R. c. Accurso |
2018 QCCS 2900 |
JB3703 (Chambre criminelle) |
||||
|
||||
CANADA |
||||
PROVINCE DE QUEBEC |
||||
DISTRICT DE |
LAVAL |
|||
|
||||
No : |
540-01-059861-131
|
|||
|
||||
DATE : |
5 juillet 2018 |
|||
______________________________________________________________________ |
||||
|
||||
SOUS LA PRÉSIDENCE DE : L’HONORABLE JAMES L. BRUNTON, j.s.c. |
||||
______________________________________________________________________ |
||||
|
||||
SA MAJESTÉ LA REINE
|
||||
c. |
||||
ANTONIO ACCURSO
|
||||
______________________________________________________________________ |
||||
|
||||
JUGEMENT PEINE |
||||
______________________________________________________________________ |
||||
A. INTRODUCTION [1] M. Accurso a été trouvé coupable par un jury de cinq chefs d’accusation : · Chef 1 : complot pour commettre des actes de corruption dans les affaires municipales et des abus de confiance · Chef 2 : complot pour commettre des fraudes · Chef 3 : fraudes de plus de 5 000 $ · Chef 4 : commission d’actes de corruption dans les affaires municipales · Chef 5 : abus de confiance [2] Tous les chefs indiquent que les crimes ont été commis entre le 1er janvier 1996 et le 30 septembre 2010. [3] La
poursuite argumente que la Cour devrait imposer des peines de 3 ans
d’emprisonnement sur chacun des chefs 1, 4 et 5, et 5 ans sur les chefs 2 et
3. Les peines devraient être purgées de façon concurrente. De plus, la Cour
devra rendre une ordonnance de dédommagement en vertu de l’art. 738(1)(a)
C.cr., lu avec l’art. [4] M. Accurso argumente que la Cour doit imposer, à sa discrétion, une peine d’emprisonnement avec sursis d’une durée de 18 à 24 mois moins 1 jour. Aucune ordonnance de dédommagement ne devra être rendue. [5] La Cour débutera avec une description plus détaillée de la position de chaque partie. S’en suivront une brève description de la criminalité qui a été révélée durant le procès et le rôle de M. Accurso. La Cour procédera ensuite à son analyse. B. LA POSITION DES PARTIES i - la poursuite [6] La poursuite reconnait les facteurs atténuants suivants : - l’âge de M. Accurso (66 ans); - l’absence d’antécédents judiciaires; et - le fait qu’il a respecté ses conditions de remise en liberté depuis son arrestation en 2013. [7] Elle argumente que les facteurs suivants sont neutres : - le fait que le procès a eu lieu devant jury; - des problèmes médicaux de M. Accurso que la poursuite a qualifiés de mineurs; et - la médiation du dossier. [8] La poursuite propose les facteurs aggravants suivants : - la gravité des infractions, incluant : · le fait que les chefs 2 et 3 sont punissables par une période d’emprisonnement maximum de 14 ans[1]; · que des fonds publics ont été subtilisés; · les montants importants qui ont été fraudés. - la durée de la criminalité incluant la préméditation et la planification; - la fréquence des fraudes; - que la criminalité s’adresse à des abus de confiance de fonctionnaires municipaux; - le statut de président de M. Accurso, et l’importance de ses compagnies dans le stratagème; - l’importance des moyens d’enquête déployés et leur coût; et - l’impact sur la confiance du public envers les institutions politiques. [9] Durant les représentations, la Cour a confronté la poursuite avec le sort réservé à un autre conspirateur, René Mergl. Mergl était le président de Nepcon, une des sept compagnies désignées comme importantes par le témoin Desbois. La preuve a révélé que Mergl a : - expliqué le système à Mario Desrochers quand ce dernier est devenu conspirateur (témoignage de Desrochers); - expliqué le système à Nicolas Théberge quand ce dernier est devenu un conspirateur (témoignage de Théberge); - participé à la réunion chez M. Accurso pour convaincre Desrochers de demeurer dans le complot (témoignage de Desrochers); - en 2005, remettait la liste des soumissionnaires à la compagnie désignée gagnante (témoignage de Gilles Théberge); et - a reçu la liste des soumissionnaires désignés gagnants à deux reprises (témoignage de Jean Roberge). [10] Le 1er décembre 2017, Mergl a été sentencé à 18 mois ferme d’emprisonnement suite à la présentation d’une suggestion commune. [11] La poursuite a souligné le fait que Mergl avait plaidé coupable, ce qui démontrait un début de réhabilitation. Les entreprises de M. Accurso étaient plus importantes que celle de Mergl. Tous les actes manifestes des présidents de ses compagnies - Molluso et Minicucci - pouvaient être opposés à M. Accurso. [12] En conclusion, la poursuite a sollicité l’imposition de 3 ans d’emprisonnement sur les chefs 1, 4 et 5, et 5 ans sur les chefs 2 et 3, le tout à être purgé de façon concurrente. [13] En vertu du
paragr. 738(1)(a) C.cr., lu avec l’art. ii - la défense [14] La défense adopte la position que les chefs 2 et 3 sont punissables par un maximum de 10 ans d’emprisonnement. En 2004, le Parlement a augmenté la peine maximale pour fraude de 10 ans à 14 ans. Considérant que les chefs 2 et 3 parlent d’une criminalité qui a débuté en janvier 1996 et terminée en septembre 2010, M. Accurso a le droit constitutionnel de bénéficier de la peine moindre de 10 ans (voir l’art. II(i) de la Charte). [15] M. Accurso ne doit pas être incarcéré pour son rôle de président, mais plutôt pour ses actes précis. Durant une période de fébrilité économique, au pire, il a commis un crime dû à sa tolérance passive et son manque de prise de responsabilité. [16] Il n’était pas un principal ayant eu une participation ponctuelle. Il n’a pas créé le système et n’a pas distribué les contrats. Il n’était pas ami avec Vaillancourt et n’a pas reçu de faveurs. Il n’y a aucune preuve qu’il a participé à une activité criminelle parallèle pour générer l’argent comptant pour payer la ristourne de 2%. [17] Il n’a pas agi par l’appât du gain car lui et ses compagnies auraient pu remporter tous les contrats dans un système libre, considérant leur importance. Sa décision de participer était une décision d’affaires. [18] Il argumente qu’il ne devrait pas recevoir une peine plus importante que son président Molluso qui, lui, était continuellement impliqué dans les actes manifestes du complot. Il note que le conspirateur Asselin, qui était le patron du conspirateur DeGuise, a reçu une peine moins importante que ce dernier. [19] Au niveau des facteurs atténuants, la défense note : - l’âge de M. Accurso (66 ans); - l’absence d’antécédents judiciaires; - des problèmes de santé dus au stress occasionné par les procédures intentées contre lui; - son avenir dans le domaine des affaires est limité dû à la publicité entourant les procédures judiciaires et l’impact sur son habileté à obtenir du financement; - il a contribué toute sa vie à la société, notamment, en employant jusqu’à 4 500 personnes; - il a contribué à des œuvres caritatives; - le risque de récidive est faible; - la durée des procédures judiciaires qui ont débuté en 2013; et - la médiation excessive depuis le début des procédures. [20] Considérant les peines imposées aux co-conspirateurs, la défense suggère l’imposition d’une peine d’emprisonnement avec sursis de 18 à 24 mois moins 1 jour sur chacun des chefs. La durée exacte est laissée à la discrétion du tribunal. [21] La demande pour une ordonnance de dédommagement devrait être rejetée. L’argument principal est que le montant réclamé est basé sur des chiffres inexacts. Il n’y a pas de preuve que chaque contrat mentionné dans le tableau S-1 était collusionné. On note que les procédures civiles sont en cours où la Ville de Laval réclame presque 22 000 000 $ à M. Accurso. Dans la demande introductive d’instance modifiée et précisée (pièce SD-1), on note qu’on a amendé le montant total des contrats qu’on allègue étaient collusionnés, allant de 145 000 000 $ à 109 777 078 $ (pièce SD-1, paragr. 105.1) et qu’il y a eu des périodes où des contrats ont été octroyés plus fréquemment en libre concurrence (pièce SD-1, paragr. 90.18). [22] Pour toutes ces raisons, la question du dédommagement devra être laissée à la division civile de la Cour supérieure. C. LA CRIMINALITÉ ET LE RÔLE DE M. ACCURSO [23] La preuve a révélé l’existence de vastes complots. Considérant le nombre de conspirateurs - de 50 à 60 - et la durée - de janvier 1996 à septembre 2010, la Cour croit qu’il est permis de prétendre qu’il s’agit d’un des pires, sinon le pire, exemple de corruption municipale qui s’est retrouvé devant un tribunal canadien. [24] Les complots étaient en forme pyramidale. L’ex-maire Gilles Vaillancourt et certains de ses fonctionnaires ont décidé qu’ils étaient pour profiter de presque chaque contrat de construction qui sera octroyé par la Ville de Laval. Le plan, en soi, était simple et dépendrait du silence des participants au fil des ans. [25] Un appel d’offres pour un projet de construction sera lancé. Les soumissionnaires seront identifiés. Avant la date de la réception des soumissions, un co-conspirateur parmi les fonctionnaires de la Ville communiquera avec l’un des soumissionnaires pour lui annoncer que sa compagnie a été désignée gagnante de l’appel d’offres. [26] Cette personne obtiendra la liste des autres soumissionnaires. Elle avait l’obligation de communiquer avec chacun des autres soumissionnaires pour arranger une soumission qui sera plus haute que la sienne. Lorsque les soumissions étaient rendues publiques, à cause de ce stratagème, la soumission de la compagnie désignée sera la plus basse. Le Comité exécutif et le Conseil de Ville donneront ensuite leur approbation à l’octroi du contrat à la compagnie désignée. [27] En retour, la compagnie désignée s’engageait à remettre au maire Vaillancourt, via son parti PRO des Lavallois, une ristourne de 2% du prix du contrat, avant taxes. Des personnes désignées pour collecter le 2% estiment qu’environ 4 350 000 $ ont été remis durant la durée des complots (Gendron : 1 500 000 $ de 1996 à 2002; Desbois : 2 850 000 $ de 2002 à 2010). [28] La perte pour les contribuables de la Ville de Laval n’était pas limitée au montant de la ristourne. La preuve, non-contredite, a démontré que le stratagème criminel a permis aux compagnies impliquées de faire des profits substantiellement plus élevés que dans un système légitime de soumissions libres. Quoi qu’il soit impossible de chiffrer avec exactitude la perte pour la Ville de Laval, il est sûrement dans les dizaines de millions de dollars.
[29] M. Accurso était le propriétaire d’un consortium de compagnies de construction. L’une d’elle, Construction Louisbourg, était impliquée dans la criminalité durant toute la période pertinente. M. Accurso est devenu copropriétaire de Simard-Beaudry à l’automne 1999, et propriétaire unique en janvier 2008. Simard-Beaudry était impliquée dans la criminalité de 1999 à septembre 2010. [30] Le président de Construction Louisbourg était Giuseppe (Joe) Molluso. Le président de Simard-Beaudry était Frank Minicucci. Ces deux hommes ont été identifiés comme co-conspirateurs. La preuve révèle que M. Accurso ne s’occupait pas de la gestion opérationnelle quotidienne de ces deux compagnies, ayant confiance en ses présidents Molluso et Minicucci. [31] Le contact avec d’autres soumissionnaires, la préparation de soumissions de complaisance et la remise des ristournes de 2%, sauf à une occasion, étaient confiés aux présidents Molluso et Minicucci. [32] Cette réalité a motivé la défense à tenter de diminuer l’importance de la criminalité de M. Accurso. Soulignant qu’il n’a pas créé le système, qu’il ne distribuait pas les contrats, que sa participation était ponctuelle, on argumente que la criminalité de M. Accurso devrait être qualifiée de « … crime de tolérance et manque de prise de responsabilité ». Sa criminalité n’était pas motivée par l’appât du gain, mais était simplement une décision d’affaires ou « de business ». [33] Avec égard, la Cour ne peut pas accepter ce portrait de la criminalité de M. Accurso. Il est vrai qu’il n’y a pas de preuve qu’il a été impliqué dans la création du système de collusion. Il n’y a pas de preuve qu’il participait dans la désignation de la compagnie gagnante. Mais son rôle ne peut pas être décrit comme celui d’une personne dilettante, de quelqu’un qui, d’un air distrait, a simplement toléré, à distance, l’existence de la criminalité et qui a fait preuve d’un manque de prise de responsabilité. [34] La preuve directe démontre qu’il a été consulté et impliqué dans des moments-clé des complots. [35] En 2002, Mario Desrochers, le représentant d’une importante compagnie impliquée dans la criminalité - Sintra - annonce qu’il ne désire plus participer dans le stratagème. Son niveau d’anxiété a augmenté dû à la présence de plus en plus de participants. Une réunion est tenue dans le bureau de M. Accurso. Plusieurs présidents de compagnies, dont M. Accurso, y ont participé. Le seul item à l’agenda était de convaincre Desrochers de demeurer dans le complot. La réunion a duré de 45 à 60 minutes. M. Accurso a participé, mais Desrochers ne se souvient plus, avec le passage du temps, de ses mots exacts. Les participants ont convaincu Desrochers de demeurer dans le complot. [36] Cette réunion était importante. Comme la Cour l’a déjà écrit, le stratagème illégal sera en péril si seulement une personne décidait de le dénoncer, ou si une compagnie importante décidait de ne plus participer. Alors, M. Accurso était l’un des participants actifs à ce moment crucial. [37] En 2005, lorsqu’une situation particulière est survenue, c’est vers M. Accurso qu’on s’est tourné. Construction Louisbourg et Valmont Nadon inc. ont tous deux été désignés gagnant d’un contrat (pièce P.2-102). Leurs représentants, Molluso et Gilles Théberge, n’ayant pas le pouvoir de dénouer l’impasse, se sont tournés vers M. Accurso. Il a accepté de parler au maire Vaillancourt pour tenter de régler la situation. Éventuellement, le contrat sera offert en libre concurrence. [38] Deux observations sont de mise. Premièrement, cette réunion démontre l’ascendant de M. Accurso sur Molluso. Dès qu’il a été confronté avec un problème relié à la criminalité qui sortait de l’ordinaire, Molluso s’est tourné vers M. Accurso. Il est erroné de prétendre que l’importance de Molluso était plus grande que celle de M. Accurso dans l’accomplissement du but commun. L’importance d’un acteur dans un complot n’est pas calculée en comparant seulement le nombre d’actes manifestes dans lesquels il est impliqué, comparé à un autre conspirateur. La seule inférence raisonnable est que chaque fois que Molluso a participé à un acte manifeste - contacter un soumissionnaire, préparer une soumission de complaisance, payer la ristourne de 2%, c’était avec l’approbation de M. Accurso - approbation qui a été donnée au début du complot, au moment où il a décidé que ses compagnies étaient pour participer dans le complot. [39] Deuxièmement, on peut tirer l’inférence que M. Accurso avait une influence sur le maire Vaillancourt. Gilles Théberge a témoigné que les travaux prévus dans le contrat P2.102 étaient pour avoir lieu sur des terrains appartenant à M. Valmont Nadon. Normalement, ce fait devrait faire en sorte que le contrat sera accordé à la compagnie de M. Nadon. Le fait que le contrait ait éventuellement été offert en libre soumission permet l’inférence que M. Accurso a eu un impact sur la décision de Vaillancourt. [40] La Cour note également l’importance des compagnies de M. Accurso dans le stratagème. Le collecteur de la ristourne de 2% entre 2003 et 2010, Roger Desbois, estime qu’il a reçu environ 2,85 millions de dollars durant cette période. Les sept premières compagnies sur une liste qu’il a préparée (pièce P-3), dont Construction Louisbourg et Simard-Beaudry, ont remis 70% de ce montant (1 995 000 $). De ce montant, Construction Louisbourg et Simard-Beaudry ont contribué à 25% (498 750 $).
D. ANALYSE i - introduction [41] La Cour va s’adresser en premier à la question fondamentale concernant la peine maximale qui est prévue pour les chefs 2 et 3. Ensuite, elle décidera si une ordonnance de dédommagement devra être rendue. Finalement, elle décidera quelle période d’emprisonnement devrait être imposée dans ce dossier. ii - la peine maximale sur les chefs 2 et 3 [42] Les tribunaux se servent de la peine maximale prévue pour une infraction comme un facteur pour établir la gravité objective du crime. La gravité objective d’un crime punissable par un maximum de 14 ans d’emprisonnement est plus grande que celui punissable par un maximum de 10 ans. [43] Dans ce dossier, il y a une dispute entre les parties à propos de la peine maximale qui s’attache aux chefs de complot de fraude (chef 2) et de fraude (chef 3). [44] La défense prétend que ces crimes sont punissables par un maximum de 10 ans d’emprisonnement. Elle fonde sa position sur l’argument suivant. [45] La poursuite a précisé les dates de ces infractions - de janvier 1996 à septembre 2010. Alors, en 1996 et jusqu’à un amendement au Code criminel survenu en 2004, la peine maximale pour fraude ou complot de fraude était de 10 ans. Malgré que la peine maximale a été augmentée en 2004 à 14 ans, M. Accurso a un droit constitutionnel, en vertu de l’art. II(i) de la Charte, de bénéficier de la peine la moins sévère : II. Tout inculpé a le droit : (i) de bénéficier de la peine la moins sévère, lorsque la peine qui sanctionne l’infraction dont il est déclaré coupable est modifiée entre le moment de la perpétration de l’infraction et celui de la sentence. [46] La poursuite,
citant l’arrêt Pouliot c. R., [47] Pouliot avait été trouvé coupable d’avoir tenu une maison de débauche entre le 1er janvier 2000 et la mi-mai 2003. En 2002, le Code criminel avait été amendé pour élargir la définition de « biens infractionnels » permettant ainsi la possibilité pour la poursuite de rechercher la confiscation de biens dans plus de situations. Alors, la maison que Pouliot avait utilisée pour son activité criminelle a été confisquée. Il a argumenté que l’art. II(i) de la Charte le protégeait et que la nouvelle définition de « biens infractionnels » ne pouvait pas lui être opposée. [48] La Cour d’appel du Québec a rejeté l’argument en ces termes : 4. La Cour est d’avis que la confiscation du bien infractionnel, soit la maison de débauche, n’est pas illégale, nonobstant la présentation de l’appelant concernant l’application de l’ancienne loi. La Cour est d’accord avec le premier juge que la loi de 2002 est applicable en l’espèce, puisque l’infraction commise par l’appelant est une infraction continue, qui a peut-être débuté avant l’entrée en vigueur en 2002 de l’amendement au Code criminel, mais qui s’est continuée par la suite jusqu’en mai 2003, période couverte par cet amendement. [49] La poursuite note que les chefs 2 et 3 consistent en des infractions continues qui ont continué après l’amendement de la peine en 2004. En conséquence, la peine maximale est de 14 ans pour ces deux chefs. [50] Le
raisonnement de la Cour d’appel n’a pas été suivi par la Cour d’appel de
l’Ontario dans l’arrêt AG Canada c. Lalonde, [51] Ceci dit, la gravité objective basée sur la peine maximale a une importance bien relative dans ce dossier. La Cour a le bénéfice de 36 peines qui ont été prononcées contre les co-conspirateurs de M. Accurso. Ces peines sont un facteur de plus grande importance que la peine maximale quand vient le temps de déterminer quelle est la peine appropriée dans le cas de M. Accurso. [52] Passons maintenant à la demande pour une ordonnance de dédommagement. iii - ordonnance de dédommagement [53] La Cour est
d’avis qu’il n’est pas approprié dans ce dossier de rendre une ordonnance de
dédommagement. Dans l’arrêt R. c. Simoneau,
36. Les
tribunaux criminels ne doivent pas se substituer aux tribunaux civils et le
processus de détermination de la peine n’est jamais le bon forum pour établir
des dommages sérieusement contestés ou juridiquement plus
complexes : R. c. Zelensky, 37. L’inquiétude
de la Cour suprême sur la durée probable des procédures d'évaluation est
légitime. À cet égard, la jurisprudence reconnaît qu’à moins de dommages
facilement quantifiables, le juge doit laisser les tribunaux civils trancher
l’affaire. Le juge doit d’ailleurs être informé, en principe, de l’existence
ou non d’un tel recours, ce dernier étant pertinent à sa décision : R.
c. Boutin, [54] Dans ce dossier, la tentative de quantifier les dommages est, avec égard, inadéquate. [55] La poursuite a déposé un tableau (pièce S-1). Comme la Cour l’a déjà expliqué, durant le procès, la poursuite a déposé un nombre important de contrats de construction. Le tableau fait référence aux contrats accordés à Construction Louisbourg ou Simard-Beaudry. Totalisant la somme de ces contrats, avant taxes, le montant du dédommagement recherché représente 2% de ce total, c’est-à-dire les montants de la ristourne payée à l’ex-maire Vaillancourt via son parti politique. [56] Cette façon de procéder est déficiente. [57] Premièrement, il n’a pas été établi que chacun de ces contrats était collusionné. Les soumissions dans plusieurs cas ont été signées par des employés de l’une ou l’autre des compagnies qui n’étaient pas identifiées comme des co-conspirateurs. [58] Deuxièmement, la Cour note des différences importantes entre les contrats identifiés comme collusionnés dans la pièce S-1 et ceux identifiés dans la poursuite civile intentée par la Ville de Laval contre M. Accurso et ses compagnies (pièce SD-1). Dans la pièce S-1, on retrouve la référence à 74 contrats. Dans la pièce SD-1, à son annexe A, on retrouve la référence à 84 contrats. Une analyse des deux tableaux révèle que seulement 32 contrats s’y retrouvent dans chacun. Donc, il y a 42 contrats qui ont été produits durant le procès de M. Accurso que la Ville de Laval n’inclut pas dans sa réclamation. [59] Le dossier criminel n’est pas le forum approprié pour résoudre ce mystère. La Cour note également que la cause civile comporte son lot de complexité. La poursuite civile se repose sur une loi spéciale qui est entrée en vigueur le 1er avril 2015. La loi prévoit certaines règles particulières qui touchent, notamment, la responsabilité des dirigeants et administrateurs de compagnies, la façon d’établir les dommages subis par la Ville de Laval, et la prescription extinctive (pièce SD-1, paragr. 2 et 2.1). La Cour comprend que M. Accurso prétend que cette loi est inconstitutionnelle. [60] Pour toutes ces raisons, la Cour est d’avis qu’il n’est pas approprié d’émettre une ordonnance de dédommagement dans ce dossier. [61] Ceci dit, si la Cour est dans l’erreur, elle aura limité l’ordonnance à un montant de 498 750 $. Cette somme est basée sur le témoignage de Roger Desbois, en qui la Cour accorde un haut degré de fiabilité et de crédibilité. [62] M. Desbois a témoigné qu’il a reçu 2 850 000 $ en ristournes de 2003 à 2007. De ce montant, 70% ont été fournis par les sept premières compagnies, dont Construction Louisbourg et Simard-Beaudry, que l’on retrouve sur la liste P-3 que M. Desbois a préparée durant son témoignage. De ce 70%, 25% provenait de ristournes payées au nom des deux compagnies de M. Accurso. Lorsque l’exercice mathématique est complété, on arrive à la somme de 498 750 $ remise par ces deux compagnies. [63] Passons maintenant à la considération de quelle peine d’emprisonnement devrait être imposée dans le cas de M. Accurso. iv - la peine d’emprisonnement [64] La Cour revient sur la description du stratagème. Elle est d’opinion qu’une plus grande gravité subjective doit être accordée à Vaillancourt et ses fonctionnaires, suivi par les entrepreneurs et ingénieurs, suivi par les collecteurs de la ristourne et les receleurs de ces sommes. À l’intérieur de chaque groupe, des différences de traitement peuvent être accordées dépendant, par exemple, de la durée de la participation, de l’importance de la compagnie, etc. [65] Les peines qui ont été imposées, toutes après un plaidoyer de culpabilité et des suggestions communes, qui semblent particulièrement pertinentes, sont les suivantes : · Gilles Vaillancourt (ex-maire de la Ville) : 6 ans d’emprisonnement et le remboursement d’environ 8 600 000 $; · Claude Asselin (Directeur général de la Ville) : 24 mois moins 1 jour d’emprisonnement ferme et une entente au civil avec la Ville de Laval; · Claude DeGuise (Directeur de l’ingénierie de la Ville) : 30 mois d’emprisonnement ferme. [66] Pour ce qui est des entrepreneurs, la Cour va se concentrer sur les dirigeants des firmes que le témoin Desbois a identifiés comme étant les plus importants : · Giuseppe (Joe) Molluso (Construction Louisbourg et Simard-Beaudry) : 24 mois moins 1 jour d’emprisonnement avec sursis et un remboursement à la satisfaction de la Ville de Laval (1 750 000 $); · René Mergl (Nepcon) : 18 mois d’emprisonnement ferme; · Marc Lefrançois (Poly-Excavation) : 21 mois d’emprisonnement ferme; · Jocelyn Dufresne (Jocelyn Dufresne inc.) : 12 mois d’emprisonnement ferme et 240 heures de travaux communautaires; · Patrick Lavallée (J. Dufresne Asphalte) : 24 mois moins 1 jour d’emprisonnement avec sursis; · Luc Lemay (J. Dufresne Asphalte) : 21 mois d’emprisonnement ferme; et · Marc Desrochers (Sintra) : 12 mois d’emprisonnement avec sursis. [67] Dans le cas de M. Accurso, la Cour reconnait les facteurs atténuants suivants : - son âge (66 ans); - l’absence d’antécédents judiciaires; - le respect de ses conditions de remise en liberté depuis 2013; - la faible possibilité qu’il puisse reprendre sa carrière dans le domaine de la construction; et - le fait qu’il a contribué à la société en employant jusqu’à 4 500 personnes. [68] La Cour reconnait les facteurs aggravants suivants : - la gravité des infractions; - que des fonds publics ont été subtilisés; - les montants importants qui ont été fraudés; - la durée de la criminalité (14 ans), incluant la planification et la préméditation; - la fréquence des fraudes; - que la criminalité s’adresse à des abus de confiance de fonctionnaires municipaux; - l’impact sur la confiance du public envers les institutions politiques; et - le statut de président qu’occupait M. Accurso et l’importance de ses compagnies dans l’accomplissement de l’activité criminelle. [69] La Cour est d’accord avec la soumission de la poursuite à l’effet que, si M. Accurso avait décidé qu’il ne participera pas au système de collusion, le système n’aura pas pu durer aussi longtemps. La preuve est non-contredite que ses entreprises étaient les plus importantes dans la domaine de la construction sur le territoire de Laval. Sans son appui, le système collusionnaire n’aura pas pu durer. Considérant que Laval ne représentait seulement 3% de son chiffre d’affaires, la seule inférence est que c’est l’appât du gain qui a motivé M. Accurso et non pas une simple décision d’affaires (« de business »). La Cour a déjà souligné que M. Accurso a participé à un moment critique en 2002 pour conserver le système. [70] La Cour
considère la couverture médiatique dans ce dossier comme un facteur neutre,
considérant l’ampleur de la criminalité à l’origine des accusations. Comme la
Cour d’appel a noté dans Harbour c. R., 66. Or, les médias ont un pouvoir indéniable. L’importance de la couverture médiatique variera selon les cas. L’impact médiatique, pris comme le simple dévoilement du crime et de son auteur, n’autorise pas en soi à inférer, dans la plupart des cas, des conséquences qui en feraient un facteur atténuant. C’est, je crois, ce confirme la Cour dans les arrêts Thibault, Chav, et Savard précités. En effet, l’inférence d’une stigmatisation découlant d’une accusation n’est pas toujours un facteur, celle-ci étant intrinsèque à des niveaux variables, correspondants au crime. À l’évidence, la gravité du crime et la stigmatisation sont directement proportionnelles : […]. [71] En considérant tous ces facteurs ainsi que les principes de sentence continue dans le Code criminel, la Cour écarte d’emblée l’imposition d’une peine d’emprisonnement avec sursis. Un terme d’emprisonnement de plus de deux ans est de mise dans ce dossier.
[72] Ceci dit, la Cour ne peut pas suivre la suggestion de 5 ans d’emprisonnement avancée par la poursuite, considérant les peines déjà rendues. Une telle peine ne sera pas proportionnelle et ne respectera pas le principe de la parité des sentences. La Cour croit qu’un total de 4 ans d’emprisonnement respectera ces principes. La différence entre cette peine et celles infligées à René Mergl, Asselin et Deguise s’explique par les plaidoyers de culpabilité de ces derniers. [73] En plaidant coupable, ils ont pu bénéficier d’une réduction de la peine qui leur aurait été imposée s’ils avaient été trouvés coupables après procès. Dans un dossier qui à l’origine incluait 38 co-accusés, il est clair que le crédit accordé pour un plaidoyer de culpabilité est important. Ce crédit explique l’écart entre les peines imposées à Mergl, Asselin et DeGuise, et celle que la Cour impose à M. Accurso aujourd’hui. [74] EN CONSÉQUENCE, LA COUR : |
||||
[75] IMPOSE à Antonio Accurso une peine de 30 mois d’emprisonnement sur le chef 1 de l’acte d’accusation;
[76] IMPOSE à Antonio Accurso une peine de 48 mois d’emprisonnement sur le chef 2 de l’acte d’accusation;
[77] IMPOSE à Antonio Accurso une peine de 48 mois d’emprisonnement sur le chef 3 de l’acte d’accusation;
[78] IMPOSE à Antonio Accurso une peine de 30 mois d’emprisonnement sur le chef 4 de l’acte d’accusation;
[79] IMPOSE à Antonio Accurso une peine de 30 mois d’emprisonnement sur le chef 5 de l’acte d’accusation;
[80] ORDONNE que ces peines soient purgées concurremment;
[81] IMPOSE la suramende compensatoire sur chacun des 5 chefs d’accusation.
_______________________________
JAMES L. BRUNTON, J.C.S.
Me Richard Rougeau
Me Philippe-Pierre Langevin
Me Martin Duquette
Procureurs du D.P.C.P.
Me Marc Labelle
Me Kim Hogan
Procureurs de M. Accurso
Date des représentations : 28 juin 2017
[1]
La poursuite, suite à une interrogation de la Cour, appuie sa position sur
l’arrêt Pouliot c. R.,
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.