Larocque et Entreprise d'électricité Laroche |
2012 QCCLP 6974 |
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[1] Le 8 novembre 2010, monsieur Yan Larocque (le travailleur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 27 octobre 2010 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme la décision qu’elle a initialement rendue le 7 juillet 2010, et déclare que le travailleur n’a pas subi une récidive, rechute ou aggravation le 22 avril 2010 et qu’il n’a pas droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
[3] L’audience fut tenue à Joliette le 5 juillet 2012 en présence du travailleur, qui est représenté. L’employeur, Entreprise d’Électricité Laroche, n’est ni présent, ni représenté. La CSST n’est pas présente, mais est représentée.
[4] L’affaire fut mise en délibéré le 11 octobre 2012, soit après que les parties eurent transmis des avis médicaux complémentaires et des observations écrites.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[5] Le travailleur demande de déclarer qu’il a subi une récidive, rechute ou aggravation le 22 avril 2010 en relation avec sa lésion professionnelle du 6 octobre 2003, soit une « rechute d’un problème de hernies discales L4-L5 et L5-S1 avec aggravation des lombosciatalgies gauches ».
LES FAITS
[6] Le 6 octobre 2003, le travailleur occupe un poste d’électricien d’entretien chez l’employeur lorsqu’en tentant d’attraper un tournevis qu’il venait d’échapper, il tombe d’un escabeau et se frappe le bas du dos sur le côté d’une marche.
[7] Le 4 février 2004, une imagerie par résonance magnétique montre la présence d’une petite hernie paramédiane gauche au niveau L4-L5 qui comprime la racine L5 gauche. L’imagerie montre également « une petite zone de déchirure radiaire postéro-médiane au niveau L5-S1 » sans hernie surajoutée. Les disques aux niveaux L1-L2, L2-L3 et L3-L4 sont de hauteur et de signal dans les limites de la normale, sans bombement, ni hernie.
[8] Le 16 mars 2004, la réclamation du travailleur est acceptée par la CSST pour un accident du travail, dont les diagnostics sont ceux de hernie discale au niveau L4-L5 et de contusion lombaire.
[9] Le travailleur subit une discoïdectomie au niveau L4-L5 en décembre 2004. Sa lésion est ensuite consolidée le 7 septembre 2005 avec une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique de 8 % pour une discoïdectomie lombaire au niveau L4-L5 et ankyloses. Des limitations fonctionnelles de classe II sont également retenues en relation avec cette lésion.
[10] Dans son rapport d’évaluation médicale du 14 novembre 2005, le docteur Jean-François Giguère, neurochirurgien, mentionne que la chirurgie a permis une nette amélioration de la sciatalgie, mais qu’une lombalgie de type mécanique persiste qui est invalidante pour le travailleur et susceptible de l’empêcher de retourner à son emploi habituel.
[11] Dans son témoignage, le travailleur mentionne qu’avant la chirurgie ses symptômes consistaient à boiter de la jambe gauche, de ressentir des douleurs et des engourdissements jusqu’aux orteils gauches, de ressentir comme une barre dans le dos et d’avoir de la difficulté à se pencher. Pour soulager ses douleurs, il prenait des Tylenols.
[12] Le travailleur ajoute qu’après la chirurgie il a noté une amélioration puisque ses douleurs et engourdissements à la jambe gauche s’arrêtaient au genou. Quant à la barre dans le dos, celle-ci constitue une séquelle à vie, selon ce que son chirurgien lui a mentionné. Depuis 2005, et encore au moment de l’audience, le travailleur soulage ses douleurs avec des Tramacets[2].
[13] Le 21 décembre 2006, la CSST détermine que le travailleur est capable d’exercer l’emploi convenable de vendeur de matériaux de construction, spécialisé en électricité.
[14] Néanmoins, le travailleur se trouve un emploi d’électricien d’entretien pour le compte d’une fabrique de charcuterie, emploi qu’il occupe de janvier 2008 à août 2008. En août 2008, il est embauché au Collège d’Ahuntsic à titre d’électricien d’entretien, poste qu’il occupera jusqu’en janvier 2010. Le travailleur témoigne que son employeur, après avoir découvert qu’il a déjà subi un accident du travail dans le passé, l’aurait incité à démissionner moyennant une indemnité de 3 mois de salaire. En outre, l’employeur le trouvait trop lent dans son travail.
[15] Dans son témoignage, le travailleur ajoute avoir ressenti des douleurs accrues lorsqu’il travaillait au Collège d’Ahuntsic. Il s’est remis à boiter de la jambe gauche et à ressentir des douleurs et des engourdissements jusqu’à son mollet gauche. Il mentionne également avoir commencé à ressentir des engourdissements par intermittence dans la jambe droite.
[16] Comme suite aux allégations de douleurs accrues du travailleur, le docteur Fermini a recommandé qu’il fasse l’objet d’une imagerie par résonance magnétique. Selon la radiologiste, la docteure Danielle Gilbert, l’imagerie du 1er juin 2009 montre ce qui suit :
Laminectomie L4-L5 gauche. Très peu de fibrose post-opératoire notée. Hernie discale foraminale gauche L4-L5, foraminale très proximale. À corréler s’il y a répercussion clinique. Hernie discale postéro-latérale et foraminale gauche L5-S1. La hernie entraîne un effet de masse sur la surface antéro-latérale gauche du sac dural et comble partiellement le récessus. À corréler.
[17] Le 31 mars 2010, soit après que le travailleur lui eut été référé par son médecin traitant, le docteur Giguère pose un diagnostic de hernie discale en proximal pouvant irriter la racine L4.
[18] Le lendemain, le travailleur subit une électroneuromyographie. Le neurologue, le docteur Rami Morcos, conclut à un examen normal. Selon le neurologue, « (L’) analyse électromyographique des divers muscles étudiés des membres inférieurs droit et gauche n’a révélé aucune dénervation pour suggérer la présence d’une lésion destructive touchant le système nerveux périphérique à ce niveau ».
[19] Le 22 avril 2010, le travailleur consulte son médecin, le docteur Fermini, qui pose un diagnostic de « problème de hernies discales L4-L5 et L5-S1, avec aggravation des lombosciatalgies gauches ». Dans ses notes cliniques, le docteur Fermini mentionne que le neurochirurgien du travailleur lui a indiqué qu’il ne pouvait continuer à exercer son travail d’électricien d’entretien en raison de son dos. Il ajoute que les lombosciatalgies gauches sont trop nombreuses pour que le travailleur puisse faire quelque travail que ce soit à ce moment, et qu’il remplit un formulaire de la CSST afin que le travailleur puisse se réorienter.
[20] Le 30 avril 2010, le travailleur transmet sa réclamation pour une récidive, rechute ou aggravation à la CSST.
[21] Dans une opinion médicale du 6 juillet 2010, le médecin-conseil de la CSST, le docteur Claude Morel mentionne qu’il « n’y a pas de relation entre la nouvelle hernie discale L5-S1 apparue sur l’imagerie de 2009 et la lésion initiale car il fut question seulement d’une atteinte localisée en L4-L5 en 2003 ».
[22] Le 7 juillet 2010, la CSST refuse la réclamation du travailleur au motif qu’il n’a pas démontré une détérioration objective de son état de santé, ni aucune autre catégorie de lésion professionnelle. Cette décision est confirmée par la CSST dans une décision rendue le 27 octobre 2010 à la suite d’une révision administrative, d’où le présent litige.
[23] À l’audience, le travailleur témoigne avoir régulièrement rencontré son médecin de famille, le docteur Fermini, ainsi que son neuro-chirurgien[3], le docteur Giguère, entre 2003 et 2010.
[24] Par contre, il mentionne ne pas les avoir rencontrés depuis le 22 octobre 2010, dans le cas du docteur Fermini, et depuis le 23 juin 2010 dans le cas du docteur Giguère. Le travailleur ajoute qu’il devait rencontrer le docteur Fermini en septembre 2012, mais que ce dernier lui a mentionné ne rien pouvoir faire tant que sa réclamation n’était pas acceptée. Ce médecin continue toutefois de lui prescrire des Tramacets. Il lui a également prescrit des traitements d’ergothérapie, de physiothérapie ou d’acupuncture, mais le travailleur n’en a pas reçu compte tenu du refus de sa réclamation par la CSST. Dans le cadre de son contre-interrogatoire, le travailleur mentionne ne pas avoir entamé de démarches auprès de son CLSC pour obtenir de tels traitements, ni auprès de l’assureur de son nouvel employeur, s’il en est.
[25] Le travailleur témoigne également qu’en juillet 2011, il s’est trouvé un nouvel emploi d’électricien d’entretien, cette fois au Stade olympique, poste qu’il occupait toujours au moment de l’audience.
[26] Toujours à l’audience, le travailleur dépose une imagerie par résonance magnétique de la colonne lombaire faite le 20 septembre 2010 qui montre ce qui suit :
L1-L2, L2-L3 et L3-L4 : absence de dégénérescence discale, de bombement ou de hernie. Absence de sténose spinale ou foraminale.
L4-L5 : dégénérescence discale légère se manifestant par une perte d’environ 25 % du disque et perte de son signal hydrique. Séquelles de laminectomie gauche. Discret bombement discal. Il n’y a pas de signe évident de récidive de hernie. Si on compare à l’examen antérieur qui remonte en janvier 2009, il n’y a pas de changement significatif. Absence de sténose foraminale.
L5-S1 : dégénérescence discale légère se manifestant par une perte de signal hydrique du disque. Comparativement à l’examen antérieur, persistance d’une hernie postéro-médiane avec une discrète composante paramédiane gauche. Cette hernie fait empreinte sur le sac dural. Absence de compression radiculaire. Légère arthrose facettaire bilatérale sans sténose foraminale.
[27] Au soutien de sa contestation, le travailleur dépose également un rapport d’expertise du 15 juin 2012 du docteur Gilles Roger Tremblay, chirurgien orthopédiste, qui conclut à « une détérioration importante de la condition lombaire de ce patient, avec apparition d’ankylose et apparition d’atteinte sensitive recouvrant les dermatomes L5 et S1 gauches ». Il note également que l’« imagerie par résonance magnétique a démontré que la fissure radiaire présente en pré-opératoire à L5-S1 est maintenant une hernie discale L5-S1 gauche, avec empreinte sur la face antérieure du sac dural, ce qui démontre une nette aggravation de cette pathologie par rapport à la condition pré-opératoire ».
[28] En outre, dans le cadre de son examen physique, le docteur Tremblay note un signe de Tripode positif à l’extension complète du genou à gauche, alors que le travailleur est en position assise. Il note également un Straight-Leg-Raising positif à gauche à 60 degrés d’élévation, pour une douleur se répercutant jusqu’au mollet. Ce test est négatif à droite. Le docteur Tremblay note également l’absence de réflexe achilléen gauche, « même avec renforcement en position du décubitus ventral ».
[29] Dans une note du 29 juin 2012, le docteur Tremblay conclut à une relation entre la nouvelle condition au niveau L5-S1 et la lésion professionnelle du 6 octobre 2003.
[30] Ce médecin rappelle d’abord qu’une déchirure radiale postéromédiane sans hernie surajoutée fut révélée par une imagerie par résonance magnétique effectuée le 4 février 2004 et qu’une nouvelle imagerie démontrait en 2010 une fissure annulaire paracentrale gauche avec hernie discale postérolatérale gauche.
[31] Le docteur Tremblay soumet ensuite que l’événement de 2003, qui a provoqué une hernie au niveau L4-L5, a également endommagé le disque situé au niveau sous-jacent, soit le niveau L5-S1, en produisant d’abord une déchirure radiale, laquelle est devenue la porte d’entrée de la hernie discale que l’on retrouve en 2010. Il s’exprime comme suit :
Le mécanisme accidentel qui a provoqué une hernie L4-L5 avait aussi endommagé le disque L5-S1 en produisant une déchirure radiale et, cette déchirure est le portail par où il se produit une hernie discale. Il n’est pas surprenant que suite à la discoïdectomie L4-L5, un stress concentré à cause de la défonctionnalisation de ce niveau, sur le niveau sous-jacent qui était déjà pathologiquement secondaire à l’accident, ait produit une hernie discale qui a traversé la déchirure radiale déjà induite lors de l’accident initial.
Il y a donc relation très claire entre la présence de cette nouvelle hernie discale L5-S1 et l’accident qui avait engendré une perte de l’intégrité discale à deux niveaux, sauf qu’en L5-S1, l’hernie ne s’était pas encore produite et il a fallu les stress additionnels transmis à cause de la discoïdectomie sus-jacente pour produire cette hernie qui est maintenant très symptomatique.
[32] Pour sa part, le médecin-conseil de la CSST, le docteur Claude Morel, produit un avis complémentaire le 20 septembre 2012 dans lequel il n’écarte pas l’hypothèse que l’événement du 6 octobre 2003 ait alors entrainé la petite déchirure de l’anneau fibreux du disque L5-S1, mais il conclut que la hernie subséquente ne peut résulter des stress physiques résultant de la discoïdectomie au niveau L4-L5. Il s’exprime comme suit :
La résonance magnétique du 4 février 2012 (sic[4]) a bien démontré une petite zone de déchirure radiaire postéro-médiane sans hernie surajoutée, ce qui ne fut pas retenu par la neurochirurgie à cause de la lésion majeure en L4-L5 nécessitant une chirurgie. La CSST étant liée par les médecins, elle ne pouvait se prononcer sur ce diagnostic. Au départ, la lésion reconnue fut une entorse lombaire avant l’investigation et une déchirure de ce type est considérée comme faisant partie d’une problématique d’entorse. Il est donc possible que la petite déchirure de l’anneau fibreux du disque L5-S1 provienne de la chute de 2003.
Le REM du docteur Giguère du 14 novembre 2005 avait montré un arc de mouvement du tronc avec une flexion à 90 degrés, une extension à 0 degré et une lombalgie de type mécanique invalidante.
Le travailleur n’a pas subi de nouvel accident et le fait de faire des efforts au travail tel que porter des outils n’est pas suffisant pour expliquer la production d’une lésion discale supplémentaire. Une hernie discale peut survenir lorsqu’une action brusque exerce une pression trop élevée sur le disque intervertébral, ce qui ne fut pas le cas selon les dires du travailleur.
Le disque opéré en L4-L5 présente un fonctionnement moins efficace qu’avant la lésion de 2003 mais il demeure au moins 75% du disque et il est impossible de prétendre que les stress physiques se sont concentrés directement sur le niveau sous-jacent car il ne s’agit pas dans ce cas d’une fusion lombaire. Je ne peux reconnaitre la hernie discale L5-S1 de 2010 en relation avec l’accident de 2003.
[33] Dans une note médicale du 10 octobre 2012, le docteur Tremblay répond à l’opinion du docteur Morel comme suit :
Même s’il y avait 75% du nucleus restant après une discoïdectomie, ce qui est discutable considérant la quantité du disque qui a été enlevée chez ce patient, le disque est remplacé par de la cicatrice et la cicatrice est beaucoup moins élastique qu’un disque normal.
En conséquence, la fonction du disque, même s’il reste du matériel nucléaire, est grandement diminuée et ce disque est totalement défonctionnalisé, presqu’autant que s’il l’avait été par arthrodèse. La cicatrice n’étant pas élastique comparée au disque normal, l’effet sur les disques sous-jacents et sus-jacents est le même ou pratiquement le même que lors d’une greffe à un niveau.
[34] Ce médecin ajoute ensuite que l’existence d’une déchirure radiale constitue la première étape vers la production d’une hernie, cette déchirure ayant pour effet de faciliter « la production de l’hernie en n’opposant aucune résistance au matériel discal qui peut beaucoup plus facilement sortir de ses confins anatomiques ».
L’AVIS DES MEMBRES
[35] Le membre issu des associations syndicales et la membre issue des associations d’employeurs sont tous deux d’avis que le travailleur a démontré, au moyen d’une preuve prépondérante, une modification à la baisse de sa condition le 22 avril 2010 au niveau L5-S1 en relation avec l’événement initial du 6 octobre 2003. Ils sont également d’avis que cet événement a causé la fissure radiale à ce niveau, laquelle s’est développée par la suite en hernie discale en 2010 par l’accumulation des stress physiques que ne pouvait plus assumer le disque situé au niveau L4-L5.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[36] Le tribunal doit déterminer si le travailleur a subi une récidive, rechute ou aggravation le 22 avril 2010 en relation avec sa lésion professionnelle du 6 octobre 2003.
La récidive, rechute ou aggravation
[37] La loi définit la lésion professionnelle comme suit :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[38] Malgré que la loi reconnaisse la récidive, la rechute ou l’aggravation comme une lésion professionnelle, elle ne la définit pas. Toutefois, la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles a circonscrit cette notion en ayant recours au sens courant de ces termes.
[39] Ainsi, une reprise évolutive, une réapparition ou une recrudescence de la lésion initiale ou de ses symptômes peuvent respectivement constituer une récidive, une rechute ou une aggravation[5].
[40] Il appartient au travailleur d’établir, par une preuve prépondérante, une modification de son état de santé, et la relation entre l’état de santé qu’il présente lors de la récidive, rechute ou aggravation alléguée et la lésion professionnelle initiale[6]. La simple preuve testimoniale ne suffit toutefois pas. Celle-ci doit être soutenue par une preuve médicale.
[41] Suivant la jurisprudence[7], les critères suivants peuvent notamment être considérés dans l’appréciation de la relation entre la récidive, rechute ou aggravation alléguée et la lésion professionnelle initiale :
- la gravité de la lésion initiale;
- la continuité de la symptomatologie;
- l’existence ou non d’un suivi médical;
- le retour au travail avec ou sans limitations fonctionnelles;
- la présence d’une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique;
- la présence d’une condition personnelle;
- la compatibilité de la symptomatologie alléguée au moment de la récidive, rechute ou aggravation et la lésion initiale;
- le délai entre la récidive, rechute ou aggravation et la lésion initiale;
- la similitude du site de lésion;
- la similitude des diagnostics.
[42] Ces critères servent de guide, et le tribunal n’est pas tenu de tous les retenir, ou d’en retenir un davantage que l’autre. Chaque situation est jugée à son mérite.
[43] Comme le rappelle la Commission des lésions professionnelles dans la décision Rivest et Star Appetizing Products inc.[8], le tribunal est appelé à se demander si la lésion initiale explique la récidive, rechute ou aggravation alléguée :
[24] La partie qui réclame la reconnaissance d’une récidive doit faire la démonstration, à l’aide d’une preuve prépondérante, de la relation de cause à effet qui unit la lésion professionnelle initialement admise à la récidive alléguée. Cette preuve est souvent de nature médicale, mais ce qui importe, au-delà de la forme qu’elle revêt, c’est qu’elle démontre un rapport entre la lésion initiale et la récidive alléguée de telle sorte que la première explique la seconde. La condition prévalant lors de la récidive doit découler plus probablement de la lésion première que de toute autre cause.
[notre soulignement]
[44] Dans le cadre de l’appréciation d’une réclamation pour récidive, rechute ou aggravation, le tribunal peut, à condition de ne pas remettre en cause le diagnostic de la lésion initiale, « apprécier l’ensemble de la preuve factuelle et médicale pour statuer sur la relation entre le diagnostic allégué pour la récidive et la lésion initiale ou l’événement initial »[9].
[45] En l’espèce, l’accident du travail survenu le 6 octobre 2003 a entrainé une lésion professionnelle, dont le diagnostic retenu fut celui de hernie discale au niveau L4-L5 et de contusion lombaire.
[46] Bien que la CSST n’ait pas rendu alors de décision à l’égard du niveau L5-S1, et sans remettre en cause le diagnostic alors retenu, le tribunal retient que cet accident a également entrainé une déchirure radiaire à ce niveau, sans hernie discale.
[47] En effet, la preuve médicale à ce sujet est prépondérante. L’opinion du docteur Tremblay va clairement dans le sens que cet accident a non seulement entrainé une hernie discale au niveau L4-L5, mais également une déchirure radiaire au niveau L5-S1, alors que le docteur Morel estime possible que cette déchirure provienne de l’accident de 2003.
[48] En outre, l’imagerie par résonance magnétique de 2004 de la colonne lombaire révèle que les niveaux L1-L2, L2-L3 et L3-L4 sont sans particularités, alors que les niveaux L4-L5 et L5-S1 présentent une hernie discale dans un cas, et une déchirure radiale dans l’autre.
[49] De l’avis du tribunal, ces atteintes dans le bas de la colonne lombaire sont compatibles avec les faits survenus le 6 octobre 2003, d’autant que le travailleur, qui n’était âgé que de 24 ans lors de la survenance de cet accident, présentait une colonne lombaire sans aucune particularité à ses 3 premiers niveaux.
[50] La preuve prépondérante démontre également que la condition de la colonne lombaire du travailleur au niveau L5-S1 s’est détériorée avec l’apparition d’une hernie discale en 2010 et une augmentation de sa sciatalgie. L’imagerie du 20 septembre 2010 révèle d’ailleurs la présence d’une hernie discale à ce niveau, alors que des signes cliniques ressortent de l’examen médical effectué par le docteur Tremblay le 14 mai 2012, à savoir un signe de Tripode positif à l’extension complète du genou à gauche, un Straight-Leg-Raising positif à gauche à 60 degrés d’élévation et l’absence de réflexe achilléen gauche. Or, de tels signes cliniques n’étaient pas présents lors de la production du rapport d’évaluation médicale du 14 novembre 2005.
[51] Compte tenu de cette modification à la baisse de l’état de santé du travailleur, il convient de déterminer si celle-ci est reliée à l’accident du travail du 6 octobre 2003.
[52] Le premier concerne la gravité de la lésion d’origine. Sur ce point, il y a lieu de noter que celle-ci a entraîné une hernie discale au niveau L4-L5, suivie d’une discoïdectomie, et une contusion lombaire. Cette lésion a entrainé une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique de 8,0 % et des limitations fonctionnelles. Au surplus, les séquelles ont été suffisamment importantes pour que la CSST décide que le travailleur ne pouvait reprendre son emploi pré-lésionnel. La lésion d’origine n’était donc pas banale.
[53] Par ailleurs, la preuve prépondérante démontre que cet événement a également entrainé une déchirure radiale au niveau sous-jacent L5-S1. Cette condition, qui n’a pas été reconnue officiellement, était toutefois connue et relève manifestement de cet événement.
[54] Par ailleurs, il existe une similitude des sites des lésions, lesquels se trouvent tous deux dans le bas de la colonne lombaire, soit aux niveaux L4-L5 et L5-S1.
[55] Pour ce qui est du suivi médical, la preuve démontre que le travailleur a consulté plusieurs médecins au fil du temps au sujet de ses malaises dans le bas du dos et ce, jusqu’à sa réclamation du mois d’octobre 2010.
[56] Concernant la continuité des symptômes, la preuve montre que le travailleur a continué de ressentir des douleurs dans le bas du dos à la suite de sa lésion professionnelle, y compris après sa discoïdectomie, bien qu’avec moins d’intensité, et que celles-ci se sont ensuite intensifiées, après qu’il ait été embauché au Collège d’Ahuntsic, dans un emploi qui ne respectait pas ses limitations fonctionnelles, avec une augmentation de sa sciatalgie.
[57] Quant au délai entre la récidive, rechute ou aggravation alléguée et l’événement initial, celui-ci est de 6 ans et demi, mais ce délai peut s’expliquer par le fait qu’à défaut d’un nouveau traumatisme, ce qui est le cas en l’espèce[10], une hernie peut prendre un certain temps à devenir symptomatique, le cas échéant, à partir d’une déchirure radiale.
[58] En outre, ce délai a été jalonné de consultations médicales suite à ses malaises, de sorte qu’il n’y a pas de silence médical qui laisserait supposer une absence de lien entre les événements.
[59] Quant à la preuve médicale présentée, le tribunal dispose des opinions des docteurs Tremblay et Morel sur la relation entre la lésion initiale et la récidive, rechute ou aggravation alléguée.
[60] Ainsi, le docteur Tremblay est d’avis que l’événement initial a également entrainé la déchirure radiale au niveau L5-S1, ce que le docteur Morel ne contredit pas.
[61] Ce dernier soumet toutefois que la lésion initiale se limite au seul niveau L4-L5 et que le travailleur n’a pas démontré de modification à la baisse de sa condition médicale à ce niveau.
[62] Tel que mentionné plus haut, il convient toutefois d’apprécier l’ensemble de la preuve factuelle et médicale pour statuer sur l’existence de la récidive du 22 avril 2010. Des faits rapportés, le tribunal conclut qu’il est juste de tenir compte, dans l’analyse de la récidive, rechute ou aggravation de 2010, de l’existence de la déchirure radiale au niveau L5-S1 et ce, dès l’événement d’origine en 2003.
[63] Puisque, de l’avis du tribunal, l’événement de 2003 a également causé la déchirure radiale du disque situé au niveau L5-S1, il convient de déterminer si la hernie discale de 2010 est reliée à cet événement.
[64] À cet égard, le tribunal retient l’opinion du docteur Tremblay à l’effet qu’une déchirure radiale constitue la porte d’entrée d’une éventuelle hernie discale.
[65] Le docteur Tremblay est également d’avis que la hernie discale constatée en 2010 est attribuable au fait que le disque situé au niveau L4-L5 n’est plus aussi fonctionnel et qu’une partie des stress qu’il subit normalement est transmise au disque situé au niveau sous-jacent. Or, celui-ci étant déjà atteint par une déchirure radiale, cette dernière facilite « la production de l’hernie en n’opposant aucune résistance au matériel discal qui peut beaucoup plus facilement sortir de ses confins anatomiques », selon ce médecin.
[66] À l’opposé, le docteur Morel, tout en reconnaissant que le disque opéré « présente un fonctionnement moins efficace qu’avant la lésion de 2003 » soutient qu’il reste 75 % disque au niveau L4-L5 et qu’à défaut d’une fusion lombaire, « il est impossible de prétendre que les stress se sont concentrés sur le niveau sous-jacent ».
[67] De l’avis du tribunal, à l’instar des deux médecins, il y a lieu de retenir que le disque opéré au niveau L4-L5 n’est plus aussi fonctionnel puisqu’il n’en reste qu’une partie.
[68] Or, même s’il subsiste 75 % de ce disque, les stress imposés au quotidien à la colonne lombaire sont demeurés inchangés, soit à 100 %, de sorte qu’une partie de ceux-ci n’a pu logiquement être assumée par ce disque une fois celui-ci opéré. Il est donc probable que ces stress ont été répartis ailleurs, plus particulièrement aux niveaux adjacents.
[69] Or, les imageries de 2004 et de 2010 ont démontré que le disque situé directement au niveau sus-jacent, soit au niveau L3-L4, ne présentait aucune anomalie. Ce disque sain a donc pris le relais du disque opéré en assumant avec succès une partie des stress que celui-ci ne pouvait plus assumer.
[70] À l’opposé, le disque situé directement au niveau sous-jacent, soit au niveau L5-S1, a également dû assumer une partie des stress qui ne pouvaient plus l’être par le disque opéré.
[71] Mais comme le disque situé au niveau L5-S1 était porteur d’une déchirure radiale depuis l’événement de 2003, il est probable que cette déchirure ait facilité la sortie du disque de ses confins anatomiques au fil du temps et de l’accumulation des stress sur ce disque, dont les stress supplémentaires résultant de la baisse de fonctionnalité du disque opéré. Autrement dit, le disque déjà affaibli, situé au niveau L5-S1, n’a donc pu jouer son rôle en prenant le relais de la perte de fonctionnalité du disque opéré situé juste au-dessus.
[72] Suite à l’analyse de la preuve, le tribunal en conclut que la condition présentée par le travailleur le 22 avril 2010, soit une hernie discale au niveau L5-S1, est reliée à l’accident du travail du 6 octobre 2003 au cours duquel s’est déclenchée une déchirure radiale à ce niveau.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de monsieur Yan Larocque, le travailleur;
INFIRME la décision rendue le 27 octobre 2010 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur a subi une lésion professionnelle le 22 avril 2010, soit une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion initiale du 6 octobre 2003, dont le diagnostic est celui de hernie discale au niveau L5-S1;
DÉCLARE que le travailleur a droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles en regard de cette lésion.
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Pierre Arguin |
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Me Diane Turbide |
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Turbide Lefebvre Roy |
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Représentante de la partie requérante |
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Me Myriam Sauviat |
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Vigneault Thibodeau Bergeron |
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Représentante de la partie intervenante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Entre la chirurgie et 2005, le travailleur prenait des Empracets.
[3] Dans une moindre mesure.
[4] Le docteur Morel réfère sans doute ici à l’année 2004.
[5] Lapointe et Cie
minière Québec Cartier,
[6] Dubé et Entreprises du Jalaumé enr., précitée.
[7] Boisvert et
Halco inc.,
[8] Rivest et Star
Appetizing Products inc., C.L.P.
[9] Rivest et Star Appetizing Products inc., précitée, par. 39.
[10] Il y a lieu de rappeler que la reconnaissance d’une
récidive, rechute ou aggravation n’exige pas la preuve de la survenance d’un
nouvel événement comme la jurisprudence l’a plus d’une fois reconnu. Voir
notamment : Thibault et Société canadienne des postes, C.L.P.