Décision

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Modèle de décision CLP - juin 2011

CSSS Lucille-Teasdale

2014 QCCLP 537

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Montréal

28 janvier 2014

 

Région :

Laval

 

Dossier :

502960-61-1302

 

Dossier CSST :

131143190-5

 

Commissaire :

Santina Di Pasquale, juge administrative

 

______________________________________________________________________

 

 

 

CSSS Lucille-Teasdale

 

Partie requérante

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 18 fĂ©vrier 2013, CSSS Lucille-Teasdale (l’employeur) dĂ©pose Ă  la Commission des lĂ©sions professionnelles une requĂŞte Ă  l’encontre d’une dĂ©cision rendue le 12 fĂ©vrier 2013 par la Commission de la santĂ© et de la sĂ©curitĂ© du travail (la CSST), Ă  la suite d’une rĂ©vision administrative.

[2]           Par cette dĂ©cision, la CSST confirme deux dĂ©cisions qu’elle a initialement rendues le 27 novembre 2012; la première concerne une demande de partage de l’imputation selon l’article 329 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) et la seconde concerne une demande de transfert de coĂ»t selon l’article 326 de la loi. La CSST dĂ©clare que l’employeur doit assumer la totalitĂ© du coĂ»t des prestations reliĂ©es Ă  la lĂ©sion professionnelle subie le 26 dĂ©cembre 2006 par la travailleuse.

[3]           L’audience s’est tenue le 4 juillet 2013 Ă  Laval en prĂ©sence de l’avocate de l’employeur.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           L’employeur demande de ne pas ĂŞtre imputĂ© du coĂ»t des prestations versĂ©es Ă  la travailleuse pour les pĂ©riodes du 22 fĂ©vrier 2008 au 9 octobre 2008, du 10 octobre 2008 au 14 juin 2010, du 17 aoĂ»t 2010 au 1er octobre 2010 et du 5 octobre au 4 dĂ©cembre 2007, et ce, en raison de l’interruption des traitements par la travailleuse. Il prĂ©tend que l’imputation du coĂ»t de ces prestations l’obère injustement au sens de l’article 326 de la loi.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[5]           Le 26 dĂ©cembre 2006, la travailleuse subit un accident du travail. Les diagnostics retenus en relation avec cet Ă©vĂ©nement sont une fracture et une capsulite de la cheville droite.

[6]           Cette lĂ©sion professionnelle est consolidĂ©e le 16 mars 2011 et entraĂ®ne une atteinte permanente Ă  l’intĂ©gritĂ© physique de 19,4 % ainsi que des limitations fonctionnelles.

[7]           Le 3 dĂ©cembre 2007, l’employeur demande un partage de l’imputation des coĂ»ts de la lĂ©sion professionnelle au motif que la travailleuse Ă©tait dĂ©jĂ  handicapĂ©e lorsque s’est manifestĂ©e sa lĂ©sion professionnelle. Ă€ cette mĂŞme date, l’employeur formule une demande de transfert de l’imputation au motif qu’il est obĂ©rĂ© injustement.

[8]           La CSST rend deux dĂ©cisions datĂ©es du 27 novembre 2012. Par la première, elle rejette la demande de partage de l’imputation au motif qu’il n’a pas fait la preuve que la travailleuse prĂ©sentait dĂ©jĂ  un handicap lorsque s’est manifestĂ©e la lĂ©sion professionnelle. Par la seconde, elle rejette la demande de transfert de l’imputation au motif qu’il n’est pas obĂ©rĂ© injustement puisque la maladie ou la blessure n’a pas prolongĂ© la pĂ©riode de consolidation de la lĂ©sion professionnelle d’au moins 20 %. La totalitĂ© du coĂ»t des prestations est alors imputĂ©e au dossier de l’employeur.

[9]           L’employeur conteste ces deux dĂ©cisions. Cependant, par une dĂ©cision datĂ©e du 12 fĂ©vrier 2013, la CSST, Ă  la suite d’une rĂ©vision administrative, confirme les deux dĂ©cisions rendues initialement. L’employeur conteste encore une fois, mais Ă  l’audience devant la Commission des lĂ©sions professionnelles, il retire l’une des deux contestations, soit celle concernant le partage de l’imputation selon l’article 329 de la loi. Le tribunal doit donc dĂ©cider si l’employeur a droit Ă  un transfert de l’imputation selon l’article 326 de la loi.

 

[10]        Tout d’abord, l’employeur demande de ne pas ĂŞtre imputĂ© du coĂ»t des prestations versĂ©es Ă  la travailleuse durant la pĂ©riode oĂą elle a interrompu ses traitements en raison de ses deux grossesses et de son allaitement. Cette pĂ©riode s’étend du 22 fĂ©vrier 2008 au 14 juin 2010.

[11]        Deuxièmement, l’employeur demande de ne pas ĂŞtre imputĂ© du coĂ»t des prestations versĂ©es entre la date de la prescription du mĂ©decin qui a charge pour la reprise des traitements et la date effective du dĂ©but de ces traitements, soit du 17 aoĂ»t 2010 au 1er octobre 2010.

[12]        Enfin, l’employeur demande de ne pas ĂŞtre imputĂ© des prestations versĂ©es Ă  la travailleuse pour la pĂ©riode du 5 octobre 2007 au 4 dĂ©cembre 2007 vu qu’elle n’a pas eu de suivi mĂ©dical durant cette pĂ©riode car son mĂ©decin qui a charge, le docteur Payne, ne pouvait exercer sa profession en raison de sa radiation temporaire du Collège des mĂ©decins.

[13]        L’article 326 de la loi prĂ©voit ce qui suit :

326.  La Commission impute Ă  l'employeur le coĂ»t des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu Ă  un travailleur alors qu'il Ă©tait Ă  son emploi.

 

Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.

 

L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.

__________

1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.

 

 

[14]        L’interprĂ©tation de cette disposition de la loi est abondamment discutĂ©e dans une dĂ©cision rĂ©cente du tribunal Ă  savoir, l’affaire Supervac 2000[2].

[15]        Dans cette dĂ©cision, le tribunal fait une revue de la jurisprudence sur l’interprĂ©tation de la notion d’obĂ©rer injustement prĂ©vue au deuxième alinĂ©a de l’article 326. Selon la jurisprudence majoritaire, pour obtenir un transfert du coĂ»t des prestations au motif qu’il est obĂ©rĂ© injustement, l’employeur doit dĂ©montrer qu’il a subi une situation d’injustice et que les coĂ»ts qui y sont reliĂ©s reprĂ©sentent une proportion significative de l’ensemble des coĂ»ts de la lĂ©sion professionnelle. Bien que ces principes soient retenus par la majoritĂ© des juges administratives, l’application de ceux-ci dans les diffĂ©rents dossiers reste problĂ©matique. Diverses mĂ©thodes de calcul sont utilisĂ©es et le seuil Ă  partir duquel il est possible de conclure Ă  la prĂ©sence significative des coĂ»ts varie d’une dĂ©cision Ă  l’autre. Devant cette constatation, le tribunal considère qu’il y a lieu de revoir l’interprĂ©tation de cette disposition en tentant de cerner l’intention rĂ©elle du lĂ©gislateur. Les extraits suivants de cette dĂ©cision sont particulièrement pertinents :

[97]      À la lumière de cette revue jurisprudentielle, dans un souci de cohérence et de respect de l’objet même de la loi et des différentes dispositions qui la composent, la Commission des lésions professionnelles s’interroge sur la voie majoritairement retenue jusqu’à maintenant, dans l’analyse des demandes de transfert partiel d’imputation déposées par les employeurs, notamment en vertu de l’émergence de décisions récentes considérant le régime de financement auquel est assujetti un employeur pour déterminer si un employeur est obéré injustement.

 

[98]      Avec respect pour l’opinion contraire, le tribunal considère qu’une telle façon de faire semble s’éloigner de l’intention du législateur et comporte plusieurs variables peu définies qui influent directement sur l’issue du litige.

 

[99]      Par consĂ©quent, il apparaĂ®t nĂ©cessaire de s’interroger sur l’intention rĂ©elle du lĂ©gislateur lorsqu’il a Ă©dictĂ© le principe gĂ©nĂ©ral d’imputation au premier alinĂ©a de l’article 326 de la loi et les exceptions Ă  ce principe, notamment au deuxième alinĂ©a du mĂŞme article.

 

[100]    Pour y parvenir, il est essentiel de revenir Ă  l’analyse contextuelle globale de la loi qui fait ressortir que le principe gĂ©nĂ©ral d’imputation prĂ©vu au premier alinĂ©a de l’article 326 de la loi vise Ă  s’assurer que le coĂ»t des prestations versĂ©es en raison d’un accident survenu chez un employeur lui soit imputĂ©.

 

[101]    Cependant, lorsqu’une partie de ces coûts est générée par une situation étrangère n’ayant pas de lien direct avec la lésion professionnelle, comme c’est notamment le cas du congédiement ou encore de la condition intercurrente ou personnelle interrompant une assignation temporaire, est-il justifiable que ces sommes demeurent imputées au dossier de l'employeur?

 

[102]    Dans de telles circonstances, ne serait-ce pas le premier alinĂ©a de l’article 326 de la loi qui devrait s’appliquer plutĂ´t que le second?

 

[103]    En vue de se prononcer Ă  cet Ă©gard, le tribunal a analysĂ© le libellĂ© mĂŞme de l’article 326 de la loi et en dĂ©gage les principes suivants.

 

[104]    Le deuxième alinĂ©a de l’article 326 de la loi semble rĂ©fĂ©rer Ă  un transfert total du coĂ»t des prestations. Pour en venir Ă  cette conclusion, le tribunal se base notamment sur l’expression retenue par le lĂ©gislateur, soit d’imputer « le coĂ»t des prestations Â».

 

[105]    Or, si l’on compare le libellĂ© de cet alinĂ©a Ă  celui de l’article 329 de la loi oĂą il est spĂ©cifiquement mentionnĂ© que la CSST peut imputer « tout ou partie du coĂ»t des prestations Â», il est possible de faire une distinction importante entre la portĂ©e de ces deux dispositions.

 

 

[106]    D’ailleurs, dans l’affaire Les Systèmes Erin ltĂ©e27, la Commission des lĂ©sions professionnelles s’est penchĂ©e sur la portĂ©e du deuxième alinĂ©a de l’article 326 de la loi. Il apparaĂ®t pertinent d’en citer certains passages :

[26]      Finalement, il importe de souligner que l’article 326 de la loi permet un transfert du coĂ»t des prestations dues en raison d’un accident du travail, et ce, aux employeurs d’une, de plusieurs ou de toutes les unitĂ©s afin de prĂ©venir que l’employeur ne soit obĂ©rĂ© injustement.

 

[27]         Cela implique, comme dans le cas de l’article 327, qu’il y a transfert de coĂ»t et non partage, comme c’est le cas en application des articles 328 et 329. Cette dernière disposition prĂ©voit que la CSST « peut [...] imputer tout ou partie du coĂ»t des prestations aux employeurs de toutes les unitĂ©s Â» alors que l’article 326 prĂ©voit que la CSST « peut [...] imputer le coĂ»t des prestations [...] aux employeurs [...] Â». Ainsi, lorsqu’il y a matière Ă  application de l’article 326 alinĂ©a 2, la totalitĂ© du coĂ»t des prestations ne doit plus ĂŞtre imputĂ©e Ă  l’employeur, un transfert devant ĂŞtre fait : il ne saurait ĂŞtre question de ne l’imputer que d’une partie du coĂ»t. C’est, en quelque sorte, tout ou rien.

 

[28]         D’ailleurs, lorsqu’il est question d’un accident du travail attribuable à un tiers, la totalité du coût des prestations est toujours transférée ; il n’est jamais question de partage ou de transfert du coût pour une période donnée.9 Il a d’ailleurs déjà été décidé à plusieurs reprises qu’il devait obligatoirement en être ainsi.

 

[29]         Étonnamment, lorsqu’il est question d’éviter que l’employeur soit obéré injustement, un transfert du coût des prestations pour une période donnée, soit un transfert d’une partie seulement du coût total, a régulièrement été accordé, sans, par contre, qu’il semble y avoir eu discussion sur cette question.10

 

[30]         Avec respect pour cette position, la commissaire soussignĂ©e ne peut la partager, pour les motifs exprimĂ©s prĂ©cĂ©demment. Il en va des cas oĂą l’on conclut que l’employeur serait obĂ©rĂ© injustement comme de ceux oĂą l’on conclut Ă  un accident attribuable Ă  un tiers : l’employeur ne saurait alors ĂŞtre imputĂ© ne serait-ce que d’une partie du coĂ»t des prestations dues en raison de l’accident du travail.

 

[31]         Il importe cependant de prĂ©ciser qu’il est possible, en application de l’article 326 (mais alinĂ©a 1), de ne pas imputer Ă  l’employeur une partie du coĂ»t des prestations versĂ©es au travailleur, pour autant que cette partie du coĂ»t ne soit pas due en raison de l’accident du travail. Un bon exemple de cette situation est la survenance d’une maladie personnelle intercurrente (par exemple, le travailleur fait un infarctus, ce qui retarde la consolidation ou la rĂ©adaptation liĂ©e Ă  la lĂ©sion professionnelle) : les prestations sont alors versĂ©es par la CSST, mais comme elles ne sont pas directement attribuables Ă  l’accident du travail elles ne doivent, par consĂ©quent, pas ĂŞtre imputĂ©es Ă  l’employeur. L’article 326, 1er alinĂ©a prĂ©voit en effet que c’est le coĂ»t des prestations dues en raison de l’accident du travail qui est imputĂ© Ă  l’employeur.

              

9                 Voir notamment : General Motors du Canada ltĂ©e et C.S.S.T. [1996] C.A.L.P. 866, rĂ©vision rejetĂ©e, 50690-60-9304, 20 mars 1997, E. Harvey; Centre hospitalier/Centre d’accueil Gouin-Rosemont, C.L.P. 103385-62-9807, 22 juin 1999, Y. Tardif; Ameublement Tanguay inc. et Batesville Canada (I. Hillenbrand), [1999] C.L.P. 509; AmĂ©nagements Pluri-Services inc. et Simard-Beaudry Construction inc., C.L.P. 104279-04-9807, 26 novembre 1999, J.-L. Rivard; Provigo (Division Maxi Nouveau concept), [2000] C.L.P. 321, SociĂ©tĂ© immobilière du QuĂ©bec et Centre jeunesse de MontrĂ©al, [2000] C.L.P. 582, Castel Tira [1987] enr. (Le) et Lotfi Tebessi, C.L.P. 123916-71-9909, 18 dĂ©cembre 2000, D. Gruffy, Stone Electrique MC., [2001] C.L.P. 527.

10               Ville de St-Léonard et C.S.S.T. C.A.L.P. 73961-60-9510, 27 mars 1997, F. Dion- Drapeau; C.S.S.T. et Échafaudage Falardeau inc., [1998] C.L.P. 254; Abitibi Consolidated inc. et Opron inc., C.L.P. 35937-04-9202, 4 mars 1999, B. Roy (décision accueillant la requête en révision).

 

[nos soulignements]

[107]    La soussignĂ©e souscrit au raisonnement et aux motifs retenus dans cette dĂ©cision de mĂŞme qu’à l’interprĂ©tation qui en est faite du second alinĂ©a de l’article 326 de la loi.

 

[108]    De plus, un autre Ă©lĂ©ment permet au tribunal de conclure que le deuxième alinĂ©a de l’article 326 de la loi vise un transfert total des coĂ»ts et non un transfert partiel. Il s’agit du dĂ©lai prĂ©vu pour effectuer une telle demande.

 

[109]    En effet, le lĂ©gislateur a spĂ©cifiquement prĂ©vu que l'employeur doit prĂ©senter sa demande dans l’annĂ©e suivant la date de l’accident. Ceci s’explique, de l’avis du tribunal, par le fait que les demandes de transfert total de coĂ»ts visent gĂ©nĂ©ralement des motifs liĂ©s Ă  l’admissibilitĂ© mĂŞme de la lĂ©sion professionnelle. C’est clairement le cas Ă  l’égard des accidents attribuables Ă  un tiers et le libellĂ© mĂŞme de cet alinĂ©a ne permet pas de croire qu’il en va autrement Ă  l’égard de la notion d’obĂ©rer injustement. D’autant plus que l’application de ce deuxième alinĂ©a Ă  des demandes de transfert partiel a donnĂ© lieu Ă  des interprĂ©tations variĂ©es de cette notion « d’obĂ©rer injustement Â» et menĂ© Ă  une certaine « incohĂ©rence Â» relativement Ă  l’interprĂ©tation Ă  donner Ă  cette notion et Ă  la portĂ©e rĂ©elle de l’intention du lĂ©gislateur.

 

[110]    La soussignĂ©e est d’opinion que le lĂ©gislateur visait clairement, par les deux exceptions prĂ©vues au deuxième alinĂ©a de l’article 326 de la loi, les situations de transfert total du coĂ»t liĂ© Ă  des Ă©lĂ©ments relatifs Ă  l’admissibilitĂ© mĂŞme de la lĂ©sion professionnelle, ce qui justifie d’ailleurs le dĂ©lai d’un an prĂ©vu au troisième alinĂ©a de cet article. S’il avait voulu couvrir les cas de transfert partiel de coĂ»ts, le lĂ©gislateur aurait vraisemblablement prĂ©vu un dĂ©lai plus long, comme il l’a fait Ă  l’égard de la demande de partage de coĂ»ts prĂ©vue Ă  l’article 329 de la loi qui ne vise pas des situations directement reliĂ©es Ă  l’admissibilitĂ©, mais plutĂ´t celles survenant plus tard, en cours d’incapacitĂ©.

 

[111]    Ceci semble d’autant plus vrai que la plupart des demandes de transfert total de coĂ»ts, liĂ©es principalement Ă  l’interruption de l’assignation temporaire ou Ă  la prolongation de la pĂ©riode de consolidation en raison d’une situation Ă©trangère Ă  l’accident du travail, surviennent frĂ©quemment Ă  l’extĂ©rieur de cette pĂ©riode d’un an puisqu’elles s’inscrivent au cours de la pĂ©riode d’incapacitĂ© liĂ©e Ă  la lĂ©sion professionnelle. Il s’agit donc lĂ  d’un autre Ă©lĂ©ment militant en faveur d’une interprĂ©tation selon laquelle les deux exceptions prĂ©vues au deuxième alinĂ©a de l’article 326 de la loi visent un transfert total et non un transfert partiel.

 

 

[notes omises]

 

 

[16]        Le tribunal souscrit entièrement Ă  cette analyse. Ainsi, l’exception au principe gĂ©nĂ©ral d’imputation prĂ©vue au deuxième alinĂ©a de l’article 326 de la loi ne s’applique qu’à l’égard des demandes de transfert total de coĂ»ts qui vise gĂ©nĂ©ralement des situations liĂ©es Ă  l’admissibilitĂ© mĂŞme de l’accident du travail. Les demandes de transfert partiel de coĂ»ts doivent plutĂ´t ĂŞtre analysĂ©es en vertu du premier alinĂ©a de l’article 326 de la loi pour dĂ©terminer si les prestations ont Ă©tĂ© imputĂ©es en raison de l’accident du travail. Il n’y a pas de dĂ©lai pour produire une telle demande et l’employeur doit dĂ©montrer que les prestations qu’il souhaite faire retirer de son dossier financier ne sont pas « dues en raison Â» de l’accident du travail.

[17]        Dans l’affaire Supervac 2000,[3] le tribunal s’exprime comme suit quant Ă  l’interprĂ©tation de l’expression « dues en raison d’un accident du travail Â» :

[122]          Ă€ la lumière des dĂ©finitions Ă©noncĂ©es plus haut et des dĂ©cisions auxquelles il est fait rĂ©fĂ©rence, le tribunal est d’avis que l’utilisation du terme « due en raison d’un accident du travail Â» que l’on retrouve au premier alinĂ©a de l’article 326 de la loi prĂ©suppose qu’il doit exister un lien direct entre l’imputation des prestations versĂ©es et l’accident du travail.

[123]          Ainsi, toute prestation imputée qui n’est pas due en raison d’un accident du travail devrait être retirée du dossier financier de l’employeur.

 

[18]        De plus, dans cette affaire[4], le tribunal rĂ©fère au jugement rendu par la Cour SupĂ©rieure dans l’affaire CHUM-Pavillon Mailloux[5] qui Ă©nonce les distinctions qui s’imposent entre le droit Ă  l’indemnisation et l’imputation des coĂ»ts rĂ©sultant de celle-ci. Le droit d’un travailleur de recevoir des prestations auxquelles il a droit n’est aucunement remis en question, la question de l’imputation du coĂ»t des prestations Ă©tant distincte.

[19]        En 2010, la Commission des lĂ©sions professionnelles a rendu dans l’affaire J.M.Bouchard & Fils inc.[6] une dĂ©cision portant sur l’interprĂ©tation des articles 326 et 73 de la loi. Dans cette affaire, l’employeur demandait d’être imputĂ© uniquement de la partie de l’indemnitĂ© de remplacement du revenu versĂ©e au travailleur en fonction du revenu brut qu’il gagnait chez lui. Comme le prĂ©voit l’art. 73 de la loi, la CSST avait ajoutĂ© Ă  ce revenu brut, l’indemnitĂ© de remplacement du revenu rĂ©duite qui Ă©tait versĂ©e au travailleur en raison d’un accident du travail survenu chez un autre employeur. Le tribunal conclut que la CSST doit imputer au dossier financier de l’employeur uniquement la partie de l’indemnitĂ© de remplacement du revenu versĂ©e au travailleur correspondant au salaire que celui-ci gagnait lorsqu’il a subi un accident du travail Ă  son service.

[20]        Avant cette dĂ©cision, la jurisprudence majoritaire n’accordait pas un transfert partiel de coĂ»ts dans des circonstances semblables au motif que l’application de l’art. 73 ne peut constituer une injustice. En l’absence d’injustice, l’employeur ne peut ĂŞtre obĂ©rĂ© injustement. La demande de l’employeur a alors Ă©tĂ© analysĂ©e selon le premier alinĂ©a de l’art. 326. Le tribunal prĂ©cise dans cette dĂ©cision que « l’interprĂ©tation retenue jusqu’ici ignore un principe fondamental en matière d’imputation des coĂ»ts, celui voulant qu’un employeur doit supporter ceux qui lui sont attribuables Â».

Une analyse des dispositions de la loi traitant de l’imputation des coĂ»ts, amène le tribunal Ă  conclure que « ces dispositions dĂ©montrent l’objectif clair et comprĂ©hensif du lĂ©gislateur de s’assurer que la CSST impute les coĂ»ts en fonction du critère de l’imputabilitĂ© rĂ©elle Â».

[21]        Cette nouvelle approche concernant l’interprĂ©tation des articles 326 et 73 est retenue par la suite dans plusieurs dĂ©cisions du tribunal. La CSST adopte alors, en date du 31 octobre 2011, une nouvelle politique qui se lit comme suit :

Compte tenu du contexte, la Commission convient d’imputer l’employeur de l’IRR qui aurait Ă©tĂ© versĂ©e n’eĂ»t Ă©tĂ© l’application de l’article 73 de la LATMP et d’imputer la diffĂ©rence Ă  l’ensemble des employeurs le cas Ă©chĂ©ant.

 

 

En ce qui concerne le coût des prestations autres que l’IRR, il demeure imputé à l’employeur chez qui survient la nouvelle lésion professionnelle[7].

 

 

 

[22]        En adoptant cette politique, la CSST reconnaĂ®t que bien que le travailleur a toujours droit Ă  son indemnitĂ© de remplacement du revenu calculĂ©e selon les prescriptions de la loi, l’employeur peut, dans certaines circonstances ne pas ĂŞtre imputĂ© de ces coĂ»ts. ForcĂ©ment, il y a lieu de conclure qu’il y a une distinction entre le droit Ă  l’indemnitĂ© de remplacement du revenu et l’imputation de ces coĂ»ts au dossier financier de l’employeur. 

[23]        D’ailleurs, dans quelques dĂ©cisions rendues antĂ©rieurement Ă  l’affaire Supervac 2000[8] , le tribunal avait dĂ©jĂ  appliquĂ© le premier alinĂ©a de l’article 326 de la loi lorsque saisi d’une demande de transfert partiel. Plus particulièrement, dans l’affaire Commission scolaire des Samares[9] le tribunal conclut que les demandes de transfert partiel de coĂ»ts en raison d’une maladie intercurrente doivent ĂŞtre analysĂ©es en vertu du premier alinĂ©a de l’article 326.

 

 

[24]        Depuis la dĂ©cision Supervac 2000[10], plusieurs autres dĂ©cisions rendues appliquent le premier alinĂ©a de l’art. 326 pour les demandes de transfert partiel de coĂ»ts[11]. Notamment, dans l’affaire Arneg Canada inc.[12], le tribunal conclut que conformĂ©ment au principe gĂ©nĂ©ral prĂ©vu au premier alinĂ©a de l’article 326 de la loi, l’employeur n’a pas Ă  ĂŞtre imputĂ© du coĂ»t de l’indemnitĂ© de remplacement du revenu versĂ©e Ă  la travailleuse durant la pĂ©riode d’interruption de l’assignation temporaire en raison d’une maladie intercurrente. L’invaliditĂ© dĂ©coulant de cette maladie personnelle n’est pas reliĂ©e Ă  la lĂ©sion professionnelle.

[25]        Dans le prĂ©sent dossier, la demande de l’employeur ne vise pas le transfert total du coĂ»t des prestations, mais seulement le transfert de coĂ»ts pour certaines pĂ©riodes. Étant donnĂ© que, de façon gĂ©nĂ©rale, dans le passĂ© le tribunal a analysĂ© ces demandes selon le deuxième paragraphe de l’article 326, l’employeur prĂ©tend qu’il est « obĂ©rĂ© injustement Â» par l’imputation de ces coĂ»ts Ă  son dossier financier. Ă€ l’audience, le tribunal a demandĂ© Ă  la reprĂ©sentante de l’employeur si elle avait des commentaires Ă  faire par rapport Ă  l’application du premier alinĂ©a de l’article 326. Elle prĂ©cise que l’employeur demande simplement de ne pas ĂŞtre imputĂ© de certains coĂ»ts.

[26]        Dans ces circonstances, le tribunal doit dĂ©cider si l’employeur a droit Ă  un transfert du coĂ»t des prestations pour les pĂ©riodes demandĂ©es.

[27]        Les pouvoirs du tribunal sont Ă©noncĂ©s Ă  l’article 377 de la loi, qui se lit comme suit :

377.  La Commission des lĂ©sions professionnelles a le pouvoir de dĂ©cider de toute question de droit ou de fait nĂ©cessaire Ă  l'exercice de sa compĂ©tence.

 

Elle peut confirmer, modifier ou infirmer la décision, l'ordre ou l'ordonnance contesté et, s'il y a lieu, rendre la décision, l'ordre ou l'ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendu en premier lieu.

__________

1985, c. 6, a. 377; 1997, c. 27, a. 24.

 

 

[28]        La Commission des lĂ©sions professionnelles doit confirmer, infirmer ou modifier la dĂ©cision contestĂ©e et rendre celle qui aurait dĂ» ĂŞtre rendue en premier lieu. Les recours portĂ©s devant le tribunal sont entendus « de novo Â». Dans l’affaire HĂ©tu et Centre Hospitalier Royal Victoria[13], le tribunal prĂ©cise qu’une des consĂ©quences fondamentales d’un appel « de novo Â» est de permettre au tribunal d’entendre de nouvelles preuves et d’actualiser un dossier pour tenir compte de cette nouvelle preuve qui doit Ă©videmment ĂŞtre en lien avec la question en litige. Cela implique que le tribunal n’est aucunement limitĂ© par le dossier antĂ©rieur tel qu’il Ă©tait constituĂ©, ni par les motifs de cette dĂ©cision pourvu qu’il ne s’écarte pas de ce qui constitue la matière ou l’objet du litige.

[29]        En l’espèce, l’employeur demande de ne pas ĂŞtre imputĂ© de certains coĂ»ts au motif qu’il est obĂ©rĂ© injustement. L’objet de la demande est de ne pas ĂŞtre imputĂ© de certains coĂ»ts, le motif allĂ©guĂ© ne change pas la nature du litige. Donc, le tribunal agissant « de novo » peut appuyer sa dĂ©cision sur un autre paragraphe de l’art. 326 de la loi. 

[30]        Depuis la dĂ©cision rendue dans l’affaire Pâtisserie Chevalier inc.[14], la jurisprudence est quasi-unanime au sujet des pouvoirs du tribunal de statuer sur une demande de modification de l’imputation des coĂ»ts en vertu d’une autre disposition de la loi que celle allĂ©guĂ©e Ă  l’appui de la demande initiale. Le tribunal fait alors appel au principe du « de novo Â» qui caractĂ©rise le processus de contestation Ă  la Commission des lĂ©sions professionnelles :

[75]      Par consĂ©quent, lorsque le tribunal est valablement saisi d’un recours formĂ© en vertu de l’article 359 de la Loi et que dans le cadre de sa preuve ou de son argumentation, l’employeur soumet une façon nouvelle d’évaluer sa demande initiale d’imputation, le tribunal ne croit pas que cette demande soit une encoche Ă  sa compĂ©tence, mais plutĂ´t une rĂ©fĂ©rence au caractère « de novo Â» du processus de contestation et surtout l’occasion pour le tribunal d’exercer son pouvoir d’apprĂ©cier les faits et de confirmer, modifier ou infirmer la dĂ©cision contestĂ©e et de rendre celle qui aurait dĂ» ĂŞtre rendue en premier lieu.

 

 

[76]      La jurisprudence des tribunaux supĂ©rieurs regorge d’exemples illustrant et surtout rĂ©itĂ©rant ce caractère « de novo Â» du processus de contestation devant la Commission d’appel en matière de lĂ©sions professionnelles ou la Commission des lĂ©sions professionnelles, et ce, en accord avec les principes de cĂ©lĂ©ritĂ©, d’efficacitĂ© et de souplesse qui caractĂ©risent la justice administrative.

 

[77]      S’il est possible pour une partie de faire valoir une preuve nouvelle devant la Commission des lésions professionnelles, il est d’autant possible pour cette partie de faire valoir une argumentation nouvelle. À la seule différence qu’en l’absence de preuve nouvelle pour supporter l’argumentation nouvelle, le tribunal doit s’en tenir à la preuve colligée au dossier pour juger de la demande. Le tribunal peut alors procéder à sa propre appréciation de la preuve sans être contraint de suivre celle faite par la CSST. Dans de telles circonstances, le tribunal devra toutefois s’assurer de la validité de la demande de l’employeur, c’est-à-dire, que les formalités prévues, le cas échéant, sont respectées

 

(notes omises)

 

 

[31]        Ainsi, si le tribunal a le pouvoir de dĂ©cider selon une autre disposition de la loi lorsqu’il est saisi d’une demande de modification de l’imputation, il va de soi qu’il a le pouvoir d’analyser la preuve selon un autre paragraphe de la mĂŞme disposition. D’autant plus que cela ne change rien Ă  l’objet du litige ou Ă  la nature de la demande. Compte tenu du processus de contestation « de novo Â» qui caractĂ©rise la procĂ©dure de contestation Ă  la Commission des lĂ©sions professionnelles, les parties peuvent s’attendre Ă  ce que le tribunal actualise le dossier, tienne compte d’une nouvelle preuve ou d’une nouvelle argumentation ou que les motifs de sa dĂ©cision soient diffĂ©rents de ceux apparaissant dans les dĂ©cisions rendues par les instances dĂ©cisionnelles antĂ©rieures.

[32]        Dans le prĂ©sent dossier, seul l’employeur Ă©tait prĂ©sent Ă  l’audience. La CSST aurait pu intervenir devant le tribunal et faire valoir des reprĂ©sentations comme le lui permet l’article 429.16 de la loi qui se lit comme suit :

429.16.  La Commission peut intervenir devant la Commission des lĂ©sions professionnelles Ă  tout moment jusqu'Ă  la fin de l'enquĂŞte et de l'audition.

 

Lorsqu'elle désire intervenir, elle transmet un avis à cet effet à chacune des parties et à la Commission des lésions professionnelles; elle est alors considérée partie à la contestation.

 

Il en est de mĂŞme du travailleur concernĂ© par un recours relatif Ă  l'application de l'article 329.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

 

[33]        La CSST n’est pas intervenue dans le prĂ©sent dossier et n’a pas fait des reprĂ©sentations quant Ă  l’application du premier alinĂ©a au lieu du deuxième de l’art. 326. Cependant le tribunal est d’avis que la CSST pouvait raisonnablement s’attendre Ă  ce qu’il dĂ©cide d’appliquer le premier alinĂ©a de l’article 326 plutĂ´t que le deuxième dans ce genre de litige ou mĂŞme que l’employeur modifie sa demande de transfert en une demande de partage de l’imputation.

[34]        D’une part, depuis l’affaire Pâtisserie Chevalier inc[15]., elle n’est pas sans savoir que l’employeur peut demander mĂŞme Ă  l’audience de transformer une demande de partage selon l’article 329 en une demande de transfert en vertu de l’article 326. En effet, le tribunal n’est pas liĂ© par le dossier tel qu’il est constituĂ© et peut entendre une preuve diffĂ©rente pourvu que l’objet du litige demeure le mĂŞme. Donc, la CSST pouvait s’attendre Ă  ce que le tribunal dĂ©cide sur une base juridique diffĂ©rente de celle qui a Ă©tĂ© allĂ©guĂ©e initialement par l’employeur et ayant fait l’objet d’une dĂ©cision antĂ©rieure.

[35]        D’autre part, dans les dernières annĂ©es, le tribunal a rendu quelques dĂ©cisions dans lesquelles il applique le premier alinĂ©a de l’article 326 pour ce type de demande, notamment dans l’affaire Les Systèmes Érin ltĂ©e et CSST[16], et plus rĂ©cemment, dans celle de Commission scolaire des Samares[17]. La CSST pourrait donc difficilement prĂ©tendre avoir Ă©tĂ© prise par surprise.

[36]        Ainsi, selon le principe gĂ©nĂ©ral d’imputation, la CSST impute Ă  l’employeur le coĂ»t des prestations dues en raison d’un accident du travail survenu Ă  un travailleur alors qu’il Ă©tait Ă  son emploi. Le tribunal doit alors dĂ©terminer si les prestations que l’employeur souhaite faire retirer de son dossier sont en lien direct avec l’accident du travail.

[37]        L’employeur demande de retirer de son dossier d’imputation les prestations versĂ©es Ă  la travailleuse durant la pĂ©riode du 22 fĂ©vrier 2008 au 14 juin 2010. La lĂ©sion professionnelle n’était pas encore consolidĂ©e en fĂ©vrier 2008 et la travailleuse recevait des traitements de physiothĂ©rapie. Les traitements sont toutefois suspendus et la chirurgie qu’elle devait subir est remise en raison de sa 1ère grossesse. La chirurgie est pratiquĂ©e seulement en juin 2010, après sa 2e grossesse. Il prĂ©tend que la suspension des traitements pour une raison personnelle, non en relation avec l’accident du travail, a donc retardĂ© la consolidation de la lĂ©sion professionnelle et qu’il n’a pas Ă  ĂŞtre imputĂ© des prestations versĂ©es Ă  la travailleuse durant cette pĂ©riode. Il demande d’assimiler la grossesse de la travailleuse Ă  une maladie intercurrente.

[38]        La jurisprudence reconnait que la grossesse ou ses consĂ©quences peuvent ĂŞtre assimilables Ă  une condition mĂ©dicale intercurrente notamment lorsque cette condition a un effet sur l’évolution de la lĂ©sion professionnelle, qu’elle entraĂ®ne une impossibilitĂ© de suivre des traitements ou une impossibilitĂ© d’évaluer les consĂ©quences de la lĂ©sion professionnelle ou mĂŞme une impossibilitĂ© d’affecter un travailleur Ă  d’autres tâches[18].

[39]        Dans le prĂ©sent dossier, la preuve rĂ©vèle que la travailleuse a subi une fracture de la cheville le 26 dĂ©cembre 2006 et qu’une chirurgie a Ă©tĂ© pratiquĂ©e dans les jours suivant l’accident du travail. Par la suite, la travailleuse a reçu des traitements de physiothĂ©rapie pour sa lĂ©sion professionnelle, mais l’évolution de la lĂ©sion a Ă©tĂ© lente et difficile.  

[40]        Le 20 septembre 2007, le docteur Payne, mĂ©decin qui a charge de la travailleuse demande une consultation en orthopĂ©die. Le 27 septembre 2007, la travailleuse consulte la docteure Jones, orthopĂ©diste qui indique dans son rapport que la travailleuse est enceinte de 4 mois. Elle ajoute « travail assise seulement Â» et  « de voir le docteur Payne pour un retour au travail progressif Â» Elle mentionne Ă©galement « investigation Ă  faire après grossesse Â».

[41]        Le 3 janvier 2008, la travailleuse revoit le docteur Payne et il prĂ©cise dans son rapport « arrĂŞt physiothĂ©rapie vu grossesse Â». Par ailleurs, le rapport de fin d’intervention en physiothĂ©rapie indique que les traitements ont Ă©tĂ© arrĂŞtĂ©s le 22 fĂ©vrier 2008 et que la travailleuse a accouchĂ© d’un premier enfant le 11 mars 2008.

[42]        Le rendez-vous suivant avec la docteure Jones est le 4 septembre 2008. Elle fait Ă©tat d’une luxation suite Ă  une fracture bimallĂ©olaire Ă  la cheville droite, de la prĂ©sence d’une ostĂ©o-arthrose ainsi que d’une ostĂ©osynthèse et elle prescrit une scintigraphie osseuse et un scan de la cheville droite. La scintigraphie osseuse est rĂ©alisĂ©e le 30 septembre 2008 et la tomodensitomĂ©trie le 9 octobre 2008. La travailleuse reprend aussi le suivi mĂ©dical avec le docteur Payne Ă  compter du 18 septembre 2008.   

[43]        Le 20 novembre 2008, la docteure Jones revoit la travailleuse et elle indique dans son rapport que la chirurgie pour exĂ©rèse des plaques en mĂ©tal et d’une souris articulaire Ă  la cheville droite aura lieu en janvier 2009. Elle prescrit un travail assis en attendant la chirurgie. Par ailleurs, dans le rapport suivant datĂ© du 5 fĂ©vrier 2009, la docteur Jones indique que la travailleuse est enceinte de 4 ½ mois et que la chirurgie sera pratiquĂ©e après l’accouchement.

[44]        La travailleuse accouche d’un deuxième enfant le 15 juillet 2009.

[45]        Le docteur Payne revoit la travailleuse le 13 octobre 2009 et le 8 dĂ©cembre 2009. Il prescrit un arrĂŞt de travail tout en prĂ©cisant qu’elle doit revoir la docteure Jones.

[46]        Entre temps, le 30 dĂ©cembre 2009, la travailleuse est examinĂ©e Ă  la demande de l’employeur par le docteur Michel H. Des Rosiers. Ce dernier indique dans son rapport que la travailleuse n’a reçu aucun traitement depuis fĂ©vrier 2008. Il consolide la lĂ©sion professionnelle Ă  la date de son examen, le 30 dĂ©cembre 2009. Il est d’avis qu’elle conserve une atteinte permanente Ă  l’intĂ©gritĂ© physique et des limitations fonctionnelles, mais qu’elle est capable de reprendre son travail rĂ©gulier d’infirmière auxiliaire.

[47]        La docteure Jones rĂ©examine la travailleuse le 28 janvier 2010, mais comme la travailleuse allaite encore son bĂ©bĂ©, elle prĂ©voit de l’opĂ©rer en juillet 2010. La chirurgie est finalement pratiquĂ©e le 14 juin 2010 et des traitements de physiothĂ©rapie sont prescrits le 17 aoĂ»t 2010. Cependant, la physiothĂ©rapie dĂ©bute seulement Ă  la fin septembre 2010. Dans les notes Ă©volutives au dossier apparait la mention suivante : « DĂ©but physio tardive (t. n’avait pas de gardienne), soit fin sept. 2010 Â».

[48]        En somme, la preuve dĂ©montre très clairement que l’état de la travailleuse nĂ©cessitait des soins et traitements, mais que les traitements ont Ă©tĂ© suspendus durant la pĂ©riode du 22 fĂ©vrier 2008 au 14 juin 2010 en raison de ses deux grossesses.

[49]        Le docteur Payne avait demandĂ© une consultation en orthopĂ©die en septembre 2007, mais lorsque l’orthopĂ©diste examine la travailleuse elle est dĂ©jĂ  enceinte et doit suspendre l’investigation jusqu’à l’accouchement. L’investigation est reprise en septembre 2008 et plusieurs des examens rĂ©alisĂ©s permettent de conclure que son Ă©tat nĂ©cessite une chirurgie. Cependant, la travailleuse est enceinte une deuxième fois et la chirurgie est remise après son deuxième accouchement. L’accouchement a lieu en juillet 2009, mais comme la travailleuse allaite son enfant, ce n’est qu’en juin 2010 que la chirurgie a finalement eu lieu.

[50]        Le tribunal est d’avis que les indemnitĂ©s de remplacement du revenu versĂ©es Ă  la travailleuse durant la pĂ©riode du 22 fĂ©vrier 2008 au 14 juin 2010 ne sont pas reliĂ©es directement Ă  l’accident du travail qu’elle a subi le 26 dĂ©cembre 2006. Les deux grossesses de la travailleuse sont une condition intercurrente qui a eu un effet sur l’évolution de la lĂ©sion professionnelle. Durant toute cette pĂ©riode, les traitements ont Ă©tĂ© suspendus et la consolidation de la lĂ©sion a Ă©tĂ© prolongĂ©e. N’eĂ»t Ă©tĂ© ses deux grossesses, la travailleuse aurait poursuivi ses traitements, la chirurgie aurait eu lieu bien avant juin 2010 et la lĂ©sion professionnelle consolidĂ©e dans un dĂ©lai raisonnable.

[51]        Le docteur Des Rosiers, dans son rapport datĂ© du 30 dĂ©cembre 2009, rappelait d’ailleurs que la travailleuse a eu deux grossesses qui ont pu contribuer Ă  prolonger la durĂ©e de son invaliditĂ© en raison de la surcharge pondĂ©rale et par l’interruption des traitements en cours.

[52]        Dans ces circonstances, le tribunal est d’avis que les indemnitĂ©s de remplacement du revenu versĂ©es Ă  la travailleuse durant cette pĂ©riode sont reliĂ©es Ă  une situation Ă©trangère Ă  l’accident du travail survenu chez l’employeur. Ainsi, bien qu’elle ait eu droit au versement de l’indemnitĂ© de remplacement du revenu, ces coĂ»ts ne doivent pas ĂŞtre imputĂ©s au dossier de l’employeur puisqu’ils ne sont pas dus en raison de l’accident du travail subi le 26 dĂ©cembre 2006, mais plutĂ´t Ă  cause d’une situation Ă©trangère Ă  cet accident, soit en raison d’une condition personnelle de la travailleuse. Conclure autrement irait Ă  l’encontre du principe gĂ©nĂ©ral d’imputation prĂ©vu au premier alinĂ©a de l’article 326 de la loi puisque les indemnitĂ©s versĂ©es Ă  la travailleuse durant cette pĂ©riode ne l’ont pas Ă©tĂ© en raison de l’accident du travail, mais plutĂ´t en raison de sa condition personnelle qui a entraĂ®nĂ© une interruption des traitements et une prolongation de la pĂ©riode de consolidation.

[53]        Par ailleurs, le tribunal ne peut faire droit Ă  la demande de l’employeur en ce qui concerne le retard Ă  commencer les traitements de physiothĂ©rapie. Il demande de ne pas ĂŞtre imputĂ© des prestations versĂ©es Ă  la travailleuse entre la date de la prescription pour la physiothĂ©rapie, soit le 17 aoĂ»t 2010 et la date effective du dĂ©but des traitements, soit le 30 septembre 2010. L’employeur allègue que ce retard est entièrement imputable Ă  la travailleuse, car elle n’avait pas de gardienne.

[54]        Dans les notes Ă©volutives, il y a une mention au sujet d’un dĂ©but de physiothĂ©rapie qui a Ă©tĂ© retardĂ©, car la travailleuse n’avait pas de gardienne, mais cela est insuffisant pour faire droit Ă  la demande de l’employeur. Le tribunal n’a aucune indication de l’importance du retard occasionnĂ© par l’absence de gardienne. Est-ce que le dĂ©lai occasionnĂ© par l’absence est de quelques jours ou pour toute la pĂ©riode rĂ©clamĂ©e. De plus, l’employeur aurait pu demander Ă  la CSST de suspendre le versement de l’indemnitĂ© de remplacement du revenu en vertu de l’article 142 de la loi si la travailleuse refusait de se prĂ©senter Ă  ses traitements de physiothĂ©rapie.

[55]        L’employeur demande aussi de ne pas ĂŞtre imputĂ© du coĂ»t des indemnitĂ©s versĂ©es Ă  la travailleuse durant la pĂ©riode de radiation du docteur Payne par le Collège des mĂ©decins, soit du 5 octobre 2007 au 4 dĂ©cembre 2007. Il prĂ©tend que la travailleuse n’a pas Ă©tĂ© suivie et n’a pas reçu de traitements durant cette pĂ©riode en raison de l’absence de son mĂ©decin.

[56]        Le tribunal ne peut faire droit Ă  cette demande non plus. D’une part, la preuve rĂ©vèle que durant cette pĂ©riode la travailleuse a bien reçu des traitements de physiothĂ©rapie. En effet, les rapports de physiothĂ©rapie produits au dossier dĂ©montrent qu’elle a reçu des traitements en novembre et dĂ©cembre 2007. De plus, la travailleuse a consultĂ© la docteure Jones le 27 septembre 2007 et, en raison de sa grossesse, ce mĂ©decin avait dĂ©jĂ  reportĂ© l’investigation après l’accouchement.

[57]        D’autre part, la travailleuse a consultĂ© le docteur Payne le 20 septembre 2007 et celui-ci l’avait dĂ©jĂ  rĂ©fĂ©rĂ© Ă  la docteure Jones. D’ailleurs, il a fixĂ© le prochain rendez-vous au 28 janvier 2008. Il ne pouvait donc rien faire de plus en terme de soins ou traitements durant cette pĂ©riode.

[58]        L’employeur n’a pas dĂ©montrĂ© par une preuve prĂ©pondĂ©rante que les indemnitĂ©s de remplacement du revenu versĂ©es Ă  la travailleuse du 17 aoĂ»t au 30 septembre 2010 et du 5 octobre au 4 dĂ©cembre 2007 ne sont pas en lien avec l’accident du travail survenu le 26 dĂ©cembre 2006. Dans ces circonstances, le tribunal conclut que ces indemnitĂ©s ont Ă©tĂ© versĂ©es en raison de l’accident du travail et l’employeur doit ĂŞtre imputĂ© de ces coĂ»ts.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE en partie la requête de l’employeur, CSSS Lucille-Teasdale;

MODIFIE la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 12 février 2013 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que l’employeur ne doit pas être imputé du coût de l’indemnité de remplacement du revenu versée à la travailleuse pour la période du 22 février 2008 au 14 juin 2010.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Santina Di Pasquale

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           2013 QCCLP 6341, requête en révision judiciaire pendante C.S. Québec, 200-17-019337-138.

[3]           Précitée, note 2.

[4]           Précitée, note 2.

[5]           2013 QCCS 1289.

[6]           C.L.P. 372840-02-0903, 17 mai 2010, M. Sansfaçon.

[7]          COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL DU QUÉBEC, DIRECTION DE L'ACTUARIAT ET DE L'IMPUTATION, Orientations concernant l'imputation : L'imputation de l'indemnité de remplacement du revenu lorsque la base de revenu du travailleur est déterminée par l'article 73 de la LATMP, le 31 octobre 2011.

[8]           Précitée, note 2.

[9]           2013 QCCLP 4572; voir également Les Systèmes Érin ltée et CSST, C.L.P. 195814-01A-0211, 29 décembre 2005, L. Desbois; Hôpital Laval, C.L.P. 356825-31-0808, 15 janvier 2009, M. Beaudoin; Centre de santé Orléans, C.L.P. 368396-31-0901, 19 juin 2009, C. Lessard; Transelec/Common inc., 2013 QCCLP 1008; CSSS du Nord de Lanaudière, 2013 QCCLP 5773.

[10]          Précitée, note 2.

[11]         Provigo Distribution (Division Maxi), 2013 QCCLP 6462, révision pendante; Arneg Canada inc , 2013 QCCLP 6474, révision pendante; Centre d'éveil Devenir Grand, 2013 QCCLP 6610, révision pendante; Centre Jeunesse et Famille Batshaw, 2013 QCCLP 6706, révision pendante; Rocoto limitée, 2013 QCCLP 6761, révision pendante; Résidence Notre-Dame de Hull, 2013 QCCLP 6764, révision pendante; Hôpital Maisonneuve-Rosemont, 2013 QCCLP 6893, révision pendante; Boulangerie Première Moisson, 2013 QCCLP 6910, révision pendante; Fournitures de bureau Denis inc., 2013 QCCLP 6985, révision pendante; Commission scolaire des Laurentides, 2013 QCCLP 7002, révision pendante; Sureté du Québec, 2013 QCCLP 7007, révision pendante; Ministère de la Sécurité publique, 2013 QCCLP 7018, révision pendante; Les immeubles Murdock inc. (Château Dubuc), 2013 QCCLP 7022, révision pendante; CSSS du Lac-des-Deux-Montagnes, 2013 QCCLP 7025, révision pendante; Meubles Branchaud inc., 2013 QCCLP 7087; Bombardier Aéronautique inc., 2013 QCCLP 7099; S.T.M. (Réseau des autobus), 2013 QCCLP 7144; Aliments Asta inc., 2013 QCCLP 7222; Polaris inc., 2013 QCCLP 7245; Construction Entr. nettoyage Québec Métro inc., 2013 QCCLP 7270; Meilleures marques, 2013 QCCLP 7272; Les Usines Sartigan inc., C.L.P. 446107-03B-1201, 20 décembre 2013, R. Deraiche; Soudure G.A.M. (Chibougamau) inc., 2013 QCCLP 7308; Brasserie Labatt du Canada, 2013 QCCLP 7344; Arboriculture de Beauce inc., 2013 QCCLP 7353; Résidence Angelica inc., 2013 QCCLP 7430; ArcelorMittal Ontréal inc. 2013 QCCLP 7490; United Parcel Service Canada ltée., 2014 QCCLP 42; CSSS du Nord de Lanaudière,. 2014 QCCLP 76; Sinto Racing inc., 2014 QCCLP 121; Hydro-Québec ( Gestion Acc. Trav.) 2014 QCCLP 143; Olymel Vallée-Jonction, 2014 QCCLP 165; Urgence Médicale Code Bleu, 2014 QCCLP 216; Le Boisé Ste-Thérèse inc. 2014 QCCLP 231.

[12]          Précitée, note 11.

[13]         [2000] C.L.P. 365.

[14]         C.L.P. 215643-04-0309, 28 mai 2004, S. Sénéchal.

[15]         Précitée, note 14.

[16]         Précitée, note 9.

[17]         Précitée, note 9.

[18]         Groupe Qualinet inc., 2012 QCCLP 4456; Centre de la petite enfance Campamuse, 2011 QCCLP 2583, Agromex inc., C.L.P. 372160-62A-0903, 6 janvier 2010, C. Burdett; Commission scolaire de Montréal, C.L.P. 291750-62-0606, 2 février 2007, L. Couture.

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