Décision

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2014 QCCQ 8358

 

Boukendour c. Gosselin

 

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

 

« Chambre civile »

N° :

500-32-114348-081

 

 

 

DATE :

9 septembre 2014

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

MAURICE ABUD, J.C.Q.

 

 

 

______________________________________________________________________

 

 

SAÏD BOUKENDOUR

Partie demanderesse

 

c.

 

ME ANDRÉE GOSSELIN

Partie défenderesse

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

 

[1]   Le demandeur, Saïd Boukendour [ci-après : monsieur Boukendour] retient les services de la défenderesse, Me Andrée Gosselin [ci-après : Me Gosselin] en janvier 2007 pour avoir un avis juridique dans ce qu’il estimait être de la discrimination et du harcèlement de la part de son employeur, l’Université du Québec en Outaouais [ci-après : UQO]. 

[2]   Monsieur Boukendour, soutient que Me Gosselin a profité de sa situation de détresse psychologique et de son état d’ignorance des relations de travail pour le facturer d’un montant de 17 580,76 $. Il estime que le montant des honoraires est grossièrement exagéré en regard du travail réalisé et des résultats obtenus. C'est pourquoi il demande le remboursement de 7 000 $ étant le maximum qu’il peut réclamer à la Division des petites créances de la Cour du Québec.

[3]   Me Gosselin soutient qu’elle a en tout temps respecté le mandat qui lui avait été confié par monsieur Boukendour et qu’elle a toujours agi avec professionnalisme, compétence et diligence envers ce dernier. 

[4]   Elle conclut que les factures qu’elle lui a fait parvenir en date du 13 février 2007 de 3 916,46 $, du 1er mars 2007 de 6 020,93 $, du 12 avril 2007 de 3 616,38 $ et du 7 mai 2007 de 4 026,99 $ sont en tout point conformes et représentent le travail effectué dans le dossier de monsieur Boukendour.

COMPÉTENCE DU TRIBUNAL

[5]   Avant d’analyser la preuve, il y a lieu de disposer de l’argument de monsieur Boukendour concernant la compétence du Tribunal des petites créances. 

[6]   Ce dernier plaide que le présent Tribunal est non-compétent pour entendre ce dossier parce qu’il est limité par ce qu’il peut attribuer, soit 7 000 $, à titre de dommages-intérêts, et que par conséquent, il lui apparaît dans que l’intérêt de la justice que ce dossier soit transféré à la Chambre civile de la Cour du Québec où à la Cour supérieure, ou toute autre Cour que le Tribunal jugera appropriée pour l’étudier dans son intégralité.

[7]   L'article 953 du Code de procédure civile[1] est ainsi libellé :

Les sommes réclamées dans une demande portant sur une petite créance, c'est-à-dire :

a)       une créance qui n'excède pas 7 000 $, sans tenir compte des intérêts ;

b)       qui est exigible par une personne, une société ou une association, en son nom et pour son compte personnels ou par un tuteur, un curateur ou un mandataire dans l’exécution du mandat donné en prévision de l’inaptitude du mandant ou par un autre administrateur du bien d’autrui ;

ne peuvent être recouvrées en justice que suivant le présent livre.

Il en est de même de toute demande qui vise la résolution, la résiliation ou l'annulation d'un contrat lorsque la valeur du contrat et, le cas échéant, le montant réclamé n'excède pas chacun 7 000 $.

Une personne morale, une société ou une association ne peut, à titre de créancier, se prévaloir des dispositions du présent livre que si, en tout temps au cours de la période de 12 mois qui précède la demande, elle comptait sous sa direction ou son contrôle au plus cinq personnes liées à elle par contrat de travail.

[8]   La réclamation telle que présentée par monsieur Boukendour en est une dont la Division des petites créances de la Cour du Québec a juridiction.  Il s’agit d’une petite créance. Elle n’excède pas 7 000$ et si le Tribunal est limité par les montants qu’il peut attribuer, c’est par la loi qu’il l’est et surtout par le choix qu’a fait monsieur Boukendour d’intenter son recours devant ce Tribunal.  Il pouvait l’intenter devant la Cour du Québec, Chambre civile ou devant la Cour supérieure, mais il a décidé de le faire devant la Chambre civile de la Cour du Québec, Division des petites créances.  A-t-il été bien informé au moment de le faire ?  Là n’est pas la question. 

[9]   Le Tribunal a consulté le dossier.  Il a constaté que monsieur Boukendour à une certaine époque soit le 9 mars 2012 a fait une demande d’amendement pour augmenter le montant de la poursuite afin que son recours soit entendu par un juge de la Cour du Québec, Division ordinaire. Or, cette demande d’amendement a été refusée par la juge Diane Quenneville.  Depuis, monsieur  Boukendour a expiré tous ses recours quant à cette décision, se rendant même jusqu’en Cour suprême, laquelle a refusé de l’entendre. 

[10]        Il prétend maintenant que son objection n’est pas du même type qu’au moment où il présenté sa demande d’amendement.  Il s’agit plutôt du fait que la réclamation n’est pas une petite créance puisque ce qui lui tient le plus à cœur ce n’est pas le montant, c’est le sentiment d’avoir été floué. 

[11]        Cet argument ne peut enlever la compétence de la Division des petites créances.

LA PREUVE

Le témoignage de Saïd Boukendour

[12]        Monsieur Boukendour mentionne que la raison pour laquelle il a consulté Me Gosselin est reliée à son travail à l’UQO. Il était selon lui victime  de harcèlement et de discrimination par le Vice-recteur à l’enseignement et à la recherche, Denis Dubé. 

[13]        À l’époque, le syndicat a préféré ne pas le défendre.  C’est pourquoi il a demandé à Me Gosselin de lui donner un avis juridique sur cette situation et d’entreprendre des procédures appropriées. Il soutient que Me Gosselin a profité de sa situation psychologique, jusqu’à effectuer des manœuvres frauduleuses pour lui facturer des honoraires professionnels.

[14]        Pour appuyer ses prétentions, il fait un exercice de compréhension des documents qu’il y a au dossier en commençant par une facture de Me Gosselin du 1er mars 2007[2]

[15]        Concernant celle-ci, il soulève trois points.

[16]        Le premier, concerne une entrevue de 3 heures 45 minutes, le 13 février 2007, entre 9h45 à 13h30.  Il met en parallèle cette facture, avec un document[3] de trois pages dont la première est un courriel qu’il a adressé à la vice-rectrice Hélène Grandmaître pour déposer un grief.  Il tient à le lire :

«Mme la vice-rectrice veuillez par la présente considérer le présent grief que je dépose à l’encontre du refus de M. Dubé daté du 13 janvier 2007 de m’accorder selon l’article 10.12 de la convention collective le dégagement d’enseignement demandé et accepté à l’unanimité par l’assemblée départementale du DSA en juin dernier. 

Tout document nécessaire vous sera remis sur demande.  Je compte sur votre collaboration pour que ce grief soit considéré dès aujourd’hui comme étant déposé étant donné le délai qui expire. 

Correctif demandé octroi du dégagement demandé et ce rétroactivement avec compensation pour toutes les pertes encourues. »

[17]        Ce grief lui avait été dicté par Me Gosselin. Durant cette rencontre, dit-il, il ne l’a vue que pour quelques minutes. Il ajoute 3 heures et 45 minutes de réunion et le grief est vide.  Il ne contient aucune allégation.

[18]        Il précise que lorsqu’il est arrivé pour son rendez-vous, Me Gosselin est venue le chercher à la réception et l’a laissé dans une salle de réunion.  La secrétaire lui a apporté du café et de temps en temps, Me Gosselin passait le voir.  Ce jour-là, elle est passée très rapidement pour lui dicter le grief.  Il était sur les lieux, mais la rencontre directement avec Me Gosselin n’a pas duré trois heures 45 minutes.  Il fait une analogie entre un patient au service d’urgence d’un hôpital qui attend trois heures avant de voir le médecin pendant dix minutes.

[19]        Le deuxième point qu’il tient à souligner sur cette facture est la date du 22 février 2007. Il y est indiqué dans un premier endroit «Entrevue avec M. Boukendour, Re : Compilation des faits et détermination des prochaines étapes. 8h30 à 12h et 14h à 16h30» et dans un deuxième «Rédaction d’une lettre à M. Lacroix avec références au document 10h  à 14h45».

[20]        Concernant cette date, il demande au Tribunal de consulter une série de courriels qu’il a envoyés et reçus le 22 février 2007 à quatre personnes différentes.[4]

·        À 9h13, il reçoit un courriel d’Abdelilah Balamane à qui il répond à 9h29 et ce dernier lui envoie un courriel à 10h57. 

·        À 10h29, il reçoit un courriel de Micheline Molloy à qui il répond à 11h05. 

·        À 14h04, il reçoit un courriel de Sylvie Villeneuve à qui il répond à 15h33. 

·        À 14h41, il reçoit un courriel de Me Gosselin à qui il répond à 16h04.

[21]        Il ajoute que le contenu de ces courriels n’est pas important, mais cela établit qu’il y a eu des échanges entre lui et ces personnes alors qu’il était à son domicile avec son assistant de recherche.   Il conclut qu’il ne pouvait pas être avec Me Gosselin entre 8h30 et 12h  et de 14h à 16h30.

[22]        D’autre part, en référant à la lettre datée du 22 février 2007[5], adressée à Luc Lacroix, président du syndicat des professeurs de l’UQO, il est clair, dit-il, que Me Gosselin connaissait son état de détresse psychologique et son ignorance des relations de travail. Dans celle-ci mentionne-t-il, elle précise dans quelle situation psychologique il était à l’époque des faits.

[23]        De plus, Me Gosselin était la première avocate qu’il rencontrait et il ne connaissait peut-être pas les procédures, mais il a quand même une idée de ce qu’est une relation professionnelle. Quand on demande aide et assistance, on a droit à la confiance.  Quand il voit son chirurgien, il lui fait confiance et ne se pose pas de questions.  C’est un droit légitime de faire confiance à un professionnel.

[24]        Le troisième point qu’il soulève pour la facture du 1er mars 2007 est la date du 26 février.  Il y est indiqué : « Recherche jurisprudentielle également transmise ».  Il réfère alors à un courriel[6] que Me Gosselin lui fait parvenir où il est écrit : « En lisant ceci, j’ai pensé à vous.  La prochaine fois que vous demandez quelque chose à M. Dubé, vous pourriez peut-être prendre le nom de Malenfant avec un «smiley», J.

[25]        Tout d’abord, dit-il, il s’agissait d’une plaisanterie déplaisante.  Quant à la jurisprudence en question, c’était plutôt un article de presse dans lequel il y a eu un dédommagement de 15 000 $ à une personne qui s’appelait Kamal El Batal.   En fait, ce dernier avait  envoyé à la Coop Fédérée deux CV strictement identiques, l’un au nom de Kamal El Batal, l’autre au nom de Marc Tremblay. Ce dernier, a eu droit à un entretien téléphonique d’embauche positif tandis que Kamal El Batal était ignoré. 

[26]        Quant à lui, ajoute-t-il, il a été engagé à l’UQO sous son nom véritable et il n’avait pas besoin de changer de nom pour obtenir des avantages.  Les propos de Me Gosselin étaient injustes vis-à-vis son Université et inappropriés par rapport à lui-même et au Québec en général. 

[27]        Ses difficultés avec l’Université dit-il, résulte de problèmes idéologiques.  Il ne subissait aucun désagrément causé par son origine ethnique. 

[28]        Par la suite, il fait référence à la facture du 12 avril.[7]

[29]        Tout d’abord, concernant la date du 7 mars, il y est indiqué « Étude de divers courriels reçus».  Il insiste sur le mot “Étude” et ajoute que cela suppose que l’on a reçu quelque chose.  

[30]        Or, en regardant un courriel[8] qu’il met en relation avec la date du 7 mars, il lit  sur celui-ci qu’elle est en vacances.  Il s’agit en quelque sorte d’une réponse automatique à un courriel qui est envoyé.

[31]        Toujours sur la facture du 12 avril 2007, il est indiqué pour le 4 avril 2007, « Étude et résumé de jurisprudence sur plainte contre le syndicat» et le 5 avril « Rencontre avec Boukandour  et rédaction d’un grief» de même qu’il est indiqué « Envoi de quelques documents à Me France St-Laurent pour avis sur l’attitude syndicale. »

[32]        À ce sujet, il précise que vers le 5 avril, Me Gosselin l’a invité au restaurant et lui a demandé la permission de consulter Me France St-Laurent sur l’attitude syndicale.  Elle lui a expliqué que cette dernière était une excellente avocate. Il tient à lire le courriel qu’elle lui a envoyé, qui précise[9] :

« Je viens tout juste de parler avec Me France St-Laurent et nous avons convenu, vu la complexité (pour un laïque) du milieu académique dans lequel vous œuvrez et des événements que vous avez subis, que la rencontre se tiendrait plutôt à son bureau. (Trudel, Nadeau, 300 Léo Pariseau, 25ième étage).

J’apporterai tout votre dossier, l’exposerai succinctement, lui ferai lire tous les documents pertinents et vous laisserai ensuite avec elle si elle désire obtenir plus de détails. 

La raison de ma proposition tient au fait que je veux vous éviter de payer deux avocats en même temps. Ainsi, pendant le temps qu’il faudra à Me St-Laurent pour se faire une idée claire et précise de votre dossier et de votre recours, je n’aurai probablement pas à être présente et pourrai revenir au bureau. Si elle n’a pas besoin de plus de temps avec vous,  nous pourrons alors discuter à trois des options qui s’offrent à vous et des mesures à prendre.  Le principal est de vous éviter un dédoublement de temps d’avocats. 

Afin de laisser tout le temps nécessaire à Me St-Laurent, j’ai pris la liberté de devancer notre R.V. à midi plutôt que 2 heures.

Êtes-vous d’accord et êtes-vous disponible ? »

[33]        Il ajoute que si Me St-Laurent a été consultée c’est parce qu’elle avait un niveau d’expertise relativement élevé sinon égal à celui de Me Gosselin.  Lorsque Me France St-Laurent a étudié le dossier pour la première fois, elle a donné son avis et a réclamé un montant de 1 350 $ sans les taxes. Lorsque Me Gosselin a fixé ce rendez-vous, elle a abusé de sa confiance pour se facturer elle-même. 

[34]        Par la suite, dit-il, Me Gosselin, après avoir consulté la jurisprudence, a demandé l’avis d’une autre avocate et demandé une prolongation de délai pour les griefs, elle lui demande d’arrêter et de laisser le harcèlement s’accumuler.

[35]        Il fait référence à un courriel du 24 mai 2007 où elle écrit :[10]

« J’aimerais savoir ce qui est arrivé à vos griefs : avez-vous demandé à votre syndicat de tenter de tout régler au comité de griefs tel qu’ils l’ont proposé ? (quoiqu’il s’agisse plutôt de votre grief sur le dégagement car, de mémoire, je vous ai conseillé de vous désister, sans préjudice à vos droits et recours, du grief déposé pour harcèlement ; histoire de laisser les ’’agressions’’ s’accumulées un peu plus).  D’autre part il y a la procédure interne que vous pouvez utiliser, comme le suggérait votre syndicat afin de fournir à Dubé une ’’épine’’ de plus à son pied… 

Donc, des nouvelles… quand vous en aurez le temps !

P.S. j’ai élagué le dossier hier en fin de journée et vous remets tout ce que vous avez requis (après la rencontre avec Me St-Laurent, tout était désorganisé et nous avons dû, Francine et moi, ‘’refaire le ménage’’ : désolée pour le délai. 

Vous pouvez passer le chercher quand vous voudrez, en communiquant avec Francine. »

[36]        Cette façon de faire représente pour lui une multiplication des actes à des fins de facturation.  Si la cause n’était pas valable au début pourquoi avoir payé un consultant externe, pourquoi avoir après facturé au-delà de 17 000 $ d’honoraires professionnels se retirer sans entamer de procédures. 

[37]        Et  dit-il, contrairement à ce qu’écrit Me Gosselin dans la lettre à la Commission des droits de la personne, il n’est pas un Arabe, mais un Berbère de l’Afrique du Nord.  Il ajoute qu’il n’a jamais accusé Denis Dubé de racisme, il soutient qu’il n’a jamais été une victime de harcèlement basé sur ses origines contrairement à ce qu’elle mentionne. Il précise d’autre part que la chronologie des faits qu’il a remise à Me Gosselin au début du dossier lorsqu’il l’a rencontrée en janvier 2007 était très claire et que contrairement à ce qu’elle mentionne, il n’est pas désordonné. 

[38]        De plus, il ne comprend toujours pas pourquoi la juge Diane Quenneville a refusé l’amendement qu’il demandait, alors que dans plus de 199 décisions qu’il a consultées pour une situation semblable, on l’a accordé.  Il invite le Tribunal à écouter l’enregistrement de la demande d’amendement et souligne qu’en aucun moment Me Gosselin n’a été interrogée ni même identifiée par la juge Diane Quenneville. 

[39]        Et, contrairement à ce que mentionne Me Gosselin, il lui a demandé à plusieurs reprises les factures d’honoraires détaillées et ce n’est pas dix jours avant la date fixée pour la présente audition qu’elle en a été informée.

[40]        Il précise que le 12 février 2008[11], Me Julius H. Grey, qu’il avait mandaté, faisait parvenir à  Me Gosselin, une lettre dans laquelle il lui demandait de lui faire suivre les factures détaillées et les paiements de M. Boukendour avec toute autre explication qu’elle estimerait pertinente.

[41]        Il  discute également le fait qu’une plainte ait été à la fois adressée à la Commission des droits et libertés de la personne et en même temps un grief a été déposé puisqu’il semble que l’on ne peut déposer de plainte à la Commission des droits et libertés de la personne lorsqu’il y a possibilité de présenter un grief.

[42]        Il ne savait pas qu’elle ne prendrait pas de procédures.  Toute son aventure avec Me Gosselin s’est terminée en queue de poisson.  Pourquoi consulter Me France St-Laurent si elle n’avait pas l’intention de poursuivre les procédures ?  Pourquoi prolonger les délais si elle n’avait pas l’intention de continuer le dossier ?

[43]        Il précise qu’à travers tous les faits qu’il vient de présenter et par des preuves documentées, il appert que Me Gosselin a commis à son égard des manœuvres dolosives et frauduleuses, et ce, en connaissance de son état de vulnérabilité psychologique et de son ignorance des lois.

[44]        C’est un abus de confiance de la part d’un professionnel, dit-il, et à ce sujet, il dépose une décision de la Cour du Québec rendue le 11 novembre 1999 par le juge Jean-Paul Aubin,  La Reine c. Gérald Champagne[12] sur les devoirs des professionnels.

[45]        Il réfère également le Tribunal à l’article 1401 du Code civil du Québec qui se lit comme suit :

1401. L'erreur d'une partie, provoquée par le dol de l'autre partie ou à la connaissance de celle-ci, vicie le consentement dans tous les cas où, sans cela, la partie n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions différentes.

 

Le dol peut résulter du silence ou d'une réticence.

Le témoignage de Me Andrée Gosselin.

[46]        Me Gosselin relate qu’elle a été l’avocate de monsieur Boukendour de janvier 2007 à mai 2007.  Au début, dit-elle, il avait communiqué avec elle par courriel afin d’obtenir un rendez-vous téléphonique pour une question de harcèlement en milieu de travail.  Lorsqu’elle lui a parlé au téléphone, elle lui a donné des explications concernant le harcèlement et lui a précisé que son taux horaire était de 300 $. Elle était avocate dans un grand bureau de Montréal et représentait des entreprises. Cela l’a fait sursauter, elle lui a alors expliqué qu’elle était d’abord une avocate patronale et qu’à l’occasion, elle peut représenter des personnes physiques.

[47]         Il lui a alors demandé si elle travaillait à pourcentage, elle lui a répondu par la négative et que c’était uniquement à tarif horaire lequel pouvait être diminué pour une personne physique, mais elle n’avait pas beaucoup de marge de manœuvre.

[48]        Elle lui a également expliqué qu’en matière de harcèlement, il y avait une prescription minimum de 90 jours, ou plus s’il s’agissait d’une personne syndiquée, du dernier geste reproché.  Il lui a alors répondu qu’il avait compris le délai de prescription et qu’il allait s’arranger avec cela.  Avant de lui donner un rendez-vous, elle voulait s’assurer qu’il n’y avait pas de situation conflictuelle à l’intérieur de son bureau. De toute évidence, ajoute-t-elle, il n’y avait pas de conflit d’intérêts puisque sa secrétaire a fixé un rendez-vous.

[49]         Lorsqu’elle a rencontré monsieur Boukendour, il y a eu une discussion du contexte, il lui a remis un document de vingt-cinq pages qui décrivait la chronologie des événements.  En gros, il voulait intenter un recours contre Denis Dubé.  Elle précise qu’il était fâché et très colérique à son égard et il le voyait dans sa soupe. Elle s’est informée également sur son état mental et il lui a répondu qu’il allait très bien sauf qu’il ne parlait que de Denis Dubé et ses collègues lui rappelaient qu’il n’avait d’autres conversations que celles-là.

[50]        Elle lui a alors demandé s’il avait vu un médecin ou s’il avait des pertes d’appétit et ce qu’il avait vécu dans la dernière année.  Il lui a lors mentionné qu’il n’avait pas besoin de médecin, qu’il n’avait pas de perte d’appétit et que tout allait sauf quand il faisait affaire avec Denis Dubé.

[51]        Il lui a précisé qu’il avait rencontré une avocate du syndicat, Me Suzanne Boivin en 2006.  Il avait essayé d’obtenir des représentations de la part du syndicat, mais cela lui a été refusé sans lui donner de motifs. Elle a écrit deux fois à Me Boivin pour obtenir ses motifs, ses notes et son dossier, ils voulaient comprendre.

[52]        Lors de leur première rencontre, elle lui a mentionné que son taux horaire serait de 285 $ au lieu de 300 $ qu’elle avait évoqués au téléphone et monsieur Boukendour lui aurait remis un chèque de 1 000 $ à être déposé en fidéicommis.

[53]        Après avoir lu les documents, elle a mis cela bien au clair avec lui, à la première rencontre, il ne lui a pas demandé de prendre une action. Ce qu’il voulait c’était de poursuivre Denis Dubé, mais il ne savait pas comment. Elle lui a demandé s’il avait déposé un grief, il ne semblait pas savoir ce que c’était un grief. Ils ont alors eu une très longue conversation au sujet des relations de travail au Québec.

[54]        Elle lui a mentionné qu’elle ne poursuivrait personne qui réside à Hull parce que cela serait trop dispendieux et qu’en matière de harcèlement, on ne peut poursuivre une personne, mais son employeur et que c’est pareil pour les questions de discrimination, il ne comprenait pas, puisque lui il voulait poursuivre Denis Dubé. Cela prit beaucoup de discussion avant qu’il n’accepte ses remarques.

[55]        Elle considère sa relation avec lui pendant les quatre mois d’harmonieuse, il ne s’est jamais plaint.  C’était un homme charmant, très rieur, avec beaucoup d’humour, qui faisait des boutades et faisait rire sa secrétaire et elle-même continuellement, toujours souriant et qui n’a jamais  montré de signes de détresse.

[56]        Elle lui a expliqué que pour poursuivre en harcèlement, cela prenait comme preuve, un état psychologique pour le moins affecté et qu’il ne fallait pas seulement l’alléguer, mais le prouver. C'est pourquoi elle lui a mentionné que s’il pouvait aller voir un médecin, un psychologue ou faire appel au programme des employés, cela pouvait être utile pour leur recours. 

[57]        Elle lui a également mentionné qu’elle allait regarder le dossier et vérifier si les allégations étaient basées uniquement sur des éléments suggestifs.  Elle ne voulait pas aller en cour sans avoir de corroboration sur les éléments objectifs.  Elle lui a expliqué qu’elle allait vérifier s’il y en avait et qu’elle lui dirait ce qui manque.  Il était alors d’accord avec cette approche.

[58]        Elle ajoute que par la suite, le mandat s’est agrandi parce que monsieur Boukendour est arrivé avec des caisses de documents reçues pêle-mêle, qu’il fallait vérifier. Elle lui a mentionné que cela allait être dispendieux.  Il lui disait régulièrement : « Money is no object ».

[59]        Après avoir étudié l’ensemble des documents, elle a réalisé que monsieur Boukendour avait une première cause en apparence, soit un dégagement d’enseignement et Denis Dubé retardait à signer l’entente entre l’UQO et Infrastructure Canada.  C’était en gros ce dont il se plaignait pour le harcèlement en disant tous ceux qui sont blancs et les femmes surtout, tout passe et moi ça ne passe pas.  Denis Dubé n’aime pas les Arabes.  Denis Dubé n’aime pas les Noirs. 

[60]        Elle a réalisé par la suite que dans la convention collective, il y avait un délai pour déposer un grief à partir du refus concernant le dégagement.  Elle a alors dicté un grief qu’il fallait rapidement acheminé aux autorités.  Elle lui a dit que c’est son syndicat qui s’occuperait de son grief, mais ce dernier ne faisait pas confiance au syndicat parce que la présidente était devenue vice-rectrice. 

[61]        Elle ajoute que habituellement, si le syndicat ne dépose pas de grief, le syndiqué ne peut le faire, mais dans ce cas-ci, cette possibilité se retrouvait et c’est pourquoi le grief a été déposé par monsieur Boukendour  lui-même.

[62]        En ce qui concerne le harcèlement, elle ne voyait pas en quoi le fait de retarder une décision était une preuve de harcèlement.  Il n’y avait rien dans le dossier qui lui permettait d’avoir un recours, du moins elle n’en était pas certaine. 

[63]        Elle lui a mentionné qu’il fallait absolument qu’il soit représenté par son syndicat et puisqu’il faisait confiance au nouveau président, Luc Lacroix, une lettre a été préparée à l’attention de ce dernier pour lui demander de mettre de côté les frictions qu’il y a eu entre eux. Dans celle-ci, elle allait le faire prendre en pitié, elle indiquerait qu’il avait des problèmes psychologiques graves, mais ce n’était pas le cas. 

[64]        Elle ajoute qu’il ne voulait pas un avocat pour poursuivre immédiatement.  Il voulait surtout une opinion sur ce qu’il venait de se faire dire par Me Suzanne Boivin, «qu’il n’avait pas de cause».  Il voulait surtout obtenir des conseils afin de savoir comment gérer cette situation.

[65]        C’est à ce moment qu’elle lui a dit que si le syndicat n’agissait pas, il pouvait prendre un recours à la Commission des droits et libertés de la personne qui pourrait faire enquête.

[66]        Elle précise que monsieur Boukendour voulait également prendre un recours contre le syndicat parce que celui-ci ne réagissait pas malgré les lettres qu’elle avait transmises et parce qu’il avait déjà essuyé un refus de leur part. Elle lui a alors mentionné qu’un recours contre un syndicat cela existe, mais comme procureur patronal elle ne s’occupe pas de cela. Elle ne savait pas trop comment cela fonctionnait et c’est pourquoi elle lui a conseillé de consulter Me France St-Laurent.

[67]        Avec son accord, elle lui a envoyé les documents qu’elle croyait pertinents et elle l’a rencontrée avant la réunion afin de mettre tout sur la table.  Par contre, sur place, il a insisté pour qu’elle reste.  Suite à cette rencontre, Me St-Laurent leur aurait dit qu’il n’y avait pas de recours possible contre le syndicat.

[68]        Par la suite elle a appris au mois d’août 2007, qu’il y avait une plainte au Barreau concernant sa facturation.

[69]        Concernant le 22 février 2007, date à laquelle monsieur Boukendour dit qu’il n’était pas présent à son bureau, elle indique qu’elle ne se souvient pas s’il était présent, mais explique que lorsqu’elle met des heures sur sa feuille de travail, c’est parce qu’elle a effectivement travaillé dans le dossier et ce n’est pas nécessairement parce qu’elle était avec lui.  Mais si c’est écrit, dit-elle, «entrevue avec ce dernier», c’est parce qu’elle l’a rencontré, mais elle n’en a plus de souvenir.

[70]        Au sujet du fait qu’il mentionne avoir travaillé avec son ordinateur chez lui ce jour-là, elle précise que monsieur Boukendour travaillait souvent avec son cellulaire dans le bureau. 

[71]        D’autre part interrogée sur la double facturation du 22 février, soit celle de 10h à 14h30.  Elle mentionne que c’est parce que la lettre allait à Luc Lacroix, le président du syndicat, elle voulait que celle-ci soit appuyée par des documents.   Elle mentionne qu’elle passait au travers des boîtes de documents et qu’à mesure, elle rédigeait la lettre.

[72]        Elle estime que les honoraires qu’elle a facturés représentent le travail effectué et elle n’a pas profité de la naïveté de monsieur Boukendour, puisqu’il fallait qu’elle lui explique les lois du Québec et que c’était très compliqué avec ce dernier.

Le droit

[73]         Il est nécessaire à ce stade de rappeler aux parties l'article 2803 du Code civil du Québec qui prévoit :

2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.

 

Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.

[74]        Léo Ducharme nous apprend que lorsque la preuve offerte n'est pas suffisamment convaincante ou encore, si la preuve est contradictoire et que le juge est dans l'impossibilité de déterminer où se situe la vérité, le sort du procès va se décider en fonction de la charge de la preuve. Celui sur qui reposait l'obligation de convaincre perdra[13].

[75]        Jean-Claude Royer, pour sa part, précise dans son traité La preuve civile que la partie qui a le fardeau de persuasion perd son procès s'il ne réussit pas à convaincre le juge que ses prétentions sont fondées[14].

[76]        L'expression fardeau de la preuve signifie l'obligation pour une partie de faire la démonstration du bien-fondé de son droit, de ses prétentions et les faits allégués et d'en convaincre le tribunal.

[77]        Il appartient à monsieur Boukendour d'établir que Me Gosselin a grossièrement exagéré  ses honoraires en regard du travail réalisé et des résultats obtenus.

[78]        Il y a lieu de rappeler que les tribunaux ont à maintes reprises eu à analyser tant les dispositions prévues au Code civil du Québec que celles du Code de déontologie des avocats dans le cadre d’une réclamation pour honoraires professionnels impayés. Pour une bonne compréhension du dossier, il est important de reproduire certaines dispositions du Code civil du Québec entre autres les articles 1401, 2098, 2099, 2100, 2102, 2130, 2133 et 2138 :

1401. L'erreur d'une partie, provoquée par le dol de l'autre partie ou à la connaissance de celle-ci, vicie le consentement dans tous les cas où, sans cela, la partie n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions différentes.

Le dol peut résulter du silence ou d'une réticence.

2098. « Le contrat d'entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l'entrepreneur ou le prestataire de services, s'engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s'oblige à lui payer. »

2099. L'entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d'exécution du contrat et il n'existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution.

 

2100. L'entrepreneur et le prestataire de services sont tenus d'agir au mieux des intérêts de leur client, avec prudence et diligence. Ils sont aussi tenus, suivant la nature de l'ouvrage à réaliser ou du service à fournir, d'agir conformément aux usages et règles de leur art, et de s'assurer, le cas échéant, que l'ouvrage réalisé ou le service fourni est conforme au contrat.

 

Lorsqu'ils sont tenus du résultat, ils ne peuvent se dégager de leur responsabilité qu'en prouvant la force majeure.

 

2102. L'entrepreneur ou le prestataire de services est tenu, avant la conclusion du contrat, de fournir au client, dans la mesure où les circonstances le permettent, toute information utile relativement à la nature de la tâche qu'il s'engage à effectuer ainsi qu'aux biens et au temps nécessaires à cette fin.

2130. Le mandat est le contrat par lequel une personne, le mandant, donne le pouvoir de la représenter dans l'accomplissement d'un acte juridique avec un tiers, à une autre personne, le mandataire qui, par le fait de son acceptation, s'oblige à l'exercer.

2138. Le mandataire est tenu d'accomplir le mandat qu'il a accepté et il doit, dans l'exécution de son mandat, agir avec prudence et diligence.

Il doit également agir avec honnêteté et loyauté dans le meilleur intérêt du mandant et éviter de se placer dans une situation de conflit entre son intérêt personnel et celui de son mandant.

[79]        Les articles pertinents du Code de déontologie des avocats[15] relativement au présent litige, sont les suivants :

Article 3.08.01. L'avocat doit demander et accepter des honoraires justes et raisonnables.

Article 3.08.02. Les honoraires sont justes et raisonnables s'ils sont justifiés par les circonstances et proportionnés aux services professionnels rendus.  L'avocat doit notamment tenir compte des facteurs suivants pour la fixation de ses honoraires :

            a)  l'expérience;

            b)  le temps consacré à l'affaire;

            c)  la difficulté du problème soumis;

            d)  l'importance de l'affaire;

            e)  la responsabilité assumée;

f)  la prestation de services professionnels inhabituels ou exigeant une compétence ou une célérité exceptionnelles;

            g)  le résultat obtenu;

            h)  les honoraires judiciaires et extrajudiciaires prévus aux tarifs.

Article 3.08.03. L'avocat doit éviter toutes les méthodes et attitudes susceptibles de donner à sa profession un caractère de lucre et de commercialité.

Article 3.08.04. L'avocat doit, avant de convenir avec le client de fournir des services professionnels, s'assurer que ce dernier a toute l'information utile sur la nature de ces services ainsi que sur les modalités financières de leur prestation et obtenir son accord à ce sujet, sauf s'il peut raisonnablement présumer que ce client en est déjà informé.

Article 3.08.05. L'avocat doit fournir au client toutes les explications nécessaires à la compréhension de la facture ou du relevé d'honoraires et des modalités de paiement, sauf si une entente écrite a été conclue avec le client pour recevoir une rémunération forfaitaire ou s'il peut raisonnablement présumer que le client en est déjà informé.

Devoir d’information

[80]        Il ressort plus particulièrement des dispositions du Code civil du Québec de même que du Code de déontologie des avocats que l’avocat a un devoir de renseignement relatif aux honoraires à encourir et ceux encourus vis-à-vis son client et cette obligation perdure tout au long du mandat.

 

Analyse

[81]        Le juge Rothstein de la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt F.H. c. McDougall, rapporté à 2008 CSC-53, écrit :

[48]         De même, la preuve doit toujours être claire et convaincante pour satisfaire aux critères de prépondérance des probabilités, mais je le répète, aucune norme objective ne permet de déterminer qu'elle l'est suffisamment.

Aussi difficile que peut être sa tache, le juge doit trancher. Lorsqu'un juge consciencieux rajoute foi à la thèse du demandeur, il faut tenir pour acquis que la preuve était à ses yeux suffisamment claire et convaincante pour conclure au respect du critère de la prépondérance des probabilités.

[82]        Le Tribunal, à la lumière de tous les éléments de preuve qu'il a eue à analyser, documentaire et testimoniale, n'a pas été convaincu selon la règle de la balance des probabilités de la position tenue par monsieur Boukendour, qu’il y a eu des  manœuvres  dolosives  et frauduleuses de la part de Me Gosselin pour lui réclamer des honoraires qu’elle lui a facturés.

[83]        La preuve ne permet pas de conclure qu’en raison de l’état de vulnérabilité psychologique et de l’ignorance des lois de monsieur Boukendour, Me Gosselin en a profité pour lui soutirer des honoraires.  La jurisprudence qu’il dépose pour appuyer ses prétentions, La Reine c. Gérald Champagne ne lui est d’aucun secours, elle n’a pas d’application en l’espèce. Dans ce cas, la preuve avait été faite que l’accusé avait commis un acte criminel, ce que nous n’avons nullement en l’espèce.

[84]          D’autre part, le Tribunal ne peut également se baser sur l’article 1401 C.c.Q. qui prévoit que l'erreur d'une partie, provoquée par le dol de l'autre partie ou à la connaissance de celle-ci, vicie le consentement dans tous les cas où, sans cela, la partie n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions différentes.

[85]        En l’espèce, il n’y a aucune preuve que le consentement qu’a donné monsieur Boukendour à Me Gosselin, au moment où il la rencontre pour lui donner le mandat de le conseiller dans une affaire de harcèlement, et même par la suite, a été vicié de quelque façon que ce soit.

[86]        D’autre part, il n’en demeure pas moins qu’aucun contrat n’a été signé entre les parties et il y a divergence d’opinions non pas quant à la nature de celui-ci, mais bien quant aux honoraires qui ont été facturés.

[87]        D’un côté Me Gosselin mentionne qu’elle a parlé au départ d’un tarif horaire de 300 $ qui a été ramené à 285 $.  De l’autre côté, monsieur Boukendour, soutient plutôt qu’il ne s’agissait pas d’un tarif horaire de 285 $ mais d’un montant d’environ 20 000 $ pour s’occuper du dossier.

[88]        Quoi qu'il en soit, le Tribunal retient plutôt que le tarif négocié était de 285 $, ce que le Tribunal estime juste et approprié dans les circonstances. Me Gosselin était spécialisée en relations de travail, d'arbitrages de griefs et de négociations de conventions collectives, en plus d'être inscrite au Barreau depuis 1983 et en plus  donne beaucoup de formation.

[89]        Par ailleurs, monsieur Boukendour soulève plusieurs points qui ne sont pas négligeables et qu’il faut prendre au sérieux.

[90]        Il y a la facture de Me Gosselin du 1er mars 2007[16].

[91]        Celle-ci fait référence entre autre à l’entrevue du 13 février 2007 de 9h45 à 13h30 soit 3 heures 45 minutes. Le Tribunal trouve inapproprié, qu’après une telle séance, le seul document qui en ressort, ce soit une dictée que l’on donne à monsieur Boukendour pour déposer un grief. Celui-ci, tel que rédigé ne comporte au final aucun allégué permettant d’évaluer le grief à sa pleine valeur.  Il y a une disproportion entre le contenu du grief et la durée de la réunion.

[92]        Le deuxième point sur cette facture, concerne la date du 22 février 2007 surtout le fait que monsieur Boukendour précise qu’il n’était pas présent ce jour-là. 

[93]        Sur cet aspect le Tribunal ne peut retenir l’explication de Me Gosselin qui mentionne que si c’est écrit, «Entrevue avec monsieur Boukendour», pour la journée du 22 février 2007, c’est parce qu’elle l’a rencontré six heures, de 8h30 à 12h et de 14h à 16h30,  mais elle n’en a plus de souvenir. De plus, le fait que monsieur Boukendour travaillait souvent avec son cellulaire dans le bureau comme elle le mentionne n’est nullement concluant pour retenir sa version.

[94]        Le Tribunal retient de la preuve que monsieur Boukendour n’était pas au bureau de Me Gosselin le 22 février 2007. Dès lors, comment peut-il recevoir une facture indiquant qu’il était en entrevue pendant six heures cette journée-là, avec Me Gosselin, alors que dans les faits, il est chez lui avec un de ses collaborateurs.  Le Tribunal n’a aucune raison de mettre de côté le témoignage de monsieur Boukendour sur cet aspect.  D’ailleurs, durant cette journée il a envoyé et reçu des courriels de quatre personnes différentes, dont un de Me Gosselin.

[95]        Pourquoi cette dernière échangerait-elle un courriel avec monsieur Boukendour le 22 février 2007, à 14h41 alors que selon cette dernière, il était présent à son bureau ? 

[96]        Ce courriel provenant de Me Gosselin, a comme objet : TR : Lettre Lacroix.doc,  elle écrit :

Bonjour M. Boukendour,

Je crois préférable d’adresser moi-même une lettre à M. Lacroix que vous pourrez lui transmettre lors de votre entrevue demain. J’espère que vous la trouverez satisfaisante et que vous me reviendrez rapidement avec vos commentaires. Sur réception de votre confirmation, je la signerai et vous la transmettrai par courriel…«Lettre Lacroix.doc»

[97]        Pourquoi faire parvenir une copie de la lettre qu’elle avait rédigée à l’attention de Luc Lacroix, par courriel, à monsieur Boukendour pour avoir ses commentaires, alors que selon elle, il est à son bureau. Pourquoi ne pas lui en faire prendre connaissance à cet endroit si comme elle le mentionne il s’y trouve.

[98]        Il est évident que c’est parce qu’il n’est pas au bureau de Me Gosselin ce jour là. C’est pourquoi monsieur Boukendour a raison de soutenir qu’il n’était pas présent avec Me Gosselin à son bureau.

[99]        D’autre part, concernant toujours la journée du 22 février 2007, il y a un poste intitulé «rédaction d’une lettre à M. Lacroix avec références au document» pour lequel Me Gosselin mentionne avoir travaillé de 10h à 14h45.  Pour un total de plus de 10h45 de temps facturés. Ce qui représente à un tarif horaire de 285 $, près de 3 078 $ pour les honoraires, sans les taxes, uniquement pour cette journée de travail.

[100]     Questionnée sur cette facturation, Me Gosselin explique que c’est parce que la lettre allait à Luc Lacroix, le président du syndicat, et elle voulait que celle-ci soit appuyée par des documents.   Elle mentionne qu’elle passait au travers des boîtes de documents et qu’à mesure, elle rédigeait la lettre.

[101]     Comment peut-elle être en entrevue avec monsieur Boukendour de 8h30 à 12h et de 14h à 16h30 et lui réclamer 6 heures de consultation pour la journée du 22 février 2007, et en même temps lui réclamer 4h45 de 10h à 14h45 pour la préparation d’une lettre ?  S’il est exact, comme elle le mentionne, que monsieur Boukendour était en entrevue avec elle cette journée-là, elle ne pouvait lui réclamer à la fois le temps passé avec lui pour l’entrevue et celui pour la préparation de la lettre, ce serait alors faire du double emploi.

[102]     Le troisième point pour la facture du 1er mars 2007, concerne là journée du 26 février 2007 où il est indiqué « Recherche jurisprudentielle également transmise ».  Il s’agit tout simplement d’un courriel avec un fichier attaché soit une dépêche de La Presse concernant une mauvaise plaisanterie surtout dans l’état psychologique dans lequel  monsieur Boukendour se trouvait par rapport à Denis Dubé. Comment peut-elle lui réclamer des honoraires pour cette mention.

[103]     Il  y a également la facture du 12 avril 2007 concernant la date du 7 mars 2007, il y est indiqué « Étude de divers courriels reçus ». Comment Me Gosselin peut procéder à l’étude de divers courriels reçus alors qu’elle est en vacances et qu’elle ne peut ouvrir les pièces attachées. C’est elle même qui le mentionne à monsieur Boukendour dans un courriel qu’elle lui fait parvenir le 13 mars 2007 après son retour de vacances, elle écrit : « Désolée de n’avoir pu vous répondre la semaine dernière (Je pouvais lire les courriels, mais aucune pièce attachée) ».

[104]     Sur la même facture, le 29 mars 2007, il y est également indiqué «  Envoi d’un article dans le Journal  La Presse  à M. Boukendour ».  Il s’agissait d’un article publié dans La Presse par un de ses collègues, Éric Gosselin, lequel parlait de relations de travail d’un point de vue d’un sociologue.  Pourtant, ce courriel apparaît sur la facture pourquoi ? Il ne s’agissait certes pas d’un travail, de la part de Me Gosselin qui devait amener une facturation. D’ailleurs, cette dernière lors de son témoignage a convenu qu’il s’agissait d’un item qui n’aurait pas du être facturé.

[105]     Toujours sur la facture du 12 avril 2007, il est indiqué pour le 4 avril 2007, « Étude et résumé de jurisprudence sur plainte contre le syndicat» et le 5 avril « Rencontre avec Boukandour  et rédaction d’un grief » de même qu’il est indiqué « Envoi de quelques documents à Me France St-Laurent pour avis sur l’attitude syndicale. »

[106]     Pourquoi faire une étude et un résumé de la jurisprudence alors qu’elle savait ne pas avoir de connaissance requise pour entreprendre des procédures contre le syndicat. Elle ne savait pas trop comment cela fonctionnait, comme elle le mentionne sa pratique étant plutôt concentrée comme procureure patronal et c’est pourquoi elle lui a conseillé de consulter Me France St-Laurent. Elle aurait dû informer monsieur Boukendour de cette situation bien avant, d’autant plus qu’il y a une charge d’environ 3 534 $ avant les taxes, uniquement pour la question de la poursuite contre le syndicat.

[107]     Me Gosselin avait l’obligation d’informer monsieur Boukendour du fait qu’elle n’était pas à l’aise avec cette poursuite.

[108]     Monsieur Boukendour a toujours payé ses factures sur réception et ne s’est jamais plaint.  Mais ce n’est pas parce qu’il ne s’est jamais plaint qu’il ne peut réclamer le remboursement du trop payé. 

[109]     Le juge Armando Aznar dans  Monica Maynard et al c. Sylvie Chouinard[17],  écrit, relativement au devoir d'information prévu à l'article 3.08.04 du Code de déontologie des avocats :

[73]         L'examen des comptes pour services professionnels rendus de Me Maynard ne révèle pas qu'il y ait eu surfacturation. Cependant, l'avocat ne peut s'autoriser du mandat pour fixer ses honoraires en multipliant simplement son taux horaire par le nombre d'heures consacrées au dossier. La facturation d'honoraires professionnels ne doit pas se limiter à un exercice purement mathématique.

[74]         À cet égard, dans Desjardins Ducharme Stein Monast c. Empress Jewellery (Canada) Inc. monsieur le juge Allan Hilton écrit:[18]

«Billing on an hourly basis, however, should not be effected as a simple mathematical process whereby the number of hours is multiplied by the hourly rate to arrive at the amount of the fee. The practice of law is a profession that is surely not the equivalent of a merchant selling of commodity for a price based on its number and weight.

Hourly billing still requires a lawyer to determine, most importantly and above all, what the value is to the client of the services performed for which the billing occurs. It is not tantamount to simply filing in the amount of a blank cheque already signed by the client.

This is implicit in the requirements set out in section 3.08.02 of the Code of Ethics…

[110]     Le juge Michael Sheehan dans Ogilvy Renaud c. Beauce Société Mutuelle d’Assurances Générales[19] a mentionné à propos des dispositions du code de déontologie:

Ces articles renferment divers principes qui, dans le cas présent, n'ont pas été respectés. Le premier est que les honoraires de l'avocat doivent être justes et raisonnables. Ils sont justes et raisonnables s'ils sont justifiés par les circonstances et s'ils sont proportionnés aux services rendus.

….

Dans l'arrêt Mathieu, la Cour d'appel souligne que l'avocat a droit à de justes honoraires, cela va de soi. Ce qui est moins évident, c'est la somme juste dans un cas donné. Justice sous-entend équilibre. Ce qui paraît juste à l'avocat ne paraît pas nécessairement juste au client et vice versa.

Le deuxième principe que renferme le Code de déontologie en matière de fixation et de paiement des honoraires d'avocat, est que le temps consacré à une affaire ne constitue qu'un des éléments considérés pour établir des honoraires justes et raisonnables. 

Le Code de déontologie exige de l'avocat qu'il tienne notamment compte d'autres facteurs, tels la difficulté du problème soumis, l'importance de l'affaire, la responsabilité assumée et le résultat obtenu. 


Le troisième grand principe que renferme le Code de déontologie en matière de fixation et de paiement des honoraires est que l'avocat doit s'assurer que son client est informé du coût approximatif et prévisible de ses services, sauf s'il peut raisonnablement présumer que le client en est déjà informé. Ce principe est énoncé en toutes lettres dans le Règlement.


Dans le cadre de la relation client/avocat, chacun a un rôle à jouer. Essentiellement, l'avocat conseille et le client décide. La réalisation de ce processus exige que chacun donne l'heure juste à l'autre. Pour l'avocat, cette obligation vise entre autre la prise de mesures lui assurant que son client est informé du coût approximatif et prévisible de ses services.

 

[111]     Dans Marchand, Melançon, Forget c. 9032-5480 Québec inc.[20], le juge Georges Massol, traitant des dispositions des articles 2098 et suivants du C.c.Q., précise que ces dispositions ont pour effet d'imposer à l'avocat une obligation de renseignement.

[112]     Me Gosselin avait plusieurs années d’expérience.  Elle connaissait son dossier.  Elle savait pertinemment à qui elle avait affaire.  Elle savait que son client n’était pas bien informé des lois du Québec, ni des questions de relations de travail alors qu’elle-même était une spécialiste dans le domaine et qui plus est, elle donnait de la formation académique dans ce créneau surtout en matière de harcèlement.

[113]     Pourquoi continuer à travailler dans un dossier si, comme elle le souligne, il n’y avait pas de preuve de harcèlement du moins objectivement ? Pourquoi lui faire consulter un autre avocat alors qu’elle savait pertinemment qu’Il y aurait de la double facturation ?

[114]     Le dossier dès le début  était voué à l'échec.  Pourquoi après avoir consulté la jurisprudence sur la question syndicale, demander l’avis d’un autre avocat, décider de se retirer ? Me Gosselin se devait de renseigner adéquatement monsieur Boukendour, ce qu’elle n’a pas fait dans les circonstances.

[115]     Le Tribunal estime que les honoraires qu’elle a réclamés à monsieur Boukendour étaient grossièrement exagérés. D’ailleurs, Me Gosselin mentionne qu’elle était au fait que le dossier aurait pu être dispendieux, mais tout au long du processus, elle ne s’est jamais préoccupée de cette situation.  Ce n’est qu’au moment où monsieur Boukendour a déposé une plainte au Barreau qu’elle s’est demandée pourquoi celui-ci n’avait pas communiqué avec elle pour tenter de trouver un arrangement considérant qu’elle aurait pu le faire.

[116]     De plus ce n’est pas lorsqu’elle reçoit un subpoena dix jours avant l’audition pour «l’obliger à fournir le tarif horaire et le relevé de temps de ses prestations figurant sur toutes les factures», qu’elle a une demande en ce sens comme elle le mentionne. Déjà, Me Julius H. Grey en février 2008 lui avait fait parvenir une lettre dans laquelle il écrivait :

Notre client nous affirme qu’il n’a reçu aucun service utile et que la note dépassait $17000. Sans nous prononcez, nous sommes obligés de vous demander de nous faire parvenir les factures détaillées et les paiements de M. Boukendour avec toute autre explication que vous considérez pertinente.

[117]     Le Tribunal conclut que Me Gosselin a manqué à son devoir de renseignement relatif aux honoraires professionnels à encourir et encourus vis à vis monsieur Boukendour, et ce, tout au long de l'exécution des services professionnels octroyés.

[118]     Selon la Cour d'appel[21], la conséquence d'un tel manquement est la réévaluation des honoraires facturés. Le juge Amédée Monet écrit que :

Ces dispositions ont pour effet d'imposer à l'avocat une obligation de renseignement.  Dans le présent cas, le juge constate en définitive qu'il y a eu manquement à cette obligation.  Quelle est la sanction ?  Le juge, me semble-t-il, est d'avis que la sanction est une réduction des honoraires.  Dans la relation avocat-client, je ne vois pas d'autres sanctions satisfaisantes.  Certes, le quantum de la diminution peut varier d'un cas à l'autre selon les éléments et circonstances propres à chaque espèce.  C'est affaire d'appréciation et d'équilibre. »

[119]     C’est pourquoi le Tribunal estime que le montant des honoraires facturés en trop est plus élevé que le montant de 7 000 $ que monsieur Boukendour réclame.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

ACCUEILLE la demande ;

CONDAMNE la partie défenderesse Me Andrée Gosselin à payer à la partie demanderesse Saïd Boukendour la somme de 7 000 $ avec les intérêts au taux légal de 5% l'an plus l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q. à compter du 23 décembre 2008 ;

CONDAMNE la partie défenderesse Me Andrée Gosselin à payer à la partie demanderesse Saïd Boukendour les frais judiciaires de 155 $.

 

 

__________________________________

MAURICE ABUD, J.C.Q.

 

 

 

 

 

 

Date d’audience :

9 juin 2014 

 



[1] RLRQ c C-25.1

[2]  P-2

[3]  P-10

[4] P-14

[5] P-17

[6] P-15

[7] P-3

[8] P-18

[9] P-19

[10] P-20

[11] P-7

[12] R. c. Champagne, 1999 CanLII 5533 (QC CQ)

[13]    « Précis de la preuve », 5e édition, Léo DUCHARME, Wilson et Lafleur, no 58.

[14]    « La preuve civile », 2e édition, Jean-Claude ROYER, Les éditions Yvon Blais, no 190, p. 109.

[15]    R.L.R.Q., c. B-1, r3

[16] P-2

[17] Décision du 10 février 2010, dossier 500-22-095586-049.

[18] REJB 1999-12766.

[19] JE-97-2066  (C.Q.).

[20] 540-22-008825-043, 18 octobre 2005 C.Q. Laval..

[21] Mathieu c. Marchand, [1986] R.D.J., p. 302

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