Tardif-Audy c. Magasin Latulippe inc. |
2021 QCCQ 6170 |
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COUR DU QUÉBEC |
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« Division des petites créances » |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
QUÉBEC |
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LOCALITÉ DE |
QUÉBEC |
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« Chambre civile » |
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N° : |
200-32-704185-197 |
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DATE : |
9 juillet 2021 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
CHRISTIAN BRUNELLE, J.C.Q. |
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ISABELLE TARDIF-AUDY |
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[...] |
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Québec (Québec) [...] |
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Demanderesse |
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c. |
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MAGASIN LATULIPPE INC. |
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637, rue Saint-Vallier Ouest |
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Québec (Québec) G1N 1C6 |
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Défenderesse |
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JUGEMENT |
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[1] À l’été 2019, la demanderesse, Isabelle Tardif-Audy, repère sur le site Internet de la défenderesse, Magasin Latulippe inc. (« Latulippe »), un kayak qu’elle destine à sa fille pour son anniversaire.
[2] Elle ne sera cependant pas en mesure d’obtenir cet article malgré la commande en ligne effectuée, le commerçant alléguant une erreur dans l’affichage du prix.
[3] Par sa demande en justice, madame Tardif-Audy réclame à Latulippe la somme de 2 250 $.
I. QUESTION EN LITIGE
[4] Le commerçant qui commet une erreur dans l’affichage du prix d’un article qu’il offre sur son site Internet est-il tenu de le vendre à ce prix erroné au consommateur qui l’a commandé en ligne?
II. CONTEXTE
[5] En juillet 2019, madame Tardif-Audy fait savoir à ses proches qu’elle est à la recherche d’un kayak pour sa jeune fille qui doit bientôt fêter ses 10 ans, le 5 août.
[6] Une amie à elle lui conseille de se tenir à l’affût des ventes de fin de saison qui sont imminentes.
[7] Elle navigue donc sur les sites Internet de quelques commerces spécialisés dans les articles de sport et de plein-air et repère un kayak (modèle Skylark 12, de couleur bleu[1]) mis en vente chez Latulippe.
[8] « J’ai trouvé un bon deal », dit-elle, le prix unitaire alors affiché étant de 90,05 $ (taxes en sus).
[9] Elle informe alors sa fille qu’elle a déniché un kayak « pour le montant qu’on s’était fixé ». Elle explique :
Vu que c’était sa fête, elle s’était ramassée un petit peu d’argent avec le monde qui y donnait des sous, puis moi j’ai dit : « Je vas compenser pour le reste ». […] Elle s’était ramassée 335 $ environ… J’ai dit : « Je vas compenser pour le reste » parce que… On a trouvé le kayak… Y manquait la pagaie, le gilet de sauvetage, puis y manquait la jupette…
[10] Le 28 juillet 2019, elle passe sa commande et reçoit, par courriel, un « numéro de référence » et la confirmation qu’elle pourra cueillir l’embarcation en magasin, sur réception d’un « nouveau courriel qui vous informera que votre commande a été préparée ».[2]
[11] Toutefois, dès le lendemain, Latulippe l’informe que le magasin fait « présentement face à une rupture de stock de l’article », ce qui entraîne l’annulation de la commande.[3]
[12] Madame Tardif-Audy contacte alors le service à la clientèle. Elle est au fait que le kayak convoité demeure disponible dans la couleur rouge et maintient son intérêt à se le procurer.
[13] Monsieur Martin Tardif est le directeur du magasin Latulippe. Il témoigne que c’est au moment où la cliente fait savoir que la couleur du kayak convoité l’indiffère que le préposé réalise l’erreur initialement commise.
[14] Il explique que le prix régulier de l’article était de 1 590 $ et qu’il devait être réduit de 90,05 $ pour s’établir à 1 499,95 $.
[15] Par erreur, c’est plutôt le « prix dérisoire » - selon son expression[4] - de 90,05 $ qui a été affiché sur le site transactionnel du magasin par le préposé :
Y devait programmer à 1590 $ moins 90 $, donc le kayak devait se détailler à 1500 $. Y’a eu une erreur, je’ sais pas c’est quoi la source de l’erreur, quand y’a rentré les rabais dans le chiffrier. Donc, y’ s’est trompé, y’a mis 90 $.
[16] Le 2 août 2019, madame Tardif-Audy met Latulippe en demeure de donner suite à sa commande.[5]
[17] Le 6 août 2019, le directeur lui écrit :
Lors du traitement de la transaction, nous avons constaté qu’une erreur dans notre système informatique visant le kayak Skylark 12 s’est glissée. En effet, il y a eu une erreur de programmation sur notre site web et le prix de vente de celui-ci n’est pas de 90,05$, mais bien de 1 590$ moins 90$. Nous sommes conscients que cette situation est désagréable pour vous et nous tenons à vous présenter nos plus sincères excuses. Pour vous dédommager, nous vous offrons une carte cadeau au montant de 100$ que vous pourrez utiliser en magasin ou en ligne.[6]
[18] Insatisfaite de cette proposition, la cliente retourne la carte-cadeau à son expéditeur le 12 août 2019.[7]
[19] Monsieur Tardif indique que, pour le commerçant, le « prix coûtant » du kayak est de 795 $. Il dit avoir subséquemment offert à sa cliente de lui vendre le kayak pour cette même somme, celle-ci confirmant avoir refusé cette dernière offre.
[20] Elle réclame maintenant la valeur du kayak (1 590 $) « plus les taxes, 500 de frais d’indemnisation pour les démarches en cours, de perte de temps et de déception à l’anniversaire de ma fille ».
III. ANALYSE
[21] La question en litige ne connaît pas une réponse univoque en jurisprudence[8], ce qui compromet la prévisibilité du droit en la matière.
[22] Malgré le défaut d’une ligne directrice claire attendue du législateur ou encore des cours supérieures, le Tribunal doit néanmoins accomplir sa mission qui consiste à trancher le litige[9] sans égard à « l’obscurité » ou « l’insuffisance de la loi ».[10]
A) L’offre menant au contrat de consommation
[23] Selon le Code civil du Québec[11] (« C.c.Q. »), le contrat est un simple « accord de volonté »[12] qui « se forme par le seul échange de consentement ».[13]
[24] Cet échange de consentement se concrétise par « la volonté d’une personne d’accepter l’offre de contracter que lui fait une autre personne ».[14] C’est ainsi que « [l]e contrat est formé au moment où l’offrant reçoit l’acceptation ».[15]
[25]
L’article
1388. Est une offre de contracter, la proposition qui comporte tous les éléments essentiels du contrat envisagé et qui indique la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation.
[26] Ainsi, l’offrant est celui « qui prend l’initiative du contrat ou qui en détermine le contenu ».[16]
[27] D’aucuns invitent à déterminer l’identité de l’« offrant » en fonction d’une distinction relative au mode de séduction employé par le commerçant, selon qu’il se caractériserait par sa passivité ou sa proactivité :
Pour l’essentiel, il s’agit de déterminer lequel du commerçant ou du consommateur a initié l’offre de contracter. […] Prenons le cas de l’offre de contracter par Internet. Si le consommateur se dirige lui-même vers un site Web pour observer les caractéristiques d’un produit, et qu’il choisit par la suite de l’acheter en ligne, il s’agit d’un effet appelé « pull media ». Il faut alors considérer que le consommateur a fait les démarches par lui-même et a « tiré » l’information vers lui. À l’inverse, lorsque le commerçant transmet son offre directement au consommateur, il pourra s’agir d’une technique appelée « push media », car le commerçant « pousse » les informations - et donc l’offre de contracter - vers le consommateur. La qualification de l’offre transmise par le commerçant varie selon les techniques employées et l’initiateur de la sollicitation.[17]
[28] Selon l’interprétation proposée, le commerçant serait réputé être l’auteur de l’offre de contracter en ligne seulement s’il cible le client « par une publicité personnalisée », telle « la transmission d’un courriel ».[18]
[29] Toute séduisante soit-elle, cette interprétation n’emporte pas l’adhésion du Tribunal.[19]
[30] Premièrement, la distinction sur laquelle elle repose ne ressort pas du texte législatif actuel.[20]
[31] Deuxièmement, elle bat en brèche le principe de l’interprétation favorable au consommateur consacré par le législateur.[21]
[32] Troisièmement, elle parait incompatible avec les enseignements de l’arrêt Ifergan c. Société des loteries du Québec.[22] Dans la mesure où il demeure possible de tracer une analogie entre la vente par catalogue et la vente par Internet, la Cour d’appel du Québec dicte la solution :
La publicité par catalogue qui décrit le produit offert, en spécifie le prix et les modalités de vente a été considérée par la jurisprudence comme constitutive d’une offre et le fait pour un client de commander le produit par téléphone ou par fax comme une acceptation.[23]
[33] D’ailleurs, une offre peut même être « tacite, consistant dans des agissements qui comportent nécessairement la volonté d’offrir : par exemple, dans une vitrine, l’exposition d’objets marqués d’un prix; en ce cas, le commerçant est engagé par l’acceptation du premier venu ».[24]
[34] En l’espèce, Latulippe a mis en vente, par l’intermédiaire de son site Internet, le kayak en le montrant, au moyen d’une photographie, et en y inscrivant ses caractéristiques (modèle, couleur, longueur), incluant le prix, qui était une considération déterminante pour madame Tardif-Audy. Il s’agit là de « tous les éléments essentiels du contrat envisagé » et non d’une simple « invitation à entrer en pourparlers, ou une invitation à faire une offre ».[25]
[35] Le site permettait aux clients potentiels de préciser la quantité souhaitée, de l’« ajouter au panier » et de procéder au paiement par voie électronique, ce qu’a fait madame Tardif-Audy, confirmant du coup son acceptation de l’offre : « […] si elle réagit à une offre de vente, la commande n’est pas une offre, mais l’acceptation de l’offre ».[26]
[36] La cliente obtenait ensuite, par courriel, la confirmation que Latulippe a bien reçu sa commande, laquelle était identifiée par un « numéro de référence ». Le message précisait qu’un « nouveau courriel de confirmation » suivrait pour l’informer que la commande « a été préparée » et l’inviter à se « rendre en magasin » pour la cueillir.
[37] Une fois informée par Latulippe que le kayak de couleur bleu n’était plus disponible en inventaire, madame Tardif-Audy consentait d’emblée à acquérir plutôt le rouge. Cette modification mineure est sans incidence puisque l’acceptation de la cliente demeurait néanmoins « substantiellement conforme à l’offre ».[27]
[38] De l’avis du Tribunal, toutes les conditions d’un « contrat conclu à distance », au sens de l’article 54.1 de la Loi sur la protection du consommateur[28] (L.p.c.) sont ici réunies :
54.1 Un contrat conclu à distance est un contrat conclu alors que le commerçant et le consommateur ne sont pas en présence l’un de l’autre et qui est précédé d’une offre du commerçant de conclure un tel contrat.
Le commerçant est réputé faire une offre de conclure le contrat dès lors que sa proposition comporte tous les éléments essentiels du contrat envisagé, qu’il y ait ou non indication de sa volonté d’être lié en cas d’acceptation et même en présence d’une indication contraire.
[39] Ainsi, la personne qui effectue une transaction en ligne aux fins d’acquérir un bien offert à la vente et dont la carte de crédit est débitée du prix affiché confirme son acceptation de l’offre faite par le commerçant.
[40] Un « contrat de consommation »[29], c’est-à-dire un contrat de vente[30] relatif à un bien meuble[31] conclu à distance, est dès lors formé et lie les parties, à moins qu’il ne soit subséquemment frappé de nullité.[32]
B) L’erreur / vice de consentement
[41]
Latulippe soutient ne pas avoir consenti de façon libre et éclairée[33]
à la vente en ligne du kayak du fait que l’erreur entachant le prix affiché aurait
vicié son consentement, au sens de l’article
1400. L’erreur vicie le consentement des parties ou de l’une d’elles lorsqu’elle porte sur la nature du contrat, sur l’objet de la prestation ou, encore, sur tout élément essentiel qui a déterminé le consentement.
L’erreur inexcusable ne constitue pas un vice de consentement.
(Le Tribunal souligne)
[42] Pour monsieur Tardif, le directeur du magasin, l’« erreur informatique »[34] commise au moment d’inscrire le prix du kayak sur le site transactionnel est « excusable » puisque commise de bonne foi et sans la moindre intention de tromper les clients.
[43] De plus, insiste-t-il, le site Internet du magasin comporte une mention claire selon laquelle le commerçant ne s’estime pas lié par une erreur affectant le prix affiché d’un bien offert à la vente en ligne.
[44] Sous la rubrique « Conditions d’utilisation » située au pied de la page d’accueil de son site Internet, Latulippe énonce, au premier alinéa de l’article 11, sa politique relative aux « ERREURS, INEXACTITUDES ET OMISSIONS » :
Il se pourrait qu’il y ait parfois des informations sur notre site ou dans le Service qui pourraient contenir des erreurs typographiques, des inexactitudes ou des omissions qui pourraient être relatives aux descriptions de produits, aux prix, aux promotions, aux offres, aux frais d’expédition des produits, aux délais de livraison et à la disponibilité. Nous nous réservons le droit de corriger toute erreur, inexactitude, omission, et de changer ou de mettre à jour des informations ou d’annuler des commandes, si une quelconque information dans le Service ou sur tout autre site web associé est inexacte, et ce, en tout temps et sans préavis (y compris après que vous ayez passé votre commande).
[…].
(Le Tribunal souligne)
1. L’erreur « inexcusable »
[45] Passant en revue les écrits doctrinaux d’auteurs français et québécois, l’honorable juge Forget de la Cour d’appel du Québec écrivait à ce sujet, en 2002 :
Il n’est sans doute pas possible de donner une définition rigoureusement précise du caractère inexcusable. Pour l’établir, il faudra toutefois retenir une négligence d’une certaine gravité. Autrement, l’erreur ne pourrait plus être invoquée comme cause de nullité, puisqu’on sait bien, après coup, qu’elle aurait presque toujours pu être évitée, en prenant des précautions additionnelles…[35]
[46] Ainsi, une erreur sera jugée « inexcusable » dans la mesure où « une négligence d’une certaine gravité » y a mené.[36] En d’autres termes, l’on vise ici « une erreur d’un degré de gravité supérieur à la simple négligence »[37] et se rapprochant « d’une faute lourde de la partie qui l’invoque ».[38]
[47] L’erreur dont il s’agit, en l’espèce, est une « erreur sur le prix » :
L’erreur sur le prix est celle où le prix indiqué au contrat ne correspond pas au véritable prix du bien ou du service (oubli d’un chiffre, virgule mal située, etc.). Bref, il s’agit d’une erreur matérielle « commise par le vendeur dans l’énonciation du prix : le chiffre qu’il voulait déclarer est tout autre que celui qu’il a exprimé ».[39]
[48] L’on évoque ainsi une « erreur matérielle unilatérale » qui est le « fruit de l’inattention ».[40]
[49]
S’agit-il d’une « erreur inexcusable », au sens de l’article
[50] Qu’en est-il ici? L’on sait que « la bonne foi doit gouverner la conduite des parties » dès la « naissance de l’obligation ».[42] L’on sait aussi que la bonne foi se présume.[43]
[51] Ceci dit, madame Tardif-Audy témoigne qu’elle ne connaissait pas la valeur du kayak, disant avoir vu des prix oscillant entre 250 $ et quelque 5 000 $ en furetant sur Internet.
[52] Certes, il paraît surprenant que sa fille ait économisé une somme de 335 $ en vue de se procurer de simples accessoires (pagaie, gilet de sauvetage, jupette) alors que, par comparaison, le prix erronément affiché du kayak (taxes incluses) atteignait à peine le tiers de la somme amassée.
[53] Toutefois, la Cour suprême du Canada rappelle que « le concept du « consommateur moyen » n’évoque pas, en droit québécois de la consommation, la notion de personne raisonnablement prudente et diligente », ni une « personne avertie », mais plutôt le « consommateur crédule et inexpérimenté ».[44]
[54] L’on ne peut ainsi exclure qu’un consommateur « crédule et inexpérimenté » ait pu raisonnablement penser qu’un marchand applique un rabais d’une telle ampleur à l’occasion d’une « vente de fin de saison ».
[55] Si importante soit-elle, l’exigence de bonne foi en matière contractuelle ne va pas jusqu’à imposer au consommateur d’alerter le commerçant quand le prix d’un article qu’il convoite lui paraît anormalement bas[45] :
Les tribunaux semblent donc appuyer la thèse voulant qu’une partie n’ait pas l’obligation d’aviser son cocontractant d’un prix en deçà de la valeur du bien en cause. Cela va sans dire : qui d’entre nous s’est déjà plaint qu’il ne payait pas assez cher pour les biens et services obtenus ? Une obligation en ce sens irait à l’encontre du modèle capitaliste, mais surtout de la nature humaine.[46]
[56] Tout indique que l’erreur commise par le préposé de Latulippe, au moment d’inscrire le rabais que l’on souhaitait appliquer sur le prix régulier du kayak, résulte d’un manque d’attention ou d’une méprise.
[57] Or, Latulippe étant spécialisée dans la vente d’articles et d’équipements de plein-air, elle peut raisonnablement être qualifiée de « vendeur professionnel ». À ce titre, elle doit s’assurer de l’exactitude des prix des articles qu’elle met en vente en ligne[47] puisque « [l]’aspect inexcusable de l’erreur sera d’autant plus évident si son responsable est un professionnel ».[48]
[58] Ainsi, l’erreur sur le prix résultant de la négligence du préposé de Latulippe - un vendeur professionnel - qui a confondu la valeur du bien et le rabais qui lui était applicable constitue une « erreur inexcusable »[49] qui ne peut avoir vicié le consentement :
En effet, accepter que l’erreur sur le prix puisse
vicier le consentement en vertu de l’article
2. Les « conditions d’utilisation » du site transactionnel
[59] Pour se délier de ses obligations contractuelles, Latulippe se rabat sur sa politique aux termes de laquelle elle se réserve unilatéralement « le droit de corriger toute erreur » ou « inexactitude » et « d’annuler des commandes » si une information « est inexacte, et ce, en tout temps et sans préavis (y compris après que vous ayez passé votre commande) ».
[60] Cette disposition n’est pas expressément mentionnée dans le courriel de confirmation de commande reçu par madame Tardif-Audy.
[61] Toutefois, elle apparaît dans les « Conditions d’application » qui figurent dans un hyperlien aisément repérable en faisant dérouler, vers le bas, la page d’accueil du site Internet de Latulippe.
[62] Dans l’arrêt Dell Computer Corp. c. Union des consommateurs[51], la Cour suprême du Canada devait statuer sur l’application, à un contrat de consommation conclu à distance, d’une disposition prévoyant une clause d’arbitrage obligatoire contenue dans un hyperlien du site Internet du fabricant.
[63]
L’Union des consommateurs plaidait qu’il s’agissait d’une « clause
externe » inopposable aux consommateurs en vertu de l’article
1435. La clause externe à laquelle renvoie le contrat lie les parties.
Toutefois, dans un contrat de consommation ou d’adhésion, cette clause est nulle si, au moment de la formation du contrat, elle n’a pas été expressément portée à la connaissance du consommateur ou de la partie qui y adhère, à moins que l’autre partie ne prouve que le consommateur ou l’adhérent en avait par ailleurs connaissance.
(Le Tribunal souligne)
[64] La Cour rejette l’argument et donne gain de cause à la société Dell.
[65] D’une part, elle insiste sur « la réalité de l’environnement Internet, où l’on ne fait pas de distinction concrète entre le déroulement du document et l’utilisation d’un hyperlien ».[52]
[66]
D’autre part, elle note que les exigences de l’article
[67] Ainsi, la Cour conclut :
Il ressort de la preuve au dossier que le consommateur peut accéder directement à la page du site Internet de Dell où figure la clause d’arbitrage en cliquant sur l’hyperlien en surbrillance intitulé « Conditions de vente » (ou « Terms and Conditions of Sale » dans la version anglaise de ce site). Ce lien est reproduit à chaque page à laquelle le consommateur accède. Dès que le consommateur active le lien, la page contenant les conditions de vente, dont la clause d’arbitrage, apparaît sur son écran. En ce sens, cette clause n’est pas plus difficile d’accès pour le consommateur que si on lui avait remis une copie papier de l’ensemble du contrat comportant des conditions de vente inscrites à l’endos de la première page du document.
À mon avis, l’accès du consommateur à la clause d’arbitrage n’est pas entravé par la configuration de cette clause dont il peut lire le texte en cliquant une seule fois sur l’hyperlien menant aux conditions de vente. La clause d’arbitrage ne constitue donc pas une clause externe au sens du Code civil du Québec.[54]
* * *
[68]
Ceci dit, cet arrêt Dell ne se prononce pas sur la portée de l’article
[69] Cet article impose au commerçant l’obligation précontractuelle de divulguer au consommateur certains renseignements, dont « les conditions d’annulation, de résiliation, de retour, d’échange ou de remboursement »[56], ainsi que « toutes les autres restrictions ou conditions applicables au contrat ».[57] Il se conclut sur cette disposition :
54.4 […]
Le commerçant doit présenter ces renseignements de manière évidente et intelligible et les porter expressément à la connaissance du consommateur; lorsqu’il s’agit d’une offre écrite, il doit présenter ces renseignements de façon à ce que le consommateur puisse aisément les conserver et les imprimer sur support papier.
(Le Tribunal souligne)
[70] Il s’agit là « d’un nouveau seuil de connaissance passablement élevé »[58] par comparaison à celui qui se dégage de l’arrêt Dell:
La succession des deux qualificatifs et de l’adverbe
dans le libellé de l’article
[71] La clause que Latulippe cherche à opposer à madame Tardif-Audy se retrouve sous la rubrique « Conditions d’utilisation ».
[72] En elle-même, cette expression n’éveille pas expressément le consommateur au fait qu’il s’engage à conclure un « contrat » qui, par surcroit, est susceptible d’être corrigé unilatéralement par le commerçant :
[…] le contrat ne s’intitule pas « contrat » mais un terme plus neutre, moins explicite. En effet, il est frappant de constater en pratique les efforts utilisés par les cybermarchands pour tenter de diluer l’attention du consommateur en insérant des contrats de consommation sous des intitulés moins « terrifiants » comme « Notice légale », « Avertissement », « Conditions d’utilisation » ou […] « Conditions de vente ».[60]
(Le Tribunal souligne)
[73] La preuve ne révèle pas que Latulippe a cherché à attirer expressément l’attention de sa cliente sur ces « Conditions d’utilisation », ce qui, de l’avis du Tribunal, heurte l’article 54.4 L.p.c.[61] :
La technique du renvoi à un site extérieur, même
accessible par un clic, semble peu compatible avec ces modifications [apportées
notamment par l’article
[74] Dans ces conditions, Latulippe ne peut se soustraire à ses obligations contractuelles en procédant purement et simplement à l’annulation de la commande et au remboursement conséquent de la somme payée par madame Tardif-Audy.[63]
[75] Liée contractuellement, Latulippe ne peut modifier unilatéralement le prix annoncé sous peine de s’adonner, malgré sa bonne foi, à la pratique interdite par la loi consistant à « exiger pour un bien ou un service un prix supérieur à celui qui est annoncé ».[64]
C) La réparation
[76] Dans les faits, madame Tardif-Audy n’a pas obtenu l’article convoité. Au jour de l’audience, elle n’avait toujours pas procédé à l’acquisition d’une autre embarcation pour sa fille.
[77] Elle réclame la somme de 1 590 $ (taxes en sus) pour le kayak qu’elle n’a pu se procurer et qui n’est maintenant plus disponible. Cette somme équivaut à son prix de vente régulier, avant solde.
[78] Ceci dit, bien que « [l]e choix de la mesure de réparation appartient au consommateur […] le tribunal conserve la discrétion de lui en accorder une autre plus appropriée aux circonstances ».[65]
[79] Précisons, de plus, que « lorsque le consommateur choisit de réclamer des dommages-intérêts au commerçant […] qu’il poursuit, l’exercice de son recours demeure soumis aux règles générales du droit civil québécois ».[66]
[80]
Parmi ces règles se trouve celle édictée par l’article
1611. Les dommages-intérêts dus au créancier compensent la perte qu’il subit et le gain dont il est privé.
[…].
(Le Tribunal souligne)
[81] L’interdiction faite au commerçant d’exiger un prix supérieur à celui annoncé ne devrait pas servir à l’enrichissement du consommateur[67], mais plutôt lui permettre d’être raisonnablement compensé pour sa perte.
[82] Là encore, la bonne foi doit gouverner la conduite des parties :
Ce n’est pas parce que la L.p.c. favorise le consommateur dans l’exercice de ses recours que ce dernier peut se permettre de rester campé dans ses positions sans jamais concéder un centimètre au commerçant de bonne foi qui tente de rétablir l’ordre contractuel ainsi que l’insécurité dans laquelle se trouve son client. Le flambeau de la L.p.c. ne saurait profiter au consommateur qui fixe ses exigences trop haut. Le commerçant doit prêter l’oreille aux doléances des consommateurs, mais ceux-ci, en retour, ont l’obligation d’agir raisonnablement dans leurs revendications et de collaborer avec les commerçants qui se montrent ouverts à régler leurs problèmes.[68]
(Le Tribunal souligne)
[83] Selon la preuve, Latulippe a offert à madame Tardif-Audy la possibilité d’acquérir le kayak pour la somme de 795 $, soit le prix coûtant pour le commerçant, ce qu’elle a refusé.
[84] Pour le Tribunal, il s’agissait là d’une offre raisonnable qui doit ici servir de base pour l’évaluation du préjudice subi aux fins de l’attribution de dommages-intérêts compensatoires.[69]
[85] En ajoutant à cette somme les taxes applicables (TPS et TVQ), madame Tardif-Audy aurait droit à une réparation de 914,05 $.[70] Toutefois, comme elle consentait à verser à Latulippe une somme de 103,53 $ en contrepartie du kayak[71], il faut déduire ce dernier montant, ce qui porte sa perte véritable à la somme de 810,52 $.
* * *
[86] La somme de 500 $ qu’elle réclame en « frais d’indemnisation pour les démarches en cours », la « perte de temps » et « la déception de ma fille de ne pas recevoir son cadeau de fête » ne lui est pas accordée.
[87] D’une part, le dossier ne renferme aucune preuve des coûts engendrés pour l’usage du courrier recommandé aux fins de l’envoi de la mise en demeure.
[88] D’autre part, la perte de temps alléguée n’excède pas les désagréments ordinaires inhérents à toute démarche judiciaire entreprise en vue d’obtenir justice.[72]
[89] Enfin, la fille de madame Tardif-Audy n’étant pas une partie au litige, sa mère n’a pas l’intérêt juridique pour réclamer, en son nom, une quelconque indemnité pour préjudice moral.[73]
* * *
[90] Exerçant sa discrétion, le Tribunal n’entend pas accorder les frais de justice à la demanderesse. Elle a déposé sa demande en justice dès le 7 août 2019, c’est-à-dire avant même que Latulippe ne reçoive sa lettre, datée du 12 août 2019, par laquelle elle signifiait son refus de la carte cadeau de 100 $ offerte par le commerçant.
[91] Pourtant, dans une lettre qu’elle signait, le 2 août 2019, madame Tardif-Audy accordait à Latulippe un délai « jusqu’au vendredi 16 août 2019 » pour donner suite à sa demande d’obtenir le kayak au prix erronément affiché, tout en se disant ouverte à « toute proposition de recourir à la négociation avant de [s]’adresser au tribunal ».[74]
[92] Le moins que l’on puisse dire, c’est que son empressement à emprunter la voie judiciaire laissait bien peu de chance à la négociation. Il contribuait plutôt à rompre prématurément le dialogue entre les parties, lequel peut souvent mener à une entente qui leur permet justement d’éviter d’engager des frais de justice.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[93] ACCUEILLE en partie la demande;
[94]
CONDAMNE la défenderesse, Magasin Latulippe inc., à payer à la
demanderesse, Isabelle Tardif-Audy, la somme de 810,52 $, avec intérêts
calculés au taux légal annuel de 5 %, majoré de l’indemnité additionnelle
visée par l’article
[95] LE TOUT, chaque partie payant ses frais de justice.
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__________________________________ CHRISTIAN BRUNELLE, J.C.Q. |
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Date d’audience |
19 avril 2021 |
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[1] Pièce P-2.
[2] Pièce P-1.
[3] Pièce D-1.
[4] Voir également la contestation écrite de Latulippe, par. 3.
[5] Id.
[6] Pièce P-4.
[7] Pièce D-1.
[8] Pièce D-3 : Emmanuelle FAULKNER, « Tenté de profiter d’une erreur de prix en ligne? Lisez ceci! », dans SOQUIJ, Le blogue, 22 août 2018 [En ligne : https://blogue.soquij.qc.ca/2018/08/22/tente-de-profiter-dune-erreur-de-prix-en-ligne-lisez-ceci/].
[9] Code de procédure civile, RLRQ c C-25.01, art. 9, al. 1.
[10] Id., art. 10, al. 3.
[11] L.Q. 1991, c. 64.
[12]
Art.
[13]
Art.
[14]
Art.
[15]
Art.
[16]
Art.
[17] Nicole L’HEUREUX et Marc LACOURSIÈRE, Droit de la consommation, 6e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2011, p. 146-147 (par. 128).
[18] Id., p. 147 (par. 128).
[19]
Contra : Faucher c. Costco Wholesale Canada Ltd.,
[20]
Elle paraît plutôt inspirée du droit européen : Charlaine BOUCHARD et
Marc LACOURSIÈRE, « Les enjeux du contrat de consommation en ligne »,
[21]
Art.
[22]
[23] Id., par. 30.
[24]
Jean PINEAU, Danielle BURMAN et Serge GAUDET, Théorie des obligations,
4e éd. (par Jean Pineau et Serge Gaudet), Montréal, Thémis,
2001, p. 98 (par. 39), ainsi qu’à la p. 103 (par. 42). Voir au même
effet : Didier LLUELLES et Benoît MOORE,
[25] LLUELLES et MOORE, id., p. 160 (par. 275).
[26]
Id., p. 161-162 (par. 276); Meyer c. Vacances Sunwing inc.,
[27]
Art.
[28] RLRQ c P-40.1.
[29]
Art.
[30]
Art.
[31]
Art.
[32]
Art.
[33]
Art.
[34] L’expression est tirée de la contestation écrite de Latulippe, par. 1, 2, 3 et 4.
[35]
Légaré c. Morin-Légaré,
[36]
9179-3737 Québec inc. c. 3095-4424 Québec inc.,
[37]
Fattal c. Société en commandite Gaz Métro,
[38] Pierre-Gabriel JOBIN et Nathalie VÉZINA, Les obligations, 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, p. 329 (par. 215); JOBIN et CUMYN, préc., note 30, p. 21 (par. 16); LLUELLES et MOORE, préc., note 24, p. 276-277 (par. 544).
[39]
Nicolas VERMEYS, « Le poids des virgules - Étude sur l’impact des
erreurs matérielles en droit des contrats »,
[40] Id., p. 322.
[41] Id., p. 329.
[42]
Art.
[43]
Art.
[44]
Richard c. Time Inc.,
[45]
Chrétien c. Longue Pointe Chrysler Plymouth (1987) ltée, 2000 CanLII 17604
(QC CQ),
[46]
VERMEYS, préc., note 39, p. 307. Comme le précise la Cour supérieure
dans l’affaire 9216-7436 Québec inc. c. Golshayan,
[47]
Comtois c. Vacances Sunwing inc.,
[48] VERMEYS, id., p. 326.
[49]
Île Perrot Nissan c. Holcomb,
[50] VERMEYS, préc., note 39, p. 323.
[51]
[52] Id., par. 97.
[53] Id., par. 98 et 99.
[54] Id., par. 100 et 101 (Nous soulignons).
[55]
L’arrêt Dell fut prononcé le 13 juillet 2007 tandis que
l’article
[56]
Art.
[57]
Art.
[58]
Vincent GAUTRAIS, « Le vouloir électronique selon l’arrêt Dell
Computer : dommage! »,
[59] Id., p. 410 (par. 8).
[60] Id., p. 424 (par. 37).
[61]
Contra : Allard c. Groupe Sonxplus inc.,
[62] LLUELLES et MOORE, préc., note 24, p. 814 (par. 1471.5).
[63]
Art.
[64]
Art.
[65] Richard c. Time Inc., préc., note 44, par. 113.
[66] Id., par. 126.
[67]
Grégoire c. Spinelli Infiniti, préc., note 64, par. 22 (citant,
avec approbation, Matériaux Laurentiens inc. c. Dufault,
[68] Luc THIBAUDEAU, Guide pratique de la société de consommation (Tome 2 : Les garanties), Montréal, Éditions Yvon Blais, 2017, p. 664 (par. 1325).
[69]
Art.
[70]
795 $ + 39,75 $ (TPS) + 79,30 $ (TVQ) = 914,05 $. Voir, par analogie, Audet
c. Bureau en gros,
[71] Pièce P-1.
[72]
Hinse c. Canada (Procureur général),
[73] Code de procédure civile, préc., note 9, art. 85.
[74] Pièce D-1.
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