droit du travailleur. On ne doit pas par ailleurs rechercher l’intention ou les motifs du travailleur à la base de sa décision.
[39] Il n’y a pas lieu davantage d’évaluer le caractère raisonnable de la ou des raisons ayant conduit ce dernier à démissionner en matière de versement de l’indemnité de remplacement du revenu au sens des dispositions de l’article 142 de la loi. La jurisprudence ne fait une telle démarche que lorsqu’il est question de retraite d’un travailleur et il n’y a pas lieu de faire de distinction entre la retraite et la démission en ce qui a droit au versement de l’IRR dans le processus entourant l’assignation temporaire prévue à l’article 179 de la loi.
[40] En fait, autant la démission que la retraite sont des mesures extrêmes et en principe définitives que prend un travailleur. Il ne s’agit pas là de situations assimilables à celles édictées par le législateur à l’article 142 de la loi quand il est question de situations où un travailleur « omet » ou « refuse » de faire un travail assigné temporairement par un employeur. On n’a pas à se demander si, par sa démission, le travailleur omet ou refuse d’accomplir un travail chez l’employeur. La démission entraîne une fin d’entente contractuelle, la rupture d’un lien d’emploi. On ne doit pas y voir un geste de contestation de la part du travailleur ni si ce dernier avait une raison valable de poser un tel geste.
[41] Le droit à une indemnité de remplacement du revenu est relié à la survenance d’une lésion professionnelle au sens de la loi et les causes d’extinction de ce droit sont spécifiquement prévues à l’article 57 de la loi. Il ressort de la lecture de cette disposition législative que la démission d’un travailleur de son emploi chez un employeur ne constitue pas une des raisons qui y sont prévues. Quant aux dispositions de l’article 142 de la loi, on doit les interpréter restrictivement car il s’agit de mesures de nature punitive et d’exception eu égard à l’esprit général de la loi, qui a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu’elles entraînent pour les bénéficiaires[8] et dont l’application doit être faite de façon large et libérale.
[42] Le tribunal est d’avis que l’article 142 confère à la CSST un pouvoir de contraindre un travailleur, dans certains cas précis, à respecter les obligations prévues à la loi à défaut de quoi, son indemnité pourra être réduite ou suspendue. L’utilisation des termes « réduire » ou « suspendre » revêt un caractère temporaire et ne se veut pas permanent. D’ailleurs, les dispositions de l’article 143 prévoient la possibilité pour la CSST de non seulement mettre fin à la suspension ou la réduction d’une indemnité, mais prévoient aussi le versement rétroactif des indemnités suspendues ou réduites lorsque le motif qui a justifié sa décision n’existe plus. Il serait difficile de concevoir l’application de l’article 143 au cas d’un travailleur ayant remis sa démission à un employeur, la démission étant de par sa nature, une situation permanente et non temporaire. En d’autres termes, comment un travailleur pourrait-il bénéficier des termes de l’article 143 dans le cas d’une démission? La situation ayant mené à la suspension de l’IRR étant définitive et permanente, le travailleur ne pourrait jamais faire valoir que le motif qui avait justifié la décision n’existe plus. En d’autres termes, la suspension de l’IRR en cas de démission d’un travailleur deviendrait permanente. Ce n’est certes pas là l’intention recherchée par le législateur dans la rédaction des articles 142 et 143 de la loi.
[43] Dans ce contexte, la Commission des lésions professionnelles considère que le fait de démissionner pour le travailleur a mis fin au lien d’emploi avec l’employeur, mais n’avait pas d’incidence sur le droit pour le travailleur de continuer à recevoir l’indemnité de remplacement du revenu à laquelle il avait droit en vertu des dispositions de l’article 57 de la loi. La CSST ne pouvait dès lors, appliquer les dispositions de l’article 142 en réponse à une situation reliée à l’assignation à un travail temporaire au sens de l’article 179 de la loi.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de monsieur Martin Laplante, le travailleur;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 5 septembre 2007, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur a droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu reliée à sa lésion professionnelle survenue le 7 février 2007, à compter du 12 février au 12 mai 2007;
RETOURNE le dossier à la CSST pour statuer sur le droit du travailleur à l’indemnité de remplacement du revenu, eu égard à sa lésion professionnelle subséquemment au 12 mai 2007.
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Pierre Sincennes |
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Me Sylvain Toupin |
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Denis, Toupin, avocats |
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Représentant de la partie intéressée |
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Me Michèle Gagnon-Grégoire |
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Panneton Lessard |
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Représentante de la partie intervenante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] Lavallée et Accès Formation Inc., CLP 143404-61-0007, 15 octobre 2000, B. Lemay
[3] C.L.P. 191471-09-0210, 27 août 2003, J.M. Laliberté
[4] C.L.P. 289299-71-0605 et 302165-71-0611, 31 mai 2007, M. Zigby
[5] C.L.P. 158046-71-0103, 28 septembre 2001, H. Rivard
[6] C.L.P. 114186-08-9904, 20 septembre 2001, S. Lemire
[7] C.L.P. 280372- 63-0661, 1er mars 2007, S. Sénéchal
[8] Article 1 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., chapitre A-3.001)
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.