Décision

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Gabarit de jugement pour la cour d'appel

Morrissette c. St-Hyacinthe (Ville de)

2016 QCCA 1216

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-026081-166

(750-17-002857-161)

 

DATE :

Le 26 juillet 2016

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

MANON SAVARD, J.C.A.

ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A.

MARIE-JOSÉE HOGUE, J.C.A.

 

 

BRIGITTE MORRISSETTE

MARCEL OUELLETTE

PARTIE APPELANTE - Demandeurs

c.

 

VILLE DE SAINT-HYACINTHE

PARTIE INTIMÉE - Défenderesse

et

 

DANIEL LAFORTUNE

PARTIE MISE EN CAUSE - mis en cause

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           Avec l’autorisation d’un juge de la Cour[1], les appelants se pourvoient contre un jugement de la Cour supérieure, district de Saint-Hyacinthe (l’honorable Lise Matteau), qui, le 12 mai 2016, rejette leur demande d’injonction interlocutoire[2]. En ce faisant, la juge permet à l’intimée, Ville de Saint-Hyacinthe, de délivrer le permis requis par le mis en cause, Daniel Lafortune, pour la construction d’un bâtiment relativement important sur le lot contigu à celui des appelants qui sera notamment utilisé à des fins d’enseignement.

[2]           Ceux-ci reprochent à la juge d’avoir erré en concluant à l’absence d’apparence de droit à une telle injonction. Ils estiment avoir agi avec diligence en demandant la nullité du Règlement 350-35 modifiant le règlement de zonage et permettant la construction du bâtiment en litige sur le lot de M. Lafortune. Selon eux, le caractère « trompeur » des avis requis pour l’adoption du Règlement emporte sa nullité. Vu le préjudice irréparable découlant de la construction d’un tel bâtiment sur le lot contigu au leur, la juge aurait dû émettre l’injonction interlocutoire recherchée.

[3]           Pour les raisons qui suivent, la Cour conclut qu’il y a lieu de rejeter le pourvoi. Bien que les appelants aient établi une apparence de droit à l’émission d’une injonction interlocutoire, ils ne démontrent pas l’existence d’un préjudice sérieux ou irréparable si l’ordonnance recherchée n’est pas émise.

Remarque préliminaire

[4]           À l’audience, la Cour est informée que, sans attendre le sort du pourvoi, la Ville a délivré un permis pour la construction d’un bâtiment agricole à la demande de M. Lafortune, de même qu’un certificat autorisant un usage « école de métiers » dudit bâtiment. La construction du bâtiment serait pour ainsi dire complétée, à l’exception cependant des espaces destinés aux activités d’enseignement.

[5]           Cette situation est, pour le moins, étonnante.

[6]           Selon la Ville et M. Lafortune, l’injonction interlocutoire recherchée ne prohibait pas la construction comme telle d’un bâtiment agricole, mais uniquement la construction d’un bâtiment où l’usage « école de métiers » serait permis à titre complémentaire aux activités agricoles. Ils ajoutent que les appelants n’ont pas demandé la délivrance d’une ordonnance de sauvegarde lors de l’étude de leur requête pour permission d’appeler.

[7]           Toutefois, à la lumière de la gestion serrée de ce dossier par le juge autorisateur lors de l’octroi de la permission d’appeler, toute personne raisonnable aurait compris qu’aucun permis de construction d’un tel bâtiment, peu importe l’usage projeté, ne devait être délivré et que la construction ne devait pas débuter avant que ne soit connu le sort du pourvoi. La bonne foi aurait exigé un tel comportement de la part de la Ville et de M. Lafortune, d’autant plus que ces derniers ne justifient pas l’urgence d’agir alors que l’audition devant la Cour a lieu moins d’un mois et demi après l’autorisation du pourvoi.

[8]           Ceci étant, la conclusion de la Cour sur le fond de l'appel aurait été la même si le permis n'avait pas été ainsi délivré et si le bâtiment n'avait pas été construit. Il sera cependant tenu compte du comportement de la Ville et de M. Lafortune lors de l'octroi des frais de justice.

Le contexte

[9]           Les faits à l’origine de ce litige sont relativement simples. Les appelants sont domiciliés au […], à Saint-Hyacinthe. M. Lafortune, quant à lui, réside au […], situé à près d’un kilomètre du domicile des appelants. Il est aussi propriétaire de terres agricoles situées notamment sur le lot contigu à celui des appelants qui longe la ligne arrière de leur propriété (lot en litige). Ce lot est situé en zone agricole permanente.

[10]        Depuis 2001, les terres agricoles de M. Lafortune sont exploitées en grandes cultures par les étudiants de l’École professionnelle de Saint-Hyacinthe, aux termes d’une entente conclue avec cette dernière. Les équipements et machineries agricoles utilisés à cette fin sont la propriété de l’École, à l’exception d’un tracteur qui appartient à M. Lafortune, et sont entreposés à divers endroits chez des voisins, sur le rang.

[11]        En 2014, M. Lafortune et l’École élaborent un projet de construction d’un bâtiment de près de 6 000 pieds carrés sur le lot en litige. Celui-ci servirait à l’entreposage et à l’entretien des équipements et machineries agricoles utilisés dans le cadre des activités d’enseignement, de même qu’à l’enseignement des techniques d’entretien et de calibrage de ces équipements et machineries (« garage-entrepôt »). On y retrouverait également une cuisine, un local de classe pour les étudiants et une salle pour les professeurs.

[12]        Le projet est présenté à la Ville qui accepte de modifier le règlement de zonage pour permettre, à titre d’usage complémentaire à des activités agricoles, l’usage « école de métiers ». La procédure d’adoption du Règlement 350-35, entré en vigueur le 26 février 2015, débute le 15 décembre 2014 et se termine le 5 mars 2015 par la publication de l’avis public d’entrée en vigueur du règlement. La validité des avis exigés aux termes de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme[3] (L.a.u.) en vue de l’adoption du Règlement 350-35 est au cœur des prétentions des appelants. Nous y reviendrons.

[13]        Le 29 décembre 2015, la Commission de protection du territoire agricole du Québec autorise M. Lafortune à construire le garage-entrepôt sur le lot en litige. Elle l’autorise également à rendre disponible la portion cultivable de sa terre aux étudiants de l’École, régularisant ainsi les activités d’enseignement qui y avaient cours depuis quelques années.

[14]        Entretemps, vers la fin du mois de novembre 2015, les appelants apprennent que M. Lafortune entend construire le garage-entrepôt le long de la ligne de division arrière de leur terrain. Ils n’ont alors jamais eu vent de l’adoption du Règlement 350-35. Ils communiquent aussitôt avec les autorités municipales qui, au cours des semaines qui suivent, tenteront une approche de bon voisinage afin de résoudre le différend. Le maire rencontre M. Lafortune le 15 décembre 2015 et se déclare satisfait des explications données par ce dernier quant à l’emplacement choisi. Le 18 décembre suivant, il indique cependant aux appelants souhaiter qu’une entente à l’amiable entre les voisins intervienne.

[15]        Au cours des mois de février et mars 2016, M. Lafortune poursuit ses démarches pour la réalisation de son projet : signature d’un bail d’une durée initiale de 5 ans avec la Commission scolaire de Saint-Hyacinthe, future locatrice du garage-entrepôt, et conclusion de divers contrats en lien avec la construction de celui-ci.

[16]        Le 30 mars 2016, les appelants, qui ignorent toujours l’adoption du Règlement 350-35, écrivent à la Ville pour contester la légalité du projet de construction, mais surtout son emplacement. Cette dernière s’empresse de les informer que la modification apportée au règlement de zonage par l’adoption du Règlement 350-35 autorise la construction du garage-entrepôt.

[17]        Quelques jours plus tard, le 4 avril 2016, les appelants déposent une demande par laquelle ils sollicitent une injonction permanente visant à empêcher la Ville de délivrer un permis à M. Lafortune « pour la construction du projet objet du Règlement 350-35 […] » sur le lot en litige, de même qu’une déclaration de nullité de ce règlement. Cette procédure est accompagnée d’une demande en injonction interlocutoire par laquelle ils cherchent à empêcher la Ville de délivrer le permis de construction dans l’attente du jugement final. C’est le jugement rejetant cette demande en injonction interlocutoire qui fait l’objet du présent appel.

Moyens d’appel

[18]        Dans leur exposé, les appelants ne formulent aucune question en litige, optant plutôt pour une énumération des neuf sujets qu’ils y discutent. Pour une meilleure compréhension du pourvoi, la Cour structure plutôt son analyse en fonction des critères régissant l’octroi d’une injonction interlocutoire conformément à l’article 511 C.p.c. : l’apparence de droit, le préjudice sérieux ou irréparable et, le cas échéant, la prépondérance des inconvénients.

L’analyse

L’apparence de droit

[19]        La juge de première instance conclut que les appelants n’ont pas « franchi » la première étape que constitue la démonstration d’une apparence de droit de voir accueillir sa demande principale. Selon elle, le recours des appelants, qui s’apparente à l’action directe en nullité de l’article 33 de l’ancien C.p.c. (RLRQ, c. C-25) désormais englobée dans le « pourvoi en contrôle judiciaire » de l’article 529 C.p.c. (RLRQ, c. C-25.01), n’a pas été signifié dans un délai raisonnable. Elle note que plus de 13 mois se sont écoulés depuis l’entrée en vigueur du Règlement 350-35 et que, même en retenant la date qui est la plus favorable aux appelants, soit la rencontre avec le maire le 18 décembre 2015, un délai de plus de trois mois demeure à ses yeux toujours inexpliqué.

[20]        Elle écarte également l’argument des appelants voulant que le règlement de zonage n’ait pas été valablement modifié en raison de la non-conformité et du caractère « trompeur » de l’avis d’approbation référendaire requis en vertu de l’article 132 de la L.a.u.

[21]        Elle reconnaît par ailleurs que les avis requis en vertu de la L.a.u. aux fins de l’adoption du Règlement 350-35 contiennent une information erronée. Tant l’avis d’approbation référendaire (art. 132) que l’avis d’assemblée publique (art. 126) comportent la mention suivante :

Le règlement projeté aura pour conséquence, notamment, de permettre ce qui suit :

-       […]

-       la construction d’un bâtiment agricole au 7475 Rapide-Plat Nord afin d’y aménager un local de classe où sera dispensée une formation pratique reliée à l’agriculture;

-       […]

[Soulignement ajouté]

[22]        Or, cette adresse est celle du domicile de M. Lafortune et non du lot en litige sur lequel sera construit le garage-entrepôt. Comme mentionné précédemment, une distance approximative d’un kilomètre sépare ces deux endroits.

[23]        Malgré cette erreur, la juge conclut que l’avis d’approbation référendaire respecte néanmoins l’article 132 de la L.a.u., les conditions essentielles exigées par cette disposition y étant énoncées. Elle ajoute que même s’il devait y avoir ici non-respect de certaines formalités de publication, ces lacunes n’auraient pas pour effet d’invalider le règlement puisque, en application de l’art. 246.1 L.a.u. : (1) rien dans la loi ne dispose que l’inobservation des formalités de publication de l’avis prévu à l’article 132 L.a.u. a pour effet d’invalider un règlement visé par un avis d’approbation référendaire et (2) les appelants, n’ayant ni vu ni lu cet avis, ne peuvent prétendre avoir été induits en erreur par celui-ci et en subir un préjudice sérieux. Aux yeux de la juge, il s’agit simplement d’un prétexte soulevé a posteriori par les appelants pour tenter d’invalider un règlement de zonage modifié conformément aux prescriptions de la L.a.u.

[24]        Avec égards, la juge de première instance se trompe en concluant à l’absence d’apparence de droit des appelants.

[25]        La décision dont appel, telle que rédigée, possède toutes les caractéristiques d’un jugement sur le fond du recours principal visant à faire déclarer la nullité du Règlement 350-35. Au stade de l’injonction interlocutoire, la juge devait se garder de se prononcer sur le fond de la demande[4]. Elle ne devait « […] apprécier le mérite des moyens soulevés que pour se satisfaire de l’existence et de la qualité de l’apparence de droit »[5] et décider si les appelants avaient établi, prima facie, une possibilité raisonnable de voir leur demande principale accueillie.

[26]        Bien que la juge traite peu du premier, la demande des appelants repose sur deux arguments : (1) le trouble de voisinage dont M. Lafortune fait preuve en choisissant de construire le garage-entrepôt sur la ligne contiguë à leur propriété, alors qu’il y aurait d’autres emplacements propices sur ses terres pour un tel bâtiment; (2) la nullité du Règlement 350-35 en raison du caractère « trompeur » et non conforme de l’avis d’approbation référendaire.

[27]        Quant au premier moyen portant sur le trouble de voisinage, les appelants ne démontrent pas, prima facie, une atteinte à l’article 976 C.c.Q.[6]. D’une part, lors de son interrogatoire, M. Lafortune explique le choix du site de construction projeté par des facteurs objectifs (l’existence d’une servitude d’Hydro-Québec, le site futur de sa résidence, la proximité des terres cultivées, la topographie du terrain…) et celui-ci respecte les exigences de la réglementation municipale eu égard à sa localisation. D’autre part, les appelants n’allèguent aucun des inconvénients anormaux visés par l’article 976 C.c.Q.

[28]        L’analyse du second argument est plus délicate et se divise en deux temps : la conformité de l’avis d’approbation référendaire et le délai raisonnable pour intenter le recours.

[29]        D’abord, en ce qui a trait à la conformité de l’avis d’approbation référendaire, la question ne semble pas aussi claire que la juge l’affirme. Encore une fois, sans se prononcer sur le fond du litige, la mention erronée du site de construction du garage-entrepôt peut être source de confusion et d’ambiguïté pour le lecteur. Celui-ci pourrait conclure que la construction du bâtiment projeté aura lieu sur le terrain où est située la résidence actuelle de M. Lafortune, à plus d’un kilomètre du site réel de construction, et juger non nécessaire de se faire entendre, sur la base de cette information erronée.

[30]        Dans un article portant sur les règlements municipaux d’urbanisme, l’auteur Pierre Laurin souligne[7] :

L’absence d’avis ou l’omission d’éléments significatifs touche, selon le cas,  à deux droits fondamentaux. Dans le cas des avis publics relatifs à la consultation des citoyens, c’est la règle audi alteram partem qui est en jeu. Quant aux avis publics relatifs à la procédure d’approbation, leur irrégularité peut porter atteinte à la volonté du législateur d’obtenir l’assentiment des citoyens avant que n’entre en vigueur la modification réglementaire.

Les tribunaux ont tendance à faire le parallèle entre un avis irrégulier et l’absence d’approbation réelle. Dans un tel cas, ils ne voudront pas cautionner l’irrégularité, en dépit des articles remédiateurs.

[31]        Dans l’arrêt Immeubles Port Louis Ltée c. Lafontaine (Village), le juge Gonthier insiste sur l’importance du contenu des avis requis par les différentes lois concernant les municipalités et sur le fait que certaines irrégularités dans leur contenu, lorsqu’elles affectent les droits des personnes à qui ces avis s’adressent, et en particulier leur droit d’être adéquatement informées pour potentiellement être entendues, peuvent entraîner la nullité d’un acte municipal[8]. Il ajoute que les dispositions rémédiatrices équivalentes à l’actuel art. 246.1 L.a.u. ne touchent que les « simples » informalités et non celles qui affectent la procédure dans sa substance ou qui affectent un droit fondamental, tel le droit d’être entendu[9].

[32]        La question en l’occurrence mérite d’être débattue. Même si le droit des appelants n’est pas clair, on peut y voir une apparence de droit, qui n’est ni futile ni vexatoire.

[33]        Demeure toutefois la question du délai raisonnable pour intenter le recours qui, à lui seul, emporte le sort de la demande selon la juge de première instance.

[34]        Sous l’article 33 de l’ancien Code de procédure civile (RLRQ, c. C-25), l’action en nullité d’un règlement municipal devait être exercée dans un délai raisonnable. Dans Immeubles Port Louis ltée, l’arrêt de principe sur cette question, le juge Gonthier identifie les facteurs pertinents à une telle analyse : la nature de l’acte attaqué, la nature de l’illégalité commise et ses conséquences, les causes du délai entre l’acte attaqué et l’institution de l’action, la nature du droit invoqué et le comportement du demandeur[10].

[35]        Dans Bellemare c. Lisio[11], le juge Morissette souligne que les tribunaux doivent résister à la tentation d’appliquer automatiquement des balises temporelles prédéfinies lors de l’appréciation du caractère raisonnable du délai d’exercice d’un tel recours :

[20]      Sur ce point, l’argumentation de l’appelante est sommaire. Elle souligne qu’il s’est écoulé 778 jours entre l’ordonnance du 28 septembre 2004 et la signification de la requête introductive d’instance des intimés, le 15 novembre 2006. Elle cite au soutien de sa prétention les arrêts Immeubles Port Louis ltée c. Lafontaine (Village) et Loyer c. Commission des affaires sociales. De ce second arrêt, elle tire la proposition qu’un délai de trente jours est généralement considéré comme raisonnable et que, si le délai se prolonge au-delà de cette limite, le demandeur ou le requérant en révision judiciaire doit établir l’existence de circonstances exceptionnelles justifiant la tardiveté de son initiative.

[21]      À mon avis, l’appelante a tort sur ce point et elle fait une lecture indûment réductrice des sources qu’elle cite.

[22]      L’arrêt Loyer portait sur une requête en révision judiciaire d’une décision de la Commission des affaires sociales, c’est-à-dire d’un tribunal administratif exerçant une fonction quasi judiciaire. L’appelant avait signifié sa requête cinq mois après la décision de cet organisme. On peut facilement comprendre que, s’agissant d’une décision judiciaire ou quasi judiciaire d’un tribunal inférieur ou d’un tribunal administratif, décision habituellement explicite quant à sa propre assise et qui met fin à une affaire contentieuse, des facteurs tels que la stabilité et la finalité des décisions de cet ordre pèsent en faveur d’un délai relativement court. Après tout, l’appel, de son côté, n’est-il pas assujetti à un délai de rigueur de 30 jours? L’appelant Loyer, ici, avait attendu cinq mois pour se manifester, il n’avait qu’une vague explication à offrir pour ce délai (il disait avoir été intimidé par certaines apparences et avoir eu besoin de temps pour réfléchir), et il n’est donc pas étonnant que la Cour, sous la plume du juge Dussault, ait confirmé le jugement qui rejetait sa requête pour motif de tardiveté.

[23]      Mais cet arrêt et les jugements assez nombreux qui vont dans le même sens ne sauraient être interprétés comme jetant les bases d’un automatisme généralisé en matière de délai raisonnable, une sorte de présomption juris tantum que toute dérogation au délai de 30 jours, même lorsque le recours exercé est une action directe en nullité, nécessite une explication. Tout dépend du type de recours qui est exercé, de la matière en cause et des circonstances de l’espèce, l’arrêt de principe demeurant l’arrêt Port Louis.

[Soulignement ajouté; renvois omis.]

[36]        L’article 529 C.p.c. (RLRQ, c. 25.01) regroupe, dans le pourvoi en contrôle judiciaire, les recours relevant du pouvoir de surveillance et de contrôle de la Cour supérieure, dont la demande en nullité d’un règlement municipal. Le troisième alinéa de cette disposition énonce que ce pourvoi « […] doit être signifié dans un délai raisonnable à partir de l’acte ou du fait qui lui donne ouverture / must be served within a reasonable time after the act or the fact on which it is based ».

[37]        De l’avis de la Cour, cette codification législative des principes de common law relatifs à l’exercice dans un délai raisonnable de ce qui était l’action directe en nullité ne modifie pas pour autant l’état du droit sur cette question[12]. L’arrêt de principe demeure l’arrêt Immeubles Port-Louis ltée.

[38]        En l’occurrence, la juge de première instance propose une application plutôt rigide, sinon erronée, des facteurs pertinents à l’analyse du délai raisonnable lorsqu’elle écrit :

[67]      Il est de jurisprudence constante en matière de contrôle judiciaire qu’un délai de trente (30) jours ou moins est généralement considéré comme raisonnable, alors qu’un délai de soixante (60) jours et plus est généralement considéré comme déraisonnable.

[39]        En ce faisant, la juge retient l’« automatisme généralisé en matière de délai raisonnable » contre lequel le juge Morissette met les décideurs en garde dans l’affaire Bellemarre c. Lisio. Elle devait plutôt soupeser les deux motifs invoqués par les appelants pour expliquer le délai écoulé entre l’adoption du Règlement 350-35 et le pourvoi en contrôle judiciaire : l’ignorance de l’adoption du règlement et les pourparlers avec les autorités municipales pour trouver un terrain d’entente. Chacun d’eux était pertinent aux fins de son analyse, la présomption de connaissance de l’adoption d’un règlement n’étant pas aussi absolue que la juge le considère[13].

[40]        Les appelants ont prima facie des moyens à faire valoir pour expliquer le délai à agir. Ceci étant, ils devront, au fond, l’expliquer, notamment eu égard à la période de trois mois entre leur dernière discussion avec le maire et l’institution des procédures. La raisonnabilité du délai devra être appréciée par le juge du fond dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

[41]        En conclusion, sans établir l’existence d’un droit clair à la déclaration de nullité recherchée du Règlement 350-35, les appelants remplissent néanmoins le critère de l’apparence de droit.

Le préjudice sérieux

[42]        Rappelons que « moins l’apparence de droit s’avère forte, plus la nécessité de l’examen du caractère irréparable du préjudice s’impose, comme celle, éventuellement, du poids des inconvénients »[14]. En l’occurrence, vu sa conclusion sur le premier critère, la juge de première instance n’analyse pas la question de l’existence ou non d’un préjudice sérieux ou irréparable.

[43]        La portée de l’injonction interlocutoire recherchée est limitée : enjoindre la Ville à ne pas délivrer « le permis de construction ou de le suspendre s’il est émis, pour la construction du projet objet du règlement 350-35 […] » (soulignement ajouté) sur le lot en litige. La conclusion injonctive de la demande principale est au même effet.

[44]        Le projet « objet du règlement 350-35 » auquel l’ordonnance recherchée réfère est celui que l’on retrouve aux avis publics : « la construction d’un bâtiment agricole […] afin d’y aménager un local de classe où sera dispensée une formation pratique reliée à l’agriculture » (soulignement ajouté). Rappelons que le règlement en litige visait à autoriser, notamment sur le lot en litige, l’usage « école de métiers » à titre complémentaire à des activités agricoles autrement permises par le règlement d’urbanisme.

[45]        Les appelants n’allèguent aucun moyen de droit ou de fait pour démontrer que, prima facie, ils ont une apparence de droit à empêcher la construction d’un bâtiment à vocation strictement agricole, outre les allégations relatives au trouble de voisinage selon l’article 976 C.c.Q. Or, comme déjà écrit, celles-ci sont insuffisantes pour conclure à une quelconque apparence de droit sur cette question. On ne peut donc tenir compte du préjudice qui découlerait de ces seules allégations de trouble de voisinage.

[46]        Or, à première vue, selon la Commission de protection du territoire agricole du Québec, la construction d’un bâtiment utilisé à des fins strictement agricoles est conforme à la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles[15].

[47]        Selon la Ville et M. Lafortune, elle serait également conforme au règlement d’urbanisme, même en faisant abstraction de la modification apportée par le Règlement 350-35. Les appelants ne contestent pas cette affirmation. Ils ajoutent par ailleurs que M. Lafortune n’aurait pas construit un bâtiment d’une telle dimension aux fins d’y entreposer le seul tracteur dont il est propriétaire. Toutefois, il faut rappeler que la Commission de protection du territoire agricole du Québec a autorisé ce dernier à rendre disponible la portion cultivable de sa terre - dont le lot en litige - aux étudiants de l’École. Les équipements et machineries utilisés à cette fin peuvent justifier la dimension du bâtiment envisagé, même si ça ne devait être qu’à des fins strictement agricoles.

[48]        Dans ce contexte, la question du préjudice est circonscrite à celui résultant de l’aménagement « […] d’un local de classe où sera dispensée une formation pratique reliée à l’agriculture » dans le bâtiment agricole. Il s’agit là du préjudice pouvant découler du Règlement 350-35 dont les appelants demandent la nullité.

[49]        À cet égard, les appelants ne démontrent pas l’existence d’un préjudice sérieux ou irréparable. La preuve est lacunaire quant aux conséquences de l’utilisation du garage-entrepôt à des fins d’enseignement. On sait que moins de 10 % du garage-entrepôt serait utilisé aux fins d’enseignement. On ignore le nombre d’étudiants et professeurs qui y auront accès et le va-et-vient qui en résultera.

[50]        En fait, le préjudice sérieux invoqué par les appelants porte sur l’existence même d’un important bâtiment sur le lot contigu au leur, et plus spécifiquement, à son emplacement sur ce lot. Dans leurs déclarations sous serment, ils notent à plusieurs reprises qu’ils sont favorables aux activités d’enseignement, mais estiment qu’un autre emplacement aurait dû être choisi. Sans vouloir minimiser l’impact sur leur intimité, la contestation du Règlement 350-35, si elle réussit, pourrait interdire que des activités d’enseignement y aient lieu, mais pas la construction d’un bâtiment imposant à des fins strictement agricoles.

[51]        Les appelants n’ayant pas démontré l’existence d’un préjudice sérieux ou irréparable découlant de la nullité recherchée du Règlement 350-35, leur demande d’injonction interlocutoire doit être rejetée.

[52]        L’appel sera rejeté, mais sans frais de justice vu la remarque préliminaire.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[53]        REJETTE l’appel, sans frais de justice.

 

 

 

 

MANON SAVARD, J.C.A.

 

 

 

 

 

ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A.

 

 

 

 

 

MARIE-JOSÉE HOGUE, J.C.A.

 

Me Paul Biron

Pour la partie appelante

 

Me Isabelle Leroux

Pour la partie intimée

 

Me François Montfils

Pour le mis en cause

 

Date d’audience :

7 juillet 2016

 



[1]     Morrissette et al. c. Saint-Hyacinthe (Ville de), 2016 QCCA 1011.

[2]     Morrissette et al. c. Saint-Hyacinthe (Ville de), 2016 QCCS 2351.

[3]     Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, RLRQ, c. A-19.1.

[4]     4077334 Canada inc. (Solutions Voysis IP) c. Sigmasanté, 2012 QCCA 1101, paragr. 14.

[5]     Brassard c. Jardin zoologique de Québec inc., J.E. 95-1652; [1995] R.D.J. 573, p. 584 (C.A.).

[6]     Ciment du Saint-Laurent c. Barrette, [2008] 3 R.C.S. 392.

[7]     Pierre Laurin, « Les règlements municipaux d’urbanisme : certains problèmes de procédure », dans Service de la formation permanente, Barreau du Québec, Développements récents en droit municipal, vol. 87, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1997, p. 294.

[8]     Immeubles Port Louis Ltée c. Lafontaine (Village), [1991] 1 R.C.S. 326, p. 354 à 356.

[9]     Ibid., p. 351 et 352. Voir aussi : Hoppenheim c. Montréal (Ville de), J.E. 2004-533, paragr. 94 à 97 (C.S.); Danaher c. Sherbrooke (Ville de), 2015 QCCS 3127, paragr. 112 et suiv.

[10]    Immeubles Port Louis Ltée c. Lafontaine (Village), supra, note 8, p. 372.

[11]    Bellemare c. Lisio, 2010 QCCA 859 (requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée : C.S.Can., 2010-10-14, 33779). Voir également : Kirkland (Ville de) c, Immeubles Yale ltée, 2016 QCCA 661, paragr. 14, où un délai de deux ans entre l’adoption du règlement et l’action a été considéré raisonnable; Rimouski (Ville de) c. Développement Vaillancourt inc., 2009 QCCA 1475, paragr. 23, où le délai de quatre ans entre l’adoption du règlement et l’action n’a pas été considéré raisonnable, bien que la Cour indique, en obiter, que sa conclusion aurait pu être différente si l’action avait été instituée dans les mois suivant la mise en demeure transmise quinze mois après l’adoption du règlement.

[12]    Luc Chamberland (dir.), Le grand collectif : Code de procédure civile - Commentaires et annotations, vol. 2, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2015, p. 2134.

[13]    Voir à ce sujet les motifs de la juge Deschamps dans l’arrêt Fabi c. Rock Forest (Municipalité de), [1998] R.J.Q. 1683, p. 1688 (C.A.). Voir aussi : Rimouski (Ville de) c. Développement Vaillancourt inc., supra, note 11, paragr. 27.

[14]    Brassard c. Jardin zoologique de Québec inc., supra, note 5, p. 584 (C.A.).

[15]    RLRQ, c. P-41.1. Dans sa décision du 29 décembre 2015, la Commission de protection du territoire agricole du Québec indique que la construction d’un bâtiment agricole ne requiert aucune autorisation de sa part s’il n’est utilisé qu’à des fins agricoles et qu’elle n’a pas dans ce cadre à se prononcer sur son emplacement.

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